L'ÉGLISE CATHOLIQUE ET L'ÉTAT

DEUXIÈME PARTIE. — LES LOIS SCÉLÉRATES (1879-1889)

 

CHAPITRE II. — LES LOIS SCOLAIRES, L'OPPORTUNISME ET LA POLITIQUE RADICALE (1880-1883).

 

 

I. L'enseignement secondaire des jeunes filles. — II. Questions du divorce et du service militaire des séminaristes. — III. Loi sur les titres de capacité de renseignement primaire. — IV. Gratuité de l'enseignement primaire. — V. Premiers débats sur l'obligation et la laïcité de l'enseignement primaire. — VI. L'opportunisme, l'Eglise et la politique coloniale. — VII. Le ministère Gambetta, sa chute, ses projets. — VIII. Loi sur l'enseignement primaire laïque et obligatoire. — IX. Tendances radicales de la nouvelle Chambre. — X. Ses hésitations et son désarroi. — XI. Mort de Gambetta et second ministère Ferry.

 

I

La République, bien que victorieuse et maîtresse de ses destinées, n'osait ni s'affranchir du Concordat, qui la liait au pape, ni se débarrasser des congrégations, dont aucun traité n'avait légalisé l'existence. Elle faisait et devait longtemps encore faire preuve à l'égard de la puissance cléricale d'une timidité, d'une hésitation qui n'étaient propres qu'à l'enhardir dans sa résistance. 1l semblait qu'elle n'eût pas le courage de l'assaillir de front. Mais, malgré ses fluctuations et ses reculades, elle n'était pas sans l'inquiéter et l'affaiblir peu à peu par des attaques de flanc, dont les mieux conçues, comme les mieux menées, avaient pour but la laïcisation de la France par l'enseignement.

Cette grande campagne, dont nous avons déjà signalé le début et dont les principales phases seront retracées dans ce chapitre, avait amené déjà grâce à l'énergie de Jules Ferry, la reprise par l'Etat de ses droits jadis sacrifiés, d'une part sur le Conseil supérieur de l'instruction publique et les conseils académiques, de l'autre sur l'enseignement supérieur. Regagner du terrain, c'était bien. Mais en conquérir, c'était mieux encore. C'est ce que la République commença de faire, en décembre 1880, par la loi nouvelle sur l'enseignement secondaire des jeunes filles.

On se rappelle à quelle furieuse opposition du clergé s'était heurté sous l'Empire le ministre Duruy[1], pour avoir essayé d'organiser, sous forme de cours universitaires, cet enseignement, si nécessaire à l'Etat, et de soustraire, dans une certaine mesure, les femmes de la classe dirigeante à la direction exclusive du clergé catholique. L'entreprise, par l'effet de cette opposition, avait à peu près échoué[2]. Mais elle n'avait pas été oubliée du parti républicain, sur le programme duquel elle n'avait depuis longtemps cessé de figurer. De là la proposition de loi déposée à la Chambre des députés par Camille Sée et qui, adoptée par Bardoux (28 oct. 1878), puis par Jules Ferry (1879), avait donné lieu à un important rapport[3] et à un projet définitif dont voici à peu près les grandes lignes :

Il serait créé des lycées et collèges de jeunes filles comportant, comme les lycées et collèges de garçons, des externats et des internats ; des bourses y seraient instituées par l'Etat, les départements et les communes. L'enseignement y comprendrait la morale, la langue française, la lecture, les langues vivantes, la littérature ancienne et moderne, la géographie et la cosmographie, l'histoire nationale et l'histoire générale, l'arithmétique, la géométrie, la chimie, la physique et l'histoire naturelle, l'hygiène, l'économie domestique, les travaux d'aiguille, le droit usuel, le dessin, la musique et la gymnastique. L'instruction religieuse pourrait y être donnée par les ministres du culte, sur la demande des parents, en dehors des heures de classe. Des examens préalables seraient subis par les élèves avant leur entrée. Un certificat de fin d'études pourrait leur être délivré à leur sortie. Les directrices et les professeurs, pourvus de grades réguliers, seraient naturellement nommés par l'Etat.

Ce projet, discuté en décembre 1879 et janvier 1880 à la Chambre des députés, n'avait pas manqué d'être vivement combattu par la droite qui, non contente de rééditer à cette occasion les plaisanteries bien connues de Molière contre les femmes savantes, lui avait reproché avec aigreur de porter atteinte à la religion. Mais les orateurs républicains — Chalamet, Paul Bert, etc. — n'avaient pas eu de peine à mettre les rieurs de leur côté et à démontrer combien il est légitime et désirable, surtout dans une société comme la nôtre, que la femme élargisse le cercle, jusque-là par trop restreint, de ses connaissances et puisse, grâce à l'instruction, vivre en communion d'idées et de sentiments politiques avec son mari. La loi avait, en somme, passé sans encombres. Elle trouva plus de résistance au Sénat (novembre-décembre), où les porte-paroles du clergé, comme Chesnelong, insistèrent longuement sur le danger d'une éducation sans Dieu et contre Dieu et demandèrent avec instance qu'au moins le nouvel enseignement comportât un cours de morale religieuse. Jules Ferry répondit en protestant énergiquement du profond respect de l'Université pour la religion, respect qui, disait-il, s'imposait d'autant plus à elle que l'Etat était lié à l'Eglise par le Concordat — qu'il déclarait personnellement ne vouloir point rompre —. C'était précisément, affirmait-il, par égard pour elle qu'il en voulait réserver l'enseignement aux ministres du culte, seuls qualifiés pour le donner ; et il ajoutait fort justement que la liber té de conscience et la dignité des maîtres laïques s'opposaient à ce qu'on les forçât d'enseigner ce qu'ils avaient le droit incontestable de ne pas croire. Il était temps, disait-il aussi, que les femmes reçussent enfin, comme les hommes, une éducation rationnelle et non confessionnelle. Et si Jules Simon, venant, comme d'ordinaire, au secours des orateurs cléricaux, lui représentait que l'Université ne pouvait fournir des professeurs de morale, il lui ripostait avec esprit que lui-même avait toute sa vie prouvé le contraire par son enseignement. Au duc de Broglie, qui contestait longuement à l'Etat le droit et la possibilité d'enseigner une morale indépendante de toute doctrine religieuse, il répondait, avec autant de justesse que d'élévation et de libéralisme, que c'était là pourtant ce qui se pratiquait, sans aucun scandale, dans les lycées de garçons ; que, du reste, l'Université n'était nullement athée ; qu'elle était spiritualiste et déiste ; mais que la prétention positiviste de fonder la morale uniquement sur la science n'en était pas moins on ne peut plus légitime et qu'il était au contraire inadmissible qu'elle ne pût exister indépendamment de toute doctrine théologique. Le ministre était sur ce point d'accord avec la très grande majorité du part républicain. Mais il s'en était assez maladroitement séparé e repoussant le principe de l'internat inscrit dans la loi par Camille Sée, ce qui, sans qu'il le voulût ; était faire la partie belle aux avocats du clergé[4], lesquels ne voyaient clans les internats des couvents que des foyers d'édification, mais dénonçaient d'avance les internats des lycées comme des foyers de pestilence. Il fallut les observations et l'insistance de ses amis pour le ramener à une plus saine appréciation des choses. Encore ne consentit-il pas à ce que les internats fissent forcément partie intégrante des nouveaux lycées et collèges ; il voulut seulement qu'ils pussent y être annexés sur la demande des communes. Et comme au début les communes — un peu timorées — ne se hâtèrent pas de faire de pareille demandes, les effets de la loi ne furent pas tout d'abord aussi satisfaisants qu'on avait pu l'espérer.

Quoi qu'il en soit, l'essentiel était qu'elle fût votée et mise en vigueur. Promulguée le 21 décembre et complétée, le 26 juillet suivant, par celle qui instituait l'Ecole normale supérieure de Sèvres, destinée à former des maîtresses pour les établissements à créer[5], elle commença peu après à porter ses fruits sous la vigoureuse impulsion de Jules Ferry et malgré les railleries ou les calomnies cléricales, qui ne furent épargnées ni au nouvel enseignement ni à son personnel. Le premier lycée de jeunes filles fut ouvert à Montpellier le 3 octobre 1881 ; le premier collège le fut à Auxerre le 6 décembre suivant. Dès lors les créations de ce genre se multiplièrent rapidement. Au bout de cinq ans, le nombre des lycées fut de 16, celui des collèges de 19, sans compter les simples cours d'enseignement secondaire, dont le total s'accrut aussi rapidement dans toute la France. Le total des élèves, qui était au début de quelques centaines, était de plus de 6.000 en 1886. Depuis, et surtout de nos jours, les progrès du nouvel enseignement ont été bien plus sensibles encore[6]. Et sans cesse grossit dans les classes moyennes le nombre des familles qui trouvent leurs filles mieux placées sur les genoux de l'Université que sur ceux de l'Eglise, où les voulait Dupanloup.

 

II

Si, en matière d'enseignement, le parti républicain se montrait assez résolu à passer outre aux oppositions cléricales, il ne manifestait pas en d'autres matières autant de hardiesse. C'est ainsi que ceux mêmes qui, par la loi du 21 décembre 1880, invitaient ouvertement les familles à secouer le joug de l'Eglise, n'osaient pas tous encore pousser plus avant leur œuvre de laïcisation sociale en votant enfin la loi du divorce depuis si longtemps proposée par Alfred Naquet. On a vu plus haut que la Chambre des députés s'était jusque-là bornée à prendre la proposition en 'considération, ce qui avait amené le pape Léon XIII à publier l'Encyclique spécialement consacrée à la défense de l'indissolubilité du mariage. Ce manifeste insinuant et disert, sans parler de l'atavisme inconscient qui fait encore hésiter tant de Français, même affranchis de la foi, à porter la main sur les lois de l'Eglise, contribuait peut-être, au commencement de 1881, à rendre incertaine une réforme que le bon sens, comme la justice, réclamait impérieusement et que seul écartait l'intérêt de la religion romaine. Quoi qu'il en soit, quand vint en discussion devant la Chambre (5 février 1881) le projet de la commission dont Léon Renault était rapporteur, projet on ne peut plus modéré, puisqu'il n'admettait que trois cas de divorce et repoussait le divorce par consentement mutuel, ainsi que le droit pour les époux adultères de se marier avec leurs complices, la droite, qui en souhaitait passionnément l'insuccès, n'eut pour assurer ce résultat qu'à se taire et à laisser parler l'opposition républicaine. Un membre de la gauche, Louis Legrand, et même le garde des sceaux Cazot vinrent soutenir le principe du mariage indissoluble, au nom d'un intérêt social supérieur, suivant eux, à celui des époux. Les adversaires du projet faisaient aussi valoir cette considération que, le renouvellement de la Chambre étant assez prochain[7], l'impression produite par le vote de la loi du divorce sur le public catholique serait encore toute fraîche au moment des élections, que cette impression serait fâcheuse et que la cause républicaine en pâtirait. Aussi Naquet et Léon Renault eurent-ils beau démontrer, avec une grande force d'argumentation tout ce qu'il y avait d'immoral et d'antisocial dans le régime de la séparation de corps — seul remède aux mariages malheureux si le divorce n'était pas admis —, ledit projet fut finalement repoussé (8 février) par 247 voix, dont 109 appartenaient à la gauche ; et le parti clérical se trouva ainsi, pour un temps, avoir gain de cause.

En attendant de pouvoir réparer cet échec, les radicaux s'efforcèrent peu après de porter au clergé un autre coup, qui ne lui fût pas moins sensible, mais n'y réussirent qu'imparfaitement. Scandalisés du privilège consacré par la loi de 1872 sur le recrutement de l'armée et grâce auquel les élèves des grands séminaires et les instituteurs congréganistes étaient exemptés de tout service militaire, ils avaient, dès le mois d'avril 1880, demandé que cette exception fût totalement rayée de la loi et que les futurs prêtres et les congréganistes fussent soumis simplement au droit commun, c'est-à-dire astreints, comme la généralité des conscrits, à cinq années de service. Paul Bert et les opportunistes, moins exigeants, avaient demandé qu'ils en fissent au moins une année, ce qui paraissait d'autant plus équitable que les instituteurs, dispensés eux aussi par la loi de 1872, s'étaient déclarés prêts à renoncer à ce privilège et que pour eux aussi même obligation était réclamée.

Il va sans dire qu'une pareille prétention avait fait pousser les hauts cris à tout le clergé. A l'entendre, ses prérogatives les plus sacrées étaient violées ; son recrutement, déjà fort difficile[8], devenait tout à fait impossible. Le gouvernement, intimidé par ses clameurs, avait cru devoir déposer pour sa part un projet de loi fort bénin portant que les séminaristes et les instituteurs congréganistes seraient bien astreints à une année de service, mais qu'ils la feraient simplement comme infirmiers. Lors de la discussion (en mai 1881), les défenseurs de l'Eglise crièrent encore plus fort. L'évêque d'Angers, Freppel, qu'une élection partielle avait fait, l'année précédente, entrer à la Chambre[9], où il avait repris, avec plus de raideur et moins de tact, le rôle parlementaire de Dupanloup, plaida la cause des séminaristes et des frères avec tant d'âpreté que la Chambre irritée vota tout d'abord la proposition radicale, impliquant cinq ans de service. Le gouvernement, de nouveau, s'entremit. Le ministre de l'Intérieur Constans et Ferry lui-même — qui, pour des motifs que nous indiquerons plus loin, ne voulait pas pousser à bout l'opposition ecclésiastique — s'efforcèrent d'arranger les choses, représentèrent que, l'Eglise n'étant pas séparée de l'Etat, ce dernier était obligé de tenir compte de ses intérêts et que, le culte représentant un service public, il ne fallait pas entraver systématiquement le recrutement du clergé. Le président du conseil parla de la religion qui se mêle d'une façon intime à tous les actes de la vie sociale et qui compte un si grand nombre d'adeptes, du besoin que les catholiques ont de leurs prêtres, auxquels pourtant ils n'obéissent pas en temps d'élections. Il alla même un peu loin en dépeignant le corps ecclésiastique comme apaisé et animé vis-à-vis de l'Etat de dispositions conciliantes. Bref, il ne contribua pas peu — non plus que Paul Bert — à faire réduire à une année le temps de service qui devrait être exigé des séminaristes. La Chambre crut, il est vrai, devoir ajouter qu'ils ne jouiraient de ce privilège qu'en temps de paix et qu'ils pourraient être rappelés en temps de guerre, ce qui provoqua de la part des évêques de nouvelles et très vives protestations[10]. Mais tous ces votes en somme n'étaient rien moins que définitifs. Le Sénat n'avait pas encore prononcé et bien du temps devait encore s'écouler avant que les membres du clergé fussent, comme le voulait la justice républicaine, dépouillés en matière de service militaire du privilège maintenu en leur faveur par la loi de 1879.

 

III

En attendant, Jules Ferry poursuivait avec l'esprit de méthode et la ténacité qui furent ses qualités maîtresses l'œuvre de législation scolaire si bien commencée et dont l'accomplissement sera son éternel honneur dans l'histoire.

Dans un pays de suffrage universel comme le nôtre, la question de l'enseignement primaire était à ses yeux, ainsi qu'à ceux de tous les amis éclairés de la démocratie, d'une importance capitale. Il était bien évident que, pour que la République fût viable, il fallait que le peuple sût lire et surtout qu'il n'eût pas pour éducateurs les ennemis les plus dangereux de nos libres institutions. Aussi la gratuité, l'obligation et la laïcité de l'enseignement primaire étaient-elles plus que jamais à l'ordre du jour du parti républicain. Sans parler de divers projets de détail déposés au Parlement par les ministres de l'Instruction publique depuis 1876, une proposition d'ensemble, tendant à cette précieuse conquête, avait été soumise à la Chambre des députés en 1878 par le radical Barodet et cinquante de ses collègues ; et la commission chargée de l'examiner avait désigné Paul Bert pour son président et son rapporteur[11]. Cette proposition, très étendue et très complexe, avait la prétention de refaire et d'agencer à la fois toue les rouages de l'enseignement primaire et constituait en ce qui le concernait un véritable code. Combien de temps faudrait-il à la Chambre des députés un peu nerveuse et un peu brouillonne que la France possédait alors pour élaborer utilement et voter une loi pareille ? Puis la ferait-on accepter en bloc et sans résistance au Sénat, où les républicains se montraient encore si réservés et si timides ? C'est ce que Jules Ferry, comme les autres chefs de l'opportunisme, s'était dès le début demandé avec inquiétude. Persuadé comme Gambetta que la politique du tout ou rien n'était qu'une folie, qu'il fallait sérier les questions pour les mieux résoudre, se contenter du possible et remettre le reste à plus tard, enfin qu'à chaque jour suffisait sa peine, cet homme d'Etat avait cru devoir, peu après son entrée au ministère de l'Instruction publique, détacher du vaste et complexe programme soumis à la Chambre une question particulière d'une importance considérable et en avait fait l'objet précis d'un projet de loi, déposé par lui le 19 mai 1879.

Ce projet, éminemment anticlérical, avait pour but de supprimer les équivalences au brevet de capacité — pour l'enseignement primaire — admises par la loi de 1850 et par-dessus tout la lettre d'obédience qui, délivrée parles évêques aux institutrices congréganistes, les dispensait dudit brevet de capacité. C'était un moyen de mettre fin à un privilège injustifiable et grâce auquel l'enseignement primaire des jeunes filles était en grande partie accaparé par les Congrégations religieuses. On pouvait constater à cette époque que, sur 68.000 institutrices qu'il y avait en France, 37.000 étaient des congréganistes et que, sur ces 37.000, 5.733 seulement étaient pourvues du brevet de capacité.

Le projet portait qu'à l'avenir les directeurs et directrices d'écoles primaires, publiques ou privées, et des salles d'asiles devraient posséder non seulement le brevet de capacité, mais un certificat d'aptitude pédagogique nouvellement institué par l'Etat, et que le brevet de capacité serait obligatoire pour les institutrices et instituteurs adjoints ; le tout sous réserve de dispenses ou de délais raisonnables pour les directeurs ou adjoints en exercice depuis un certain temps.

Discutée d'abord à la Chambre des députés (24-27 mai 1880), la loi sur les titres de capacité de l'enseignement primaire avait déjà été de la part de certains orateurs catholiques — Boyer, de la Bassetière, etc. — l'objet de vives attaques, auxquelles Paul Bert avait répondu victorieusement en rappelant que les inspecteurs d'académie, consultés sur la question en 1864, avaient presque tous constaté l'ignorance et l'insuffisance des institutrices pourvues 1 seulement de lettres d'obédience. Puis à Keller, demandant qu'au moins le brevet ne fût imposé qu'aux institutrices publiques et que l'enseignement privé fût traité en industrie libre, Jules Ferry avait riposté non seulement en montrant combien en réalité le brevet en question était facile à conquérir, mais en protestant avec énergie contre l'assimilation de l'enseignement à une industrie. Jamais, s'était-il écrié, nous n'admettrons que l'enseignement du peuple soit une industrie privée, jamais nous n'admettrons que ceux qui enseignent puissent avoir la liberté de l'ignorance ni la liberté de l'empoisonnement. Bref, la loi avait assez rapidement passé, à une forte majorité.

Mais au Sénat, la discussion fut plus longue et plus acharnée (mars-mai 1881). Les cléricaux de la haute Assemblée, comme Chesnelong, ne manquèrent pas de représenter la mesure proposée comme une abominable persécution et demandèrent hautement le rétablissement de toutes les équivalences. Le président du conseil n'eut pas de peine à montrer que les équivalences, sauf la lettre d'obédience, étaient depuis longtemps tombées en désuétude ; qu'elles n'avaient jamais été prises au sérieux ; que le brevet de capacité lui-même ne représentait qu'un minimum d'instruction et que c'était une raison de plus pour le déclarer obligatoire. Il s'attacha surtout à démontrer, en se servant des aveux mêmes de l'ancien évêque de Langres, Parisis[12], que ce n'était pas la difficulté d'obtenir le brevet qui expliquait la résistance du clergé à la loi nouvelle, que c'était simplement le désir de maintenir les congréganistes dans la dépendance absolue de leurs supérieurs. Le vœu de pauvreté avait écrit ce prélat, est nécessaire pour que l'obéissance soit complète. Or un brevet de capacité est pour la personne qui l'a obtenu une vraie propriété, conséquemment une tentation continuelle d'indépendance... Ce n'est donc pas, ajoutait Ferry, parce que vous craignez que vos institutrices congréganistes ne passent pas l'examen que vous tenez à la lettre d'obédience. Non ! C'est parce que vous craignez qu'elles le passent, et c'est l'évêque qui le dit ! Il reproduisit aussi les arguments que lui et Paul Bert avaient déjà servis à la Chambre et parvint ainsi à faire repousser l'amendement Chesnelong. Mais il lui fallut batailler longuement contre ceux des opposants qui demandaient qu'au moins les institutrices et directrices déjà en exercice pussent continuer à jouir de leur privilège. Finalement il dut consentir à une transaction : Il fut décidé que cet avantage serait accordé aux directrices et adjointes âgées d'au moins trente-cinq ans et justifiant de cinq années de service ; et que le délai concédé aux autres pour l'obtention du brevet serait reculé jusqu'au mois d'octobre 1886. — A ces conditions, la loi fut votée par le Sénat, et, approuvée par la Chambre, fut enfin promulguée le 16 juin 1881.

 

IV

C'était là certainement pour la République une conquête appréciable. Mais la question capitale, celle de la gratuité, de l'obligation et de la laïcité restait à résoudre et les résistances cléricales que les projets antérieurs du gouvernement avaient éprouvées étaient peu de chose à côté de celle que cette question devait soulever dans le Parlement.

La grande proposition Barodet, longuement étudiée par la commission que présidait Paul Bert, avait amené le dépôt par ce dernier d'un volumineux rapport et d'un projet de loi définitif embrassant, dans un classement méthodique, toutes les matières de l'enseignement primaire[13] (6 décembre 1879). Mais au lieu de laisser ce projet suivre sa destinée, Jules Ferry, craignant encore qu'une réforme aussi vaste et aussi complexe ne pût pas aboutir dans la législature actuelle et ne fût, par l'effet fâcheux d'un pareil avortement, retardée pour bien des années, s'était hâté de rédiger au nom du gouvernement deux projets de réforme partielle, immédiatement réalisables à son sens, et les avait déposés le 20 janvier 1880 à la Chambre des députés. L'un ne traitait que de la gratuité, l'autre que de l'obligation de l'enseignement primaire.

Le premier, après avoir donné lieu à un nouveau rapport de Paul Bert, était venu en discussion au Palais-Bourbon le 13 juillet 1880. Là sans parler de divers opposants, l'évêque Freppel s'était efforcé d'abord de démontrer que la loi serait onéreuse aux finances, nuisible aux progrès de l'instruction primaire et désastreuse au point de vue politique et social. Jules Ferry avait répondu que s'il y avait des écoles il fallait toujours bien que les maîtres fussent entretenus par quelqu'un et que, l'enseignement étant une nécessité sociale, il était juste que les frais en fussent supportés par la société plutôt que par les particuliers. Il avait fait remarquer que l'Eglise elle-même s'imposait des sacrifices pour pratiquer dans ses écoles le système de la gratuité. Il s'était ensuite attaché surtout à démontrer que la gratuité était, dans notre République, une nécessité démocratique et politique. ... Il importe, disait-il, avec raison, à une société comme la nôtre, à la France d'aujourd'hui, de mêler sur les bancs de l'école les enfants qui se trouveront un peu plus tard mêlés sous le drapeau de la patrie. Il ne voulait pas que, comme dans beaucoup d'écoles congréganistes, il y eût, dans les écoles publiques, deux catégories d'élèves, les payants et les non payants, traités et élevés différemment par les maîtres, qu'il y eût le banc des riches et le banc des pauvres. C'était, disait-il, rabaisser la dignité de beaucoup de citoyens que de les obliger à se déclarer indigents pour solliciter la gratuité. Il fallait éviter à cet égard l'arbitraire des autorités communales. La rétribution scolaire était, à son sens, un impôt injuste en ce sens qu'il frappait d'autant plus les familles qu'elles avaient plus d'enfants — partant plus de charges — et qu'elles avaient plus fait pour le pays. C'étaient surtout les paysans qui, à cet égard, avaient besoin d'être dégrevés, et le paysan, c'était la réserve, c'était l'avenir de la République. Quant à la question des voies et moyens, le ministre établissait que l'obligation des charges nouvelles devait en bonne justice incomber surtout aux communes. A ceux qui objectaient que l'école ne devait être payée que par ceux qui se servaient d'elle, Paul Bert répondait avec chaleur que l'enseignement étant un service public, d'intérêt national, il était juste et nécessaire qu'il fût entretenu, comme les autres, par la nation. Enfin le président du conseil, après avoir expliqué minutieusement ce que coûterait la nouvelle réforme et par quelles mesures il pourrait être pourvu au surcroît de dépense qu'elle entraînerait, enleva le vote par ces viriles paroles : ... Il faut payer tout cela... Vous le payerez libéralement, joyeusement, et je vous engage à faire cette réponse aux personnes peu éclairées qui vous diront que la loi actuelle opprime les petites communes afin d'enrichir le budget de l'État[14]...

Au Sénat, la loi sur la gratuité fut discutée en première lecture le 4 et le 5 avril 1881, en seconde lecture le 17 mai suivant. Jules Ferry, non sans peine, y triompha des mêmes objections qu'à la Chambre[15]. Finalement la loi put être promulguée, comme la loi relative aux titres de capacité, le 16 juin 1881.

 

V

Le projet concernant l'obligation de l'enseignement primaire avait été déposé par Jules Ferry en même temps que le précédent, mais avait donné lieu entre le chef du gouvernement et la commission de la Chambre à de longues négociations qui en avaient retardé sensiblement la discussion. La commission reprochait au ministre d'avoir laissé pour le moment dans l'ombre la question si grave de la laïcité, tant en ce qui touchait à l'enseignement qu'en ce qui regardait le personnel enseignant des écoles publiques. Les pourparlers qui s'engagèrent entre elle et lui l'amenèrent à accepter d'ores et déjà le principe de la laïcisation immédiate de l'enseignement primaire public. Mais il fut entendu que pour celle du personnel on se contenterait de la poser en principe, sans fixer avec précision l'époque où cette réforme devrait être terminée — comme s'il eût été impossible, dans un pays comme la France, de pourvoir en quelques années au remplacement de tous les instituteurs et institutrices congréganistes ! —. Ajoutons qu'en ce qui concernait l'instruction religieuse, dont on ne pouvait évidemment plus charger les instituteurs publics, Jules Ferry se montra moins radical que la commission, puisqu'il maintint par son projet le droit pour les ministres des cultes de la donner dans les locaux scolaires — en dehors des heures de classe, il est vrai, et sauf autorisation des conseils municipaux et des conseils départementaux de l'instruction primaire.

Les longs et passionnés débats auxquels la loi nouvelle donna lieu au Palais-Bourbon (du 4 au 624 décembre 1880) fournirent d'abord au rapporteur Paul Bert l'occasion de développer magistralement ces deux idées : 1° qu'il était nécessaire de, donner enfin une sanction légale à l'article 203 du Code civil, qui impose aux parents l'obligation d'élever leurs enfants ; 2° que l'hypocrite objection fondée par les cléricaux sur la liberté du père de famille n'était qu'un inadmissible sophisme ; pie, la loi intervenant à bon droit pour réprimer les brutalités du père envers ses enfants et pour soumettre ces derniers au service militaire, il n'y avait pas de raison pour qu'elle ne contraignît pas les futurs électeurs à apprendre à lire ; que l'intérêt national primait en cela l'intérêt ou les fantaisies des familles. Quant à la laïcisation de l'enseignement dans les écoles publiques, il en démontra la nécessité au nom de la liberté de conscience des enfants, aussi bien que de celle des instituteurs. Le prêtre seul, ministre attitré d'un culte, avait qualité pour donner l'instruction religieuse, et dans un pays de liberté comme la France l'école publique devait rester absolument neutre.

De pareilles affirmations faisaient naturellement bondir la droite, dont tous les orateurs flétrissaient à l'envi l'école sans Dieu ou plutôt l'école contre Dieu de la République athée. Freppel invoquait de nouveau, sans se lasser, la liberté du père de famille, déclarait que l'obligation de l'enseignement primaire était le commencement du socialisme d'Etat, ajoutant d'ailleurs que beaucoup d'enfants recevaient dans leur famille l'instruction primaire, et que tous iraient bientôt à l'école sans qu'on les y forçât ; — ce à quoi on répondait qu'ils iraient encore bien plus Sûrement si on les y contraignait. Keller réclamait avec emportement le maintien de l'enseignement religieux. Par contre, les radicaux comme Lockroy réclamaient la laïcisation immédiate non seulement de l'enseignement, mais du personnel.

Aux arguments de l'opposition, le président du conseil ripostait d'abord par (les faits : En France 15 p. 100 des conscrits étaient absolument illettrés, alors que 3 p. 100 seulement l'étaient en Prusse. Elevant la question, le ministre remontrait que l'obligation qu'il réclamait était par-dessus tout un instrument d'émancipation et de liberté. ... Pour nous, disait-il, le livre, quel qu'il soit, c'est l'instrument fondamental et irrésistible de l'affranchissement de l'intelligence... Votre principe est qu'il vaut mieux ne pas lire que de lire des livres qui ne sont pas bons, c'est-à-dire qui ne sont pas conformes aux doctrines que vous défendez... Nous croyons à la rectitude de l'esprit humain, au triomphe définitif du bien sur le mal, à la raison et à la démocratie, et vous, vous n'y croyez pas...

Quant à la laïcité de l'enseignement, il rappelait que le principe en avait été posé par la loi de 1833, qui subordonnait l'enseignement religieux au vœu du père de famille. Il réfutait ensuite éloquemment cet argument que, la majorité de la France étant catholique, c'était à elle de faire la loi en cette matière. ... Non, s'écriait-il, il n'est pas vrai de dire que dans notre France de 1789 la doctrine doit être catholique parce que le plus grand nombre des enfants qui fréquentent l'école sont catholiques. Et pourquoi ? D'abord par respect pour la liberté de conscience de l'instituteur, par respect pour le grand principe qui veut que toutes les fonctions soient accessibles à tous les Français, quelle que soit la religion à laquelle ils appartiennent. Il y a autre chose : si l'école doit être catholique dans ses doctrines, il faut que le juge en dernier ressort des méthodes et des maitres soit l'Eglise catholique... il faut que la haute inspection des écoles appartienne au clergé. De là cette conséquence que l'on a voulu faire sortir de la loi de 1850, qui a profondément altéré l'esprit de la loi de 1833, qui a donné à toute notre pédagogie une tournure particulière que nous avons grand'peine à changer... Bref, il fallait, disait-il fort justement, choisir entre ces deux doctrines : la séparation de l'Eglise et de l'Ecole ou la doctrine de Pie IX, dont les évêques de Belgique ont donné la véritable formule[16].

La discussion des articles, au cours de laquelle l'instruction morale et civique fut déclarée partie intégrante de l'enseignement primaire obligatoire, amena de violents débats sur divers amendements demandant, les uns le rétablissement pur et simple de l'enseignement religieux, les autres la faculté pour les ministres du culte de venir le donner dans les écoles et mérite de se faire suppléer par les instituteurs pour la récitation du catéchisme. En fin de compte une coalition de la droite et de l'extrême gauche amena le rejet pur et simple de l'article du projet ministériel relatif à cette question. Il semblait résulter de là que le gouvernement resterait maître d'appliquer arbitrairement le principe de la laïcité par de simples règlements administratifs. Le projet, singulièrement altéré par ce vote équivoque, fut enfin adopté par la Chambre des députés. Qu'allait maintenant faire le Sénat ?

Au Luxembourg, l'opposition fut encore bien plus vive qu'au Palais-Bourbon.

Dans la première délibération (3-14 juin 1881), après des considérations générales sur la liberté du père de famille, sur la portée de l'article 203 du Code civil, sur l'influence et l'intolérance de l'Eglise, etc.[17], le duc de Broglie demanda formellement, par un amendement à l'article 1er, la substitution de l'instruction morale et religieuse à l'instruction morale et civique. Il fit à son auditoire un épouvantail de la morale sans dogmes et de l'instruction civique telle qu'elle était conçue et qu'elle serait pratiquée par l'Université. C'était, selon lui, non seulement la République obligatoire, mais l'athéisme obligatoire, et il s'élevait avec indignation contre une pareille violence faite à l'âme des enfants ; à quoi Jules Ferry répondit en remontrant que la morale qui serait enseignée dans les écoles n'ébranlerait aucun principe métaphysique ou religieux ; que ce serait une morale toute pratique, sans prétentions et sans dangers. Il crut devoir ajouter, peut-être avec trop d'insistance, que l'Université s'était toujours montrée, se montrerait toujours profondément respectueuse de la religion. Mais il y avait à distinguer, disait-il, entre le catholicisme religieux, qu'elle n'attaquerait pas, et le catholicisme politique, qui était un danger public. Il montra par la lecture du programme d'instruction morale et civique des écoles normales combien l'enseignement suspecté par l'opposition était d'une part inoffensif, de l'autre nécessaire dans notre démocratie. Quant à l'enseignement religieux, il protestait avec énergie qu'il n'entendait pas le supprimer, qu'il entendait seulement le rendre à ceux-là seuls auxquels il devait incomber, c'est-à-dire aux prêtres. Il réfutait de nouveau, non sans indignation, l'argument de la majorité catholique. ... La liberté de conscience, disait-il, ne fût-elle violée que chez un seul citoyen, un législateur français se fera toujours honneur de légiférer, ne fût-ce que pour ce cas unique... Il répétait que le dogme, dans la communion catholique, n'étant pas discutable, le maintien d'un enseignement religieux dans une école entraînerait forcément la subordination des maîtres aux autorités ecclésiastiques. ... Cette subordination de l'école à l'Église, ajoutait-il, qui est nécessaire, inévitable, qui est la conséquence même de la nature propre du catholicisme, est contraire à l'ensemble de nos institutions. Nos institutions sont fondées sur un principe contraire, celui de la sécularisation de l'État. C'était à compléter cette sécularisation que la République travaillait avec raison depuis qu'elle était maîtresse de ses destinées. Du reste, quoi qu'en dît l'opposition, la neutralité promise par l'Etat serait aussi réelle dans l'enseignement primaire qu'elle l'était, au su de tous, dans l'enseignement secondaire. Enfin il n'était pas admissible que l'enseignement de la morale fût forcément lié à celui d'une religion. ... S'il n'y a pas de morale en dehors des dogmes positifs... il n'y a pas de constitution sociale véritable et durable en dehors d'une religion d'Etat... Oui, la société laïque peut donner un enseignement moral ; oui, les instituteurs peuvent enseigner la morale sans se livrer aux recherches métaphysiques... C'était la paix, non la guerre que le gouvernement voulait entre l'Eglise et l'Etat. ... Nous pratiquerons de notre mieux, disait le ministre, cette politique dans nos rapports avec l'Eglise ; nous avons heureusement avec elle un contrat ancien, respecté, clair, qui fixe les limites des deux pouvoirs. Nous vous conjurons de faire, dans le même intérêt, dans un grand intérêt d'apaisement, la séparation dans l'école...

L'amendement de Broglie fut rejeté. Mais tous les efforts de Jules Ferry ne purent empêcher le Sénat d'en adopter deux autres qui portaient d'assez graves atteintes au projet de loi. L'un, présenté par Lucien Brun, autorisait les ministres des cultes à donner l'enseignement religieux, en dehors des heures de classe, mais dans les locaux scolaires, et même à se faire suppléer par des délégués — qui en fait ne pouvaient guère être que les instituteurs —. L'autre, celui de Pâris, remplaçait les examens annuels imposés par le projet aux enfants élevés dans leurs familles — et l'inscription d'office des délinquants dans une école — par une simple citation devant le juge de paix ; encore cette citation ne s'appliquait-elle qu'aux enfants ne recevant aucune instruction scolaire, et le vague voulu d'une pareille formule permettait toujours de chicaner. Du reste le juge de paix serait constitué seul examinateur de l'enfant et la peine infligée aux parents ne pourrait pas dépasser 15 francs d'amende.

C'est à la suite de ce double échec que Ferry eut à soutenir de nouveau son projet devant le Sénat en deuxième délibération (1er-12 juillet 1881). Cette fois, le principe de la laïcité de l'enseignement fut combattu par la droite avec plus d'acharnement encore que la première. Plusieurs amendements tendant au rétablissement de l'enseignement religieux furent successivement soutenus parles porte-paroles du parti clérical[18]. Jules Ferry eut à démontrer encore l'innocuité et la nécessité de l'instruction civique dans une démocratie. Quant à la morale, que l'on voulait religieuse, il soutint, très éloquemment ! qu'elle n'avait pas besoin d'épithète, parce qu'il n'y avait qu'une morale, aux règles immuables de laquelle aboutissaient toutes les religions, comme toutes les philosophies ; que du reste il ne s'agissait pas d'un cours de morale métaphysique, mais d'un cours de morale élémentaire et pratique sur la nature et la portée duquel les instituteurs ne pouvaient se tromper. Il protesta de nouveau, très énergiquement, contre les mots école sans Dieu et crut devoir affirmer que l'immense majorité du corps enseignant appartenait aux doctrines spiritualistes — ce qui était vrai, mais ce qu'il avait tort de paraître ériger en règle et en devoir, la liberté philosophique étant de droit absolu pour tous dans notre France républicaine —. Il prouva du reste que l'adjonction de l'épithète religieuse au mot de morale ne serait nullement une garantie pour les catholiques, attendu que toutes les philosophies avaient également la prétention d'être des religions Il représenta ce qu'il y avait de vague et de dangereux da cette expression de morale religieuse, qui, introduite dans la loi sur la presse de 1819, n'avait pu être et n'avait été qu'u instrument d'intolérance et de persécution ; que, par la force des choses, elle ne pourrait être interprétée que dans le sens de morale se rattachant à une religion déterminée, et en fait au catholicisme. Donc, point d'épithète du tout ; c'était le seul moyen de garantir la laïcité de l'enseignement, admis en principe par le Sénat.

Jules Ferry aurait sans doute eu gain de cause si, après cette belle argumentation, il n'eût eu à combattre celle de Jules Simon, qui, jugeant à propos de venir en aide à la droite, proposa à son tour un amendement en vertu duquel les maîtres devraient enseigner aux élèves leurs devoirs envers Dieu et la patrie. Le vieux philosophe spiritualiste soutint du reste cet amendement avec cette éloquence insinuante et sentimentale qui rendait parfois sa parole si pénétrante et si redoutable. Le président du conseil remontra que la formule devoirs envers Dieu était encore plus équivoque et dangereuse que la formule morale religieuse. Le sens philosophique et élevé du mot Dieu, tel que l'entendait Jules Simon, ne pouvait, disait-il, être saisi dans une école primaire, où, en fait, il ne serait jamais question que d'un Dieu déterminé, par suite que d'un culte, que d'une religion positive. Or, de quel Dieu s'agirait-il ? de quelle religion ? serait-il question du Dieu de Spinoza ou du Dieu des chrétiens ? Les devoirs qu'on enseignerait seraient-ils les mêmes dans l'un et dans l'autre cas ? Fallait-il transformer l'instituteur en une espèce de Vicaire savoyard qui enseignerait le déisme pur et serait par conséquent en opposition avec le prêtre catholique chargé pour sa part d'enseigner sa religion ? Fallait-il de gaîté de cœur provoquer de pareils conflits ? La prière, considérée comme devoir envers Dieu, était-elle entendue de même par les philosophes déistes comme Jules Simon et par les prêtres catholiques ? ... Voilà, remontrait Ferry, le disciple de M. Jules Simon qui dira à ses élèves : on prie Dieu non pas pour obtenir quelque chose, mais pour s'élever dans la contemplation de sa grandeur. Et à côté, le ministre du culte ... dira : Priez pour que votre père guérisse ; priez pour que Dieu vous donne la sagesse ; priez, allez prier en troupes sonores et parées pour obtenir que Dieu fasse tomber la pluie sur vos moissons. Allez prier à Lourdes, pour voir comment Dieu, par un miracle, peut délier les efforts de l'impiété !... Ainsi le déisme s'opposerait au catholicisme. Ce serait l'anarchie dans l'école. Que voulait-on donc par l'amendement en discussion ? Prouver que la République n'était ni persécutrice ni antireligieuse. Mais ses adversaires ne désarmeraient pas pour cela et ne cesseraient pas de l'accuser d'impiété. Puis n'y avait-il pas quelque ridicule ou quelque folie à 'faire ainsi décréter Dieu par des législateurs. Il ne s'agit pas ici, disait Ferry, de voter pour ou contre Dieu. On ne vote pas Dieu dans une assemblée. Car si on pouvait lui donner de la force en le votant, cela supposerait qu'on pût le diminuer ou l'abolir en ne le votant pas. Les Assemblées ne sont pas faites pour promulguer des Credo théologiques... Ce n'est pas là votre rôle. J'oppose donc à cette prétention une fin de non-recevoir absolue...

Tout ce que disait là le président du conseil était la raison même. Mais le Sénat, subjugué par l'éloquence attendrie de Jules Simon, n'en vota pas moins la proposition qu'il condamnait. Il est vrai qu'à la suite de nouveaux débats il atténua quelque peu les deux amendements Lucien Brun et Pâris précédemment adoptés par lui. Hais la loi, telle qu'il la vota le 12 juillet, n'en différait pas moins, sur plusieurs points essentiels, du projet adopté en décembre par la Chambre des députés.

On comprend donc la mauvaise humeur que montra cette dernière Assemblée quand la loi lui revint sous sa forme nouvelle. Dans un rapport supplémentaire, déposé le 23 juillet, Paul Bert déclara qu'aucun des amendements qu'y avait introduits la haute Assemblée ne devait être admis et que la Chambre pouvait en appeler avec confiance aux prochains comices électoraux. Et l'Assemblée, non contente de rétablir le texte précédemment adopté par elle, l'aggravait encore en refusant au prêtre tout accès dans l'école, même pour l'enseignement religieux (23 juillet 1881).

 

VI

On voit par cette attitude et par ce vote qu'à la veille de se dissoudre la Chambre de 1877 voulait se montrer fidèle au mandat anticlérical que les électeurs lui avaient conféré pour réagir contre la politique du 16 mai.

C'est dans le même état d'esprit que la Chambre avait voté récemment les deux grandes lois organiques destinées à garantir en France le droit de réunion d'une part et la liberté de la presse de l'autre[19]. Par la première elle rayait du code l'interdiction édictée en 1868 de traiter de matières religieuses sans autorisation spéciale dans les réunions publiques. Par la seconde, elle supprimait deux délits prévus par les lois du 17 mai 1822 et du 25 mars 1825 et qui consistaient : l'un à outrager la morale religieuse, l'autre à outrager ou tourner en dérision la religion de l'Etat.

Ce n'est pas à dire pour cela que la majorité de cette Assemblée allât jusqu'à souhaiter, en ce qui touchait aux rapports de l'Eglise et de l'Etat, les solutions radicales préconisées avec persistance par certains de ses membres — Clemenceau, Madier de Montjau, etc. —. La doctrine séparatiste, notamment, n'était encore professée que par l'extrême gauche, c'est-à-dire par un groupe de députés relativement peu nombreux, mais remuants et dont l'influence semblait devoir s'accroître en raison des déceptions que la politique un peu timide du gouvernement avait fait éprouver à la France républicaine depuis la retraite de Mac-Mahon.

Les élections générales du 21 août 1881 furent pour la cause républicaine le plus éclatant triomphe qu'elle eût remporté depuis 1870. Les partisans du régime établi y obtinrent plus de cinq millions de voix ; les monarchistes n'en recueillirent pas dix-huit cent mille. Les républicains de toute nuance furent élus au nombre de 457 et les réactionnaires de toute couleur ne conservèrent guère qu'une centaine de sièges. La nouvelle majorité, réserve faite d'une soixantaine de radicaux et d'environ quarante républicains modérés représentant l'ancien centre gauche, se partageait en deux masses à peu près équivalentes et se distinguant moins par l'opposition de leurs principes politiques, qui étaient à peu près les mêmes, que par la sourde rivalité de leurs chefs, qui étaient, pour l'un Gambetta, pour l'autre Jules Ferry. Comme la précédente, elle était, dans l'ensemble, peu portée aux résolutions extrêmes. Cependant le relevé des Cahiers électoraux de 1881, qui fut fait quelque temps après[20], permit de constater que, dans cette dernière campagne, l'idée de la séparation des Eglises et de l'Etat, sans avoir positivement prévalu, avait fait en France d'assez sensibles progrès. 227 des candidats élus s'étaient en effet prononcés pour cette réforme, un assez grand nombre, il est vrai, en la subordonnant à certaines conditions ; 143 s'étaient déclarés prêts à accepter la dénonciation immédiate du Concordat. On était déjà loin des minorités presque infinies qui l'avaient demandée soit à l'Assemblée nationale, soit à la Chambre des députés en 1876 et dans les années suivantes.

Mais les hommes d'Etat qui étaient alors à la tête des affaires nu qui pouvaient y être appelés à bref délai se montraient de moins en moins portés à des mesures aussi radicales. Gambetta et ses amis, sans renoncer en principe et d'une façon absolue à la séparation, la renvoyaient à un avenir indéterminé, fort éloigné en tout cas, et la subordonnaient à de telles conditions qu'aux yeux de l'extrême gauche ils paraissaient la remettre aux calendes grecques. Quant à Ferry, avec sa résolution ordinaire, il avait pris son parti et se déclarait nettement opposé. à la séparation. Tout récemment encore, il avait, à plusieurs reprises, exprimé son désir de voir maintenir le Concordat, dans lequel il voyait maintenant la garantie la plus précieuse des droits de l'Etat[21]. Et l'on avait pu remarquer dans les dernières discussions parlementaires de quels ménagements de paroles il usait envers le clergé catholique, même en le combattant.

Ces ménagements, ainsi que ceux de Gambetta et de la plupart des opportunistes d'alors pour le corps ecclésiastique, s'expliquent, aux yeux de l'historien, non seulement par l'opinion où ils se complaisaient que le Concordat était véritablement un frein pour l'Eglise et qu'il n'était pas impossible de reconstituer en France un clergé national, mais aussi et surtout par la politique coloniale qui était alors une de leurs grandes préoccupations et dans laquelle ils pensaient que l'alliance de l'Eglise pouvait être à l'Etat d'un puissant secours. C'était le temps où s'exécutait l'entreprise de la Tunisie, ou d'autres, comme celles de Madagascar, du Tonkin, étaient en préparation. A tort ou à raison, des hommes comme Jules Ferry et Gambetta, qui connaissaient mal en somme, ces pays lointains et les meilleurs moyens d'y faire prédominer. l'influence française, attribuaient une extraordinaire importance au concours que les missions catholiques pouvaient y prêter à leur politique. Au lieu de se représenter le tort que ces missions, généralement fort impopulaires dans lesdites régions par l'effet de leurs intrigues ou de leur indiscrète propagande, pouvaient faire au drapeau français, ils ne voulaient voir en elles que les auxiliaires les plus capables de le faire accepter et de le faire aimer.

Ces dispositions d'esprit étaient cultivées chez eux avec le plus grand succès par certains membres du haut clergé, qui s'entendaient merveilleusement à enguirlander et à séduire des hommes comme Jules Ferry et surtout comme Gambetta. Ce dernier en particulier ne savait pas assez résister à des flatteries parties d'un peu haut ; il était relativement facile de le gagner en lui parlant de l'intérêt supérieur de la patrie, en lui représentant qu'un véritable homme d'Etat devait pour le bien servir s'élever au-dessus des préoccupations mesquines des partis et qu'il était, lui, bien entendu, un véritable homme d'Etat. La poli tique coloniale et la politique d'expansion, si chères aux opportunistes de la troisième République, fournirent ainsi à l'Eglise le moyen de neutraliser dans une certaine mesure l'hostilité d'un gouvernement dont les représailles, après la défaite de l'Ordre moral, eussent pu aller jusqu'à la suppression des ordres monastiques et à la rupture du Concordat. On verra dans la suite de cet ouvrage avec quel art consommé le madré Léon XIII sut l'exploiter au profit du Saint-Siège. En attendant, c'était surtout par l'entreprenant et peu scrupuleux Lavigerie, archevêque d'Alger, que l'Eglise s'efforçait d'amadouer la République et de réduire au minimum les rigueurs qu'elle redoutait d'elle.

Ce prélat qui, peu d'années auparavant, avait invité si nettement le comte de Chambord à venir culbuter la République d'un coup de force, n'avait plus pour elle, maintenant qu'il la voyait bien assise, que procédés engageants et amicaux. Il ne la flattait pas moins qu'il ne flattait le nouveau pape — dont nul mieux que lui ne pouvait comprendre et seconder la politique souple et captieuse — ; car il espérait tirer d'elle non seulement de l'argent et de l'appui pour ses œuvres de propagande, mais une aide efficace pour l'obtention de ce chapeau de cardinal qui était depuis longtemps l'objet de son ambition. Chaque année on le voyait à Rome et à Paris, où il passait de longues semaines, sollicitant de nouvelles faveurs, de nouveaux secours, et il ne partait jamais les mains vides. Non content de l'extension que, grâce à la bienveillance du Saint-Siège et du gouvernement français, il avait pu donner aux missions des Pères blancs dans l'Afrique équatoriale, il avait entrepris de fonder en Palestine, indépendamment du patriarcat latin de Jérusalem, qu'il espérait supplanter ou annihiler, un centre apostolique où il essayait d'attirer les chrétiens des rites orientaux et dès 1880 il avait pour cette œuvre obtenu du ministère Ferry une subvention qui lui fut renouvelée l'année suivante[22]. Mais c'est surtout en Tunisie, où, par des établissements sans cesse accrus, il préparait la restauration en sa faveur de l'archevêché de Carthage, qu'il s'efforçait de gagner les bonnes grâces du gouvernement français. Passé maître dans l'art de la mouche du coche, il était parvenu à se faire regarder par Jules Ferry comme l'auxiliaire le plus précieux de sa politique dans ce pays[23]. Fort peu après le traité du Bardo (mai 1881), il s'était rendu à Tunis et, promptement, avait tiré du protectorat tout le parti que l'Eglise pouvait en espérer. Un peu plus tard, on le vit à Rome, où un accroissement d'autorité considérable lui fut accordé par le Souverain Pontife. En août, il était en France, où il s'efforçait, au moyen d'une quête nationale encouragée par le gouvernement, de se faire donner par les fidèles les cinq millions de francs qu'il disait lui être nécessaires pour ses créations de Carthage[24]. Il allait voir Gambetta — comme il était allé précédemment trouver Freycinet et Jules Ferry —. C'est alors, paraît-il, que l'ancien dictateur, sur le point d'être appelé au ministère, lui promit obligeamment son appui, en ajoutant que l'anticléricalisme n'était pas un article d'exportation. On a depuis bien souvent répété ce mot, sans réfléchir que le cléricalisme non plus ne doit pas être un article d'exportation et que la République française n'a rien à gagner à lé protéger au dehors quand elle a tant d'intérêt à s'en débarrasser au dedans. Quoi qu'il en soit, Gambetta, devenu peu après président du conseil, tint ses engagements envers l'archevêque d'Alger et ne contribua pas peu, par son insistance auprès du Saint-Siège, à lui faire conférer le chapeau qu'il ambitionnait. Lavigerie, ne pouvant devenir cardinal par la grâce de Henri V, le devenait, au commencement de 1882, par la grâce de la République[25].

 

VII

Les ménagements relatifs dont les chefs de la République opportuniste usaient envers le clergé aigrissaient de plus en plus le parti radical, qui ne se bornait plus à les suspecter et à les larder d'épigrammes, mais qui ne leur épargnait pas maintenant les attaques violentes et les plus injurieuses accusations. Enhardi par les revenants de la Commune qui, rappelés en 1880, étaient rentrés presque tous impénitents et ne comprenaient rien aux demi-mesures dont la République victorieuse usait envers l'Eglise, ce parti traitait ouvertement Jules Ferry comme un traître et ne lui pardonnait pas d'être devenu partisan du Concordat. Une des raisons principales qui l'incitaient à dénigrer et combattre sa politique coloniale était certainement l'espèce de complaisance que cette politique l'avait amené à témoigner au clergé. Gambetta lui-même, quoique moins compromis, ne trouvait pas grâce devant les radicaux, qui lui reprochaient non seulement de ne vouloir pas la révision illimitée de la constitution, mais de retarder indéfiniment cette séparation de l'Eglise et de l'Etat qui avait jadis figuré avec tant d'éclat sur son programme de Belleville. Lors des élections d'août 1881, ils le huaient outrageusement à Charonne et l'empêchaient de parler. Une seule des deux circonscriptions du XXe arrondissement de Paris le réélisait député. Par contre, le leader de l'extrême gauche, Clemenceau, dont le programme électoral ne différait guère, en matière religieuse, de celui qu'avait accepté Gambetta en 1869, voyait sa popularité et son influence notablement accrue à Paris et dans plusieurs autres grandes villes.

Le patriote inspiré qui avait 'tant fait pour l'honneur de la France en 1870, l'orateur puissant qui avait tant fait pour la République au temps du 16 mai, ne méritait certainement — non plus que Jules Ferry — ni les injures ni les soupçons dont il était alors l'objet de la part des intransigeants de l'extrême gauche. Il était resté profondément anticlérical. Mais la conviction où il était maintenant que les liens du Concordat ne pouvaient être brusquement rompus sans inconvénient et le besoin qu'à son sens la République avait du concours de l'Eglise dans ses entreprises extérieures ne lui laissaient pas une entière liberté d'action vis-à-vis du clergé. Aussi se trouvait-il en arrivant au pouvoir dans une situation assez fausse tant à l'égard du clergé qu'à l'égard du parti radical et devait-il, ainsi que Ferry, ne réussir qu'à irriter ce dernier, sans contenter l'Eglise, par une politique qui n'était aux yeux des uns que faiblesse et impuissance, tandis qu'aux yeux des autres elle n'était que violence et persécution.

Nous n'avons pas à retracer ici l'histoire de ce ministère Gambetta, depuis si longtemps attendu et qui, pour n'être pas venu en temps opportun, ne fut pas accueilli comme il aurait dû l'être et ne dura que quelques semaines (du 14 novembre 1881 au 26 janvier 1882). Elle ne se rattache en effet à peu près par rien à l'histoire spéciale que nous retraçons ici des rapports de l'Eglise et de l'Etat sous la troisième République. A cet égard le nouveau cabinet n'eut pas le temps d'agir ; il ne put faire connaître ses vues que par une vague déclaration, lue aux Chambres le 16 novembre, et par l'élaboration de quelques projets de loi qui, pour la plupart, ne virent le jour qu'après sa retraite.

Cette retraite fut amenée par le désaccord qui se produisit, à peu près dès le premier jour, entre le ministère et la majorité de la Chambre des députés. Cette majorité, traitée avec un certain dédain par Gambetta qui, au lendemain des élections générales, demandait à cette Assemblée, élue au scrutin uninominal, d'abdiquer moralement en rétablissant le scrutin de liste ; cette majorité qui ne pouvait lui pardonner d'avoir, pour former un cabinet tout à fait homogène, pris exclusivement ses collaborateurs parmi ses amis personnels au lieu de s'être attaché comme tels les chefs autorisés des différents groupes républicains[26] ; cette majorité qui, travaillée manifestement par les amis de Freycinet, comme par ceux de Jules Ferry, l'était aussi sourdement et indirectement par le président Grévy, désireux d'échapper le plus tût possible à la tutelle de Gambetta, après l'avoir si longtemps écarté du pouvoir ; cette majorité le renversa bientôt sans hésitation, au risque d'ébranler la République, et ne permit pas à cet homme d'Etat, que longtemps on avait cru seul capable de diriger la France nouvelle, de donner la mesure de ses aptitudes gouvernementales.

En prenant le pouvoir, il avait déclaré aux Chambres qu'il poursuivrait avec persévérance l'œuvre de l'éducation nationale si bien commencée par ses devanciers et promis d'assurer par la stricte application du régime concordataire le respect des pouvoirs établis dans les rapports des Eglises avec l'Etat. Depuis il n'avait pu donner suite à ces engagements qu'en manifestant le désir de faire voter la loi sur l'obligation et la gratuité de l'enseignement primaire, restée en suspens sous le ministère Ferry, et en faisant présenter par Paul Bert — devenu ministre de l'Instruction publique et des Cultes — un projet de loi imposant aux maîtres de l'enseignement secondaire privé l'obligation de justifier de grades universitaires que la loi Falloux n'exigeait pas d'eux (9 décembre 1881)[27].

Mais on put juger, fort peu de jours après sa retraite, de tout ce que lui et ses collaborateurs se proposaient de faire à l'égard du clergé par diverses propositions de loi qu'ils se hâtèrent d'apporter à la Chambre et dont l'ensemble constituait comme le testament politique du grand ministère.

Sans parler de celle qu'avait élaborée Martin-Feuillée sur la réforme de l'organisation judiciaire (2 février 1882), réforme d'où semblait devoir résulter enfin la formation d'une magistrature vraiment républicaine et capable d'appliquer la loi même au clergé[28], nous devons signaler ici particulièrement ceux qu'avait préparés Paul Bert et où les rapports de l'Eglise et de l'Etat étaient spécialement visés.

Le premier (7 février 1882) avait pour objet la suppression des Facultés de théologie catholique, que son auteur proposait de remplacer par un certain nombre de chaires nouvelles qui seraient créées dans les Facultés des lettres ou de droit pour l'enseignement de l'histoire religieuse, du droit hébraïque, du droit ecclésiastique, etc. Il n'était que trop manifeste que ces Facultés[29], mises depuis longtemps pour ainsi dire à l'index par l'autorité pontificale, qui, systématiquement, ne tenait aucun compte des grades conférés par elle[30], ne servaient absolument à rien et que l'Etat en les maintenant se maintenait lui-même en fort ridicule posture devant l'Eglise.

La seconde proposition de Paul Bert[31], était relative à l'organisation de l'enseignement primaire. C'était une codification générale des lois relatives à cette matière, basée sur le triple principe de la gratuité, de l'obligation, de la laïcité — non seulement de l'enseignement, mais du personnel — et qui reproduisait, dans l'ensemble, le projet présenté jadis par le même auteur au nom de la commission chargée d'examiner la proposition Barodet. Nous aurons à revenir plus loin sur ce grand travail, d'où devait plus tard sortir la loi organique du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire.

Quant à la troisième[32], nous devons nous y arrêter ici un peu plus longuement, parce qu'elle donne une idée exacte des conclusions singulières auxquelles Paul Bert et avec lui Gambetta[33] étaient arrivés à cette époque en ce qui concernait les rapports de l'Eglise et de l'Etat.

Remarquons d'abord qu'il n'y était aucunement question de séparation. Ce mot même ne tenait aucune place dans le document. C'est du Concordat seul que l'auteur entendait se réclamer. C'était le Concordat qu'il prétendait faire exécuter — avec les articles organiques, bien entendu —, mais faire exécuter à la lettre, à toute rigueur et au grand avantage de l'Etat.

Partant de ce texte, éminemment concordataire, que la religion catholique ne peut s'exercer librement en France qu'en se conformant aux règlements de police que le gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique[34], Paul Bert établit que l'Eglise n'a pas le droit de se dérober aux articles organiques, qui sont justement le règlement essentiel de police jugé nécessaire par le gouvernement et auquel d'avance, implicitement, elle a promis de se conformer. Du reste, en matière de police des cultes, l'Etat n'a pas besoin de faire reconnaître son droit de réglementation. Ce droit ne résulte pas d'un traité. Il existe par lui-même, parce que l'Etat est souverain maître chez lui et responsable de la tranquillité publique. L'ancien régime à cet égard pensait et agissait absolument comme la République.

Paul Bert s'étonne ensuite que nos règlements et particulièrement les articles organiques n'aient pas en fait d'autre sanction que le recours pour abus au Conseil d'Etat, moyen de répression impuissant et ridicule dont Napoléon lui-même n'a jamais voulu se servir qu'une fois. Si l'empereur n'a pas mis autre chose dans la loi c'est parce qu'il passait volontiers par-dessus la loi, emprisonnant au besoin sans jugement prêtres et évêques ; c'est enfin parce qu'il avait affaire à un clergé pauvre, reconnaissant, servile même au début et qu'il ne redoutait pas. Mais aujourd'hui la situation de l'Etat vis-à-vis de l'Eglise n'est plus la même. Le clergé est nombreux, riche, étroitement rattaché au pape, soutenu par de puissantes congrégations et, dans son ensemble, hostile au gouvernement. De nombreux privilèges, de nombreuses faveurs lui ont été accordés depuis le Concordat ; ce qui ne lui a pas été accordé, il l'a pris et on le lui a laissé prendre ; il est devenu un parti politique ; il n'a pas cessé de combattre la République depuis 1870 ; comment oublier la part qu'il a prise à l'entreprise du 16 Mai ? Bref, une pareille attitude ne peut être tolérée plus longtemps. Contre les congrégations, on a eu les décrets du 29 mars, on aura le projet de loi proposé par Waldeck-Rousseau sur les associations. Paul Bert, lui, ne veut s'attacher qu'au clergé séculier, au clergé concordataire. Sa proposition aura pour double but : 1° d'établir un système de pénalités qui le ramène à l'observation des conditions de son établissement ; 2° de le faire rentrer dans les conditions qui ont été reconnues comme suffisantes pour sa liberté par son chef infaillible, c'est-à-dire de lui retirer autant que possible les avantages qu'il a acquis depuis le Concordat par la faiblesse du gouvernement.

La proposition porte donc, tout d'abord en ce qui concerne les ministres du culte, que le recours pour abus n'aura pas lieu contre les simples desservants, qui, n'ayant pas été institués par le Concordat, n'ont aucun droit et peuvent être privés de leurs traitements par simple mesure administrative ; que, du reste, en cas de crime, délit ou contravention, le recours devra être remplacé par des poursuites devant les tribunaux de droit commun ; que les prêtres frappés par le Conseil d'Etat pourront, eux aussi, être privés de leur traitement par mesure disciplinaire ; enfin qu'indépendamment des peines déjà prescrites par le Code pénal, des amendes considérables seront infligées aux membres du clergé qui auront attaqué le gouvernement, correspondu sans autorisation avec un gouvernement étranger, publié indûment des bulles du pape, décrets des synodes ou conciles, quitté sans permission leur résidence, attaqué les particuliers ou les autres cultes, mis leur autorité au service de la politique, enfin contrevenu aux devoirs prescrits par les articles organiques.

Pour les établissements ecclésiastiques, leur capacité civile sera strictement limitée à leurs attributions spéciales[35]. Les bourses de l'Etat dans les séminaires seront supprimées ; les écoles secondaires ecclésiastiques — ou petits séminaires — seront réduites à une par département[36]. Le traitement des chanoines — non concordataire — sera supprimé par voie d'extinction. Les cures et succursales vacantes depuis deux ans — et qui donnaient lieu au binage et autres abus — seront également supprimées.

En ce qui touche aux immeubles affectés au culte, Paul Bert demande la fermeture de tout lieu de culte non légalement autorisé, — l'abrogation de toute disposition ayant mis des immeubles de l'Etat, des départements ou des communes à la disposition du culte ou d'établissements religieux en dehors des prescriptions du Concordat ou des articles organiques, l'abrogation de l'ordonnance du 3 mars 1825, la possibilité d'aliéner les parties superflues des presbytères, la faculté pour les communes de fournir, dans certains cas, le logement aux prêtres en nature ou en argent, l'attribution à l'autorité administrative des difficultés relatives à l'affectation des propriétés communales.

Pour ce qui touche aux fabriques, aux pompes funèbres, il veut que les conseils de fabrique soient révocables, que les communes ne soient tenues à contribuer qu'à l'indemnité de logement des curés ou desservants et à l'entretien, réparation ou restauration de l'église et du presbytère ; que les pompes funèbres ne soient plus monopolisées par les fabriques, etc.

Enfin relativement à la question si importante des dons et legs, il propose d'abroger la loi du 2 janvier 1817, de façon que les fondations pieuses ne puissent plus consister en immeubles. Des règles sévères seront établies pour l'acceptation desdits dons et legs et des peines très graves seront portées contre les notaires qui auront passé des actes au nom d'un établissement religieux sans autorisation[37].

On voit par cet ensemble de dispositions que Paul Bert croyait pouvoir, sans déchirer le Concordat, et en l'appliquant plutôt à la lettre, assurer la prépondérance de l'Etat sur l'Eglise. C'était, croyons-nous, une grande illusion de sa part, comme de celle de Gambetta. Il n'eût sans doute réussi par une pareille législation qu'à exaspérer le clergé, à multiplier les causes de conflit entre l'Eglise et l'Etat et à rendre ces conflits interminables.

La proposition de loi préparée par son collègue Waldeck-Rousseau relativement au contrat d'association et qui fut déposée peu de jours après les siennes (11 février 1882) avait principalement pour but d'arrêter la marée montante des congrégations et d'armer sérieusement l'Etat contre le clergé régulier. Après avoir défini ce contrat et montré en quoi il diffère du contrat de société, l'auteur demandait que les biens communs des associations fussent soumis aux règles du Code civil ou du Code de commerce en matière de sociétés. Il ajoutait que toute convention ayant pour but ou pour résultat, soit au moyen de vœux, soit par un engagement quelconque, d'emporter renonciation totale ou partielle au libre exercice des droits attachés à la personne ou de subordonner cet exercice à l'autorité d'une tierce personne était illicite comme contraire à l'ordre public. Suivaient des dispositions relatives à la répression pénale des associations illicites. Les sociétés civiles formées entre les membres d'une association illicite étaient de plus déclarées nulles, ce qui entraînait la reprise des biens par les ayants-droit et dans certains cas par l'Etat lui-même. Enfin la proposition portait que la personnalité civile ne pouvait être conférée à une association que par une loi et elle déclarait illicite toute association qui n'aurait pas été rendue publique par les moyens indiqués dans la loi.

En ajoutant à toutes ces dispositions celle par laquelle Gambetta lui-même, clans une proposition qu'il déposa peu après sur le recrutement de l'armée, demandait que les séminaristes fussent astreints au service militaire au moins pendant une année, on pourra se rendre compte de ce qu'eût été la politique religieuse du grand ministère si le temps ne lui eût fait défaut pour l'exécution de ses plans. Cette politique, à certains égards plus hardie et, plus agressive contre le clergé que celle de Jules Ferry, n'eût pas apaisé le clergé, loin de là et n'eût point, en revanche, donné satisfaction suffisante au parti radical.

 

VIII

La chute de Gambetta et l'avènement du second ministère Ferry (30 janvier 1882) n'interrompirent pas la campagne de législation scolaire depuis longtemps annoncée et que prenait si fort à cœur le parti républicain tout entier.

C'est en effet au lendemain de ces événements que fut reprise et menée à bien l'affaire de l'enseignement obligatoire et laïque, arrêté l'année précédente, comme on l'a vu, par l'opposition du Sénat.

Le renouvellement partial de cette Assemblée, qui venait d'avoir lieu le 8 janvier 1882, y avait assez sensiblement fortifié la majorité républicaine, si bien que maintenant il n'était plus à craindre que le principe de la laïcité, précédemment si contesté, fût encore une fois rejeté au Luxembourg. La droite et ses auxiliaires n'en persistèrent pas moins, quand le projet revint en discussion (11 mars), dans un système acharné d'opposition et d'obstruction qui prolongea inutilement les débats pendant près de deux semaines.

En 1882, comme en 1881, l'adversaire le plus redoutable de l'enseignement purement laïque fut Jules Simon, dont l'éloquence larmoyante sembla un moment sur le point de gagner sa cause.

Il me répugne à moi, vieux professeur, disait-il, de voir une loi d'enseignement, et surtout d'enseignement primaire, de laquelle le nom de Dieu a été retiré ; cela me choque, cela m'effraye ; cela, le dirai-je ? a attristé ma vie ; je ne me sens plus dans le monde et dans le pays où j'ai travaillé et combattu pendant tant d'années. Pendant la période active de ma vie, nous avions tous cette croyance en Dieu ; nous regardions comme notre premier devoir d'enseigner Dieu aux enfants, comme notre premier devoir de législateur d'écrire Dieu dans nos lois, comme notre premier devoir de républicains de venger la République de toutes les attaques qu'on lui fait quand on dit qu'elle est impie... Nous désirons le nom de Dieu dans la loi pour nous ; nous le désirons aussi pour les simples et les déshérités ; nous croyons que si on ne leur parlait que d'arithmétique, la société serait bien dure pour eux et qu'on leur doit quelque consolation et quelque poésie. Nous le demandons pour nos soldats, et nous croyons que quand on dit à un homme : Marche au-devant de la mitraille ! il est bon de lui dire que Dieu le voit ; que quand le soldat dit : En avant pour Dieu et pour la patrie ! il dit une chose dont personne n'a le droit de rire, que le sentiment qu'il porte dans son cœur, le sentiment qui fait le sacrifice, qui fait des héros est un grand sentiment et qu'on ne devrait jamais le rappeler au milieu des hommes sans exciter parmi eux une sympathie respectueuse...

C'étaient assurément là des paroles fort touchantes. Mais Jules Simon n'en soutenait pas moins un sophisme en ce qu'il représentait la laïcisation de l'enseignement comme une mesure contre la religion, laquelle, n'ayant pas de place légitime à l'école, restait maîtresse à l'église, où nul ne prétendait empêcher les enfants d'aller l'apprendre. C'est ce que Jules Ferry — redevenu ministre de l'Instruction publique dans le cabinet Freycinet —, lui répondit une fois de plus, ajoutant que, si l'on prétendait arrêter par un enseignement officiel les progrès de l'athéisme, on ne réussirait pas ; qu'on serait amené à l'emploi de la force ; ce que Jules Simon lui-même sans doute ne voulait pas. Il insista cette fois particulièrement sur la nécessité politique de voter enfin une loi d'affranchissement depuis longtemps voulue par le pays républicain et que ce pays ne pardonnerait pas au Sénat d'avoir fait échouer. ... Il ne vous est pas permis, déclara-t-il, de vous renfermer dans une conviction doctrinale, théologique ou philosophique, si haute, si noble, si respectable qu'elle soit, et de vous abstraire des conditions politiques dans lesquelles vous vous trouvez, de la situation même que le Sénat a créée en adoptant l'amendement que je combats aujourd'hui. Et quand vous avez vu surgir si vite dans ce corps électoral, consulté il y a quelques mois, un mouvement pour la révision de la constitution sénatoriale, vous avez dû vous dire... que c'est l'ajournement des lois sur l'enseignement qui est devenu la plate-forme électorale des adversaires du Sénat... Ceux qui aujourd'hui persisteraient à laisser entre les deux Chambres cet étendard de discorde, ceux-là seraient bien coupables envers la patrie, envers la République, envers la Constitution...

L'amendement Jules Simon fut cette fois rejeté par 167 voix contre 123. Mais la droite, ne se tenant pas encore pour battue, persista désespérément pendant douze jours à disputer le terrain, multipliant les amendements, les objections, les protestations, dénonçant avec fureur les Manuels d'instruction morale et civique qui allaient être enseignés dans les écoles publiques et qui, comme celui de Paul Bert — qui n'attaquait nullement la religion —, avaient à ses yeux le tort impardonnable de faire connaître l'ancien régime, tel qu'il avait été, de flétrir l'inquisition, l'intolérance et de préconiser la liberté de conscience. Les Carayon-Latour, les Ravignan, les Hervé de Saisy criaient avec violence que la loi ne serait pas exécutée, qu'ils n'y consentiraient pas, qu'on ne leur ferait pas saluer la toque de Gessler et il n'était pas jusqu'au duc de Broglie, d'ordinaire mains véhément, qui ne déclarât que lui et ses amis ne se conformeraient pas à la loi[38].

La loi n'en fut pas moins, finalement, adoptée dans son ensemble à la grosse majorité de 73 voix et promulguée le 28 mars. C'était là certainement la conquête la plus éclatante et la plus précieuse que la République eût encore faite sur le cléricalisme[39].

Le parti catholique, qui l'avait si longtemps et si ardemment combattue, l'accueillit, comme on pouvait s'y attendre, par une explosion de fureur et de menaces, dont toute la France retentit pendant plusieurs mois. Les évêques s'empressèrent de la condamner hautement par des lettres pastorales plus ou moins violentes, suivant le tempérament de chacun, mais qui toutes signalaient l'obligation et surtout la laïcité de l'enseignement primaire comme une atteinte intolérable à la religion[40]. Des brochures d'une extrême violence furent répandues à profusion dans le pays pour remontrer le caractère criminel et funeste de la loi nouvelle et pour les inviter à y désobéir. Dans l'une d'elles, intitulée : L'école athée ou l'abrutissement obligatoire, le programme scolaire de la République était ainsi résumé : ... Chasser Dieu de l'école, rayer son nom de nos codes et de nos lois, rendre l'enseignement athée, faire des libres-penseurs, des matérialistes, des impies, voler l'âme de nos enfants. Suivaient des déclamations furieuses contre les instituteurs laïques, contre le livre de Paul Bert, contre les libres penseurs, des histoires d'incrédules frappés des pires catastrophes, ou ramenés miraculeusement à la foi par le malheur, enfin le conseil de ne pas se soumettre à cette législation sacrilège. ... Donc, résistance à cette loi impie. Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. Ne laissons pas entamer notre foi, ne laissons pas porter la main sur nos enfants. Ils sont à nous, et on n'a pas le droit de nous les enlever...

Conformément à ce pieux conseil, une sorte de Sainte Ligue s'organisait dans le parti catholique pour rendre impossible l'exécution de la loi. Elle ne parlait de rien moins que de mettre les écoles de la République en interdit, surtout au moyen des refus de sacrements, d'en défendre l'entrée aux enfants du peuple, et de faire peser sur le personnel enseignant une surveillance de haute police, ayant la prétention de le terrifier. Mais à cette propagande inquisitoriale s'opposait avec succès l'action de plus en plus efficace de la Ligue de l'enseignement, qui, réorganisée récemment[41] (avril 1881), centralisée, devenue comme un organe national de la République, combattait partout la grève des écoliers et faisait comprendre aux populations non seulement la légitimité, mais la nécessité de la loi nouvelle. ... L'avenir de la République, lit-on dans un de ses manifestes d'alors, y est en jeu. II s'agit de savoir si nous sommes une nation souveraine disposant librement de ses destinées, sans permission venue du dehors ; si les arrêts de notre représentation nationale ont besoin d'être acceptés au Vatican et laquelle doit avoir chez nous le pas sur l'autre, de la loi française ou de la loi romaine... Qui tient l'école tient le monde, qui tient les écoles de France, tient la France... Faites comprendre qu'on n'a pas chassé Dieu de l'école en y faisant entrer la patrie ; qu'on n'a pas attenté aux prérogatives du prêtre en les lui restituant tout entières ; que ce n'est pas outrager les croyances religieuses du père de famille de mettre tout enfant fréquentant l'école publique à l'abri d'un outrage public à la croyance de son père...

D'aussi patriotiques 'conseils, du reste, n'étaient pas perdus pour la France républicaine. Les prêtres et les moines avaient beau crier : le bon sens populaire faisait à peu près partout justice des déclamations ou excitations cléricales contre la loi nouvelle. La laïcité, comme l'obligation, de l'enseignement entrait dès le premier jour sans effort dans les mœurs publiques et la sécularisation de l'école, contrairement à des vœux impies autant que factieux, ne devint pas le signal de la guerre civile.

 

IX

L'opposition déraisonnable autant qu'acharnée du clergé et de ses amis aux lois nouvelles sur l'enseignement et l'agitation qu'ils essayaient de créer dans le pays à cette occasion devaient avoir et eurent pour effet de raviver le zèle anticlérical de la Chambre des députés qui, dans sa session de 1882, manifesta, sinon par des actes définitifs, du moins par des votes retentissants, sa résolution de ne pas lâcher pied devant ce retour offensif de l'ennemi.

La question de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, qui n'avait jamais été jusque-là examinée que très superficiellement par les représentants du 'pays, le fut cette fois plus longuement et avec moins de dédain. Dès le 7 mars, le vieux radical Boysset, qui ne se lassait pas, depuis bien des années, de demander la dénonciation du. Concordat, vit sa proposition sinon adoptée, du moins prise en considération par un vote formel au Palais-Bourbon. Et le 15 mai suivant, la Chambre témoigna d'une façon non moins éclatante sa répulsion pour le cléricalisme en honorant d'un vote semblable le projet beaucoup plus important et plus étudié que Jules Roche lui avait soumis sur la sécularisation des biens ecclésiastiques et la séparation de l'Église et de l'État.

Ce député, jeune, hardi, remuant et qui était alors l'espoir du parti radical, s'était inspiré de l'exemple de certains pays, comme le Mexique, où le divorce entre l'Eglise catholique et l'Etat était maintenant un fait accompli[42]. La législation ancienne et moderne de la France et la législation étrangère en matière de congrégations et de biens de mainmorte lui avaient également fourni, des arguments précieux.

Dans la partie de sa proposition relative spécialement aux cultes, il demandait que les religions fussent libres et que l'Etat s'en désintéressât complètement ; que les immeubles jusque-là laissés en jouissance par lui, par les départements et les communes à l'Eglise fussent repris ; que les biens des fabriques et des séminaires fussent mis en liquidation ; que les départements et communes ne pussent plus, passé un délai de cinq ans, fournir au culte non plus qu'à ses ministres ni locaux ni subventions ; que l'Etat ni la commune ne prissent plus part à aucune cérémonie religieuse ; que, le dimanche restant d'ailleurs jour de repos pour les fonctionnaires, il n'y eût plus légalement de jours fériés que pour célébrer des événements civils ; que les instructions et pratiques religieuses fussent bannies de tous les établissements publics — sauf faculté pour les particuliers, en cas de besoin, de faire venir le prêtre pour l'administration des secours spirituels — ; enfin, que les réunions publiques ayant pour objet l'exercice public d'un culte fussent soumises au droit commun.

Dans la seconde partie, Jules Roche distinguait de l'association, licite quand chacun de ses membres conserve sa liberté, la congrégation, illicite à ses yeux parce qu'elle porte atteinte aux droits de l'homme — liberté personnelle, propriété, mariage —, que l'Etat, depuis 1789, s'est donné mission de préserver. Les congrégations, autorisées ou non, devaient donc, à son sens, être supprimées toutes, et leurs biens devaient être sécularisés. C'était là le seul remède sérieux à un mal dont les inefficaces expulsions de 1880 n'avaient pu guérir la France. L'auteur de la proposition montrait largement le progrès effrayant des ordres autorisés qui, en 1849, ne possédaient que 6.000 hectares de biens, évalués à43 millions de francs et qui, en 1880, possédaient 40.000 hectares représentant une somme de 712 millions. Ces ordres, qui recevaient seulement 88.000 francs de dons ou legs en 1825, en recevaient maintenant chaque année de 10 à 13 millions — il ne s'agissait, bien entendu, que des dons ou legs légalement constatés, les autres échappant à tout contrôle.

Ils payaient 347.000 francs de taxe de mainmorte — par privilège — et auraient dû payer 850.000 francs. Quant aux ordres non autorisés, il était évident qu'ils étaient riches aussi, mais il était impossible de fournir à cet égard des chiffres précis. En conséquence, Jules Roche demandait que les vœux et engagements contraires aux droits de l'homme ne fussent plus reconnus ; que la loi supprimât toute association où l'on vit en commun, dans un but religieux, sous certaines règles particulières, sous l'autorité d'un ou de plusieurs supérieurs et par moyen de promesses ou vœux temporaires ou perpétuels d'obéissance, de pauvreté et de célibat. Les biens des congrégations non autorisées seraient attribués à l'Etat — sauf reprise des apports personnels et allocation d'une année du revenu à titre de secours aux religieux —. Ceux des autres seraient mis en liquidation au profit des ayants-droit et au besoin de. l'Etat. Les tribunaux statueraient sur la sincérité des prétendues ventes ou hypothèques que les congrégations pourraient alléguer, et en attendant les biens seraient mis sous le séquestre. Aucune association n'obtiendrait la personnalité civile qu'en vertu d'une loi. Chacun de leurs membres conserverait tous ses droits. Les associations même reconnues ne pourraient acquérir et posséder en fait d'immeubles que ceux qui leur seraient strictement nécessaires, soit au maximum un hectare. Il n'y aurait que des établissements religieux particuliers, qui ne pourraient se syndiquer ou se fédérer en ordres monastiques ; enfin des peines pécuniaires très graves seraient appliquées aux notaires ou fonctionnaires publics qui se seraient prêtés aux fraudes nouvelles que l'État pourrait redouter et les contraventions à la loi seraient jugées par les cours d'assises.

Cette loi, beaucoup plus radicale, on le voit, que celle qui vient d'être votée de nos jours par les Chambres, devait, au dire de Jules Roche, procurer à l'État une économie de 50 millions, qu'il proposait d'appliquer au dégrèvement des petites cotes foncières de la propriété non bâtie. C'était, à son sens, un moyen de la rendre populaire dans les campagnes.

En attendant que des mesures aussi graves fussent jugées réalisables, la Chambre des députés semblait ne vouloir perdre aucune occasion de manifester par des votes moins compromettants ses tendances anticléricales. C'est ainsi que le 12 juin 1882, à la suite d'une discussion plus approfondie et plus passionnée que celle de l'année précédente, la Chambre, malgré l'opposition hautaine et théocratique de l'évêque Freppel, adoptait enfin pour sa part[43] la proposition Naquet relative au divorce. Le 20 du même mois, elle se prononçait pour la suppression du mot Dieu maintenu jusque-là dans la formule légale du serment judiciaire et pour la suppression des emblèmes religieux dans les tribunaux. Peu' de jours après (27 juin) elle adoptait aussi la proposition Chevandier, complétée par Goblet — ministre de l'Intérieur — et tendant à faire respecter la liberté des mourants en matière d'enterrements civils[44].

Le surlendemain (29 juin), elle prenait en considération une proposition tendant à retirer le caractère d'utilité publique à l'église dut Sacré-Cœur de Montmartre.

Elle discutait enfin longuement et finissait par adopter (le 12 juillet) la proposition Paul Bert, reprise par Jules Ferry, sur les titres de capacité de l'enseignement secondaire privé et s'efforçait ainsi de mettre un terme à l'injustifiable privilège consacré par la loi Falloux en faveur de cet enseignement[45].

 

X

C'étaient bien là sans doute des marques d'un anticléricalisme indéniable, qui ne contribuaient pas peu à entretenir l'irritation de l'Église et auxquelles les évêques et les curés ne se faisaient pas faute de répondre[46]. Mais ces manifestations étaient plus bruyantes qu'efficaces, car à tous ces votes il manquait la sanction du Sénat, qui devait leur faire défaut longtemps encore. Le plus grave de tous même ne pouvait avoir pour le moment que peu de portée. En effet la prise en considération de la proposition séparatiste de Jules Roche n'impliquait pas que la Chambre fût disposée à déchirer le Concordat à bref délai. Le nouveau ministère — opposé, dans la personne de Jules Ferry, de presque tous ses collègues et surtout de Freycinet, à un tel éclat — le craignait si peu qu'il n'avait pas cru devoir combattre un pareil vote. L'homme d'État qui avait naguère négocié si mystérieusement avec la cour de Rome pour sauver les congrégations était moins que jamais, au fond, l'ennemi de l'Église. Seulement, rappelé au pouvoir par la coalition parlementaire qui avait renversé Gambetta et où le parti radical tenait une place importante, il avait dit faire à ce parti une certaine place dans son ministère en y appelant Goblet, partisan convaincu de la séparation, et il s'était résigné de bonne grâce à quelques manifestations parlementaires d'anticléricalisme, manifestations qui, au fond, le faisaient sourire et qu'il espérait bien rendre impuissantes par d'habiles atermoiements.

L'impuissance, tel était le caractère propre d'une politique où les partis étaient condamnés à s'annihiler par les concessions réciproques qu'ils s'imposaient. C'était aussi celui d'une assemblée en plein désarroi comme la Chambre des députés, où la majorité républicaine perdait de plus en plus de vue les questions de principes pour ne plus s'attacher qu'aux questions de personnes et où il s'agissait maintenant beaucoup moins de faire aboutir telle ou telle réforme que de combattre Gambetta, Freycinet ou Jules Ferry. On le vit bien quand elle eut, à propos des affaires d'Égypte — auxquelles elle paraissait ne rien comprendre —, culbuté le gouvernement du 30 janvier (29 juillet 1882) et provoqué la formation d'un cabinet d'expédient où, sous la présidence d'un républicain fort modéré — Duclerc, homme d'État de second plan, sans autorité, comme sans programme[47] — se coudoyaient sans cordialité, les revenants du grand ministère et les survivants du ministère Freycinet[48]. Rien d'étonnant à ce que ce gouvernement d'attente, qui n'osait et ne voulait rien entreprendre, n'eût à cœur que de prévenir tout débat trop retentissant et surtout tout vote trop accentué en matière religieuse. C'est en effet à quoi tendirent ses efforts, non sans succès. Quant à la Chambre, dépourvue de toute direction, de toute boussole, elle parut elle-même à cette époque ne se soucier que d'éviter toute décision compromettante pour l'avenir et de maintenir le statu quo.

Aussi l'anticléricalisme n'enregistra-t-il pas, vers la fin de 1882, de nouvelles conquêtes. L'ex-préfet de police Andrieux, qui avait expulsé les Jésuites de la rue de Sèvres en 1880, venait maintenant soutenir la nécessité d'une politique de conciliation avec les catholiques. Les nouveaux ministres, sans aller jusque-là[49], n'usaient de leur influence sur la Chambre que pour l'empêcher de porter de nouveaux coups à l'Église ; et la Chambre, désorientée, se montrait maintenant, pour lui plaire, aussi pacifique qu'elle avait été précédemment belliqueuse et provocante envers le clergé.

C'est en vain qu'au cours de la discussion du budget (décembre 1882) les radicaux réclamèrent les réformes profondes qu'à défaut de la séparation des Églises et de l'État le parti républicain avait tant de fois inscrites sur son programme. Jules Roche, qui ne put, naturellement, obtenir la suppression du budget des Cultes[50], ne fut pas plus heureux dans ses efforts pour le ramener, par une série d'amendements fortement motivés[51], aux règles concordataires, pour faire par exemple supprimer .les crédits des évêchés créés en 1821 ou ceux des bourses des séminaires. A grand'peine put-il obtenir la réduction de certains traitements anormaux comme celui de l'archevêque de Paris et celui de l'archevêque d'Alger. Son interpellation à propos de ce prélat (Lavigerie), qui s'était encore fait récemment gratifier par un virement irrégulier et grâce à la complaisance de Freycinet d'une subvention de 50.000 francs, demeura elle-même sans résultat. Bref, le budget des Cultes, pour l'année 1883, fut à fort peu de chose près ce qu'il avait été pour les années précédentes.

 

XI

Le désarroi et l'impuissance parlementaire parurent portées au comble par l'événement imprévu qui, au premier jour de l'année 1883, vint consterner la France républicaine. Gambetta, dans toute la force de l'âge et du talent — il n'avait que quarante-quatre ans — était mort dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier. L'abattement profond que la disparition d'un tel chef causa dans tous les rangs de la démocratie fit croire un moment aux ennemis de la République qu'elle était maintenant facile à ébranler et qu'elle ne survivrait pas à l'homme qui avait tant fait pour elle. Le prince Napoléon osa faire placarder (le 16 janvier) sur les murs de Paris un manifeste par lequel il déclarait à la France qu'elle n'avait pas de gouvernement et s'offrait naturellement à lui en fournir un. Le vieux libre penseur qui avait tant contribué à la spoliation du pape, qui avait crié avec les 363 : Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! et qui naguère encore applaudissait à l'article 7 et aux décrets du 29 mars, ne craignait pas maintenant d'écrire : La religion, attaquée par un athéisme persécuteur, n'est pas protégée. Et cependant ce grand intérêt de toute société civilisée est plus facile à sauvegarder que tout autre par l'application loyale du Concordat, qui seul peut nous donner la paix religieuse...

Personne n'aurait dû prendre au sérieux cette pantalonnade d'un prétendant sans principes, qui n'en était plus à compter ses palinodies. La France, effectivement, dans son ensemble, n'en fut pas émue. Mais le monde politique, particulièrement impressionnable à ce moment, en fut troublé plus que de raison. Le ministère fit arrêter le prince et commencer contre lui une instruction quelque peu ridicule qui ne pouvait se terminer, comme elle se termina, que par un non-lieu[52]. Mais les intrigues de la famille d'Orléans[53], qui s'efforçait, elle aussi, plus discrètement, plus sérieusement aussi, de tirer parti des circonstances, causèrent au gouvernement et aux Chambres des inquiétudes plus vives encore et plus justifiées : de là l'inextricable imbroglio de propositions et de projets de loi qui se produisit et se prolongea plusieurs semaines dans les Chambres, où l'on sembla quelque temps incapable de se mettre d'accord sur les mesures à adopter pour préserver la République des prétendants[54]. Le ministère Duclerc sombra le 30 janvier au milieu de cette confusion. Il n'avait, comme le cabinet Freycinet, duré que six mois. Le ministère Fallières, qui lui succéda, dura bien moins encore, car après s'être débattu quelques jours dans l'anarchie gouvernementale qu'avait amenée la crise princière, il dut se retirer à son tour. L'espoir d'une solution et la possibilité d'un pouvoir assez ferme pour rendre à la France son orientation régulière et sa sécurité ne reparurent que quand le président Grévy eut fait pour la seconde fois appel à l'homme qui, après Gambetta, inspirait encore à ce moment le plus de confiance à la République, c'est-à-dire à Jules Ferry, qui redevint président du conseil le 21 février 1883.

 

 

 



[1] V. mon Histoire des rapports de l'Eglise et de l'Etat en France, de 1789 à 1870, p. 607.

[2] Après la guerre, il n'était resté que quatorze des cours secondaires de jeunes filles institués sous l'Empire ; et l'œuvre végétait, sans encouragements, sans ressources, quand elle fut reprise au Parlement en 1878.

[3] Rapport de Camille Sée (27 mai 1879).

[4] Les jeunes filles, à les entendre, ne pouvaient que s'y pervertir. — C'est par de pareilles insinuations qu'on s'efforça longtemps, non sans succès, de détourner les familles des nouveaux établissements d'instruction créés par Mat. Du reste, ce ne fut pas seulement sur les internats universitaires de jeunes filles, ce fut aussi sur les internats universitaires de garçons que le clergé s'attacha dès lors de plus en plus à jeter le discrédit et la déconsidération.

[5] Toutes les questions relatives au régime des lycées et collèges de jeune filles, aux programmes, certificats et diplômes de fin d'études, grades et titres des professeurs, traitements, etc., furent résolues peu après par le décret organique du 28 juillet 1881, le décret du 14 janvier 1882, les arrêtés des 14 janvier, 28 juillet 4882, 28 juillet 1884, etc.

[6] Dans l'année scolaire 1886-1887, le nombre des lycées de jeunes filles était de 16, celui des collèges de 19. Aujourd'hui (1906) il y a 42 lycées avec 14.777 élèves, 52 collèges avec 8.829 élèves, 67 cours secondaires avec 7.325 élèves ; en tout 161 établissements avec 30.831 élèves.

[7] La Chambre ayant été élue en octobre 1877, le renouvellement devait s'opérer au plus tard en octobre 1881 (et de fait il eut lieu un peu plus tôt, dès le mois d'août).

[8] V. le livre de l'abbé Bougaud, depuis évêque de Laval, Sur le Grand péril de l'Eglise de France au XIXe siècle (Paris, 1878). — Il faut, écrivait Guilbert, évêque d'Amiens (Le recrutement du clergé, p. 15), ne pas connaître le cœur humain et ignorer absolument ce que doit être la vie du prêtre... pour ne pas comprendre et ne pas sentir tout ce qu'il y a d'incompatible entre la discipline du séminaire et celle de la caserne, pour ne pas prévoir qu'une année de service actif dans les conditions ordinaires compromettrait la vocation d'un grand nombre de nos séminaristes. C'est l'opinion de tout l'épiscopat...

[9] Comme député de la 3a circonscription de l'arrondissement de Brest (6 juin 1880).

[10] L'Eglise, lisons-nous dans une lettre adressée peu après (22 juin 1881) par le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, aux Sénateurs, est depuis quelques années aux prises avec des épreuves auxquelles elle était loin de, s'attendre... De la plante des pieds au sommet de la tête, elle n'est bientôt plus qu'une plaie. Qu'importe ? Oh frappe toujours. En vain elle se dévoue aux soins des petits et des humbles ; sa charité elle-même lui est imputée à crime...

[11] Citons parmi les membres de cette commission : Lockroy, qui en était le secrétaire, Louis Blanc, Chalamet, Barodet, Constans, Spuller, Floquet, Cantarel, Duvaux, Boysset, etc.

[12] Dans un écrit intitulé : La vérité sur la loi de 1850.

[13] Ce projet était divisé en six titres et 409 articles, embrassant les matières suivantes : I. DISPOSITIONS GÉNÉRALES (art. 1-7) : Chap. De l'instruction et des écoles ; Chap. 2, Des brevets d'instituteur. — II. DE L'OBLIGATION DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE (art. 8-19) : Chap. 1er, Des conditions de l'obligation ; Chap. 2, Des sanctions de l'obligation. — III. DES ÉCOLE PUBLIQUES (art. 20-54) ; Chap. 1er, De l'établissement et du fonctionnement des écoles publiques ; Chap. 2, Du personnel enseignant ; Chap. 3, Des écoles normales primaires ; Chap. 4, De la gratuité et des dépenses de l'enseignement primaire public. — IV. DES ÉCOLES PRIVÉES (art. 55-67). — V. DES AUTORITÉS PRÉPOSÉES À L'ENSEIGNEMENT (68-90) : Chap. 1er, Du directeur départemental et des inspecteurs ; Chap. 2, Des conseils de l'enseignement primaire. — VI. DISPOSITIONS TRANSITOIRES (art. 91-109).

[14] Un peu plus tard, il est vrai, au cours de la discussion du budget (11 juillet 1881), les députés, préoccupés des reproches que leurs électeurs pourraient leur adresser dans leurs départements respectifs, trouvèrent le moyen d'exonérer les communes de la, plus grande partie du surcroît de dépenses qui devait résulter de la loi nouvelle, pour le mettre à la charge de l'Etat.

[15] Il eut surtout à réfuter l'argumentation très serrée et très vive de Buffet sur la question des voies et moyens.

[16] Discours du 23 décembre 1880.

[17] Discours de Chesnelong, de de Fourtou, de Tolain, etc.

[18] Oscar de Vallée, Chesnelong, Delsol, de Parieu, etc.

[19] Loi du 30 juin 1881 sur le droit de réunion. — Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

[20] Sur la proposition de Barodet.

[21] ... Cette formule de la séparation, disait-il le 28 mai 1881, précisément parce qu'elle est une formule simple, est une formule décevante... Le premier fait qui a jeté dans mon esprit une complète lumière, c'est ... la révolution religieuse que le Concile du Vatican a introduite dans les doctrines, dans la manière d'être, dans les affaires générales de l'Eglise catholique... C'est pour moi une raison décisive de garder le Concordat, car plus le pouvoir ecclésiastique est concentré, centralisé, plus il prend la forme d'un véritable césarisme... plus le gouvernement de la catholicité ressemble au pouvoir absolu, à l'autocratie, plus les Eglises nationales sont disciplinées et fondues dans une commune obéissance, plus le chef de la catholicité est puissant, et plus il importe à un gouvernement comme le nôtre d'avoir avec lui un bon contrat... Examinez les choses, lisez les mandements, écoutez les bruits qui viennent du dehors, et vous verrez la différence et vous apprécierez le profit qu'il y a pour un gouvernement à avoir une action sérieuse sur le choix des chefs du clergé catholique... Vous assimileriez à une simple société de secours mutuels la grande association catholique ? Or, sachez-le bien, il faut aller jusque-là dans le système de la séparation... L'orateur ne se bornait pas, du reste, à faire l'éloge du Concordat. Il semblait croire à la possibilité d'une réconciliation sincère de l'Eglise avec l'Etat. ... Nous sommes profondément convaincu, disait-il, que l'apaisement ne peut que grandir, car il a pour principal collaborateur la plus grande influence catholique qui Soit au monde, car il a pour noble et généreux complice le pontife pacifique qui siège au Vatican...

[22] Sa politique religieuse en Palestine consistait surtout à réagir contre le Latinisme, c'est-à-dire contre les efforts de l'Eglise romaine pour amener les chrétiens d'Orient à adopter le rite latin, ce qui était à son avis à peu près impossible. Il fallait au contraire, pensait-il, respecter les rites chers à ces chrétiens ; on les amènerait ainsi bien plus aisément à reconnaître l'autorité du pape. Grâce à la subvention du gouvernement français, Lavigerie put ouvrir à Jérusalem en 1882, une École apostolique, sorte de séminaire dont les cours devaient être suivis par des enfants ou des jeunes gens appartenant aux rites orientaux et se destinant, sous la haute direction du Saint-Siège, la prêtrise, à l'apostolat, à l'enseignement. Cette école eut, pour commencer, 20 élèves. Dès 1883, elle en comptait 40 et 65 en 1885. — L'archevêque d'Alger, un peu mégalomane, en vint bientôt à rêver le ralliement à l'Eglise romaine, non seulement des chrétiens de Palestine, de Syrie et d'Asie Mineure, mais des Hellènes, des Slaves, des Ruthènes, des Roumains, etc., etc.

[23] Il avait, depuis 1877, fait à plusieurs reprises d'assez longs séjours à Tunis, fondé une église, un collège, acheté une villa, de vastes terrains qu'il avait mis en culture. Il s'était constitué l'auxiliaire le plus remuant du Consul général de France à Tunis (Routan). Il travaillait sans relâche à supplanter dans la Régence l'Italien Sutter, comme vicaire apostolique. Il finit par y réussir, peu après le traité du Bardo, en faisant attribuer à ce dernier une pension par le gouvernement français et obtenant du Saint-Siège le titre d'administrateur du vicariat.

[24] Il n'obtint que 300.000 francs, parce que le monde conservateur, c'est-à-dire le monde riche, sur lequel il comptait, commençait à lui en vouloir de ses compromissions avec le gouvernement républicain.

[25] L'avis de sa promotion au cardinalat lui fut adressé du Vatican le 6 mars 1882 ; et la barrette lui fut remise au mois de mai suivant par le président Grévy.

[26] Elle avait compté sur ce qu'on appelait le grand ministère, c'est-à-dire sur un cabinet où Gambetta, comme président du conseil, se serait adjoint des hommes comme Léon Say, Freycinet, Jules Ferry. Mais Léon Say, qui n'admettait pas ses plans financiers, lui avait refusé son concours. Freycinet, détourné par Grévy, en avait fait autant. Quant à Jules Ferry, Gambetta l'avait laissé de côté sous prétexte que, devenu impopulaire depuis les événements de Tunisie, il ne serait pas une force pour son ministère. C'est pourquoi ni ce dernier, ni ses amis, si nombreux à la Chambre, n'étaient disposés à le seconder. Aussi eut-il beau s'attacher comme collègues des hommes de la plus haute valeur, comme Waldeck-Rousseau, Paul Bert, Rouvier, etc.. on fit semblant d'être déçu par la composition d'un tel cabinet et on refusa de lui faire crédit. On affecta de croire que Gambetta n'avait voulu avoir autour de lui que des sous-ordres, qui n'eussent pas de volonté propre, et plus que jamais on l'appela dictateur. On lui reprocha de plus le libéralisme — un peu large, il est vrai — dont il fit preuve en appelant à quelques hauts emplois des personnages distingués, il est vrai, mais qui, comme le général de Miribel et le journaliste Weiss, ne s'étaient guère signalés dans les dernières années que par leurs attaques contre la République. Bref, on trouva qu'il en prenait comme on dit, trop à son aise avec le Parlement et on ne voulut pas lui laisser le temps de faire ce que le pays était en droit d'attendre de lui.

[27] Ce projet n'était guère, en substance, que la reproduction de ceux qu'avait déposés le député radical Marcou en 1880 et 1881, ainsi que de celui que Jules Ferry avait lui-même soumis au Parlement le 11 décembre 1880. Il portait que, dans les établissements de garçons, les directeurs devraient être pourvus non seulement du baccalauréat, mais d'un certificat d'aptitude pédagogique délivré par un jury d'Etat ; la licence, le baccalauréat et le brevet de l'enseignement spécial ou le brevet primaire supérieur, devraient être exigés des professeurs, suivant qu'ils seraient chargés des classes supérieures, des classes de grammaire ou des classes élémentaires. Dans les établissements de jeunes filles, les. brevets primaires seraient obligatoires, en attendant les diplômes spéciaux institués ou à instituer en vertu de la loi du 21 décembre 1880. — Dans son exposé des motifs, Paul Bert mettait en lumière ce fait que l'Etat ne possédait que 333 établissements d'enseignement secondaire avec 75.000 élèves, tandis que l'enseignement secondaire privé occupait 803 établissements avec 78.000 élèves, et que, sur ces derniers chiffres, l'enseignement ecclésiastique comptait pour 3S9 maisons avec 46.816 élèves (sans parler des petits séminaires).

[28] Cette proposition comportait en effet, non seulement l'extension de la compétence des juges de paix, l'institution des assises correctionnelles, la réduction des tribunaux civils à un par département et la diminution du nombre des cours d'appel, mais la réorganisation du personnel judiciaire, réorganisation qui devrait avoir lieu dans un délai de trois mois et amènerait l'élimination d'un assez grand nombre de magistrats.

[29] Elles étaient au nombre de cinq, établies à Paris, Bordeaux, Lyon, Aix et Rouen.

[30] Aussi ces grades étaient-ils de moins en moins recherchés. On constatait que, de 1808 à 1880, ces Facultés n'avaient pas en moyenne, à elles toutes, conféré plus de 10 diplômes par année.

[31] Déposée, comme la précédente, le 7 février 1882.

[32] Déposée aussi le 7 février 1882.

[33] Qui les avait exposées à peu près comme lui dans un de ses discours électoraux à Belleville, le 12 août 1881.

[34] Article 1er du Concordat.

[35] De telle sorte que, par exemple, une fabrique, qui a pour attribution spéciale l'entretien d'un culte, ne puisse recevoir de dons et legs pour fonder une école ou un bureau de bienfaisance.

[36] Il y en avait alors 180.

[37] Ce fait était extrêmement fréquent et la loi à cet égard était presque constamment violée.

[38] Séance du 21 mars 1882.

[39] V. à l'appendice de cet ouvrage, le texte de cette loi. Le nouveau système d'enseignement, disait à cette époque La République française (journal de Gambetta), est sans comparaison le plus libéral qui existe dans le monde civilisé, le plus moderne, le plus conforme aux inspirations comme aux besoins d'une nation émancipée du joug théologique. Ni la Suisse, ni la Hollande, ni l'Allemagne protestante, ni la républicaine Amérique n'ont rien à nous offrir qui puisse être comparé à notre enseignement national primaire ; d'un seul bond la France, qui était en arrière, vient de se placer à la tête des peuples...

[40] Très peu d'entre eux eurent, comme Guilbert et Meignan, le courage ou la bonne foi de dire que c'était là une loi non pas d'athéisme absolu et positif, mais seulement d'athéisme possible et négatif et qu'elle ne deviendrait mortelle au cœur des enfants que si elle était appliquée dans un esprit d'hostilité à la religion. — L'archevêque de Cambrai, Duquesnoy, dénonçait la loi du 28 mars, comme plus funeste à la France que la guerre de 1870, que la perte de nos deux provinces. — Si ce régime dure encore, disait-il, la France sera pourrie jusqu'aux moelles, rayée du rang des nations civilisées... Le moment est venu... de marcher à l'assaut de cette nouvelle barbarie. Plus d'hésitation ! Urbain II prêchait la croisade contre les Sarrasins ; nous en prêchons une contre les barbares qui se sont fait un piédestal du mot liberté et qui aujourd'hui confisquent toutes les libertés.

[41] Sous la forme d'une grande fédération des sociétés républicaines d'instruction, fédération qui tiendrait des Congrès annuels et aurait pour pouvoir exécutif un Conseil général de trente membres, renouvelable chaque année par tiers et élu par le Congrès.

[42] Depuis 1874.

[43] Par 336 voix contre 150. ... Vous faites, avait dit Freppel, un acte semblable à celui que vous feriez en débaptisant un chrétien. Vous mettez donc le pied sur un domaine qui n'est pas celui de la législation civile, car la loi civile règle les effets civiles du lien, elle ne saurait créer le lien... Ce mariage que vous prétendez rompre, il reste légitime, valide, et le lien matrimonial continue à unir les conjoints comme par le passé, malgré tous les jugements contraires. Et quant au second mariage que contracteraient les époux divorcés, il sera absolument nul. Il constituera les deux époux en un état que je ne veux pas qualifier par respect pour cette Chambre...

[44] Cette proposition, comme on le verra plus loin, ne devint définitivement une loi qu'en 1887.

[45] Au cours de ce débat, Madier de Montjau avait nettement demandé qu'on ne se bornât pas à imposer certains titres de capacité aux prêtres enseignants, mais que l'enseignement fût interdit à tout membre du clergé. ... Êtes-vous, disait-il, dans cette situation d'égalité en face du prêtre sans laquelle il n'y a pas de liberté véritable ! Avez-vous ses droits, sa puissance au confessionnal, au lit de mort ?... Je laisse la chaire et le confessionnal en repos, mais je dis au prêtre : Tu ne t'empareras pas du seul moyen d'équilibre que nous ayons pour balancer ta force : l'enseignement. Nous gardons l'enseignement pour la société laïque... Mais Jules Ferry s'était énergiquement opposé à cet amendement, au nom de la liberté et de la paix publique, et l'avait fait rejeter.

[46] En dépit des objurgations ministérielles, des suppressions de traitements ou des poursuites, les plus violentes attaques étaient chaque jour lancées du haut de la chaire contre la République, ses lois et son gouvernement. A l'occasion de la fête nationale du 14 juillet, l'évêque Freppel déclarait ne voir dans cette date que l'anniversaire des massacres les plus odieux de notre histoire, interdisait à son clergé de participer à cette solennité autrement que par un Requiem pour les âmes des victimes et intentait une action contre l'architecte départemental qui avait à cette occasion fait pavoiser son palais épiscopal. Fava, évêque de Grenoble, à propos d'un maire qui avait décroché un crucifix du mur d'une école et l'avait jeté dans les latrines (maire, du reste, suspendu pour ce fait de ses fonctions), écrivait publiquement : ... Il faut à une telle injure plus que des larmes, il faut du sang... D'autres incriminaient les discours de distributions de prix où étaient louées la République et les lois nouvelles. Dans certains centres industriels le clergé poussait les patrons à renvoyer les ouvriers convaincus de professer des sentiments antireligieux ; par contre les ouvriers, exaspérés, commençaient à user de violence envers certaines chapelles ou écoles congréganistes, employaient la dynamite, se mettaient bruyamment en grève. L'irritation du clergé, tant séculier que régulier, était encore augmentée à cette époque par le krach tout récent — de l'Union générale, banque alimentée par ses capitaux (on disait même par ceux du pape) et qui, après un succès éphémère et de frauduleuses opérations, venait de sombrer avec éclat à la Bourse. Les clients de ce téméraire établissement, au lieu de ne s'en prendre qu'à eux-mêmes et aux chefs de l'entreprise, accusaient de leur déconfiture la banque Juive, les Rotschild. C'est de cette époque que date le commencement de la campagne antisémite dont les effets déplorables se sont fait depuis sentir dans toute la France.

[47] Rien de plus incolore, de plus vague que la déclaration portée aux deux Chambres par ce cabinet le 9 août 1882 : En matière de politique intérieure, par exemple, il exprimait le désir de faire prévaloir les solutions libérales et progressives... Nous travaillerons, ajoutait-il, à rapprocher les diverses fractions de la majorité républicaine... Un peu plus tard (9 novembre), Duclerc se déclarait simplement résolu à défendre au dedans l'ordre et la liberté, à imposer énergiquement à tous le respect absolu des lois...

[48] Ce cabinet était ainsi composé : Présidence du conseil et Affaires étrangères, Duclerc ; Intérieur, Fallières ; Justice et Cultes, Devès ; Finances, Tirard ; Instruction publique et Beaux-Arts, Duvaux ; Guerre, Billot ; Marine et colonies, Jauréguiberry ; Travaux publics, Hérisson ; Agriculture, De Mahy ; Commerce, Pierre Legrand ; Postes et télégraphes, Cochery. — Sous-secrétariats d'Etat : Justice, Varambon ; Intérieur, Develle ; Finances, Labuze ; Instruction publique, Logerotte ; Travaux publics, Baïhaut.

[49] L'un d'un, Duvaux, se signala même — sans violence d'ailleurs — par une circulaire prescrivant : 1° de ne pas admettre d'emblèmes religieux dans les nouvelles écoles publiques ; 2° de les enlever dans les anciennes, là où l'on pourrait le faire sans froisser la population et sans provoquer de désordres ; 3° de les respecter partout ailleurs. — Cette circulaire donna lieu à une interpellation du sénateur Fresneau, dont Duvaux n'eut pas de peine à réfuter les violentes attaques, si bien que le Sénat lui donna raison par 154 voix contre 92 (10 déc. 1882).

[50] Sa proposition à cet égard n'obtint que 126 voix (11 nov. 1882).

[51] Dans son discours du 11 novembre 1882, Jules Roche rappelait que la France avait vécu de 1794 à 1802 sans budget des Cultes ; que ce budget, établi après la promulgation du Concordat, n'avait été la première année que de 1.258.000 francs ; qu'il n'était encore en 1813 (époque où la France comptait 130 départements) que de 17 millions, total réduit à 13 millions en 1814 ; il montrait par quels abus il s'était élevé à 35 millions de 1814 à 1830, à 39 de 1830 à 1817, à 41 de 1848 à 1852 ; comment le second Empire l'avait porté à 50 millions et la troisième République à plus de 53 millions. — Il faisait ensuite ingénieusement remarquer que si on ajoutait à cette somme les subventions particulières que le clergé recevait de différents ministères et des communes, on trouvait que cc budget s'élevait à plus de 75 millions. Ce n'est pas tout ; en y joignant la valeur locative des immeubles et édifices occupés par le clergé (valeur qui, d'après lui, n'était pas inférieure à 203 millions, les revenus des immeubles des fabriques (27.800.000 fr.), des séminaires (I million), des congrégations autorisées (35 millions) et la moyenne des dons et legs aux établissements religieux (10.540.000 francs), Jules Roche arrivait à un total de 326.478.000 francs. Il fallait tenir compte des 20.205.900 fr. que coûtaient à 1'Etat 22.651 instituteurs congréganistes enseignant dans les écoles publiques et enfin du casuel, qui ne pouvait pas être évalué à moins de 100 millions par an. Le budget des Cultes s'élevait donc, en fait, au (lire de l'orateur, à 450 millions de francs environ, sans compter bien entendu les revenus inavoués et dissimulés (dons secrets, revenus des congrégations non reconnues, etc.). L'orateur montrait enfin que ces formidables ressources étaient en grande partie employées par le clergé à combattre la République et les principes de la Révolution par le moyen d'Œuvres innombrables que de multiples associations catholiques, solidement rattachées aux sièges épiscopaux et au Saint-Siège, représentaient dans le pays (il signalait l'existence de 699 associations de ce genre). Dans plusieurs séances suivantes (13, 14, 16 nov., 22 déc.) Jules Roche poursuivit avec ténacité sa campagne et amena un jour Freppel, exaspéré, à déclarer hautement qu'il n'avait d'autre chef que le pape.

[52] La loi de 1881 sur la liberté de la presse n'interdisait pas en effet la publication de manifestes semblables à celui du prince Napoléon.

[53] On sait que les princes de cette famille, fort nombreux et fort riches, étaient depuis 1871 en France, où ils travaillaient à se faire des amis. Plusieurs d'entre eux, le duc d'Aumale, le duc de Chartres, le duc d'Alençon, le comte de Paris, exerçaient des commandements dans l'armée.

[54] On parlait surtout à ce moment d'expulser de France les princes d'Orléans, ce contre quoi l'évêque Freppel protestait avec véhémence, déclarant que chasser la maison de France serait un acte monstrueux d'ingratitude, une injustice cruelle à ce drapeau voilé d'un crêpe noir qui est devenu le drapeau de l'Alsace-Lorraine...