L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

TOME PREMIER — DEPUIS L'ÉDIT DE NANTES JUSQU'AU CONCORDAT (1598-1801)

 

LES CULTES RÉVOLUTIONNAIRES.

 

 

L'Assemblée nationale n'avait pas reculé devant la crainte d'une guerre civile pour établir en France le culte constitutionnel. Cette œuvre lui avait paru tellement nécessaire, qu'elle lui avait sacrifié jusqu'à ses principes les plus chers, jusqu'aux droits inviolables et sacrés inscrits par elle dans sa Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle n'avait pas craint de faire de la constitution civile du clergé la pierre de touche, qui devait lui permettre de reconnaître le bon patriote du mauvais citoyen. Elle avait identifié la cause de la Révolution et celle de l'Eglise constitutionnelle. Quiconque haïssait ou méprisait l'une était par là même suspect de mépriser et de haïr l'autre. Et ce sentiment était alors si profond que nous le verrons persister jusqu'à la veille du Concordat. Il ne cédera qu'à la volonté toute-puissante de Bonaparte.

Il était donc à croire que l'Eglise constitutionnelle, représentant la forme catholique de la Révolution et ayant derrière elle toutes les forces de l'Etat, finirait tôt ou tard par s'imposer à la nation tout entière et par triompher complètement du catholicisme romain.

Il est bien probable que tel eût été, en effet, le résultat de cette grande lutte, si les créateurs de l'Eglise constitutionnelle et leurs continuateurs avaient cru, eux-mêmes, à sa durée et avaient sincèrement désiré son triomphe.

Mais, s'il y avait à la Constituante une minorité de rêveurs pour croire au succès de l'Eglise nouvelle et pour le désirer, la majorité révolutionnaire ne voyait certainement dans cette création qu'un expédient, qu'une mesure provisoire, et escomptait déjà la ruine, à bref délai, de l'institution créée à si grand fracas et à si grand'peine.

C'est parce que l'épiscopat et le clergé de France ont rejeté la constitution civile que le Pape l'a condamnée. C'est parce que la Révolution a abandonné l'Eglise constitutionnelle que celle-ci n'a pu s'imposer à la France.

Le secret de la grande politique est de vouloir ce que l'on veut, de mettre d'accord ses paroles et ses actes, de montrer à la nation un but clair et précis, vers lequel on l'invite à marcher avec la force que donnent une conviction profonde et une volonté réfléchie.

La Révolution a organisé le catholicisme constitutionnel, tout en souhaitant sa disparition ; elle en a fait l'Eglise officielle, tout en refusant d'en faire la religion de l'Etat. Il y a eu antinomie entre ce qu'elle voulait réellement et ce qu'elle semblait vouloir.

La nation n'a pas pris l'Eglise révolutionnaire au sérieux, puisque la Révolution semblait la renier elle-même, et de ces contradictions est née l'anarchie morale qui emporta, presque dans le même moment, l'Eglise révolutionnaire et la République.

Installée en janvier 1791, l'Eglise constitutionnelle cessa d'exister en droit le 21 février 1795 ; mais son existence fut, en réalité, beaucoup plus courte : elle disparut à peu près complètement dès le mois de novembre 1793 ; elle ne dura pas trois ans.

Les chefs du mouvement révolutionnaire crurent, pendant quelque temps, qu'il fallait dissimuler leurs sentiments véritables et que la France n'était pas mûre pour la vie philosophique. Mais leurs agents, plus impatients et moins politiques, osèrent les premiers faire connaître à la foule les idées que les chefs se permettaient seulement de discuter entre eux.

Fourcroy, membre du Comité de l'Instruction publique de la Convention, disait à Grégoire, son collègue : Il faudra casser cette infâme religion. Mais il ne le disait qu'à huis clos ; l'ex-oratorien Fouché le cria sur les toits.

Envoyé en mission à Nevers, au mois de septembre 1793, il se déclara faussement chargé par la Convention de substituer aux cultes superstitieux et hypocrites auxquels le peuple tient encore, malheureusement, celui de la République et de sa morale naturelle (26 sept. 1793).

André Dumont, représentant en mission à Abbeville, reprochait au peuple d'être dupe de ses prêtres, arlequins ou pierrots vêtus de noir, qui montraient les marionnettes pour escroquer de l'argent. Il espérait que bientôt les confessionnaux serviraient, comme les titres de noblesse, à faire des autodafés (Aulard, Le Culte de la Raison, p. 25).

Le 5 novembre, Marie-Joseph Chénier offrait à la Convention le plan d'une religion laïque de la patrie :

Vous saurez, lui disait-il, fonder sur les débris des superstitions détrônées la seule religion universelle, qui n'a ni sectes ni mystères, dont le seul dogme est l'égalité, dont nos lois sont les orateurs, dont les magistrats sont les pontifes, et qui ne fait brûler l'encens de la grande famille que devant l'autel de la patrie, mère et divinité commune.

La Convention applaudissait à ces harangues qui correspondaient si bien à son sens intime ; la Commune se crut autorisée à donner le signal de l'assaut final à la Bastille de la superstition.

Le 14 octobre, elle interdit à Paris l'exercice extérieur du culte.

Le 16 brumaire an II (6 novembre), Léonard Bourdon proposa aux Jacobins de ne plus payer le clergé :

Puisque la Convention voulait assurer la liberté des cultes, il fallait lui pardonner cette faiblesse, mais n'en salarier aucun ; les catholiques de chaque section se réuniraient et loueraient un emplacement où, pour leurs deux sous, ils pourraient se procurer toutes les cérémonies qui leur seraient agréables ; mais l'Etat cesserait de payer des hommes inutiles et dangereux.

L'idée mise sur un terrain aussi pratique devait faire du chemin. Dans la détresse financière du moment, ne plus payer le clergé sembla à beaucoup de gens simples une merveilleuse invention.

Dans la nuit même qui suivit cette séance, les jacobins Clootz et Pereyra se rendirent chez l'évêque de Paris, Gobel, et lui demandèrent sa démission. Gobel était un ambitieux, mais n'était pas un héros ; il répondit que le peuple l'avait envoyé et que le peuple le renvoyait : c'était le sort du domestique aux ordres de son maitre. Il consulta ses vicaires cathédraux, qui, par 14 voix contre 3, optèrent pour la démission ; et le 17 brumaire, à la tribune de la Convention, Gobel vint renoncer à exercer ses fonctions de ministre du culte catholique. Il déposa sur le bureau de l'Assemblée sa croix, son anneau et ses lettres de prêtrise, et se laissa coiffer du bonnet rouge.

La mode fut alors de se déprêtriser. De bruyantes apostasies eurent lieu ; la France sembla prise de vertige ; des milliers de communes fermèrent leurs églises.

Pour célébrer l'avènement définitif de la philosophie, la Convention décida qu'une fête de la Raison aurait lieu le 20 brumaire à Notre-Dame.

Chaumette et Hébert y furent les héros du jour ; la Convention n'y parut point ; mais les nouveaux pontifes allèrent la relancer jusqu'aux Tuileries, lui présentèrent Mlle Maillard, danseuse de l'Opéra, chef-d'œuvre de la nature qu'ils avaient choisie pour représenter la Raison, et qui avait enflammé tous les cœurs. Enflammée à son tour, sans doute, la Convention reconduisit la déesse jusqu'à Notre-Dame, où la cérémonie recommença pour la plus grande joie des spectateurs.

La province suivit le branle : chaque chef-lieu de département voulut avoir sa fête de la Raison, avec défilé, discours, hymne philosophique sur l'air à la mode et déesse en robe blanche et bonnet rouge.

Les écrivains les plus favorables à la Révolution ne s'attardent plus guère à justifier ces excentricités ; ils se bornent à invoquer pour elles les circonstances atténuantes : c'était parfois fort joli ! — C'est possible, mais on pouvait célébrer la fête au théâtre ou à la mairie ; il n'était pas indispensable qu'elle eût lieu dans les cathédrales, peu favorables aux déshabillés galants.

On dit encore qu'il ne faut voir dans ces cérémonies qu'un expédient employé par la Révolution pour vaincre l'Eglise insurgée contre l'Etat (Aulard). C'est là, à notre avis, une interprétation trop indulgente. L'expédient était détestable.

Le mieux est peut-être encore de voir dans la fête de la Raison une farce énorme, inventée par la Commune pour faire la nique au pape. Chaumette parait bien avoir souligné cette intention en faisant décider, le 19 brumaire, que les arrêtés antichrétiens de la Commune seraient traduits en italien et envoyés à Pie VI pour le guérir de ses erreurs.

Il y avait, à la Convention, un homme qui regardait ces inepties avec une indignation aussi profonde que le pape lui-même. Dès le 27 brumaire, Robespierre prononça à la Convention un grand discours, où il porta les premiers coups à la Commune, et le 1er frimaire, aux Jacobins, il opposa à la politique persécutrice de Chaumette et d'Hébert sa politique personnelle de liberté religieuse :

De quel droit, dit-il, des hommes inconnus jusqu'ici dans la carrière de la Révolution viendraient-ils chercher au milieu de ces événements les moyens d'usurper une popularité fausse, jetant la discorde parmi nous, troublant la liberté des cultes au nom de la liberté, attaquant le fanatisme par un fanatisme nouveau et faisant dégénérer les hommages rendus à la vérité pure en farces ridicules ?...

On a supposé qu'en acceptant les offrandes civiques, la Convention avait proscrit le culte catholique. Non, la Convention n'a pas fait cette démarche téméraire ; elle ne la fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des cultes qu'elle a proclamée, et, en même temps, de réprimer quiconque en abuserait pour troubler l'ordre.

La Commune ne sembla point d'abord vouloir reculer ; mais Danton s'allia à Robespierre, et Chaumette et Hébert tentèrent de se rétracter.

Chaumette avait dit, le 3 frimaire :

Les prêtres sont capables de tous les crimes : ils se servent du poison pour assouvir leurs vengeances ; ils feront des miracles, si vous n'y prenez garde ; ils empoisonneront les plus chauds patriotes ; ils mettront le feu à la maison commune ; ils renouvelleront les mines (?), et, quand ils verront brêler leurs victimes, ils diront que c'est la justice du ciel qui les punit.

A la suite de ce discours, la Commune avait décidé la fermeture de toutes les églises et de tous les temples de Paris.

Le 8 frimaire, Chaumette était revenu à des sentiments plus doux : Ne nous informons pas, disait-il, si un homme va à la messe ou à la synagogue ou au prêche. Informons-nous seulement s'il est bon républicain.

La Commune permit l'exercice du culte dans l'intérieur des maisons.

Hébert protesta contre l'accusation d'athéisme que lui lançait Robespierre, et dit qu'il prêchait, au contraire, aux habitants des campagnes la lecture de l'Evangile, excellent livre de morale, dont il fallait suivre les maximes pour être un parfait jacobin. Le Christ lui semblait être le vrai fondateur des sociétés populaires.

Le culte de la Raison ne fut qu'une crise de quelques semaines ; il disparut sans retour avec ses fondateurs (24 mars 1794).

La doctrine de la neutralité de l'Etat en matière religieuse disparut avec Danton (16 germinal an II, 5 avril 1794).

Robespierre, maure incontesté de la Convention, dévoila alors son plan personnel.

Le 6 avril 1794, Couthon, le plus convaincu de ses disciples, proposait à l'Assemblée l'institution d'une fête décadaire dédiée à l'Eternel, dont les hébertistes n'avaient pas ôté au peuple l'idée consolante.

Le 18 floréal, Robespierre exposa à la Convention les principes sur lesquels il entendait fonder les institutions républicaines.

L'idée de l'Etre suprême, dit-il, et de l'immortalité de l'âme est un rappel continuel à la justice : elle est donc sociale et républicaine. Qu'est-ce que les conjurés — les hébertistes — avaient mis à la place de ce qu'ils détruisaient ? Rien, si ce n'est le chaos, le vide et la violence. Ils méprisaient trop le peuple pour prendre la peine de le persuader ; au lieu de l'éclairer, ils ne voulaient que l'arrêter, l'effaroucher ou le dépraver.

Déiste convaincu, il plaida cependant surtout l'utilité sociale de l'idée religieuse :

Aux yeux du législateur, tout ce qui est utile et bon dans la pratique est la vérité. Le chef-d'œuvre de la société serait de composer dans l'homme pour les choses morales un instinct rapide, qui, sans le secours tardif du raisonnement, le portât à faire le bien et à éviter le mal. Or, ce qui produit ou remplace cet instinct précieux, ce qui supplée à l'insuffisance de l'autorité humaine, c'est le sentiment religieux, qui imprime dans les âmes l'idée d'une sanction donnée aux préceptes de la morale par une autorité supérieure à l'homme.

Ce n'était point là certes un langage d'une extraordinaire élévation ; mais, après les folies de novembre 1793, on devait respirer avec joie cet air plus pur et plus fortifiant. Le malheur voulait que ces idées furent exprimées par un homme déjà couvert de sang, et qui avait prouvé par trop de mauvaises actions l'incapacité de sa conscience à discerner le bien du mal.

Philosophique et sociale avant tout, la religion de Robespierre ne voulait rien avoir de commun avec le christianisme, dont elle repoussait avec un égal dédain les dogmes et la hiérarchie. Les prêtres étaient, pour le nouveau prophète, des charlatans et des malfaiteurs ; leur ministère n'était pas seulement inutile ; il était outrageant pour la divinité :

Le véritable prêtre de l'Etre suprême, c'est la nature ; son temple, l'univers ; son culte, la vertu ; ses fêtes, la joie d'un grand peuple rassemblé sous ses yeux pour resserrer les doux nœuds de la fraternité et lui présenter l'hommage de cœurs sensibles et purs.

Robespierre maintenait le principe de la liberté des cultes, mais vouait au mépris les cultes dissidents, appelés à disparaître devant le progrès de l'esprit humain. Quant à ceux qui seraient assez hardis pour combattre le sublime enthousiasme qu'il voulait éveiller dans les âmes, Robespierre demandait à la Convention de les anéantir, comme ennemis de la nature et du genre humain.

L'utilitarisme, dont s'était réclamé Robespierre, fut réellement l'idée dominante de ses contemporains.

La Commune déclara, le 24 floréal, que, si l'idée de Dieu est précieuse à l'homme de bien, elle est odieuse au méchant et par la même utile à la société.

Le Club des jacobins ne voyait dans les nouveaux principes que des sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d'être bon citoyen. Rallions-nous tous, disait-il, autour de ces principes sacrés. On ne peut obliger personne à les croire ; mais que celui qui ose dire qu'il ne les croit pas se lève contre le peuple français, le genre humain et la nature !

Le maire de Paris, Lescot-Fleuriot, alla plus loin encore, et promit carrément aux paysans de bonnes récoltes au nom de l'Eire suprême.

La fête du 20 prairial commença comme une apothéose et se termina dans un cri de haine et de mépris.

Le spectacle fut, un moment, merveilleux.

Arrivés au pied de la montagne symbolique érigée sur le Champ-de-Mars, les pères bénirent leurs enfants. Un instant courbés, les fils se relevèrent en brandissant leurs armes, les filles en jetant des fleurs, et vers le ciel monta une immense acclamation, l'hommage de la France républicaine, apaisée et réconciliée, à l'intelligence créatrice et protectrice de l'univers.

Mais, en élevant leurs regards vers le ciel, les assistants aperçurent Robespierre triomphant au milieu de la Convention. Et il semble qu'il se soit passé alors quelque chose de vraiment extraordinaire. L'antithèse était si frappante et si terrible entre l'acte solennel qui venait de s'accomplir et l'homme qui y présidait, la cérémonie était si auguste et l'homme si odieux, que tous les yeux furent dessillés et qu'un flot de mépris monta dans tous les cœurs. Dieu parut repousser l'hommage qui lui était offert par le sectaire forcené. Robespierre, qui avait gravi la montagne au bruit des applaudissements, la redescendit au milieu des injures et des menaces. Son retour aux Tuileries eut l'allure d'une fuite éperdue.

A Paris, au moins, le culte de l'Eire suprême était mort, tué par l'indignité de son prophète.

Les ordres étaient lancés dans les provinces. Partout on répéta le geste parisien, avec cette docilité qui enchante les politiques et désespère les philosophes.

Plus graves et plus religieuses que les fêtes de la Raison, les fêtes de l'Être suprême parurent aussi plus ennuyeuses. Les esprits restés religieux n'y voyaient qu'une parodie des cérémonies chrétiennes ; tes indifférents les trouvaient longues et banales ; les hommes hostiles à toute religion blâmaient plus ou moins ouvertement cette maladroite tentative de restauration religieuse.

Soulaville, rédacteur aux Annales patriotiques, ne dissimulait pas son peu de sympathie pour le déisme de Robespierre et trouvait, pour le combattre, plus d'une raison originale et sérieuse

Quand on est persuadé de l'existence d'un maître invisible, qu'on croit exorable par des prières, des supplications, des hommages, des soins, des attentions, en un mot par toutes les considérations qui touchent et séduisent les hommes, on s'étudie à le capter, à le tromper même... La dévotion n'est qu'un commerce gratuit de tricherie et d'égoïsme, un véritable cours de fausseté.

En réalité, le déisme est une noble religion ; mais il ne peut être un culte. Religion sans dogmes, sans prêtres et sans temples, il vit de la seule vie de l'âme ; il est toute méditation, toute contemplation ; il met face à face l'homme et la divinité sans intermédiaires, sans témoins indiscrets. C'est une chose ailée et insaisissable, qu'on ne peut rendre sensible sans la dénaturer, qu'on ne peut fixer un instant sans la glacer ; quand on croit la tenir, elle est déjà morte.

Il n'est rien de plus grand ni de plus beau qu'un élan sincère de l'âme vers Dieu. Essayer d'écrire une invocation, de formuler un acte de foi, est déjà une entreprise scabreuse et délicate où ont échoué souvent les meilleurs esprits. Inventer un culte de toutes pièces, comme les philologues de nos jours inventent une langue, c'est courir de gaieté de cœur au ridicule.

Le programme des fêtes populaires est fatalement banal et borné ; processions, cavalcades, chars symboliques, discours, cantates, illuminations, feux d'artifice : tout cela paraît mesquin, quand la tradition ne l'a pas consacré, quand l'antiquité ne l'a pas rendu vénérable, quand le consentement général ne vient point lui prêter un sens et le vivifier.

Là où le culte de l'Etre suprême parut vivre, un instant, c'est que l'enthousiasme révolutionnaire en fit la fête de la Patrie et de la Liberté.

Dans quelques villes, où elle eut quelque poésie et quelque douceur, on en fit presque une cérémonie chrétienne.

Trop souvent, il ne fut qu'une pompe officielle, où des acteurs jouèrent un rôle.

Le culte de l'Etre suprême serait probablement mort de langueur, si Robespierre et vécu ; il périt avec lui de mort violente, le 10 Thermidor. Le pontife une fois disparu, la religion parut décapitée ; personne ne songea plus à s'y intéresser.

Nous verrons bientôt comment le catholicisme sut profiter du mouvement thermidorien pour se reconstituer et revivre, en pleine période révolutionnaire, d'une vie agitée, mais qui finit par le conduire à la victoire.

Même après la chute de Robespierre, le catholicisme resta pour tous les politiques jacobins l'ennemi naturel qu'il ne fallait pas se lasser de combattre, et beaucoup d'entre eux conservèrent encore l'espoir de donner à la république une religion nouvelle, nettement révolutionnaire et anticléricale.

Le culte de l'Etre suprême avait pris, suivant les lieux, deux formes distinctes. Ici, il avait tendu à se rapprocher du christianisme ; là, il n'avait été qu'une glorification de la Révolution et de la République. A cette double tendance religieuse et patriotique correspondent les deux derniers cultes révolutionnaires, dont il nous reste à parler : la théophilanthropie et le culte décadaire[1].

***

La théophilanthropie fut le résultat d'une série d'études assez intéressantes, entreprises vers l'an IV par des jacobins qui essayèrent de se reconstituer en corps délibérants sous forme d'associations religieuses. Ils inventèrent successivement le Culte des égaux et le Culte social, qui demeurèrent à l'état de projets.

Daubermesnil, un caractère romantique et enthousiaste, imagina le Culte des adorateurs, religion scientifique et symbolique, où l'astronomie devait jouer un grand rôle :

Le temple, dit Daubermesnil, sera ovale, orienté du Nord au Sud, deux fois plus long que large, couvert d'une voûte épaisse, éclairé par quatre fenêtres rondes, situées aux quatre points cardinaux, dominé par un observatoire d'où les savants étudieront le cours des astres... Les signes du zodiaque seront peints sur les murs intérieurs de l'édifice, et, au-dessous de chacun d'eux, on figurera trente papillons, symboles des a moments fugitifs que Dieu nous donne.

Presque au même moment, un autre rêveur, Benoit Lamothe, publiait dans le numéro 10 et dernier de l'Observateur de l'Yonne un projet de Culte social, inspiré de très près du catholicisme. Le ministre bénissait l'assemblée des fidèles et a prononçait en français l'oraison du sage de la Galilée.

Un autre encore, Bressy, proposait un Culte naturel, fondé sur les vérités scientifiques, et accompagné d'expériences capables d'impressionner fortement les ignorants.

Il y eut encore les théistes, adorateurs d'un Dieu et amis des hommes ; il y eut, à Toulon, les adorateurs de la liberté et de l'égalité.

Au milieu de toutes ces tentatives, on s'étonnera sans doute de ne pas voir figurer la franc-maçonnerie. Assez peu en faveur auprès du Directoire comme de la Convention, elle ne comptait plus, en 1796, que dix-huit loges en activité. La grande loge était en sommeil depuis 1792 (Mathiez, p. 83).

En septembre 1796, un libraire de Paris, nommé Chemin, publia un Manuel des théoanthropophiles, où il exposait ses idées sur l'organisation d'un culte déiste. A la base de sa religion, il plaçait une croyance de sentiment en l'existence de Dieu et en l'immortalité de l'âme. Sa morale se fondait sur l'utilité sociale. Son culte, très simple, pouvait être improvisé à peu près partout : quelques inscriptions morales, un autel très simple, sur lequel on déposerait, en signe de reconnaissance pour les bienfaits du Créateur, quelques fleurs ou quelques fruits, suivant les saisons, une tribune pour les lectures ou les discours : voilà tout l'ornement du temple.

Chemin ne tarda pas à trouver des adeptes, parmi lesquels le frère du physicien Hauÿ, Valentin. Comme le nom de théoanthropophiles ne paraissait pas assez harmonieux, on le changea en théophilanthropes, et, pendant quelques mois, le culte célébré dans le silence des foyers domestiques fit le bonheur de quelques sages.

Le premier exercice public du culte théophilanthropique eut lieu le 26 nivôse an V (15 janvier 1797) dans la petite église Sainte-Catherine. Le service avait lieu tous les dimanches à 11 heures. De nombreuses adhésions se produisirent et rendirent bientôt l'église trop petite.

Les élections de l'an V ayant donné la majorité aux clichiens, catholiques et réactionnaires, le directeur La Revellière se rejeta vers la théophilanthropie, en haine du catholicisme, qui lui apparaissait comme un instrument d'oppression et de corruption. Il prit le nouveau culte sous sa protection et se donna beaucoup de mal pour convertir ses collègues. Le juriste Rewbel ne vit dans le nouveau culte qu'une concurrence à organiser contre le catholicisme. Barras se moqua franchement du mysticisme de La Revellière : Il n'y a pas, lui dit-il, de bonne religion sans martyrs ; pour faire prospérer la tienne et lui donner du relief, tu devrais commencer par te faire pendre.

Malgré les sarcasmes de Barras, La Revellière présenta la théophilanthropie à l'Institut dans un grand discours-programme instructif à plus d'un titre. Le nouvel apôtre s'y montra aussi peu religieux que possible, en exposant à la docte assemblée qu'un homme qui a reçu une éducation soignée peut, sans croyances et sans culte, exercer toutes les vertus sociales, mais que cela n'est pas vrai d'un peuple. Ce raisonnement devait être bien à la mode à la fin du XVIIIe siècle, puisqu'il eut dans la bouche de La Revellière le même succès que dans celle de Robespierre et dans celle de Chaumette.

Le nouveau culte, officiellement encouragé, se développa rapidement ; le coup d'État de Fructidor fut pour lui une vraie victoire. Il s'installa à Saint-Thomas d'Aquin, à Saint-Étienne du Mont, à Notre-Dame.

On eut le spectacle, nouveau en France, d'églises servant en même temps au culte catholique et au culte théophilanthropique. A Notre-Dame, les théophilanthropes occupaient le chœur de l'église ; les catholiques avaient adossé leur autel au portail du transept nord ; les administrateurs des deux cultes s'entendaient pour les heures et se partageaient les frais de l'entretien de l'édifice.

Les rapports entre les théophilanthropes et leurs frères catholiques n'étaient pas toujours très faciles. Les catholiques se montraient défiants et ombrageux ; leur foi intransigeante s'accommodait mal d'un partage avec un culte hérétique et à peine chrétien. Il ne faut pas s'en étonner ; il faut bien plutôt admirer que des hommes si différents aient pu, au lendemain de la Terreur, se supporter. Le fait prouve que la tolérance se serait très vite établie, si les calculs d'un ambitieux n'étaient venus bientôt tout remettre en question. Déjà, à Saint-Germain l'Auxerrois, théophilanthropes et catholiques vivaient en paix et bon accord.

Pendant quelques mois, le nouveau culte parut se développer avec vigueur. Il attirait à lui beaucoup de catholiques par la simplicité de ses rites et la douceur de son dogme, qui rejetait résolument la doctrine de l'Enfer.

Les élections de germinal an VI troublèrent cette prospérité naissante. Furieux de voir les jacobins revenir en grand nombre dans les Conseils, le Directoire accusa les théophilanthropes de faire de la propagande jacobine et leur retira ses bonnes grâces. Lors de l'inauguration du culte à Notre-Dame, le 10 floréal an VI (30 avril 1798), aucun personnage officiel n'y assistait.

La théophilanthropie avait cependant jeté d'assez profondes racines pour survivre à la crise. Elle avait des représentants dans un grand nombre de départements ; elle débordait même sur l'étranger et jusqu'en Amérique. Elle survécut deux ans au 18 Brumaire ; mais Bonaparte ne lui montra aucune tendresse et la supprima sitôt qu'il le put, comme un foyer d'idées révolutionnaires. A la prière du nonce du pape, Spina, il chassa les théophilanthropes de tous les édifices nationaux, le 12 vendémiaire an X (4 octobre 1801), et quand ils voulurent se réunir ailleurs, la police refusa de recevoir leur déclaration.

La théophilanthropie. qui, parait-il, a encore des adeptes, est une tentative beaucoup plus intéressante que les cultes de la Raison et de l'Être suprême. On pourrait la définir un essai d'organisation du déisme chrétien.

Elle se rattache au christianisme par l'idée qu'elle se fait de Dieu ; elle répudie toute relation avec le judaïsme ; elle renonce au dieu jaloux et vengeur de la Bible, pour s'en tenir uniquement au Dieu paternel et bienveillant de l'Evangile.

Tout son dogme tient dans cette croyance.

Toute sa morale, dans le principe de l'amour des hommes.

Le culte est une sorte de compromis entre l'austérité du culte calviniste et la pompe du culte catholique.

Comme les protestants, les théophilanthropes bannissent de leurs temples les images de la Divinité.

Ils les remplacent par des inscriptions morales :

Le bien est tout ce qui tend à conserver l'homme ou à le perfectionner, le mal est tout ce qui tend à le détruire ou à le détériorer.

Adorez Dieu ; chérissez vos semblables ; rendez-vous utiles à la patrie.

Femmes, voyez dans vos maris les chefs de vos maisons ; maris, aimez vos femmes, et rendez-vous respectivement heureux.

L'autel n'existe que pour mémoire ; c'est un cippe, sur lequel on place une simple corbeille de fleurs, le plus souvent fausses.

Dans les grandes fêtes, l'autel est fait de verdure, paré de fleurs véritables, et le pavé du temple est couvert de plaques de gazon.

L'officiant, marié ou veuf, a un costume : tantôt c'est une longue robe blanche, tantôt c'est une toge rattachée par une ceinture de soie bleue brodée de fleurs au naturel.

La secte a publié des rituels, des missels, des recueils d'odes et de prières[2] ; elle tend visiblement à organiser un culte régulier, très semblable à celui de l'Eglise anglicane.

L'office solennel du dimanche commence par le chant d'introduction Adorateurs de l'Éternel, dont tous les assistants répètent en chœur le refrain. Le célébrant récite ensuite une invocation en prose à l'Etre suprême, ce Dieu de bonté à qui le théophilanthrope n'adresse point d'indiscrètes prières, car il sait que tout ce qui arrive devait arriver, et il s'y conforme de bon Cœur.

L'invocation est suivie du chant d'un hymne. Puis le lecteur reprend la parole pour l'examen de conscience. Il demande à ses frères s'ils ont rempli leurs devoirs envers eux-mêmes, envers leur famille, envers la société.

Une nouvelle invocation et un nouvel hymne terminent la première partie de la cérémonie.

La seconde partie comprend une homélie et des lectures morales entremêlées de chants.

La troisième partie comporte une invocation à la patrie et une exhortation finale. Le lecteur demande à Dieu de protéger le sol natal contre l'invasion ennemie, de faire régner les vertus publiques, d'éloigner les guerres civiles, d'inspirer aux magistrats l'esprit de justice et de désintéressement.

Malgré les efforts des ritualistes pour amener la secte à l'unité, l'office théophilanthropique comporta de grandes variétés, et

finit, dans l'Yonne, par ressembler à une véritable messe avec Introït, Gloria, Credo, Préface, Adoration, Pater, Agnus Dei et Alléluia.

Le Credo que l'on chantait sur l'air du Chant du départ, était rempli de souvenirs chrétiens :

Je crois en un seul Dieu, du ciel et de la terre

Créateur sage et tout-puissant,

Qui dans l'immensité répandit la lumière,

Mit un frein au vaste Océan.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous croyons que Jésus fut envoyé sur terre

Pour nous instruire et nous guider,

Pour réformer la loi, cette loi salutaire,

Mais non, dit-il, pour la changer.

Je jure de rester fidèle

A son Evangile sacré.

Où trouver doctrine plus belle ?

De Dieu même il fut inspiré.

Le méchant, paré d'un faux zèle,

Profane un titre glorieux.

Le vrai chrétien, le vrai fidèle,

C'est l'homme juste et vertueux.

La théophilanthropie avait encore des offices pour les baptêmes, les mariages et les enterrements.

Le baptême était une initiation à la vie et non une purification. La théophilanthropie rejetait l'idée du péché originel :

Abaisse un regard paternel,

Sublime auteur de la nature,

Sur l'innocente créature

Que l'on présente à ton autel.

Dieu bon ! d'un crime imaginaire

Pourrais-tu punir un enfant ?

Aux vœux d'un peuple suppliant

Protège l'enfant et sa mère !

Le mariage était assez mal vu, à la fin du dix-huitième siècle ; les hommes de cette époque, très sceptiques et très sensuels, n'y voyaient qu'une chaîne maussade, et le divorce, voté le 20 septembre 1792, avait eu à Paris un succès effrayant.

Les théophilanthropes essayèrent de remettre le mariage en honneur. Les époux étaient enlacés de rubans et de guirlandes de fleurs dont les extrémités étaient tenues par de jeunes enfants ; l'époux passait l'anneau nuptial au doigt de l'épouse, et le célébrant leur disait : Jeunes époux, soyez toujours unis aussi étroitement que le sont entre elles les deux parties de cette alliance. Il prononçait un discours de circonstance, et la cérémonie s'achevait par le chant d'un hymne :

Pour enchaîner nouveaux époux

Formons des guirlandes légères,

Symbole des nœuds les plus doux.

Tendres amants, jeunes époux,

Goûtez des jours longs et prospères

Et chantez, chantez avec nous :

Vivre pour ce qu'on aime,

Rendre heureux qui nous aime,

C'est le premier devoir, c'est le bonheur suprême.

Et, pour faire honte aux célibataires, une strophe vengeresse ajoutait :

Vous qui fuyez le nœud charmant

Que l'hymen offre à la jeunesse,

Ah ! quel est votre égarement

Dans le plus triste isolement,

Un jour, l'ennui de la vieillesse

Deviendra votre châtiment.

Les funérailles comportaient un sage éloge du mort, s'il avait bien vécu ; un silence charitable, s'il n'avait pas été vertueux.

L'assemblée se séparait sur un hymne funèbre de facture parfois assez médiocre :

Mourir est une loi commune

Imposée à tous les états :

Jeunesse, grandeur et fortune,

Rien ne peut soustraire au trépas.

Mais que peut craindre en l'autre vie

L'homme juste et bon citoyen,

Celui qui chérit son prochain

Et qui servit bien sa patrie ?

Oui, l'âme est immortelle, ô consolant espoir !

Amis, au sein de Dieu, nous pourrons nous revoir.

Henri Heine a dit du catholicisme qu'il était une bonne religion d'été. La théophilanthropie n'est qu'une pastorale et qu'un décor : trop compliquée pour une philosophie, trop nue pour une religion, elle ne peut convenir qu'aux âmes médiocres et tièdes, sans curiosité, sans enthousiasme et sans élan.

Les hommes politiques s'arrêtaient fort peu à ces berquinades ; mais, engagés dans une lutte à fond contre le clergé catholique, ils songèrent à créer, en France, une religion laïque et républicaine. Comme les empereurs romains avaient fondé le culte de Rome et d'Auguste, ils entreprirent de créer le culte de la Patrie... et du Directoire ; ces réalités sensibles leur semblaient bien autrement intéressantes que les mystères de l'ancienne foi on les pâles moralités de la théophilanthropie. Il leur parut souverainement politique d'inculquer à tous le culte de l'Etat, source de leur propre puissance.

Un arrêté du 14 germinal an VI (3 avril 1798) rappela les populations à l'observance des fêtes décadaires, consacrées par le calendrier républicain.

Les lois des 17 thermidor (4 août) et 23 fructidor (9 septembre) aggravèrent encore le décret, défendirent tout travail le décadi et punirent les contrevenants de l'amende et même de la prison.

François de Neufchâteau, ministre de l'intérieur, rédigea le manuel du nouveau culte, qu'on voulut uniforme dans toute la France, sans les variétés locales qu'on avait maintes fois signalées déjà, et qui parurent déplacées dans une œuvre strictement officielle.

Le nouveau culte offrit aux patriotes un certain nombre de grandes fêtes, consacrées aux divinités de l'Olympe politique.

Le 9 thermidor, on célébra la fête de la Liberté par un cortège triomphal, où figurèrent les œuvres d'art conquises par l'armée d'Italie et destinées à orner désormais le berceau de la Liberté. Les élèves du Conservatoire exécutèrent le Carmen sæculare d'Horace, mis en musique par Philidor, et une ode de Lebrun, musique de Lesueur.

La fête du 10 août fut marquée par des courses de chars et par un feu d'artifice, où l'on brûla les attributs de la royauté.

L'anniversaire du 18 fructidor rappelait la victoire du parti régnant, et, quoique les guerres civiles ne comportent pas de triomphes, le Directoire voulut célébrer ce jour de justice et de clémence.

Sur un piédestal, une Justice tenait le glaive levé ; mais la Clémence arrêtait son bras et montrait du doigt l'Occident, spirituelle allusion à la Guyane, où 53 représentants avaient été déportés.

La fête de la République (1er vendémiaire) coïncida avec la distribution des récompenses de la première exposition industrielle.

Le 21 janvier (2 pluviôse), le Directoire et les autorités se rendaient au temple de la Victoire (Saint-Sulpice) pour y prêter le serment de haine à la royauté.

La fête de la Souveraineté du peuple avait lieu le 30 ventôse, veille de la réunion des assemblées électorales. Elle avait pour but principal d'enflammer l'âme et les esprits des citoyens, de les remplir du sentiment de leur propre dignité, de les disposer par ce moyen à ne faire que des choix qui les honorent eux-mêmes, à fonder ainsi pour jamais la gloire et le bonheur de la République.

Il y eut encore des fêtes de la Jeunesse, des Epoux, de l'Agriculture, de la Reconnaissance, de la Vieillesse.

Le peuple de Paris, toujours si amoureux de bruit et de mouvement, courait aux danses, aux concerts et aux feux d'artifice. Une liberté singulière régnait, ces jours-là, dans la ville. On vit une fois plus de cinq cents coureurs se disputer le prix de la course au Champ-de-Mars ; ils appartenaient à toutes les classes de la société. Parmi eux figuraient un trésorier des guerres et le citoyen Lenoir, directeur des Monuments français.

On s'amusait ainsi beaucoup, mais parfois aux dépens des autorités, et l'on ne voit pas très bien le profit moral que le gouvernement retira de toutes ces cavalcades et de toutes ces exhibitions.

***

Le culte décadaire proprement dit était encore plus froid.

Les églises, transformées en temples décadaires, devaient être garnies de tribunes réservées aux vétérans des armées nationales, aux instituteurs de la jeunesse et à leurs élèves. Le public remplissait les nefs.

A onze heures du matin, les autorités constituées, en costume officiel, entraient dans le temple au son des orgues, et s'installaient sur une estrade placée au chevet de l'édifice. Vingt-cinq gardes nationaux, portant des branches d'olivier, escortaient les magistrats et assuraient le service d'ordre.

La cérémonie commençait par la lecture des lois. Puis le président interrogeait les élèves des écoles sur les articles de la constitution et sur les lois nouvelles. Un hymne ou une symphonie suivaient l'interrogatoire.

On lisait ensuite le Bulletin décadaire. On proclamait au son des trompettes les noms des citoyens morts pour la patrie.

Les citoyens qui s'étaient signalés par des actes de courage recevaient une couronne civique au bruit des fanfares. On procédait enfin au mariage de tous les fiancés du canton, que le président exhortait à vivre dans la concorde et l'union.

La séance était levée aux sons d'une symphonie d'un mouvement vif et rapide et propre à inspirer aux citoyens des sentiments généreux et fraternels.

On a peine à comprendre que des cérémonies aussi parfaitement ennuyeuses aient pu avoir en France la moindre vogue. On les vit cependant assez fréquentées, et elles se maintinrent jusqu'au 7 thermidor an VIII (27 juillet 1800) ; mais on ne saura jamais an prix de quelles tracasseries le gouvernement était parvenu à les faire durer aussi longtemps.

Cette institution avait été considérée par le Directoire comme une loi de salut national ; elle représente, en effet, parfaitement la conception politique du culte révolutionnaire.

La Révolution est devenue la véritable Divinité ; elle s'est d'abord adressée à l'ancienne Eglise et lui a demandé de l'installer sur ses autels ; sur son refus, elle s'est présentée elle-même à l'adoration du peuple au nom de la Raison et de l'Être suprême ; elle a fini par comprendre qu'elle avait dans les magistrats un clergé à ses ordres, dans tous ceux qui vivent de l'Etat ou qui le craignent des fidèles tout désignés, et elle les a contraints à venir, chaque décadi, lui prêter foi et hommage. Mais un parti, si grand qu'il soit, n'est pas un dieu.

 

 

 



[1] Nous suivrons, pour la fin de ce chapitre, l'excellent livre de M. Albert Mathiez : La Théophilanthropie et le Culte décadaire, Paris, Alcan, 1903, in-8°.

[2] Recueil de cantiques, hymnes et odes pour les vies religieuses et morales des théophilanthropes, ou adorateurs de Dieu et amis des hommes, précédés des invocations et formules qu'ils récitent dans lesdites fêtes. Paris, an VI, in-8°.