ESSAI SUR LES RAPPORTS DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN PENDANT LES TROIS PREMIERS SIÈCLES

 

DEUXIÈME PARTIE. — RAPPORTS DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE AVEC L'ÉTAT ROMAIN DE 96 A 180.

 

 

§ II. — LES APOLOGISTES.

 

A côté de l'étude juridique que nous venons d'essayer sur les procédés du gouvernement vis-à-vis des chrétiens, il sera bon de résumer les protestations que ces mêmes chrétiens adressèrent successivement à Hadrien, à Antonin, à Marc-Aurèle, semblables à un écho qui se prolonge jusqu'à la fin du siècle. En effet, la défense comme l'accusation nous servira à délimiter le terrain au procès. Nous noterons à leur date les rescrits des empereurs. Ceux qui portaient la parole devant eux étaient des Grecs et des philosophes ; ils étaient fondés à espérer le succès, à une époque où la philosophie grecque se trouvait sur le trône. Du moins, ces princes étaient-ils capables d'entendre le langage élevé et courageux qui leur était adressé.

Hadrien avait fait ses preuves comme lettré, et possédait avec la même perfection le grec et le latin. Successeur de Licinius Sura dans la faveur et la confiance de Trajan, ce fut lui qui dut écrire, si l'on admet l'opinion très-plausible de C. de la Berge[1], les lettres adressées à Pline, dont un a loué l'imperatoria brevitas : devenu lui-même empereur, il ne laissa pas à un autre le soin de composer ses réponses[2]. Il se trouvait à Antioche, lorsqu'il fut proclamé en Cilicie par les soins de Plotine le 11 août 117. 11 gagna alors la capitale, niais en partit dès 119 pour visiter le nord et l'ouest de son empire. Traversant Rouie vers le milieu de 121, il repartit pour l'Orient, où il séjourna quatre ans et demi. Ce n'est pas en Grèce qu'il aborda, mais dans la province d'Asie, qu'il visita curieusement, ainsi que toutes ses îles, après avoir commencé sans doute par la ville d'Éphèse, suivant l'usage[3]. Partout du reste, sur le passage du voyageur impérial, les vieilles cités relevaient leurs monuments et célébraient des jeux[4]. Ce pays avait été jadis évangélisé trois ans (54-57) par saint Paul, et plus tard, plusieurs de ses lettres avaient circulé parmi les Églises d'Éphèse, de Colosse et de Laodicée. Ensuite était venu de Jérusalem à Éphèse saint Jean, qui y mourut très-vieux ; la vénération qui entourait son tombeau vers 195[5] donne une idée de l'impression profonde qu'il laissa après lui. A la même époque, on montrait encore à Hiérapolis de Phrygie le tombeau du diacre Philippe et de ses quatre filles prophétesses[6], dont Papias, leur contemporain, disciple de saint Jean et évêque de cette ville, a rapporté les miracles, en particulier la résurrection d'un mort. Non loin de là, à Magnésie sur le Méandre, un autre disciple des apôtres, τών άποστόλων άκουστής, Quadratus, et lui aussi prédicateur de l'Évangile, avait dépassé le règne de Trajan. L'auteur anonyme d'un écrit contre l'hérésie des montanistes (de la fin du deuxième siècle) le nomme parmi les chrétiens célèbres doués de l'esprit prophétique, après les filles de Philippe et à la suite d'Ammia, originaire de Philadelphie[7]. Il vit Hadrien et lui remit un placet en faveur de la secte nouvelle, qui se voyait alors plus spécialement inquiétée par la malveillance locale : c'est la première apologie[8]. Elle ne nous a pas été conservée, niais Eusèbe, qui l'a eue entre les mains, cite un passage[9] où Quadratus parle des miracles du Sauveur, des guérisons opérées, des morts ressuscités et encore vivants à son époque, c'est-à-dire vers 123. Dans le cours de son voyage, l'empereur, qui, après avoir peut-être prêté l'oreille un instant, avait passé outre avec un sourire pareil à celui qui accueillit saint Paul à l'Aréopage[10], reçut précisément du proconsul de la province d'Asie, Q. Licinius Silvanus Granianus[11], sur la fin de sa charge, une lettre exposant les troubles qui se produisaient au sujet des chrétiens et demandant si le cri populaire constituait une accusation. Ce fut sou successeur, C. Minicius Fundanus, 124-125[12], qui reçut la réponse. Elle était en latin, mais nous n'avons plus que la traduction grecque qu'en fit Eusèbe, κατά δύναμιν[13], sur l'exemplaire authentique reproduit par saint Justin à la fin de sa première Apologie. Hadrien veut que les provinciaux affirment devant le tribunal du gouverneur leurs prétentions contre les chrétiens, de manière qu'ils aient à en répondre et qu'ils ne se contentent pas de recourir à des requêtes tumultuaires et à des clameurs[14]. Il ajoute qu'il eût été préférable que quelqu'un eût présenté une accusation en règle[15] dont on aurait pu connaître. Puis il trace la marche à suivre pour l'avenir : l'accusateur qui apportera la preuve d'une contravention aux lois devra obtenir une sentence conforme à l'étendue de la contravention ; niais celui qui sous ce prétexte se ferait l'auteur d'une dénonciation calomnieuse, serait pour ce méfait jugé et puni.

Overbeck, après le théologien Keim[16], a nié l'authenticité de ce rescrit[17]. Hadrien, dit-il, n'a pas pu abroger la loi de Trajan, puisque nous la voyons appliquée au delà même du règne de Commode jusque sous Septime Sévère ; il ne l'a pas voulu, puisqu'il était personnellement hostile aux chrétiens et a permis que plusieurs martyrs souffrissent de son temps. M. Aubé insiste sur deux autres considérations[18] : 1° le silence de l'orateur africain dans son Apologétique : Comment admettre, si la pièce était authentique, ou seulementcar la critique de Tertullien n'est pas sévèresi elle était composée à la fin du deuxième siècle, que Tertullien ne l'ait pas connue, ou que, la connaissant, il ne s'en soit pas servi et n'en ait pas même fait mention ? 2° La place de la lettre dans l'Apologie de saint Justin, dont elle ne fait pas partie intégrante, où elle vient à la fin, comme un appendice qui ne s'y rattache que d'une manière artificielle et gauche, et pourrait être supprimée sans que rien parût manquer. Pour ce dernier point, en effet, c'est une affaire de goût, et M. Aubé lui-même avait trouvé ailleurs[19], que c'était d'une habile politique, et qu'il était bien permis à l'avocat du christianisme d'employer ce dernier moyen de défense après avoir épuisé tous les autres. Quant au premier point, M. Aubé se charge également de démontrer[20] que le document en question était à tout le moins composé une trentaine d'années avant la fin du deuxième siècle, puisque, vrai ou faux, il est mentionné par Méliton, évêque de Sardes, dans son Apologie à Marc-Aurèle, vers 172 ; sans compter que ce témoignage est plutôt une garantie d'authenticité, en ce qu'il représente la tradition locale. — Sardes est une ville de la province d'Asie. — Il n'y aurait que le silence du pays intéressé au rescrit, qui pourrait valoir contre celui-ci[21] ; car il règle une difficulté jusque-là plus particulièrement propre à cette province, et ce n'est certes pas la dernière fois que nous y entendrons les cris de l'amphithéâtre demander la mort des chrétiens. Tertullien peut donc bien n'avoir pas connu le rescrit, et son authenticité reste intacte. Wieseler[22] remarque très-justement qu'Hadrien n'accorde pas aux chrétiens une reconnaissance légale : l'empereur se contente de s'en référer aux lois existantes, et loin d'abroger la loi de Trajan, comme le veut Overbeck, il l'applique, en décidant que les réclamations de la foule sont une dénonciation anonyme. Et comment aurait-il agi d'une façon différente, si c'était lui qui avait tenu la plume pour la rédaction du décret de son prédécesseur ? Il ne le cite point, il est vrai, mais il se sert d'une expression plus vague, qui ne l'exclut pas. Cela étonne M. Aube : Rien d'équivoque, dit-il, comme la partie positive de la lettre ; et il cherche à préciser les cas où il y aura συκοφαντία, mais il en oublie un, toujours possible, le seul probablement qu'Hadrien ait eu en vue : un chrétien est accusé d'être chrétien, et cependant il sacrifie aux dieux — voilà la calomnie[23], l'accusateur devra être puni. Cette disposition n'est que le corollaire de l'immunité accordée par Trajan à l'apostasie. Rigoureusement appliquée, elle eût pu diminuer le nombre des accusations, si la plupart des fidèles de ce temps ne s'étaient montrés tels que Pline les a vus, aussi bien que Marc-Aurèle, obstinés dans leur foi.

Hadrien cependant avait d'eux une opinion moins favorable. Voici ce qu'il écrivait, en 131, au sortir d'Alexandrie à son beau-frère Servien[24] : Cette Égypte que tu avais coutume de me vanter, je la sais maintenant par cœur, avec sa légèreté, sa mobilité, son emportement facile à toutes les impressions du moment. Là, les adorateurs de Sérapis sont aussi chrétiens, et ceux qui s'intitulent évêques du Christ n'en sont pas moins dévots à Sérapis. Là, tout Juif chef de synagogue, tout Samaritain, tout prêtre des chrétiens est en même temps astrologue, devin ou charlatan. Le patriarche lui-même venant en Égypte se voit obligé par ceux-ci d'adorer Sérapis, par ceux-là le Christ..... Bref, ils n'ont qu'un dieu, l'argent : c'est à lui que chrétiens, Juifs, et les autres, de quelque race qu'ils soient, rendent leurs hommages. Nouvel exemple d'une Église sur les origines de laquelle nous sommes peu renseignés[25], et qui se révèle à nous pleine de vie avant le milieu du deuxième siècle. La description peu flatteuse qu'en fait l'empereur répond fort bien à la tournure sceptique de son esprit, et à l'impression que l'état religieux d'Alexandrie pouvait produire sur un profane. Cette population servile et turbulente, que gouvernait un chevalier romain avec les fonctions de vice-roi, devint dès le principe le foyer de toutes les agitations hérétiques, et précisément à l'époque d'Hadrien, elle était en proie aux sectes variées et bizarres du gnosticisme[26]. Mais ce n'était pas sous cet aspect qu'il avait d'abord connu la religion chrétienne, lorsque celle-ci lui fut exposée par Aristide à Athènes pendant son séjour de l'hiver 125-126.

A cette date, Hadrien, qui venait de se faire initier aux mystères d'Eleusis, présidait dans la capitale de l'Attique des concours de toute sorte[27]. Le philosophe chrétien, lui adressant la parole, emprunta certaines notions du Timée et s'en servit pour arriver à la conception d'un Dieu unique ; cette conception, par l'énumération des différentes races, il la montra commune à tous les peuples, et revendiqua alors pour la religion nouvelle, dont il glorifia le divin Fondateur, le droit à l'existence. Il dénonça enfin à l'équité de l'empereur la mise à mort de saint Denys l'Aréopagite, premier évêque d'Athènes, converti par saint Paul en 52[28]. Telle est l'idée imparfaite que nous pouvons nous faire de son apologie, qui ne nous est parvenue qu'à l'état de fragment. Elle était encore très-répandue an quatrième siècle ; Eusèbe nous le rapporte[29], et saint Jérôme témoigne de sa haute valeur littéraire[30]. Ce que l'on en possède aujourd'hui a été retrouvé en 1878 dans un manuscrit arménien ; nous avons eu occasion de discuter ailleurs la question d'authenticité, depuis reprise en Allemagne et résolue affirmativement[31]. Nous avons exposé également alors quelles raisons pouvaient faire attribuer à Aristide l'Epitre à Diognète[32].

La situation violente au milieu de laquelle vivaient les fidèles ne devait pas changer de sitôt ; c'est pourquoi les protestations continuèrent à se produire. La démarche d'Aristide, et aussi son écrit, furent imités par saint Justin an commencement de l'année 139. Nous apprendrons par la suscription même de la nouvelle apologie, les qualités de son auteur. — A l'empereur Titus Ælius Hadrianus Antoninus Pius, César-Auguste, et à son fils Verissimus, philosophe, et à Lucius, philosophe[33], né de (Vérus) César, adopté par Pius, ami de l'instruction, ainsi qu'au Sacré Sénat et à l'universalité du peuple romain, pour les hommes de toute race injustement haïs et persécutés : moi l'un d'eux, Justin, fils de Priscus, petit-fils de Bacchius, citoyen de Flavia Neapolis, ville de la Syrie Palestine, j'ai rédigé cette adresse et cette requête. La famille de Justin, quoique habitant la Samarie, était grecque d'origine et païenne. Si d'abord il entendit parler de la doctrine chrétienne, ce dut être par les gnostiques de son pays, disciples de Simon le Magicien et de Ménandre[34]. Il se voua à la philosophie et passa successivement par les écoles stoïcienne, péripatéticienne, pythagoricienne et platonicienne ; il trouvait l'enseignement des deux premières à Tarse ou à Antioche, celui des autres à Alexandrie. Mais après la révolte des Juifs sous Bar-Kocheba (133-135), dont il parle comme y ayant assisté de près, il se rendit à Éphèse, et c'est alors que, par sa conversion au christianisme en 136[35], il déclare être devenu vraiment philosophe.

A la mort d'Hadrien, il crut le moment favorable pour prendre la défense de ses frères. Sa profession de foi était fière, son attitude n'était pas exempte de danger : le premier venu pouvait l'amener devant le juge et le faire condamner, car la jurisprudence consacrée depuis Trajan continuait à être appliquée, et c'est contre elle qu'il élevait la voix. Un simple nom déclaré ou renié ne donnait lieu qu'à des débats sommaires et préjudiciels[36]. Il demandait que l'instance fût engagée sur le fond, c'est-à-dire sur les crimes des chrétiens[37], et il répondait par avance de leur innocence en les lavant de ces abominables imputations que l'opinion mettait à leur compte : ils étaient, disait-on, les corrupteurs de la morale publique. Cependant, pour arriver à discuter ces charges, il fallait permettre aux accusés d'exister, ce qui leur était refusé. En vain un jurisconsulte moderne a-t-il pu appliquer à une situation analogue cette distinction subtile que la loi reconnaît son existence de fait pour produire son néant juridique. Il s'agissait au deuxième siècle d'un anéantissement bien autrement effectif, celui qui résulte de la mise hors la loi. Aussi saint Justin, citant à la fin de sa supplique le rescrit d'Hadrien, a-t-il raison de n'en user que comme d'un apparent témoignage de bienveillance, et de faire appel uniquement aux sentiments de justice de son successeur. La bienveillance platonique d'Antonin ne fit sans doute pas défaut, niais sa justice fut toute négative. Soit à Rome, soit en Orient, où il parut entre 152 et 156[38], il eut à se prononcer sur la question en répondant aux assemblées provinciales, qui jouissaient alors d'une assez grande initiative. C'est Méliton de Sardes qui, dans son Apologie adressée à Mare-Aurèle en 172, lui rappelle[39] que, tandis qu'il partageait l'administration de l'empire avec son père adoptif, celui-ci écrivait aux Larissiens, aux Thessaloniciens, aux Athéniens et à tous les Grecs de ne pas introduire de nouveautés de procédure vis-à-vis des chrétiens, c'est-à-dire qu'il permettait de continuer à les poursuivre dans les formes jusque-là usitées.

Ces formes, ou plutôt, cette absence de formes est alors signalée connue générale dans l'empire par la seconde Apologie de saint Justin[40], qui fut le prélude de son martyre. Écrite après la mort du préfet de Rome, Q. Lollius Urbicus, et un peu avant celle d'Antonin, c'est-à-dire dans les premiers mois de 161, elle est adressée plus spécialement au Sénat, que devaient présider les consuls de l'année, Marc-Aurèle et Lucius Verus[41]. L'état de choses est plus que jamais présenté connue le résultat d'un malentendu ; il paraissait dur qu'une classe d'hommes fût seule exclue de la félicité universelle que dispensait au monde le plus pieux des païens. Aussi que veut avant tout saint Justin ? Éclairer l'opinion. Que réclame-t-il ? La rectification publique d'opinions calomnieuses, quelque chose comme l'insertion au Journal officiel de l'Empire[42] d'un paragraphe intitulé : la Vérité sur les chrétiens. Cette réhabilitation, elle existe précisément sous forme d'un rescrit d'Antonin : τώ κοινώ τής Άσίας[43], contenant l'éloge de leur constance dans leur religion, interdisant de les inquiéter à raison de leur foi et déclarant passibles de peines leurs accusateurs. Rufin va même plus loin ; dans sa traduction latine, il fait dire à l'empereur que les chrétiens ont raison de traiter d'athées leurs adversaires, et que ceux-ci ont tort de rejeter uniquement sur les premiers la responsabilité des malheurs communs[44]. Les apologistes ne parlaient pas autrement, et ils se seraient tus, si pareille justice leur avait été rendue. Or nous les voyons sous Marc-Aurèle continuer à plaider une cause qu'ils n'avaient pas encore gagnée. Nous avons donc affaire à une pièce apocryphe[45] ; ni Antonin, ni son successeur n'eurent la force de triompher, l'un des préjugés de sa piété, l'autre de l'orgueil de sa philosophie.

C'était le moment où le rhéteur à la mode, Ælius Aristide, raillait l'humilité présomptueuse de ces gens apparentés par leurs manières aux impies de la Palestine[46], qui se croient meilleurs que n'importe qui et cependant ne sont bons à rien, qui excellent à troubler et à diviser une maison, à exciter ses habitants les uns contre les autres, et à prétendre tout diriger ; qui n'ont jamais rien dit, ni trouvé, ni fait d'utile ; qui ne donnent pas de fêtes générales, 'l'honorent pas les dieux, ne prennent pas part aux affaires de la cité, ni aux charges de l'assistance publique, mais descendent dans des souterrains pour débiter leurs merveilles, et s'arrogent avec tout cela le plus beau des titres, celui de philosophe. En effet, la tradition de saint Justin était continuée par son contemporain Miltiade, surnommé le sophiste des Églises, et par son disciple, l'ancien rhéteur Tatien[47]. De son côté, Méliton, philosophe chrétien en même temps qu'évêque de Sardes, ne manque pas de faire remarquer à l'illustre stoïcien couronné que la révolte d'un compétiteur avait amené en Orient en 172, combien il est difficile de conduire à la vérité un homme longtemps retenu dans les liens de l'erreur[48]. Il espérait de lui une décision plus philanthropique et plus philosophique que les précédentes à l'égard de ses coreligionnaires, et refusait jusqu'à plus ample informé de lui attribuer les décrets nouveaux en vertu desquels étaient persécutés ces hommes pieux en Asie, et dont avaient pris prétexte les dénonciateurs sans pudeur et les amateurs du bien d'autrui pour se livrer ouvertement au brigandage contre des innocents. — L'heure de la justice n'avait pas encore sonné.

Nous ne possédons plus rien de l'apologie de Claudius Apollinaire, évêque d'Hiérapolis en Phrygie, et nous n'en savons qu'une chose, c'est qu'elle fut présentée à Marc-Aurèle vers la même époque que celle de Méliton[49]. Déjà ce dernier avait mentionné le fils du prince comme destiné à lui succéder[50], et il attachait (l'autant plus de prix à ce que le christianisme, qu'il rappelait être né et avoir grandi avec l'Empire, s'approchât enfin des degrés du trône. C'était pressentir Constantin, mais pour la seconde fois dans l'espace d'un siècle de telles espérances devaient être déçues. Il y avait néanmoins une différence : ce que la cruauté soupçonneuse de Domitien n'avait pas laissé s'accomplir, la folie de Commode faillit le réaliser. Ce prince n'exerça pas une grande influence du vivant de son père, qui cependant lui avait attribué, dès 175, la puissance tribunitienne et se l'était associé en qualité d'Auguste, à l'âge de seize ans, en 177. La légation d'Athénagore, philosophe chrétien d'Athènes, en faveur de ses frères dans la foi, appartient à cette année[51] ; sa requête, en effet, est adressée : aux empereurs Marcus Aurelius Antoninus et Lucius Aurelius Commodus, Arméniaques, Sarmatiques, et qui plus est philosophes. Mais comme les autres apologies officielles, nous pouvons le constater ici, car c'est la dernière[52], elle resta sans effet, à moins qu'on ne prenne pour une réponse la notification impériale adressée au légat de la Lyonnaise Ire qui venait de consulter le pouvoir central, en juin 177. Les deux documents concordent admirablement. Athénagore[53] constate que l'autorité permet, faute d'une législation suffisante, de poursuivre, chasser et persécuter des innocents auxquels on fait la guerre uniquement sous prétexte de leur nom. Mare-Aurèle, de son côté, se contente de rééditer le rescrit de Trajan[54] à l'usage des fidèles de Lyon et de Vienne, sans même tenir aucun compte dans l'espèce de celui d'Hadrien. C'est à quelque procédé de ce genre qu'avait sans doute fait allusion Méliton, lorsqu'il parlait de décrets nouveaux dans la province d'Asie.

Il est certain qu'à ce montent, de l'Orient à l'Occident, la foule païenne déchaîne librement sa fureur contre les chrétiens. Les bruits les plus odieux circulent à leur propos, et trouvent partout la même créance. Seraient-ils propagés par le gouvernement ou du moins sous son patronage ? Un écrit à peu près contemporain, l'Octavius de Marcus Minucius Félix[55], jette quelque lumière sur ce point. Ce membre du barreau romain reproduit les conversations de deux de ses amis, plaidoiries en règle pour et contre la religion incriminée, où ils visent en particulier[56] la harangue d'un orateur natif de Cirta (aujourd'hui Constantine en Algérie), Cornelius Fronton, le professeur de rhétorique de Marc-Aurèle[57].

L'élève avait comblé de dignités son ancien maître, qui parcourut tous les degrés des honneurs publics et vint siéger au Sénat, auquel il ne dut pas ménager les productions de son éloquence. C'est là, à notre avis, ce serait, selon M. Boissier[58], devant un tribunal, et selon M. Aubé dans un livre, qu'il prit à parti, et crut devoir écraser la secte infâme, dont le nom était synonyme d'athéisme, d'anthropophagie et d'inceste[59]. Un empereur avait bien ordonné de traiter les chrétiens d'incendiaires. Sans partir d'aussi haut, ces imputations, non plus assurément inventées, mais complaisamment répétées par un personnage en vue, eurent un grand retentissement, et en attendant que la verve de Tertullien en eût fait une bonne fois justice, elles continuèrent à défrayer la polémique païenne[60], et surtout à multiplier les exécutions. Notons ici que ces accusations diverses, qui étaient le cri populaire et dont plus d'un lettré se faisait l'écho, se résumaient toujours dans un mot, le nom chrétien. Nous venons de voir ce nom défendu par les apologistes, nous allons le voir maintenant dans les procès mêmes faits aux chrétiens, objet des questions posées par le juge, et titre d'honneur revendiqué hautement par les accusés. Les documents que nous avons à étudier sur ce point sont les passions des martyrs. Mais avant d'en tirer des conclusions semblables aux précédentes, il sera nécessaire de ne pas accueillir sans discussion, à cause de leur origine très-variée, les textes sur lesquels nous appuierons nos raisonnements.

 

 

 



[1] Étude sur Trajan, p. 290.

[2] JULIEN, Cæsares, XXVIII. — SPARTIEN, Hadrien, III. Cf. XX.

[3] SPARTIEN, Hadrien, XIII. Cf. Digeste, liv. I, tit. XVI, fr. IV, § 5. L'abbé GREPPO, Mémoire sur les ravages de l'empereur Hadrien (Paris, 1842), p. 167, signale de beaux médaillons d'argent frappés à son arrivée.

[4] SPARTIEN, Hadrien, XIX. DION CASSIUS, Ep., LXIX, X.

[5] Hist. ecclés., V, XXIV, 3 : lettre de l'évêque d'Éphèse, Polycrate, au pape saint Victor.

[6] Cf. Hist. ecclés., III, XXXI, 4, le prêtre CAIUS de Rome, dans son dialogue intitulé Poclus. Cf. Actes, XXI, 8.

[7] Hist. ecclés., V, XVII, 3. — Une inscription du Louvre (n° 66 du catalogue de Frœhner) conserve le souvenir du passage d'Hadrien à Magnésie. Cf. le Corp. insc. Græc. de Berlin, n° 2910, où elle est attribuée à Magnésie en Carie.

[8] Hist. ecclés., IV, III.

[9] Corpus apologet., éd. Otto, v. IX, p. 339.

[10] Actes, XXVII, 32.

[11] Tels sont ses noms d'après les inscriptions ; Cf. WADDINGTON, Fastes, § 128. Eusèbe écrit, au lieu de Λικίννιος, Στρέννιος.

[12] BORGHESI, Œuvres complètes, t. VIII, p. 464, et WADDINGTON, Fastes, § 129. Le grec porte : Μινούκιος. Minucius se confondait souvent avec Minicius.

[13] Hist. ecclés., IV, VIII, 8. — OTTO, vol. I, p. 190 (3e éd.), donne le texte latin de Rufin comme l'original, sur la foi de KIMMEL, De Rufino Eusebii interprete (Gerce, 1838), p. 175. Overbeck et M. Aubé l'admettent également sans discussion. Mais que l'on compare la version latine d'Eusèbe, très-exacte, qui se trouve dans MAMACHI, Origines christ., t. I, p. 431, en note, et l'on sentira la différence des deux textes.

[14] Ceci rappelle le tumulte de l'année 57, à propos de saint Paul, à Ephèse, dans l'amphithéâtre, et le renvoi des mécontents aux sessions du proconsul. Actes, XIX.

[15] L'eulogium remis au proconsul Pudens, à Carthage. TERTULLIEN, Ad Scap., IV.

[16] Bedenken gegen die Ecktheit des Hadrian' schen Christenrescripts, dans les Theologische Jahrbücher de Baur (Tübingen, 1856), p. 387 et s.

[17] Studien, p. 131-148.

[18] Hist. des persécutions, p. 271 ; les objections portant sur le style tombent, s'il est de Rufin. C'est ce que répond FUNK, qui défend l'authenticité du rescrit, Theologische Quartalschrift (Tübingen, 1879), p. 111 et s.

[19] Saint Justin, philosophe et martyr, p. LI.

[20] Saint Justin, p. 61 ; cf. Hist. des persécutions, p. 302. — Corp. apol., vol. IX, p. 413.

[21] Les travaux de M. Waddington sur les légats impériaux de la province d'Asie, en fixant la date des proconsulats de Granianus et de Minicius Fundanus, et en donnant les lignes essentielles de leur carrière politique, ont ajouté à l'opinion traditionnelle sur ce point beaucoup de solidité. M. RENAN, Journal des Savants, déc.1876, p. 729.

[22] P. 18.

[23] Par analogie, cf. SPARTIEN, Sévère, III.

[24] VOPISCUS, Saturnini, VIII, dit qu'il tire cette lettre des livres de Phlégon, l'affranchi, et même, selon Spartien, le prête-nom littéraire d'Hadrien.

[25] La situation d'Alexandrie dans le bassin de la Méditerranée, son importance, ses rapports fréquents avec la Judée, donnent lien de faire remonter à la fin des temps apostoliques la mutation de son Église. La tradition qui l'attribue à saint Marc, disciple de saint Pierre, et qui est consignée dans la Chronique d'Eusèbe, se trouve corroborée par l'existence, an sud-ouest de la ville, d'un cœmeterium, S. Marci evangelisæ in loco qui dicitur Bucolia, dont M. Wescher a retrouvé quelque hypogée. Cf. Bull., 1865, p. 57 et s. L'Épître, dite de saint Barnabé, qui allégorise l'Ancien Testament, est un écho des controverses avec les Juifs, et a dû émaner de cette Église vers l'année 97.

[26] SAINT JÉRÔME, De vir. ill., XXI.

[27] DION CASSIUS, Ep. LXIX, XI. SPARTIEN, Hadrien, XIII.

[28] Hist. ecclés., IV, XXIII, 3 — Corp. apol., vol. IX, p. 311, mention du petit Martyrologe romain du 3 octobre : Athenis Dionysii Areopagitæ, sub Hadriano diversis tormentis passi, ut Aristides testis est in opere quod de christiana religione composuit.

[29] Hist. ecclés., III, 3.

[30] De vir. ill., XX. — Ep. 83 (ad Magnum).

[31] Saneti Aristidis philosophi Atheniensis sermones duo (Venetiis, in monasterio S. Lazari, 1878). — De Aristidis philosophi Atheniensis, etc., disputavit L. RUMMLER (Posen, 1881, 17 p., in-4°).

[32] Revue des questions historiques, 1er octobre 1880 : l'Apologie d'Aristide et l'Épître à Diognète. Cf. Bulletin critique, 1er janvier 1882, p. 310 et s. Cette Épître est une réponse à la demande d'éclaircissements formulée par Diognète, probablement l'un des maîtres du jeune Marc-Aurèle. D'après le manuscrit unique, elle était attribuée à saint Justin, faussement de l'avis de tous, mais le plus grand nombre des critiques l'ont reconnue pour être de son époque. Telle est aussi la conclusion de l'étude récente du Dr J. DRAESEKE, Der Brief an Diognetos (Leipzig, 1881), p. 130.

[33] Cette qualification équivaut à étudiant en philosophie, et ne peut s'appliquer qu'à l'extrême jeunesse de Lucius Verus ; plus tard elle n'eût été qu'une ironie. Il était né en 130, et CAPITOLIN, Verus, c. II, dit : Post septimum annum in familiam Aureliam traductus Marci moribus et auctoritate formatus est.

[34] Apologie, XXVI, éd. Otto, p 80. SAINT JUSTIN oppose à ces deux imposteurs défunts Marcion de Sinope qui était vivant de son temps, soit qu'il fût alors à Rome, soit qu'il l'eût rencontré en Asie où Marcion commença par enseigner. En effet, l'évêque de Smyrne, saint Polycarpe, voyant celui-ci vers 154 à Rome, où il avait repris l'école de Cerdon, lui dit : Έπιγινώσκω τόν πρωτύτοκον τοΰ Σατανά. SAINT IRÉNÉE, Adv. Hæres., III, III, 4.

[35] Le futur empereur Antonin était à cette date proconsul d'Asie, WADDINGTON, Fastes, § 135.

[36] Ann. de la propag. de la foi, n° de janv. 1881, lettre de Mandchourie du 4 août 1880 : J. B. Ouang, âgé de trente-deux ans, a été admirable par sa constance et sa foi devant les bourreaux : ..... Je n'ai pas beaucoup parlé devant le mandarin, dit-il ; je n'avais, du reste, qu'à répondre oui ou non. Quand il voulait me forcer à exécuter quelque chose qui me conduisait à l'apostasie, j'ai toujours dit : Non ; ainsi devez-vous faire, quoi qu'il arrive.

[37] Voir Première Apologie, c. IV tout entier, p. 12, et c. VII, p. 24.

[38] V. Mémoires de l'Académie des inscriptions, t. XXVI, 1re partie, où M. WADDINGTON, Vie du rhéteur Ælius Aristide, discute successivement (p. 259-263) le témoignage de son auteur et celui de Malalas (éd. de Bonn, p. 280). Antonin aurait apaisé une révolte en Egypte, conclu la paix en Syrie avec Vologèse IV, roi des Parthes, visité l'Asie récemment bouleversée par des tremblements de terre ; nous ajouterons : et jugé les différends de plusieurs princes orientaux, entre autres de Rhœmetalces et d'Eupator au sujet du royaume du Bosphore. Cf. CAPITOLIN, Antonin, IX ; DE KOEHNE, Description du musée Kotschoubey, t. II, p. 163.

[39] Corp. Apol., vol. IX, p. 413. On a d'ANTONIN dans le Digeste deux rescrits, l'un au liv. XLVIII, tit. VI, fr. V, § 1 ; l'autre au liv. XLXIX, tit. I, fr. 1 ; mais ceux dont parle Méliton n'ont pas été conservés ; c'est peut-être pour cette raison qu'OVERDECK ne fait aucune difficulté d'en admettre l'authenticité, Studien, p. 146.

[40] II Apol., I, p. 194 de l'éd. Otto.

[41] Cf. CAPITOLIN, Verus, 3. En effet, comment eût-on omis Lucius, qui avait en 161 trente et un ans ? Il est vrai que M. AUBÉ, Histoire des persécutions, p. 335, le rajeunit de douze ans ; ce qui le ferait adopter par Hadrien quatre ans avant sa naissance.

[42] Les Acta diurna populi Romani recevaient sous les empereurs des insertions officielles et officieuses. Cf. V. LECLERC, Des journaux chez les Romains, p. 217 (Paris, 1838).

[43] On trouve ce rescrit à la suite de la II Apol., édit. Otto, p. 211 ; EUSÈBE, Hist. ecclés., IV, XIII, en cite un texte un peu différent portant le nom de Marc-Aurèle. L'intitulé corrigé par Mommsen donnerait l'année 158. Il n'y a pas lieu ensuite de s'étonner que XIPHILIN, suppléant au livre LXX de DION CASSIUS, qui était perdu, ait cru devoir dire d'Antonin : κα τ το δριανο τιμ, ν κενος τμα Χριστιανος, προστιθες.

[44] BAUDOUIN, p. 84. Ce n'est pas la première fois que Rufin justifie le proverbe italien : Traduttore, traditore. Déjà à propos du rescrit d'Hadrien, en résumant les § 6 à 8 d'Eusèbe, Hist. ecclés., IV, III, il s'écarte du sens et prête à la confusion qui a fait prendre sa version pour l'original.

[45] Il faut en dire autant de la lettre de Marc-Aurèle au Sénat, après sa victoire sur les Marcomans, qui sert de pendant au rescrit loc. cit., p. 206. Les indications administratives exactes que fournissent ces deux pièces (cf. BORGHESI, Œuvres complètes, t. III, p. 126, et t. VIII, p. 421 ; WADDINGTON, Fastes, § 142) ne permettent pas d'en avancer l'origine au delà de la fin du deuxième siècle. D'ailleurs Tertullien fait allusion à la seconde dans son discours apologétique de l'an 199.

[46] ARISTIDE, Orat. 46, éd. Dindorf (Leipzig, 1819), t. II, p. 402.

[47] Or. adv. Grœc., XXXV. Cf. Hist. ecclés., V, XXVII, 4. TERTULLIEN, Adv. Val., V. — Cf. Hist. ecclés., V, XVII, 5. Ces gouvernants du monde doivent être Marc-Aurèle et Lucius Verus, lequel mourut en janvier 169.

[48] Tel est le début du texte syriaque publié dans le t. III du Spicilegium Solesmense du cardinal PITRA, reproduit à la fin du Corp. Apol. d'OTTO, IX, p. 423, et qui n'est autre probablement que le traité : Περί άληθείας. Les trois citations faites par Eusèbe, étroitement liées entre elles, et qui ne se retrouvent pas dans le syriaque, appartiennent à l'apologie proprement dite, où MELITON expose la situation, loc. cit., p. 410. Il est curieux d'entendre TERTULLIEN juger Méliton : Hujus elegans et declamatorium ingenium. Cf. SAINT JÉRÔME, De vir. ill., XXIV.

[49] Hist. ecclés., IV, XXVI.

[50] Corp. Apol., IX, p. 412. — Et le passage du texte syriaque, p. 432.

[51] Cf. Leg. pro Christ., XVIII.

[52] Cf. EUSÈBE, Hist. ecclés., IV, XXX, parlant des ouvrages de Bardesane. Seulement il s'agit de la persécution suscitée à Edesse, lors de l'occupation de cette ville située hors de l'empire romain, par Antonin Caracalla.

[53] Leg. pro Christ., I et II.

[54] Histoire ecclésiastique, V, I, 47.

[55] M. AUBÉ, qui adopte la date de 176 à 180, dans la Polémique païenne à la fin du deuxième siècle (Paris, 1878, p. 79), néglige de citer une indication se rapportant bien au règne de Mare-Aurèle. Minucius Félix parle au c. II des vacances des tribunaux pour la vendange ; cf. Digeste, liv. II, lit. XII, frag. 1. Ce texte est relevé par Baudouin dans la préface de la l'édition de l'Octavius au vrai nom de l'auteur, qu'il donna à Heidelberg en 1560. Il y dépeint sous des traits si aimables l'alliance de la science juridique avec celle de l'histoire ecclésiastique, que, même à qui ne possède ni l'une ni l'autre, il les fait désirer.

[56] Octavius, IX et XXXI. — De ces deux passages il résulte que Cæcilius Natalis, l'interlocuteur païen, était lui-même de Cirta, et en effet on a retrouvé dans cette ville des inscriptions posées par lui pour commémorer ses honneurs municipaux. L'une est de l'année 210, d'autres du règne de Caracalla. Cela ne l'empêcherait pas, à notre avis, d'avoir pu se trouver à Rome sous Mare-Aurèle dans sa jeunesse. M. de Rossi est d'opinion que l'Octavius ne fut écrit qu'au troisième siècle, Studi e documenti di storia e diritto (Rome, 1880), p. 13. Du moins la scène relatée doit être de beaucoup antérieure, sans quoi l'allusion à Fronton, mort avant Marc-Aurèle, eût été trop lointaine.

[57] Ce n'est pas sans raison que saint Jérôme rappelle le fait, à propos de l'apologie de Méliton, De vir. ill., XXIV. Il parait que Fronton lui enseignait aussi la politique, puisqu'il lui recommandait une monarchie parlementaire et bourgeoise. Com., I, XI.

[58] Compte rendu de l'ouvrage cité de M. Aubé, par M. Gaston BOISSIER, dans la Revue des Deux Mondes, 1er janv. 1879.

[59] Voir le discours du païen CÆCILIUS dans l'Octavius. cf. ATHÉNAGORE, Leg. Pro Christ., III. Ces mêmes expressions se retrouvent dans la lettre aux Églises d'Asie et de Phrygie. Hist. ecclés., V, I, 14. Les mystères chrétiens mal compris, la croyance à la présence réelle dans l'Eucharistie par exemple, l'habitude des fidèles de s'entr'appeler frères, ont pu être l'origine de ces idées.

[60] Celse n'attribue plus les scandales qu'aux sectes gnostiques ; en effet, les Carpocratiens jetèrent beaucoup de discrédit sur les chrétiens de la grande Église comme parlait ce païen en 178, ORIGÈNE, C. Celse, V, LIX ; cf. ibid., LXI.