ESSAI SUR LES RAPPORTS DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN PENDANT LES TROIS PREMIERS SIÈCLES

 

TROISIÈME PARTIE. — RAPPORTS DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN DE 150 A 235.

 

 

L'exemple particulier que nous venons d'avoir sous les yeux appartient encore, d'après la distinction établie vers la fin de la partie précédente, à la période des bons empereurs. Marc-Aurèle mort, les chrétiens respirèrent un peu sous le détestable gouvernement de Commode, 17 mars 180-31 décembre 192[1]. Avec son règne commence l'époque de transition, qui doit nous conduire jusqu'à la proscription du christianisme par édits successifs, ou comme l'on dirait aujourd'hui, par un motu proprio de chaque souverain. Cette époque peut être triplement caractérisée de la manière suivante :

1° Au fond, la situation officielle n'est pas changée ; le rescrit de Trajan ne sera abrogé en fait, sinon en droit, que sous Alexandre Sévère.

2° Des relations officieuses sont créées, tant par le bon plaisir du gouvernement que par la bonne volonté de l'Église à se mettre en rapport avec lui.

3° Une tendance se fait jour : l'État, lorsqu'il voudra cesser les relations, ne pouvant plus reprendre absolument la situation officielle ancienne, emploiera de préférence des mesures spéciales, adaptées aux temps et aux lieux, mais susceptibles de se généraliser plus tard dans l'empire entier.

C'est ce que nous allons vérifier en continuant à exposer la suite des faits.

Parmi les peines, dites capitales en droit romain[2], et que le rescrit de Trajan donnait aux magistrats la faculté d'appliquer aux chrétiens, se trouvait la condamnation aux travaux forcés (ad metalla), qui réduisait le condamné à la condition d'esclave et qui, considérée comme une commutation de peine du supplice de la croix, était ordinairement réservée aux gens de condition inférieure. Nous ne l'avions rencontrée jusqu'à présent que dans les actes légendaires de saint Clément, qui la font remonter à Trajan lui-même. Cependant Pline ne semble Iras avoir envoyé les fidèles de Bithynie aux carrières de Crimée ; mais il est prouvé que cette peine était déjà en usage par une lettre de l'évêque Denys de Corinthe aux Romains, dont voici un extrait[3] : Dès le commencement votre coutume a été de faire du bien de toutes les façons à vos frères, envoyant des secours à beaucoup d'Églises dans les différentes villes, allégeant la misère des indigents, venant en aide aux frères qui sont dans les mines par les subsides que vous leur avez toujours adressés, fidèles en cela à la tradition de vos ancêtres, tradition que non-seulement le bienheureux Soter votre évêque a conservée, mais qu'il a développée. Le pontificat de Soter se place entre 166 et 175. Comme à partir de ce moment la charité du Pape eut occasion d'étendre son action, on peut en conclure que ces sortes de condamnations se multipliaient, ce qui concorde avec ce que nous savons du règne de Marc-Aurèle. Sans doute il faut voir là moins un désir de se départir de la rigueur primitive[4] qu'une conséquence du nombre croissant des chrétiens, dont certains fonctionnaires pratiques aimaient mieux pour l'État utiliser le travail que sacrifier la vie. Ce nombre était tel qu'un proconsul d'Asie persécuteur, Arrius Antoninus[5], vit un jour son tribunal assiégé par les chrétiens de sa province venus pour se livrer en masse ; il en fit emprisonner quelques-uns, et dit aux autres : Insensés ! si vous voulez mourir, n'y a-t-il pas assez de cordes et de précipices ?[6]

De fait, la persécution ne cessa pas absolument dès les premières années de Commode, et un étrange moyen fut adopté pour l'arrêter. 11 s'agit d'une innovation dans la procédure ancienne qui nous est révélée par l'affaire d'Apollonius : Eusèbe avait eu les pièces entre les mains et les avait insérées dans sa collection martyrologique ; mais il ne nous en reste qu'un court résumé dans l'Histoire ecclésiastique. Perennis étant préfet du prétoire (183-186), un sénateur chrétien, nommé Apollonius, distingué dans la science et dans la philosophie, fut traduit par quelque vil accusateur devant son tribunal, pour cause de christianisme[7]. Nous connaissons peu de détails sur Perennis, mais sa conduite en cette occasion mérite toute notre attention. Il commença par faire mettre à mort l'auteur de la dénonciation, comme si elle était fausse ; puis, ne pouvant décider Apollonius à abjurer, il renvoya la cause devant le Sénat. C'était à un moment où le sang coulait à flots : sous les prétextes les plus futiles, les personnages les plus illustres étaient condamnés à périr[8] ; des femmes de familles riches, des sénateurs avaient été exécutés sans jugement. D'où venaient ces scrupules en faveur d'Apollonius ? Ils ne sauraient être attribués à l'empereur, qu'absorbaient entièrement sa passion pour les jeux du cirque et ses furieuses débauches. Quant à Perennis, au lieu de contrarier les goûts de son maitre, il avait pris en main le pouvoir, qu'il exerçait avec vigueur. S'il faut s'en rapporter à Dion Cassius, alors sénateur, qui représente l'opinion des gens respectables de la capitale, il montra même une certaine honnêteté qui le fit regretter[9]. A croire au contraire la tradition dont Lampride s'est fait l'écho, le préfet du prétoire, en s'arrogeant toute l'autorité, aurait fait périr qui bon lui semblait, confisqué les biens d'un grand nombre et bouleversé toutes les lois. Ces deux opinions ne sont pas en désaccord autant qu'elles le paraissent ; en effet, le régime de l'arbitraire prête toujours aux jugements les plus opposés. Telle aussi apparaît la conduite de Perennis vis-à-vis d'Apollonius : c'est à la demande du préfet que le sénateur chrétien, chose inouïe[10], prononça devant ses collègues sa défense, éloquente apologie de la religion, qu'Eusèbe possédait encore ; mais le Sénat passa outre, et, après les précédents de près d'un siècle, ne crut pas pouvoir se dispenser (le le condamner à la peine capitale.

Ainsi le dénonciateur avait été puni malgré la véracité de sa dénonciation, et le dénoncé, s'étant reconnu chrétien, avait souffert le martyre. C'est à l'application simultanée des rescrits de Trajan et d'Hadrien, en une occasion où l'un excluait l'autre, qu'aboutissait la bienveillance de Perennis ; elle avait du moins ce résultat de décourager les accusations de christianisme. Peut-être n'avait-il voulu d'abord que sauver Apollonius ; mais de même que la lettre à Pline qui prétendait statuer uniquement sur un cas particulier, était devenue le code de la matière[11], de même la décision qui nous occupe fit loi quelque temps à Rome, comme étant de date récente et ayant été appliquée dans des circonstances solennelles. Cette jurisprudence nouvelle ressort bien, par exemple, de la page d'histoire qui nous a été restituée depuis peu, grâce à M. Miller, par la publication des Philosophoumena[12]. On sait que ce livre, écrit par un ennemi personnel du pape Calliste, est un violent pamphlet ; toutefois, comme il s'adresse à des contemporains, les détails matériels n'ont pu être inventés et doivent être tenus pour vrais : c'est ce qu'a parfaitement démontré M. de Rossi dans une série d'articles trop peu connus, sans doute parce qu'ils sont devenus introuvables.

Calliste, esclave chrétien d'un affranchi chrétien de Marc-Aurèle et de Commode nommé Carpophore[13], placé par son maître à la tête d'une banque, avait englouti dans la banqueroute les dépôts des fidèles et des veuves[14]. Son premier mouvement fut de s'enfuir ; mais au moment où il allait s'embarquer pour Ostie, Carpophore remit la main sur lui et le condamna à tourner désormais la meule. Au bout de quelque temps les fidèles demandèrent et obtinrent sa grâce. Rendu à lui-même, il alla faire esclandre chez les Juifs réunis à. la synagogue, parmi lesquels vraisemblablement il avait (les créanciers plus ou moins usuriers, voire même les auteurs de son infortune. Ces Juifs, après l'avoir maltraité, le traînèrent devant le préfet de la ville, Fuscianus, et l'accusèrent, non pas directement d'être chrétien, mais d'avoir troublé leur assemblée protégée par la loi romaine en faisant profession de christianisme[15]. C'était une manière habile de ne pas encourir la peine qui frappait les dénonciateurs, tout en insinuant que Calliste s'était déclaré chrétien. Là-dessus Carpophore survint, voulant sauver son esclave et assurant que celui-ci, depuis son désastre financier, cherchait un prétexte pour en finir avec la vie. Les Juifs, furieux, n'en crièrent que plus fort. Bref Fuscianus, connu pour sa sévérité[16], sans attendre une accusation en règle, substitua l'affaire capitale à celle de simple police et condamna Calliste, pour sa foi, à la flagellation et aux durs travaux des mines de Sardaigne. Tertullien rapporte la conduite opposée du proconsul Pudens[17], lequel, rencontrant la preuve de menaces intéressées dans l'acte d'accusation d'un chrétien, déchira cet acte, puis prononça qu'en l'absence d'accusateur le rescrit du prince lui interdisait de continuer l'information[18]. Plusieurs faits analogues montrent qu'à la fin du deuxième siècle certains magistrats commençaient à user dans le sens de la douceur du pouvoir discrétionnaire que leur conférait la mise hors la loi des chrétiens, tandis que d'autres en profitaient pour accentuer la rigueur et raffiner les supplices.

Pendant ce temps, la maison impériale recrutait ses fonctionnaires parmi les membres de la religion nouvelle. Outre Carpophore[19], nous voyons encore à cette époque le procurateur Prosénès[20] qui fut promu précisément par la confiance de Commode au degré le plus élevé de son emploi. C'était assurément un appui dont les chrétiens devaient chercher autant que possible à se prévaloir. Une autre cause à laquelle il convient d'attribuer une action modératrice à leur égard, est l'influence de Marcia, depuis l'année 183 favorite du prince. On s'est préoccupé de savoir si elle-même était chrétienne[21]. M. Aubé a récemment lu une communication à l'Académie des inscriptions sur ce sujet, et il a conclu affirmativement[22]. Mais l'abréviateur de Dion Cassius, Xiphilin, dit seulement qu'elle se servit de sa toute-puissance auprès de Commode pour rendre plus d'un service aux chrétiens, dont elle prenait les intérêts[23]. Les Philosophoumena sont venus nous expliquer de quelle nature étaient ces services, et cela même à propos de Calliste. Nous l'avions laissé travaillant dans les mines ; heureusement pour lui, il n'y resta pas longtemps. Vers le commencement du pontificat du pape saint Victor 189-198, Marcia, désireuse de faire une bonne œuvre (c'est l'expression dont se sert notre auteur) comme preuve de ses dispositions religieuses, demanda la liste des fidèles condamnés en Sardaigne, dont elle fit signer la grâce à l'empereur. Elle confia au vieil eunuque Hyacinthe, qui l'avait élevée, le soin de transmettre la décision au gouverneur de l'île, chargé de l'administration des mines. Celui-ci fit mettre les prisonniers en liberté ; mais Calliste ne se trouvait pas porté sur la liste, soit par oubli, soit avec intention, ainsi que l'affirme l'auteur des Philosophoumena, qui pourrait avoir été pour quelque chose dans cette affaire. Calliste réclama, et Hyacinthe, ayant pris sur lui de faire ajouter son nom, le ramena comme les autres à Rome.

C'est en somme à une fantaisie de clémence inspirée par Marcia, et non à un système réfléchi, que nous avons affaire ici. A la mort de Commode qui survint peu après, les chrétiens de Rome se retrouvaient, au point de vue légal, dans une situation aussi défavorable qu'avant son avènement. Si notre conjecture est juste[24], ils prétendirent alors placer sous la protection du nom de Marc-Aurèle l'avantage résultant pour eux de treize années d'une quasi-tolérance. Pertinax, du reste, ne s'était montré hostile, ni pendant son proconsulat d'Afrique 188-189[25], ni pendant sa préfecture urbaine qui l'avait suivi. Quant à Marcia qui était entrée dans le complot du préfet du prétoire Lætus contre Commode, il prit sa défense tant qu'il fut sur le trône[26], mais elle ne tarda pas à être livrée aux prétoriens avec ses complices par Didius Julianus. Il n'est point à croire qu'elle mourut baptisée ; la qualification de φιλόθεος que lui donne l'écrivain chrétien contemporain en la distinguant des fidèles, πιστοί, ne peut même guère s'entendre du catéchuménat proprement dit. L'évêque Denys d'Alexandrie, en 268, appelle l'empereur païen Gallien φιλοθέωτερος, en reconnaissance de ce qu'il avait accordé une paix momentanée à l'Église[27]. De même Flavius Josèphe traitait l'impératrice Poppée de θεοσεβής, parce qu'elle plaidait la cause des Juifs auprès de Néron[28].

Septime Sévère (2 juin 193-4 février 211), ce rapide destructeur de trois concurrents à l'empire, comme l'appelle M. Villemain, savait qu'il ne trouverait pas de chrétiens parmi les partisans de ses adversaires, et, pour cette raison, il devait leur être favorable. Il les connaissait par ailleurs, ayant donné dès 186 pour père nourricier à son fils Caracalla un affranchi impérial[29], Evhodus Sabinianus[30], dont la femme était chrétienne. Lui-même, dans une maladie, avait eu recours à un esclave chrétien de cet affranchi, Proculus, surnommé Torpacion, qui l'avait guéri et que, par reconnaissance, il voulut garder dans le palais jusqu'à sa mort. C'était sans doute aussi un frère de lait que Caracalla, âgé de sept ans, sut un jour avoir été battu à cause de sa religion[31] : raison pour laquelle il garda rancune à son père et au père de son camarade de jeux, comme s'ils avaient été les auteurs des coups. Involontairement ici, on se souvient de la caricature gravée à. la pointe sur les murs du pœdagogium du Palatin : un homme à tête d'âne crucifié, recevant le baiser d'adoration (l'un individu, au-dessous duquel on lit Άλεξάμενος σέβετε (τε pour ται) θεόν, et Alexamène, ainsi tourné en dérision, se contentant un peu plus loin pour toute réponse d'affirmer sa foi en signant Άλεξάμενος fidelis[32]. D'autre part, l'Apologétique de Tertullien, si on le remarque, est adressée au Sénat, 199[33]. L'orateur africain ne réclame rien de Septime Sévère, qui alors était reparti pour l'Orient, mais qui, peu avant, en 197, revenant de vaincre Clodius Albinus à Lyon, et ayant fait mettre à mort une foule des premiers personnages de Rome (Spartien[34] en nomme quarante-deux), protégea au contraire les chrétiens de grande naissance, et leur rendit publiquement hommage malgré l'hostilité du peuple[35]. Ses sentiments étaient connus, car à la prise de Byzance en 195, le persécuteur Cæcilius Capella, qui gouvernait pour Pescennius Niger, s'écria, dit-on : Chrétiens, réjouissez-vous[36].

Cependant leur joie ne dut pas être de longue durée, si nous en croyons Spartien, qui rapporte un édit de l'empereur rendu pendant son voyage en 202, et interdisant sous peine de mort les conversions au judaïsme et au christianisme ; mais le même auteur indique que cette législation[37] s'appliquait aux habitants de la Palestine. Il faut seulement admettre qu'elle fut étendue à l'Égypte, où les deux religions comptaient de si nombreux adhérents, et même elle semble avoir été faite surtout en vue de ce pays, dont on connaît le régime exceptionnel. C'est là que nous rencontrons la première de ces demi-mesures révélant une forme nouvelle, que, devant la force îles choses, affectera de prendre de plus en plus la persécution.

A Alexandrie, selon l'habitude, la situation des chrétiens empira rapidement, ainsi que l'attestent les lignes suivantes contemporaines des événements : Chaque jour, dit Clément dans ses Stromates[38], ouvre sous nos yeux de nouvelles sources de martyrs ; on les brûle, on les torture, on leur tranche la tête. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, puisque cela se passait sous l'administration de Lætus, l'un de ceux qui devaient conseiller le plus instamment à Caracalla l'assassinat de son frère. Parmi ses victimes, il faut compter Léonide, le père d'Origène, qui fut décapité et dont les biens furent confisqués[39]. Son fils, âgé de dix-sept ans, que sa mère pouvait à peine retenir, écrivait à l'illustre martyr : Prends garde de changer d'avis à cause de nous. Non content de manifester ainsi sa fui, en dépit de la prohibition officielle, il rouvrit l'école catéchétique que Clément d'Alexandrie venait de quitter[40], et son jeune âge, non plus que les circonstances, ne rebutèrent pas les auditeurs païens qu'attirait vers lui la soif de la vérité. Parmi ses élèves qui payèrent leur courage de leur vie, Eusèbe nomme Plutarque, Héraclide, Héron, les deux Serenus, et une jeune fille appelée Héraïs. Mais déjà, Subatianus Aquila avait succédé à Latus commue gouverneur ; c'est lui qui fit périr dans les flammes après d'affreux tourments la vierge Potamienne, avec sa mère Marcelle, et le soldat Basilide que ce spectacle avait converti[41]. Quant à Septime Sévère, il n'avait pas tardé à rentrer à Rome pour célébrer le dixième anniversaire de son avènement, et il est à croire qu'il ne fut pas témoin (le toutes les conséquences de son édit. L'édit lui-même resta-t-il longtemps en vigueur ? 11 est permis d'en douter, car nous avons le titre d'un écrit adressé par l'évêque d'Antioche, Sérapion (mort vers 205), à un certain Domninus qui par suite de la persécution était passé de la religion chrétienne à la religion juive[42], ce qui indique que les Juifs prosélytes furent peu molestés, et qu'après un court malentendu, on rectifia la décision impériale, et l'on se contenta d'en revenir aux anciens errements contre les chrétiens.

Les précédents laissaient une si grande latitude aux gouverneurs des provinces[43], que leur véritable ligne de conduite à cet égard avait fini par rentrer dans le cadre général tracé par le guide-manuel d'Ulpien De officio proconsulis[44], à savoir, la poursuite d'office de toutes les mauvaises gens. Les juges ne se demandaient plus si, par les mots : conquirendi non sunt, le rescrit de Trajan n'avait pas excepté les chrétiens de ce nombre. Nous avons vu aussi quelle interprétation large lui avait donnée le légat de la Lyonnaise, sous Marc-Aurèle ; son successeur voulut apparemment faire du zèle à l'occasion des Decennalia de Sévère ; car à cette date, 203, doit être enregistrée la condamnation du successeur de saint Pothin, saint Irénée. Nous ne possédons malheureusement aucun détail sur sa mort[45], et déjà le pape saint Grégoire le Grand[46], après de minutieuses recherches, n'avait pu retrouver ses actes non plus que ses écrits. Quant aux écrits de l'illustre métropolitain de la Gaule[47], plus heureux que saint Grégoire, nous possédons, outre les fragments de ses lettres conservés dans Eusèbe, une antique version latine très-fidèle de son grand traité contre les gnostiques, qui était intitulé Πρός τάς αίρέσεις, mais nous n'avons que les titres de ses autres ouvrages. Haute avait été sa considération dans l'Église entière, et non moins profonde l'affection que lui avaient vouée les fidèles de Lyon, comme le prouvent les termes avec lesquels ils le recommandaient au pape saint Éleuthère, dès 177[48]. Aussi sa mort ne fut-elle pas isolée ; la tradition, représentée par l'inscription de la vieille mosaïque placée au-dessus de son tombeau[49], parle de milliers de martyrs ; millia dena novemque. Assurément Lyon n'en était pas à son premier soulèvement populaire ; mais quoiqu'il soit difficile de préciser, vu l'absence de documents, le caractère de cette persécution, à en juger par les renseignements que Tertullien nous fournit sur la persécution d'Afrique, nous sommes en droit de nier qu'elle se fondât sur autre chose que la longue jurisprudence inaugurée par le rescrit de Trajan, et renouvelée à Lyon même par Marc-Aurèle. C'est ainsi que Görres, que son système conduit à priori à voir dans le règne de Septime Sévère une époque de paix pour l'Église[50], est forcé de reconnaitre que jamais paix ne subit autant de violations partielles.

Quintus Septimius Florens, plus connu sous le nom de Tertullien, légiste[51], rhéteur et philosophe païen, depuis sa conversion défenseur ardent et éloquent du christianisme, prêtre et finalement chef de secte, est une figure curieuse de l'époque où nous sommes parvenus. Il semble personnifier un instant en lui la cause de l'Église en face de l'État ; sa hardiesse est si grande qu'on s'étonne qu'elle ait pu être tolérée, et alors que certainement la qualité de chrétien dénoncée au juge suffisait pour envoyer au martyre, on se demande pourquoi, à la différence de saint Justin, il n'a rencontré aucun accusateur. Les pièces à conviction ne faisaient pas défaut ; comment et-il renié ses nombreux écrits ? Il n'y a qu'une explication à ce fait : les choses ne se seraient pas passées ainsi, en d'autres temps que ceux de la dynastie africaine. En effet, Tertullien était Africain et fils d'un centurion proconsulaire ; comme nous l'apprend la chronique d'Eusèbe. Cette charge subalterne de son père à l'officium du gouverneur de la province ne s'accorde guère en apparence avec le renseignement, fourni par le même auteur dans l'Histoire ecclésiastique, où il est dit qu'aux autres illustrations de Tertullien, il convient de joindre celle du rang auquel il avait droit à Rome[52] ; et d'ailleurs il ne faut pas oublier qu'il portait les tria nomina, mais le tout se concilie à l'aide d'un exemple contemporain. Parlant du mariage de Julia Douma, dont la famille, d'après Dion Cassius[53], était plébéienne, M. Renier a pu dire que celle où elle allait entrer était, par les honneurs qui avaient été conférés à quelques-uns de ses membres, une des premières de l'empire[54]. Ce qui n'empêche pas que Lucius Septimius Severus était de très-humble extraction. Son père Geta, bourgeois de Leptis Magna (aujourd'hui Lebdah, dans la régence de Tripoli), ne s'éleva pas au-dessus de la condition équestre ; aussi le fils dut-il, lorsqu'il vint à Rome en vue de poursuivre ses études, demander à Marc-Aurèle la faveur du laticlave[55]. C'est sans doute à Carthage, qu'il avait appris les littératures grecque et latine dans lesquelles il était très-versé ; pendant son enfance, remarque son biographe, il n'aimait à jouer qu'au magistrat avec ses compagnons. Qui sait si Tertullien, qui n'était pas éloigné de son âge[56], ne se trouvait point au nombre de ceux-ci, bien mieux, n'était point son parent plus ou moins éloigné, comme l'indiquerait leur gentilicium commun Septimius ? La jeunesse du futur apologiste présente avec celle du futur empereur de grands rapports[57]. Lui aussi possédait les deux langues[58], lui aussi alla à Rome, où il est probable qu'il se convertit, et où il finit, selon saint Jérôme, par avoir des démêlés avec les clercs de l'Église romaine. Tertullien paraît aussi connaître mieux qu'un autre l'intérieur de la famille impériale[59]. Enfin, nous pouvons généraliser avec M. Aubé une remarque que nous avions déjà faite à propos de son appel au Sénat : Dans aucun de ses traités, depuis la courte Lettre aux martyrs jusqu'à l'Épître à Scapula, qui forment les deux limites extrêmes des écrits apologétiques et polémiques se rapportant à la lutte que nous étudions, on ne trouve un seul témoignage qui incrimine directement Sévère[60]. Nous venons d'indiquer, à notre avis, la raison de son impunité.

Tous les chrétiens d'Afrique n'avaient pas les mêmes motifs de se croire en sûreté. Aux victoires de Septime Sévère avaient succédé l'association de ses fils à l'empire (198) et les réjouissances publiques qui en étaient la conséquence, moment toujours critique pour les fidèles. C'est à cette occasion que furent composés les traités De corona, De idololatria, De spectaculis ; le premier en particulier a trait à une circonstance qui signala la distribution du donativum[61] : un soldat chrétien, par bravade sans doute, se présenta pour le recevoir, la couronne de laurier à la main et non sur la tète, et ayant déclaré qu'il ne pouvait faire comme les autres à cause de sa religion, il se vit arrêter. Sa conduite fut diversement jugée. D'aucuns, dit Tertullien, qui prend son parti, le blâmaient de compromettre une bonne et longue paix. En effet, depuis le proconsulat de Vigellius Saturninus en 180, l'Église d'Afrique ne paraît pas avoir eu de martyrs. Mais dès 190-192, les chrétiens dénoncés n'échappaient que grâce à la bienveillance des juges[62]. A Carthage comme à Rome, les passions s'étaient réveillées chez le vulgaire, l'opinion était excitée, des caricatures circulaient, la persécution allait redevenir à l'ordre du jour[63]. Tertullien rédige alors ses deux livres Ad nationes, et pour l'autorité officielle, son Apologétique (199-200). Ces protestations si vives sont datées, car elles contiennent des allusions très-précises à la défaite des prétendants Niger et Albinus et à la répression sanglante qui suivit[64]. Elles n'arrêtèrent rien, ainsi que de coutume, et peu après, dans son exhortation aux benedicti martyres designati, l'infatigable écrivain se contente d'opposer le sort des gens qui ont péri pour une cause humaine à l'honneur de ceux qui servent de témoins à Dieu[65]. Ces martyrs désignés, qui étaient-ils ? On ne prononce pas leurs noms ; il est marqué seulement qu'il y avait parmi eux des hommes et des femmes, qu'ils attendaient dans la prison leur jugement, et que cette prison se trouvait à Carthage, puisque le magistrat absent était le proconsul[66]. D'ailleurs ils recevaient la visite du clergé de la ville, et l'exhortation leur fut remise, jointe à des aliments qu'on était autorisé à leur apporter. Nous connaissons plusieurs personnages qui souffrirent vers cette époque et auxquels toutes ces conditions conviennent : les célèbres saintes originaires de Tuburbium (aujourd'hui Tébourba, à peu de distance de Carthage) et leurs compagnons, dont nous possédons des actes authentiques, recueillis par un contemporain. La partie où les confesseurs de la foi racontent leurs visions n'était pas seulement connue de saint Augustin, mais elle se trouve citée par Tertullien lui-même[67]. Nous allons donc brièvement analyser ce récit.

Déjà Jocundus, Saturninus et Artaxius avaient été brûlés vifs, Quintus avait succombé en prison, sans compter un certain nombre d'autres martyrs. Un nouveau groupe de cinq fut arrêté, tous fort jeunes et simples catéchumènes : c'étaient Revocatus et Félicité, esclaves, Saturninus, Secundulus, puis une femme de vingt-deux ans, Vivia Perpetua, spécialement désignée comme de noble naissance. Un sixième, non présent lors de l'arrestation, se livra exprès pour les rejoindre[68]. Si nous ne nous trompons, ce Saturus est le mari de Perpétue, dont on cherche eu vain la mention dans les actes, tandis que tous les antres membres de sa famille y sont énumérés, à savoir : le père, qui seul était païen[69] ; la mère, qui gardait le petit enfant encore à la mamelle, puis le second des frères, lui aussi catéchumène ; l'autre, nommé Dinocrate, était mort à l'âge de sept ans d'un cancer à la figure. Sur le point d'être détenue, Perpétue eut à subir un premier assaut de son père qui repartit chez lui sans succès ; mais il s'écoula plusieurs jours avant que les martyrs fussent enfermés dans la prison proprement dite, et c'est pendant cet intervalle qu'ils reçurent le baptême. Les diacres Tertius et Pomponius, chargés de les visiter au cachot, obtinrent pour eux à prix d'argent un séjour quotidien de quelques heures dans un local attenant : là Perpétue allaitait son fils, elle finit même par le prendre avec elle. Au bout de quelque temps, le bruit s'étant répandu de l'approche du jugement, son père accourut du pays une seconde fois, et renouvela par des supplications inutiles ses angoisses filiales. Enfin le jour solennel, qui s'était fait attendre, arriva.

Les prisonniers étaient à leur repas, quand on les emmena pour comparaître, non pas devant le proconsul Minucius Timianus, qui venait de mourir, mais devant son remplaçant extraordinaire, le procurateur Hilarianus[70]. Celui-ci procéda à l'interrogatoire, et lorsque ce fut le tour de Perpétue, son père alla droit à elle avec son enfant dans les bras et tenta un nouvel effort pour l'ébranler. Le procurateur joignit d'abord ses instances, puis il fit repousser le père parmi les assistants, et un licteur frappa ce vieillard aux cheveux blancs d'un coup de baguette qui retentit douloureusement au cœur de la jeune femme. Depuis ce moment son enfant ne lui fut pas rendu : Heureusement, ajoute-t-elle, il ne demanda plus le sein, et je n'eus point de fièvre de lait. La sentence condamnait les chrétiens à figurer dans l'arène au jour anniversaire de la proclamation de Geta, le plus jeune fils de l'empereur, comme César[71]. En attendant ce jour, ils furent traités avec humanité par le gardien Pudens. Perpétue revit une dernière fois son père désespéré. Quant à l'esclave Félicité, enceinte du huitième mois, elle accoucha dans la prison d'une fille, qu'une chrétienne adopta. Secundulus mourut avant le combat, mais ayant mérité les honneurs du martyre. La scène de l'amphithéâtre est décrite par les actes dans le plus grand détail. Les hommes furent mis aux prises avec un ours et un léopard ; aux femmes on avait réservé une vache sauvage. Nul ne périt sur-le-champ. La foule exigea qu'on achevât les martyrs devant elle, tenant, suivant l'énergique expression d'un témoin[72], à rendre ses regards complices du fer homicide. Saturus en cet instant suprême demanda au soldat Pudens l'anneau qu'il avait au doigt, et le lui rendit trempé de son sang. Il expira le premier sous le coup de grâce, car c'était à lui de frayer la route à Perpétue[73]. Cette dernière laissa échapper un cri perçant quand elle sentit la pointe de l'épée pénétrer entre ses côtes, et elle dirigea elle-même la main peu assurée du gladiateur novice sur sa gorge. Ceci se passait à Carthage le 7 mars 202[74].

Était-ce en vertu du rescrit de Trajan ou de l'édit de Septime Sévère ? Incontestablement du premier. Nous avons déjà noté que le second était spécial à la Palestine et à l'Égypte, et nous n'en trouvons pas trace dans les provinces africaines ; Tertullien même n'y fait jamais allusion dans ses écrits. Si pour nos martyrs la qualité de catéchumènes a été mentionnée, ce n'est pas en elle que réside le principal éclat de leur confession. Ainsi l'entendait l'auteur de la biographie de saint Cyprien, le diacre Pontius, qui, une cinquantaine d'années plus tard, parle de leurs actes en ces termes : Quum majores nostri plebei et catechumenis martyrium consecutis tantum honoris pro martyrii ipsius veneratione dederint, ut de passionibus eorum multa, aut prope dixerim, pene cuncta conscripserint, ut ad nostram quoque notitiam qui nondum nati fuimus pervenirent. Les mots dont il se sert, prope dixerim pene cuncta, ont un titre spécial à notre attention ; ils indiquent clairement que de son temps il manquait quelque chose au récit pour être complet. En effet, alors comme à présent, l'interrogatoire, cette partie si importante aux yeux des chrétiens, était omis. Interrogati ceteri, dit Perpétue, confessi sunt : ventum est et ad me. Or il est remarquable que M. Aubé a rencontré à la Bibliothèque nationale un texte différent, qui précisément le contient ; cette rédaction est, du reste, postérieure à saint Cyprien, puisqu'elle introduit maladroitement les noms des empereurs Valérien et Gallienus. Pour tous les détails de la  captivité et de l'exécution, elle ne fait que résumer les actes antérieurs en les altérant souvent, et n'a par suite aucune autorité propre. On n'en saurait penser autant du document encadré au milieu, c'est-à-dire des questions et des réponses échangées entre le magistrat et les prévenus de christianisme. Répétons après M. Aubé : Si l'on pouvait parler de notes prises à l'audience ou de pièces de greffe, ce serait le cas[75]. Nous inclinerions plutôt vers la seconde hypothèse, parce qu'elle explique comment le nom du proconsul défunt Minucius, attaché au dossier de son année de gouvernement, a été ultérieurement transcrit sans qu'on prît garde qu'il avait fallu le remplacer avant l'expiration de cette année. Il serait également loisible d'admettre qu'il présida effectivement la comparution préliminaire. Minucius proconsul dixit ad eos : Invictissimi principes... jusserunt ut sacrificetis. Satyrus respondit : Hoc non sumus facturi, christiani enim sumus. Proconsul jussit eos recludi in carcerem ; siquidem hora erat prope tertia. Et après le long délai dont les deux rédactions font foi, le procurateur Hilarianus, faisant fonction de proconsul par intérim, aurait dirigé l'interrogatoire définitif. Post lacet vero procedens... proconsul et sedens pro tribune eos exhiberi prœcepit dixitque ad eos : Sacrificate diis, sic enim jusserunt perpetui principes, jusqu'à Proconsul ad Perpetuam dixit : Quid dicis, Perpetua, sacrificas ? Perpetua Christiana, inquit, sum, et nominis mei sequor auctoritatem ut sine perpetua. Proconsul dixit : Parentes habes ? Perpetua respondit : Habeo. Ce passage se relie directement à celui de l'autre texte : et apparuit pater illico cum filio meo, etc. Dans ces limites, les actes primitifs sont redevables à la découverte de M. Aubé d'un précieux complément.

Le successeur régulier (le Minucius fut Apuleius Rufinus. Le martyrologe d'Adon au 18 juillet place le martyre de sainte Guddene à Carthage sous son administration[76]. On ignore le nom des autres victimes. Ce qu'on sait, c'est que la terreur était grande et que beaucoup de chrétiens prenaient la fuite. Deux ouvrages contemporains l'attestent, le Scorpiace et le De fuga in persecutione. Dans ce pamphlet, Tertullien cite un Rutilius, sanctissimus martyr, qui, après s'être esquivé plusieurs fois, subit courageusement la peine du feu[77]. Un si cruel supplice était appliqué lors de la mort de Septime-Sévère, 4 février 211, avec une recrudescence de fureur dans la province proconsulaire que gouvernait Scapula ; car les exécutions s'étaient ralenties sous Caius Julius Asper (205-206), et l'apologiste toujours sur la brèche, dans son éloquente épitre au gouverneur, lui oppose l'exemple de son devancier[78]. La persécution, également rallumée dans les provinces voisines de Numidie et de Mauritanie[79], s'éteignit enfin sous Caracalla.

Un trait particulier de cette persécution nous a été conservé par Tertullien[80], et nous amène à considérer l'état de la question funéraire à la fin du deuxième siècle. La foule païenne de Carthage, parmi les menaces qu'elle proférait, poussait ce cri : Plus de cimetières pour les chrétiens, Areœ non sint. Il est curieux de rapprocher de ce mot une inscription découverte à Cherchell en Algérie (Cœsarea Mauritaniœ)[81] :

AREAM AT (ad) SEPVLCRA CVLTOR VERBI CONTVLIT

ET CELLAM STRVXIT SVIS CVNCTIS SVMPTIBVS

ECLESIAE SANCTAE HANC RELIQVIT MEMORIAM

SALVETE FRATRES PVRO CORDE ET SIMPLICI

EVELPIUS VOS SATOS SANCTO SPIRITV

ECLESIA FRATRVVM HVNC RESTITVIT TITVLVM.....    

Un fidèle nommé Evelpius, prenant le titre de cultor Verbi, avait affecté un terrain à des sépultures et construit à ses frais un édifice de réunion, léguant le tout à l'assemblée des frères : celle-ci faisait rétablir le marbre où l'affectation avait été inscrite et qui avait péri, sans doute dans une persécution. En consacrant une partie Ce sa fortune à des fondations funéraires, Evelpius n'agissait pas autrement que la plupart des Romains, chez qui elles étaient l'objet d'une très-grande préoccupation, soit pour eux-mêmes et les leurs, suit pour eux

Veut-on un exemple de dispositions personnelles : on les trouvera tout au long dans le testament de ce citoyen de Langres, dont le texte a été conservé dans un manuscrit de la bibliothèque de Bâle[82] ; il s'y réserve un vaste terrain où s'élevait une cella memoriœ — édifice avec son mobilier destiné à des réunions anniversaires — à laquelle on pouvait accéder en voiture, et qu'entourait un verger (pomaria). Les ternies techniques par lesquels on désignait ces différents emplacements sont fixés d'après les inscriptions, entre autres, d'après le plan détaillé et fort curieux d'une sépulture païenne de la voie Lavicane[83], qui se composait, outre le monumentum, d'une area monumenti comprenant plusieurs bâtiments, exedrœ, custodia, et enfin d'arcœ adjectœ quœ cedunt monumento, toutes ces dépendances étant mesurées géométriquement le long des routes publiques. Mais le plus souvent les sépultures étaient communes à un grand nombre de personnes : les défunts invitaient leurs proches, leurs affranchis, leurs amis à reposer auprès d'eux ; pour assurer l'exécution de leur dernière volonté sur ce point, ils l'imposaient aux héritiers, ou ils leur soustrayaient cette portion de l'héritage.

Un autre moyen, que révèlent encore les inscriptions, était la formation d'associations privées sous une appellation commune, qui permettait de s'étendre au delà de la familia ordinaire. M. de Rossi a réuni les exemples connus, qui se multiplient tous les jours[84]. L'inscription la plus topique est celle où Aurelius Vitalion restreint à lui, aux siens et à ceux auxquels il a donné des concessions de son vivant, la propriété Syncratiorum, ajoutant : Et hoc peto eco (ego) Syncratius a bobis (vobis) universis sodalis (es) ut sine bile refrigeretis. L'inscription Pelagiorum, malgré l'apparence, ne dit pas autre chose par ses restrictions : Ne quis a nomine nostro alienare audeat... cuimque ex familia nostra..... ; seulement l'association avait pris pour appellation patronymique le nom de son fondateur, ainsi que le prouve la comparaison d'une autre inscription trouvée au cinquième mille de la voie Latine :

D M

SEPVLCRVM • CVM • SOLO

ET • OLLARIIS • ANNII • PHYLLE

TIS • ET • COLLEGII • PHYLLETI

ANORVM • IN • FRONTE, etc.

Certaines familles chrétiennes formaient de pareilles associations ; le musée de Florence possède une lampe provenant du mont Cœlius à Rome et portant cette légende : Dominus legem dat Valerio SeveroEutropi vivas, alors qu'un a deux pierres sépulcrales de Valerii chrétiens avec la mention Eutropiorum[85]. Mais il était naturel que la charité inspirée par la religion nouvelle, dont les membres composaient notoirement une seule famille, groupât les fidèles dans des sépultures communes. Nous connaissons déjà à Rome des cimetières fondés à cet effet. La chronique de l'Église de Milan rapporte que le cimetière primitif de cette Église était la fondation d'un converti nommé Philippe. Sur l'hortus Philippi légué par lui, ses deux enfants construisirent deux orationis œdes qui conservaient encore le nom de basiliques de Porcius et de Fausta du temps de saint Ambroise. Lorsque l'empereur Valentinien voulut s'en emparer pour les livrer aux Ariens, l'illustre évêque défendit énergiquement l'héritage qui lui venait de ses plus anciens prédécesseurs : Absit ut tradam hœreditatem patrum, hoc est... omnium retro fidelium episcoporum. C'est là qu'il découvrit, en 386, les restes des célèbres martyrs saint Gervais et saint Protais, dont on ne sait pas exactement l'époque[86] ; leur inscription, que quelques vieillards se souvenaient d'avoir vue — nunc senes repetunt se aliquando horum martyrum nomina audisse, titulumque legisse, — avait été brisée comme celle d'Evelpius, dans la persécution de Dioclétien.

Il y a lieu de chercher à s'expliquer la nature de cette propriété des évêques, laquelle remonte bien avant dans le temps des persécutions. On peut en juger d'abord par les édits qui ont mis fin à ces dernières, et qui, en somme, ne font que rétablir des droits préexistants. Les textes sont formels. Qu'on prenne l'édit publié fort à contrecœur par Maximin Daïa après sa défaite par Licinius en 313 ; que dit-il[87] ? Si quelques bâtiments ou terrains se trouvant faire partie autrefois de la propriété des chrétiens sont tombés par ordre de nos ancêtres (Dioclétien et Maximien) dans le domaine du fisc, ou ont été pris par quelque ville, ou bien aliénés à titre onéreux ou gratuit, nous ordonnons qu'ils fassent tous retour à l'ancienne propriété. L'édit promulgué au commencement de la même année à Milan[88] par Constantin et Licinius n'est pas plus clair, pour être un peu plus explicite : tous les immeubles sont rendus au corps des chrétiens, même ceux qui ne servaient pas de lieux de réunion ; une juridiction est indiquée à laquelle doivent s'adresser les détenteurs des biens pour obtenir quelque indemnité. Mais il y a mieux ; dès 259, ces biens avaient déjà été l'objet d'une restitution de la part du gouvernement ; n'était-ce pas la preuve qu'auparavant ils étaient possédés par les chrétiens ? C'est le fils de Valérien qui, arrêtant la persécution édictée par son père, écrit au pape saint Denys[89], successeur de saint Sixte II, martyr dans le cimetière de Prétextat, afin de l'avertir qu'il a donné l'ordre dans tout l'empire que l'on évacuât les lieux du culte qui avaient été occupés, et vous pouvez vous servir, ajoute-t-il, de cet exemplaire de mon rescrit pour empêcher que qui que ce soit ne vous apporte du trouble. Un second rescrit adressé à d'autres évêques permettait de reprendre les emplacements dits des cimetières, τά τών καλουμένων κοιμητηρίων χωρία.

On ne peut nier que les empereurs ne fussent bien au courant de l'administration de l'Église ; aussi ne faut-il pas s'étonner de voir, lors de la guerre contre Zénobie en Orient (272-73), Aurélien, appelé à intervenir dans l'affaire de Paul de Samosate, qu'un concile venait de déposer de son siège à Antioche, et qui refusait de quitter la demeura épiscopale[90], s'en référer à la communion des évêques occidentaux et de celui de la ville de Rome (alors saint Félix Ier) à l'effet de réintégrer l'Église dans la propriété. Ce même Aurélien citait les assemblées des chrétiens en plein Sénat[91], et avant lui, Alexandre Sévère proposait, comme modèle de nomination des fonctionnaires, les ordinations ecclésiastiques précédées des publications de bans, usage qui jusqu'à ce jour n'a pas cessé d'être observé par les catholiques[92].

Il ne faut pas s'étonner non plus que l'Église romaine, par exemple, quand elle se vit à la tète de biens importants, commençât à rechercher des administrateurs habiles. C'est ce qui fait que, malgré les insinuations de l'auteur des Philosophoumena, nous devons voir dans Calliste un banquier plutôt malheureux que maladroit ou malhonnête ; car, lorsque celui-ci revint de Sardaigne, le pape Victor l'envoya provisoirement à Antium gérer quelque intérêt, moyennant quoi il lui servait une pension mensuelle, et dès 198, le successeur de Victor, Zéphyrin, le rappela à Rome pour en faire son archidiacre, fonction qu'il conserva pendant dix-neuf ans, et dont il s'acquitta si bien qu'en 217 il fut élu pape lui-même. Or son administration va précisément nous mettre sur la voie de ce que nous cherchons, c'est-à-dire de l'origine de la propriété collective de l'Église. Son biographe et son contemporain se sert à son égard d'une expression particulière ; il rapporte qu'en sa qualité de coadjuteur de Zéphyrin, il fut préposé au cimetière[93]. Pourquoi le cimetière, et non pas un cimetière quelconque ? Il s'agit évidemment de celui dit de Calliste. Mais tandis que les autres cimetières existant à cette époque s'appelaient du nom de leurs fondateurs, comme ceux de Priscille, de Maxime, au nord de Rome ; de Domitille, de Prétextat, au sud, quel titre avait Calliste pour attacher son nom à l'immense nécropole de la voie Appienne qu'il n'avait pas fondée, et on il n'eut pas son tombeau ? D'un autre côté, c'est là, chose importante, que depuis Zéphyrin jusqu'à la paix de Constantin, les papes, à fort peu d'exceptions près et toutes motivées, furent enterrés, ayant transporté à cet endroit leur lieu de sépulture, qui se trouvait auparavant dans les cryptes du Vatican. Quelle raison donc avaient-ils eu pour abandonner ainsi le tombeau de saint Pierre ?

A ces différentes questions une seule réponse convient. Le cimetière on était enterrée sainte Cécile devint le premier domaine possédé en titre par le corps des chrétiens, et cette propriété ostensible, c'est Calliste qui l'organisa, en même temps qu'il dut en être le représentant officiel. En un mot, l'Église, pendant deux siècles proscrite et cachée, dès le commencement du troisième, tenta de se présenter aux yeux du gouvernement sous la forme d'une société funéraire. Comme telle, l'État ne pouvait se refuser à lui reconnaître certains droits, alors même qu'il contestait individuellement le droit d'exister à chacun de ses membres. On sait ce qu'étaient ces sociétés, sortes d'associations de secours mutuels pour les pauvres gens. Elles avaient le privilège de n'être pas tenues pour des collèges illicites[94]. Leur idée primitive avait été réalisée par les columbaria des esclaves[95] : on n'a retrouvé ceux-ci jusqu'à présent qu'à Rome ; tous ceux que l'on connait ont été construits sous les premiers Césars et ont cessé d'être en usage sous les Antonins. Ce qui distingue les groupes de ce genre, c'est qu'ils ne s'appelaient pas encore des collèges, et que ceux qui les composaient se contentaient de prendre le nom de socii sans y rien ajouter. Par contre, les collèges funéraires proprement dits paraissent, plus récents ; on n'en trouve pas de traces certaines dans les inscriptions avant Nerva ; leurs membres prennent le nom d'un dieu dont ils se disent les adorateurs. Il s'opéra donc vers la fin du premier siècle un changement dans l'organisation des sociétés en question ; mais, remarque M. Boissier, qui a traité en détail de ces matières[96], il n'est pas aisé de dire quelle en était la nature et l'étendue. Henzen, à l'occasion de la dernière inscription de collège funéraire découverte[97], a exprimé l'opinion qu'un sénatus-consulte antérieur à Hadrien avait dû autoriser ces associations d'une manière générale pour la ville de Rome. Ce fut Septime-Sévère qui étendit la mesure à l'Italie et aux provinces[98], et elles prirent à partir de la fin du deuxième siècle le plus grand développement dans tout l'empire. Voilà bien le moment où Calliste était préposé au cimetière, et où les païens d'Afrique s'écriaient : Plus de cimetière pour les chrétiens !

Le règlement des collèges funéraires est donné in extenso par une inscription trouvée à Lanuvium en 1816. Les associés s'intitulent cultores Dianœ et Antinoi. On lit dans le kaput ex senatus consulto populi Romani qui autorisait leurs réunions, les mots suivants[99] : Qui stipem menstruam conferre volent in limera, in it (id) collegium coeant... semel in mense coeant conferendi causa unde defuncti sepeliantur. Ces contributions étaient aussi destinées à subvenir aux frais des festins et des sacrifices qui avaient lieu à certains anniversaires, natalitia. Or voici comment Tertullien décrit les assemblées chrétiennes en 199[100] : Modicam unusquisque stipem menstrua die, vel quum velit, et si modo velit, et si modo possit, apponit. Nam nemo compellitur, sed sponte confert. Hœc quasi deposita pietatis sunt. Nam inde non epulis, nec potaculis, nec ingratiis voratrinis dispensatur, sed egenis alendis huinandisque, etc. Nous pouvons ajouter à cela le rapprochement naturel de la dénomination chrétienne, cultor Verbi, que nous avons rencontrée avec la dénomination païenne citée plus haut. Que l'on considère maintenant qu'au nombre des privilèges garantis étaient des biens communs, une caisse commune[101], la facilité de célébrer des cérémonies à certains jours, par suite de tenir des réunions religieuses, la reconnaissance d'un chef commun à titre d'administrateur, et l'on se demandera : De quoi donc se compose l'Église, sinon de tous ces éléments ? Assurément, disait en 1843 Mommsen, frappé de cette ressemblance[102], c'est absolument le fonctionnement licite d'un collège funéraire ; comment Tertullien ne l'a-t-il pas compris ? — Aujourd'hui que la lumière a été faite par les travaux de M. de Rossi, il faut dire : Comment n'a-t-on pas compris plus tôt Tertullien[103] ?

Cet ensemble de considérations peut être fortifié par un nouvel argument. Parmi la collection de documents chronographiques qui porte le nom d'Almanach Philocalien, outre la chronique de saint Hippolyte reconnue par Mommsen dans le catalogue Libérien des papes[104], se trouve une autre liste des pontifes romains, intitulée Depositio episcoporum, qui s'étend de 254 à 354 et donne la date de leur mort. Or, à côté, on a une liste des préfets de Rome pendant la même période mentionnant exactement la date de leur entrée en charge. Tout trahit leur provenance commune, et voici comment M. de Rossi l'explique[105]. Il remarque que, pour bénéficier de la législation des collèges funéraires, l'Église avait dû remettre à la préfecture urbaine le nom d'un administrateur responsable ; l'administrateur indiqué était l'évêque, et l'on renouvelait la déclaration à chaque décès. Pour constituer la liste, on n'eut qu'à rechercher dans les archives de la préfecture ; seulement alors, ces archives n'existaient plus qu'à partir de l'année 254, comme on le voit pour la liste même des préfets. Bref, pour en revenir au point d'où nous étions partis, ce sans pouvoir déterminer avec une précision absolue la mesure dans laquelle Zéphyrin et en général les Églises chrétiennes purent profiter du privilège confirmé et étendu par Septime Sévère, nous avons le droit de tenir pour assuré que l'on adopta alors ou que l'on tenta quelque démarche afin de se mettre d'accord, s'il était possible, avec la législation précitée. Et c'est cette résolution qui fit attribuer un caractère solennel et officiel au cimetière de la voie Appienne[106].

Calliste, archidiacre d'abord, puis pape (217-222), donna-t-il son nom à la préfecture de Rome en qualité d'actor ou syndicus du corps des chrétiens[107] ? Pour nier qu'il l'ait fait, il faudrait admettre qu'il fut nominativement dispensé de remplir cette formalité. Car, à défaut de l'initiative que n'auraient songé à prendre ni l'empereur Caracalla, que nous savons plutôt favorable, et qui d'ailleurs préférait tourner sa cruauté contre son frère Geta, son préfet du prétoire Papinien, et le reste de son entourage ; ni Macrin, dont le règne si court, 8 avril 218-8 juin 219, se passa en grande partie en Orient ; ni Héliogabale, lequel à la folie de la débauche joignait une espèce de folie religieuse et prétendait exercer le sacerdoce du culte chrétien aussi bien que celui de tous les autres[108], il y avait alors à Rome une pléiade des jurisconsultes les plus illustres, qui donnaient au droit de l'empire sa forme définitive, et qui, héritiers des vieux préjugés romains contre le christianisme, étaient tout disposés à immoler l'Église à l'État. Ulpien, par exemple[109], rappelait que Septime Sévère avait dit de traduire précisément devant le préfet de la ville ceux que l'on soupçonnait de former un collège illicite. Marcien, de son côté, rédigeait cette formule à laquelle il était impossible d'échapper, du moins en théorie[110] : En somme, tout collège ou corps quelconque, qui se réunit sans l'autorisation du Sénat ou du prince, est contraire aux sénatus-consultes, rescrits et constitutions. Et les chrétiens connaissaient ces textes. Tertullien, devenu chef de secte, les oppose ironiquement aux catholiques[111], laissant en même temps entrevoir — ce qu'à son point de vue exagéré et hérétique il se permet de trouver mauvais — que l'Église avait cherché à user des circonstances pour ne pas heurter de front la jurisprudence. Il voudrait insinuer que moyennant une redevance certains chrétiens étaient inscrits sur les registres de la police en fort peu honorable compagnie[112]. Qu'importe, si cela devait les mettre en règle avec un pouvoir qui ne voulait pas les reconnaître : bien entendu, l'intégrité de la foi étant sauvegardée ! On pouvait s'en rapporter sur ce point à l'Église, qui savait se préserver avec un soin jaloux de tout contact compromettant avec les païens. Jusque dans le langage, la différence était maintenue ; les chrétiens ne disaient pas d'un lieu qu'il était sacer ou religiosus, mais sanctus, et ils ne se servaient pas du mot profane collegium[113], qu'ils avaient remplacé par la belle dénomination ecclesia fratrum[114]. Peut-être même avons-nous là la raison pour laquelle leur assimilation aux sociétés funéraires a échappé à l'observation, tant que les monuments ne sont pas venus en témoigner expressément.

Nous avons vu quel avantage l'Église en retira pour ses biens, quand il s'agit de traverser les dernières persécutions, et qu'on voulut l'exclure du bénéfice attribué à tous par la législation. C'était beaucoup de participer comme association au droit commun. II est vrai que ce n'était pas tout, et la paix accordée aux individus restait toujours précaire. Un auteur oriental anonyme, à propos de prophéties montanistes qui avaient prédit des catastrophes, et dont il veut démontrer l'imposture, s'exprime ainsi[115] : Plus de treize ans se sont écoulés jusqu'à ce jour depuis la mort de Maximilla, et il n'y a pas en de guerre partielle, ni générale, dans l'empire, et les chrétiens spécialement ont joui d'une trêve prolongée par la miséricorde de Dieu. Il écrivait évidemment sous Alexandre Sévère, 11 mars 222-19 mars 235, et avant la campagne que cet empereur fit contre les Perses en 231. Alexandre Sévère avait appris de sa mère, Julia Mantinée, à estimer les chrétiens. Celle-ci, soit curiosité, soit affaire de mode, avait, lorsqu'elle séjournait à Antioche vers la fin du règne de Caracalla, mandé de Palestine où il se trouvait, afin de le voir et l'entendre, Origène déjà célèbre à cette époque[116]. Le docteur Alexandrin y fait allusion dans son ouvrage contre Celse. A présent, dit-il[117], le grand nombre de ceux qui se convertissent décide des gens riches et des fonctionnaires, des femmes délicates et de naissance illustre, à nous recevoir. Cependant un peu plus loin, répondant à cette objection du Discours véritable, que c'était la crainte de leurs adversaires qui donnait de la cohésion aux chrétiens, il ajoute[118] : Il y a longtemps, grâce à Dieu, que cette crainte n'a plus de raison d'être ; mais il parait probable que la sécurité des fidèles va cesser, car de nouveau ceux qui nous calomnient à tout prix prétendent que le ferment des divisions actuelles réside dans l'accroissement des chrétiens, a lui-même à ce que le gouvernement ne nous combat plus comme autrefois. Et en effet, peu de temps après, il adressait à ses amis Ambroise, diacre d'Alexandrie, et Protoctète, prêtre de Césarée, une longue exhortation au martyre à l'occasion de la réaction qui se produisit[119].

Ulpien était déjà mort en 228 ; mais l'impression produite par la consultation juridique du préfet du prétoire contre le christianisme[120] survivait aux louanges que l'empereur avait prodiguées publiquement aux maximes de cette religion[121]. Alexandre Sévère avait eu occasion de traiter officiellement avec le corps des chrétiens au sujet de la possession d'un terrain, autrefois public, qu'ils avaient occupé et que des cabaretiers leur disputaient. On pense qu'il s'agit de l'emplacement actuel de l'église Sainte-Marie au Transtevere, et que c'est dans une émeute relative à cette affaire que périt saint Calliste, le 14 octobre 222, couronnant ainsi par le martyre une vie aussi pleine qu'agitée. En tout cas, la décision fut favorable aux fidèles, nouvelle raison de croire qu'ils avaient fait le nécessaire pour qu'on pût leur donner gain de cause[122]. Sous Alexandre apparurent les premières églises dans l'intérieur des villes ; bien plus, il voulait en construire une lui-nième à Rome, mais il fut détourné de ce projet par les prêtres païens, qui redoutaient de voir se vider leurs temples. Du moins ils ne l'empêchèrent pas de mettre dans son oratoire privé, au milieu de ses saints, si l'on peut s'exprimer de la sorte, l'image du Christ avec celle d'Abraham[123]. Enfin, son biographe caractérise en deux mots très-exacts sa politique à l'égard des deux religions monothéistes : il conserva aux Juifs reconnus leur privilèges, il permit aux chrétiens d'exister[124]. Quel chemin ceux-ci avaient donc parcouru depuis le moulent où l'instinct malfaisant de Néron retint leur nom confié aux échos des rues de sa capitale, et où Domitien passa de la distinction fiscale[125] à la mise hors la loi !

Pour résumer la situation de l'Église vis-à-vis de l'État en dernière analyse, nous ne pouvons mieux faire que d'emprunter les paroles de M. de Rossi, qui a eu le talent de l'exposer avec une clarté irrésistible dans ses volumes de la Borne souterraine, après avoir eu la gloire d'en découvrir toute la portée. Je formulerai seulement, disait-il d'abord[126], ma pensée ainsi : que les associations funéraires et de secours mutuels furent l'apparence sous laquelle, avant même Alexandre Sévère, les fidèles possédèrent dans beaucoup de villes de l'empire leurs cimetières, et que, sous Alexandre Sévère et ses successeurs amis des chrétiens, ce titre apparent fut légalement reconnu, et servit de prétexte à une plus grande tolérance, qui s'étendit même aux lieux de réunion et aux édifices consacrés au nouveau culte. Puis, reprenant dix ans plus tard la question sous une forme plus mûrie et avec une précision plus grande, il s'exprime ainsi[127] : Cette tolérance, et quelquefois reconnaissance expresse du corps des chrétiens, était, si l'on peut dire, un modus vivendi pratique, qui consistait à fermer les yeux sur la qualité religieuse du collège, et qui, suspendant l'effet de la législation dirigée contre la religion même, laquelle frappait les chrétiens légalement dénoncés aux tribunaux suivant le rescrit connu de Trajan, laissait en paix et allait par instants jusqu'à protéger l'Église.

 

 

 



[1] Chron. pasch., éd. de Bonn, p. 489.

[2] Digeste, liv. XLVIII, tit. XIX, frag. 28. Cf. l'article de M. DE ROSSI sur les chrétiens condamnés aux mines, Bull., 1868, p. 17 et s.

[3] Hist. ecclés., IV, XXIII.

[4] Cf. l'Ep. 78, parmi celles de SAINT CYPRIEN, où les condamnés aux mines de Numidie décrivent ainsi leurs souffrances : Fustibus vulnerata membra curasti, compedibus pedes ligatos resolvisti, semitonsi capitis capillaturam adæquasti, tenebras carceris illuminasti, montes in planum deduxisti, naribus etiam fragrantes flores apposuisti et tetrum odorem exclusisti. Qu'on se rappelle les Polonais en Sibérie !

[5] WADDINGTON, Fastes, § 157, donne l'année 184-185.

[6] TERTULLIEN, Ad Scap., V.

[7] Hist. ecclés., V, XXI, 21. SAINT JÉRÔME, De vir. ill., XLII, donne à Apollonius le titre de sénateur, que justifie la suite du récit, et il dit expressément que le dénonciateur était un esclave, ce qui résulte bien du genre de supplice qui lui fut infligé.

[8] LAMPRIDE, Commode, IV ; cf. V.

[9] Épitomé, LXXII, X.

[10] Il résulte du texte fort confus de Rufin que, lui aussi, a eu l'écrit entre les mains.

[11] V. notre deuxième partie, § I.

[12] ORIGENIS, Philosophoumena, sive omnium hœresium refutatio : nunc primum edidit Emmanuel Miller (Oxford, 1851). L'attribution d'auteur, qui ne reposait que sur des manuscrits du premier livre isolé, a été discutée en dernier lieu, à la suite de tant d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, par M. l'abbé Duchesne à son cours. Après avoir rejeté saint Hippolyte, dont l'ouvrage sur les hérésies, d'après ce qui nous en reste, diffère des Philosophoumena, il a conclu que l'auteur devait avoir occupé un certain rang dans l'Église romaine et avoir appartenu à l'école philosophique de saint Justin.

[13] Les citations des Philosophoumena sont empruntées à l'édition de l'abbé Cruice (Paris, 1860), p. 436. V. une inscription de Carpophore, Bull., 1866, p. 3.

[14] Espèce d'ordre de charité dans l'Église primitive.

[15] On peut  croire que Calliste s'était exprimé ainsi : Vous m'avez ruiné parce que j'étais chrétien.

[16] CAPITOLIN, Pertinax, IV. Ce changement eut lieu au printemps 189 : la condamnation de Calliste se place un ou deux ans avant. Les détails d'une affaire que raconte TERTULLIEN, Ad nat., I, XVI, feraient penser qu'il se trouvait à Rome sous Fuscianus. M. Aubé, Revue historique, nov.-déc. 1879, p. 274, en note, trouve plus probable qu'il recueillit à Carthage l'anecdote ayant dix ou douze ans de date. Cf. pour le séjour de Tertullien à Rome, Apologétique, XXV et XXXV.

[17] Il fut proconsul entre 205 et 211. Le n° 2749 des Inscriptions d'Algérie, de M. Léon RENIER, que M. Aubé, loc. cit., p. 270, lui rapporte, doit se lire : Quintus Servilius Pudens, de la tribu Horatia, fils de Quintus Servilius Pudens, le consul de 166 et le beau-frère de l'empereur Lucius Verus. Cette dernière qualité résulte d'une inscription récemment trouvée en Tunisie par M. Cagnat, lequel toutefois a attribué l'inscription précédente au consul, et non au proconsul. Acad. des Inscr., séance du 8 juillet 1881.

[18] Ad Scap., IV. Voir pour le sens du mot concussio, id., De fuga, XII. Cf. Digeste, liv. XLVII, tit. XIII, De concussione. — Ann. de la propag. de la Foi, numéro de mars 1880, lettre de Corée du 27 mai précédent : La persécution vient de recommencer. Si l'on en croit les bruits qui circulent, l'auteur de tout le mal serait un païen qui aurait été malheureusement mis au courant de nos affaires et en aurait profité pour extorquer de l'argent. Déçu dans son attente, il serait allé tout raconter au maitre du palais.

[19] Calliste, qu'on a quelques raisons de croire né dans une briqueterie de la gens Domitia au Transtevere, avait dû suivre le sort de la briqueterie (v. les Inscriptions doliaires latines de M. DESCEMET, Paris, 1880) ; celle-ci échut comme héritage maternel à Marc-Aurèle, dont Carpophore fut de son côte l'affranchi.

[20] M. DE ROSSI, Inscr. Christ., t. I, p. 9, donne ses titres inscrits sur le sarcophage que lui avaient consacré ses affranchis païens, ainsi que la mention ajoutée an retour d'une mission par un affranchi, son coreligionnaire, absent lors de la mort arrivée en 217.

[21] Les différentes opinions sont exposées dans la Revue des questions historiques (1er juillet 1876), sous ce titre : Marcia, la favorite de Commode, par M. DE CEULENEER, qui conclue négativement. L'auteur lui attribue une inscription d'Anagni d'après laquelle son nom d'esclave serait Demetrias ; ses noms d'affranchie, Marcia Aurelia Ceionia.

[22] Comptes rendus de 1878, p. 201.

[23] Épitomé, LXXII, IV.

[24] V. notre deuxième partie, § III.

[25] M. AUBÉ, Revue historique, nov.-déc. 1879, p. 251 : On peut croire qu'il trouva humain et politique de ne pas tirer l'épée contre une secte qui, quoi que valussent au fond ses croyances et ses pratiques, et quoique le vulgaire en pensât, était eu somme paisible et docile aux lois, et qu'il savait peut-être fortement et efficacement protégée auprès de Commode.

[26] CAPITOLIN, Pertinax, V, réponse de ce prince au consul Falco.

[27] Hist., ecclés., VII, XXIII, 4.

[28] Antiquités judaïques, XX, VIII, 11. Eusèbe décerne le même titre à Julia Mammée, mère d'Alexandre Sévère, Hist. ecclés., VI, XXI, 3.

[29] Inscription d'Anagni déjà citée à propos de Marcia : Evhodi M. Aurel. Sabiniano Augg. lib., etc. — Cf. DION CASSIUS, Épitomé, LXVI, VI : Περί Καισαρειου άνδρός, ainsi l'appelait Septime Sévère dans un discours au Sénat, en 203, ce qui s'entend bien d'un affranchi de ses prédécesseurs.

[30] Cf. TERTULLIEN, Ad Scap., IV. — La maladie de Sévère se place vers 194. Cf. SPARTIEN, Niger Pescennius, IV.

[31] SPARTIEN, Caracalla, I. — DE ROSSI, Bull., 1865, p. 94, voit là un enfant juif ; nous admettrions plutôt une confusion de langage chez l'écrivain, car la distinction légale alors était solidement établie eu faveur des Juifs. Digeste, liv. L, tit. II, frag. 3, § 3. A ce texte d'ULPIEN, ajouter celui de MODESTIN, Digeste, liv. XXVII, lit. I, frag. 15, § 6.

[32] Les graffiti ont été retrouvés, l'un en 1856, l'autre en 1870. DOM BÉRANGER les reproduit dans son Histoire de sainte Cécile (éd. illustr., Paris, 1874), p. 338, et les croit de la fin du règne de Marc-Aurèle. M. AUBÉ, qui ne mentionne que le premier, la Polémique païenne, p. 99, est du même avis. Ces auteurs s'appuient sur l'allégation contenue dans l'Octavius de MINUCIUS FELIX, c. IX, et renouvelée de TACITE, Hist., V, 3, contre les Juifs. Il nous semble qu'il faut se rapprocher davantage pour la date du texte plus précis de TERTULLIEN, qui parle d'une caricature proprement dite, Ad nat., I, XIV, et Apologétique, XVI.

[33] Hist. ecclés., V, V, 5. Il avait même adressé cet appel, sous une première forme, directement à la population païenne, Ad nationes.

[34] SPARTIEN, Sévère, XII.

[35] TERTULIEN, ad Scap., IV.

[36] TERTULIEN, ad Scap., III.

[37] SPARTIEN, Sévère, XVII.

[38] Stromates, II, XX, § 125.

[39] Hist. ecclés., VI, I et suiv. — SPARTIEN, Caracalla, III.

[40] Clément se retira auprès d'Alexandre, évêque de Cappadoce transféré sur le siège de Jérusalem, et qui avait été son élève. Hist. ecclés., VI, XI, 6, et XIV, 9. Celui-ci le chargea tandis qu'il se trouvait en prison, sans doute pour avoir baptisé quelque néophyte, de porter une luire à Asclépiade, élu évêque d'Antioche à la place de Sérapion vers 205.

[41] Hist. ecclés., IV, V.

[42] Hist. ecclés., VI, XII.

[43] Cf. ad Scap., III, où l'on voit le gouverneur de Cappadoce commencer à persécuter, parce que sa femme s'était convertie an christianisme.

[44] Digeste, liv. I, tit. XVIII, fr. 13.

[45] Quest. et respons. ad orthodoxos, CXV. Cf. SAINT JÉRÔME, Comm. in Isai, LXIV.

[46] L. XI, Ep. 56, ad Ætherium Lugdunensem episcorum.

[47] Cf. EUSÈBE, Hist. ecclés., I. V, XXIII, 3, énumérant les lettres collectives qui furent adressées au nom des différentes provinces ecclésiastiques au sujet de la pique sous le pape saint Victor, 189-198.

[48] Hist. ecclés., V, IV, 2.

[49] SAINT GRÉGOIRE DE TOURS, De glor. mort., I, L, dit qu'il reposait de son temps in crypta S. Joannis, où se trouvaient également les seuls corps de martyrs qui purent être recueillis à Lyon sous Marc-Aurèle, ceux des saints Épipode et Alexandre, mis à mort après les autres, en 178.

[50] Das Christenthum und der römische Staat zut Zeit des Kaisers Septimius Severa, dans les Jahrbücher für protestantische Teologie (Leipzig, 1878), p. 281.

[51] Hist. ecclés., II, II, 4. Ce renseignement est suffisamment confirmé par ses ouvrages.

[52] Hist. ecclés., loc. cit. — Chron., trad. de SAINT JÉRÔME, ann. Abram. 2223.

[53] Ep. LXXVIII, XXIV.

[54] Mélanges d'épigraphie, p. 140.

[55] SPARTIEN, Sévère, I. Cf. II, l'histoire de son compatriote que, devenu fonctionnaire, il fit battre de verges parce que : ut antiquum contubernalem ipse plebeius amplexus esset ; et XV, l'histoire de sa sœur et de son neveu qu'il renvoya dans sa patrie.

[56] Septime Sévère était né le 11 avril 146 ; la naissance de Tertullien se place peu après 150. — SPARTIEN, loc. cit.

[57] SPARTIEN, II. — TERTULLIEN, De resurrect. carn., LIX.

[58] TERTULLIEN, De virg. vel., cf. De baptismo, XV.

[59] Voir les passages cités plus haut de l'Épître à Scapula. — Id., De pallia, II. Cf. SPARTIEN, Sévère, I. L'écrit, cité plus haut, plein d'une verve exubérante, parait bien être de la première jeunesse de Tertullien aussitôt après sa conversion.

[60] La Persécution des Églises d'Afrique, article de la Revue historique, nov.-déc. 1879, qui forme le chap. IV du volume intitulé : les Chrétiens dans l'empire romain, de la fin des Antonins au milieu du troisième siècle (Paris, 1881).

[61] De Cor., I.

[62] Ad Scap., IV.

[63] Ad nat., I, IX.

[64] Ad nat., I, XVII et XXXV.

[65] Ad mart., V.

[66] Ad mart., IV et II.

[67] De anima, IX.

[68] RUINART, Acta martyrum (éd. de Ratisbonne), p. 138. — p. 139. — M. Ad. DE CEULENEER, Essai sur la vie et le règne de Septime Sévère (Bruxelles, 1880), p. 235, ne dit pas pour quelle raison il fait de Saturus le frère de Perpétue.

[69] RUINART, Acta martyrum (éd. de Ratisbonne), p. 138.

[70] RUINART, p. 140.

[71] RUINART, p. 140. Son anniversaire de naissance était le 27 mai. Cf. SPARTIEN, Geta, III.

[72] RUINART, p. 145.

[73] RUINART, p. 146.

[74] Les PP. de Saint-Louis espèrent avoir retrouvé l'emplacement de la basilique qui fut élevée sur le tombeau des saintes Perpétue et Félicité, et dont parle VICTOR DE VITE, au liv. I de son Histoire de la persécution vandale. — Lettre de Mgr Lavigerie à l'Acad. des inscr., sur l'utilité d'une mission archéologique permanente à Carthage (Alger, 1881), p. 51 et s.

[75] Les Chrétiens dans l'empire romain (Paris, 1881), p. 224 en note. — Le nouveau texte latin, publié dans les Comptes rendus de l'Asad. des insc., 1880, p. 321, a été reproduit comme appendice au volume cité. Aux sept manuscrits de M. Aubé, nous pouvons en ajouter un plus ancien. Ce sont 23 pages du onzième siècle, contenues dans le n° 13,090 (résidu du fonds saint Germain). Le texte est semblable, il contient la phrase dextra vero lœvaque, mais il s'arrête au milieu de l'interrogatoire de sainte Perpétue, audiente (sic) vero parentes ejus... cum essent de nobili. Le feuillet suivant manque.

[76] Adonis martyrologium (éd. Giorgi), au 18 juillet, p. 30 ; cf. RUINART, p. 246.

[77] De fuga, V. — SAINT CYPRIEN, De lapsis, II, rappelle un fait correspondant de la même époque.

[78] Ad Scap., IV.

[79] Ad Scap., IV. — Le præfectus de la legio IIIa Augusta était gouverneur de Numidie. Cf. MARQUARDT, Staatsverwaltung, p 309.

[80] Ad Scap., III.

[81] M. Léon RENIER, Inscriptions d'Algérie, n° 4025 ; cf. n° 4026.

[82] Ce texte a été reproduit par M. DE ROSSI, Bull., 1803, p. 95.

[83] FABRETTI, Inscr. domest., p. 223. Le plan est conservé au Musée d'Urbino. Cf. dans les Studi e Documenti di Storia e Diritto (Rome, 1880), p. 20, un article de M. ne Rossi qui attribue la sépulture à Turia, femme de Q. Lucretius Vespilius, consul en 19 avant Jésus-Christ.

[84] Dans une dissertation faite à l'occasion du soixantième anniversaire des débuts scientifiques de M. Mommsen : I collegii funeraticii famigliari e privati e le loro denominazioni (Rome, 1877).

[85] Dans le t. III de la Roma sott., p. 38, M.de Rossi a un chapitre relatif à l'inscription Eutychiorum.

[86] Saint Ambroise les transféra dans la basilique qui porte son nom, et où ils ont été remis au jour. Cf. Bull., 1864, p. 25 et suiv., pour tout ce qui précède.

[87] Hist. ecclés., IIX, X, 11.

[88] Comme EUSÈBE, Hist. ecclés., IX, V, LACTANCE reproduit cet édit tel qu'il a été affiché le 13 juin à Nicomédie, mais il donne le texte latin, De morte persec., XLVIII.

[89] Hist. ecclés., VII, XIII. Le Liber pontificales dit précisément que le Pape, à la date du 28 juillet 259, parochias constituit.

[90] Hist. ecclés., VII, XXX, 19. Le Pape dut donc écrire ; nous n'avons plus sa lettre qu'on lut à une séance du concile d'Éphèse, le 21 juin 331. Concil. Labb., t. III, p. 511. A ce Maxime, et au prédécesseur de saint Félix, saint Denys, avait été adressée la décision du concile d'Antioche.

[91] VOPISCUS, Aurélien, XX. — Quant aux oracles sibyllins, SAINT JUSTIN dit que leur lecture était interdite sous peine de mort, ce qui n'empêchait pas les chrétiens de les lire. I Apol., XLIV, p. 126 de l'éd. Otto. Apparemment, la sibylle officielle du Capitole était jalouse de la sibylle d'Alexandrie.

[92] LAMPRIDE, Alex. Sévère, XLV.

[93] Philos., IX, II, Éd. Cruice, p. 441. — Cf. Bull., 1866, p. 10 et s.

[94] Digeste, liv. XLVII, lit. XXII, fr. 1. — Fr. 3.

[95] On peut voir le mémoire de HENZEN sur ce sujet, dans les Annales de l'Institut archéologique de Rome, 1856.

[96] La Religion romaine d'Auguste aux Antonins, t. II, p. 307 et suiv.

[97] Bulletin de l'Institut archéologique de Rome, 1879, p. 70 : Inscription retirée de Tibre : Collegium negotiantium cellarum vinariarum, sous la protection : Liberi patris et Mercuri, avec la date 102.

[98] Digeste, loc. supr. cit. — M. de Rossi remarque que ce rescrit est antérieur à l'association de Caracalla à l'empire en 198.

[99] Inscriptions, ORELLI-HENZEN, n° 6036. Cette inscription est de l'année 133. L'association, qui se conformait aux dispositions du sénatus-consulte, était autorisée ipso jure. V. Mommsen, De collegiis, p.80.

[100] Apologétique, XXXIX.

[101] D'après GAIUS, Digeste, liv. III, tit. IV, frag. 1, § 1.

[102] De collegiis, p. 91.

[103] M. BOISSIER, Promenades archéologiques (Paris, 1880), p. 167, mettant en relief l'avantage qui résultait de cette assimilation pour les chrétiens, énonce ainsi son opinion : La façon dont s'exprime Tertullien, les termes qu'il emploie quand il parle des associations chrétiennes, et plus encore la raison et le bon sens, nous engagent à croire qu'ils ne s'en sont pas volontairement privés.

[104] Ueber den Chronographen rom Jahre 354 (Leipzig, 1850).

[105] Roma sott., t. II, p. VI-IX.

[106] Roma sott., t. II, p. 371.

[107] On pourrait aussi se demander si les chrétiens de Rome étaient regardés comme formant une seule on plusieurs communautés. SCHURER, Die Gemeindeverfassung der Juden in Rom, p. 15, a considéré la question pour les Juifs, et a constaté d'après les inscriptions que leur situation dans la capitale de l'empire n'était pas la même qu'à Alexandrie, où ils constituaient un groupe compact et autonome. Le contraire est arrivé pour les chrétiens. C'est à Alexandrie qu'apparut la première division d'une église particulière en paroisses urbaine, tandis qu'à Rome l'unité administrative continua à prévaloir par la création de sept régions diaconales : les tituli, ou lieux de culte, déjà au nombre de vingt-cinq avant la fin du troisième siècle, n'eurent que plus tard une existence indépendante.

[108] LAMPRIDE, Héliogabale, III.

[109] Digeste, liv. I, t. XII, fr. 1, § 14. Cf. Digeste, liv. XLVII, tit. XXII, fr. 2.

[110] Digeste, liv. I, t. XII, fr. 3.

[111] Adv. psych. sive de jejun., XIII.

[112] De fug. in persec., XIII.

[113] Nous en avons la preuve chez COMMODIEN, Instruct. adv. gent. deos, LXXIV, et dans l'Ep. 68 de SAINT CYPRIEN, où il parle du scandale donné par un chrétien d'Espagne qui avait fait à ses fils un enterrement païen in collegio. Voir par contraste An. de la propagation de la foi, n° de janv. 1882, p. 8 : Au Japon, les conversions continuent, le gouvernement n'est plus hostile, parfois même il se montre favorable. Toutefois les lois contre le christianisme ne sont pas abolies, et un tribunal japonais vient, sur la dénonciation d'un bonze, d'en faire l'application à un père de famille qui n'avait pas voulu laisser ensevelir selon les rites bouddhistes sa fille morte chrétienne. Le père a été puni de l'amende, le cadavre de la défunte a été déterré et porté à la pagode.

[114] Cf. SAINT CYPRIEN, Ep. 76.

[115] Hist. ecclés., V, XVI, 19.

[116] Hist. ecclés., VI, XXI, 3.

[117] C. Celse, III, IX. Il avait été auparavant mandé d'Alexandrie par le gouverneur d'Arabie, Hist. ecclés., VI, XIX, 15.

[118] C. Celse, III, XV.

[119] Hist. ecclés., VI, XXVIII. Nous n'avons pas cru devoir nous attacher à la chronologie d'Eusèbe, ibid., XXXVI, 2, qui place la réfutation du Discours véritable sous le règne de Philippe l'Arabe (244-249) : il n'y est pas fait mention du christianisme de ce prince ni de sa femme Sévéra, auxquels Origène écrivit des lettres ; on n'y trouve pas non plus trace de la persécution de Maximin, qui, si elle fut courte, frappa cependant ses amis. Il est plus vraisemblable que le livre de Celse fut envoyé par Ambroise d'Athènes à Alexandrie, que d'Alexandrie à Césarée, où Origène se fixa depuis 231. Enfin, l'auteur, qui fut ordonné prêtre en 228, parle encore comme un laïque.

[120] Rappelons que M. LE BLANT s'est efforcé d'en opérer la reconstitution, Comptes rendus de l'Acad. des inscr., 1886, p. 358 et s.

[121] LAMPRIDE, Alex. Sévère, LI.

[122] LAMPRIDE, Alex. Sévère, XLIX. C'est ce que ne comprend pas GÖRRES, Kaiser Alexander Severus und das Christenthunt, dans Hilgenfeld's Zeitschrift, 1877, p. 71. Sur ce dernier point il se méprend également, Jahrb. für prot. Theol., 1877, p. 607 et s.

[123] LAMPRIDE, Alex. Sévère, XLIII.

[124] LAMPRIDE, Alex. Sévère, XXII.

[125] Une politique moins cruelle et plus intelligente était suggérée par TERTULLIEN, De fug. in persec., XII. — C'est du reste ce qu'on avait fait pour les Juifs.

[126] Roma sott., t. I, p. 105.

[127] Roma sott., t. III, p. 511.