Suite et fin de l'Invasion des Barbares. — Établissement et domination des Ostrogoths en Italie. — Origine du royaume des Lombards et de l'Exarchat de Ravenne. — Invasion de la Grande-Bretagne par les Anglo-Saxons. — Émigration des Slaves, des Avares et des Bulgares.§ I. — Règne de Théodoric le Grand, 489-526. LES Goths orientaux, délivrés du joug des Huns par la défaite d'Irnak en 455, s'étaient fixés dans la Pannonie, du consentement de l'empereur Marcien, qui leur confia la défense du Danube. Ils obéissaient à trois frères, Walamir, Théodemir et Widimir. Théodoric, fils de Théodemir, fut élevé comme otage à la cour de l'empereur Léon Ier, qui l'adopta par les armes. Après la mort de ses oncles et de son père, il fut reconnu pour roi par les Ostrogoths walamirs. Les services qu'il rendit à Zénon contre l'usurpateur Basiliscus lui méritèrent les titres de patrice et de consul. Mais la défection des Goths triariens ayant entraîné celle des Walamirs, Théodoric se vit contraint de faire la guerre aux Romains orientaux. Pour éloigner un ennemi si redoutable, la cour de Byzance lui délégua les droits de l'Empire sur l'Italie, et l'invita à les faire valoir. Conquête de l'Italie, 489-493. — Les Ostrogoths se mettent en marche pour l'Italie, et dispersent les tribus gépides, slaves et bulgares qui devaient leur en fermer le chemin. Après avoir vaincu sur les bords du Sontius les troupes mercenaires d'Odoacre, Théodoric s'empare de l'Istrie et de la Vénétie et remporte une seconde victoire près de Vérone. Le vainqueur éprouve à son tour des revers dans la Ligurie ; mais un secours de Visigoths rétablit sa fortune. Le roi des Hérules, battu de nouveau sur l'Adige, se réfugie à Ravenne, où les Goths vont l'assiéger. Pendant le blocus, qui dura deux ans, Théodoric reçoit la soumission de Rome et de toute l'Italie. Pour se le rendre favorable, le roi des Vandales, Trasimond, lui cède la Sicile. 493. — Désespérant d'une plus longue résistance, Odoacre se livre à Théodoric, sur la promesse de partager avec lui le gouvernement de l'Italie. Mais le roi des Goths le fait égorger au milieu d'un festin. A l'exemple des derniers Césars, il fixe sa résidence à Ravenne, prend le titre de roi d'Italie, et se fait reconnaître en cette qualité par l'empereur Anastase. Sans sortir de l'Italie, Théodoric ajouta à son royaume l'Illyrie, la Pannonie, le Norique et la Rhétie. Les Bavarois devinrent ses tributaires ; quelques tribus allemaniques sollicitèrent son patronage pour échapper à celui de Clovis. Une guerre contre les Bourguignons lui valut la seconde Narbonnaise ; la victoire d'Arles lui acquit le reste de la Provence et la Septimanie, pendant que la minorité de son petit-fils Amalric amenait la réunion temporaire des deux grands états fondés par les Goths. Relations étrangères. — Théodoric s'appliqua d'abord à se concilier la cour byzantine par ses déférences. Il voulut persuader à l'empereur Anastase que la souveraineté impériale n'avait reçu aucune atteinte en Italie. Mais lorsqu'on lui demanda autre chose que des hommages, il jeta le masque de la soumission, et défendit avec vigueur l'indépendance de sa couronne. A l'égard des rois barbares, il eut l'art de les placer presque tous sous sa dépendance par des liens de famille ou de protection. Gouvernement. — Le conquérant de l'Italie, voulant donner pour bases à son empire la propriété territoriale et la force des armes, distribua à ses guerriers le tiers des terres conquises, et leur réserva l'honneur comme les charges du service militaire. Il leur interdit la fréquentation des écoles, et les rendit par là inhabiles aux emplois civils, qui restèrent le privilège des Romains. Les deux nations se trouvèrent ainsi séparées par leurs capacités respectives, mais elles furent soumises à la même loi civile, qui n'était autre que le droit romain modifié par l'Édit de Théodoric. La royauté, modelée sur l'autorité impériale, était absolue comme elle, car il ne paraît pas que les réunions armées qui avaient lieu chaque année aient pris aucune part aux délibérations publiques. Les lois, discutées dans un conseil d'État n'étaient communiquées que pour la forme au sénat de Rome, dont Théodoric avait conservé le fantôme, ainsi que toute la hiérarchie administrative de l'Empire. L'ordre ancien ne fut modifié que par l'établissement des comtes goths, chargés de rendre la justice aux barbares et de commander la force publique. Cette force consistait dans l'armée nationale, toujours disponible et rarement employée, et dans des corps de troupes mercenaires chargés de protéger la tranquillité intérieure et la sûreté des frontières. Les côtes, souvent assaillies par les Grecs, ou inquiétées par les pirates, furent défendues par mille légers navires appelés dromones ou corsaires. L'agriculture et les arts industriels fleurirent à l'ombre de la paix et de la liberté civile. La division des terres en multiplia les produits, et l'Italie, naguère à la merci de l'Afrique et de la Sicile, put suffire à la nourriture de ses habitans. Les contributions arrivèrent sans peine dans les coffres de l'Etat, et fournirent au prince les moyens de réparer les maux de l'invasion, d'animer toutes les industries, et de déployer une magnificence royale dans les monuments d'utilité publique ou de pure ostentation. On sait que Théodoric fut un des plus généreux protecteurs des lettres et des arts : il eut pour amis et pour ministres les plus beaux génies de son siècle. De ce nombre furent le consul Boèce, l'évêque Ennodius, et surtout le préfet du prétoire Cassiodore, qui fut le glorieux instrument et peut-être le promoteur des grandes idées de Théodoric. Ce grand homme montra une raison supérieure à son siècle dans les affaires de religion. Quoiqu'il professât, avec toute sa nation, les erreurs d'Arius, l'esprit de secte ne l'égara jamais. Il ne fut ni persécuteur ni intolérant ; et si on le trouve quelquefois partial, c'est toujours en faveur du catholicisme. Cette tolérance fut un moment sur le point de se démentir, lorsque l'empereur Justin se mit à persécuter les Ariens en Orient ; Théodoric menaça d'user de représailles contre les Catholiques. La crainte d'une persécution se répandit en Italie, quelques ambitieux, profitant du mécontentement général, tramèrent une conspiration, qui fut déjouée. Mais Boèce et son beau-père Symmaque, impliqués dans le complot, furent cruellement torturés, et mis à mort sans jugement. Théodoric reconnut trop tard leur innocence, et les remords qu'il éprouva troublèrent sa raison et hâtèrent la fin de ses jours (526). 526. — A la mort de Théodoric, ses deux petit-fils se partagèrent l'Empire gothique. Amalaric, fils d'Alaric II, fut proclamé roi parles Visigoths d'Espagne ; les Ostrogoths reconnurent le jeune Athalaric, né du mariage d'Amalasonte avec un prince de la famille de Théodoric. Cet enfant régna sous la tutelle de sa mère, et termina bientôt sa carrière. § II. — Décadence et chute du royaume des Goths, 534-554. 534-536. — La mort d'Athalaric faisant déchoir sa mère d'un pouvoir qu'elle avait exercé au profit des Romains, Amalasonte employa tout son crédit pour faire élire son cousin Théodat, qui promettait de partager avec elle la souveraine puissance. Trompée dans son attente, elle se disposait à quitter l'Italie lorsque Théodat la fit enfermer et mettre à mort. Il donna ainsi un prétexte de guerre à Justinien, qui envoya contre lui Bélisaire, le destructeur des Vandales africains. La Sicile se soumit sans combat ; Naples et Rome tombèrent au pouvoir du général romain, et Théodat fut mis à mort par les siens pendant qu'il marchandait secrètement sa, soumission. 536-540. — Vitigès, élu à sa place, fit alliance avec les Francs et les Perses contre l'Empire d'Orient. Trahi par les Francs, abandonné par les Italiens, il succomba dans Ravenne en 540, et alla finir ses jours dans une honorable, mais courte captivité. Bélisaire, calomnié à la cour, fut rappelé par Justinien, qui l'envoya combattre les Perses. 541-552. — L'absence de Bélisaire ranima le courage des Goths, et le génie de leur roi Totila releva un moment leur fortune. Vainqueur des Grecs à Faenz-a, ce guerrier recouvra en peu de temps Rome et la plus grande partie de l'Italie. La cour de Byzance, effrayée, se hâta de rendre à Bélisaire le commandement de l'armée ; mais ce héros, dénué de ressources, borna ses succès à la reprise de Rome devenue déserte : il demanda lui-même et obtint son rappel (548). L'eunuque Narsès fut chargé de la guerre, et remporta sur Totila, blessé et mourant, la victoire de Lentagio, qui décida du sort de l'Italie (552). 553-554. — En vain Téias, successeur de Totila, entreprit de soutenir une lutte inégale : il fut aussi vaincu et tué près de Cumes. Deux corps auxiliaires de Francs, arrivés trop tard pour le secourir, furent détruits sur les bords du lac de Garda, ou taillés en pièces près de Casilin. Un frère de Téias, Aligern, tenta quelques vains efforts qui n'amenèrent qu'une capitulation. Les restes de la nation gothique abandonnèrent l'Italie, qui redevint une province de l'Empire. 554-568. — Narsès gouverna quinze ans l'Italie en qualité de duc ou d'exarque ; mais sa cupidité l'ayant rendu odieux aux Romains, le sénat demanda son rappel à l'empereur Justin II. L'impératrice Sophie ayant insulté à la disgrâce de l'eunuque par une lettre outrageante, Narsès n'écouta que son ressentiment et invita les Lombards à la conquête de l'Italie. § III. — Invasion des Lombards en Italie, 568. Ce peuple, originaire des bords de l'Oder, et depuis longtemps errant sur la rive gauche du Danube, avait été attiré par Justinien dans la Pannonie après la mort de Théodoric. Pendant qu'Alboin régnait sur les Lombards, les Avares arrivèrent du fond de l'Asie, et s'unirent à ces barbares pour faire la guerre aux Gépides. Cunimund, dernier successeur d'Ardaric, fut tué, dans un combat, de la main d'Albain, qui épousa sa fille Rosamonde. La Dacie envahie resta au khan des Avares, et les Lombards rentrèrent dans la Pannonie chargés de butin (566) ; deux ans après cette expédition, ils furent appelés en Italie. Alboin, 568-573. — La nation entière des Lombards franchit les Alpes Juliennes avec un corps nombreux de Saxons et de Bavarois qui s'étaient associés à leurs espérances. Alboin s'empare sans combat de la Carniole, de la Vénétie et de la plus grande partie de l'Italie transpadane. Milan ouvre ses portes comme les autres villes, et le conquérant s'y fait proclamer roi d'Italie. Pendant qu'une partie de l'armée tient Pavie en état de blocus, Alboin passe le Pô et va subjuguer la Ligurie, l'Emilie, la Toscane, l'Ombrie, et peut-être le Samnium. Au retour de cette expédition, il se rend maître de Pavie, dont il fait la capitale de son royaume. Les conquêtes des Lombards sont partagées en trente-six duchés, dont le gouvernement est assigné aux principaux compagnons d'Alboin, Ces duchés, dont les plus considérables furent ceux de Frioul, de Spolète et de Bénévent, devinrent bientôt héréditaires. Toute la côte d'Italie, depuis l'embouchure du Pô jusqu'à celle de l'Arno, Gênes et quelques villes de l'intérieur, restèrent sous la puissance des empereurs d'Orient, et formèrent une province gouvernée par un exarque, qui résidait à Ravenne. Plusieurs villes maritimes, telles que Venise, Naples, Gaëte, Amalfi, etc., commencèrent dès-lors à se rendre indépendantes de la cour de Byzance. La durée de l'exarchat, commencé à l'arrivée de Longin, en 568, devait se terminer à la prise de Ravenne par les Lombards, en 752. Mort d'Alboin, 573. — Après cinq ans d'un règne sans repos, le conquérant de l'Italie fut mis à mort par l'ordre de sa femme Rosamonde, dont il avait irrité la douleur filiale en la forçant de boire dans le crâne de son père Cunimund. Cette reine criminelle se déroba par la fuite à la fureur des Lombards, et se réfugia dans Ravenne avec son séducteur Hemilchild, qu'elle trahit à son tour, et qui la força de partager avec lui une coupe empoisonnée. Aristocratie, 575-585. — Après la mort violente de Cleph, successeur d'Alboin, les ducs Lombards laissèrent le trône vacant, et substituèrent à la royauté un gouvernement fédératif ; mais les divisions intérieures et la nécessité de s'unir contre les Grecs et les Francs les ramenèrent à l'unité monarchique. Autharis, Agilulfe, Rotharis, 585, etc. — Le roi Autharis, fils de Cleph, recouvra les provinces perdues, et S'avança jusqu'au détroit de Rhégium. Vainqueur des Grecs, il remporta aussi une victoire sur les Francs ; mais il ne put empêcher leurs fréquentes incursions. La veuve d'Autharis, la sage Théodelinde, ayant donné pour roi aux Lombards un prince courageux et pacifique dans la personne d'Agilulfe, la nation jouit pour la première fois de la paix ; et les efforts réunis des deux époux, que secondait le pape saint Grégoire, propagèrent la religion chrétienne parmi les Lombarde encouragèrent l'agriculture, et commencèrent la civilisation de ce peuple sauvage. De bonnes lois manquaient encore aux conquérants de l'Italie ; Rotharis fut leur législateur. Après avoir rétabli l'ordre dans l'état et conquis la Ligurie maritime, ce prince publia à la diète de Pavie, tenue en 643, un code de lois qui fut amendé et développé sous les règnes de Grimoald et de Luitprand. Ces deux rois sont les seuls qui méritent d'être tirés de l'oubli durant l'anarchie qui suivit la mort de Rotharis. § IV. — Invasion des Anglo-Saxons. Avant la conquête des Romains, la Bretagne était habitée au nord parles Calédoniens, divisés en Pictes et Scots (Scythes) ; à l'ouest par les Gallois, Welches eu Cambrions ; au sud-est et au centre par les Logriens. Tous les efforts des empereurs n'avaient pu assujettir les Calédoniens, et ces intrépides montagnards ne cessèrent d'assaillir la Bretagne romaine, malgré les deux retranchements qu'Adrien et Sévère avaient opposés à leurs incursions. Lorsque l'Empire fut de foutes parts attaqué par les barbares, la cour de Ravenne rappela les légions qui auraient pu défendre la Bretagne romaine. Rendues ou plutôt condamnées à leur première indépendance, les cités bretonnes se confédérèrent pour résister aux Pictes et aux Écossais, et nommèrent un Penteyrn ou généralissime, chargé de pourvoir à la défense commune. Mais les Calédoniens n'en continuèrent pas moins leurs courses dévastatrices, et ce fut en vain que les Bretons implorèrent le secours du patrice Aétius, alors maître de la milice dans les Gaules. Descente des Saxons, 448. — Pressés par leurs ennemis, les Bretons dégénérés ne pouvaient plus se défendre eux-mêmes. Le penteyrn Wortigern appela à son aide les Saxons du Holstein et du Jutland. Quinze cents de ces pirates débarquèrent sous les ordres d'Hengist et d'Horsa, et battirent les Pictes près de Standford. Pour prix de ce service, ils obtinrent l'ile de Thanet et la promesse d'un tribut. Royaume de Kent, 455. — Des différends s'étant élevés entre les Bretons et la colonie de Thanet, une lutte longue et sanglante s'engage entre les insulaires et les étrangers. Hengist, vainqueur de Wortigern et de son fils Vortimer, s'établit dans le territoire de Cantium ou Kent, et y fonde le premier royaume saxon. Royaume de Sussex, 491. — Les Saxons, chaque jour renforcés par de nouveaux aventuriers, continuent le cours de leurs brigandages. Ella, soutenu par Hengist, défait le penteyrn Ambrosius, et fonde le royaume de Sussex. Royaume de Wessex, 516. — La défaite et la mort de Nazaléod, successeur d'Ambrosius, livrent à Cerdic et à ses compagnons la contrée sud-ouest du pays des Logriens : ainsi s'établit le royaume de Wessex. Les progrès des Saxons furent arrêtés par Arthur, prince de Caërléon, qui remporta vers l'an 5ao la victoire de Badon-Hill, et dont les exploits sauvèrent l'indépendance de la nation cambrienne. Royaume d'Essex, 526. — Les Saxons, affaiblis, se divisent, et Erkenwin détache le pays d'Essex du royaume de Kent. Descente des Angles, 547. —La nation des Angles abandonna à son tour les bords de l'Eyder pour s'établir dans la Grande-Bretagne, à l'exemple des Saxons. Royaume de Northumberland, 547. — Conduits par Idda et ses douze fils, ils débarquèrent à Flamborough, et s'emparèrent de tout le pays situé entre l'Humber et le Forth. La conquête des Angles fut divisée après la mort d'idda en royaumes de Deïre et de Bernicie ; mais Ethelfrid les réunit en 590, et toute la contrée prit le nom de royaume de Northumberland. Royaume d'Est-Anglie, 571. —Une troupe d'Angles, détachée de l'armée d'Idda, avait déjà formé une colonie sur la côte, lorsque Offa, un de leurs chefs, prit le titre de roi d'Est-Anglie. Royaume de Mercie, 584. — Peu d'années après, Crida établit sur la limite des Cambriens le royaume de Mercie, qui fut le dernier des sept États fondés par les Germains dans l'île d'Albion et connus dans l'histoire sous le nom d'Heptarchie[1]. Les résultats de l'invasion anglo-saxonne furent la destruction, l'exil ou la servitude de la population britannique. Une partie des vaincus, refoulés dans les pays de Galles et de Cornouailles, y défendirent avec succès l'indépendance nationale. Il s'y forma cinq principautés souveraines, qui furent un-moment réunies, en 843, par Rodéric le Grand. Les Bretons de te côte méridionale se réfugièrent en grand nombre dans l'Armorique, où ils se maintinrent longtemps en corps de nation, et qui a reçu d'eux le nom de Bretagne. Irlande. — L'Hibernie ou Irlande resta à l'abri de l'invasion germanique, comme elle avait échappé à la domination romaine. La population de cette île reculée était divisée en un grand nombre de clans ou tribus gouvernées par des riaghs ou rois subalternes qui reconnaissaient pour chef un ardriagh et avaient sous leurs ordres des Tiernes ou chefs des clans inférieurs. Le roi suprême était élu dans une assemblée générale, mais toujours choisi dans la même famille : impuissante précaution contre l'ambition et l'anarchie. Des juges nommés brehons conservaient le dépôt des lois traditionnelles, dont une des principales dispositions rendait la propriété des terres viagère et en prescrivait le partage dans la tribu après la mort du possesseur. § V. — Émigration des Slaves. On peut classer les tribus Slaves suivant-les trois principales directions qu'elles suivirent en abandonnant leur terre natale. Slaves septentrionaux. — Nous donnons ce nom aux Slaves proprement dits, qui, vers le commencement du cinquième siècle, furent refoulés vers le nord, dans le pays des Finnois. Ils fondèrent sur le lac Ilmen une ville nommée Slavensk, dont on croit reconnaître les ruines à Staroié-Goroditsché. Dans le même temps, suivant une hypothèse plausible, les Roxolans, formés d'un mélange des Rossi et des Alains, bâtirent Kief, sur le Borysthène ; mais, chassés à leur tour par d'autres barbares, ces Russes primitifs allèrent se joindre aux Slaves septentrionaux, et fondèrent avec eux la ville de Novogorod, qui fut si longtemps la métropole du Nord. 2° Slaves occidentaux. — Les Venèdes ou Wendes s'établirent vers les cinquième et sixième siècles, entre l'Elbe et la mer Baltique, dans les contrées laissées désertes par l'expatriation des Suèves et autres peuplades germaniques. Leurs principales tribus étaient les Obotrites, les Wilses, les Lusaciens, les Poméraniens, qui se fixèrent près des côtes, et les Moraves, les Tchèques et les Leckhes ou Poléniens, qui fondèrent dans l'intérieur des terres des États plus puissants, et dont deux subsistent encore. Vers l'an 550, les Tchèques chassèrent les Marcomans du pays des anciens Boïens et prirent le nom de Bohémiens ; ils y fondèrent la république de Prague, qui fut plus tard subjuguée par les Avares. Un marchand franc, nommé Samon, les ayant délivrés de ce joug étranger, les Tchèques formèrent de nouveau un corps de nation, et leur confédération prit quelque consistance lorsqu'elle se donna un chef unique dans la personne de Prémislas, dont on ne connaît guère que le nom. Les Polonais n'ont pas une origine plus authentique : on les fait descendre des Leckhes ou Poléniens, qui partirent des environs de Kief, sous la conduite de Leckh, leur premier woiévode, vers l'an 550. Les villes de Poznan et de Gnezne rapportent leur fondation à ce conquérant, peut-être fabuleux, et Cracovie tire son nom de Cracus, qui bâtit, dit-on, cette ancienne capitale de la Pologne. Des dissensions aristocratiques déchirèrent ce pays de bonne heure, et l'exposèrent aux attaques de ses voisins. Un autre Prémislas sauva la nation, et fut proclamé Krol ou roi, en 750. 3° Slaves méridionaux. — Les Antes ou Slaves de la mer Noire paraissent au nord de la Dacie vers l'an 527. De même que les Moraves et les Bohémiens, ils subirent la domination des Avares ; mais, après la défaite du khan Baïan devant Constantinople, en 626, ils se révoltèrent contre leurs oppresseurs, et l'empereur Héraclius leur permit de s'établir dans l'Illyrie. Telle est l'origine des anciens royaumes ou bannats de Croatie, de Dalmatie, d'Esclavonie, de Bosnie et de Servie. Les Slaves illyriens se livrèrent à la piraterie, et leurs vaisseaux infestèrent longtemps les mers de l'Adriatique et de l'Archipel. Les villes maritimes de Trau et de Zara résistèrent à ces barbares qui avaient dévasté toute la contrée. Spalatro et Raguse, fondées par les fugitifs de Salone et d'Épidaure, restèrent également sous l'autorité des empereurs, et firent partie de la province ou thème de Dalmatie. § VI. — Avares et Bulgares. Avares. — Ce peuple, souvent confondu avec les Huns, n'était qu'un débris de la grande nation des Tartares-Géougen, qui dominait depuis l'an 402 dans les environs des monts Altaï, et qui fut détruite en 552 par les Turcs aidés des Chinois. Sur les ruines de cette domination, le khan Dysabule avait fondé un puissant empire, d'où sortirent plus tard les Khozares et les Seljoucides, qui se rendirent si formidables à l'Empire d'Orient. Les Ogors échappèrent à la destruction des Géougen dont ils faisaient partie, et se dérobèrent par la fuite à leurs ennemis. Conduits par le kakhan Varkhouni, ils passèrent le Volga, et arrivèrent en Europe sous le nom d'Avares. L'empereur Justinien les engagea à s'établir dans la Dacie, pour les opposer aux Gépides et aux Lombards (558). Nous avons vu comment Baïan, leur chef, conquit le royaume des Gépides ; il subjugua aussi les Antes, les Moraves, les Tchèques et les Bulgares. Longtemps redoutable à l'Empire, qu'il dévasta dans ses incursions, ce conquérant fut enfin battu devant Byzance en 626, et sa défaite fut le signal de la révolte des peuplades tributaires. Cependant la domination des Avares subsista longtemps encore dans les deux Pannonies, et ne fut détruite qu'en 799 par Charlemagne. Bulgares. — Cette nation, originaire des bords du Volga, s'était avancée vers les bords du Borysthène et du Dniester, sous le règne de l'empereur Zénon. Pendant deux siècles que les Bulgares occupèrent cette contrée, l'Empire grec fut souvent exposé aux incursions qu'ils faisaient en commun avec les Slaves ou avec les Avares. Lorsque la mort de Baïan eut rendu la liberté au monde barbare, ils ne reconnurent plus d'autre autorité que celle de leur chef Couvrate. Après la mort de Couvrate, les Bulgares se partagèrent entre ses deux fils. L'un, nommé Alezécus, fut appelé en Italie par un duc de Bénévent, qui établit sa tribu dans les environs de Molise. Asparouk se mit à ravager la Thrace avec le gros de la nation, et vendit ensuite son alliance à l'empereur Constantin Pogonat y qui lui abandonna la Mésie déserte, en 679. On peut regarder Asparouk comme le fondateur du premier royaume de Bulgarie, qui subsista jusqu'en 1019. |
[1] Voyez le tableau géographique de cette fédération dans notre Histoire générale du moyen âge, tome I, page 155.