LE RECENSEMENT DE QUIRINIUS

 

Témoignages historiques relatifs à un passage de l'évangile de saint Luc.

 

 

I. Le recensement de Quirinius en Judée, par Henri Lutteroth, br. in-8° de 135 p. Paris, Ch. Meyrueis, 165. — II. De la croyance due à l’Evangile, etc., par M. Wallon, 2e édit., in-8°. Paris, 1866. (Ch. iii, Le recensement de Quirinius, p. 329-374.) — III. Ueber den Statthalter Quirinius, Von Prof. D. Aberle. – IV. Res gestæ divi Augusti ex monumentis Ancyrano et Apolloniensi. Edidit Th. Mommsen. Berolini, apud Weidmannos, 1865, in-8°. (Voyez L’appendice intitulé : De P. Sulpicii Quirini titulo Tiburtino, p. 111-119.)

 

Parmi les questions qui ont le plus exercé la critique religieuse et historique, est le fameux passage de saint Luc, conçu en ces termes

Chap. II, 1. Vers ce même temps, on publia un édit de César Auguste, pour faire un dénombrement des habitants de toute la terre.

Chap. II, 2. Ce fut le premier dénombrement qui se fit par Cirinus (Quirinius), gouverneur de Syrie.

Dans ces derniers temps, des travaux importants ont été publiés, des monuments épigraphiques ont été découverts ; ils ont donné lieu à de savantes discussions ; on a éclairci les questions obscures de l’administration romaine, des institutions hébraïques, des usages religieux, civils et politiques tant des Romains que des Juifs ; les publications de Borghesi sur l’organisation de l’Empire, expliquée par les inscriptions mises en harmonie avec les textes ; celles de Théodore Mommsen sur les textes d’Ancyre et de Tivoli, ont jeté un jour nouveau peut-être sur cette question tant controversée, et il importe aujourd’hui de se faire une idée exacte de l’état de la science sur ce point dans le domaine légitime où elle peut s’exercer.

Nous diviserons cette étude en trois parties. Dans la première, nous exposerons, avec une entière liberté et sans aucune réticence, la difficulté à laquelle cette question peut encore donner lieu, en présence des faits nouveaux qui se sont produits ;

Dans la seconde, nous analyserons les opinions des divers savants qui s’en sont le plus récemment occupés ;

Dans la conclusion, enfin, nous tenterons, à notre tour, une explication, à l’aide des documents découverts et des discussions de nos devanciers.

I

On lit dans l’évangile de saint Matthieu, chapitre II, 1 :

Jésus étant né à Bethléem, ville de Judée, au temps du roi Hérode, des mages arrivèrent d’Orient à Jérusalem.

Or l’historien Josèphe rapporte qu’une sédition éclata pendant la dernière maladie d’Hérode, sur le bruit, faussement répandu, de sa mort, et il ajoute qu’en cette même nuit, eut lieu une éclipse de lune[1]. Josèphe raconte ensuite que la maladie du Roi fit de continuels progrès et qu’il mourut peu de temps après, à l’approche de la fête de Pâques de la même année[2], trente-sept ans après avoir été déclaré, à Rome, roi des Juifs, et trente-quatre ans après avoir chassé Antigone[3].

Keppler a démontré que l’année 750 de Rome (4 avant l’ère vulgaire), est la seule où la condition d’une éclipse de lune se réalise avant Pâques. Cette éclipse a eu lieu le 13 mars et Pâques est tombé cette année-là, le 11 avril, c’est-à-dire 29 jours après. Hérode a dû mourir le 2 ou le 3 avril de l’an 750 (4 avant l’ère vulgaire), d’après les calculs de Keppler[4].

Il faut donc que Jésus-Christ soit né avant le 3 avril de l’an 4 avant l’ère vulgaire. On sait que c’est Denys le Petit qui, au vie siècle seulement, a commis la grave erreur de faire commencer notre ère quatre ou cinq ans après la naissance du Sauveur.

Au même chapitre II, saint Matthieu raconte la fuite en Égypte et le massacre des enfants, ordonné par Hérode, enfin la mort de ce prince. Les événements sont postérieurs de plusieurs mois à la naissance de Jésus-Christ. En effet, Hérode, qui ne paraît pas avoir été malade alors, d’après saint Matthieu, assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, et leur demanda où le Christ devait naître (ch. II, 4). Ils lui répondirent que c’était à Bethléem (v. 5). Alors, ayant appelé, en secret, les mages, il s’informa d’eux exactement du temps auquel ils avaient vu l’étoile (v. 7). Il les envoya alors à Bethléem (v. 8). L’ange apparut à Joseph et lui ordonna d’aller en Égypte avec la mère et l’enfant, jusqu’à la mort d’Hérode (v. 13-15). Ce dernier fit ensuite mourir tous les enfants qui étaient dans Bethléem et dans son territoire depuis ceux de deux ans et au-dessous, selon le temps dont il s’était exactement informé des Mages (v. 16).

Si l’on considère toutes les circonstances qui ont suivi la naissance du Christ et précédé, d’après saint Matthieu, la mort d’Hérode : l’arrivée des Mages, leur voyage à Bethléem, le temps nécessaire pour accomplir le voyage de Jérusalem en Égypte, le séjour qu’y firent Jésus, sa mère et Joseph, car il est dit, au v. 15, Et il (Joseph) y demeura jusqu’à la mort d’Hérode ; si l’on remarque, d’autre part, que saint Luc place la circoncision du Christ, huit jours après sa naissance (ch. II, 21) ; qu’Hérode fit tuer tous les enfants au dessous de deux ans, ce qui donne à penser qu’un temps assez considérable s’était écoulé entre la naissance du Christ et le massacre, — on sera amené forcément à placer cette naissance avant le commencement de l’an 750, c’est-à-dire antérieurement à l’an 4 avant l’ère vulgaire. Il faudra donc, de toute nécessité, placer la naissance de Notre Seigneur avant la fin de l’an 749 de Rome, c’est-à-dire avant la fin de l’an 5 avant l’ère vulgaire.

M. Wallon se prononce pour l’an 747 de Rome, c’est-à-dire pour l’an 7 avant l’ère vulgaire[5], et, comme ce savant fait mourir le Christ l’an 33 de notre ère, il faudrait, dans ce système, qu’il fût âgé de trente-huit ans, et qu’il en eût en trente-cinq lorsqu’il reçut le baptême ; car saint Luc dit, au ch. III, 1-3, que c’est la 15e année de l’empire de Tibère César, que Jean prêcha le baptême et que Jésus fut baptisé (v. 21), et le même évangéliste ajoute, au même chapitre, que Jésus était alors âgé d’environ trente ans ώσεϊ έτώϊ τριάxοντα (v. 23). Or, environ trente ans ne paraît pas s’accorder facilement avec cet âge de trente-cinq ans. Mais ce n’est pas là la principale difficulté. M. Lutteroth place la naissance du Christ après la Pâque de 748, l’an 6 avant l’ère vulgaire[6], son baptême entre l’automne de 778 et la Pâque de 779 (an 25-26 de l’ère vulgaire) et sa mort en 782 (29 de l’ère vulgaire[7]), à l’âge de trente-cinq ans, et, pour justifier cette chronologie, il fait commencer le règne de Tibère, non à la mort d’Auguste, en 767 de Rome (14 de l’ère vulgaire), mais à l’association de ce prince à l’Empire, en 764 (11 de l’ère vulgaire[8]).

Abordons maintenant le fameux passage de saint Luc.

Voici d’abord la traduction communément adoptée :

Saint Jean est né 6 mois avant le Christ[9]. Elisabeth, ayant enfanté Jean, il est dit au chapitre I :

(Version de M. de Sacy.)

v. 80. Or l’enfant croissait et se fortifiait en esprit et il demeurait dans le désert jusqu’au jour où il devait paraître devant le peuple d’Israël.

Ch. II, v. 1. Vers ce même temps, on publia un édit de César Auguste pour faire un dénombrement des habitants de toute la terre.

v. 2. Ce fut le premier dénombrement, qui se fit par Cirinus, gouverneur de Syrie.

v. 3. Et comme tous allaient se faire enregistrer chacun dans sa ville,

v. 4. Joseph partit aussi de la ville de Nazareth, qui est en Galilée, et vint en Judée à la ville de David appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David,

v. 5. Pour se faire enregistrer avec Marie son épouse qui était grosse.

v. 6. Pendant qu’ils étaient là, il arriva que le temps auquel elle devait accoucher s’accomplit :

v. 7. Et elle enfanta son fils premier né ; et l’ayant emmailloté, elle le coucha dans une crèche parce qu’il n’y avait point de place pour eux dans l’hôtellerie.

D’antres traductions de ce fameux passage diffèrent sensiblement de celle-ci. Mais comme le texte original est en grec, il est facile, à ce qu’il semble, de s’entendre.

Voici le mot à mot des versets qui précèdent :

Or le petit enfant croissait et se fortifiait en esprit, et il était dans les déserts jusqu’au jour de sa manifestation [ou présentation] devant Israël.

Or il arriva en ces jours-là [qu’]il sortit un édit de la part de César Auguste [pour] recenser toute la [terre] habitée.

Ce premier recensement eut lieu, Quirinius gouvernant [ou administrant] la Syrie.

Et ils se transportaient tous pour être enregistrés, chacun dans [sa] propre ville.

Et monta aussi Joseph de la Galilée, de la ville de Nazareth vers la Judée, vers la ville [de la tribu] de David, laquelle est appelée Bethléem, à cause de ce qu’il était lui même de la maison et de la famille de David ;

Pour être enregistré avec Marie, épouse ayant été mariée à lui, étant enceinte.

Or, il arriva [que] pendant qu’ils étaient là, les jours furent accomplis de son accouchement.

Et elle accoucha de son fils, le premier né, et elle l’enveloppa de langes et elle le coucha dans la crèche parce qu’il n’y avait pas peureux de place dans l’auberge.

Il faut remarquer que la traduction de de Sacy n’est pas littéraire lorsqu’elle dit, pour le dernier verset du chapitre I : Jusqu’au jour où il [Jean] devait paraître devant le peuple d’Israël.

M. Henri Lutteroth a montré qu’άνάδειξις peut signifier la présentation et qu’il serait parlé ici, non du commencement des prédications de Jean, qui n’eurent lieu que l’an 15e du règne de Tibère, mais de la cérémonie de la majorité religieuse, fixée à l’âge de douze ans chez les Juifs. Il s’agirait donc de la présentation de Jean au temple[10], et de la première assistance à la Pâque.

Il faut remarquer ensuite que le nom Κυρηνίος ne saurait avoir pour équivalent Cirinus, qui est barbare, mais Quirinius. Il s’agit en effet d’un personnage bien connu, qui figure dans les fastes consulaires, l’an 742 de Rome (12 avant l’ère vulgaire), sous le nom de P. Sulpicius Quirinius, qui abdiqua cette magistrature et fut remplacé au mois d’août de la même année par L. Volusius Saturninus. Il n’est pas dit dans le texte que le recensement se fit par Quirinius, mais pendant que Quirinius administrait la Syrie, c’est-à-dire pendant qu’il était legatus Augusti pro prætore de cette province.

De Sacy traduit : Pour se faire enregistrer avec Marie son épouse qui était grosse. Et le grec doit signifier, suivant M. Lutteroth pour être enregistré avec Marie, qu’il avait épousée lorsqu’elle était grosse μεμνηστευμένη est un parfait : ayant été épousée. Mais ces mots : étant grosse semblent bien se rapporter cependant à l’époque de leur voyage à Bethléem. Que Marie fût grosse lorsque Joseph l’épousa, cela est établi par saint Matthieu[11] (ch. I, 18 et 19). Il importe donc assez peu, à ce qu’il semble, que la grossesse de Marie s’entende de l’époque du mariage ou de celle de l’arrivée à Bethléem.

Sans vouloir passer en revue les autres traductions, je remarquerai qu’il en est qui renferment de véritables contresens. Ainsi Herwart traduit le v. 2 du ch. II de saint Luc : Ce dénombrement se fit avant que Quirinius fût gouverneur de Syrie[12].  Ce qui est absolument inadmissible. Cette traduction, qui lèverait toute difficulté, et qui a été longuement discutée par M. Lutteroth et par M. Wallon, pour être rejetée par le premier et adoptée, faute de mieux, par le second, n’est pas nouvelle d’ailleurs et, malgré les exemples allégués, elle ne sera admise par aucun helléniste.

M. Lutteroth, qui voit dans les v. 6 et 7 du ch. II de saint Luc relatifs à la naissance du Christ, le récit d’un fait étranger à la narration qui précède et antérieur de 12 ans au recensement de Quirinius, traduit : έγένετο δέ έν τώ εϊναι αύτούς έxεί, c’est là aussi qu’ils étaient…, en accentuant, comme il le dit, ce membre de phrase, pour avertir le lecteur qu’il s’agit d’une autre époque[13]. Le mot aussi n’est pas dans le texte. Or M. Lutteroth fait plus que d’accentuer, il ajoute, et le grand défaut de son explication est de scinder le récit de saint Luc et de faire considérer comme la circonstance principale le recensement, tandis que la naissance du Christ devient la circonstance accessoire.

Il y a trois faits distincts dans les versets rapportés plus haut : la majorité de Jean, l’édit de Quirinius et la naissance du Christ. Il est impossible qu’ils soient simultanés. Si Jean a douze ans au moment de l’édit de Quirinius, Jésus en a onze et demi, et le recensement ne peut coïncider avec sa naissance. Si le recensement coïncide avec la naissance du Christ, le verset relatif à la majorité de Jean n’a aucun lien avec le chap. II et n’est qu’une anticipation de douze ans sur les faits exposés dans ce chapitre.

En résumant le récit évangélique et en le prenant dans le sens vulgaire et, pour ainsi dire, consacré, un édit est rendu par Auguste pour recenser toute la terre, Quirinius étant gouverneur en Syrie, Joseph et Marie se rendent à Bethléem pour être recensés et c’est en ce lieu que le Christ vient au monde. Ces événements sont antérieurs à la majorité de Jean, bien que cette majorité soit rapportée dans le dernier verset du chapitre précédent.

Or nous avons vu précédemment que le Christ étant né sous Hérode (S. Matthieu, ch. II, 1) et Hérode étant mort l’an 750 de Rome (4 avant l’ère vulgaire), il faut que le Christ soit né en 749 (5 avant l’ère vulgaire), ou même en 748 (6 avant l’ère vulgaire).

Il faut donc trouver un recensement de la terre l’an 5 ou 6 avant notre ère.

Les recensements généraux du règne d’Auguste sont parfaitement connus, et ils le sont par des documents officiels et indiscutables, comme le testament d’Auguste conservé sur le monument d’Ancyre, dont le complément a été récemment découvert par M. Perrot[14].

Il résulte du rapport d’Auguste lui-même qu’il a fait trois fois le cens et le lustre qui n’avait pas été accompli depuis quarante et un ans. En effet le lustre précédent, qui était le 67; est de 684 de Rome (70 avant Jésus-Christ), et il fut fait par les censeurs Cn. Cornelius Lentulus Clodianus et L. Gellius Poplicola.

Auguste fit les 68e, 69e et 70: le 68e, étant consul pour la 6e fois, avec M. Vipsanius Agrippa (qui, lui, était consul pour la seconde fois), ayant tous deux la censoria potestas, l’an 726 de Rome (28 avant l’ère vulgaire). Le 69e fut fait par Auguste seul en vertu de l’imperium consulare, sous le consulat de C. Marcius Censorinus et de C. Asinius Gallus, l’an 746 de Rome (8 avant l’ère vulgaire). Enfin le 70e fut fait, en vertu de l’imperium consulare, par Auguste et Tibère, l’an 767 de Rome (14e de l’ère vulgaire), c’est-à-dire, la dernière année du règne d’Auguste.

Mais les seuls recensements généraux faits sous Auguste, qui a régné de l’année 30 avant Jésus-Christ jusqu’à l’année 14 après, sont de l’an 28 et de l’an 8 avant l’ère vulgaire ; enfin de l’an 14 de cette ère.

M. Wallon est le savant qui fait remonter le plus loin la naissance du Christ ; il l’a placée l’an 7 avant l’ère vulgaire, ce qui ne serait pas encore assez, car le recensement est de l’an 8. Il ne peut donc s’agir dans l’Evangile de saint Luc d’aucun des recensements faits par Auguste.

D’ailleurs ces recensements ne comprenaient que les citoyens romains et non les sujets de l’empire. Or Joseph, l’époux de Marie, n’était pas citoyen romain. Il n’était même pas sujet de l’empire : la Galilée n’était pas province romaine, et la Judée, où il s’est fait inscrire, n’en dépendait pas non plus.

On faisait, il est vrai, le recensement des nouveaux sujets Rome, à mesure que leur pays était annexé à l’empire ou converti en province. Or le Christ, étant né probablement l’an 6, et très certainement avant le commencement de l’an 4, sous Hérode, dans un pays dépendant du roi Hérode, auquel les Romains avaient laissé ses états, il n’y avait, à ce qu’il semble, aucun prétexte pour l’époux de Marie à se faire recenser.

De plus, il s’agit, dans saint Luc, d’un recensement de la terre habitée, c’est-à-dire de l’empire romain, dans le langage officiel de Rome : πάσαν τήν οίxουμένην.

Parmi les historiens de ce temps, il en est un surtout dont le silence parait inexplicable ; c’est Flavius Josèphe, dont le récit est si complet et si bien circonstancié pour ce qui concerne le peuple Juif. Or Josèphe parle d’un recensement fait en Judée, mais il est d’une autre époque et ne donne aucun lieu de penser qu’il fût universel. Nous en parlerons bientôt et nous verrons s’il n’y a pas trace dans les auteurs profanes d’un recensement universel auquel pourrait convenir ce que rapporte saint Luc.

Il faudrait, pour justifier le témoignage de l’évangéliste tel qu’il est compris communément, trois conditions : 1° qu’il y eut eu un recensement en Judée l’an 6 avant notre ère ; 2° que ce recensement se fût appliqué à toute la terre ; 3° que ce fait eût eu lieu pendant que Sulpicius Quirinius était gouverneur de la province de Syrie. Réservons les deux premiers points pour y revenir bientôt et examinons le troisième.

Il est peu de personnages de cette époque qui soient aussi bien connus que Quirinius. Nous possédons son histoire politique complète, nous savons les charges qu’il a remplies, avec leurs dates; et, qu’on le remarque, ce ne sont pas seulement les historiens qui nous le font connaître, ce sont aussi les inscriptions, c’est-à-dire des documents authentiques datant de l’époque même à laquelle il a vécu.

P. Sulpicius Quirinius naquit à Lanuvium[15], suivit la carrière sénatoriale et passa par les magistratures et les fonctions publiques, conformément à la hiérarchie des honneurs. Or, grâce aux travaux des Borghesi, des Mommsen, des L. Renier, des Henzen, des de Rossi, on sait aujourd’hui quelle était la hiérarchie des magistratures et des fonctions auxquelles elles donnaient accès sous l’empire, tant pour les carrières sénatoriales que pour les carrières équestres. Cette hiérarchie offrait une série d’emplois civils et militaires subordonnés les uns aux autres et formant un ordre d’avancement si rigoureux, que ni la faveur impériale, ni l’éclat du mérite ne permettaient pas plus d’en éluder les degrés que cela n’est permis aujourd’hui pour les grades dans nos armées, à moins qu’il ne s’agisse, maintenant, des fils de roi, jadis, des princes de la famille des Césars.

Il importe beaucoup qu’on sache, pour la question qui nous occupe, que cet ordre de l’avancement était régulier ; à l’abri de tout caprice du maître, et que, si l’on voit les affranchis et les favoris du prince parvenir au comble de la puissance par la confiance et la domesticité, jamais on ne voit un Pallas et un Narcisse parvenir aux magistratures sénatoriales ni entrer dans le sénat ; tout au plus pouvaient-ils se frayer un passage difficile et contesté dans les carrières équestres. Nous voyons, par contre, des personnages comme Hadrien qui, avant d’arriver à l’empire, parcourut la carrière des honneurs en commençant par les emplois subalternes et les magistratures inférieures, ainsi qu’en témoigne une inscription trouvée récemment à Athènes.

Le cursus honorum est donc connu et il est indispensable, pour l’intelligence de ce qui va suivre, d’avoir sous les yeux le tableau que nous en avons dressé d’après les résultats dus aux progrès des connaissances modernes sur l’administration romaine.

En appliquant les règles invariables de la hiérarchie à la carrière de Quirinius, voyons ce que les historiens et les inscriptions nous apprennent de sa vie.

P. Sulpicius Quirinius a donc été certainement vigintivir, puis questeur, puis tribun ou édile ; mais on n’a pas de document relatif à son vigintivirat, ni à sa questure, et nous ne savons pas s’il a été tribun plutôt qu’édile. Nous avons un témoignage de sa préture et de l’administration qu’il a exercée en vertu de cette magistrature : il fut propréteur de la province sénatoriale de Crète et de Cyrénaïque. Florus dit en effet qu’Auguste, ayant soumis, par son général Cossus, les Musulanes et les Gétules, habitants des Syrtes, donna à Quirinius le soin de soumettre également les Marmarides et les Garamantes[16]. Or, comme l’a bien remarqué M. Mommsen[17], la position géographique du premier de ces peuples, an sud de la Cyrénaïque et du côté de l’Egypte, exclut l’idée que Quirinius ait pu les soumettre en qualité de proconsul de la province sénatoriale d’Afrique. Il n’a donc pu être chargé de ce soin que comme proconsul de la province de Crête et de Cyrénaïque. Or, cette province était sénatoriale prétorienne, c’est-à-dire que l’administration en était confiée à un ancien préteur, tandis que la province sénatoriale d’Afrique était consulaire, c’est-à-dire que l’administration en était confiée à un ancien consul. C’est donc en qualité d’ancien préteur, c’est-à-dire avant son consulat, que Quirinius dut être chargé de la guerre contre les Marmarides ; or, son consulat est de 742 (12 avant l’ère vulgaire) ; c’est donc avant l’an 12 qu’il fut préteur, puis gouverneur de la province dont il s’agit.

Il fut consul ordinaire, figurant dans les Fastes, avec M. Valerius Messala Barbatus Appianus. Nous savons même qu’il abdiqua avant l’expiration de l’année et qu’il fut remplacé an mois d’août, par L. Volusius Saturninus, qui finit l’année 742.

Il fut ensuite, entre les années 747-750 (7 à 4 avant l’ère vulgaire), où plutôt entre 753-755 (1 avant l’ère vulgaire à 2 après), proconsul de la province sénatoriale d’Asie, une des deux grandes provinces consulaires du sénat, c’est-à-dire une de celles dont l’administration n’était confiée qu’à d’anciens consuls ; cela résulte de l’inscription de Tivoli, relative à ce personnage[18], et dont nous parlerons bientôt.

C’est sans doute pendant le temps de ce proconsulat qu’il se ménagea l’amitié de Tibère, qui était alors à Rhodes[19].

Il fut aussi gouverneur, c’est-à-dire légat d’Auguste propréteur de la province de Syrie et de Phénicie, en 750 (4 avant l’ère vulgaire), ainsi que M. Mommsen l’a démontré récemment[20], et nous allons dire comment il s’empara, à cette époque, des forteresses des Homonades, dispersées en Cilicie[21]. Au rapport de Strabon, il tua leur roi Amyntas, combattit ces peuples par la famine, leur enleva 4 000 prisonniers, les distribua dans les villes les plus voisines et laissa leur pays désert[22]. Il obtint, pour ce fait, deux supplications et les honneurs du triomphe[23]. Entre les années 755-757 (2 à 4 depuis l’ère vulgaire), il épousa Emilia Lepida, issue des grandes familles des Lepidus, des Sylla et des Pompée. Il la répudia ensuite, ce qui donna lieu à un scandaleux procès[24]. En 753 (1 avant l’ère vulgaire), il fut donné comme conseil, rector, au jeune Caius César, fils de Julie et d’Agrippa, et petit-fils d’Auguste, qui avait été envoyé en Arménie[25]. En 759 (6 de l’ère vulgaire), il fut envoyé de nouveau en Syrie, comme gouverneur de cette province impériale consulaire, par conséquent avec le titre de légat d’Auguste propréteur. Le témoignage de Josèphe à cet égard[26] est confirmé par l’inscription de Tivoli (voyez plus bas). C’est alors qu’il reçut, d’après l’historien juif, l’ordre de recenser la Judée, qui venait d’être réunie à la province de Syrie par la déposition d’Archélaüs, fils et successeur d’Hérode en ce pays. Ce recensement eut lieu, suivant Josèphe, trente-sept ans après la bataille d’Actium[27]. Or, la bataille d’Actium est du 2 septembre 723. La 37e année de l’ère actiaque commence le 2 septembre 759 et finit le 2 septembre 760 (6 de l’ère vulgaire). Ainsi la donnée d’un recensement fait en Judée, lors de la réduction de ce pays en l’an 6, cadre avec un des gouvernements exercés en Syrie par Quirinius, mais non avec la naissance de Notre-Seigneur. En 769 de Rome (16 de l’ère vulgaire), nous trouvons Quirinius à Rome, où M. Drusus Libo, son allié par sa femme Lepida, le charge de présenter à Tibère sa demande en grâce[28]. L’an 773 de Rome (20 de notre ère), eut lieu l’accusation de Quirinius contre sa femme Lepida[29] Enfin il mourut l’an 774 de Rome (21 de l’ère vulgaire), dans un âge avancé[30] et sans laisser de postérité[31].

Pour justifier une partie des faits qui précèdent ou pour leur donner du moins une pleine confirmation, il est nécessaire de suivre M. Mommsen dans la savante restitution qu’il a proposée de l’inscription de Tivoli[32].

Cette inscription est fort anciennement connue elle a été découverte en 1764 à Tivoli, hors de la Porte romaine, entre la villa d’Hadrien et la voie Tiburtine, à égale distance de l’une et de l’autre. Elle est aujourd’hui au Latran.

Elle fut publiée pour la première fois dans les Novelle Fiorentine, en 1765, d’où Donati l’a tirée. Elle fut ensuite donnée comme inédite par Sanclemente (Rome, 1793) ; enfin, relevée sur l’original par MM. Mommsen et Henzen, elle a été publiée de nouveau par Richard Bergmann[33], puis par M. Henzen dans le supplément au recueil d’Orelli[34].

Le texte en est incomplet, et le nom du personnage auquel il s’applique fait défaut (Voyez le texte de la note ci-dessus) toutefois, il résulte du texte de cette inscription :

1° Que ce personnage soumit à Rome une certaine nation ;

2° Que le Sénat lui accorda deux supplications et le triomphe ;

3° Qu’il obtint, sous le règne d’Auguste, le proconsulat d’Asie ;

4° Qu’il fut deux fois légat d’Auguste, c’est-à-dire gouverneur de la province impériale consulaire de Syrie, gouvernement auquel était joint celui de la Phénicie ;

5° Enfin, qu’il survécut à Auguste, car c’est après la mort de cet empereur que le monument a été élevé, puisqu’on y lit : divi Augusti, du Divin Auguste,  l’épithète Divus ne se donnant jamais à un empereur qu’après sa mort.

Cela posé, M. Mommsen cherche, d’après les textes classiques et les monuments épigraphiques, à dresser la liste des légats de Syrie sous Auguste, avec la date et la durée de leur gouvernement[35].

1. Le premier légat impérial de Syrie fut M. Agrippa, qui avait, il est vrai, tout l’Orient sous son administration, ce qui n’empêche pas qu’il fût légat en titre de la Syrie, M. Mommsen distinguant, avec raison, dans ces pouvoirs extraordinaires, l’administration de l’Orient cum minore imperio de celle de la Syrie cum minore imperio[36]. Il en fut de même plus tard pour Germanicus[37]. Agrippa exerça le pouvoir pendant dix ans : de 731 à 741 de Rome, c’est-à-dire de 23 à 13 avant notre ère[38].

2. M. Tullius Cicéron, fils de l’orateur, fut légat de Syrie sans doute après l’année 741 (13 avant notre ère). Appien nous l’apprend[39], et une inscription le confirme[40]. Il avait été consul suffectus, en 724 (30 ans avant notre ère). Il faut considérer, qu’après Agrippa, la durée du gouvernement de Syrie fut, comme pour toutes les provinces impériales consulaires, de 2, de 3 ou de 5 ans ; mais, d’ordinaire, de 3 ans.

3. Vient ensuite M. Titius, consul, l’an de Rome 723 (31 avant notre ère), pendant le gouvernement duquel Phraate livra ses enfants, un peu après l’an 745 (9 avant notre ère)[41].

4. Après lui, dut venir C. Sentius Saturninus, consul de l’an 735 (19 avant notre ère), légat de Syrie en 746 (8 avant notre ère), comme cela ressort de nombreux passages de Josèphe[42], confirmés par Tertullien[43].

5. Ce fut P. Quinctilius Varus, consul de 741 (13 avant notre ère), qui lui succéda. Il gouverna la Syrie de 748 à 750 (6 à 4 avant notre ère). Les monnaies[44] et l’historien Josèphe[45] en font foi.

6. Le nom du 6e légat, ayant administré la Syrie de 750 à 753 (c’est-à-dire de l’an 4 à l’an 1 avant notre ère), nous manque.

7. C. César fut envoyé en Orient en 753 (l’an 1 avant notre ère), et y demeura quatre ans avec des pouvoirs exceptionnels, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, qui arriva en Lycie, le 21 février 757 (l’an 4 de notre ère). Il avait l’autorité proconsulaire, et avait pour mission d’organiser les provinces d’Égypte et de Syrie[46]. De même que ceux d’Agrippa, les pouvoirs de Caïus César impliquaient le gouvernement de la Syrie pendant ces années, car aucun autre gouverneur n’est nommé par les auteurs ni par les monuments.

8. Le 8e légat fut L. Volusius Saturninus, qu’il ne faut pas confondre avec C. Sextius Saturninus susnommé. L. Volusius avait été consul l’an 742 (12 avant notre ère), et il fut légat de Syrie de 757 à 758 (4 à 5 de notre ère)[47].

Le 9e légat fut P. Sulpicius Quirinius, consul de l’an 742, comme le précédent (12 avant notre ère), et légat de Syrie en 759 (6 de notre ère). D’après le témoignage certain de Josèphe, qui donne beaucoup de détails sur son administration et notamment sur le recensement qu’il fit faire en Judée à la déposition d’Archélaüs, c’est-à-dire Notre-Seigneur étant âgé de dix à douze ans[48], il dut rester dans cette province jusqu’en 763 (an 10 de notre ère).

10. Après P. Sulpicius Quirinius, le 10e légat fut Q. Cæcilius Metellus Creticus Silanus, consul de 760 (an 7 de notre ère), et légat de Syrie certainement en 763 et 764 (10 et 11 de notre ère), jusqu’en 770 (17 de notre ère)[49]. Il arriva au gouvernement de Syrie, par faveur exceptionnelle, après trois ans à peine de titre consulaire et il resta chargé de ce gouvernement sept ans environ, ce qui n’était pas non plus ordinaire ; mais Suétone en donne la raison[50].

Ainsi nous possédons, sauf pour un seul, la liste complète des légats de Syrie depuis 731 jusqu’en 770 de Rome, c’est-à-dire depuis l’an 23 avant notre ère, jusqu’à l’an 17 de notre ère.

1. M. Agrippa

731-741 de R. – 23 à 13 av. J.-C.

2. M. Tullius Cicéron

741-745 de R. – 13 à 9 av. J.-C.

3. M. Titius

745-746 de R. – 9 à 8 av. J.-C.

4. C. Sentius Saturninus

746-748 de R. – 8 à 6 av. J.-C.

5. P. Quinctilius Varus

748-750 de R. – 6 à 4 av. J.-C.

6.

750-753 de R. – 4 à 1 av. J.-C.

7. C. César

753-757 de R. — 1 av. J.C. à 4 ap. J.-C.

8. L. Volusius Saturninus

757-758 de R. – 4 à 5 ap. J.-C.

9. P. Sulpicius Quirinius

759-763 de R. – 6 à 10 ap. J.-C.

10. Q. Cæcilius Metellus

763-770 de R. – 10 à 17 ap. J.-C.

Essayons de remplir la lacune du 6e légat, de 750 à 753. Nous avons vu que l’inscription de Tivoli est relative à un personnage qui fut deux fois légat de Syrie sous le règne d’Auguste et qui lui survécut, d’où il résulte que ces deux gouvernements doivent se placer dans les quarante années que comprend notre liste, et que, par conséquent, un des neuf : légats que nous avons cités, exerça deux fois cette charge, savoir : une fois pendant les années que nous avons indiquées à la suite de son nom, une autre fois de 750 à 753. Quel est ce légat ?

Agrippa, Varus et C. César moururent avant Auguste, et par conséquent nous n’avons pas à nous en occuper. Il en est de même de Volusius Saturninus, qui fut proconsul de la province d’Afrique et non de celle d’Asie[51], et de Cicéron, qui fut, il est vrai, proconsul d’Asie et légat de Syrie, mais qui n’obtint pas les ornements du triomphe, ainsi que le prouvent d’autres inscriptions gravées en son honneur. M. Titius, qui fut consul en 31 avant notre ère, et devait, par conséquent, avoir alors 30 ans au moins, en aurait eu 70 à l’époque indiquée, et eut été trop âgé pour exercer le commandement dont il s’agit. Quant à Q. Cæcilius Metellus Creticus Silanus, comme il resta légat après la mort d’Auguste, si l’inscription l’eût désigné, elle eût porté après les mots legatus pro prætore divi Augusti, ceux de et Ti[erii] Caesaris Augusti.

M. Mommsen, ayant ainsi procédé par une élimination raisonnée et rigoureuse, il ne lui reste que deux noms auxquels puisse convenir le monument de Tivoli C. Sentius Saturninus et P. Sulpicius Quirinius.

Si Saturninus fût mort après Auguste, on s’étonnerait du silence de Tacite sur un aussi grand personnage, les Annales de cet écrivain commençant précisément à l’avènement de Tibère. Il ne reste d’ailleurs aucun souvenir d’un double gouvernement de Saturninus en Syrie, et enfin M. Mommsen démontre qu’il n’a point été proconsul d’Asie[52].

P. Sulpicius Quirinius est donc le seul personnage de notre liste que puisse regarder le monument de Tivoli.

Or, nous voyons, par Tacite[53], que Quirinius s’empara des forteresses des Homonades en Cilicie et obtint pour cela les ornements du triomphe, et qu’il fut ensuite donné pour conseil à C. César pendant son gouvernement d’Arménie. Strabon mentionne aussi la soumission des Homonades par Quirinius et il ajoute qu’ils avaient tué leur roi Amyntas[54] ; détails qui se rapportent parfaitement à l’inscription. M. Mommsen établit avec une égale rigueur, qu’il a dû obtenir deux supplications et exercer le gouvernement proconsulaire d’Asie, et il est évident, d’après Josèphe, qu’il a administré la Syrie l’an 6 de notre ère. Enfin, Tacite le fait mourir l’an 21 ; donc il a survécu à Auguste. Reprenant en conséquence toutes les données du problème, le savant professeur de Berlin propose, conformément à ces données et à celles de l’histoire, la restitution du monument de Tivoli. Cette restitution est certaine en ce qui regarde le nom de Quirinius et très probable pour le reste[55].

P. Sulpicius Quirinius, fils de Publius, consulpréteur. Il obtint comme proconsul la province de Crète et de CyrénaïqueLégat propréteur du divin Auguste de la province de Syrie et de Phénicie, il fit la guerre contre la nation des Homonades qui avait tué le roi Amyntas, et cette nation ayant été réduite en la puissance et sous les lois du divin Auguste et du peuple romain, le sénat décréta deux supplications aux Dieux immortels pour les succès qu’il avait obtenus et lui décerna les ornements du triomphe. Il obtint, en qualité de proconsul, la province d’Asie, et, en qualité de légat propréteur du divin Auguste, la province de Syrie et de Phénicie pour la seconde fois.

Le 6e légat de Syrie est donc P. Sulpicius Quirinius, de 750 à 753 de Rome (de 4 à 1 avant notre ère).

Reprenons maintenant la série des difficultés relatives au passage de saint Luc.

1° Nous avons vu, au début de ce travail, que Notre Seigneur est né avant l’an 4 (avant notre ère).

2° Aucun recensement universel n’a eu lieu entre l’an 8 avant notre ère et l’an 14 après.

3° Ces recensements, d’ailleurs, ne s’appliquaient qu’aux citoyens romains, qu’aux pays romains et jamais aux étrangers ; la Judée ne fut, comme on sait, soumise qu’à la déposition d’Archélaüs, l’an 6 de notre ère, Quirinius étant, pour la seconde fois, légat de Syrie, et opérant en effet le recensement de la Judée ; mais il est question dans Josèphe d’un recensement partiel et non de celui de la terre habitée.

4° On ne voit pas pourquoi Joseph et Marie, qui n’habitaient pas la Judée, mais la Galilée, seraient venus à Bethléem pour s’y faire recenser, sous le prétexte qu’en remontant plusieurs générations ils étaient originaires de ce pays.

La difficulté est donc complètement et clairement posée, sans réticence et sans ménagement. Voyons les diverses solutions qui en ont été proposées.

II

Si la traduction de M. Lutteroth pouvait être admise, il faut convenir que son système paraîtrait fort séduisant, car tout se trouverait concilié et expliqué. Mais le sens qu’il donne au texte de saint Luc est aussi imprévu qu’inadmissible. Considérant le lien qui paraît unir le dernier verset du chapitre Ier avec les premiers versets du chapitre II, il traduit :

Or le petit enfant (S. Jean) croissait et se fortifiait en esprit ; et il demeura dans les déserts jusqu’au jour de sa présentation à Israël.

En ces jours-là (c’est-à-dire lors de la présentation de S. Jean), on publia un édit de la part de César Auguste pour recenser toute la terre.

Ce premier recensement se fit pendant que Quirinius gouvernait la Syrie.

Et tous allaient pour être enregistrés chacun dans sa ville.

Joseph aussi monta de Galilée en Judée, de la ville de Nazareth à la ville de David appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, pour être enregistré avec Marie, la femme qu’il avait épousée étant enceinte.

C’est là aussi qu’ils étaient (jadis) quand le jour vint auquel elle devait accoucher ; et elle mit au monde son fils premier né, etc.

Ainsi, d’après M. Lutteroth, il y a enchaînement de temps entre la présentation de saint Jean à Israël et le recensement de Quirinius, et il faut bien reconnaître que le texte peut s’entendre ainsi pour ce premier passage. La présentation au temple étant la cérémonie qui s’accomplit à la majorité des jeunes Israélites, et cette majorité étant fixée à douze ans, il en résulte que, si le lien existe entre le dernier verset du chapitre 1er et les premiers versets du chapitre II de saint Luc, saint Jean aurait eu douze ans, et par conséquent Notre-Seigneur aurait eu onze ans et demi lors du recensement. Il s’agit donc, pour accorder cette première explication avec la suite, de montrer que Joseph est venu se faire enregistrer l’an 6 de notre ère, lors de la déposition d’Archélaüs et pendant que Quirinius, au témoignage de l’histoire profane, était légal impérial ou gouverneur de la Syrie. La naissance du Christ serait donc antérieure de douze années au recensement, et il ne s’agirait plus que de prouver un seul point, c’est que ce recensement fut universel et non local. Malheureusement le texte ne se prête pas à cette ingénieuse explication. Outre l’inconvénient grave qu’il y a à faire considérer presque comme un incident accessoire la naissance de Jésus-Christ, jamais aucun helléniste ne consentira à traduire : έγένετο δέ τώ εϊναι αύτούς έxεϊ, έπλήσθησαν αί ήμέραι τοΰ τεxεϊν άυτήν par c’est là aussi qu’ils étaient quand le jour vint auquel elle devait accoucher. C’est comme si saint Luc avait dit : A l’époque où saint Jean parvint à la majorité, eut lieu le recensement de Quirinius, et Joseph vint se faire enregistrer à Bethléem, ce qui me fait penser, puisque nous parlons de cette ville, que c’est là précisément que, douze ans auparavant, le Christ vint au monde.

Nous voulons bien admettre, avec M. Lutteroth, qu’il s’agisse dans le dernier verset du chapitre 1er, non du commencement des prédications de saint Jean, mais de la présentation au temple ; mais nous ne pensons pas qu’on doive attacher une grande importance à ces mots : En ces temps-là, qui commencent le récit du chapitre 1er. On sait que cette formule initiale dans les évangiles n’a pas le sens rigoureux qu’on veut lui attribuer ici et qu’elle ne forme pas nécessairement une attache entre ce qui précède et ce qui suit.

Mais ce qui nous paraît considérable dans l’étude de M. Lutteroth, c’est la réponse qu’il fait à l’objection capitale de l’inutilité du voyage de Joseph pour se faire enregistrer à Bethléem. Il montre, en effet, que ce n’était pas pour lui une obligation légale, mais un intérêt supérieur qui le portait à venir se faire inscrire dans cette ville et à revendiquer son origine de la tribu de Judas.

 Il tint, dit-il, à se faire inscrire comme les Juifs de la Judée, quoique l’édit ne lui fût pas applicable. Plus ce fait était exceptionnel, plus il méritait d’être mentionnéLa Galilée faisait partie de la tétrarchie d’Hérode Antipas. Celle-ci n’ayant pas été annexée à la Syrie, n’était naturellement pas sujette au recensement comme la JudéeJoseph, qui demeurait à Nazareth, n’aurait été tenu de se faire inscrire à Bethléem que s’il y avait possédé des biens soumis à l’enregistrement, d’après les prescriptions impériales[56]. Mais ce n’est pas là ce qui motiva son voyage. Saint Luc nous apprend qu’il se fit inscrire à Bethléem avec Marie, parce qu’il était de la maison et de la famille de DavidAinsi, ce ne fut pas pour se conformer à une disposition de l’édit, mais par une raison prise en dehors de l’édit et qui lui était personnelleIl profita de l’occasion qui s’offrait pour se faire donner acte (ainsi qu’à Marie) de leur qualité de Bethléemites, et perpétuer ainsi le souvenir de la glorieuse origine à laquelle ils avaient appris tous les deux à attacher de si grandes espérances[57]…, … Joseph et Marie savaient aussi bien que les archiprêtres et les scribes du peuple consultés par Hérode, que c’était là que le Christ devait naître[58].

En effet, Joseph n’ignorait pas les prophéties. Mais si le Christ fût venu au monde à Bethléem douze ans auparavant, la notoriété de ce fait eût suffit pour l’accomplissement des prophéties sans qu’il eût été besoin d’un enregistrement officiel.

M. Lutteroth fait naître Notre Seigneur l’an 6 avant notre ère, 748 de Rome.

Il en résulte que l’année du baptême de Jésus, lorsqu’il avait trente ans environ, serait de l’an 25 (778 de Rome) ; or, comme il faut que ce soit l’an 15 de l’empire de Tibère César (Luc, III, 1), cette date ne pourrait s’accorder avec la chronologie romaine, Auguste étant mort en 14 (767 de Rome) ; mais Saint Clément d’Alexandrie dit, dans le livre II des Stromates, que quelques-uns, au lieu de donner au règne de Tibère une durée de vingt-deux ans, lui en donnaient une de vingt-six ans six mois et dix neuf jours[59]. Or ceci nous reporte à l’an 764 (11 de notre ère) qui est celui où Tibère fut associé à l’empire. C’est l’année où, d’après le raisonnement très plausible de M. Lutteroth, il reçut une autorité égale à celle de l’empereur dans tontes les provinces et sur tontes les armées[60]. Ceci est confirmé par nu passage de Suétone, qui nous apprend que Tibère fit, à cette époque, la dédicace du temple de la Concorde[61]. Or Dion Cassius nous dit que cette dédicace eut lieu sons le consulat de M. Emilius Lepidus et de T. Statilius Taurus (LVI, 25) ; ces consuls sont de l’année 764.

Il est remarquable que la puissance pro consulaire confiée à Tibère en 764 s’exerça surtout en Orient. Il dut paraître tout simple, dans celles des provinces où la puissance proconsulaire de Tibère s’était le plus fait sentir, d’en tenir compte au prince qui continuait à régner et qui aimait à donner à son pouvoir le prestige de la durée[62]. C’est bien ainsi que Tertullien l’entend, puisqu’il place la crucifixion la 15e année du règne de Tibère, sous le consulat des deux Geminus[63]. Or ce consulat est celui de l’an 29. Il dit encore, en propres termes, qu’à partir de l’an 12 de Tibère César, le Seigneur fut révélé[64] ; c’est le baptême. C’est donc avec toute raison, selon nous, que M. Lutteroth, après avoir cité de pareilles autorités, dit que parler ainsi, ce n’est pas corriger saint Luc, mais que c’est l’expliquer (p. 67).

Ajoutons, comme l’a fait voir M. Wallon, que cette manière de compter les années de Tibère, d’expliquer le texte du IIIe chapitre de cet évangéliste et de rapporter la crucifixion au consulat des deux Géminus, était de tradition dans l’Église des premiers siècles[65].

Ce qui est aussi neuf que vraiment fort dans le mémoire de M. Lutteroth, c’est tout ce qui est relatif au recensement considéré comme universel, car il s’agit de justifier l’expression « toute la terre habitée[66], et personne ne l’avait prouvé par d’aussi bonnes raisons, en montrant tant de savoir et de sagacité. C’est avec tonte justice qu’il considère Auguste comme le restaurateur de la paix et de la sécurité des provinces et comme le réparateur des maux qu’elles avaient soufferts sous la République. Nous irons plus loin que lui encore, en affirmant que c’est par les provinces que César et Auguste ont préparé et fondé l’empire; que c’est par les provinces que l’empire a duré.

Auguste comprit, dit M. Lutteroth, qu’au lieu de les mettre (les provinces) au pillage, il fallait ne leur demander que ce qu’elles pouvaient réellement donner. De là un ensemble des mesures, étendues successivement à toutes les portions de l’empire, dans le but de préparer une plus équitable répartition des impôts d’après une base nouvelle. On commença par le mesurage des grandes circonscriptions territoriales. Il fut suivi du cadastre des biens-fonds, lequel devait servir de règle pour les impositions (p. 81).

C’est ce qui semble ressortir du texte même du livre des colonies, dont la rédaction originale est certainement du Ier siècle[67]. C’est du moins ainsi que le texte fut expliqué par Hemmerlein (Felix Malleolus) au XIVe siècle ; et cet écrivain a puisé ses renseignements à une source beaucoup plus ancienne. Or il dit que, le premier travail une fois terminé et la superficie de l’empire étant connue, Auguste rendit un édit pour faire exécuter le cadastre du monde[68].

Mais il n’est pas moins certain que Suidas, qui a écrit son Lexique, vraisemblablement, au Xe siècle, a rapporté une tradition fort ancienne et très authentique dans son fameux article sur le recensement universel : César Auguste confia à vingt personnages d’une vertu et d’une intégrité éprouvée le soin du recensement à faire dans les provinces. Ils firent le recensement des personnes et des biens, et l’empereur ordonna qu’une partie de ces listes fût déposée dans le trésor (ærarium). Ce fut le premier recensement. Il y avait en précédemment d’antres tributs levés d’après l’estimation de la fortune ; mais ces sortes de cens n’avaient rien de commun avec celui-ci. C’étaient de complets dépouillements et, à les voir faire, on aurait pu croire qu’aux yeux de l’autorité la richesse était un crime[69]. Suidas se sert des mêmes mots que saint Luc : Ce fut là le premier recensement, άυτη ή άπογραφή πρώτη έγένετο.

A ce témoignage, un peu trop moderne, il faut en convenir, et qui rappelle les paroles mêmes de l’Évangile, sans cependant perdre tout caractère historique, vient s’en ajouter un autre plus décisif et qui confirme l’authenticité du fait rapporté par Suidas. Il s’agit, cette fois, d’un monument épigraphique du Ier siècle, du fameux discours prononcé par Claude dans le sénat et que les Tables Claudiennes, découvertes à Lyon, en 1527, et déposées aujourd’hui au palais Saint-Pierre, dans cette ville, nous ont conservé. M. Lutteroth a en le grand mérite de mettre, le premier, en lumière le passage de ce monument épigraphique, relatif au cens, pour le rapprocher du texte de saint Luc.

Voici la traduction de ce passage (Claude parle des peuples de la Gaule) : Ils ont procuré à Drusus, mon père, en se tenant en repos pendant qu’il était occupé à soumettre la Germanie, une tranquillité parfaite et assurée sur ses derrières ; et cela, alors que ce qui l’occupait, quand il dut partir pour la guerre, c’était le cens, opération nouvelle alors et a laquelle les Gaulois n’étaient pas accoutumés[70].

L’Epitome de Tite-Live, qui n’est pas de lui, comme on sait, mais qui est certainement du 1er siècle, et qui est si précieux pour nous faire connaître le contenu des livres manquants, mentionne le cens fait par Drusus : A Druso census actus est[71]. Dans le livre suivant[72], il est parlé du désordre qui éclata en Gaule au sujet du cens, et qui fut apaisé (Et tumultus, qui ob censum exortus in Gallia erat, compositus).

Ce recensement dut avoir lieu en l’an 12 avant notre ère, 742 de Rome, car M. Lutteroth relève, avec toute raison, l’erreur de Grævius qui a confondu Drusus, père de Claude, patri meo Druso, avec Germanicus, frère de cet empereur[73] ; cette erreur, signalée par Brotier[74], a été, depuis, commise par beaucoup d’antres et le recensement de 742 (12 avant notre ère), s’est trouvé confondu avec celui de 767 (14 après notre ère), fait dans la Gaule par Germanicus et dont Tacite a parlé[75]. M. Huschke, qui a traité avec tant de détails la question qui nous occupe, ne connaît que deux recensements dans la Gaule, celui de 727 fait par Auguste lui-même (27 avant notre ère), et dont parlent Dion Cassius (LIII, 22) et l’Épitomé de Tite-Live (CXXXIV), et celui de 767 (14 de notre ère). Ce savant n’a pas échappé à la confusion signalée par M Lutteroth, car il renvoie au discours de Claude et à l’Epitome du livre CXXXVII pour le recensement de 742, et nous venons de voir que ce recensement fait par Drusus, père de Germanicus, est tout autre que celui de 767[76].

Jusque-là, le raisonnement de M Lutteroth nous parait exact pour établir : 1° le voyage de Joseph et de Marie entrepris, non sous l’empire d’une contrainte extérieure, mais volontairement et comme revendication d’origine ; 2° l’existence d’un recensement général du monde, précédé de l’opération du cadastre ; 3° les traces visibles de ce recensement général dans Suidas, chez les Agrimensores du 1er siècle, et la preuve évidente de l’application qui en fut faite à la Gaule (l’an 12 avant notre ère) d’après les Tables Claudiennes et l’Epitome de Tite-Live ; — ces trois points, également importants, nous paraissent désormais acquis à la science, et c’est aux savantes recherches et aux habiles raisonnements de M. Lutteroth qu’on le doit ; mais la conclusion qu’il tire de ces excellentes prémisses nous semble tout à fait inattendue. Lorsqu’on est arrivé, dit-il, à reconnaître la réalité du recensement de 742, ce cens partiel antérieur, fait dans les Gaules, me paraît rendre impossible de parler encore d’un recensement général, accompli simultanément, quelques années plus tard dans l’empire entier. [p. 98]

Il nous semble au contraire que, si l’édit d’Auguste a existé, comme cela paraît indubitable, si le temps où cet édit a été rendu est distinct de l’époque où il a reçu partout son application ; — ce qui est matériellement nécessaire, car on ne fait pas le cadastre et le recensement du monde en un jour, ni même en une année, ni même en dix, — il est encore plus difficile de rapprocher cet édit de l’an 6 de notre ère que de l’an 6 avant notre ère, puisqu’il a dû précéder l’an 12 avant notre ère dans le système de M. Lutteroth, la Gaule ayant commencé à être recensée pour la première fois, l’an 742 de Rome, en vertu de ce même édit, et la Syrie avec ses dépendances n’ayant dû l’être, pour la première fois également, que l’an 6 de notre ère, c’est-à-dire dix-huit ans plus tard. Loin de prendre au pied de la lettre, comme il le fait, le in illo tempore, ou in diebus illis έν ταϊς ήμέραις nous comprendrions plutôt : c’est vers cette époque qu’Auguste, etc., et en cela nous ne faisons que nous conformer à l’usage universellement établi en ce qui regarde cette formule vague des Evangiles. Ces mots, loin de désigner le moment même où Jean atteignit sa majorité, et de se rapporter uniquement au dernier verset du chap. Ier, embrassent visiblement, selon nous, tonte la période de temps comprise dans le 1er chapitre de saint Luc. Or ce chapitre 1er rapporte des événements antérieurs de bien des années à la majorité de Jean, puisqu’il raconte l’histoire de Zacharie et d’Elisabeth, à partir de la conception de cette dernière ; enfin, la preuve que les mots έν ταϊς ήμέραις doivent s’entendre dans le sens que nous leur donnons et qu’on leur donne communément, c’est que saint Luc se sert de cette même expression pour désigner vaguement, au v. 5 de ce chapitre 1er, le règne d’Hérode, le temps où régnait Hérode ; or Hérode a régné trente-quatre ans[77].

Si l’on vent donc bien laisser à cette expression son vague ordinaire et consacré ; si, par ces mots, on veut bien entendre comme on l’a toujours fait, une époque non limitée ; si l’on comprend qu’Auguste aura rendu son édit, non pas au temps de la majorité de Jean, non pas même au temps précis de la naissance du Christ, mais à l’époque des événements relatés au ch. 1er de l’Evangéliste, notre recherche se bornera à déterminer l’époque spéciale de l’application de ce fameux édit, dans tel ou tel pays, sans nous embarrasser de la date antérieure et inconnue à laquelle il fut rendu. La question se trouve donc étroitement resserrée, et nous n’aurons plus qu’à déterminer le temps où l’édit fut exécuté pour la Syrie et les pays qui en dépendaient ; nous montrerons que, si l’édit est universel et, — nous tenons à toutes les expressions de l’Evangile, — s’il s’applique à la terre habitée, c’est-à-dire à la portion du monde placée sous la dépendance plus ou moins directe de Rome, l’exécution de cet édit a été nécessairement partielle ; on conçoit en effet que son exécution simultanée dans tontes les provinces, eût été absolument impossible.

Dans les §§ 6 et 7 du chap. III de sa brochure, M. Lutteroth établit doctement que le recensement fait, selon Dion Cassius, en Italie seulement, par Auguste lui-même, pendant l’année 757 (4 de notre ère), n’a aucun rapport ni avec les recensements des citoyens romains dont les dates sont parfaitement connues, ni avec les recensements des provinces résultant de l’édit universel ; il prouve que ce recensement n’était pas fait en vue de l’impôt, puisque l’Italie n’en payait pas[78] et que les citoyens romains étaient exempts du tribulum ex censu depuis la dernière guerre de Macédoine[79], mais qu’il n’avait d’autre objet que le classement des personnes et le dressement de la liste des éligibles aux fonctions publiques. D’ailleurs ce recensement s’appliquait seulement à l’Italie. Voici le passage de Dion Cassius : Il (Auguste) fit lui-même le cens de ceux qui demeuraient en Italie et qui possédaient au moins deux cent mille sesterces. Quant à ceux qui étaient moins riches et quant à ceux qui résidaient hors de l’Italie, il ne les obligea pas à se faire inscrire, de peur d’agitation et de trouble. Toutefois, pour ne pas paraître faire ce cens en qualité de censeur, par la raison que j’ai dite précédemment, il se servit de la puissance proconsulaire et pour ce qui concerne le cens et pour faire l’épuration[80].

Il n’est question, dans ce qui précède ce passage et dans ce qui le suit, que de la réforme du sénat ; or, comme le dit M. Lutteroth, le mot grec qui exprime épuration, purification (xαθάρσιον), peut aussi bien s’appliquer à l’épuration du sénat qu’au lustre. De lustre, il n’y en eut pas certainement l’an 757, car Auguste en aurait parlé sur le monument d’Ancyre, et son autorité l’emporterait sur celle de Dion Cassius.

Mais l’explication proposée concilie tout. Qu’on remarque, en effet, que le cens de 757 eut lieu à l’occasion d’une troisième épuration du sénat et qu’Auguste se proposait, en faisant inscrire tous ceux qui possédaient au moins 200.000 sesterces (environ 50.000 francs du poids de notre monnaie), non pas seulement de comprendre les éligibles au sénat, mais à toutes les fonctions publiques, le cens de l’ordre équestre étant beaucoup plus élevé. Il était donc besoin d’un recensement complet et, par suite, d’une mesure plus générale que s’il se fût agi de dresser une liste d’éligibles aux plus hauts emplois.

Dans le dernier chapitre de son étude, M. Lutteroth examine le fameux passage de Tertullien, conçu en ces termes : Il est constant que des recensements ont été faits sous Auguste, et cette fois, en Judée, par Sentius Saturninus, et dans les rôles de ces recensements, ils auraient pu rechercher sa famille [celle du Christ][81].

Ainsi Tertullien désigne clairement ici Saturninus comme l’auteur du recensement. il y aurait donc contradiction entre ce passage et celui de saint Luc.

Contentons-nous de remarquer que C. Sentius Saturninus n’est pas désigné par Tertullien comme étant alors gouverneur de Syrie, mais comme ayant fait le cens, et que l’Evangile ne dit pas que c’est Quirinius qui a fait ce recensement, mais bien que ce recensement s’est fait pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie[82] ; rien n’empêche en effet de considérer le membre de phrase concernant Quirinius comme un génitif absolu. Il est vrai que la chronologie de Tertullien, relativement à la naissance du Christ, est fort embrouillée; en effet, comme il le fait mourir l’an 15 de Tibère, et qu’il ne lui donne que trente ans d’âge[83], il devait être né, selon lui, en 751 ou 752 (3 ou 2 avant notre ère), ce qui est impossible, puisque Hérode mourut en l’an 4 et que Jésus naquit sous Hérode, sans contestation possible.

Il n’est donc pas utile de discuter les dates de Tertullien, la chronologie des années de Jésus-Christ n’étant pas astronomiquement fixée pour lui, comme elle l’est aujourd’hui pour nous, en ce qui concerne sa naissance ; mais il n’en est pas de même de la question du recensement C’est cette distinction que M. Lutteroth n’a point faite, car il combat la donnée relative à Saturninus à l’aide des dates, évidemment fausses, fournies par cet écrivain.

M. Lutteroth n’hésite pas à reconnaître, dans le recensement mentionné par Tertullien, celui de l’an 6 fait par Quirinius, et il propose d’associer à ce recensement Sentius Saturninus. Il fait donc de ce dernier un magistrat spécialement délégué en l’an 6 pour faire le recensement de la Judée, pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. C’est là assurément une supposition toute gratuite ; mais nous verrons plus loin le parti qu’on en peut tirer, et il n’est pas besoin de supposer que ce Sentius Saturninus soit autre que le personnage consulaire qui avait été gouverneur de Syrie de 746 à 748 (de 8 à 6 avant notre ère) ; seulement il n’était plus légat, et avait pu, sans descendre, — ce que M. Lutteroth paraît ignorer, — remplir la fonction exceptionnelle dont il s’agit[84]. C’était une tradition acceptée dans les premiers siècles de l’Église[85], que le recensement avait été fait par Quirinius, et il ne nous paraît pas que cela importe au débat, comme semble le croire M. Lutteroth. En effet, c’est l’Évangile qui sert de base à cette tradition, et personne ne s’embarrasse de l’accorder avec Tertullien. De même, il nous paraît superflu de nous arrêter à un passage de saint Cyrille qui cite l’empereur Julien, celui-ci donnant à entendre que Jésus aurait été enregistré avec son père et sa mère[86]. D’abord c’est Julien qui le dit et son témoignage en cette matière est assez suspect ; ensuite rien ne prouve que les enfants n’étaient pas enregistrés dans ce recensement exceptionnel ; car non seulement il était fait en vue de la capitation, mais aussi sans doute en vue de l’inscription de la population.

Ainsi, que Jésus ait été enregistré ou non, cela ne prouve pas que le recensement ait été fait lorsqu’il était imposable, c’est-à-dire lorsqu’il avait passé douze ans, comme M. Lutteroth le voudrait pour appuyer sa thèse.

Pour nous résumer, le mémoire de ce savant renferme d’excellentes parties ; il y a établi des vérités importantes, qui ont fait faire un pas considérable à la question ; mais la conciliation qu’il tente entre le recensement de saint Luc et celui de l’an 6, c’est-à-dire ce qui fait le fond même du travail, ne nous paraît pas admissible, et c’est bien à tort qu’il croit n’avoir fait aucune violence au texte ; il en a fait au contraire une très grande, ainsi que nous l’avons montré dans la première partie de ce travail.

Examinons maintenant la solution proposée par M. le professeur Aberle, de Tübingen.

Comme ce travail n’a paru qu’en allemand, dans un recueil peu répandu, et que M. Wallon est le seul, à notre connaissance, qui en ait parlé, en dénaturant même le nom de l’auteur, nous allons en donner d’abord une analyse fidèle.

III

Le docteur Strauss, dit M Aberle, sans dissimuler qu’il se croit sûr de son fait, et sans manquer une Si belle occasion d’accabler de ses dédains et de ses railleries l’évangéliste saint Luc, émet hardiment l’opinion suivante au sujet du recensement que le troisième Évangile (ch. XI, v. 2) mentionne comme ayant eu lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie :

L’évangéliste Luc a antidaté cet événement de dix ans, attendu que Quirinius n’a été gouverneur de Syrie que plusieurs années après la mort d’Hérode (en l’an 6 de notre ère, après la déposition d’Archélaüs), et attendu aussi qu’il ne l’avait jamais été auparavant[87].

M. le professeur Aberle ne peut adopter cette opinion sans examen préalable, et il se pose successivement les deux questions suivantes :

I. Est-il vrai que Quirinius ait été gouverneur de Syrie en l’an 6 de notre ère ?

II. N’est-il pas vrai qu’il l’ait été avant cette époque ?

La plupart des savants répondent affirmativement à la première de ces questions, en s’appuyant sur des textes de l’historien Josèphe et sur des inscriptions.

Les textes de Josèphe sont au nombre de cinq. Après les avoir cités, M. le professeur Aberle fait remarquer qu’aucun d’eux n’attribue expressément à Quirinius le gouvernement de la Syrie, qu’aucun d’eux n’appelle Quirinius ήγεμών de cette province. La réponse affirmative que l’on fait à la question ci-dessus repose donc uniquement sur des inductions tirées des textes et non sur les textes eux-mêmes. M. Aberle se trouve assez embarrassé pour apprécier la valeur de ces inductions, attendu que personne n’ayant songé, jusqu’aujourd’hui, à mettre en doute ce fait — que Quirinius devint gouverneur de Syrie après la mort d’Archélaüs, — on n’a encore jamais senti la nécessité de le prouver, et M. Aberle se voit réduit à formuler lui-même, sauf à les combattre ensuite, les arguments que l’on pourrait être tenté d’invoquer pour répondre affirmativement à la question susdite.

Il n’en voit que deux qui aient une apparence de justesse :

Josèphe nous enseigne que Quirinius fut chargé de faire en l’an 6 un recensement en Syrie ; de là on induit qu’il était alors gouverneur de cette province.

C’est en effet une opinion assez généralement accréditée de penser que dans les provinces romaines les gouverneurs étaient eux-mêmes chargés des recensements ; mais elle n’en est pas moins erronée pour cela. Entre autres modifications qu’eut à subir le cens à l’époque de l’établissement de l’empire, il faut noter celle qui eut pour effet de décharger complètement du soin de cette opération les gouverneurs qui n’étaient pas proconsuls ; c’est là un fait reconnu par tout le monde et au sujet duquel M. Huschke s’exprime de la façon suivante :

… Ainsi les provinces de l’empereur seules (par opposition à celles du sénat) jouissaient, comme autrefois le peuple romain, du bienfait d’un pareil traitement (traitement qui consistait à charger du recensement d’une province un commissaire spécial).

L’empereur peut bien, continue M. Aberle, avoir quelquefois — et exceptionnellement — chargé le gouverneur d’une province impériale d’y faire un recensement ; mais un fait de cette nature ne se présumera jamais, il faudra toujours, pour qu’il mérite quelque créance, qu’il soit appuyé de preuves suffisantes.

Huschke croit bien avoir trouvé trois cas présentant ce caractère exceptionnel ; il cite comme tels les recensements de Saturninus et de Quirinius, et un troisième recensement qui aurait été fait par C. Julius Cornutus Tertulius, en Aquitaine.

M. Aberle commence par réfuter Huschke au sujet du dernier de ces trois cas. Il passe ensuite au deuxième : Nous savons, dit-il, que Saturninus fut gouverneur de Syrie et que son successeur fut Varus ; nous savons aussi, d’après Tertullien, que ce même Saturninus fit un recensement en Judée au temps de la naissance du Christ ; mais nulle part il ne se trouve mentionné que l’époque de ce recensement ait coïncidé avec l’époque à laquelle Saturninus fut gouverneur ; personne n’a le droit de présumer cette coïncidence, et la règle générale que nous avons donnée plus haut nous oblige, à défaut de preuves établissant le contraire, à admettre que Saturninus n’était plus gouverneur de Syrie quand il fit son recensement en Judée.

Il en est de même pour Quirinius : nous sommes certains que ce dernier fit, en l’an 6, un recensement en Judée (ou en Syrie) ; de là il faut bien conclure qu’il n’était pas, à la même époque, gouverneur de Syrie, puisque nous n’avons pas la moindre preuve nous autorisant à penser le contraire (ce n’est certes pas une preuve que la fameuse inscription de Q. Æmilius Secundus, sur la fausseté de laquelle les recherches des épigraphistes Marini, Orelli, Borghesi, Henzen, Mommsen et Zumpt ne laissent pas l’ombre d’un doute).

Les trois cas cités par Huschke ne font donc que confirmer la règle générale, qui se trouve, par suite, être une règle sans exceptions.

Concluons donc sur ce point, en décidant que le premier argument présenté comme devant faire résoudre affirmativement la question proposée, exige au contraire qu’on y réponde négativement.

On pourrait être tenté de tirer un second argument, à l’appui du système que combat M. Aberle, des fonctions judiciaires que les textes de Josèphe attribuent à Quirinius. Cet argument reposerait sur une fausse traduction donnée par Gélénius, qui rend l’expression διxαιοδότης τοΰ έθνους de l’historien juif, par celle-ci : ut jura populis redderet. Il n’est pas difficile de voir qu’en traduisant de cette façon, Gélénius avait dans l’esprit l’idée de la juridiction ordinaire des gouverneurs, et qu’il a cherché, en partant de ce point de vue, à rectifier le passage de Josèphe, — attendu que la province de Syrie comprenant plusieurs peuplades, — cette manière de procéder était évidemment vicieuse ; si Josèphe avait voulu désigner Quirinius comme gouverneur de la Syrie, ayant sous sa juridiction cette province entière, il n’aurait pas manqué d’écrire : τών έθνών ; tandis qu’en écrivant τοΰ έθνους, lui, historien juif, ne peut avoir eu en vue que le peuple juif.

En outre, nous savons que l’expression grecque διxαιοδότης répond au latin juridicus ; or le gouverneur de Syrie avait, de plein droit, en sa qualité de legatus Cæsaris pro prætore, la juridiction ordinaire ; il n’avait pas besoin, pour pouvoir l’exercer, d’être nommé aux fonctions de juridicus, et le texte de Josèphe, en énonçant que Quirinius avait à exercer spécialement ces fonctions-là, nous fait, par cela même, entendre qu’il n’avait pas, à l’époque dont il s’agit, la qualité de gouverneur de la province.

Ainsi les arguments que l’on pourrait, à la rigueur, invoquer pour essayer d’établir que Quirinius a été, en l’an 6, gouverneur de la Syrie, prouvent précisément le contraire, et démontrent clairement que la mission de ce personnage était une mission extraordinaire ; Josèphe la définit : ύπό Καίσαρος διxαιοδότης τοΰ έθνους άποσταλμένος xαί τιμητής τών ούσιών γενησόμενος, ce qui n’est autre chose que la traduction libre du latin : Legatus Cæsaris provinciæ Judææ juridicus, et censuum accipiendorum[88], formule dont les expressions se retrouvent dans un grand nombre d’inscriptions. Un seul point ici peut sembler étonnant : c’est le cumul des deux titres : Legatus juridicus et legatus censuum accipiendorum. M. Aberle avoue, en effet, qu’il n’a pas rencontré d’autre exemple d’un pareil cumul; mais il s’attache en même temps à démontrer, par des considérations historiques, qu’il n’en résulte ici, ni une anomalie, ni même une invraisemblance; bien plus, après avoir examiné et commenté les textes de Josèphe dans lesquels se trouvent détaillés les divers pouvoirs dont était investi Quirinius, il affirme sans hésiter qu’à la double mission confiée à ce dernier correspondait exactement le double titre précité, et qu’ainsi Quirinius a dû inévitablement se voir, à l’époque dont il s’agit, qualifier officiellement de legatus Cæsaris provinciæ Judææ juridicus et censuum accipiendorum.

De là, M. Aberle tire la conséquence que Quirinius était simplement legatus Cæsaris, et non pas legatus Cæsaris pro prætore ; s’il avait été legatus Cæsaris pro prætore, Josèphe n’aurait certainement pas manqué d’en faire mention expresse ; or, non seulement l’historien est absolument muet sur ce point, mais encore il nie implicitement que Quirinius ait eu la propréture ; il oppose en effet Quirinius à Coponius, et attribue à ce dernier l’autorité suprême ; par cette opposition il fait sentir que Quirinius lui, ne l’avait pas, et, par suite, n’était pas legatus pro prætore.

Au moyen de ces considérations, M. Aberle croit obtenir une preuve de plus à l’appui de cette assertion que Quirinius n’était pas, en l’an 6, gouverneur de Syrie, car il aurait fallu, pour qu’il le fût, qu’il fût propréteur.

Enfin l’auteur de la brochure fait remarquer que, si Quirinius avait été envoyé en Syrie en qualité de gouverneur, Josèphe n’aurait pas dit de lui qu’il arriva dans cette province σύν δλίγοις ; tout le monde sait quel cortége nombreux les gouverneurs étaient dans l’usage de s’adjoindre.

Conclusion de tout ce qui précède : 1° les textes de l’historien Josèphe ne fournissent pas la moindre preuve établissant que Quirinius ait été gouverneur de Syrie en l’an 6. — tout au contraire.

2° Inscriptions ; elles sont au nombre de deux :

La première est celle d’Æmilius Secundus, — dont nous avons déjà parlé, — et sur laquelle il serait superflu de s’étendre.

La seconde est celle dont nous avons donné la restitution, d’après M. Mommsen, dans la première partie de cette étude.

Il manque, poursuit le savant professeur, à cette inscription le commencement et la fin, et l’on ne connaît ni le nom de l’homme auquel elle se rapporte, ni le but pour lequel ce dernier a été envoyé par Auguste, en Syrie et en Phénicie, en qualité de legatus. On en est sur ces deux points réduit aux conjectures, ce qui rend dès l’abord la dite inscription impropre à être opposée aux données si claires, tirées des textes de Josèphe.

Cependant, comme beaucoup de personnes attachent à cette inscription une grande importance, M. Aberle l’examine à son tour.

Huschke croit qu’il s’agit de M. Agrippa.

Zumpt, de son côté, pense qu’il ne peut y être question que de Saturninus.

Enfin, — et c’est de cette dernière opinion seulement que nous avons à nous occuper ici, — Sanclemente s’est attaché à prouver qu’elle ne pouvait se rapporter qu’à Quirinius ; cette manière de voir est partagée par MM. Mommsen et Henzen, et, paraît-il, aussi par Borghesi.

Ces savants invoquent, comme établissant une première présomption à l’appui de leur opinion, l’épithète de Divus donnée à Auguste ; cette épithète prouve, suivant eux, que le héros de l’inscription, — contemporain d’Auguste, — a dû nécessairement survivre à cet empereur.

M. Aberle fait remarquer que raisonner ainsi, c’est présupposer que l’inscription a été composée du vivant, ou tout au moins immédiatement après la mort du personnage en question. Les choses peuvent bien en effet s’être passées de cette façon ; mais on peut faire, avec tout autant de raison, l’hypothèse contraire, — et, dans ce dernier cas, Auguste aurait pu être qualifié de Divus, quand même sa mort aurait été postérieure à celle de son legatus.

On peut donc affirmer seulement que l’inscription a été composée après la mort d’Auguste, mais il n’est nullement certain que le legatus en l’honneur duquel elle a été faite, ait survécu à cet empereur.

Il faut, dit-on encore, que ce legatus ait été gouverneur de Syrie par deux fois, particularité qui ne se vérifie que pour Quirinius. C’est faire une pétition de principe, car c’est s’appuyer précisément sur le fait que l’on veut démontrer : on explique l’inscription par Josèphe, et Josèphe par l’inscription.

M. Aberle, tout en faisant remarquer combien sont peu sérieux les motifs de voir en Quirinius le personnage auquel l’inscription fait allusion, avoue que les raisons de repousser cette opinion sont elles-mêmes loin d’être suffisantes ; aussi veut-il rechercher si, en admettant que ce soit réellement de Quirinius qu’il s’agisse, on ne trouve, dans la teneur de l’inscription, rien qui soit en contradiction avec les résultats obtenus jusqu’ici. Il n’y a naturellement à considérer dans cette recherche que la dernière ligne, dans laquelle il faut, conformément à l’avis de tous les épigraphistes, ajouter le mot legatus devant Divi Augusti, — et traduire Ph. par Phæniciam ou Phænicem. L’inscription ainsi complétée, le seul fait qui en ressorte clairement, c’est que Quirinius (en raisonnant dans l’hypothèse que c’est de lui qu’il s’agit) aurait eu deux fois, sous Auguste, la qualité de legatus Cæsaris. Quant à la question de savoir si c’est les deux fois, ou seulement la seconde, que la Syrie et la Phénicie ont été le théâtre de son activité, nous ne pouvons déjà plus l’élucider avec certitude ; ce point du reste nous importe peu, car en admettant même que Quirinius ait été legatus Cæsaris en Syrie et en Phénicie par deux fois, nous ne nous trouverions pas en contradiction avec les données que Josèphe nous a fournies ; rien ne nous empêcherait en effet d’admettre que l’une des legationes mentionnées dans l’inscription soit la même que celle dont parle l’historien, et que l’autre nous soit restée inconnue.

Quoiqu’il en soit, les deux sources s’accordent parfaitement sur le point essentiel : pas plus que les textes de Josèphe, l’inscription n’attribue à Quirinius le gouvernement de Syrie ; car elle ne fait mention que d’un simple legatus Divi Augusti, et non pas d’un legatus divi Augusti PRO PRÆTORE. — Et personne certes ne voudra prétendre qu’il y ait jamais eu ou pu avoir un gouverneur de Syrie qui ne fût pas pro prætore.

Ainsi se trouve résolue, conclut M. Aberle, la première des deux questions qu’il s’était posées en face de la double affirmation de Strauss. Prétendre que Quirinius a été gouverneur de Syrie en l’an 6, c’est rester dans le domaine de l’imagination ; historiquement, cette assertion est un non-sens. Il ne se charge pas d’expliquer comment une si fâcheuse erreur a pu prendre naissance, et s’accréditer aussi généralement ; mais il fait remarquer qu’elle daterait difficilement d’une époque antérieure au IIIe siècle ; car ce fut seulement alors que tomba en ruines, sous Constantin, l’antique organisation de l’empire romain, telle que l’avait établie Auguste. — C’est certainement aussi à une époque postérieure au IIIe siècle que se fit jour l’opinion dans laquelle on interprétait le texte de saint Luc, en tirant de ce texte la conclusion que Quirinius avait opéré lui-même le recensement coïncidant avec la naissance du Christ. Avant le IIIe siècle, on aurait regardé comme absurde une pareille interprétation : le cens était un accablant fardeau qui pesait sur chacun des sujets de l’empire, sans exception ; aussi personne, bien certainement, n’ignorait comment il y était procédé, et tout le monde savait parfaitement que le soin de cette opération n’incombait jamais aux gouverneurs des provinces impériales. — Nous avons du reste un autre motif de penser qu’avant le IIIe siècle, il n’était venu à l’idée de personne d’interpréter le texte de saint Luc de la façon que nous avons dite : Tertullien rapporte, sans plus amples développements, que le recensement fait à la naissance du Christ fut opéré par Saturninus. S’il avait supposé qu’on pût avoir l’idée, en lisant le texte de saint Luc, de regarder ce recensement comme l’oeuvre de Quirinius, il n’aurait pas manqué d’entrer dans quelques détails à ce sujet, tandis qu’il ne mentionne même pas le nom de Quirinius.

Le trait dirigé par Strauss contre l’évangéliste vient donc frapper tout autre part que le savant critique ne l’avait espéré : en effet, aux yeux de Strauss, comme aux yeux de tout le monde, saint Luc devait nécessairement savoir que le recensement de l’an 6 avait été opéré par Quirinius. Or, en admettant ce point, Strauss convient par là même (contrairement à son assertion citée en tête de ces pages) que l’άπογραφή dont il est parlé dans Luc (II, 2), ne peut pas le moins du monde être le recensement de l’an 6, antidaté, — puisque l’évangéliste, en remarquant expressément que cette άπογραφή eut lieu sous le gouvernement de Quirinius, affirme ainsi implicitement qu’elle ne fut pas l’oeuvre de ce dernier, qui se rattacha à elle simplement comme tous les magistratus eponymi se rattachaient aux événements dont leurs noms servaient à préciser la date.

M. Aberle passe à la seconde question, qu’il se pose en ces termes :

Saint Luc ne s’est-il pas trompé en attribuant à Quirinius le gouvernement de Syrie à une époque antérieure à l’an 6 ?

Cette donnée de saint Luc, à savoir que Quirinius était gouverneur de Syrie à l’époque de la naissance du Christ, est une nouvelle historique comme une autre, et nous devrons la tenir pour vraie tant qu’il ne nous sera pas démontré, ou qu’elle est en elle-même absolument impossible, ou bien qu’elle se trouve en contradiction avec quelque autre témoignage digne de foi.

Quirinius fut consul en l’an de Rome 742, et se vit par suite octroyé un pro consulat en 747 ; un an plus tard, il réunissait donc toutes les conditions voulues pour remplir les fonctions de gouverneur de Syrie, fonctions qu’Auguste avait l’habitude de ne confier qu’à des personnages consulaires. Ainsi le fait rapporté par saint Luc ne renferme en lui-même aucune impossibilité.

Mais, aux yeux de plusieurs personnes, il se trouve démenti par des preuves établissant qu’à l’époque de la naissance du Christ, la Syrie était gouvernée, soit par Saturninus, soit par Varus.

Ce sont ces preuves dont il s’agit maintenant d’apprécier la valeur.

Pour soutenir que Saturninus était gouverneur de Syrie lors de la naissance du Christ, on s’appuie sur une donnée de Tertullien, d’après laquelle le recensement qui eut lieu à cette époque fut l’oeuvre de Saturninus. Que l’on remarque bien ceci : Tertullien ne dit pas du tout que ce fut eu qualité de gouverneur que Saturninus opéra le recensement dont il s’agit ; c’est là une simple conclusion que l’on tire du texte de Tertullien, en présupposant que l’opération du cens rentrait dans les attributions des gouverneurs.

Ce raisonnement se trouve en apparence justifié par la circonstance que Saturninus fut effectivement gouverneur de Syrie à une époque assez rapprochée de la naissance du Christ ; il succéda à Titius en 743 ou 744[89], et fut lui-même, dès l’année 747[90], remplacé dans ces fonctions par Varus.

En combinant ces dates avec la conclusion tirée de Tertullien, on crut avoir trouvé, non seulement une preuve à l’appui de cette conclusion, mais encore un point de repère pour fixer l’année de la naissance de Jésus. Le bel ouvrage de Sanclemente : De vulgaris æræ emendatione, n’est autre chose que le développement de ce point de vue ; l’auteur était tellement convaincu de la justesse de ses appréciations, qu’il demanda au pape Pie VI de faire ajouter six années à l’ère chrétienne (l’an I de cette ère correspond à l’an 753 de la fondation de Rome) ; naturellement le pape n’y consentit pas, et il eut raison ; la circonstance que le recensement fait, lors de la naissance du Christ, a été opéré par Saturninus, prouve précisément, selon M. Aberle, qu’à cette époque un autre était gouverneur de la province, et, si Saturninus a rempli cette fonction à une époque antérieure, il a dû nécessairement en être déchargé dans l’intervalle. Il est probable qu’Auguste se décida à le renvoyer en Syrie en qualité de recenseur à cause de la connaissance qu’il avait acquise du pays et de ses habitants pendant la durée de son gouvernement.

L’objection qui repose sur l’époque du gouvernement de Varus, est plus sérieuse.

D’après les évangélistes, le Christ est né avant la mort d’Hérode, par suite avant le mois d’avril de l’année 750.

D’un autre côté, Tacite rapporte qu’un certain Simon, prétendant au trône après la mort d’Hérode, fut châtié a Varo obtinente Syriam[91]. — De même, Josèphe rapporte une série d’actes émanés de Varus, desquels il résulte que ce dernier avait encore, après la mort d’Hérode, le pouvoir militaire suprême sur toute la Syrie. Josèphe appelle même Varus Συρίας στρατηγός[92].

Il semble donc qu’on ne puisse se dispenser d’admettre qu’à la mort d’Hérode c’était encore Varus qui était gouverneur de la Syrie.

M. Aberle pense qu’on pourrait à la rigueur concilier cette conclusion avec le texte de saint Luc, et voici comment le recensement commencé par Saturninus, continué sous Varus, interrompu par la mort d’Hérode et par les événements qui suivirent, ne put être achevé que par Quirinius ; de telle sorte que saint Luc, en parlant des opérations préliminaires, a pu déjà donner au recensement le nom qu’il prit de celui qui le termina ; mais M. Aberle n’adopte pas cette explication, qu’il regarde comme trop hasardée, et il cherche par une autre voie la solution de la question.

L’idée qu’on s’est toujours faite, dit-il, que Quirinius devait avoir lui-même opéré le recensement dont parle saint Luc, a empêché jusqu’aujourd’hui de remarquer un point qui était cependant assez manifeste pour ne pas échapper à l’attention des savants : il est hors de doute que Quirinius a pu être gouverneur de Syrie, — et remplir en cette qualité le rôle de magistrat éponyme, — longtemps avant d’avoir mis les pieds dans le pays. On devenait gouverneur, non pas dans les provinces, mais à Rome, et c’était l’empereur lui-même qui nommait (toutes les fois, bien entendu, qu’il ne s’agissait pas d’une province du sénat). Le personnage choisi était véritable gouverneur à compter du jour du décret qui l’avait nommé, et jouissait des distinctions honorifiques ainsi bien que des émoluments attachés à ce rang ; la permission de se rendre dans la province qui était confiée à un magistrat, était tout à fait distincte de sa nomination ; souvent on faisait attendre longtemps cette permission ; dans certains cas même, on ne l’accordait pas du tout. C’est ainsi qu’il se trouva des gouverneurs qui, pendant tonte la durée de leur gouvernement, ne virent pas leur province une seule fois ; cette particularité semble ne pas avoir été rare sous le règne de Tibère, duquel Tacite nous dit : Qua hæsitatione postremo eo provectus est ut mandaverit quibusdam provincias quos egredi non erat passurus. — Ajoutons que les hommes dont il s’agit n’avaient pas seulement le titre de gouverneur ; ils remplissaient réellement les fonctions qui y étaient attachées (voir Suétone), en faisant exécuter par des legati ou adjutores les missions qu’ils recevaient directement de l’empereur.

M. Aberle cite plusieurs exemples, tous d’une époque postérieure à celle qui nous occupe ; et il convient qu’il est possible en effet que, sons le règne d’Auguste, de pareils faits ne se soient produits que rarement, et seulement pour de bonnes raisons ; mais personne, ajoute-t-il, ne voudrait affirmer qu’il ne s’en soit présenté absolument aucun ; la manière dont Tibère procédait n’était certainement pas, en tous points, une innovation, mais devait, au contraire (et cela rentre bien dans le caractère de cet empereur), se rattacher à des errements remontant au règne d’Auguste.

Dans le cas où le départ d’un gouverneur pour son commandement était retardé, ce gouverneur ne pouvait guère, de Rome où il était retenu, organiser l’administration de sa province ; aussi est-il probable qu’il ne se faisait précéder que de ses commissaires des finances, — pour sauvegarder ses intérêts, — et que, quant au reste, son prédécesseur continuait à administrer jusqu’à son arrivée : d’autant plus qu’il était interdit au prédécesseur de quitter la province avant ce moment-là.

En appliquant ce que nous venons de dire au cas particulier qui nous occupe, ne voit-on pas qu’il est très possible que Quirinius fût déjà gouverneur de Syrie à une époque à laquelle Varus faisait encore dans cette province acte de souveraineté ? Les données de Tacite et de Josèphe ne contredisent en aucune façon cette hypothèse, car l’expression obtinere, dont se sert le premier de ces historiens pour désigner la situation de Varus en Syrie, s’emploie de fonctions très diverses, et n’implique pas nécessairement l’idée que Varus fût à ce moment-là le gouverneur de la province. — Quant à ce qui est du titre de στρατηγός Συρίας, que Josèphe donne à Varus, personne ne niera que l’historien bel esprit ait pu se montrer peu exact en matière de qualifications de ce genre, et écrire στρατηγός ; dans le sens de ήγεμών (ce point, il est vrai, n’est pas susceptible de démonstration, et ne laisse pas que de constituer une véritable difficulté).

Disons encore que l’apparition de Sabinus, telle que l’historien juif nous en fait le récit, devient tout à fait inexplicable dans l’hypothèse que Varus était encore, après la mort d’Hérode, le véritable gouverneur de cette province : Josèphe appelle expressément Sabinus le procurator de Syrie (ό Συρίας έπίτροπος ou bien : Καίσαρος έπίτροπος τών έν Συρία πραγμάτων)[93] ; sa mission ne se bornait donc pas, comme on pourrait le croire, à une occupation provisoire des Etats d’Hérode, mais embrassait au contraire la Syrie tout entière; et cependant Sabinus ne paraît pas avoir été hiérarchiquement subordonné à Varus; les textes nous montrent Varus obligé de traiter avec Sabinus, et signalent expressément les concessions faites par ce dernier comme des marques de complaisance de sa part. Or, Si, à cette époque, Varus avait encore été gouverneur, ayant Sabinus pour procurator, il est probable qu’au lieu de traiter il aurait commandé. On est, par suite, autorisé à penser que Sabinus était le procurator d’un autre gouverneur, successeur de Varus, et, comme nous savons positivement qu’il arriva en Syrie avant ce successeur, il est très possible que le gouvernement militaire de cette province ait été pour quelque temps maintenu à Varus, tandis que le successeur de ce dernier se voyait momentanément remplacé par Sabinus dans l’administration politique.

Ainsi s’expliquerait non seulement la situation réciproque de Sabinus et de Varus, mais encore la qualification impropre de στρατηγός donnée à ce dernier.

M. Aberle va plus loin :

Remarquons, dit-il, ce qui se passe aujourd’hui en Angleterre relativement à l’administration des possessions indiennes ; nous voyons s’y dessiner chez les hommes d’État deux tendances bien distinctes ; les uns cherchent autant que possible à conserver les princes indigènes ; les autres, au contraire, préconisent de tout leur pouvoir le système des annexions. — Ces deux mêmes points de vue politiques divisaient les esprits à Rome au temps d’Auguste ; Varus semble avoir été partisan du premier ; quant à Quirinius, qui coopéra plus tard à la confiscation de la souveraineté d’Archélaüs, nous devons penser qu’il préférait le second ; or Sabinus, lui aussi, doit être compté parmi les adeptes du second système, car nous savons par Josèphe qu’il se mit en opposition directe avec Varus, en soutenant le parti juif qui réclamait d’Auguste l’administration romaine sans intermédiaire. — Ne pourrait-on pas induire de cet aperçu que le gouverneur qui succéda à Varus en Syrie, et dont Sabinus fut le procurator, était précisément Quirinius ?

M. Aberle ne prétend pas donner à tout ce développement relatif à Sabinus plus d’importance qu’il n’en mérite. — Il se borne à constater un seul point, savoir que la façon dont il comprend la situation réciproque de Quirinius et de Varus, loin de se trouver en contradiction avec les textes de Josèphe, est au contraire la seule qui permette de résoudre les difficultés présentées par le récit de l’historien juif ; — et il se sent en droit d’affirmer que Quirinius peut avoir été gouverneur de Syrie à une époque à laquelle se placent encore des actes d’autorité émanés de Varus.

M. Aberle fait encore un pas de plus, et indique les raisons qui engagèrent Auguste à nommer Quirinius gouverneur de Syrie dès avant la mort d’Hérode, et à le retenir provisoirement a Rome. Il entre à ce sujet dans des considérations historiques sur lesquelles il s’étend longuement, et dont voici le résumé :

Auguste affectionnait particulièrement son petit-fils Caïus, qui était né en 757 de sa fille Julia et d’Agrippa, et qui mourut en février 735 ; il l’adopta et plaça auprès de lui Quirinius en qualité de rector juventutis. C’était un poste de la plus haute importance : les personnages qui y étaient appelés prenaient la direction des affaires entreprises sous le nom des jeunes princes de la famille impériale, et en endossaient toute la responsabilité en cas de non-réussite. Il fallait donc que Quirinius, nommé rector du jeune prince, se trouvât placé d’autre part dans une situation telle, qu’il pût s’acquitter des tâches imposées à son élève. Or Auguste donna à Caïus le proconsulare imperium en Orient, sans lui confier d’armée ; il fallait donc que son rector disposât de forces militaires suffisantes pour faire la guerre aux Parthes et aux Arabes, ainsi qu’en Arménie. — D’un autre côté, nous savons que dans tout l’Orient le gouverneur de Syrie seul remplissait cette condition (il avait le commandement suprême de l’armée de l’Euphrate). D’où il suit qu’Auguste, voulant donner à son petit-fils l’occasion d’acquérir de la gloire militaire, ne pouvait placer auprès de lui, en qualité de rector juventutis, que le gouverneur de Syrie, ou plutôt devait investir de cette dernière fonction le personnage qu’il avait choisi pour rector.

Donc, première conclusion : Quirinius a dû être gouverneur de Syrie du vivant de Caïus, c’est-à-dire avant 757.

M. Aberle ne s’en tient pas là ; il veut préciser d’une manière plus exacte l’époque du gouvernement de Quirinius. Pour y arriver, il cherche d’abord à établir, par des textes de Tacite, que Quirinius fut le premier en date des trois rectores placés successivement par Auguste auprès de Caïus, et, ce point une fois admis, il se demande à quelle époque ont commencé les fonctions de Quirinius auprès du jeune prince. Il utilise ici le récit de Josèphe relatif au testament d’Hérode ; ce testament paraît-il, arriva à Rome, au plus tard, en mai 750 ; aussitôt Auguste nomma une commission pour faire un choix entre les divers prétendants à la succession d’Hérode, et confia la présidence de cette commission à Caïus ; or celui-ci, n’ayant alors que seize ans, ne pouvait évidemment remplir en personne le mandat qu’il avait reçu, et son premier rector en date, — nous avons admis que c’était Quirinius, — dut évidemment l’assister, sinon le remplacer tout à fait. Il faut donc reconnaître qu’immédiatement après la mort d’Hérode, Quirinius était déjà gouverneur de Syrie, et ce n’est pas trop présumer que de faire remonter le début de ce gouvernement à l’époque à laquelle Caïus obtint la toge virile, c’est-à-dire à l’année 749.

Si l’on admet, comme M. Aberle le fait, que Quirinius ne fut élevé à la dignité de gouverneur de Syrie que parce que son poste auprès de Caïus exigeait qu’il en fût ainsi, on comprend facilement qu’il ait été retenu à Rome jusqu’au moment où son élève partit pour l’Orient.

Quant à la question de savoir pendant combien de temps au juste Quirinius s’acquitta en personne et sur les lieux mêmes de ses fonctions de gouverneur, nous l’ignorons complètement ; en tous cas ce fut pendant une période bien courte ; car nous savons que Quirinius accompagna Caïus dans une série de voyages, et que par suite il n’a pu arriver en Syrie qu’en 753 ; or, en 754, Lollius lui avait déjà succédé comme rector de Caïus. Il est donc bien possible qu’à raison de son peu de durée, ce gouvernement de Quirinius ait été ignoré de la plupart des contemporains, ce qui expliquerait déjà le silence de Josèphe sur ce point ; mais la raison de ce silence se voit encore dans un autre fait, que nous mentionnons en terminant. Suétone rapporte qu’Auguste loua Caïus : quod Judæam prætervehens apud Hierosolymam non supplicasset. C’était là une véritable insulte au peuple juif, et on ne peut, en conscience, en vouloir à l’historien, — juif lui-même, — de ne pas s’être cru obligé d’instruire de cette insulte la postérité et d’avoir préféré garder sur Caïus et son entourage un silence absolu, en ne faisant même pas mention de l’expédition dont il s’agit.

La donnée de saint Luc, relative au gouvernement de Quirinius, se trouve donc confirmée historiquement.

Si nous trouvions, dit pour conclure M. Aberle, une pareille donnée dans Zonaras ou tout autre compilateur byzantin, nous la considérerions comme une augmentation de nos richesses historiques, comme un complément des autres sources, qui sont si défectueuses. Pourquoi donc saint Luc ne mériterait-il pas égale créance ?

Ce qui a poussé M. Aberle à faire les recherches dont on vient de lire l’analyse, ce n’est pas tant le désir de répondre à l’objection de Strauss que l’ambition de ne pas laisser saint Luc sous le coup d’un reproche d’inexactitude. M. Aberle s’est livré à de longues études sur les écrits de cet évangéliste, et toujours il y a remarqué une très grande exactitude en matière de renseignements chronologiques, renseignements qui, du reste, pouvaient être directement contrôlés par les accusateurs de saint Paul et les juges romains. M. Aberle ne pouvait admettre que le texte relatif à Quirinius fit exception aux habitudes de saint Luc, et il avait à coeur de se prouver à lui-même que ce texte ne faisait que les confirmer.

On le voit, le mémoire de M. le professeur Aberle ne répond pas à toutes les objections et ne lève pas toutes les difficultés. Il isole de cette question complexe les deux points relatifs au gouvernement de Quirinius et au magistrat chargé du recensement de la Judée, et les traite avec savoir et talent, mais il laisse de côté la nature de ce recensement, la condition de la Judée à l’époque de la naissance de Jésus-Christ, etc.

Dans la première partie de cette étude, il s’efforce d’établir que Quirinius n’était point gouverneur de Syrie l’an 6, et que ce n’est pas en cette qualité qu’il a fait le recensement dont parle Josèphe et qui suivit la déposition d’Archélaüs, mais bien en qualité de legatus Augusti ad census accipiendos, ce qui est bien, d’ailleurs, le titre consacré pour ces sortes de missions exceptionnelles[94]. Tout ce qu’il dit de ces missions spéciales confiées à d’autres personnages qu’aux gouverneurs des provinces impériales est très satisfaisant ; on pourrait même ajouter que, sous la République, de pareils exemples abondent ; mais c’est assurément aller trop loin que de regarder ces fonctions comme incompatibles avec celles de gouverneur ; car les legati Augusti pro prætore étant les représentants de l’empereur, ses lieutenants dans les provinces dont l’empereur lui-même était le gouverneur universel, en vertu de son pouvoir proconsulaire, le legatus pro prætore était investi des prérogatives les plus étendues attachées à ce titre, et parmi ces prérogatives était certainement le droit de faire les recensements.

L’argumentation du savant professeur sur le διxαιοδότης τοΰ έθνους ne nous paraît pas bien solide, car on ne voit pas que les censiteurs extraordinaires délégués par l’empereur aient jamais rempli de fonctions judiciaires. Nous savons an contraire que ce sont les attributions les plus importantes du légat gouverneur, et ce sont même celles qui étaient spécialement désignées par les mots pro prætore. Or, comme, en l’an 6, la Judée devint une dépendance du légat de Syrie, ayant un procurator placé sous le commandement de ce légat, il fallait de toute nécessité que le pouvoir judiciaire fût réservé entièrement à ce magistrat. M. Aberle confesse lui-même qu’il n’a pas trouvé d’exemple d’un légat censiteur qui fût en même temps investi de fonctions judiciaires, à moins qu’il ne fût gouverneur de province. Nous pouvons lui assurer qu’il n’en trouvera jamais. Car cette confusion eût été en contradiction avec le principe même de ces missions spéciales et exceptionnelles, mises en regard des attributions si nettement définies des gouverneurs des provinces impériales.

Examinant ensuite l’inscription de Tivoli, M. Aberle conteste de tout point la restitution proposée par M. Mommsen. Sur ce sujet, nous nous permettrons de contester à notre tour la compétence du professeur de Tübingen, et de lui préférer l’autorité universellement reconnue du savant épigraphiste de Berlin.

Le mot divus, précédant le nom de l’empereur sous lequel un personnage avait exercé ses fonctions, était certainement un moyen employé par les lapicides pour dater la mort de ce personnage et non pour dater le monument lui-même ; car cela n’intéressait personne de savoir si le tombeau avait été élevé immédiatement ou longtemps après la mort de celui qui y était déposé ; mais ce qui importait, c’était de savoir quand celui-ci était mort.

Les mots pro prætore peuvent se trouver indifféremment après ou avant Divi Augusti ; M. Mommsen les a placés avant, dans sa restitution. Si le personnage en question avait été une fois legatus ad census accipiendos, et une fois legatus pro prætore, comme le suppose M. Aberle, on n’eût pas mis le mot iterum qui désigne évidemment deux fois l’exercice de la même magistrature.

M. Aberle lui-même fait de ces deux emplois des fonctions très distinctes ; or, il ne serait pas plus possible de les comprendre sous ces mots legatus ITERVM, que de dire aujourd’hui qu’un personnage a rempli deux fois la même charge, à savoir celle de préfet et celle de général.

Or, comme le savant professeur établit lui-même que Quirinius a été gouverneur de Syrie, que l’inscription de Tivoli se rapporte à un personnage qui l’a été deux fois, et que tous les autres légats de Syrie sont exclus par les raisons données plus haut, d’après M. Mommsen, il n’y a aucune pétition de principe à soutenir que c’est Quirinius qui est désigné par le monument.

On peut se demander d’ailleurs pourquoi M. Aberle se donne tant de peine pour enlever à Quirinius le gouvernement de Syrie en l’an 6 de notre ère. Que peut y gagner sa démonstration ? Ce qui importe n’est pas de prouver que ce personnage n’était pas gouverneur en l’an 6 de notre ère, mais qu’il l’avait été une première fois en l’an 6 ou en l’an 5 avant notre ère, au moment de la naissance de Jésus-Christ. C’est là le point difficile, c’est celui que M. Aberle entreprend de prouver avec assez d’habileté dans la seconde partie de son mémoire, qui est, à nos yeux, tout son mémoire, car la première partie est inutile à la démonstration. Le passage de Strauss ne méritait pas cette réfutation quant au fait avancé par le savant docteur que « Quirinius a été gouverneur de Syrie une seule fois, l’an 6 de notre ère, puisque la dissertation de Mommsen prouvait qu’il l’avait été deux fois. Il était donc plus simple de s’en servir pour répondre à M. Strauss, que de chercher, d’une main mal assurée et par des raisons qui trahissent une grande inexpérience des études épigraphiques, à ruiner les arguments nouveaux qui s’offrent à nous pour la solution du problème dont il s’agit.

Dans la seconde partie de son mémoire, M. Aberle se propose de résoudre la difficulté principale Varus fait acte d’autorité, en qualité de commandant de la Syrie Συρένς στρατηγός, ayant la Syrie en partage, Syriam obtinens, après la mort d’Hérode, l’au 750 (an 4 avant notre ère), et il était déjà gouverneur l’an 748 (an 6 avant notre ère). Or, c’est, comme nous l’avons montré plus haut, entre les années 748 et 750 qu’il faut placer la naissance du Christ.

Le mot obtinens de Tacite n’est assurément pas l’équivalent rigoureux de legatus Augusti pro prætore Syriæ, mais cependant, s’il ne veut pas dire remplissant la fonction de gouverneur, que peut-il signifier ? Toute la discussion relative à Varus est, malgré cela, assez concluante, et M. Aberle nous paraît avoir tiré un excellent parti du conflit élevé entre Sabinus, simple procurateur έπίτροπος, et Varus. Il serait besoin d’insister encore sur ce fait, et de bien définir les attributions des procurateurs par rapport aux légats impériaux propréteurs ou gouverneurs de provinces impériales.

De même que la carrière sénatoriale, la carrière équestre était soumise à un ordre hiérarchique invariable. Car il n’y avait pas à Rome, comme chez nous, autant de carrières que de services on pouvait être tour à tour militaire, administrateur, juge et prêtre, et il n’y avait, à proprement parler, que deux carrières parallèles, l’une supérieure par le rang et la considération, l’autre, inférieure, mais procurant, dans ses plus hauts emplois, une influence, une autorité même souvent plus grandes. La première était la carrière sénatoriale, dont nous avons indiqué plus haut les principaux degrés ; l’autre était la carrière équestre. On peut compter sept degrés dans la hiérarchie des fonctions équestres, car ce n’étaient pas des magistratures.

1° On était d’abord préfet ou tribun d’une cohorte auxiliaire, puis tribun légionnaire, et enfin préfet d’une aile de cavalerie. C’étaient ce qu’on appelait les grades équestres militiæ equestres.

2° On passait ensuite au grade de procurateur. Il y en avait de beaucoup de sortes, suivant les services qu’on leur confiait : procurateurs ou intendants de la fortune privée des empereurs ; procurateurs des routes, sous les ordres des curateurs de la carrière sénatoriale ; — procurateurs du quarantième, ou de la douane : procurateurs du vingtième des successions, service de l’enregistrement ; — procurateurs des postes (vehiculorum), etc.

3° Dans le degré immédiatement supérieur, venaient les procurateurs de l’empereur chargés du service des finances (contributions directes) dans une province impériale, et placés sous les ordres du légat ou gouverneur. Il faut dire cependant que les employés supérieurs des finances avaient souvent plusieurs provinces dans leur service, comme cela avait lieu, en particulier, dans la Gaule. Dans ce cas, dépendants de plusieurs légats, ils étaient, par le fait, plus affranchis de leur autorité ; mais cela n’avait pas lieu pour la Syrie; — les procurateurs de l’empereur chargés du gouvernement civil, militaire et judiciaire d’une province de degré inférieur, dite, pour cette raison, province procuratorienne, comme les Alpes maritimes, le Norique, etc. Ces procurateurs-gouverneurs avaient les mêmes attributions que les légats propréteurs, mais seulement leurs provinces étaient beaucoup moins importantes. Pour les pays récemment annexés, il arrivait toutefois que ces procurateurs provinciaux dépendissent du légat du commandement duquel ce pays avait été originairement détaché, comme les procurateurs Coponius et Ponce Pilate en Judée.

4° Le degré supérieur était préfet des vigiles, ou commandant des pompiers de Rome ;

5° Puis préfet de l’annone, chargé de l’approvisionnement du blé à Rome ;

Préfet d’Egypte ;

7° Enfin préfet du prétoire, qui était la plus haute fonction de la carrière équestre, et, par le fait, la position la plus considérable par l’influence qu’elle donnait, supérieure même, en cela du moins, à la plus élevée de la carrière sénatoriale, qui était celle de préfet de la Ville.

D’après le tableau qui précède, on voit que Sabinus, procurateur impérial en Syrie, devait être en tout soumis au légat. Le conflit, rapporté par Josèphe, et qui éclata entre Varus et Sabinus, était donc absolument contraire à toutes les règles de la hiérarchie et même de la discipline militaire. Il ne peut guère s’expliquer autrement que comme le fait M. Aberle, c’est-à-dire que par l’hypothèse où Varus eût été provisoirement maintenu dans le commandement militaire, jusqu’à l’arrivée de celui qui lui aurait été donné pour successeur, tandis que Sabinus aurait été placé légalement sous l’autorité de ce successeur, qui n’est autre que Quirinius.

Ce qui semble justifier cette explication, c’est la détestable administration de Varus qui, entré pauvre dans une province aussi riche que la Syrie, était sorti riche de la Syrie pauvre[95]. Il ne serait donc pas impossible, il paraît même probable, que Quirinius, auquel la belle restitution de l’inscription de Tivoli, par M. Mommsen, rend ses deux commandements de Syrie, dont le premier suit immédiatement celui de Varus, aura été nommé légat de Syrie avant 750, époque où ce dernier semble encore faire acte d’autorité.

D’après cela, Quirinius aurait pu être nommé et avoir le titre de légat de Syrie, étant encore à Rome, et longtemps avant d’en prendre le commandement effectif dans le pays même.

Il faut dire cependant que l’on a des médailles de Varus, frappées à Antioche l’an 25e, 26e et 27e de l’ère actiaque, c’est-à-dire jusqu’en 750 (4 avant notre ère). M. Aberle paraît ignorer ce fait, assez grave pour la solution qu’il propose.

C’est avec raison que M. Aberle invoque, à l’appui de cette supposition, les exemples analogues bien connus. Pour n’en citer qu’un, Tacite dit en propres termes qu’Ælius Lamia, débarrassé de ce gouvernement de Syrie qu’il n’avait exercé que de nom, fut nommé préfet de la Ville[96].

Tout ce qui suit sur les dates du séjour de Caïus César en Orient n’est pas exact, et nous nous contenterons de renvoyer à celles que M. Mommsen a établies.

En somme, M. Aberle, comme M. Mommsen, comme M. Lutteroth, a apporté sa pierre à l’édifice, et il a le mérite d’avoir dégagé le premier de l’inexplicable conflit de Varus avec le procurateur Sabinus, cette hypothèse, très probable, que le commandement légal de Quirinius en Syrie aurait commencé avant 750, c’est-à-dire avant la mort d’Hérode.

IV

Nous ne dirons que peu de chose des études faites sur cette question par notre cher et vénéré maître M. Wallon. Il n’en est pas de son livre ; qui a déjà deux éditions, comme des précédents. Il est en français, il jouit d’une grande publicité, et il est, à coup sûr, entre les mains de tous ceux qui prennent un intérêt scientifique et religieux tout à la fois à ces importantes questions. Nous sommes donc dispensé tout au moins de faire l’analyse du chapitre iii de cet ouvrage, intitulé : Suite de l’examen des objections. — Le recensement de Quirinius ; le massacre des innocents. Mais ce qui frappe tous ceux qui le lisent, c’est la connaissance approfondie de toutes les sources, la critique sincère, et la loyauté poussée jusqu’au scrupule dans la discussion de ces documents.

On peut s’étonner, dit-il, du silence des historiens anciens sur l’édit d’Auguste dont parle saint Luc. M. Wallon se charge de l’expliquer. Tacite n’a pas écrit l’histoire d’Auguste ; Suétone ne fait pas une histoire générale, mais des biographies ; le LVe livre de Dion Cassius, correspondant aux années 745 à 761 et embrassant par conséquent la période où l’édit a dû être rendu, ne nous est parvenu que par fragments[97]. Quant à Auguste, s’il garde le silence sur ce fait dans son testament, aujourd’hui connu en grande partie par le monument d’Ancyre, il n’est pas impossible encore de supposer qu’il en fût question dans les lacunes que présentent l’inscription grecque et l’inscription latine ; mais peut-être M. Wallon recule-t-il un peu trop la naissance de Jésus-Christ en la plaçant sept ans avant notre ère, en partie pour rapprocher cette naissance du lustre de l’an 8, qu’il suppose être la date de l’édit. Cet édit aurait donc été promulgué un an avant la nativité. Or il ne nous paraît pas qu’il y ait un lien entre le lustre ; qui ne comprenait que les citoyens romains, et le recensement du monde, qui devait comprendre surtout les étrangers, et nécessitait un travail long et compliqué. Aussi le savant professeur de la Sorbonne a-t-il soin de rappeler qu’Auguste avait fait un exposé sommaire de la situation de l’empire, qui s’est perdu, Breviarium imperii, exposé mentionné par Tacite, Suétone et Dion Cassius, et qui devait suppléer au testament.

Il est plus que probable que l’édit qui concernait les sujets de l’empire, ne trouvant pas place dans le monument d’Ancyre, lequel regarde plus particulièrement les citoyens romains, était mentionné avec détails dans le Breviarium, car Tacite dit, en propres termes, que ce livre consignait toutes les ressources de l’État, disait combien il y avait de citoyens et d’alliés sons les armes, combien de flottes, de royaumes, de provinces, les tribus et les redevances (vectigalia), etc.[98] Suétone[99], Dion Cassius (LVI, 33.) confirment ce témoignage. M. Wallon montre que toutes les notions renfermées dans le Breviarium n’ont pu être que le résultat d’une vaste enquête ordonnée par le prince et exécutée dans tous les pays dépendants ou alliés[100].

Il prouve ensuite que cette enquête était conforme aux traditions les plus anciennes de l’organisation de la conquête ou de la préparation même de l’occupation romaine sous la République. D’ailleurs d’autres témoignages de ce recensement universel nous sont parvenus. La Cosmographie d’Æthicus Ister, ou qui lui est communément attribuée, et qui date du IVe siècle, rapporte à l’an 44 avant notre ère (consulat de Jules César et d’Antoine) le sénatus-consulte en vertu duquel l’empire fut divisé en quatre parts et mesuré l’occident, par Didyme ; l’orient, par Zénodore ; le nord, par Théodote ; et le midi, par Polyclète, et que cette opération dura 24 à 25 ans[101]. C’est à cette longue et difficile ope ration que fait allusion Pline l’Ancien[102], Ce travail fut donc continué par Auguste, et nous en avons une nouvelle preuve dans le passage des Agrimensores, cité plus haut. On remarquera que le Livre des colonies, attribué à Frontin, est certainement du 1er siècle, et il y est dit qu’un certain Balbus enregistra, au temps d’Auguste, les formes et les mesures de toutes les provinces et des cités, selon qu’il avait décrit lui-même ou recueilli ces mesures, et qu’il publia la loi agraire (ce qui signifie à cette époque cadastrale) de toutes les provinces[103].  Siculus Flaccus, dans son traité De conditionibus agrorum, nous apprend que les tableaux du cadastre étaient déposés dans les archives publiques, dans le sanctuaire du prince, et que ces tableaux présentaient des détails si précis qu’on y pouvait recourir en cas de contestations[104]. Ce double témoignage du 1er siècle, rapproché du passage de Pline et de l’assertion d’Æthicus, rend donc le fait d’un recensement cadastral au temps d’Auguste tout à fait inattaquable[105].

Nous ajouterons que le fameux orbis pictus d’Agrippa dont parle Pline, et qui exposait à tous les regards la carte détaillée du monde dans une forme allongée de l’ouest à l’est et comprimée du nord au sud, afin que l’on pût voir avec une égale facilité les régions septentrionales, est certainement reproduit dans sa disposition primitive, mais avec des additions d’époque postérieure, dans la célèbre Table de Peutinger. Or ce travail fut certainement le résultat de la même enquête ; il forma le tableau synoptique du monde, et fut comme la table géographique résumée accompagnant l’œuvre des agents impériaux.

Il est certain que le cadastre avait l’impôt en vue, et devait comprendre les personnes aussi bien que les immeubles. Cela est de toute évidence et l’on peut, à cet égard, se passer des témoignages d’Orose (VI, 22) et d’Isidore de Séville[106], qui étaient chrétiens. Mais Cassiodore, plus explicite encore, semble avoir puisé aux sources du 1er siècle, et probablement dans Hygin[107], le précieux renseignement qu’il nous transmet, et qui sanctionne pleinement que le recensement comprenait les personnes : Au temps d’Auguste, le monde romain fut divisé en domaines et décrit par le cens, afin de déterminer, d’une manière certaine, pour chacun, l’étendue de la propriété en raison de laquelle il devait payer sa part de tribut[108].

Enfin M. Wallon cite le passage de Suidas qui nous est déjà connu et dont M. Lutteroth a tiré si bon parti.

Il est donc parfaitement établi qu’Auguste a rendu un édit dont la date est ignorée, mais qui avait pour objet d’ordonner le recensement du monde, et que ce recensement devait comprendre à la fois les personnes et les biens, en un mot, tout objet imposable.

Dans la seconde partie de ce chapitre, M. Wallon examine la question relative au gouvernement de Quirinius, et il discute avec détail la valeur des traductions proposées pour le 2e verset du ch. II de saint Luc. Il cherche à justifier, et, dans une certaine mesure, du moins à déclarer acceptable celle d’Herwart (πρώτη avant que), qui nous paraît, malgré les exemples allégués, une aussi mauvaise solution de la difficulté que la traduction proposée par M. Lutteroth pour le verset 6, car elle n’est point naturelle et, ne saurait jamais constituer qu’un contresens.

Suit, dans le chapitre de M. Wallon, un examen du texte de Tertullien qui attribue le recensement à Saturninus. M. Wallon ne cache pas sa prédilection pour ce système, qui s’accorderait avec le résultat de son étude sur les années de Jésus-Christ. Le savant professeur faisant naître Jésus-Christ l’an 7 avant notre ère, c’est, en dernière analyse, sous Saturninus que le recensement aurait eu lieu selon lui ; saint Luc l’aurait désigné comme ayant eu lieu sous Quirinius, parce que Quirinius l’aurait accompli, achevé. Mais έγένετο, dans saint Luc, veut dire simplement fut fait, arriva et non fut terminé.

M. Wallon analyse ensuite rapidement le travail de M. Mommsen sur l’inscription de Tivoli, et il adopte sans réserve l’explication proposée par le savant de Berlin. Mais cela nous donne un premier gouvernement de Quirinius l’an 751 et au plus tôt de l’an 750, mais non pas de l’an 747, comme il le faudrait pour sa thèse. En faisant naître Jésus-Christ l’an 7 avant notre ère, il a donc aggravé la difficulté de la concordance. Il examine ensuite le système du professeur Aberle, et ne se rend pas aux raisons alléguées par le savant de Tübingen pour attribuer au premier gouvernement de Quirinius en Syrie une date plus ancienne, en empiétant sur le temps communément accordé à l’administration de Varus ; il oppose avec raison à ce système les monnaies frappées en Syrie au nom de Varus, l’an 750.

Mais il ne dit rien de la très remarquable observation de M. Aberle sur le caractère chancelant et mal défini de l’administration de Varus, dans les derniers temps de son séjour en Syrie, et il ne tente pas d’expliquer le conflit de ce personnage avec le procurateur Sabinus. Le savant français se rattache à l’hypothèse indiquée par M. Aberle, qui consiste à considérer Quirinius comme ayant achevé le recensement commencé par Saturninus.

M. Wallon consacre son troisième paragraphe à exposer les raisons sur lesquelles se fonde cette interprétation, — il faut le dire, un peu complaisante, — du texte de saint Luc. Il distingue avec raison dans le recensement : 1° l’enregistrement de la personne et des biens ; 2° la répartition de l’impôt, et il suppose les deux opérations divisées par le temps quoique désignées par un seul mot grec (άπογραφή) qui les comprendrait toutes deux. La première de ces deux opérations seulement se rapporterait à la naissance de Jésus-Christ ; il n’y aurait eu alors qu’un recensement de personnes et de biens, et nullement un recensement en vue de l’assiette de l’impôt.

Si la Judée n’était pas alors annexée à la province de Syrie, si Hérode la gouvernait encore, il ne faut pas croire, comme le fait M. Munck, que le gouvernement romain n’eût aucun intérêt à faire un recensement en Judée[109] ; quant à dire qu’il n’avait pas le droit de le faire,  c’est une autre question, mais qui importait assez peu à la politique romaine. Tacite nous parle des Clites, petit peuple de Cappadoce, qui, laissés libres, même après la réduction de la Cappadoce en province, furent contraints de subir le cens à la manière des Romains[110].

L’effet de l’édit d’Auguste devait être assurément de préparer les bases de l’impôt, mais non de l’établir immédiatement. Auguste n’eût-il pas eu de raison pour rendre général son édit de recensement, qu’il en aurait eu, dit M. Wallon, pour appliquer cette mesure à la Judée et à Hérode, auquel il avait écrit ces dures paroles : s’il l’avait jadis traité en ami, désormais il le traiterait en sujet[111]. Il est indubitable que l’empereur, voyant la fin de ce roi approcher, dut songer à réunir la Judée à la province de Syrie ; il était donc naturel de préparer les bases de cette annexion. En l’an 6, à la déposition d’Archélaüs, Quirinius, pendant son second gouvernement de Syrie, établit l’impôt, en prenant pour base le recensement antérieur qu’il n’eut qu’à modifier.

M. Wallon trouve ensuite des raisons pour expliquer le silence de Josèphe sur le premier recensement, et il me semble qu’il pouvait en donner une découlant naturellement des précédentes : c’est que le recensement des personnes n’était pas la chose grave en elle-même pour la population, c’était l’impôt ; or il ne fut établi qu’en l’an 6. Aussi la Judée se soulève-t-elle. C’est ce soulèvement qui est l’objet du récit de l’écrivain. Mais l’opération du cadastre, assez inoffensive, qui s’était accomplie ailleurs, et qu’on savait avoir commencé depuis longtemps, n’était pas la matière d’une mention spéciale, car ce n’était pas un événement, mais l’exécution lente et paisible d’une mesure générale. D’ailleurs, comme le prouve M. Wallon, il est avéré que Josèphe a omis des faits bien autrement importants.

Dans son 4e paragraphe, le savant professeur établit que le recensement de Josèphe était bien conforme à la loi romaine ; seulement il n’explique pas comment l’époux de Marie pouvait être contraint par cette loi à venir se faire inscrire dans un pays d’où sa famille seulement était originaire. Quant à la loi juive ? Il n’y avait pas lieu, ce nous semble, de s’en occuper ; dès que le recensement était romain, il devait être fait dans la forme romaine. Il importerait donc peu qu’on lût le verset : Joseph vint se faire inscrire avec Marie, ou Joseph vint avec Marie, se faire inscrire, si l’on n’avait en vue la loi romaine qu’exige le premier sens. Marie dut être inscrite, et la tradition, subsistant encore au temps de saint Cyrille et de l’empereur Julien, comprenait dans l’inscription, comme nous l’avons vu plus haut, le Christ lui-même.

C’est à ces quelques observations que nous bornons notre examen critique de l’ouvrage d’un de nos maîtres, dont l’autorité comme savant et le caractère comme homme commandent à la fois la confiance et le respect, et si nous nous sommes permis de ne pas partager entièrement son avis pour le détail et sur la question de date en particulier, nous ne considérons pas moins son livre comme le meilleur résumé qui ait été fait des débats soulevés à propos des évangiles, et le répertoire le plus complet des arguments à opposer à leurs détracteurs sur toutes les questions difficiles. C’est un des livres qui font le plus d’honneur à notre époque et qui sont appelés à rendre le plus de services à l’Église.

V

Si le lecteur a daigné suivre avec attention l’examen auquel nous nous sommes livré dans les deux premières parties de cette étude, il pourra de lui-même donner la conclusion à laquelle nous sommes conduits ; car elle est le résultat, en quelque sorte éclectique, de la critique que nous avons essayé de faire des différents systèmes mis en avant dans ces derniers temps, et elle se fonde, d’autre part, sur les révélations récentes de la science épigraphique. Il nous suffira donc d’en présenter ici le résumé, en groupant les éléments épars dans cette étude, de la solution cherchée.

Pour nous, il est certain, d’après le texte d’Æthicus, que César avait ordonné qu’on mesurât le monde ; que le travail dura vingt-cinq ans ; qu’il fut par conséquent continué par Auguste ; que ce fut une véritable opération cadastrale, comme en témoigne l’auteur du Livre des Colonies ; que les archives impériales conservaient le résultat de ce grand travail, ainsi que le dit Siculus Flaccus et que le prouve la table de Peutinger, reproduction traditionnelle de la représentation de l’Orbis pictus d’Agrippa.

Il est également certain pour nous qu’Auguste, s’il n’a pas parlé de cette grande opération dans les lacunes encore subsistantes de son testament sur le monument d’Ancyre, en a certainement parlé dans le Breviarium imperii, qui s’est perdu, mais dont Suétone, Tacite et Dion Cassius nous ont indiqué l’objet.

Que ce cadastre n’était que l’étude préparatoire du recensement du monde, c’est-à-dire non seulement des provinces romaines, mais des sujets ou alliés, comme le prouvent les textes de Cassiodore, d’Orose, d’Isidore de Séville et de Suidas ; que, d’après ce dernier, l’empereur Auguste avait choisi, non plus quatre personnages, comme l’avait fait César, pour la description préalable, mais vingt, pour faire ce recensement ; que Suidas est digne de foi et que l’article de son Lexicon, n’a pu, comme le prouve M. Wallon, être fait pour justifier le texte de saint Luc ; que les épigraphistes de profession et les critiques les plus autorisés l’ont toujours considéré comme tel ; que ce recensement est une opération différente du relevé cadastral commencé sous César, poursuivi pendant de longues années, et qu’il n’a pu être entrepris qu’en vertu d’un édit d’Auguste.

La date de cet édit est restée inconnue, mais cela importe peu, puisque les expressions dont se sert saint Luc, έν ταϊς ήμεραις, ne sauraient se rapporter étroitement aux faits mentionnés dans le verset précédent, — où il est question de la majorité ou de la présentation de Jean, qui eut lieu au moins douze ans après la naissance de Jésus-Christ, — mais qu’ils se rapportent visiblement à l’ensemble des faits relatés dans le chapitre 1er de l’évangéliste, c’est-à-dire aux dernières années du règne d’Hérode.

Il est constant, d’autre part, que l’exécution de cette mesure, regardant tout l’empire, n’a pu être l’oeuvre d’un jour, ni même d’une seule année ; que l’on a dû consulter l’instant propice pour les différents pays, et que, dans la Gaule, cette opération a eu lieu l’an 12 avant notre ère, ainsi qu’en témoignent les tables Claudiennes de Lyon.

Il n’est pas moins assuré que cette mesure, n’ayant aucun rapport, ni aucun lien probables avec les lustres regardant exclusivement les citoyens romains, a dû s’appliquer non seulement aux provinces, mais aux pays sujets ou alliés placés dans une dépendance plus ou moins grande de Rome ; que la Judée se trouvait précisément dans cette condition, comme toute l’histoire du règne d’Hérode et le mécontentement particulier d’Auguste contre ce prince le prouvent surabondamment ; qu’il entrait dans la pensée de l’empereur d’annexer prochainement ce pays à la province de Syrie, comme cela fut réalisé peu d’années après ; qu’il était dans les habitudes constantes de Rome de préparer de longue main son occupation ou ses annexions partielles par une constatation des ressources du pays, comme elle le fit en Macédoine sous Paul-Émile, en Asie après les défaites d’Antiochus, en Italie pour les cités sujettes ; et que l’on ne pouvait obtenir cette constatation que par un recensement préalable.

Il n’est pas surprenant que Tacite, Suétone et Dion n’en aient pas parlé, pour la Judée en particulier, puisqu’ils n’ont pas fait mention de l’exécution lente et générale de cette mesure pour les autres pays ; que d’ailleurs les mêmes historiens ne mentionnent pas non plus le recensement définitif de l’an 6 de notre ère, dont Josèphe parle avec tant de détail pour la Judée ; enfin que le silence de cet écrivain sur le premier recensement s’explique par des omissions plus importantes.

Il est avéré, d’autre part, que le Christ est né l’an 6 ou l’an 5 ; que Varus, gouverneur de Syrie l’an 748, a dû voir lui échapper une partie de ses pouvoirs, puisque Sabinus, simple procurateur, fait acte d’autorité en Judée, et qu’il n’aurait pu le faire si Varus avait conservé intacte la puissance de légat ; que le successeur de Varus, en Syrie, a été certainement Quirinius, et que nous sommes autorisés à croire qu’il eut le titre de légat avant la mort d’Hérode ; qu’en tous cas il avait en Orient une très grande influence et un commandement très étendu qu’il conserva pendant le gouvernement général de Caïus César ; que les monnaies frappées, en 750, à Antioche, au nom de Varus, ne prouvent qu’une chose, c’est qu’il continua de résider en ce pays jusqu’à cette époque ; que sa présence en Judée après la mort d’Hérode témoigne uniquement de l’insuffisance de ses pouvoirs, puisqu’elle fait ressortir le conflit qui s’était élevé entre lui et le procurateur Sabinus ; que ce conflit serait inexplicable si Sabinus n’eût tenu son autorité d’un autre personnage, légat nominal de Syrie, et que cet autre personnage ne saurait être que Quirinius ; qu’enfin Saturninus, ancien légat mentionné par Tertullien comme ayant fait le recensement de la Judée à la naissance de Jésus-Christ, a été sans doute chargé de cette mission spéciale, confiée d’ordinaire à des personnages consulaires, pendant que Quirinius était légat titulaire, le texte de saint Luc pouvant et devant même s’entendre ainsi d’après une traduction littérale ayant cours chez les Pères de l’Église : Quirinius ayant le gouvernement de la Syrie, et non le recensement fut fait par Quirinius, comme le porte la traduction latine de la Vulgate.

N’oublions pas les explications de M. Wallon relativement à la double opération du recensement et de l’établissement de l’impôt ; rappelons-nous que la première a dû être faite à la naissance de Jésus-Christ, alors que la Judée était à la veille d’être annexée et n’obéissait plus que pour la forme au roi Hérode, tandis que la seconde fut définitivement accomplie l’an 6 par le même Quirinius, ce que donne clairement à entendre le texte de saint Luc : Ce premier recensement fut fait sous Quirinius, (πρώτη) ; donc il y en eut un second, et ce second fut fait encore par le même personnage, douze ans plus tard.

A tout cela, il faut ajouter que Joseph et Marie n’étaient point obligés de se faire inscrire, mais que, connaissant les prophéties, ils vinrent, avec intention et de leur propre mouvement, se prêter à leur accomplissement, et revendiquer leur qualité originelle de Béthléemites.

Telle est la solution que nous croyons la plus satisfaisante. Elle nous paraît répondre à tout ; c’est là un grand pas de fait dans l’explication du texte évangélique, et c’est un progrès de la science contemporaine que nous le devons. S’il reste encore quelque doute dans les esprits, nous ne pouvons mieux faire que de rappeler en finissant les paroles de M. Wallon : Ce qui est certain, c’est que cette explication est préférable à la supposition qu’un judaïsant éclairé, comme l’était l’auteur du 3e évangile, ait ignoré ou interverti deux faits aussi capitaux et aussi fermement établis dans la mémoire des deux peuples ; savoir : la naissance de Jésus-Christ sous Hérode et le recensement de la Judée par Quirinius, qui fut le sceau de l’asservissement du pays aux Romains.

 

Ernest Desjardins — Revue des Questions historiques, T. II – 1867.

 

 

 

 



[1] Καί ή σελήνη δέ τή αύτή νυxτί ήξέλιπεν. Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, XVII, VI, 4.

[2] Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, XVII, IX, 3.

[3] Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, XVII, VIII, 1.

[4] Herodes mortuus anno [juliano] 42, octo vel novem diebus ante Pascha. Or, l’an 42 de la période Julienne correspond à 750 de Rome. Voyez J. Keppler, De Jesu Christi servat. nostris vero anno natalitio. Franco-Furti, 1606, in-4°, p. 21-22. Conf. Le Mém. de Fréret : Eclaircissement sur l’année et sur le temps précis de la mort d’Hérode le Gr., roi de Judée. Mém. de l’Académie des Inscript. et B. L., t. XXI (ancien recueil), 29 mars 1748, p. 278-298. Paris, 1754.

[5] Mémoire sur les années de Jésus-Christ, Paris, impr. imp., 1858.

[6] Le recensement de Quirinius en Judée, p. 46-47.

[7] Le recensement de Quirinius en Judée, p. 48.

[8] Le recensement de Quirinius en Judée, p. 52 et suiv.

[9] Et voilà : Elisabeth ta cousine, dit l’ange à Marie, à l’heure même de la conception, a aussi conçu un fils en sa vieillesse, et c’est ici le sixième mois de la grossesse de celle qui était appelée stérile. Luc, I, 30.

[10] Le recensement de Quirinius en Judée, p. 31 et suiv. Paris, 1865.

[11] Quant à la naissance de [Jésus] Christ elle arriva de cette sorte. Marie, sa mère, ayant épousé Joseph, fut reconnue grosse ayant conçu dans son sein [par l’opération] du Saint-Esprit, avant qu’ils eussent été ensemble.

[12] Chronologia nova, vera et ad calculum astronomicum revocata. Munich, 1612, in-8°, ch. CCXLI, p. 188-201. Beaucoup de traductions modernes reproduisent cette erreur intentionnelle.

[13] Le recensement de Quirinius, p. 41-42.

[14] En voici le texte :

Res Gestæ Divi Augusti. Ed. Th. Mommsen. Berolini, 1865, col. 2 de l’inscription latine, p. XXXVI. Les restitutions sont certaines. Celle de la dernière ligne, renfermant un nombre, est faite d’après l’inscription grecque du monument, complète sur ce point.

[15] Tacite, Annales, III, 48.

[16] Pariter Marmaridas atque Garamantas Quirino subigendos dedit. Florus, Epist. II, 31. Edit. O. Jahn, 1852.

[17] Res gestæ divi Augusti, p. 120.

[18] Mommsen, Res gestæ divi Augusti, p. 111-126. Voyez la restitution, p. 126.

[19] Tiberium quoque Rhodi agentem coluerat. Tacite, Annales, III, 48.

[20] Res gestæ, etc., p. 113-126.

[21] Mox expugnatis per Ciliciam Homonadensium castellis… Tacite, Annales, III, 48.

[22] Strabon, XII, 6,5, p. 487, éd. Didot.

[23] Insignia triumphi adeptus. Tacite, Annales, III, 48. Cf. l’inscription de Tivoli. Voyez plus bas.

[24] Tacite, Annales, III, 22-23 ; Suétone, Tiberius, 49.

[25] Datusque rector C. Caesaris Armeniam obtinenti. Tacite, Annales, III, 48.

[26] XVII, 13,5, et XVIII, 1, 1 ; 2, 1.

[27] Antiquités Judaïques, XVIII, II, 1.

[28] Tacite, Annales, II, 30.

[29] Tacite, Annales, III, 22-23 ; Suétone, Tiberius, 49.

[30] Tacite, Annales, III, 48.

[31] Tacite, Annales, III, 22.

[32] Res gestæ divi Augusti, p. 111 et suiv.

[33] De inscript. latina ad P. Sulpicium Quirinium referenda. Berolini, 1851, 4, p. IV-VII.

[34] N. 5366. Voyez additam., p. 496.- Voici l’inscription dans son état de mutilation :

[35] Res gestæ divi Augusti, p. 113 et suiv.

[36] Res gestæ divi Augusti, p. 114.

[37] Tacite, Annales, II, 43.

[38] Josèphe le dit en propres termes : Άγρίππα μέν οΰν άνιόντι  ́Ρώμην, μετά τήν διοίxησιν τών έπί τής Άσίας δεxαετή γεγεημένην... Antiquités Judaïques, XVI, III, § 3.

[39] Bell. Civ., IV, 51.

[40] Orelli, 572.

[41] Josèphe, Antiquités Judaïques, XVI, VIII, 6.

[42] Antiquités Judaïques, XVI, IX, 1 — X, 8 — XI, 8 ; l. XVII, I, 4, — II, 4 – III, 2 ; et Bell. Jud., I, XXVII, 1-3.

[43] Adv. Marcionem, IV, 19.

[44] Eckhel, III, 275 — Borghesi, Œuvres complètes, II, p. 110.

[45] Antiquités Judaïques, XVII, V, 2 et suiv. ; Bell. Jud., I, XXI, 5 et suiv.

[46] Zonaras, X, 86, et Orose, VII, 3. Suétone, Tiberius, XII.

[47] Eckhel, III, 275.

[48] Josèphe, Antiquités Judaïques, XVII, XIII, 5 ; — XVIII, I, 1 et II, 1.

[49] Eckhel, III, 276 ; Tacite, Annales, II, IV, 43 ; Josèphe, Antiquités Judaïques, XVIII, II, 4.

[50] Auguste, XXIII.

[51] Borghesi, Oeuvres complètes, I, p. 806.

[52] Mommsen, Res gestæ divi Augusti, p. 17.

[53] Annales, III, 48.

[54] Strabon, XII, VI, 5, p. 569.

[55] La voici :

[56] Josèphe, Antiquités Judaïques, XVIII, c. I, § 1.

[57] Le Recensement de Quirinius en Judée, p. 38 et 39.

[58] Le Recensement de Quirinius en Judée, p. 43.

[59] Clementis Alex. Opera. Ed. Migne, Paris, 1857, vol. I, col. 882.

[60] Velleius Paterculus, II, 121. Voyez Lutteroth, p. 57, 59 et 60.

[61] Suétone, Tibère, 20.

[62] Lutteroth, p. 64.

[63] Cui successit Tiberius Cæsar… hujus quinto decimo anno imperii passus est Christus… quæ passio… perfecta est… consulibus Rubellio Gemino et Fufio Gemino. Adversus Judœos, c. VII.

[64] Adversus Marcionem, l. I, c. XIX. Voyez la note de la p. 66-67 de M. Lutteroth sur la prétendue contradiction attribuée à Tertullien au sujet de cette date.

[65] De la croyance due à l’Evangile, p. 383.

[66] Πάσαν τήν οίxουμένην : Luc, ch. II, 1.

[67] Lib. Coloniarum, I, Die Schriften der Römischen Feldmesser, éd. F. Blume, K. Lachmann und A. Rudorff, t. I, p. 239. Berlin, 1848.

[68] Felix Malleolus : De nobilitate et rusticitate dialogus.

[69] Suidas, Lexicon, ΑΠΟΓΡΦΗ.

[70] Inscript. Anq. de Lyon par Alphonse de Boissieu, Perrin, 1846-1854, p. 436.

[71] Épitomé, CXXXVI.

[72] Épitomé, CXXXVII.

[73] Corpus inscript. Gruteri, éd. 1707, n° 502.

[74] Tacitii opera, 1771, in-4° ; t. II, p. 351.

[75] Interea Germanico per Gallias… census accipiente excessisse Augustum. Annales, I, 31 et 33.

[76] Ueber den zur Zeit der Geburt Jesu Christi gehaltenen Census, p. 43 et 44.

[77] Έγένετο έν ταϊς ήμέραις Ήρώδου βασιλέως. S. Luc, I, v. 5.

[78] On payait seulement l’impôt indirect du vingtième des successions, établi en 759 de Rome (l’an 6 de notre ère) par Auguste, et à la levée duquel furent commis des chevaliers avec le titre de Procuratores ad vigesiman hœreditatium.

[79] Intulit et Æmilius Paulus Perseo rege victo e Macedonica præda HS ter millies, a quo tempore populus Romanus tributum pendere desiit. Pline, Hist. nat., XXXIII, III, § 56.

[80] L. LV, 13.

[81] ... Sed et census constat actes sub Augusto, nunc in Judæa per Sentium Saturninum, apud quos genus ejus inquirere potuissent. Tertullien, Adversus Marcionem, l. IV, c. XIX.

[82] Αΰτη ή άπογραφή πρώτη έγένετο ήγεμονενοντος τής Συρίας Κυρηνίου. S. Luc, II, 2.

[83] Tertullien, Adv. Judœos, c. VIII.

[84] M. Lutteroth, supposant que ce Saturninus inconnu, appelé aussi Sentius, aurait rempli les fonctions subalternes de censiteur, en fait nécessairement un autre que l’ex-légat de Syrie, qui était un personnage consulaire.

[85] Justin martyr, Apologie, I, § 34.

[86] Φατέ μέντοι αΰτον (Ίησοΰν) απογράψασθαι μετά τοΰ πατρός xαί τής μητρός έπί Κυρηνίου. S. P. N. Cyrill. Opera, t. IX, d. 826, éd. Migne.

[87] Strauss, Nouvelle vie de Jésus.

[88] Voyez Orelli, inscr. 364.

[89] En 746. Voyez Mommsen, Res gestæ, etc., p. 115.

[90] En 748. Voyez Mommsen, Res gestæ, etc., p. 115.

[91] Histoires, V, 9.

[92] Antiquités Judaïques, XVII, X, 1.

[93] Antiquités Judaïques, XVII, IX, 3.

[94] Voyez l’inscription 364 du recueil d’Orelli.

[95] Pecuniæ vero quam non contemptor, Syria, cui præfuerat, declaravit, quam pauper divitem ingressus dives pauperem reliquit. Velleius Paterculus, II, 417.

[96] (Ælius Lamia) qui administrandæ Syria imagine exsolutus, Urbi præfucat. Tacite, Annales, I. VI, 27.

[97] De la croyance due à l’Évangile, 2e édition, p. 332-333.

[98] Annales, I, 11.

[99] Auguste, 101.

[100] De la croyance due à l’Évangile, p. 335.

[101] Æthicus Ister, Leyde, 1665, p. 26. Voyez le beau travail de M. d’Avezac : Mém. de l’Acad. des Inscr. et Belles-lettres (savants étrangers), 1re série, t. II, p. 376 et suiv.

[102] Agrippam quidem in tanta viri diligentia præterque in hoc opere cura, quum orbem terrarum orbi spectandum propositurus esset, errasse quis credat, et cum eo Divum Augustum. Hist. nat., III, 3, § 14.

[103] Gromatici veteres. Édit. de 1848, p. 239 ; passage dont le texte est cité plus haut.

[104] Quod si quis contradicat, sanctuarium Cæsaris respici solet. Omnium enim agrorum et divisorum et assignatorum formas, sedet divisionem et commentarios et principatus in sanctuario habet. Qualescumque enim formæ fuerint, si ambigatur de earum fide, ad sanctuarium principis revertendum erit. Gromatici veteres, Berlin, 1818, p. 154-155.

[105] Voyez De la croyance due à l’Évangile, p. 336, et surtout note XXVII, p. 523-525.

[106] Orig., V, 36.

[107] De la croyance due à l’Évangile, p. 337, voyez la note 3.

[108] Augusti siquidem temporibus orbis romanus agris divisas censuque descriptus est, ut possessio sua nulli haberetur incerta, quam pro tributorum susceperat quantitate solvenda.  Cassiodore, Var., III, 52.

[109] Palestine, p. 562, 2e col., note 3.

[110] Clitarum natio Cappadoci Archelas subjceta, quia nostrum in modum deferre census pati tributa adigebatur, in tauri juga abcessit. Annales, VI, 41.

[111] Antiquités Judaïques, XVI, IX, 3.