L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

TOME PREMIER — DEPUIS L'ÉDIT DE NANTES JUSQU'AU CONCORDAT (1598-1801)

 

L'ÉGLISE AU XVIIIe SIÈCLE.

 

 

Le 2 septembre 1715, la place du Palais, à Paris, présentait une animation extraordinaire. La foule remplissait les rues, tous les balcons ; les toits même étaient couverts de peuple. Les magnifiques troupes de la maison du roi faisaient la haie devant la Sainte-Chapelle, leurs grands drapeaux bleus fleurdelisés d'or et barrés d'une croix blanche ondoyaient au vent. Les carrosses se pressaient sur deux et trois rangs dans la cour du Palais. Messieurs, dans leurs robes rouges, accompagnaient jusqu'au bas du perron de la Chapelle Monseigneur le duc d'Orléans, régent du royaume, et tous les yeux allaient à un enfant de cinq ans et demi, que l'on descendait au bras, le long des degrés, et qui, le cordon bleu sur la poitrine et le chapeau sur la tête, regardait gravement toute cette foule et cet imposant appareil militaire. Cet enfant était le nouveau roi Louis XV, qui commençait au milieu des acclamations, des applaudissements, des élans de loyalisme et d'amour de tout un peuple, un des plus longs règnes de notre histoire.

L'Eglise pouvait le saluer avec joie, car elle avait vaincu tous ses ennemis, abattu jansénistes et quiétistes, soumis ou banni les protestants ; elle ne voyait plus devant elle qu'une route droite et unie, où elle s'avançait comme en procession, magnifique, triomphante, souveraine.

Mais c'est une loi de la vie que la victoire corrompt le vainqueur, l'endort et lui fait perdre peu à peu les vertus héroïques auxquelles il avait dû son triomphe. L'Eglise n'échappa point à cette loi fatale, et le XVIIIe siècle, qui semblait devoir être tout à elle, vit au contraire le commencement de son déclin.

Rien dans ce siècle n'attire les regards de l'historien sur l'Eglise. Plus de grandes discussions dogmatiques comme dans l'âge précédent. Il semble que la victoire de Bossuet sur Fénelon ait découragé les penseurs, et que l'on n'ose plus parler des choses du ciel par crainte des disgrâces de la terre. Plus de ces grands apôtres de la charité, comme saint François de Sales et saint Vincent de Paul ; des hommes de devoir, et en grand nombre, mais qui ne passent point l'ordinaire mesure et dont la vertu estimable n'a rien d'héroïque. Plus de fondations d'ordres, mais, au contraire, une tendance marquée à en diminuer le nombre, à en restreindre la richesse et l'influence.

L'Eglise est le premier corps de l'Etat, le mieux renié, le plus respecté en apparence ; mais elle semble avoir perdu le sens de la vie. C'est une puissance qui vit sur son passé, administre et conserve ses biens, demeure au même degré de splendeur où des siècles de foi l'ont portée, mais semble inhabile désormais à produire, à inventer, à créer quoi que ce soit de grand et de durable.

Le XVIIIe siècle a connu encore un certain nombre d'ecclésiastiques hommes d'Etat. Aucun d'eux n'a ajouté de pages bien brillantes à l'histoire politique de l'Eglise.

Le premier qui ait paru sur la scène est l'abbé Dubois, ancien correcteur de thèmes du régent, type de grécule sans idéal et sans conscience, dont l'insolente fortune fut comme un défi à la raison et à la morale. Dubois a avili son maître, qui le méprisait ; mais il l'a amusé, et, pour un blasé comme était le régent, un homme amusant était un homme précieux. Philippe voyait en Dubois quelque chose comme le prototype du coquin et prenait un singulier plaisir à chercher jusqu'où. il pousserait l'effronterie. Le cynisme de Dubois n'eut pas de limites. On a tenté de le réhabiliter en montrant qu'il avait obtenu au régent l'alliance de l'Angleterre et empêché Alberoni de rallumer la guerre européenne. Nous voulons bien qu'il ait rendu ainsi quelque service à son maure ; mais, si le duc d'Orléans put se féliciter personnellement de l'alliance anglaise, la France n'en éprouva guère que dommages et humiliations. En tout cas, le service fut payé trop cher à Dubois par l'archevêché de Cambrai et le chapeau de cardinal. Dubois successeur de Fénelon ! Quelle bonne partie de fou rire durent faire ensemble le régent et l'abbé, quand cette énorme plaisanterie fut imposée à la Cour, à l'Eglise et à la France !

Après Dubois, Fleury. Nous remontons de plusieurs degrés. Le précepteur de Louis XV, qui jouait aux cartes avec son élève, au lieu de le faire travailler, n'est pas un génie ni même un honnête homme ; après l'affreux pitre dont le régent fit ses délices, il fait l'effet d'un juste et d'un vertueux personnage. Au fond, ce ne fut qu'un adroit courtisan, un arriviste patient et habile, un administrateur passable et un médiocre politique.

La France lui dut quelques années de paix, qu'elle employa à s'enrichir mais, toujours féru de l'alliance anglaise, Fleury laissa dépérir notre marine, et quand l'inévitable rivalité mit l'Angleterre et la France aux prises, la France était vaincue d'avance, par l'avarice et l'imprévoyance du ministre. Il est beau d'aimer la paix, il est mieux de se mettre en état de la défendre ; l'homme le plus fort est celui qui risque le moins d'être attaqué.

Le cardinal de Bernis a présidé au renversement des alliances et a été le grand ministre de Mme de Pompadour. Il tournait galamment le vers badin, mais y prodiguait si bien les fleurs que Voltaire l'avait surnommé Babet la Bouquetière. Aimable épicurien, il sut vivre partout d'une vie douce et élégante. Ambassadeur à Venise, il ne parut pas s'y déplaire ; exilé de la cour par Choiseul, il se bâtit un joli château dans sa ville archiépiscopale d'Alby ; ambassadeur à Rome, il y vécut en grand seigneur, y tint table ouverte et y fit grande figure jusqu'au jour où la Révolution vint le relayer. Ce fut un homme d'esprit et de bonne compagnie, chez qui il faisait bon souper.

L'abbé Terray, ministre des finances du triumvirat, avait plus de talent, et moins de conscience encore. C'est à lui que Louis XV a dû la paix des dernières années de son règne ; mais la misère générale était la rançon des splendeurs de la cour, et l'humeur cruelle du ministre contribua encore à faire abhorrer le régime qu'il représentait.

Le cardinal de Rohan n'a pas été ministre, mais son nom reste attaché à la scandaleuse affaire du collier, où ce prince de l'Eglise donna la mesure de sa vanité, de son immoralité et de sa sottise, et compromit le haut clergé et la couronne, au grand profit de la Révolution.

Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse et successeur de Calonne, voulut reprendre le rôle de Maupeou, briser l'opposition parlementaire et rétablir l'ordre dans les finances par la banqueroute ; mais ces honnêtes desseins furent renversés par l'indignation publique, et M. de Brienne quitta le ministère, après avoir joué et perdu la dernière carte de la monarchie. C'est lui que Louis XVI refusait de nommer archevêque de Paris, en disant : Au moins faut-il que l'archevêque de Paris croie en Dieu. Il est probable que les archevêques de Toulouse et de Sens n'avaient pas besoin d'y croire, puisque Brienne échangea le siège de Toulouse pour celui de Sens, plus grassement renié. Brienne est le dernier ministre ecclésiastique de l'ancien régime.

L'épiscopat français comptait, en 1789, cent cinquante-deux diocèses, sur lesquels trois seulement : Mâcon, Tréguier et Vannes, avaient des roturiers pour titulaires. Tous les autres sièges étaient occupés par des nobles. Un La Rochefoucault était archevêque de Rouen, un de Luynes archevêque de Sens, un Talleyrand-Périgord archevêque de Reims, un de Fontanges archevêque de Bourges, un de la Tour du Pin archevêque d'Auch, un Rohan archevêque de Cambrai, un Rohan évêque de Strasbourg. On pensait toujours, comme Richelieu, que les gens qui se sont que dettes et pieux font souvent de fort mauvais évêques, ou pour n'être pas propres à gouverner, à cause de la bassesse de leur extraction, ou pour vivre avec un ménage qui, ayant du rapport avec leur naissance, approche beaucoup de l'avarice, au lieu que la Noblesse qui a de la vertu a souvent un particulier désir d'honneur et de gloire, qui produit les mégies effets que le zèle causé par le pur amour de Dieu ; qu'elle vit d'ordinaire avec luxe et libéralité conformes à telle charge et sait mieux la façon d'agir et de converser avec le monde.

Le dix-huitième siècle a connu des prélats vertueux et bienfaisants. Marseille a eu Belzunce, Clermont a eu Massillon. L'archevêque de Paris, M. de Noailles, laissa un grand renom de charité : Christophe de Beaumont, un de ses successeurs, nourrissait à ses frais plus de cinq cents personnes, sans vouloir distinguer entre les catholiques ou les hétérodoxes. M. de Rastignac, archevêque de Tours, secourait les inondés de la Loire. M. de 'La Motte, évêque d'Amiens, inspirait un si grand respect que l'on coupait son manteau et sa soutane pour en faire des reliques. M. de Galard de Terraube, évêque du Puy à la Révolution, était adoré de ses diocésains.

Mais la plupart des prélats de l'ancien régime, sans en excepter les plus philanthropes, étaient des grands seigneurs très tiers de 'leur naissance et très férus de leurs droits ; des prêtres plus pénétrés de leur mission sociale que remplis de la foi chrétienne ; des administrateurs parfois habiles, mais presque toujours très -hauts et très absolus. Rien de moins évangélique, en général, rien de moins chrétien, dans le vrai sens du mot, que les évêques nobles de l'ancien régime.

De l'archevêque renié à 2 et 300.000 livres jusqu'au malheureux congruiste à 700 livres, s'étageait toute une hiérarchie de coadjuteurs, de vicaires généraux, de chanoines cathédraux et collégiaux, d'archiprêtres, de doyens et de curés, qui faisaient que l'on passait presque insensiblement d'un degré à l'autre et qu'il n'y avait pas de frontière bien nette entre le haut et le bas clergé.

Il y avait à la Cour et autour de la Cour des légions d'abbés mondains, à rabat et à petit collet, qu'on appelait abbés de Sainte Espérance et qui attendaient que le roi voulût bien les pourvoir.

Le roi avait à sa disposition 850 abbayes commendataires, 12.000 prieurés, 2.800 canonicats d'églises cathédrales, 5.600 canonicats de collégiales, des chapellenies, en tout 20.000 bénéfices sans charge d'âmes, à distribuer. Pour peu que l'on fût bien né, spirituel, bien apparenté ou recommandé, on pouvait espérer obtenir, un jour, quelque bénéfice avantageux qui vous mettait du haut clergé.

Le pauvre clerc, sans naissance et sans usage, était bien sûr de rester à jamais curé de campagne ou de petite paroisse. N'était-ce point assez, disait-on, pour un fils de paysan ? — et le contraste était parfois si violent entre le luxe épiscopal et la misère du desservant, que la jalousie pénétrait dans le cœur du pauvre prêtre, en dépit du respect hiérarchique et de l'obédience canonique.

Le bas clergé constituait certainement une des classes les plus méritantes et les plus déshéritées de la nation. Cependant son dénuement n'est que relatif et emprunte surtout son caractère pénible aux habitudes de luxe qui dominent toute la vie française à cette époque. La portion congrue a été fixée à 700 livres, qui représentent environ 2.000 francs de notre monnaie actuelle. Les curés de campagne ne touchaient, hier encore, que 900 francs du gouvernement et étaient certainement moins rétribués avec 900 francs que les congruistes du XVIIIe siècle avec 700 livres. Mais il faut tenir compte des habitudes et des mœurs. La dépense du curé de campagne le plus modeste était estimée en Normandie à 1.200 livres ; n'en recevant que 700, il était en réalité à la charité de sa paroisse. Il lui fallait acquitter quelques menues redevances, entretenir et réparer son presbytère, payer sa domestique, faire l'aumône, et surtout recevoir ses confrères et tenir table ouverte à tout venant. La maréchaussée, les commis aux aides, les élus, les chirurgiens, autant d'hôtes qui tombent chez lui à l'improviste et auxquels il est obligé de faire bon visage. Les gros décimateurs, qui absorbent presque tout le revenu de la paroisse, rognent sans cesse la part du curé et ne lui donnent rien en dehors de sa portion congrue, fixée par la loi. Un curé du diocèse de Bayeux avait touché en 20 ans 80 boisseaux de grain pour tout secours[1]. La Constituante trouva le traitement des prêtres de campagne si misérable qu'elle l'éleva à 2.000 francs.

Comme le Français du XVIIIe siècle n'avait pas à craindre le service militaire, ceux qui embrassaient l'état ecclésiastique y étaient conduits par une vocation généralement sincère, une foi vive et robuste, le désir de faire le bien, et peut-être aussi quelque peu d'ambition.

Au sortir du séminaire, le jeune clerc débutait comme vicaire de paroisse. Le vicaire n'était alors qu'une sorte de domestique, toujours révocable au gré de son curé. Certains de ces malheureux erraient de paroisse en paroisse sans jamais obtenir de cure, et finissaient tristement comme ce pauvre prêtre dont parle un document contemporain : Il a blanchi sous le harnois. Son pauvre harnois est usé. Le vicaire général en est fort embarrassé. Il l'envoie d'un bout à l'autre du diocèse, chez les curés changeants ; on le renvoie de partout, parce qu'il n'a plus de jambes pour porter le bon Dieu et parce qu'il tousse trop fort au coin du feu.

Pour devenir curé, le vicaire fait la cour au seigneur patron de paroisse, de qui dépend sa nomination, il tâche à se mettre dans les bonnes grâces de Madame, il se montre bonhomme avec le sacristain, le marguillier, le trésorier qui pourraient lui faire opposition. Il leur donne à boire et boit avec eux. (Abbé Bernier, p. 107.)

Une fois curé, le jeune clerc règne en maitre sur sa paroisse, presque aussi respecté et bien plus populaire que le seigneur ou le richard du lieu ; il est protégé par les lois, les usages, les mœurs, et son action sacerdotale s'étend sans contestation sur tous ses fidèles, à tous les moments de leur vie, avec une autorité et une indépendance dont il ne reste au clergé de nos jours qu'un lointain souvenir. Une seule ombre à ce tableau, c'est la gêne dans laquelle vit le congruiste, et qui le met hors d'état d'assister ses pauvres.

Aussi son ambition est-elle de devenir curé décimateur ; mais, quand il l'est devenu, l'aisance si longtemps attendue le prend quelquefois tout entier. Il laisse à son vicaire le ministère pastoral et ne se réserve que la grand'messe du dimanche. Le reste du temps, il va à droite et à gauche surveiller la rentrée de ses dîmes, il fait battre son grain, il court les marchés et les foires, il soutient des procès contre les mauvais payeurs, contre les décimateurs laïques, contre les moines d'alentour, contre le chapitre, et parfois contre l'évêque.

Cependant il y a, parmi ces prêtres de campagne, des hommes d'une culture classique assez avancée, qui connaissent leurs auteurs et les citent volontiers à côté des textes sacrés. Il y en a de charitables et de bienveillants. Il y en a d'industrieux et d'intelligents, qui comprennent déjà la loi du progrès. A Chanteix, en Limousin, un curé fuit la police de sa paroisse ; quatre jeunes gens déterminés arrêtent les voleurs ; on les attache au pied de la chaire ; tous les fidèles sont convoqués, et le curé, après avoir sévèrement admonesté les délinquants en leur présence, les fait relâcher. C'est la justice familiale substituée à la maréchaussée, à la prison, au présidial, à leurs lenteurs et à leurs iniquités. A Courgis, en Bourgogne, le curé fait la classe, une fois par semaine, aux enfants du village, et, si on lui demande quel usage les pauvres feront de l'instruction qu'il leur donne, il répond : Elle leur donnera le plus doux des plaisirs, celui de connaître et d'exercer l'intelligence.

Il y a, en somme, une bien grande différence entre le curé de paroisse du dix-huitième siècle et les clercs grossiers du commencement du dix-septième. Le bas clergé forme une armée vigoureuse et admirablement disciplinée, toute dans la main de ses chefs, et dont la Révolution ne connaîtra malheureusement la puissance que le jour où elle l'aura soulevée contre elle.

Au clergé séculier appartenait le gouvernement des paroisses. La grande tâche du clergé régulier était l'enseignement.

A cette époque d'étroite alliance entre l'Eglise et la monarchie, l'Etat ne voyait aucun inconvénient à confier à l'Eglise un service public aussi important que l'enseignement national. Il trouvait chez elle la science, la conscience et la discipline requises pour s'acquitter d'une pareille tâche ; il savait que l'Eglise ne prêcherait jamais la rébellion aux sujets et resterait toujours l'alliée fidèle de la royauté. L'Etat se contentait donc d'exercer sur les établissements religieux une surveillance courtoise et débonnaire, et organisait à côté d'eux quelques grands instituts spéciaux pour développer la culture scientifique, que le clergé négligeait  généralement.

Parmi les ordres enseignants, les jésuites occupèrent incontestablement le premier rang jusqu'au jour de leur expulsion, et nous ne pouvons mieux faire que de prendre leur grand collège de Louis-le-Grand comme type de la maison d'éducation, telle que l'entendait l'Eglise au XVIIIe siècle[2].

Louis-le-Grand était le quartier général de la Société de Jésus en France, et comme la grande forteresse de laquelle mouvaient tous ses autres fiefs du royaume. Cinquante étudiants jésuites, qui avaient déjà enseigné plusieurs années à Paris ou dans les provinces, y suivaient les cours de théologie. C'est à Louis-le-Grand que se rédigeait la revue savante de la Société, Les Mémoires de Trévoux. Presque tous les Pères venus à Paris, pour y étudier ou y composer des ouvrages, prenaient leur logement au collège.

Louis-le-Grand comptait parmi ses professeurs le P. de Tournemine, directeur des Mémoires de Trévoux ; le P. Tarteron, traducteur d'Horace, de Perse et de Juvénal ; le P. Lejay, le P. Buffler, fondateur de l'enseignement historique dans les collèges de la Société ; le P. Porée, qui enseigna pendant 33 ans la rhétorique et fut le professeur de Voltaire.

La population scolaire, qui monta jusqu'à 3.000 élèves, se divisait en externes et internes. Les externes étaient de beaucoup les plus nombreux et suivaient les cours gratuitement. Des secours étaient accordés aux plus pauvres pour acheter des livres.

Parmi les internes figuraient des fils de famille, de ducs et pairs, voire de princes du sang, des fils de bons bourgeois ; peu de fils de magistrats, parce que la robe était janséniste ; beaucoup de jeunes nobles de province, ou des colonies françaises. Le roi faisait élever à Louis-le-Grand un certain nombre de jeunes Syriens et Arméniens de bonnes familles, qui servaient plus tard d'interprètes et de consuls de France dans le Levant. Le collège avait 500 pensionnaires, tout ce qu'il en pouvait tenir. Il y fallait retenir une chambre un an d'avance, quand on y voulait entrer.

Tous les élèves étaient traités par les Pères sur le pied de l'égalité. Les plus forts portaient le titre d'académiciens, et, nobles ou non, passaient avant tous lés autres. Cependant les fils de grands seigneurs avaient une chambre particulière, un valet pour leur service et parfois un répétiteur laïque ou ecclésiastique. Les autres vivaient en chambrées de quinze ou vingt sous la surveillance d'un cubiculaire, qui était souvent un jeune théologien du collège et parfois un Père d'une expérience consommée.

Après chaque repas, les restes étaient distribués aux indigents, et plus d'un pauvre externe n'avait pas d'autres ressources pour subsister. Plusieurs fois par an, les Pères menaient leurs élèves visiter des hôpitaux et les mettaient en contact direct avec la souffrance et la misère.

La discipline était sévère et s'appuyait sur les élèves eux-mêmes. Tous les mois, une composition écrite, comprenant un discours grec ou latin et une pièce de vers latins, classait les 300 élèves du Père Porée, et parmi les plus forts étaient choisis les généraux et les décurions, qui veillaient à maintenir le bon ordre parmi leurs camarades. Les décurions avaient aussi la charge-de faire réciter les leçons aux élèves de leurs groupes et les récitaient eux-mêmes à leurs généraux. Les fautes graves étaient punies de pensums, de retenues, de privations à table et du fouet.

Tout l'enseignement roulait sur l'étude des langues mortes et du français et sur les littératures grecque, latine et française. On apprenait à traduire les textes anciens et à composer en grec, en latin et en français. On ne sortait guère des thèmes, des versions, des narrations et des discours ; mais un professeur habile trouvait moyen d'apprendre à ses élèves, à l'aide de ces vieux exercices, toutes suries de notions morales, de maximes de conduite, de traits intéressants tirés de l'histoire et de la philosophie. Beaucoup ne craignaient pas les allusions aux événements contemporains. Beaucoup étaient vraiment patriotes, et la fréquentation assidue des anciens donnait à leur esprit une tournure quasi républicaine.

Il ne faut pas juger de la valeur de l'enseignement à Louis-le-Grand par les programmes. Ce serait tomber dans l'erreur où l'on tombe aujourd'hui. Les programmes, auxquels les pédants attachent une si plaisante importance, n'en ont vraiment presque aucune. La nature des choses apprises est presque indifférente ; tout le profit vient de la manière dont on apprend. Il ne s'agit point tant d'apprendre telle chose plutôt que telle autre, comme de pénétrer à fond ce qui fait l'intérêt d'une science, de se l'assimiler et d'en nourrir son intelligence. Avec nos programmes interminables, nous fatiguons les esprits sans les sustenter. Les programmes réduits d'autrefois avaient une tout autre valeur éducative et mûrissaient doucement les intelligences par le continuel exercice qu'ils leur imposaient.

Les bons élèves sortaient de Louis-le-Grand avec des clartés de beaucoup de choses, l'habitude de la réflexion, l'art de classer leurs idées, le goût de la netteté ; ils savaient s'exprimer avec aisance et politesse et avaient dans la tête tous les principes qui les devaient aider à compléter leur instruction et à jouer un rôle utile dans la société. C'est à cette éducation littéraire et philosophique que la France du dix-huitième siècle a dû son génie libéral et universel, sa belle réputation d'élégance et de courtoisie, ses tendances philanthropiques et progressistes.

Macaulay a dit que les jésuites ont connu l'art de pousser la culture des esprits juste au point où allait commencer leur émancipation. C'est exact ; mais ce que les Pères ne voulaient point faire, Paris le faisait pour eux, et philosophes sans le savoir, imbus comme leur siècle de l'idée du progrès social, ils contribuaient inconsciemment à préparer leurs disciples à la vie active, inquiète et hardie qui les attendait.

On discutait beaucoup à Louis-le-Grand, on plaidait, et les questions mises en discussion touchaient parfois aux plus redoutables problèmes sociaux. On se demandait : Quelle passion est la plus dangereuse ? libertinage, impiété, fureur du jeu ?Quelle est la meilleure éducation pour un jeune homme ? éducation particulière ou publique, apprentissage rapide de la vie de cour, voyages en compagnie d'un précepteur habile ?Quel est le plus juste partage des successions ?

Cette dernière discussion est particulièrement intéressante. On y voit un cadet attaquer avec vigueur le droit d'aînesse ; un aîné déclare que détruire le droit d'aînesse, c'est détruire l'aristocratie elle-même, c'est détruire toute subordination domestique, c'est priver l'Etat des services que lui rendent dans l'Eglise, dans l'armée, aux colonies, tant de cadets que leur pauvreté oblige au travail et à l'action. Un autre propose de tout concilier en accordant au père de famille la liberté de disposer de son bien. Enfin le professeur résume les débats et nous donne l'avis de la sagesse telle qu'on la comprenait au XVIIIe siècle. Il veut un partage inégal de la fortune dans les maisons nobles : l'aîné emportera les deux tiers du bien paternel, le dernier tiers sera partagé entre les cadets. Dans les familles roturières, au contraire, le partage égal n'aura que des avantages. Le bien public exigeant que les sujets d'un ordre inférieur se bornent à la médiocrité de leur état pour y faire fleurir les arts et le commerce, dont la ruine serait inévitable, si l'inégalité les rendant trop riches, ils venaient à s'élever et à se mesurer avec les nobles. Il n'est pas sûr que le discours du cadet n'ait pas paru à beaucoup de jeunes gens beaucoup plus juste que la harangue du maître.

On ne se contentait pas, à Louis-le-Grand, d'apprendre aux élèves à raisonner et à discuter ; on les habituait à paraître en public, et l'on ne craignait pas de leur faire réciter des vers, de leur faire jouer la comédie et la tragédie même, et de les faire danser sous la direction de quelques maîtres de ballet de l'Opéra. Les jansénistes criaient au scandale et rappelaient que les danseurs de théâtre étaient excommuniés ; les fêtes scolaires de Louis-le-Grand n'en étaient pas moins suivies par le public le plus élégant et le plus distingué. Munies de bonnes traductions, les dames suivaient les pièces grecques et latines, et étaient les plus ferventes à applaudir Sophocle et Euripide.

Des prologues et des intermèdes en vers français déridaient les spectateurs. Voici, à titre d'exemple, le spirituel prologue français d'une comédie latine où le P. Porée s'attaque au libertinage de la jeunesse :

Nous allons donner en spectacle

D'un libertin l'heureux retour :

Il faut vaincre plus d'un obstacle

Pour l'exposer en son vrai jour.

Si l'on entreprend de le peindre,

On doit tempérer la couleur ;

Autrement, il serait à craindre

Que l'on n'alarmât la pudeur.

D'une conversion sincère

Quand on veut tracer le tableau,

Jamais l'Amour, jamais sa mère

Ne doivent tenir le pinceau.

La chute en est jolie ; mais, en ce siècle où tout le monde avait de l'esprit, les écoliers en avaient parfois plus que les maîtres, et il n'était pas nécessaire d'être à Louis-le-Grand pour en avoir. Un étourdi, élève du collège Sainte-Marthe de Poitiers, avait été puni pour avoir joué avec son chapeau pendant la classe, au lieu de le garder sur sa tête. Il se tira d'affaire avec la pochade que voici :

Si vous perdez vos bras, vendez votre manchon :

Bien de trop fut toujours la devise du sage.

A qui n'a point d'oiseau que servirait la cage ?

Une ligne sans hameçon

C'est du fil sans aiguille,

Un microscope à Saunderson

Aurait été fort inutile.

On n'a point sans la mer équipé de vaisseau,

Et je tiens pour certain qu'il faudrait être bête

Pour garder son chapeau

Quand on n'a pas de tête...

La comtesse Potoçka nous a laissé dans ses Mémoires une peinture très vive et très amusante de sa vie à l'Abbaye-aux-Bois, grande maison d'éducation à la mode pour les jeunes filles du grand monde. La comtesse, alors Hélène Massalska, avait une chambre particulière et une mie à son service ; son oncle, archevêque de Wilna, en Lithuanie, payait chaque année 20.000 livres pour sa pension. Les jeunes pensionnaires s'amusaient fort et faisaient des niches à leurs graves maîtresses. S'avisèrent-elles pas, une nuit de Noël, de vider une bouteille d'encre dans le bénitier de la chapelle ; les religieuses, en se signant, se tachèrent le front, la guimpe et les doigts.

Une autre fois, profitant de quelques réparations au mur du jardin, les écolières entrèrent en relations avec un petit pâtissier, qui leur passait des tartelettes au moyen d'une ficelle. Mme de Rochechouart s'aperçut du manège, fit boucher la brèche du mur et félicita ironiquement ces demoiselles de la brillante conquête qu'elles avaient faite et dont leurs illustres familles ne manqueraient pas d'apprendre l'histoire avec grand intérêt. Les jeunes étourdies furent dans les transes pendant plusieurs jours, et Mme de Rochechouart, satisfaite, ne tira pas d'autre vengeance de cette anodine équipée. Il n'est pas très sûr que l'on travaillât beaucoup à l'Abbaye-aux-Bois ; mais les maîtresses étaient si grandes dames et si charmantes, avaient tant d'esprit et tant de cœur qu'on sortait de la maison avec toutes sortes d'idées généreuses dans la tête et un grand désir de vivre avec honneur, même avec gloire, s'il se pouvait.

Le travail était alors réservé aux hommes, et, tout frivole qu'il est en apparence, le XVIIIe siècle a beaucoup travaillé. L'Église n'a pas été moins laborieuse que ses adversaires, et son œuvre, pour être moins brillante, n'en a été ni moins considérable ni moins utile. Ce sont les moines bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur qui ont préparé par leurs travaux le grand mouvement historique du me siècle.

Le premier supérieur général de la congrégation, Dom Grégoire Tarisse († 1648), eut le premier l'idée de consacrer les loisirs de ses moines aux recherches d'érudition. Son coadjuteur, Dom Luc d'Achery, bibliothécaire de Saint-Germain-des-Prés, dressa le programme de l'entreprise. Dom Mabillon défendit la cause de la science contre M. de Rancé, abbé de la Trappe, qui trouvait les recherches de curiosité contraires aux intentions surnaturelles qui doivent animer constamment la conduite d'un religieux. La publication du Traité des Etudes monastiques (1691) répondit à toutes les objections de l'abbé de Rancé. Dom Mabillon fit plus encore ; son Traité de Diplomatique (1681-1704) a fixé les règles de la critique des documents médiévaux, et son exemple a lancé définitivement les bénédictins dans la voie des travaux historiques.

En dépit de querelles retentissantes avec les jésuites et de zizanies domestiques, les bénédictins de Saint-Maur ont poursuivi, pendant tout le XVIIIe siècle, la préparation et la rédaction d'un nombre extraordinaire de travaux historiques, d'une valeur assurément inégale, mais dont quelques-uns n'ont presque rien perdu de leur autorité[3].

Les bénédictins ont publié une Collection des Pères grecs et latins, à laquelle ont collaboré leurs meilleurs hommes, mais qui n'a pas entièrement remplacé la Bibliotheca maxima de Marguerin de la Bigne.

Ils ont apporté d'utiles contributions à l'histoire ecclésiastique avec les Acta primorum martyrum sincera et selecta de Dom Ruinart, le De antiquis Ecclesiæ ritibus de Dom Marlène et la collection des Epistolæ Romanorum pontificum commencée par Dom Pierre Constant. Ils ont ainsi préparé le terrain aux études d'exégèse, sans oser les entreprendre eux-mêmes, comme l'avait fait Richard Simon dans son Histoire critique du Vieux Testament (Rotterdam, 1685) et du Nouveau Testament (Rotterdam, 1689)[4].

L'histoire générale de l'Église ne leur fit pas oublier l'histoire particulière de leur ordre. Ils ont publié les Annales ordinis sancti Benedicti jusqu'à l'année 1557 (Paris, 1703-1739, 6 vol. in-f°) et les Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti (Paris, 1663-1701, 9 vol. in-f°) inspirés par la grande collection des Bollandistes.

C'est aux bénédictins que les sciences auxiliaires de l'histoire doivent leurs premiers progrès. Dom Jean Mabillon étudia la diplomatique, Dom Bernard de Montfaucon la paléographie grecque, Dom Tessin et Dom Toustain la paléographie latine. L'Art de vérifier les dates est, encore aujourd'hui, un des guides les plus précieux de l'historien.

L'histoire ecclésiastique de France a inspiré aux bénédictins un de leurs plus beaux travaux, le Gallia Christian (1715-1785, XIII volumes in-f°), immense enquête sur les archevêchés, évêchés, abbayes et prieurés de la France, avec études biographiques sur les principaux personnages de l'histoire ecclésiastique, et références innombrables aux documents originaux. Le Gallia Christiana était encore inachevé à. la Révolution. Les matériaux si laborieusement accumulés par les bénédictins ont disparu, mais l'œuvre a été terminée par un érudit, M. Hauréau, qui a suivi fidèlement dans ses trois volumes (1856-1865) le plan de ses prédécesseurs.

L'histoire politique de la France d'après les sources avait été ébauchée, au dix-septième siècle, par André du Chesne dans ses Historiæ Francorum scriptores coætanei. Son œuvre, interrompue par la mort, fut reprise au commencement du XVIIIe siècle par les mauristes, qui l'exécutèrent avec une admirable clarté. Leur monumental Recueil des historiens de la Gaule et de la France donne sur chaque période de notre histoire, jusqu'au XIIe siècle, toutes les sources alors connues, et en rend l'étude extrêmement facile à l'aide de notes, d'index et de tables chronologiques, qui permettent au plus novice de se familiariser en très peu de temps avec notre vieille histoire. Le nom de Dom Bouquet est resté attaché à l'œuvre entière, bien qu'il n'en ait publié que les huit premiers volumes. Le tome XIII venait de paraître quand éclata la Révolution ; presque toute l'édition disparut ; mais l'œuvre des bénédictins a été jugée si utile, qu'elle a été reprise de nos jours par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et poussée jusqu'au tome XXIII, paru en 1876. Le tome XXIV et dernier terminera la collection des monuments de l'époque de saint Louis.

L'Histoire littéraire de la France a été conduite par Dom Rivet et ses confrères jusqu'au douzième siècle.

L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a ajouté vingt volumes aux douze volumes des bénédictins et conduit l'œuvre jusqu'au XIVe siècle.

L'histoire des provinces françaises a fourni matière à quelques-uns des plus beaux travaux de l'Ecole bénédictine.

Dom Félibien a écrit l'Histoire de la ville de Paris (Paris, 1725, 5 vol. in-f°).

Dom Vaissète et Dom Devic, l'Histoire du Languedoc (Paris, 1730-1745, 5 vol. in-f°).

Dom Plancher, l'Histoire de Bourgogne (Dijon, 1738-81, 4 vol. in-f°).

Dom Calmet, l'Histoire de Lorraine (Nancy, 1726, 4 vol. in-f°).

Dom Maur Audren de Kerdrel et Dom Lobineau, l'Histoire de Bretagne.

L'Histoire du Berry, confiée à Dom Turpin, n'était pas encore terminée en 1794. Le vaillant bénédictin continuait à y travailler à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, transformée en raffinerie de salpêtre, quand l'incendie détruisit l'abbaye, la bibliothèque et tous les papiers de Dom Turpin.

L'Histoire de Champagne, non publiée, est représentée à la Bibliothèque nationale par une collection de documents de 149 volumes in-f°.

L'Histoire de Picardie, par une collection de 279 volumes.

L'Histoire du Poitou, confiée à Dom Fonteneau, a donné à la Bibliothèque de Poitiers une collection de 88 volumes.

L'Histoire de Normandie, dirigée par Dom Lenoir, est aujourd'hui une propriété particulière. C'est la famille de Mathan qui en possède tous les fonds et qui s'est, jusqu'à présent, refusée à ouvrir sa collection aux recherches des érudits.

Les matériaux de l'Histoire du Limousin ont été dispersés ou détruits.

Ceux de l'Histoire de Touraine, réunis par Dom Rousseau, ont été recueillis à la Bibliothèque nationale.

Les bénédictins ont encore publié des recueils d'extraits, tels que le Spicilegium de Dom Luc d'Achery, les Vetera analecta de Mabillon, le Thesaurus novus anecdotorum de Marlène et Durand.

Ils nous ont laissé des récits de voyages littéraires, des éludes bibliographiques, des inventaires de manuscrits.

Tous ces travailleurs n'ont pas été doués au même titre de l'esprit critique ; mais tous ont été d'admirables ouvriers, remplis de bon vouloir et de conscience.

Si les bénédictins ont été les plus laborieux des moines d'érudition, ils n'ont pas été les seuls. Il faudrait citer à côté d'eux, l'oratorien Lelong, l'augustin déchaussé Anselme, les dominicains Lequien, Quétif et Echard, dont les œuvres égalent en importance les grandes œuvres des bénédictins.

Sans avoir pris au développement des sciences une part aussi importante qu'à l'érudition, le clergé peut encore citer l'abbé Nollet, l'un des premiers inventeurs du télégraphe électrique (1746), l'abbé Bexon, qui fut un des collaborateurs de Buffon, le P. Sarrabat, botaniste, l'abbé Haüy, créateur de la cristallographie.

Dans les lettres, le clergé ne compte qu'un grand nom, et bien peu orthodoxe, l'abbé Prévost ; mais son roman de Manon Lescaut est une des œuvres les plus neuves et les plus fortes de la littérature du dix-huitième siècle. Des délicats en ont fait le chef-d'œuvre du roman français.

Chose plus curieuse : on trouve des ecclésiastiques jusque dans les rangs des philosophes et des novateurs.

L'abbé de Saint-Pierre écrit tout tranquillement que l'habitude qu'il a prise de raisonner sur des idées claires ne lui a pas permis de raisonner longtemps de théologie. Aumônier de Madame, il pense qu'il a, en prenant une charge à la Cour, acheté une petite loge pour voir de plus près ces acteurs qui jouent, souvent sans le savoir, sur le théâtre du monde des rôles très importants au reste des sujets. Je vois jouer tout à mon aise les premiers rôles, et je les vois d'autant mieux que je n'en joue aucun, que je vais partout et qu'on ne me remarque nulle part. Ce qu'il voit ne l'éblouit point. Louis XIV est plutôt pour lui Louis le Redoutable que Louis le Grand. Il ose le dire, et l'Académie l'expulse de son sein. Il n'a pour lui que la voix de Fontenelle. Tout étonné, mais point converti, il fonde le Club de l'Entresol et y porte son horreur de la guerre et du despotisme ; l'autorité fait fermer le club en 1731. Vrai stoïcien, plutôt que vrai croyant, l'abbé de Saint-Pierre est surtout célèbre par son Projet de paix perpétuelle, où, devançant nos cosmopolites contemporains, il voulait apprendre aux princes à vivre en frères.

L'abbé Raynal attaque le système colonial en honneur au dix-huitième siècle.

L'abbé Morellet traduit le Traité des délits et des peines de Beccaria et collabore à l'Encyclopédie.

L'abbé Mably met à la mode les républiques de l'antiquité et donne une constitution à la Pologne.

L'abbé Sieyès donne le signal de la Révolution avec sa fameuse brochure : Qu'est-ce que le Tiers-Etat ?

Mais que sont ces quelques hommes en face de l'armée des philosophes ? Ne semble-t-il pas que l'Eglise ne sait plus s'intéresser qu'aux choses du passé et que sa voix n'arrive plus jusqu'à l'âme de la France ?

 

 

 



[1] Abbé Bernier, Essai sur le Tiers-Etat rural de basse Normandie, Paris, 1892, in-8°.

[2] Cf. pour cette partie : J. de la Servière, Le Père Charles Porée, S. J., Poitiers, 1899, in-8°.

[3] Cf. Ch.-V. Langlois, Manuel de Bibliographie historique, Paris, 1901-1901.

[4] Cf. Denis, Richard Simon et Bossuet. Mémoires de l'Académie de Caen, 1870.