L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

TOME PREMIER — DEPUIS L'ÉDIT DE NANTES JUSQU'AU CONCORDAT (1598-1801)

 

LA QUESTION PROTESTANTE DE L'ÉDIT DE NANTES À LA PAIX D'ALAIS.

 

 

Le 13 avril 1598 est une des dates les plus mémorables de notre histoire. Ce jour-là, Henri IV, étant à Nantes, signa un édit perpétuel et irrévocable, qui accordait droit de cité dans le royaume à la religion réformée et mettait fin aux guerres religieuses, qui désolaient le royaume depuis 40 ans et avaient failli le perdre.

L'Edit de Nantes se compose de deux actes, signés le 13 avril et le 2 mai 1598. Le premier, en 95 articles, détermine les principes généraux introduits au sujet de la religion dans les lois françaises. Le second, en 56 articles, règle les cas particuliers qui se pouvaient présenter dans l'application. Ces deux édits, scellés du grand sceau de cire verte, devaient être enregistrés par les Parlements comme lois du royaume. Deux brevets, expédiés le 13 et le 30 avril, et garantis seulement par la parole royale, réglaient la question du traitement des ministres et des places de sûreté.

L'Edit de Nantes n'est un document moderne que par le principe de tolérance qu'il inscrit dans nos lois. Rédigé au lendemain d'une terrible guerre civile, il porte encore la trace de la rancune et des défiances des partis, et concède aux protestants des privilèges dangereux pour la sécurité de l'Etat.

Le préambule est conçu dans le style noble et familier à la fois qu'affectionnait Henri le Grand.

La fureur des armes, dit le roi, ne compatit point à l'établissement des lois ; mais, maintenant qu'il plaît à Dieu commencer à nous faire jouyr de quelque meilleur repos, nous avons estimé ne le pouvoir mieux employer qu'à pourvoir que son saint nom puisse être adoré et prié par tous nos sujets ; et, s'il ne lui a plu permettre que ce soit pour encore en une même. forme de religion, que ce soit au moins d'une même intention, et avec telle règle qu'il n'y ait point pour cela de trouble ou de tumulte entre eux.

Les huguenots sont obligés, tout premièrement, de tolérer le rétablissement du culte catholique partout où il a été supprimé et de remettre le clergé romain en possession de tous ses biens et de tous ses droits. En retour, la liberté de conscience leur est concédée dans toutes les villes et lieux du royaume et pays de l'obéissance du roi sans être enquis, vexés, molestez, ni astraints à faire chose contraire à leur religion. Il est défendu aux prédicateurs de les injurier en chaire. Il est défendu de chercher à suborner leurs enfants. Leurs parents ne peuvent plus les exhéréder pour cause de religion. Ils ne peuvent être plus chargés d'impôts que les catholiques.

Ils sont, comme eux, admissibles à toutes les charges de l'Etat et à tous les emplois publics. Ils peuvent étudier aux Universités, concourir pour l'obtention des grades et enseigner toutes les sciences, excepté la théologie.

Des chambres spéciales sont créées à Paris, Castres, Nérac et Grenoble, pour le jugement de leurs procès. Celle de Paris se composera de 10 conseillers catholiques et de 6 protestants. Les autres seront formées, par moitié, de catholiques et de huguenots. Non seulement personne ne les peut inquiéter pour le fait de religion, mais l'exercice public de leur culte leur est permis dans toutes les villes ou lieux où il a été établi ou dû l'être avant le mois d'août 1597, — dans deux villes par bailliage ou sénéchaussée — au principal domicile des seigneurs ayant haute-justice et plein fief de haubert et à tous les nobles dans leurs maisons de campagne, à condition de ne pas réunir pour la cérémonie plus de trente personnes étrangères à leur famille.

Le culte réformé reste interdit à Paris, où le fanatisme est encore trop grand ; mais il est permis à cinq lieues de la capitale. Même à la Cour, les grands seigneurs ont le droit de faire célébrer les cérémonies du culte dans leurs logis, à portes closes, sans psalmodier à haute voix, en évitant tout bruit et tout scandale. Les ministres sont, comme les clercs catholiques, exempts des gardes, des rondes et logis des gens de guerre et antres a assiettes et cueillettes de taillis.

Voilà pour les droits légitimes reconnus aux protestants. Voici maintenant pour les privilèges que leur accorde l'Edit.

Ils gardent leurs synodes provinciaux et nationaux, et, si le roi exige que ces assemblées ne puissent se tenir sans son autorisation, il leur promet de ne la leur refuser jamais. Ils obtiennent droit de garnison dans une centaine de places, dont quelques-unes très fortes comme Saumur, La Rochelle, Montauban et Montpellier. Les gouverneurs de ces places sont nommés par le roi, mais seront toujours protestants. Les garnisons seront payées par le roi.

Les huguenots restent ainsi organisés en parti, et, si l'on songe qu'ils comprenaient environ la seizième partie de la nation, comptaient dans la noblesse 3.500 gentilshommes dévoués à leur cause et capables de lever 25.000 soldats, à une époque où l'armée royale sur pied de paix ne dépassait pas 10.000 hommes — Cf. Mariéjol, Henri IV et Louis XIII —, on est bien obligé de reconnaître que les concessions que leur fit Henri IV ne pouvaient être maintenues, en temps normal, sans un vrai péril pour la chose publique. Mais il faut les envisager comme des mesures transitoires, destinées à calmer les défiances des huguenots et à forcer à la tolérance les catholiques sectaires, qui, suivant le mot du roi, avaient employé le vert et le sec pour perdre l'Etat.

Les passions étaient encore si vives de part et d'autre, que le roi eut toutes les peines du monde à faire accepter son édit par les huguenots et par les catholiques.

D'Aubigné écrivait un pamphlet contre la conversion de Sancy, qui avait comme le roi passé au catholicisme. Mornay qualifiait hautement le pape d'Antéchrist. Là où ils étaient puissants, comme en Béarn, les huguenots s'efforçaient d'entraver l'exécution de l'Edit. Partout, ils tentèrent de l'étendre : Vos amis, disait le roi à Sully, ne cherchent qu'à gagner toujours pied et au préjudice de mon autorité. Si cela continuait, il vaudrait mieux qu'ils fussent les rois et nous les assemblées.

Du côté catholique, l'irritation était extrême. Le pape Clément VIII traitait l'Edit de la plus maudite chose qui se pût imaginer.

L'agent général du clergé de France demanda à Henri IV que Sa Majesté ne permit point que, deçà la Loire, les ministres de la religion prétendue réformée eussent autre liberté, sinon de n'être point recherchés.

Les évêques et le Nonce appuyèrent les réclamations de l'agent général.

L'Université cria au scandale et protesta contre les libertés accordées aux huguenots.

Le Parlement de Paris fit très mauvaise mine à l'Edit, et son premier président Villiers-Séguier se montra si intraitable, que le roi le nomma ambassadeur à Venise pour se débarrasser de lui.

Le Parlement n'en arrêta pas moins, le 5 janvier 1599, de faite des remontrances. Pour prévenir le tapage qui s'en fût suivi, Henri IV le manda au Louvre, le 7 janvier, et, dans une longue harangue, tour à tour paternelle, émue et railleuse, il adjura les magistrats de donner la paix à la France.

Vous me voyez en mon cabinet, où je viens parler à vous, non point en habit roial, comme mes prédécesseurs, ni avec l'espée et la cappe, ni comme un prince qui vient parler aux ambassadeurs étrangers, mais vestu comme un père de famille, en pourpoint, pour parler franchement à ses enfants... Ce que j'ay à vous dire est que je vous prie de vérifier l'Edit que j'ai accordé à ceux de la Religion. Ce que j'en ay fait est pour le bien de la paix. Je l'ay faite au dehors, je La veux au dedans. Vous me devez obéir, quand il n'y aurait autre considération que de ma qualité et de l'obligation que m'ont tous mes sujets, et particulièrement vous tous de mon Parlement.... si l'obéissance estoit deue à mes prédécesseurs, il m'est den autant et plus de dévotion, d'autant que j'ay establi l'Estat... Je coupperai la racine à toutes factions... et je ferai accourcir tous ceux qui les susciteront. J'ay sauté sur des murailles de villes : je sauterai bien sur des barricades qui ne sont pas si hautes... Ne m'alléguez point la Religion Catholique. Je l'aime plus que vous, je suis plus Catholique que vous, je suis le fils aisné de l'Église... Ceux qui ne voudraient que mon Edit passe veulent la guerre ; je la déclarerai à ceux de la Religion, mais je ne la ferai pas : vous irez la faire, vous, avec vos robbes, et ressemblerez la procession des capussins qui portoient le mousquet sur leurs habits. Il vous fera bon voir !... Je suis roy maintenant, et parle en roy et veux être obéi. A la vérité la justice est mon bras droit ; mais, si la gangrène s'y prend, le gauche le doit coupper... Donnez à mes prières ce que ne voudriez donner aux menaces ; vous n'en aurez point de moi. Faites seulement ce que je vous commande, ou plutôt dont je vous prie. Vous ne ferez pas seulement pour moi, mais aussi pour vous et pour le bien de la paix.

Le Parlement résista encore et obtint que la chambre de l'Edit n'aurait à Paris qu'un seul magistrat huguenot. Il enregistra enfin, le 25 février 1599. Grenoble ne céda qu'en septembre, Dijon le 12 janvier 1600, Toulouse le 19 janvier, Bordeaux le 7 février, Aix le 11 août, Rennes le 23. Rouen attendit jusqu'en 1609 pour accepter l'édit.

L'Edit de Nantes est le plus beau titre de gloire de Henri IV. Pour la première fois fut reconnue la liberté d'un culte dissident dans un Etat catholique ; mais il faut avouer que la politique y eut plus de part que la philosophie et que, après comme avant l'Edit, les partisans des doctrines contraires restèrent ennemis.

Les huguenots s'indignaient de n'être que tolérés, et n'entendaient pas sans chagrin qualifier leur religion de prétendue réformée. L'année même de l'Edit, Du Plessis Mornay publia un Traité de l'institution de l'Eucharistie, pour démontrer que le sacrifice de la messe, l'invocation des saints, le purgatoire, étaient des inventions assez récentes de l'Eglise romaine. Le livre fit scandale et irrita tant de gens que le roi s'en fâcha à son tôle.

Les catholiques voyaient dans la tolérance accordée aux huguenots une véritable impiété, et appelaient de tous leurs vœux le jour où l'unité de la foi serait rétablie dans le royaume. Ils demeuraient attachés à la chimère de l'unité, qui a suscité tant de querelles et de désordres, et dont nos politiques ne paraissent pas encore désabusés. Comme s'il était possible de réduire à l'unanimité les sentiments de millions d'êtres pensants ; comme si la conscience pouvait tolérer le moindre joug ; comme s'il était nécessaire, ou même simplement avantageux à l'Etat, que tous les citoyens s'accordent à suivre une même religion, ou à n'en suivre aucune.

Henri IV, tout le premier, n'appliqua pas l'Edit avec une parfaite loyauté. Il laissa tomber en ruines les murailles des places de sûreté ; il réduisit arbitrairement de 160.000 à 50.000 écus la solde de leurs garnisons ; il manifesta une grande joie de la conversion au catholicisme de quelques grands seigneurs et ne dissimula pas ses préférences politiques pour le catholicisme. Toutefois, tant qu'il vécut, sa forte main suffit à contenir les factions. Mais la France sentait si bien que la paix était, avant tout, l'œuvre personnelle du roi qu'à sa mort elle crut tout remis en question. Il y eut des gens qui moururent de saisissement, en apprenant l'assassinat de Henri IV. Sully crut que la guerre civile allait recommencer et courut s'enfermer à la Bastille ; des gentilshommes de province prirent les armes et mirent leurs châteaux en état.

La rapide organisation de la régence rassura les esprits. Le mai 1610, huit jours après la mort de Henri IV, Marie de Médicis confirma solennellement l'Edit de Nantes, et rien ne parut tout d'abord changé dans l'allure du gouvernement.

Mais à la place du Béarnais, fin et rusé, régnait une femme bornée et têtue, et les protestants, qui avaient toujours cherché à étendre l'Edit, ne purent résister à la tentation d'accroître leur influence.

La reine leur ayant permis de tenir une assemblée générale à Saumur, le 25 mai 1611, pour élire six personnes, parmi lesquelles le gouvernement choisirait les deux agents généraux de la Religion à la Cour, les protestants en profitèrent pour perfectionner leur administration et lui donner un caractère plus pratique et plus fort. Ils imaginèrent de grouper les provinces par trois ou quatre, sous le nom de cercles, et placèrent à la tête du cercle une assemblée de délégués, élus par leurs conseils de province, parmi les dépurés de la noblesse et du Tiers. Par cette innovation, sitôt qu'une province se trouvait lésée dans ses intérêts religieux, elle avait à portée une autorité toute désignée à laquelle elle pouvait s'adresser, et le gouvernement se trouvait aussitôt, non plus en face d'une province isolée et impuissante, mais d'une petite coalition de trois ou quatre provinces disposant de ressources considérables. Parmi les membres de la noblesse qui avaient poussé le plus fortement à la création des cercles, figurait le jeune duc de Rohan, gendre de Sully, que son éloquence et ses talents désignèrent bientôt à tous comme le véritable chef du parti huguenot.

Avec une très grande clairvoyance politique, le duc signala à l'assemblée le rôle que la France catholique, mais tolérante, pouvait jouer en Europe comme protectrice des réformés, et médiatrice entre les Etats catholiques : Qu'un roy de France, disait-il, se rende aujourd'huy persécuteur de nostre religion, il en perd la protection parmi toute la chrestienté, enrichit de ce titre quelqu'un de ses voisins, n'augmente de créance parmi ceux de l'Eglise romaine et ruine entièrement son royaume... Je dys plus que la situation de France au milieu des Linares royaumes et l'exercice libre de nostre religion en iceluy acquièrent sans difficulté à nos rois l'autorité et créance, qu'ils ont parmi tous, de protecteurs de l'Europe, laquelle ils maintiendront autant de temps qu'ils nous traicteront bien.

Cette vue était si juste et si profonde que Richelieu n'aura pas, en somme, d'autre politique ; mais la reine mère et les gens de petit génie qui l'entouraient, n'aimaient pas les protestants et avaient grand'peur de la maison d'Autriche, formidable puissance mal tresse de l'Espagne, dominante en Italie, largement assise en Allemagne et aux Pays-Bas, et qui possédait de telles ressources qu'il fallut, un peu plus tard, quarante ans de guerre pour l'abattre.

Marie de Médicis trouva plus facile et plus naturel de se rapprocher de l'Espagne que des protestants, et elle décida de marier sa fille Elisabeth au prince des Asturies, D. Philippe, et le roi à l'infante Doña Ana. Des fêtes magnifiques, telles que Paris n'en avait pas vu de longtemps, marquèrent la conclusion des mariages espagnols. Le jeudi 5 avril 1612, sur la place Royale, tout récemment bâtie, les chevaliers de la Gloire et les soutenants du château de la Félicité paradèrent devant toute la cour. A la nuit, on mit le feu au château de la Félicité, tout rempli d'artifices, et dont la décoration changea plusieurs fois tandis qu'il brûlait. Le vendredi eut lieu dans Paris une grande cavalcade. Il y eut le soir salve de 200 coups de canon, feu de joie en place de Grève et illumination de la ville avec lanternes faites en papier de couleur, en si grande quantité et à chaque fenestre, que toute la ville sembloit estre en feu.

Mais, quand la reine voulut procéder à. l'exécution des mariages, les protestants prirent peur. L'alliance espagnole semblait les menacer de persécution. On voyait circuler des livres qui attribuaient tous les malheurs de la France à la liberté de conscience ; on craignait avec l'influence espagnole la mutilation, ou la révocation de l'Edit, on entrevoyait le spectre de l'Inquisition, plus insupportable aux esprits nés libres et francs, comme sont les Français, que les plus cruelles morts. Le prince de Condé, les ducs de Bouillon, Longueville et Mayenne, étaient en insurrection ouverte. Les huguenots se joignirent à eux pour empêcher le mariage du roi.

Le 21 août 1615, l'assemblée protestante, réunie à Grenoble, invita le roi, parti de Paris le 17, à ne pas continuer son voyage vers Bordeaux.

Le 15 octobre, l'assemblée, transférée à Nîmes, envoya aux provinces l'ordre de s'insurger, et signa un traité d'alliance avec les princes, le 2 novembre, à Sanzay.

Mais les huguenots ne partageaient pas tous les sentiments de l'assemblée ; la prise d'armes ne fut pas générale, Lesdiguières, gouverneur du Dauphiné, offrit 6.000 hommes' u roi pour combattre ses coreligionnaires. Le parti protestant se compromit sans réussir à empêcher le mariage du roi, qui fut célébré à Bordeaux, le 28 novembre. Au traité de Loudun (3 mai 1616), les huguenots obtinrent quelque argent et l'octroi pour six ans encore de leurs places de sûreté ; mais ils ne purent même faire changer le nom de prétendue réformée, que le gouvernement donnait toujours à leur religion, et ils s'aliénèrent à jamais l'esprit du roi, qui commença à voir en eux des sujets rebelles.

Trois mois après l'assassinat de Concini, qui l'avait rendu maître de ses mouvements, le 25 juin 1617, le roi ordonna la restitution à l'Eglise catholique des anciennes terres ecclésiastiques occupées en Béarn par les protestants. Les Etats de Béarn invoquèrent l'appui des assemblées protestantes. L'assemblée générale de Loudun (sept. 1619) fit des remontrances au roi et défendit aux jésuites de prêcher dans les villes de sûreté.

En 1620, après avoir pacifié la Normandie, pris Caen, un des boulevards du protestantisme dans l'Ouest, et fait la paix avec sa mère, Louis XIII marcha en personne sur le Midi. Il avait dix-neuf ans, et la vie des camps éveillait en laides instincts guerriers que personne ne lui avait soupçonnés jusque-là. Ce taciturne, ce timide, se révélait le vrai fils de Henri IV et se plaisait mieux au bruit de la bataille qu'aux fêtes de la cour.

Il manda près de lui à Bordeaux le gouverneur de Béarn, La Force, et conclut avec lui un accommodement ; mais le Parlement de Pau resta intraitable et refusa d'enregistrer l'édit de restitution des biens ecclésiastiques. — Allons à eux ! dit joyeusement Louis XIII, et prenant avec lui tout ce qu'il avait de troupes sous la main, il marcha droit sur Pau, où il entra sans coup férir.

Pau était la ville natale de son père, la principale cité de Béarn et l'ancienne résidence des rois de Navarre, dépossédés depuis 1512 de leurs domaines espagnols. La Navarre avait été divisée en deux parts. Les quatre provinces de Pampelune, Sangnesa, Estella et Tudela, situées au sud des Pyrénées, avaient été réunies au royaume de Castille ; la province d'Ultra-Puertos, située au nord des Pyrénées, était restée aux mains de Henri d'Albret, aïeul maternel de Henri IV.

Pendant tout le seizième siècle, les Albret, rois de Navarre, princes de Béarn, comtes de Foix, de Bigorre, de Marsan, Tursan et Gavardan et lieutenants du roi en Guienne, avaient été les vrais maîtres du Midi et avaient donné au château de Pau une allure vraiment royale. Ils avaient préféré Pau aux autres villes de leurs Etats, parce que Pau était la capitale du Béarn, et que le Béarn avait toujours passé pour une principauté indépendante de la couronne. Le comte Gaston Phébus, allié du roi Jean, s'était laissé mettre à la tour du Louvre plutôt que de prêter l'hommage au roi de France. Ces souvenirs étaient encore très vivants en Béarn, la mémoire de Henri IV y était adorée, le calvinisme y était tout-puissant et le peuple très désireux de garder son autonomie.

Cependant rien ne tint devant le roi.

Le Béarn ne se sentit pas de taille à lutter contre la France. Louis XIII fit enregistrer son édit par la cour de Béarn, fondit les deux cours de Navarre et de Béarn en un Parlement royal de Pau, mit un gouverneur catholique à Navarreinx, déclara le Béarn réuni à la France, et, pour montrer à tous que sa résolution était irrévocable, fit démeubler le château de Pau.

Devant ce coup d'Etat, les protestants s'émurent. L'assemblée générale de La Rochelle divisa la France protestante en huit départements militaires, ayant chacun leur chef, et déclara la guerre au roi (1621).

L'armée royale occupa Saumur, Saint-Jean-d’Angély, et assiégea inutilement Montauban, défendu par La Force et le ministre Charnier. Le connétable de Luynes mourut de la fièvre pourpre sous les murs de Monheur (15 déc. 1621).

Après une nouvelle année de guerre très sérieuse, la paix de Montpellier vint, une fois de plus, confirmer l'Edit de Nantes, accorda aux protestants le droit de tenir sans autorisation leurs assemblées religieuses et leur laissa intactes leurs deux grandes places de Montauban et de La Rochelle.

Les huguenots avaient montré leurs forces et sortaient presque vainqueurs de ce redoutable conflit ; cependant certains indices permettaient de croire que leur parti était déjà ébranlé. L'assemblée de La Rochelle n'avait point été partout obéie. Lesdiguières s'était bruyamment converti au catholicisme, pour l'épée de connétable, et beaucoup de grands avaient fait comme lui pour de moindres grâces. Nîmes, Uzès, Castres et Millau perdaient la moitié de leurs remparts. Les catholiques accusaient les huguenots de vouloir créer une République hérétique au sein du royaume catholique, et l'hostilité contre eux allait croissant au lieu de s'atténuer.

Au moment même où la paix de Montpellier rétablissait l'ordre en France (18 oct. 1622), commençait à s'établir le pouvoir d'un homme d'Eglise, qui a été le plus grand politique de notre pays.

Armand du Plessis de Richelieu, né à Paris le 9 septembre 1585, appartenait à une famille de simples gentilshommes du Poitou, qui passaient, auprès de leurs voisins, pour violents et querelleurs. Après avoir voulu être d'épée, il se résigna à être d'Eglise pour garder dans sa maison le méchant petit évêché do Luçon, que son frère Alphonse quittait pour se faire chartreux. Orateur du clergé aux Etats de 1614, il y annonçait déjà ses hautes ambitions en réclamant pour les gens d'Eglise une part dans les conseils de l'Etat, puisque leur profession sert beaucoup à les rendre propres à y être employés, en tant qu'elle les oblige particulièrement à acquérir de la capacité, être pleins de probité, se gouverner avec prudence... et que gardant le célibat comme ils font, rien ne les survit après cette vie que leurs âmes, qui, ne pouvant thésauriser en terre, les obligent à ne penser ici bas, en servant leur roi et leur patrie, qu'a s'acquérir pour jamais, là haut au ciel, une glorieuse et du tout parfaite récompense.

Ce pouvoir qu'il ambitionnait, Richelieu mit dix ans à le conquérir, et la lutte qu'il soutint contre la fortune fut si âpre et si acharnée que sa santé y succomba. Au moment même qu'il parait à la cour et qu'il est fait cardinal (5 sept. 1622), il est déjà vieilli et comme brêlé par le génie et l'ambition. L'empire absolu qu'il a voulu prendre sur lui-même l'a jeté dans une incessante contention d'esprit, un travail acharné a consumé ses forces ; il souffre de migraines terribles, l'estomac fonctionne mal, les reins sont pris, et cet admirable esprit, ce vaste courage, cette ambition géniale et passionnée n'habitent qu'un corps déjà plus qu'a demi ruiné.

Le cardinal de Richelieu a été le vrai créateur de la grandeur française, et tout patriote doit saluer avec un infini respect cette grande figure de notre histoire ; mais le philosophe peut s'arrêter aussi à le considérer avec complaisance et trouvera en lui un de ces hommes qui font honneur à l'homme.

Michelet a dit de lui qu'il n'était pas bon. C'est vrai, si l'on entend par bonté l'émotivité facile, ce qu'on appelait au XVIIIe siècle la sensibilité. Mais, si l'on se fait de la bonté une idée plus virile, si l'on voit en elle un penchant naturel à la générosité, contenu et guidé par le sentiment du devoir, nul ne pourra refuser à Richelieu d'avoir cherché le bien avec une intelligente et persévérante volonté. Il a une part dans le mouvement charitable qui est une des gloires de son époque. Il a aimé l'honneur, la probité et la justice. Il a été un ami fidèle et magnifique. On cite de lui des traits d'amitié ingénieuse et charmante, comme le mariage de Corneille.

Richelieu n'est pas démocrate. Il a écrit que tous les politiques sont d'accord que si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les contenir dans les règles de leur devoir. Mais il a été un évêque consciencieux et charitable ; sa réputation a commencé à Luçon. C'est comme évêque modèle, soucieux de l'instruction et du bonheur de ses ouailles, qu'il a été nommé député du clergé aux Etats de 1614.

Aristocrate de race et de tempérament, il a les goûts, les passions, la magnificence et l'orgueil d'un prince ; mais, né violent, il s'est appliqué à se combattre et a réussi à se vaincre. Toujours correct et, courtois, comme il sied à un prélat, on le voit patient avec tous, et, même quand il frappe, c'est sans colère apparente et sans emportement. Il a compris toute l'infériorité de la noblesse en fait de science et d'éducation ; il a aimé les lettres, où il a excellé lui-même comme prosateur, il a reconstruit splendidement cette vieille et glorieuse maison de Sorbonne, où il a voulu avoir son tombeau. Il a compris et protégé les arts, bâti le palais Cardinal et le château de Richelieu. Sa noblesse a été pour lui une raison de plus de se contraindre et de s'améliorer ; par delà la noblesse ses hommages vont au roi, et par delà le roi à la France, dont il n'a voulu être que le premier serviteur.

Richelieu est homme d'Eglise, et sa foi ne peut faire doute pour personne. Comme prêtre et comme politique, il est partisan de l'unité religieuse ; mais il ne veut employer pour y parvenir que la persuasion et pense que la différence de religion fait sans doute une différence entre les hommes, mais en l'autre monde seulement.

On a dit de lui qu'il voulut abaisser les grands et les protestants, c'est une erreur : il ne voulut jamais le moindre mal ni aux uns ni aux autres ; mais il entendit que les uns et les autres vécussent en sujets obéissants et fidèles.

Il comprit que la France unie et compacte pouvait être souveraine en Europe, et il résolut de faire de Louis XIII le monarque le plus puissant de la chrétienté. Les aristocrates et les huguenots se trouvaient sur son chemin, il les combattit, mais seulement pour les réduire au devoir, et, sitôt soumis, il les convia, sans haine et sans mépris, à collaborer avec lui à la grandeur nationale.

On a dit de lui qu'il fut vindicatif, et la sévérité de quelques-unes de ses mesures de gouvernement semble donner raison à cette opinion ; mais, si l'on tient compte de l'acharnement de ses adversaires et de la dureté des mœurs de son époque, on conviendra qu'il fut rigoureux, mais point cruel, et on comprendra qu'il ait pu dire, à ses derniers moments, qu'il n'avait jamais eu d'autres ennemis que ceux de l'Etat.

Sa politique envers les protestants tient tout entière dans cette phrase : Tant que les huguenots auront le pied en France, le roy ne sera jamais le maistre au dedans, ny ne pourra entreprendre aucune action glorieuse an dehors.

Pour se préparer à la lutte suprême, qu'il prévoyait, il se fit donner la charge de surintendant de la navigation et du commerce de France, acheta les gouvernements du Havre et d'Honfleur, fortifia Brouage et fonda la compagnie commerciale du Morbihan, qui devait, en cas de guerre, lui fournir des navires et des marins.

Dès le début de 1625, les huguenots recommençaient la lutte. Soubise s'emparait de 7 vaisseaux du roi ancrés à Port-Blavet, parmi lesquels se trouvait La Vierge, superbe bâtiment de 80 canons de fonte verte, tel qu'on n'en avait encore jamais vu. Bloqué dans la rade du Blavet, Soubise réussit à forcer le passage et, revenant vers La Rochelle, s'empara d'Oléron. Il fallut que Richelieu demandât des vaisseaux à l'Angleterre et à la Hollande pour combattre Soubise. Le 15 septembre 1625, une escadre hollandaise commandée par l'amiral Haultain et quelques vaisseaux du roi conduits par le Grand Amiral Henri de Montmorency battirent la flotte de Soubise devant l'ile de Ré. La Vierge se défendit contre quatre vaisseaux ennemis, et se fit sauter avec eux plutôt que de se rendre. Après quatre mois de négociation, le cardinal accorda la paix aux protestants. Le roi restait maître de Ré et d'Oléron, laissait debout le Fort-Louis aux portes de la Rochelle et promettait seulement d'empêcher la garnison de troubler le commerce des Rochelais.

Ce ne fut qu'une trêve de dix-huit mois.

Le 10 juillet 1627, une flotte anglaise portant 5.000 hommes et 100 chevaux parut en vue de La Rochelle et débarqua un corps de troupes dans l'île de Ré. Le gouverneur, M. de Toiras, s'enferma dans la citadelle de Saint-Martin, et l'amiral anglais, Sir William Becher, offrit aux Rochelais un puissant secours de terre et de mer contre la tyrannie du Conseil de France ; il leur demanda de ne faire aucun traité ou accord sans l'avis et le consentement du roi d'Angleterre. La municipalité répondit qu'elle remerciait le roi, mais qu'elle ne pouvait répondre au nom du corps des églises dont elle n'était qu'un membre.

Les huguenots ne se seraient probablement jamais décidés à la guerre, si Rohan ne les y eût jetés malgré eux. Il convoqua en grande hâte à Uzès une réunion des délégués des Cévennes et du Bas-Languedoc, il les échauffa et leur arracha le décret de prise d'armes ; mais, au moment même où les huguenots s'alliaient au roi d'Angleterre, ils protestaient solennellement et devant Dieu qu'ils voulaient vivre et mourir en l'obéissance du roi leur prince légitime et naturel.

Rohan dut faire la guerre à ses propres coreligionnaires pour les déterminer à le suivre, et ce ne fut qu'à la fin de septembre, après deux mois de tergiversations, que les Rochelais se décidèrent à s'allier avec les protestants du Midi et les Anglais.

L'énergie de Richelieu contrasta de la manière la plus frappante avec l'indécision des huguenots.

Son premier soin fut de secourir Toiras, étroitement bloqué par les Anglais dans la citadelle de Saint-Martin de Ré.

Le 6 octobre, un convoi de trente-cinq voiles partit des Sables-d'Olonne, traversa la flotte anglaise et ravitailla Toiras.

Le 8 novembre, un corps français de 9..000 fantassins et 200 chevaux, triés homme à homme par le roi lui-même, débarqua à Ré, atteignit les Anglais en pleine retraite et leur tua un millier d'hommes. — Buckingham, qui commandait la flotte anglaise, fit voile vers l'Angleterre, après avoir perdu dans cette expédition la réputation de sa nation et la sienne, consommé une partie des vivres des Rochelais et mis au désespoir le parti pour lequel il était venu en France.

Alors commença vraiment le siège de La Rochelle. Du côté de la terre, une immense ligne de circonvallation, longue de trois lieues, et flanquée de onze tours et de dix-huit redoutes, la sépara du pays vendéen. Du côté de la nier, l'architecte du roi, Métezeau, et le maçon parisien Thiriot construisirent une digue de 740 toises de long, ouverte en son milieu pour le passage du flot, et couverte de canons et de soldats. Une belle armée de 9.5.000 hommes, bien vêtue, bien payée, enthousiasmée par la présence du roi, prit ses quartiers devant la ville, et le grand Callot dessina tous les aspects de ce siège mémorable.

Quand Louis XIII s'ennuya au camp, le cardinal le renvoya à Saint-Germain et resta devant La Rochelle comme lieutenant général de l'armée et conducteur du siège. On le voyait à cheval, en harnois de guerre, le casque en tête, l'épée au côté et la simarre cardinalice par-dessus l'armure, parcourir le camp, surveiller les travaux, presser l'arrivée des vivres et des renforts. L'Eglise autour de lui se faisait militante ; les évêques de Maillezais, de Nîmes, de Mende, tout mi bataillon de prêtres, de capucins et de récollets lui servaient d'aides de camp, d'officiers de guerre et de finances. Le siège prenait des airs de croisade.

Du côté des Rochelais, même héroïsme ; à Pâques de l'année 1628, la ville élut son maire ; elle choisit Guiton, et Guiton accepta, à condition qu'il aurait le droit de poignarder le premier qui oserait parler de se rendre.

Tout l'espoir de la ville était dans l'arrivée des Anglais ; car Rohan, rappelé vers les Cévennes, ne pouvait rien pour La Rochelle.

Le 11 mai 1628, Lord Denbigh parut, en effet, en vue de La Rochelle avec 66 vaisseaux mal équipés ; mais la digue était déjà si formidable qu'il n'osa l'attaquer. Après avoir inutilement louvoyé pendant huit jours en vue de la malheureuse ville, il reprit le chemin de Portsmouth.

Les Rochelais voulurent expulser les bouches inutiles. Les troupes du roi renvoyèrent à coups de fouet les expulsés vers la ville.

Le 18 septembre, le comte de Lindsay parut, encore une fois, devant Saint-Martin de Ré.

Le 30 septembre, les Anglais avancèrent contre la digue.

Le 3 octobre, eut lieu un grand combat entre la flotte anglaise, les vaisseaux de France commandés par le commandeur de Valençay, les batteries de la côte et de la digue.

Les brûlots anglais furent coulés ou échoués par les chaloupes françaises, qui les allèrent chercher sous le feu des gros navires. Un vaisseau chargé d'artifices fut coulé par le vaisseau-amiral de France. Une sortie désespérée des Rochelais fut repoussée.

Le 4 octobre, nouvelle bataille et nouvel insuccès des assaillants.

Le 5, une tempête obligea les Anglais à se retirer sous l'île d'Aix.

Lord Lindsay, ne pouvant délivrer La Rochelle, essaya de négocier et offrit à Louis XIII la médiation du roi d'Angleterre.

Le cardinal répondit que le roi ne pouvait admettre la médiation d'un prince étranger entre lui et ses sujets : une trêve de quinze jours fut conclue, et avant qu'elle eût expiré, la ville avait capitulé.

La Rochelle n'était plus qu'un charnier. Quinze mille personnes avaient péri. De toute la garnison, il ne restait plus que 64 Français et 90 Anglais.

La capitulation fut signée, le 28 octobre, sous forme de Lettres de pardon.

Le lendemain, une députation du corps de ville vint saluer le roi ; les malheureux députés tombaient d'inanition, le roi les retint à dîner.

Le 30 octobre, les gardes française et suisse occupèrent les portes et derrière eux entra un grand convoi de vivres, puis apparut le cardinal, à cheval, en général victorieux. Guiton vint au-devant de lui avec une garde de six archers. Le cardinal lui fit honte de se montrer en si bel appareil dans une ville remplie de morts et le bannit.

Le ter novembre, le roi fit son entrée à son tour, et les pauvres Rochelais, un peu réconfortés par les 12.000 pains qu'il leur avait fait distribuer, criaient d'une voix faible sur son passage : Vive le Roi !

Admirable dans la conduite de cette campagne, Richelieu se montra plus grand encore dans la paix.

La Rochelle, comme de juste, perdit ses murailles et ses privilèges ; mais ses habitants eurent toute sûreté pour leur vie et gardèrent le libre exercice de leur religion.

Guiton lui-même ne tarda pas à être gracié, et finit par obtenir le commandement d'un vaisseau du Roi.

Les marins rochelais émigrés sur les vaisseaux anglais reçurent leur pardon, à condition de rentrer en France dans le délai de trois mois. Presque tous rentrèrent.

La Rochelle à bas, la pacification du Midi fut relativement facile, et, malgré les efforts de Rohan qui voulut s'allier au roi d'Angleterre, au duc de Savoie, même au Roi catholique, la paix d'Alais (28 juin 1629) termina enfin cette longue guerre.

Ce n'était plus un traité, mais un édit d'abolition et de grâce. Les huguenots n'avaient plus de places de sûreté ; les remparts de toutes les villes qui s'étaient rebellées étaient démolis ; les chefs de la sédition ne reçurent ni indemnités, ni gratifications. Rohan dut même quitter le royaume.

Mais la liberté religieuse fut conservée, et le cardinal sut la maintenir scrupuleusement.

Il accueillit avec beaucoup de bonne grâce les ministres qui se présentèrent à lui, et leur tint le langage le plus réconfortant : Maintenant qu'ils s'étaient soumis dans la règle commune de tous les sujets, dont la sûreté ne devait et ne pouvait dépendre que de la bienveillance et de la foi du prince, Sa Majesté aurait un soin particulier de faire connaître à leur avantage, qu'en qualité de sujets, il ne faisait point de distinction entre eux et les catholiques ; que, pour son particulier, il s'estimerait très heureux de les servir en toutes occasions et leur faire connaître par effet que s'il désirait ardemment leur salut, comme la charité et leur intérêt l'y obligeaient, il souhaitait aussi leur conservation temporelle.

La paix d'Alais supprima la faction huguenote, et laissa subsister la religion réformée. Ce fut un acte de saine et haute raison. Richelieu ne voulut jamais consentir à aller plus loin, et c'est grand dommage pour la France que Louis XIV ne se soit pas montré aussi sage que le grand cardinal.

L'histoire du parti huguenot nous semble montrer aussi qu'on fait fausse route, quand on attribue, comme le font volontiers beaucoup d'historiens, une constante supériorité à l'esprit protestant sur le catholique.

De la mort de Henri IV à la paix d'Alais les protestants français ont pris quatre fois les armes contre le roi, et n'ont jamais eu de motif vraiment sérieux de les prendre. Ils ont ainsi perdu toute considération aux yeux de l'autorité royale et de la nation, qui n'a vu en eux que des fauteurs de discordes.

Puisqu'ils faisaient tant que de se mettre en guerre, ils la devaient faire tous, la mener avec union et ensemble, et donner à entendre que leur République était une puissance avec laquelle le roi même devait compter.

Bien loin qu'il en ait été ainsi, nous les voyons aussi hésitants dans l'action qu'emportés dans le conseil. Les prises d'armes ne sont jamais que tumultuaires et partielles. Telle ville se défend, telle autre se soumet. Nulle entente, nul concert, nul souci de mener une vraie campagne, de tout faire pour atteindre un but marqué d'avance.

Les chefs sont maussades et égoïstes, comme Sully ou Lesdiguières, bouillants et inconsidérés comme Rohan. Plus d'un se laisse acheter et trahit son parti.

En face de tant d'incohérence, le gouvernement royal parait bien plus ferme dans ses desseins et bien plus sage dans sa conduite. Les traités de Loudun et de Montpellier montrent quelle fut sa patience, la paix d'Alais témoigne de sa modération. Par elle, il obtint tout ce qu'il pouvait légitimement demander aux vaincus, et affirma en même temps la force et la générosité, qui sont les deux grands ressorts de la grande politique.