HISTOIRE GRECQUE

TOME CINQUIÈME

LIVRE SEPTIÈME. — LA MACÉDOINE ET LA GRÈCE (362-337 Av. J.-C.).

CHAPITRE QUATRIÈME. — LES DERNIÈRES LUTTES POUR L'INDÉPENDANCE DE LA GRÈCE.

 

 

§ II. — LES APPRÊTS DE LA GRANDE LUTTE.

Pendant que ces luttes se déroulaient à l'intérieur de la cité, on avait remis sur le tapis la question des affaires étrangères, et de même que Démosthène combattait sans se lasser le parti de Philippe parmi les citoyens, il suivait aussi d'un œil vigilant toutes les entreprises du roi en dehors de l'Attique, devinant tous ses desseins et s'y opposant par tous les moyens qui étaient à sa disposition.

La première occasion lui fut offerte par les affaires du Péloponnèse, où la politique athénienne avait une tâche particulièrement difficile. Sparte était le plus puissant et le plus indépendant parmi les États de la péninsule ; mais Athènes ne pouvait se rapprocher d'elle, de peur d'irriter les adversaires de Sparte et de les pousser tout à fait du côté de la Macédoine. Démosthène dut veiller surtout à ce qu'aucun État grec ne donnât l'occasion au roi d'étendre sa puissance, sous prétexte de défendre le droit. Il s'agissait donc d'ouvrir les yeux aux républiques péloponnésiennes sur le vrai caractère de la politique macédonienne et d'y tenir en éveil, comme à Athènes, la défiance à l'égard de Philippe, qui était la condition fondamentale d'une attitude ferme et vraiment nationale.

Dans ce but et sur le conseil de Démosthène, des ambassadeurs partirent pour la péninsule, après que Philippe y eut déjà inauguré sa politique en promettant des secours, en envoyant des mercenaires et en notifiant des commandements impérieux. Démosthène fut en personne le chef de l'ambassade[1]. Ses discours étaient répandus sous forme de brochures même en dehors d'Athènes : il se présenta donc devant les citoyens de Messène et d'Argos comme un démocrate bien connu, qui venait pour les prémunir contre le roi, lequel, disait-il, avait maintenant les yeux tournés vers le Péloponnèse et s'insinuait chez eux comme leur ami et leur bienfaiteur, comme le protecteur de leur indépendance. Ils n'avaient qu'à regarder autour d'eux pour se faire une idée, par l'exemple d'autres États, de ce que pouvait être la protection d'un Philippe. Il leur montra Olynthe : Rappelez-vous, leur dit-il, citoyens de Messène, quelle était la confiance des Olynthiens, et avec quelle mauvaise humeur ils écoutaient ceux qui blâmaient le roi, lorsqu'il leur fit don d'Anthémon te et de Potidée. Pouvaient-ils alors s'attendre au sort qu'ils subirent dans la suite ? N'auraient-ils pas ri au nez de celui qui leur eût montré cet avenir ? Et pourtant, ils se sont trompés, et après avoir joui pendant un temps bien court de leurs acquisitions sur territoire étranger, ils ont perdu le leur pour toujours et ont été honteusement chassés, après avoir été non seulement vaincus, mais trahis et vendus par leurs propres concitoyens ! Vous pouvez apprendre par là que les rapports intimes avec des tyrans ne portent jamais bonheur à des États libres. Les Thessaliens ont-ils été plus heureux ? Lorsque Philippe chassa leurs tyrans, lorsqu'il leur donna Nicæa et Magnésie, pensez-vous qu'alors ils s'attendissent à l'institution des Dix qui les gouvernent maintenant ? Pouvaient-ils deviner que celui qui leur rendait leur siège et leur voix au conseil amphictyonique s'approprierait un jour leurs revenus et leurs douanes ? Certainement non ; et pourtant, chacun sait que les choses se sont passées comme je l'ai dit. Voilà ce Philippe qui donne et promettant ! Dieu veuille que vous n'appreniez pas à connaître bientôt le Philippe qui trompe ! Les hommes ont fait bien des inventions pour protéger leurs villes : remparts, m tirailles, tossés et autres ouvrages d'art. Les hommes avisés ont reçu de la nature un moyen de défense qui est utile et salutaire à tous, mais surtout aux républiques libres contre les tyrans : c'est la méfiance. Gardez-la, elle vous sauvera. Car enfin, quel est le bien que vous désirez par-dessus tout ? La liberté, dites-vous. Très bien ! Mais ne voyez-vous pas que le titre de Philippe est à lui seul en contradiction avec elle ? Car quiconque est roi ou tyran est l'ennemi de la liberté et de la constitution républicaine Soyez donc bien sur vos gardes, et craignez, en cherchant à vous sauver d'une guerre, de vous imposer un maître[2].

L'énergique éloquence de Démosthène ne manqua pas son effet. Ses paroles excitèrent l'admiration et furent applaudies : les meilleurs des citoyens de Messène et d'Argos ouvrirent les yeux, et l'amour de la liberté hellénique fut réveillé dans leurs cœurs. Quant à la multitude, il ne fut pas possible de la convertir. Un discours de Démosthène n'était pour elle qu'une brillante représentation d'un artiste étranger. Une fois le spectacle terminé, l'enthousiasme se refroidit ; chacun reprit son indifférence première et son souci des intérêts étroits de la politique locale, qui n'avait peur que de Sparte. Nulle part l'égoïsme propre aux petits États n'était plus puissant que dans la Péninsule ; nulle part les yeux ne se fermaient plus résolument aux grands événements du monde. On se croyait bien en sûreté derrière les défilés de l'Isthme, et on souriait de pitié quand quelqu'un prétendait faire trembler les villes cachées dans les montagnes du Péloponnèse en leur parlant de l'incendie d'Olynthe. Elles trouvaient plus commode de remplacer la protection de Thèbes par celle d'un prince puissant et guerrier, auquel les États de moyenne importance se soumettaient au fond bien plus volontiers qu'à un État hellénique sorti lui-même de leurs rangs.

L'apparition de Démosthène n'en avait pas moins effrayé les partisans de la Macédoine : leurs principaux chefs, Néon et Thrasylochos à Messène, Myrtis, Télédamos, Mnaséas à Argos[3] ne voulaient pas entendre parler de mettre fin aux dissensions intérieures : ils multiplièrent leurs efforts et, après les avertissements de Démosthène, ils n'en excitèrent que davantage leurs concitoyens contre Sparte et en même temps contre tous les prétendus amis de Sparte, lesquels, d'après eux, étaient aussi les ennemis de la liberté du Péloponnèse : ils firent même peser sur Athènes le soupçon d'être en accord secret avec Sparte. De la Macédoine, on favorisait ce mouvement d'opinion, pour créer des difficultés aux Athéniens et affaiblir le parti de Démosthène : c'est ainsi qu'une ambassade des villes fut envoyée à Athènes pour demander des explications sur les rapports de la république avec Sparte. Des ambassadeurs macédoniens vinrent à Athènes avec les Péloponnésiens, pour soutenir leur cause et se plaindre en même temps de ce qu'on ne cessait de maltraiter le roi à la tribune[4].

Tel était le résultat des efforts de Démosthène. Au lieu d'avoir détaché les Péloponnésiens de Philippe, il constata qu'ils étaient plus unis que jamais, et qu'ils formaient maintenant un parti unique opposé aux Athéniens. Il n'en fut pourtant pas découragé : il en prit seulement occasion de marquer plus nettement et plus clairement son point de vue et celui de ses amis. C'est ce qu'il fit dans. la séance de l'assemblée où l'on délibéra sur la réponse à faire aux ambassadeurs étrangers.

Pour décider ce que nous avons à faire, — tel était le sens de ce discours — il faut que nous sachions ce que veut Philippe. S'il est l'ami des Hellènes, comme il le prétend, ils ont raison ceux qui se rallient à lui ; mais s'il est tout le contraire, c'est nous qui avons raison, nous qui le combattons par tous les moyens. La réponse à cette question décisive pour notre conduite ultérieure, nous la trouverons dans les faits dont nous avons tous été témoins. Philippe a marché en avant, pas à pas, cherchant à faire des Hellènes ses sujets : ses actes montrent qu'il ne recule devant aucune violence. Ce n'est pas un roi qui veut la justice ; il n'a en vue que sa domination. Tous les boulevards de la Grèce, tous les passages qui y conduisent, il s'en empare l'un après l'autre, et aujourd'hui il poursuit l'exécution de son plan jusque dans la Péninsule. Aussi, en dépit de tous les traités de paix, Philippe reste-t-il l'ennemi de tous les Hellènes, et en particulier le nôtre. En effet, son véritable but est Athènes. Athènes, il le sait, ne peut être attirée à lui par l'appât de promesses illusoires, comme Thèbes et les villes du Péloponnèse. C'est un honorable témoignage de considération qu'il rend aux citoyens d'Athènes en ne faisant pas même la tentative de vous attirer à son alliance par d'indignes appâts, pour vous détourner ainsi de votre vocation hellénique ![5] Après avoir ainsi, en présence des envoyés étrangers, exposé d'une manière pressante à ses concitoyens et à tous les gens présents les sentiments qui devaient animer tous les véritables Hellènes à l'égard de Philippe, il proposa un projet de réponse. Le texte rédigé par lui enlevait sans doute tout souci à Messène et. aux autres villes en leur certifiant qu'Athènes n'avait aucunement l'intention d'aider Sparte à les soumettre derechef au joug ; mais, d'autre part, il exprimait aussi énergiquement la résolution de défendre Sparte contre toute attaque : car c'était un devoir patriotique, auquel Athènes ne se soustrairait jamais, que de protéger partout le droit existant et de s'opposer à toute intervention étrangère.

Il y avait longtemps qu'on n'avait tenu à Athènes de tels comices. La ville d'Aristide semblait être revenue à la vie. Les Péloponnésiens ne purent s'empêcher de reconnaitre la majestueuse attitude d'un peuple ainsi dirigé, et Démosthène atteignit son but le plus prochain, en ce que les dangereuses hostilités se calmèrent dans la Péninsule et qu'on ne donna pas à Philippe de prétexte pour intervenir. Or, comme dans le même temps la tentative des Macédoniens sur Mégare échoua, et que cette ville s'allia à Athènes, laquelle, à ce qu'il semble, l'avait effectivement secourue en bonne voisine[6], Philippe ne crut pas devoir plus longtemps rester témoin inactif d'un esprit d'indépendance qui s'accentuait tous les jours davantage. Il rendit involontairement témoignage au succès de son grand adversaire, en se décidant à envoyer une ambassade à Athènes pour justifier sa politique et protester solennellement contre la suspicion dont elle était l'objet. Il avouait en même temps par là qu'il croyait les gens de son parti à Athènes incapables de jouer ce rôle : ils avaient trop souffert dans leur considération pour pouvoir arrêter l'hostilité croissante de l'opinion à son égard. C'est pour cela qu'il crut opportun d'envoyer un message direct, et il choisit pour le porter un orateur grec, qui s'était formé à Athènes et semblait être un adversaire digne de Démosthène et de ses acolytes. C'était Python, natif de Byzance[7]. Pour donner plus de prestige à sa mission, il l'entoura d'une suite imposante[8]. Il voulait par là non seulement montrer sa puissance dans tout son éclat, mais rendre les autres villes témoins de la manière dont il savait humilier les orateurs du parti libéral d'Athènes.

Il se comportait déjà, au fond, comme un monarque qui fronce le sourcil en voyant dans ses États des manifestations de mécontentement et d'opposition, et fait sentir sa disgrâce à ses sujets lorsqu'ils écoutent des gens qui se sont donné la mission d'attaquer toutes les mesures prises par le roi. Il renouvelle l'assurance de ses intentions bienveillantes. Mais en s'obstinant dans la méfiance, déclare-t-il, on pourrait en effet aboutir à ce résultat, de transformer le bienfaiteur en ennemi. Au lieu de s'élever constamment contre la paix une fois conclue, il vaudrait mieux revoir les traités et les soumettre à un examen approfondi. Il y consentait pour sa part et se déclarait prêt à approuver les modifications qui paraîtraient désirables dans l'intérêt de la république[9].

L'habile et brillant discours de Python ne manqua pas de produire son effet : avoir l'air de céder était le meilleur moyen d'affaiblir les persistantes attaques contre la paix, et les orateurs athéniens amis de Philippe, avec lesquels Python s'était entendu dès l'abord, sentirent leur importance grandir maintenant qu'ils pouvaient s'appuyer sur le message royal, lequel ne faisait que confirmer ce qu'ils avaient toujours dit. Mais leurs adversaires ne se laissèrent pas intimider. Démosthène démontra d'une manière si énergique la fausseté du rôle de Philippe, que les alliés présents durent témoigner publiquement de la vérité de son argumentation et reconnaître que la méfiance des Athéniens était bien fondée[10]. En même temps, Hégésippos accepta la révision des traités offerte par le roi, pour voir jusqu'à quel point il la prenait au sérieux. La paix de Philocrate était basée sur le statu quo des possessions réciproques : chacun devait conserver ce qu'il avait. Cette stipulation, défavorable en soi après les conquêtes du roi, l'était devenue encore davantage par le perfide retard mis à la ratification du traité. Hégésippos proposa donc de modifier la clause du traité qui laissait à chacun le sien, et comme les ambassadeurs ne firent pas d'objection, on crut possible que le roi acceptât cette base et admît comme raison décisive, ne fût-ce que sur certains points, non pas le simple fait de la possession, mais le droit à la possession[11]. On visait surtout l'île d'Halonnèse. Hégésippos démontra qu'il ne pouvait y avoir de paix véritable que si chaque partie reconnaissait les droits de l'autre, et si les stipulations de la paix étaient assurées contre les violations arbitraires. Deuxièmement, si la paix devait être durable, il fallait qu'elle restât ouverte à l'adhésion de tous les Hellènes et que l'indépendance de tous les États neutres fût solennellement garantie. C'est dans ce sens qu'Hégésippos proposa de faire une révision des traités, que le roi avait mise lui-même en avant : c'est sur cette base qu'il fallait négocier avec lui, pour s'assurer qu'il était bien le prince pacifique que Python avait dépeint.

Cette proposition fut adoptée, et l'on décida qu'une ambassade se rendrait à Pella, conduite par l'auteur de la motion. Le roi Philippe la reçut avec un mécontentement non dissimulé. Rien que le choix des députés lui montrait déjà combien l'opinion s'était modifiée à Athènes. Il les traita, même à Pella, comme des adversaires, ne leur accorda pas l'hospitalité et punit même de l'exil le poète Xénoclide, qui les avait reçus chez lui[12]. Il ne daigna pas discuter leurs propositions. Il regarda comme un trait d'impudence criminelle, que l'on osât mettre en question la base de la paix ; que l'on réclamât la restitution d'importantes places maritimes ; que, malgré sa volonté expresse, on voulût admettre d'autres États au bénéfice des traités et créer en face de lui une confédération d'États qui n'avait d'autre but que de le contrarier dans l'exécution de ses desseins. Provisoirement, il se contenta de les renvoyer en repoussant d'une manière offensante leurs prétentions : puis, sans se soucier davantage d'Athènes, où Démosthène livrait bataille à Eschine, il continua tranquillement l'exécution de ses plans, qui avaient pour objet de lui assurer des positions de plus en plus fortes dans tout le cercle des États helléniques.

A ce point de vue, il n'y avait pas pour lui de pays plus important que l'Eubée. C'est de là qu'il pouvait aborder Athènes par son côté le plus vulnérable ; c'est là qu'il trouvait les points d'attaque les mieux situés, qu'il était mettre des approvisionnements d'Athènes et qu'il pouvait s'interposer avec ses forces entre la ville et les Cyclades, dans lesquelles, comme le montre l'exemple de Délos, son parti travaillait déjà activement. Dans l'Eubée, les occasions souhaitées ne lui manquaient pas : car dans toutes les villes de l'île les citoyens étaient divisés, et il y avait lutte entre les partisans de la Macédoine et les patriotes. D'ambitieux chefs de partis mettaient leur espoir dans le roi, pensant qu'avec son aide ils soumettraient les cités à leur autorité ; et tandis que beaucoup d'Athéniens crédules s'accrochaient encore à l'espérance, entretenue par Philocrate et ses amis, que le jour n'était pas loin où la bienveillance de Philippe leur abandonnerait l'île tout entière, ils durent voir que deux des villes principales de l'Eubée étaient transformées en solides points d'appui pour les armes macédoniennes. A Érétrie, le parti national fut expulsé par les mercenaires de Philippe, et Parménion livra cette ville ainsi qu'Oréos, dont le territoire embrassait alors le quart de l'île et qui par sa position dominait les principales voies maritimes, à des tyrans qui y régnèrent à titre de vassaux du roi[13]. Géræstos et Chalcis tenaient encore[14], et cette dernière ville prit alors une importance prépondérante. C'est là qu'il y avait le plus de vie politique, et que l'on conçut le plan d'établir une Union des villes de l'Eubée. Callias, l'un des chefs les plus considérés du peuple, chercha à obtenir dans ce but l'appui de la cour de Macédoine[15] Mais les plans de Philippe n'admettaient pas le moindre mouvement de politique indépendante parmi les Grecs ni l'union de républiques helléniques, et, comme Callias n'était nullement disposé à se soumettre sans condition aux désirs du roi et qu'il ne trouva pas non plus à Thèbes d'appui pour ses projets, il se tourna vers Athènes et se fit autoriser par ses concitoyens à proposer à cette ville une alliance défensive.

L'affaire vint en discussion, peu de temps sans doute après la conclusion du procès de l'Ambassade. Eschine était le représentant des gouvernements amis de la Macédoine dans l'Eubée. Il conseilla de ne pas adopter des propositions qui amèneraient la guerre avec Philippe : pour se servir aussi d'un argument soi-disant patriotique en faveur du rejet, les orateurs de son parti déclarèrent qu'il n'était pas de la dignité d'Athènes de s'allier sur le pied d'égalité avec Chalcis, son ancienne sujette. Mais Démosthène réfuta ces discours et fit conclure avec Chalcis un traité d'alliance offensive et défensive. Ce fut le premier acte de résolution du peuple revenu au courage et à l'amour de la liberté : le résultat de cette manifestation fut d'enlever heureusement au roi la domination de l'Euripe, qu'il croyait tenir déjà dans ses mains.

En même temps le roi, qui ne connaissait pas le repos, était occupé du côté opposé, sur la mer d'Occident. Il avait contracté là depuis plusieurs années avec la maison royale des Molosses des relations intimes qui, comme ailleurs, parurent d'abord amicales et inoffensives, jusqu'à ce qu'il lui plût enfin de dévoiler ses véritables desseins. Arybbas avait été très heureux de voir le puissant prince son voisin demander la main de sa nièce, et il se crut par là assuré dans sa propre position. Mais Olympias avait amené avec elle son frère Alexandre à la cour de Macédoine. Celui-ci avait grandi et était devenu un instrument susceptible d'être utilisé pour faire de l'Épire une cliente de Philippe. Le roi ramena son beau-frère avec une armée dans son pays natal, chassa son oncle avec ses fils[16], et profita de cette occasion pour soumettre les colonies grecques de la côte : il s'avança jusqu'au golfe d'Ambracie[17], et entra en relations avec les Étoliens, la plus énergique des populations de la Grèce moyenne. Il sut les attirer de son côté, en leur promettant par un traité spécial la restitution de Naupacte, qui était tombée autrefois au pouvoir des Achéens[18]. Naupacte était l'antique port qui conduisait dans le Péloponnèse ; elle avait été une des principales stations de la flotte athénienne ; naturellement le roi y attachait une importance particulière, mais dans l'intérêt de ses propres desseins.

Les Athéniens observaient tous les mouvements du roi. Il était évident qu'après l'échec de sa tentative sur Mégare, il cherchait à s'ouvrir une autre entrée dans le Péloponnèse. Ils n'hésitèrent donc pas à envoyer des ambassadeurs dans les pays menacés, pour rendre les Corinthiens et les Achéens, les Acarnaniens, les Leucadiens et les Ambraciotes attentifs au danger qui les menaçait, les inviter à la vigilance et leur promettre des secours[19]. Pour donner du poids à leurs paroles, ils envoyèrent dans le même temps des troupes auxiliaires aux Acarnaniens, leurs anciens alliés[20], et ne craignirent pas de traiter publiquement comme leur ami et d'accueillir chez eux le roi d'Épire expulsé, qui s'était réfugié à Athènes. Enfin, pendant que Philippe était en Épire, ils cherchèrent à soulever la Thessalie ; l'ambassadeur athénien Aristodémos réussit à nouer avec les villes du pays des relations fécondes[21].

Philippe repassa le Pinde en toute hâte et fit sentir aux Thessaliens le poids de sa main. Il voulait enfin les guérir radicalement de leur passion de changement et leur ôter cette illusion, que la guerre de Phocide les eût fait entrer de nouveau dans une période de relèvement national. L'habile monarque profita de la division en districts, que les Aleuades avaient établie dans l'intérêt de la répartition des charges militaires, pour diviser, en respectant en apparence la vieille organisation du pays, toute la région en quatre sections, placer ces lambeaux de territoire désagrégé sous quatre chefs absolument dépendants de lui, et se rendre ainsi maître de la Thessalie et de ses ressources. L'esprit inquiet du peuple ne pouvait pas être courbé avec plus de violence. Il n'y avait plus de Thessalie, et les nombreuses cités helléniques n'étaient plus que des villes dépouillées de tous droits, incorporées à des provinces macédoniennes[22]. Les Aleuades, aussi étrangers alors aux intérêts nationaux que du temps des guerres médiques, consentirent à accepter les tétrarchies qu'on leur offrait.

Il est vraisemblable que de la Thessalie le roi Philippe renoua des relations avec Athènes : il sentait sans doute qu'à propos de la dernière ambassade, il les avait trop brusquement rompues. Mais son vrai but était de lier les mains aux Athéniens par de nouveaux traités : car, à son grand déplaisir, il avait remarqué leur changement d'attitude : il les voyait intervenir très décidément contre lui dans le Péloponnèse, en Acarnanie et même sur le territoire de ses propres alliés, en Thessalie. Les forces militaires d'Athènes étaient toujours supérieures aux siennes sur mer, et pouvaient devenir un obstacle pour l'exécution de ses plans ultérieurs. C'était toujours un bien mauvais signe quand on voyait le roi se rapprocher des Athéniens : car chaque tentative de ce genre précédait ordinairement une de ces entreprises pour lesquelles il craignait à bon droit une résistance du côté d'Athènes.

Le moyen qu'il employa cette fois fut d'envoyer aux Athéniens une lettre qu'il avait rédigée avec beaucoup d'art, de façon à avoir l'air d'accéder avec empressement à leurs vœux, et même de leur offrir plus qu'on ne lui demandait. Il touchait à toutes les questions brûlantes. Il ne voulait pas, écrivait-il, qu'Halonnèse devînt une pomme de discorde : il allait faire don aux Athéniens de cette île, qu'il avait enlevée aux pirates[23]. La Macédoine et Athènes devaient à l'avenir surveiller les mers ensemble et réprimer de concert la piraterie[24]. Il offrait en même temps un traité de commerce qui devait relier plus étroitement qu'auparavant les deux pays[25], et répétait qu'il était disposé à consentir à la révision des points du traité qui étaient désagréables à Athènes : seulement, il protestait contre l'idée qu'il eût jamais eu l'intention de prendre pour base le statu quo existant de fait au moment de la conclusion de la paix[26]. S'il avait précédemment repoussé l'accession aux traités des États qui avaient été neutres jusqu'ici, il ne s'opposait plus maintenant à ce qu'on les accueillît après coup, pour leur donner une garantie de leur indépendance[27]. Quant aux villes que l'on prétendait avoir été occupées par lui après la conclusion de la paix et aux questions territoriales dans la Chersonèse, un tribunal d'arbitres devait en décider[28].

Tels étaient les points principaux de ce substantiel message, dans lequel le roi avait réuni tout ce qui pouvait faire de l'effet sur les Athéniens : apparentes concessions, offres spontanées, sérieuses protestations contre des intentions hostiles. avertissements à l'obstination incorrigible, promesses, menaces..., bref, la lettre offrait un mélange de douceur et de sévérité tel que son auteur pouvait espérer effrayer les uns et gagner ou affermir la bienveillance des autres.

Les ambassadeurs firent ce qui dépendait d eux pour commenter la lettre dans le sens voulu ; ses partisans les aidèrent à accommoder les propositions au goût des Athéniens et en recommandèrent chaudement l'acceptation : ce ne fut donc pas une tâche facile pour les patriotes que de combattre l'effet produit par le message et de faire voter une réponse digne de la république. Cette tâche fut dévolue surtout à Hégésippos, à la mission duquel répondait en réalité cette démarche du roi ; il était l'homme qu'il fallait pour indiquer à ses concitoyens, dans un langage rude, compréhensible à tous et pressant, le vrai point de vue auquel il fallait se placer pour juger les offres de Philippe. D'abord il en appela à la liberté de parole, qui est le droit de tous les Athéniens, et protesta contre l'indiscrétion que se permettait le roi en exprimant sa satisfaction ou son mécontentement à propos de discours prononcés par des citoyens. Il passa ensuite à la question d'Halonnèse. Cette île, dit-il, appartient aux Athéniens, dont le droit de propriété n'a pas été infirmé par une occupation temporaire du fait des pirates. Nous ne pouvons permettre qu'on nous fasse don de ce qui est à nous, ni que le roi dispose suivant son bon plaisir de territoires helléniques, et tranche du généreux à cette occasion en nous infligeant des bienfaits que nous ne pouvons accepter sans humiliation[29].

Quant au tribunal d'arbitres, c'en est fait de la puissance d'Athènes si nous consentons à plaider avec l'homme de Pella au sujet de nos possessions et de nos îles : il n'est pas plus compatible avec l'honneur d'Athènes de partager avec lui la surveillance des mers. Il ne cherche par là qu'à acquérir le droit d'aborder avec ses navires de guerre au point qui lui conviendra. Même le traité de commerce qu'il nous offre n'est qu'un piège. Ce traité est inutile et ne doit servir qu'à faire de la cour de Philippe le tribunal de dernière instance pour tous les intérêts nationaux, tandis que jusqu'ici c'était l'usage de demander à l'assemblée du peuple la ratification suprême de tous les traités conclus avec Athènes.

En ce qui concerne l'offre de réviser les traités, Philippe s'est déclaré au su de tous, par des ambassades antérieures, prêt à consentir à nos projets de modifications. Son projet à lui, Hégésippos, accepté par le peuple, est sans doute en contradiction avec le traité de Philocrate, mais répond seul à la justice et aux véritables intérêts d'Athènes. Si Philippe ne veut pas en entendre parler, cela prouve seulement qu'au fond il ne prend pas au sérieux la révision qu'il offre.

Il en est de même de l'admission des autres Hellènes aux avantages d'un traité dont on les a écartés jusqu'ici. Athènes a cru que cette mesure était juste, et Philippe lui-même reconnaît aujourd'hui la justice de notre réclamation. Il veut donc que l'indépendance des États grecs soit garantie par un élargissement des stipulations des traités : mais en même temps il occupe Phères, s'empare de force de l'Épire, conduit ses troupes contre Ambracie et soumet les colonies de la mer Ionienne. Comment peut-on, en face de tels actes, croire aux paroles du roi, et lui supposer quelque respect pour la liberté des cités helléniques I il se comporte de la même façon dans les affaires de la Chersonèse, où il continue de retenir des propriétés athéniennes, et où une question aussi claire, aussi évidente que celle des frontières de Cardia serait, à l'entendre, portée devant un tribunal d'arbitres.

Démosthène appuya le discours d'Hégésippos et fit surtout observer qu'un tribunal d'arbitres, qui examinerait avec équité et indépendance les questions en litige, était absolument impossible à constituer. Malgré tous les efforts contraires du parti macédonien, le peuple se déclara pour Hégésippos, et les propositions de Philippe furent repoussées comme inacceptables. Ce rejet augmenta singulièrement la tension des rapports : la paix continuait de subsister en apparence, mais de fait elle était abrogée : le peuple s'était à plusieurs reprises déclaré contre les traités existants et avait néanmoins repoussé les modifications désirées par le roi. Cette paix fictive devait donc dans un délai plus ou moins long prendre fin ; ce ne fut pas dans l'Hellade même, mais dans la Chersonèse que la guerre éclata.

La presqu'île de Thrace, quelque éloignée qu'elle fût, avait pourtant avec les Athéniens les relations les plus étroites, car c'était une des plus anciennes et des plus fortes traditions de la politique d'Athènes de considérer celte péninsule comme une partie de l'Attique en pays d'outre-mer, parce qu'elle commandait les routes maritimes du Nord. Sur ce point, le peuple était plus pe1spicace, plus vigilant et plus résolu que sur toutes les autres questions de politique extérieure. On regardait la Chersonèse comme un domaine inaliénable, où l'État avait droit de disposer du sol : de sorte que, même pendant le temps où toutes les relations d'Athènes dans les régions d'outre-mer étaient paralysées, on avait continué, à l'exemple de Périclès, d'y envoyer des colonies de citoyens, pour y faire un sort à des prolétaires et y assurer en même temps la domination athénienne.

Peu de temps avant la guerre Sociale, la situation territoriale y avait été favorablement réglée par les succès de Charès : six ans après, Sestos était conquise, et toute la presqu'ile était terre athénienne, depuis le promontoire méridional jusqu'à Cardia. Dans le pays attenant, on chercha à conserver de l'influence par des relations avec les princes indigènes : Démosthène avait recommandé cette politique comme la plus favorable aux intérêts d'Athènes dans son discours contre Aristocrate.

A mesure que Philippe se consolidait dans la partie supérieure du pays, qu'il faisait de Kersoblepte son vassal, s'alliait avec Cardia et trahissait son intention d'étendre sa domination vers la Propontide et le Pont[30], les Athéniens durent se mettre sur leurs gardes et fortifier de plus en plus leurs positions sur ce boulevard non moins important pour Philippe que pour eux. Aussi, l'année même où l'on agitait à Athènes, à l'occasion de la lettre de Philippe, la question de la révision des traités, on envoya un certain nombre de colons dans la Chersonèse pour y fortifier la colonie[31]. Vu la gravité et la difficulté des circonstances, on choisit pour chef un homme connu pour ses talents militaires et son courage, Diopithe, qui était résolu à ne pas négliger les intérêts de sa patrie et capable d'aller spontanément de l'avant, dans le cas où les autorités locales ne le seconderaient pas.

Le cas se présenta bientôt. Trouvant de la résistance, il sut se procurer de l'argent par des prises maritimes[32] pour enrôler des troupes, et marcha contre Cardia, qui nourrissait des sentiments hostiles et recevait des secours de Philippe[33]. En 341, il envahit même le territoire macédonien, pilla le pays, prit des villes fortes et vendit les prisonniers[34].

Cette audace causa une grande émotion. C'était la première fois depuis la paix que les mesures des Athéniens allaient plus loin que des discours hardis, des réponses négatives, des ambassades brouillonnes et des démonstrations militaires. Philippe éleva aussitôt des plaintes et demanda satisfaction[35], pendant que ses troupes occupaient déjà la Thrace supérieure et qu'il faisait venir des renforts de la Macédoine et de la Thessalie.

L'été suivant, l'affaire fut portée devant le peuple. Les partis étaient aussi divisés que possible. Les partisans de Philippe profitèrent de l'occasion pour attaquer leurs adversaires, qui engageaient avec une criminelle légèreté l'État dans les démêlés les plus dangereux, et qui ne pouvaient se tenir en repos, même quand Philippe était si éloigné des frontières de l'Attique. Ils demandèrent le rappel de Diopithe et son châtiment, pour avoir, sans ordres, rompu la paix sur terre et sur mer[36].

Les faits ne pouvaient être niés : le tout était de savoir comment il fallait les interpréter. Démosthène monta à la tribune pour poser la question à un autre point de vue. La culpabilité ou l'innocence de Diopithe était, selon lui, chose secondaire : il s'agissait d'une situation et non d'une personnalité. Les adversaires ont beau déclarer que la situation actuelle est intolérable, et qu'il faut ou bien déclarer officiellement la guerre à Philippe ou respecter loyalement la paix. Cette décision, dit Démosthène, ne dépend nullement de nous. Philippe prétendait respecter la paix quand il entrait avec son armée à Oréos, qu'il occupait Cardia et rasait les murs de Phères[37]. Quand Philippe s'empare de possessions athéniennes et détruit des villes grecques, ce n'est pas un cas de guerre : mais quand nous-mêmes nous agissons et maintenons quelque part notre rang, on se plaint que le droit est violé. Sont-ce des Athéniens qui jugent ainsi ? Une telle délicatesse de conscience n'est autre chose qu'une trahison. Nous devons être constamment prêts à détourner les coups de Philippe, puisque partout il parait à l'improviste[38]. Et justement aujourd'hui que nos troupes sont à l'endroit voulu, nous irions de notre propre mouvement rendre au roi le service de dégarnir l'Hellespont, et cela au temps où les vents étésiens vont nous empêcher d'y envoyer des troupes, pendant que les siennes s'y rassemblent ! Et ce général, qui montre enfin de la résolution, nous irions le punir, lorsque pourtant ce sont les citoyens seuls qui sont cause que l'on a des reproches à faire à Diopithe ! En effet, ce n'est que parce que nous ne l'avons pas soutenu qu'il a été forcé de se procurer par d'autres voies de quoi entretenir ses troupes[39]. Nous devrions rougir d'envoyer dans tous les États des ambassadeurs qui les excitent à la vigilance contre Philippe, et de ne rien faire nous-mêmes pour nous sauver. Car c'est bien de notre salut qu'il s'agit, nous ne devons pas nous le dissimuler. Nous devons comprendre que Philippe nous hait, nous, notre cité, le sol sur lequel elle s'élève, tous ses habitants, même ceux qui se font gloire aujourd'hui de son amitié, et avant tout notre constitution. Et il a de bonnes raisons pour cela, car il sait bien que, dût-il mettre tout le reste sous sa domination, il n'est assuré de rien tant que subsistera chez nous la souveraineté du peuple : tandis que si un de ces malheurs si nombreux qui menacent un homme venait à le frapper, tous ceux qu'il tient groupés autour de lui par la violence viendraient à nous et chercheraient ici un refuge : car si vous Athéniens, par votre caractère et votre constitution, vous n'êtes aucunement aptes à faire des conquêtes et à fonder une domination, vous êtes faits, en revanche, pour vous opposer à la cupidité des autres, pour leur enlever leur proie et aider tous les hommes à conquérir leur liberté[40].

Comme les Athéniens avaient toujours grand peur des dépenses et des efforts à faire, Démosthène combat ce sentiment ; il les invite à réfléchir au sort qui les attend s'ils ne font pas ce qui est indispensable. Car, dit-il, eussiez-vous un dieu pour garant que Philippe vous épargnera vous-mêmes, si vous restez tranquilles et abandonnez tout : eh bien ! par Zeus et par tous les dieux ! c'est une honte pour vous et votre ville si, par paresse et par apathie, vous sacrifiez la totalité des autres Hellènes : pour moi j'aimerais mieux être mort que de vous avoir donné un tel conseil. Que si un autre vous le dit et vous persuade, soit ! ne vous défendez pas ; abandonnez tout ! Mais nous en sommes au point que personne ne croit à ces belles paroles. Au contraire, nous savons tous que, plus nous le laissons prendre, plus il va de l'avant et plus il devient puissant à nos dépens et pour notre perte. Il faut donc que l'on décide jusqu'à quel point nous voulons revenir en arrière, et quand enfin, ô Athéniens, nous voudrons commencer à faire notre devoir. — Eh oui ! quand la nécessité l'exigera. — Mais ce que les hommes libres appellent nécessité, il y a longtemps que celle-là nous presse ; car pour des hommes libres, il n'y a pas de plus grande souffrance que la honte de voir ce qu'ils sont tous les jours forcés de subir. Pour ce que les esclaves appellent nécessité, c'est-à-dire punition et mauvais traitements, les dieux veuillent que vous ne les connaissiez jamais par expérience ![41]

C'est ainsi que Démosthène expose à ses concitoyens le sérieux de la situation, et qu'il les invite à conserver leurs troupes réunies, à payer l'impôt sur le capital, à unir les États helléniques pour une politique commune et à châtier les hommes d'État qui servent l'ennemi du pays[42].

Cet énergique discours produisit son effet. Les partisans de la Macédoine essuyèrent une nouvelle défaite, et Diopithe ne fut pas rappelé. Mais néanmoins le succès n'était pas suffisant. Après avoir pris une décision intelligente et virile dans ce cas particulier, les Athéniens continuèrent à être faibles dans l'ensemble de leur politique. Ils ne voyaient pas encore d'assez près le danger qui les menaçait : leur imagination n'était pas suffisamment frappée de la réalité. Ils hésitaient encore à renoncer à la douce habitude de la paix, et se disaient toujours que Démosthène voyait les choses trop en noir. Aussi, peu de semaines après son dernier discours[43], remontait-il à la tribune pour leur démontrer d'une manière encore plus pressante qu'en réalité la paix ne subsistait plus, malgré les hypocrites protestations de Philippe et de ses amis ; que, depuis les violences pratiquées en Phocide, c'était constamment à Athènes qu'on faisait la guerre, et qu'aujourd'hui il ne s'agissait ni de l'Hellespont ni de Byzance, mais de leur propre ville et de la Grèce tout entière. Il y a bientôt treize ans, dit-il, que Philippe s'occupe sans relâche, avec une violence qui ne connaît pas de bornes, à faire triompher ses plans de domination partout où il y a des Hellènes. Il a détruit en Thrace plus de trente cités helléniques, de sorte qu'aujourd'hui on foule leur sol sans les reconnaître[44] ; il a usurpé la présidence à Delphes et s'y fait représenter par un de ses valets[45]. Les Thermopyles sont occupées par ses troupes[46] ; la Phocide est anéantie, la Thessalie déchirée et réduite en servitude[47] : dans l'Eubée il a intronisé des despotes : Mégare est menacée ainsi qu'Ambracie et Leucade. Élis et les autres villes du Péloponnèse sont déjà en sa puissance, et il promet Naupacte aux Étoliens ; il a enlevé sans façon aux Thébains Echinos, place frontière de la Phthiotide[48] ; d'une main il touche la mer Ionienne, de l'autre l'Hellespont : il occupe Cardia et marche contre Byzance[49]... et toutes ces usurpations, les Hellènes les regardent tranquillement, comme s'il s'agissait d'une force de la nature, d'un nuage chargé de grêle, dont chacun espère seulement voir ses propres champs épargnés ! Ces mêmes Hellènes, qui autrefois étaient si susceptibles, si jaloux quand une cité hellénique faisait valoir sa supériorité, ils acceptent maintenant d'un misérable Macédonien les injures  les plus outrageantes !

Pourquoi les Hellènes étaient-ils autrefois redoutés des Barbares, tandis que c'est le contraire aujourd'hui ? Ce n'est pas qu'ils manquent de ressources : ce qu'ils n'ont plus, ce sont ces sentiments qui leur permirent autrefois de défendre victorieusement la liberté de l'Hellade contre les forces supérieures des Perses ! Dans ce temps-là, tous ceux qui s'entendaient avec les Barbares perdaient l'honneur, et celui qui se vendait pour de l'argent était l'objet du mépris public[50]. Ce sentiment a disparu : on joue avec la trahison et l'on n'a plus la force de haïr le mal. Est-ce qu'on n'appelle pas à la tribune des traîtres connus de la ville entière, pour parler devant des citoyens qui savent, par l'exemple d'Olynthe et d'autres villes, où cela conduit quand le peuple prête l'oreille aux traîtres et se laisse prendre dans les filets du mensonge[51] ? Si les Olynthiens pouvaient encore délibérer, ils sauraient faire bien des révélations sur ce qui les aurait sauvés de la ruine, s'ils avaient voulu y penser à temps et prendre la chose à cœur. Il en est de même des citoyens d'Oréos, des Phocidiens et des autres victimes de l'ambition de Philippe. Mais il est trop tard maintenant. Aussi longtemps qu'une embarcation, qu'elle soit grande ou petite, peut être conservée à flot, aussi longtemps le batelier, le pilote et tous les autres doivent travailler avec ardeur à ce que personne ne puisse à dessein ou fortuitement la renverser. Eh bien ! citoyens d'Athènes, aussi longtemps que nous sommes intacts, en pos- session de la plus grande des villes, d'immenses ressources, considérés, nous devons faire tout ce qui dépend de nous. Il faut que nous nous mettions en état de défense, bien résolus à lutter pour notre part de liberté, lors même que les autres Hellènes consentiraient à l'esclavage[52]. Il faut que nous fassions connaître publiquement notre résolution, en la notifiant par ambassadeurs au Péloponnèse, à Rhodes, à Chios et à Suse ; car le roi des Perses lui-même ne saurait voir avec indifférence le Macédonien réussir à tout renverser[53]. Mais avant tout, il faut que votre propre résolution soit inébranlable, car il est insensé de se soucier des autres pendant qu'on abandonne sa propre cause : il s'agit avant tout de faire notre devoir nous-mêmes avant d'inviter les autres Hellènes à l'union et à l'action. Voilà ce qui convient à une cité comme la vôtre. Mais si vous, les Athéniens, vous voulez attendre que peut-être les Chalcidiens sauvent l'Hellade, ou bien les Mégariens[54], tandis que vous vous dérobez lâchement à votre devoir, vous avez tort. Tous ces autres se tiennent pour satisfaits quand ils sont personnellement indemnes ; c'est à vous qu'il appartient de faire qu'ils le soient. Vos ancêtres vous ont conquis cette fonction d'honneur, et ont su vous conserver ce patrimoine aux prix des plus grands dangers. C'est ainsi que ce discours complète le précédent et reporte l'attention des Athéniens d'une question de détail sur la situation générale, de la Chersonèse sur l'Hellade entière, de la politique athénienne sur la politique hellénique, qu'il recommande aux Athéniens comme leur propre politique.

La plus puissante des harangues de Démosthène fut aussi celle qui obtint le plus de succès : elle fut décisive sur l'opinion des citoyens, qui peu à peu s'étaient mis de son côté. Le parti d'Eubule ne pouvait plus lui tenir tête : il battit en retraite, et de cette façon la direction des affaires publiques fut remise en réalité aux mains de Démosthène. Les affaires de Thrace eurent la plus heureuse influence. Les entreprises du roi dans ce pays inquiétaient plus les Athéniens que l'occupation de la Phocide et des Thermopyles. Ils pensaient au temps de Lysandre et voyaient pour la deuxième fois la ruine leur venir de l'Hellespont par l'interruption des arrivages de grains. Ajoutons à cela qu'en même temps un esprit meilleur s'éveillait même en dehors d'Athènes : on reconnaissait le danger qui menaçait l'Hellade entière, et la perspective d'une lutte pour la liberté retrempait les courages. Ce résultat est certainement dû en partie aux discours de Démosthène, qui retentissaient au loin : il s'était développé en silence un élan patriotique qui fit que, cette fois, les ambassades qu'on envoya sur le conseil de Démosthène ne furent pas une vaine et impuissante formalité. Elles furent en effet le commencement d'une nouvelle alliance défensive et offensive des États helléniques contre l'ambition de Philippe.

Cette fois encore, Démosthène fut associé personnellement de la manière la plus active à l'exécution des mesures proposées par lui. Dans l'été de 341, il se rendit sur le théâtre de la guerre, sur l'Hellespont, où l'on devait s'attendre à voir se produire les premiers événements décisifs, pour faire ce qui dépendait de lui afin que les Athéniens restassent à leur poste, puis à Byzance[55] : c'était le point le plus important dans la région des mers du Nord, la place qui dominait le commerce entre le Pont et l'Archipel ainsi que le passage d'Europe en Asie.

Ce n'est que par les guerres médiques que Byzance était devenue une ville européenne, et en même temps un membre important de la confédération hellénique qui se forma alors en face du monde oriental. Cependant, de toutes les colonies grecques, Byzance fut toujours celle qui s'était montrée la moins disposée à entrer comme simple membre dans une grande agglomération. Délivrée de toute crainte après l'affaiblissement de l'empire des Perses, elle se consacra tout entière à ses intérêts commerciaux ; comme ville maritime, elle avait des avantages qu'aucune autre ne possédait au même degré. En effet, Byzance n'était pas seulement le centre naturel de la navigation pontique, mais aussi de la pêcherie : et tandis que les autres villes se livraient à cette industrie lucrative au prix de toutes sortes de peines et de dangers, les bandes épaisses des thons, juste au moment où ces poissons étaient arrivés à leur parfaite maturité, étaient poussées par les courants dans le port de Byzance, de sorte que la fortune venait aux Byzantins sans effort de leur part. Ajoutons que Byzance se distinguait par sa solide position péninsulaire, son climat salubre, la fertilité de ses environs, et nous comprendrons qu'il s'y soit développé un orgueil des plus susceptibles, et que certains Hellènes qui y prirent pied solidement, comme Pausanias et Cléarque, s'y soient crus invincibles. Byzance avait déjà cherché, lors de la guerre de Samos, à se détacher d'Athènes. Pendant la guerre du Péloponnèse, Alcibiade restaura la domination athénienne sur le Bosphore. Vinrent ensuite successivement les tentatives des Athéniens, des Spartiates, des Thébains ; mais aucune de ces cités ne fut assez forte pour réaliser entièrement ses prétentions. Les Byzantins en devinrent toujours plus orgueilleux, jusqu'à ce que la guerre Sociale leur offrit l'occasion désirée d'entrer dans les rangs des villes maritimes indépendantes. La marine de Byzance égalait presque à ce moment celle d'Athènes : elle était en possession d'un territoire considérable, avait dans sa dépendance toute une série de stations maritimes sur le Pont et la Propontide, et était en relation avec Périnthe, une des forteresses maritimes les plus fortes de l'ancien monde, une ville qui entretenait une armée de 30.000 hommes. C'est pour cela que le rusé Philippe avait noué des rapports d'amitié avec les Byzantins : il avait su confondre ses intérêts avec les leurs et conclure avec eux une alliance pour combattre en commun les princes de la Thrace.

La tache de Démosthène consistait maintenant à mettre fin à la fâcheuse scission produite par la guerre Sociale, à gagner de nouveau la sympathie de cette fière, hautaine et malveillante cité, de convaincre les citoyens du danger qui les menaçait eux aussi, et de leur offrir l'assistance des Athéniens. Les circonstances lui étaient favorables, car un dissentiment, prévu par Démosthène, s'était déjà :produit entre Philippe et Byzance. Les Byzantins avaient refusé des secours que Philippe leur avait demandés. Ils avaient compris que le voisinage du roi devenait 'plus dangereux pour eux que celui des princes de Thrace qu'il voulait attaquer avec leur concours. C'est à ce moment qu'arriva Démosthène. C'était l'heure favorable où, en face d'un danger commun, il pouvait espérer triompher de l'orgueil récalcitrant et de la vieille méfiance des Byzantins. Les deux villes maritimes les plus puissantes se tendirent la main, et les Athéniens envoyèrent des troupes dans l'Hellespont, à Ténédos, à Proconnésos, pour montrer hautement aux amis et aux ennemis qu'ils étaient résolus à maintenir leur puissance dans les mers du Nord[56].

En même temps, des ambassadeurs allaient à Rhodes et à Chios, où sans doute Hypéride porta la parole pour les Athéniens[57]. Éphialte partait pour Suse, afin de représenter au gouvernement royal les dangers qui menaçaient la sécurité de l'empire perse si les Macédoniens continuaient d'avancer sur les routes maritimes du Nord, et pour proposer en conséquence un traité assurant des subsides à Athènes et à ses alliés[58]. A la cour du Grand-Roi, on ne put se décider à accepter ces propositions : on les repoussa même avec dédain, en rappelant la conduite hostile d'Athènes dans des occasions précédentes. Cependant on ne méconnaissait pas le danger des progrès de Philippe : on observait avec vigilance l'Hellespont, et l'on crut trouver un expédient commode en favorisant sous main la défense athénienne dans la Chersonèse, pour créer ainsi une digue contre l'envahissement des Macédoniens. La Perse envoya en effet des subsides à l'adresse de Diopithe[59]. On dit aussi que les chefs du parti de la guerre à Athènes reçurent de la Perse des dons en argent : il n'est pas invraisemblable d'admettre que l'on suivit alors à la Suse la même politique qu'au moment où avait éclaté la guerre de Corinthe, en ne traitant pas avec les États de la Grèce, mais en mettant à la disposition de certains chefs de partis des sommes dont ils pouvaient user à leur gré.

Pendant le cours do ces ambassades, des mesures très graves avaient été prises en Grèce. Démosthène n'avait pas cessé de fixer son attention sur l'Eubée : car plus l'explosion de la guerre devenait inévitable, plus l'importance de cette île devenait considérable, aussi bien pour Philippe s'il voulait attaquer Athènes, que pour les Athéniens s'ils voulaient défendre leur territoire et mener avec succès les opérations de la guerre. Ce qui avait à ce point de vue une très grande importance, c'était l'amitié qui liait Démosthène avec Callias, le fils de Mnésarchos, lequel se proposait de délivrer d'abord son île et de lui donner l'unité politique sous la direction de Chalcis, sa ville natale. Cet homme d'État avait besoin pour réussir dans ses projets de l'appui des États voisins, et marchait d'accord avec le parti des patriotes à Athènes. Callias est le premier homme d'État non Athénien qui se soit rallié à Démosthène, Chalcis la première ville voisine qui offrit son alliance et no voulut pas seulement se laisser protéger, comme Rhodes, Mégalopolis, etc., mais qui marcha elle-même en avant avec ardeur. De même qu'autrefois, du temps des guerres médiques, Athènes et Sparte avaient marché les premières pour rallier le parti des patriotes, ainsi firent cette fois Athènes et Chalcis : elles furent les premières villes qui conclurent l'alliance et cherchèrent de nouveaux adhérents. De cette façon, la bonne cause prit un caractère hellénique et inspira plus de confiance. Démosthène sut tirer le meilleur parti de ces circonstances favorables : il ne perdit pas de vue le but principal et veilla à ce que le grand succès qu'on poursuivait n'échouât pas à propos de points accessoires, notamment de la situation légale des anciens alliés dépendants d'Athènes. Démosthène et Callias se rendirent ensemble dans le Péloponnèse et dans les pays de l'ouest. Les Acarnaniens, irrités sans doute des traités de Philippe avec les Étoliens, donnèrent leur adhésion[60] : avec eux les Leucadiens, puis les Corinthiens et les Achéens, enfin Mégare. On dressa d'un commun accord des rôles matriculaires pour la constitution d'une force territoriale et maritime[61]. Les Eubéens s'engagèrent à fournir 40 talents, les Péloponnésiens et les Mégariens 60.

Caillas rendit compte devant le peuple athénien du succès de son ambassade, et Démosthène confirma l'heureuse conclusion d'une fédération nationale contre Philippe : on fixa au mois suivant la ratification des traités et la première réunion du nouveau Conseil fédéral sous la présidence d'Athènes[62] On regarda comme de bon augure que, pendant les négociations, la lutte contre l'influence macédonienne eût été inaugurée par un succès : car l'alliance militaire plus restreinte d'Athènes avec Mégare et Chalcis était entrée dans la période (l'exécution. Callias et son frère Taurosthène, avec Céphisophon, le chef des auxiliaires athéniens, étaient partis contre Oréos, qui leur semblait avec raison être le point le plus important, notamment parce que de là la possession des Sporades septentrionales, Sciathos et autres, était menacée. Dès le mois de juin 341 (Ol. CIX, 3), le tyran Philistide était mis à mort et la ville conquise[63]

On n'en mit que plus d'ardeur à accepter les autres propositions de Démosthène. Les députés se réunirent à Athènes au commencement du printemps 340 pour conclure définitivement les traités. Les opinions furent partagées sur la question de savoir si on devait fixer d'avance la quotité des contributions des alliés, ou si les frais de la guerre, qui d'après l'avis d'Hégésippos n'étaient pas de leur nature susceptibles d'être précisés exactement, devaient être répartis après les événements. Mais on arriva sur le point essentiel à une entente parfaite, et un traité définitif d'alliance sous la présidence d'Athènes fut rédigé, avec la signature de l'Eubée, de Mégare, de l'Achaïe, de Corinthe, de Leucade, de l'Acarnanie, d'Ambracie et de Corcyre[64].

A l'instigation de Démosthène, Athènes fit plus qu'elle ne s'était engagée à faire. Il poussait irrésistiblement en avant, afin de hâter l'entrée en activité de la ligue. On envoya de l'argent et des navires aux villes de l'Eubée[65] ; on reprocha plus tard à Démosthène d'avoir, dans son zèle hellénique, lésé les intérêts particuliers de sa patrie. Mais il savait bien ce qu'il faisait. Les avances d'Athènes contribuèrent essentiellement à donner le dernier coup à la paix boiteuse qu'il voulait voir anéantie. On eut l'audace de capturer des navires macédoniens. Jusque dans les îles septentrionales on en vint à des luttes sanglantes. Halonnèse était tombée dans les mains des Péparéthiens, qui y avaient fait prisonnière la garnison macédonienne. Philippe s'en prit à Péparéthos, qu'il fit dévaster ; mais les Athéniens prirent parti pour l'île et ordonnèrent à leurs vaisseaux d'user de représailles sur les propriétés macédoniennes[66].

Les Athéniens étaient comme transformés : ils se mettaient à l'œuvre au dedans comme au dehors sans se laisser arrêter par aucune considération. On arrêta comme espion à Athènes un certain Anaxinos d'Oréos, chargé soi-disant de faire des achats pour la reine Olympias : il fut exécuté[67]. Au dehors, on s'attendait à ce que l'Eubée fût attaquée : il s'agissait donc de renverser aussi vite que possible les autres tyrans qui favorisaient les Macédoniens, notamment Clitarchos d'Érétrie, qui, à l'aide de mercenaires phocidiens, avait lui-même renversé Plutarchos. A Athènes, on déployait le zèle le plus louable ; quarante vaisseaux furent équipés par souscriptions privées ; sous la direction expérimentée de Phocion, Érétrie fut prise, Clitarchos tué, l'Eubée tout entière délivrée[68]. On eut coup sur coup, dans un laps de temps très court, une quantité de succès inespérés. Chacun en particulier n'était pas de nature à donner à Philippe des inquiétudes, mais, pris ensemble, ils témoignaient d'un revirement très remarquable dans l'opinion publique. Les visées les plus hardies de la politique de Démosthène trouvaient maintenant bon accueil auprès des citoyens : le parti de l'opposition, qui avait reçu un nouveau coup par la preuve faite en justice de la connivence d'Eschine avec Anaxinos, était impuissante, tandis que Démosthène était reconnu publiquement comme l'homme d'État dirigeant, et recevait pour la première fois une couronne d'or aux Dionysies sur la proposition d'Aristonicos[69]. La haine nationale contre Philippe avait pris de telles proportions, qu'à Olympie même son nom fut accueilli par une bruyante explosion de malveillance[70].

Les circonstances étaient très favorables au succès de la politique de Démosthène, car Philippe était loin[71] et occupé d'une guerre qu'il ne pouvait interrompre tout de suite pour accourir en Grèce et dissoudre par la force la confédération en train de se former, avant qu'elle n'eût pris des forces. De tout temps Philippe avait poursuivi deux sortes de politique guerrière, l'une avec les Hellènes, l'autre avec les Barbares. Avec les premiers, il cherchait toujours à atteindre un résultat pacifique, au moins dans la forme ; avec les derniers il ne voulait que la conquête, l'agrandissement avantageux de son empire, du butin et le développement progressif de son aimée.

C'est ainsi que Philippe, après avoir réussi, à ce qu'il semblait, à achever la pacification des États grecs, se trouvait dès la troisième année occupé d'une guerre qui avait pour but la conquête de tout un continent, et sa transformation progressive en province de son royaume. La Macédoine devait cesser d'être le pays frontière de la civilisation européenne. L'immense territoire de la Thrace sur les deux versants de l'Hémos, dont la lisière seule était ouverte jusqu'ici, ce pays rempli de grands fleuves, de forêts et de mines, de pâturages et de terres arables, devait passer avec ses peuples sous le joug du roi de Macédoine et lui servir en même temps de pont pour l'acquisition des bords. du Pont-Euxin et pour la conquête de la partie du monde qui s'ouvrait au delà Philippe se consacra entièrement à cette tâche pendant des années, tandis qu'il laissait son fils diriger à Pella les affaires de l'empire. Même en Thrace, Philippe apportait ses idées de politique hellénique, puisqu'il faisait la guerre à des Barbares qui, de temps immémorial, avaient sans relâche inquiété les villes grecques de la côte. Par là il croyait acquérir des droits à devenir le suzerain protecteur des Grecs ses voisins : aussi sur ce terrain même ne repoussait-il aucune occasion d'établir des rapports pacifiques, et cherchait-il de préférence à augmenter le domaine de son empire par des alliances. Mais pour tout le reste, sa manière de faire la guerre différait entièrement de celle qu'il avait adoptée dans les pays helléniques, surtout lorsque, après avoir renversé les dynasties qui régnaient dans la partie inférieure du pays, il eut à guerroyer avec les tribus montagnardes, qu'il rencontrait sur son chemin animées d'un indomptable amour de l'indépendance. Aux alternatives d'une guerre pleine de vicissitudes et aux difficultés d'une conquête interminable se joignaient les horreurs d'un âpre climat et d'un pays sans chemins. Ses soldats étaient obligés d'établir leurs quartiers dans de misérables trous creusés en terre, et des pertes considérables le forçaient à faire venir incessamment de nouvelles troupes de la Macédoine[72].

Mais Philippe ne déployait pas seulement dans ces régions l'activité d'un général ; il s'appliquait à étudier le pays, à se rendre compte de ses ressources, à rétablir l'ordre, à assurer ses conquêtes. Tous ces soins lui prirent des années ; des routes furent construites, des villes élevées, pour protéger les routes terrestres et fluviales et exploiter les mines. C'est ainsi que prirent naissance au cœur du vieil empire thrace une série de colonies macédoniennes, Philippopolis sur l'Hèbre, Calybe et Bine sur des affluents : on y envoya, sous garde armée, dés forçats qui devaient défricher le sol et rendre le pays habitable[73] Depuis le printemps de 342, Philippe fut tellement absorbé de sa personne par tous ces soins, qu'il ne put s'occuper qu'accessoirement de toutes les autres affaires.

Le but principal était atteint : la rude région centrale était soumise, au prix d'immenses efforts et de sacrifices considérables, et le domaine de la Macédoine était triplé : les deux empires du Nord, qui s'étaient développés menaçants au dessus de l'Hellade, les bassins fluviaux de l'ouest et de l'est, étaient enfin fondus en un seul tout. Mais il manquait encore le complément de ce grand travail, à savoir l'annexion des villes grecques de la côte au continent nouvellement conquis. Elles devaient rendre au roi les mêmes services qu'Amphipolis, Potidée, etc., dans ses conquêtes antérieures. Dans ces villes, il n'était pas le maître des routes maritimes, et sa guerre de conquêtes n'avait atteint qu'un résultat essentiellement incomplet : elles l'enfermaient dans l'intérieur du pays. Il avait cherché, mais en vain, à atteindre son but par des traités. Il vit, bien à contretemps, s'éveiller un esprit d'énergique résistance non seulement dans la presqu'île de l'Hellespont, mais encore dans les villes grecques du Bosphore et de la Propontide, et, au lieu d'exécuter pacifiquement ses desseins, il était obligé de commencer sur les routes maritimes du Nord une guerre à laquelle successivement les Perses, les Athéniens et leurs alliés allaient prendre part. C'est dans ces régions qu'éclata d'une manière inattendue la lutte entre l'Europe et l'Asie, et que la paix avec Athènes fut ouvertement rompue après avoir duré sept ans.

Il s'agissait de Périnthe et de Byzance. Les deux villes se refusaient à entrer dans l'alliance de Philippe : ses dernières expéditions dans la Thrace devaient donc être dirigées contre ces villes, afin de les incorporer malgré elles au domaine de l'empire thraco-macédonien.

Périnthe fut attaquée la première[74]. Des tours de siège de 120 pieds de haut furent élevées, pour couvrir les murs de projectiles ; en même temps on creusa des mines pour pénétrer dans la ville par la voie souterraine. Puis on fit venir la flotte, afin de couper le ravitaillement par mer[75]. Philippe tenait avant tout à mener rapidement le siège : il conduisit tous les jours des troupes nouvelles à l'assaut, et malgré la bravoure des habitants, la force de leurs ouvrages de défense, la sûreté de la position péninsulaire et les secours de Byzance, une plus longue résistance devenait impossible, lorsque des secours inattendus arrivèrent de la rive opposée, des secours envoyés par la Perse aux défenseurs de la liberté hellénique.

Les Perses n'étaient pas assez inintelligents pour assister avec indifférence aux tentatives faites par Philippe pour s'emparer des places fortes en face de leur empire : du reste, Éphialte les avait rendus attentifs au danger, et ils avaient certainement fait leur profit de ses avertissements. On est d'autant plus en droit de présumer un effet de l'influence athénienne, que ce fut un Athénien, Apollodoros, qui amena l'armée de secours rassemblée par Arsitès, le satrape de la petite Phrygie, d'accord avec les gouverneurs voisins[76]. Rien que cette coopération de plusieurs gouverneurs nous permet de conclure que l'on avait reçu des ordres du Grand-Roi lui-même[77]. Mais à coup sûr, on le dut surtout à l'habileté du chef athénien si le secours arriva en temps opportun, et si l'on réussit à introduire dans la ville, à travers l'armée des assiégeants, des soldats, de l'argent, des vivres, des munitions et du matériel de guerre. Byzance envoya aussi de nouveaux secours : aussi le roi, qui avait déjà fait brèche dans l'enceinte de Périnthe, rencontra-t-il une si forte résistance dans les maisons et derrière des retranchements de pierre élevés à la hâte, qu'arrivé déjà dans les rues de la ville, il dut battre en retraite, et qu'après avoir subi des pertes énormes et dépensé en vain ses efforts pendant plusieurs mois, il dut se retirer avec le gros de son armée.

Sans perdre de temps, il se retourna contre Byzance qu'il croyait épuisée par les secours envoyés à Périnthe[78]. Mais il trouva la ville plus prête qu'il ne s'y était attendu : ce qui la rendait surtout capable de résister, c'est que les citoyens, qui avaient eu jusqu'ici une grande réputation de licence et d'indiscipline, s'étaient abandonnés entièrement à un homme qui méritait et possédait au plus haut point leur confiance. C'était Léon, un disciple de Platon[79]. Comme général en chef, il était, ainsi qu'autrefois Périclès à Athènes, à la tête de l'État, qui reconnaissait la nécessité de l'unité dans la direction. C'était Léon qui avait obtenu que la ville sœur, menacée la première, fût soutenue au prix des plus grands efforts : c'est sur son conseil que les Byzantins, à l'approche de Philippe, se retirèrent dans leurs murs et refusèrent au roi l'occasion désirée d'une bataille en rase campagne. Léon était plein de confiance dans la situation de la ville et dans la solidité de ses ouvrages. Située sur une presqu'île, baignée au sud et à l'est par le Bosphore et la Propontide, au nord par le bras de mer appelé dès l'antiquité la Corne d'or, elle ne tenait au continent de la Thrace que par le troisième côté, qui était le plus étroit. Des murailles d'une force extraordinaire entouraient toute la presqu'île ; une double enceinte l'assurait du côté de la terre. Mais les plus solides remparts ne pouvaient pas sauver la ville, et il arriva à Byzance ce qui était arrivé à d'autres villes du Nord qui avaient déserté la cause d'Athènes : elle dut mettre sa dernière espérance dans Athènes. Léon, le disciple de l'Académie, contribua sans aucun doute puissamment à établir des communications avec Athènes, et Byzance eut cette fortune particulière, que ce qui avait été négligé ou fait trop tard pour Amphipolis et Olynthe arriva pour elle en temps opportun et d'une manière efficace. C'est que depuis Amphipolis et Olynthe une ère nouvelle avait commencé : il y avait un courant guerrier qui, parti de Démosthène, avait envahi toute la Grèce.

Lorsque Philippe marcha contre Byzance, il était déjà en guerre avec Athènes. Il avait passé sans ménagements sur le territoire athénien, pour aller couvrir sa flotte qui remontait l'Hellespont dans le but d'assiéger les villes : il avait fait capturer des vaisseaux d'Athènes et de ses alliés[80]. Athènes demanda satisfaction. Elle reçut du camp de Périnthe une réponse[81] où le roi se regardait comme l'offensé et traitait les Athéniens de provocateurs qui avaient pris la responsabilité de la rupture de la paix. C'était une querelle de mots, car personne ne pouvait douter que la paix n'eût été violée des deux parts : elle était du reste impossible à maintenir, si bien qu'on n'attendait que le moment d'une rupture ouverte. L'intérêt de Philippe était de la retarder ; aussi essaya-t-il encore une fois d'intimider ses adversaires on formulant nettement dans son manifeste ses dernières conditions : un refus équivaudrait à une déclaration de guerre[82].

Les Athéniens répondirent à cet ultimatum en renversant les stèles du traité de paix et en s'abandonnant avec plus de résolution que jamais à la direction de Démosthène[83]. Il était évident pour tous les Athéniens que l'on ne pouvait pas laisser tomber aux mains du roi les places fortes sur les routes maritimes du Pont-Euxin, surtout Byzance, le marché principal du commerce septentrional ; aussi envoya-t-on au Bosphore sans retard et avec l'assentiment universel le général Charès, qui commandait une escadre dans la mer de Thrace[84]. Les nouveaux alliés, qui attachaient à la délivrance de Byzance un grand intérêt à cause des relations commerciales, Rhodes, Cos, Chios envoyèrent aussi des vaisseaux[85]. On réussit à dégager la ville assiégée du côté de la mer et à forcer la flotte ennemie à se retirer dans le Pont-Euxin[86].

Philippe redoubla d'efforts pour s'emparer de la ville. Tous les jours de nouvelles mines, de nouvelles machines construites par l'inventif Polyidos[87] menaçaient l'enceinte : un pont jeté sur la Corne d'or et des monceaux des pierres noyées sous l'eau tenaient les flottes à distance. Un jour les Macédoniens, favorisés par une nuit pluvieuse, pénétrèrent jusqu'à l'intérieur des murailles : mais les citoyens s'éveillèrent à temps et, à la lueur d'une aurore boréale, dans laquelle ils reconnurent l'assistance d'Hécate[88], ils refoulèrent les ennemis dans leurs galeries de mines.

Au cours de cette lutte, Démosthène réussit à faire envoyer des secours d'Athènes. Ce nouvel envoi était commandé par les circonstances. S'il était vrai que Charès avait fait son devoir en refoulant la flotte ennemie dans le Pont-Euxin et en choisissant habilement en face de la Corne d'or une position d'où il commandait le détroit, il n'était pas cependant l'homme le plus qualifié pour faire de l'alliance de Byzance et d'Athènes une réalité complète. Depuis la guerre Sociale, on conservait à son endroit une grande méfiance. C'est pourquoi, au printemps 339, Céphisophon et Phocion partirent avec une deuxième escadre[89]. Phocion avait été particulièrement recommandé par Démosthène[90], et, ce qu'on n'aurait jamais fait pour un chef de mercenaires comme Charès, on accorda à Phocion l'entrée dans la ville avec la confiance la plus absolue[91]. Dès ce moment, les Athéniens et les Byzantins défendirent dans une concorde fraternelle la ville menacée, qui était une portion du sol commun des Hellènes, et le succès fut tel que Philippe, le cœur ulcéré, dut abandonner aussi ce second siège.

Cependant, il ne quitta pas immédiatement la place. Il fit des marches et contre-marches sur la côte tant que sa flotte fut bloquée dans le Pont-Euxin ; par des dispositions d'une extrême habileté et des feintes de toutes sortes, il sut faire repasser ses vaisseaux d'une manière inexplicable par l'Hellespont et les ramena heureusement chez lui[92] : pendant tout ce temps, il avait parlementé avec les Grecs insulaires et, par leur intermédiaire, avec Byzance elle-même[93]. Puis il partit brusquement et, s'éloignant de la mer avec toutes ses troupes, il remonta dans la Scythie, où il disparut de nouveau pendant quelque temps aux yeux des Grecs. Ce n'est certainement pas un vain caprice de conquérant qui le poussa à faire la guerre à Atéas, le vieux prince des Scythes, dont les bandes en vinrent aux mains avec la phalange macédonienne dans les plaines du Danube[94] : il s'agissait pour lui d'assurer ses nouvelles conquêtes dans la Thrace, d'arrondir le territoire de l'empire vers le Nord, d'explorer les pays du Pont-Euxin et de se rendre compte de leurs ressources. C'est pour cela que Philippe avait déclaré que son but principal avait été d'ériger une statue à Héraclès sur les rives du Danube : ce prétexte indique que son dessein était de réduire en son pouvoir la grande voie fluviale dans un intérêt commercial. Mais il avait certainement aussi devant les yeux le double but de sa politique, qui était non seulement de faire sentir sa puissance aux Barbares de l'intérieur, mais encore d'incorporer par cette voie les cités grecques de la côte à son empire. De même que les colonies éléennes se rattachaient à l'Épire, Périnthe et Byzance à la Thrace, la Scythie avait sur son territoire les villes grecques du rivage occidental du Pont-Euxin : Apollonia, Istros, Odessos, qui tiraient leurs richesses du bassin du Danube. C'est par là que la campagne du Danube se rattache aux luttes sur le Bosphore, et montre la grandeur des plans que Philippe roulait dans son esprit.

 

 

 



[1] DEMOSTH., Pro Coron., § 79.

[2] DEMOSTH., Philipp. II, § 20-26.

[3] Sur le parti macédonien en Messénie et à Argos, voyez DEMOSTH., Pro Coron., § 295. THEOPOMP., fragm. 257.

[4] LIBAN., Argum. in Demosth., Phil. II, p. 64.

[5] DEMOSTH., Philipp. II, § 8.

[6] Il y eut sur Mégare une tentative faite par Périlaos (cf. DEMOSTH., Pro Coron., §§ 48. 295), auquel. Philippe envoie des mercenaires (De falsa leg., § 295) probablement de Phocide (GROTE, XVII, p. 304, trad. Sadous). Le coup est paré par Phocion, qui fortifie Nisæa et restaure les longs murs entre Nisæa et Mégare (PLUTARQUE, Phocion, 15).

[7] ÆSCHIN., De falsa leg., § 125. Sur Python, voyez SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 352.

[8] DEMOSTH., Pro Coron., § 136.

[9] Sur le discours de Python, voyez [HEGESIPP.,] De Halonnes., §§ 21-22.

[10] DEMOSTH., Pro Coron., § 136.

[11] Hégésippos demandait premièrement qu'on substituât à la rédaction ά έχουσιν, la formule έκατέρους έχειν τά έαυτών : deuxièmement, des garanties pour les neutres ([HEGESIPP.,] De Halonnes., §§ 26-29. 30-32).

[12] DEMOSTH., De falsa leg., § 331.

[13] DEMOSTH., Philipp. III, §§ 57-58. Pour Oréos, voyez DEMOSTH., In Aristocrat., § 213. Philipp. III, §§ 59-62.

[14] DEMOSTH., De falsa leg., § 326.

[15] Callias de Chalcis négocie d'abord avec Philippe et les Thébains (ÆSCHIN., In Ctesiph., § 89 sqq.) : il finit par conclure une alliance avec Athènes (ibid., § 91).

[16] DEMOSTH., Olynth. I, § 13. Le nom du roi d'Épire s'écrit Άρύβας (HARPOCRAT., s. v.), Άρύββας (Inscr. dans RANGABÉ., Ant. Hellen., p. 388), Άρύμβας, orthographe régulièrement employée par Démosthène, Diodore, Plutarque et Justin (VII, 6).

[17] [HEGESIPP.,] De Halonnes., § 32. DEMOSTH., §§ 27. 34.

[18] DEMOSTH., Philipp. III, § 34.

[19] DEMOSTH., Philipp. III, § 72.

[20] DEMOSTH., In Olympiodor., §§ 24-26.

[21] SCHOL. ÆSCHIN., III, 83. Cf. SCHÄFER, in Jahrbb. für Philol., 1866, p. 311. On décerna des couronnes aux ambassadeurs (ÆSCHIN., In Ctesiph., § 83).

[22] DEMOSTH., Philipp. III, § 26.

[23] [HEGESIPP.,] De Halonnes., § 2.

[24] [HEGESIPP.,] De Halonnes., § 14.

[25] [HEGESIPP.,] De Halonnes., § 9.

[26] [HEGESIPP.,] De Halonnes., § 18.

[27] [HEGESIPP.,] De Halonnes., § 30.

[28] [HEGESIPP.,] De Halonnes., § 36.

[29] Démosthène ne veut pas non plus d'Halonnèse, si Philippe prétend la donner au lieu de la rendre. C'est ce qu'Eschine appelle ergoter sur des syllabesSCHIN., In Ctesiph., § 83).

[30] DEMOSTH., Philipp. III, § 15.

[31] L'envoi eut lieu άρχοντος Πυθοδότου (PHILOCHOR., fragm. 134).

[32] DEMOSTH., De reb. Cherson., §§ 9. 24 sqq. 28.

[33] DEMOSTH., § 58. Cf. Philipp. IV, § 60.

[34] DEMOSTH., De reb. Cherson., Argum.

[35] Voyez la lettre de Philippe ([DEMOSTH.,] XII).

[36] Il faut dire que les clérouques avaient maltraité aussi des alliés d'Athènes, par exemple, les habitants d'Etœussa (cf. C. CURTIUS, Attische Psephismen in Hermes, IV, p. 407), circonstance dont tirèrent parti les orateurs gagnés aux intérêts macédoniens (DEMOSTH., De reb. Cherson., § 27. 28).

[37] DEMOSTH., ibid.,§§ 56-60.

[38] DEMOSTH., ibid., §§ 6-12.

[39] DEMOSTH., ibid., §§ 13-37.

[40] DEMOSTH., ibid., §§ 40-43.

[41] DEMOSTH., ibid., §§ 49-51.

[42] DEMOSTH., ibid., § 76.

[43] Le discours περί τών Χερρονήσω et la troisième Philippique (dont nous possédons le texte primitif et un remaniement grossi d'additions anciennes) sont les dernières et en même temps les plus grandes harangues politiques que nous ayons de Démosthène.

[44] DEMOSTH., Philipp. III, § 26.

[45] DEMOSTH., Philipp. III, § 32. C'est une allusion à Antipater (LIBAN., IV, 311).

[46] DEMOSTH., Philipp. III, § 32. Cf. De reb. Cherson., § 64. Ce passage, omis dans Σ et considéré comme une interpolation, est réhabilité par H. WEIL, Harangues de Démosthène, p. 331.

[47] DEMOSTH., ibid., § 26.

[48] DEMOSTH., ibid., § 34. La place fut cédée aux Maliens (Hermes, VII, p. 388).

[49] DEMOSTH., ibid., § 34. Cf. De reb. Cherson., § 66.

[50] DEMOSTH., ibid., §§ 36-40.

[51] DEMOSTH., ibid., §§ 55-68.

[52] DEMOSTH., ibid., 70.

[53] DEMOSTH., ibid., § 71. Les ambassades ont toutes été envoyées peu de temps après (SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 450).

[54] DEMOSTH., ibid., § 74. Les Chalcidiens et les Mégariens étaient les alliés d'Athènes (cf. De reb. Cherson., § 18).

[55] Ambassade de Démosthène à Byzance (DEMOSTH., Pro Coron., §§ 87 sqq.). — ÆSCHIN., In Ctesiph., § 256.

[56] DEMOSTH., Pro Coron., § 302. Cf. les décrets honorifiques en l'honneur du peuple athénien (ibid., § 90. 93).

[57] Cf. les fragments des λόγοι 'Ροδιακός et Χιακός d'Hypéride dans SAUPPE, Orat. Attici, II, p. 300. 304.

[58] Vit. X Orat., p. 877. ÆSCHIN., In Ctesiph., § 238. [DEMOSTH.,] Epistol. Philipp., § 6. Sur le nom d'Éphialte, cf. Monatsber. der Berl. Akad., 1870. p. 169.

[59] Le cadeau royal fut envoyé à Diopithe τεθνεώτι (ARISTOTE, Rhet., II, 8).

[60] ÆSCHINE, In Ctesiph., § 97.

[61] ÆSCHINE, In Ctesiph., § 95.

[62] ÆSCHINE, In Ctesiph., § 98. Eschine analyse le rapport de Callias (§ 95-98).

[63] La délivrance d'Oréos eut lieu en Scirophorion Ol. CIX, 3, par Céphisophon, qui était alors cantonné à Sciathos (BÖCKH, Seeurhunden, p. 480. BÖHNECKE, Forschungen, p. 736). Puis ce fut le tour d'Érétrie (Ol. CIX, 4, printemps 340), où Clitarchos est mis à mort (SCHOL. ÆSCHIN., III, 85, 103 éd. Schultz). L'assertion de Diodore (XVI, 74) se trouve ainsi justifiée. Hypéride servit dans cette campagne comme triérarque sur une des deux trirèmes dont il avait fait cadeau à la république (Vit. X Orat., p. 848 e). — BÖCKH, op. cit., p. 442. 498. Cf. SCHÄFER in Jahrbb. für Philol., 1866, p. 26. SCHULTZ, Jahrbb. für Philol, 1866, p. 314.

[64] DEMOSTH., Pro Coron., § 237. Ambracie est mentionnée plus loin (§ 244).

[65] Navires prêtés aux Chalcidiens (BÖCKH, Seeurkunden, XIV c, p. 42 sqq.).

[66] Voyez la lettre de Philippe ([DEMOSTH.], XII, § 12), et DEMOSTH., Pro Coron., § 70.

[67] ÆSCHIN., In Ctesiph., § 223. DEMOSTH., Pro Coron., p. 137.

[68] Vit. X Orat., p. 850 sqq.

[69] Aristonicos, fils de Nicophane (DEMOSTH., Pro Coron., § 83. Vit. X Orat., p. 848 c).

[70] PLUTARQUE, Moral., p. 457.

[71] Philippe était depuis dix mois en Thrace quand Démosthène prononça le discours Sur les affaires de la Chersonèse, qui est de l'an 341 et coïncide avec l'époque des vents étésiens [Juin] (DEMOSTH., De reb. Cherson., § 2).

[72] DEMOSTH., De reb. Cherson., §§ 44 sqq.

[73] STEPH. BYZ., s. v. Φιλιππόπολις. Καλύβη. Πονηρόπολις. SUIDAS, s. v. δούλων. STRABON, p. 320.

[74] PHILOCHOR., fragm. 135.

[75] DIODORE, XVI, 74-76.

[76] PAUSANIAS, I, 29, 10.

[77] C'est ce que dit expressément Diodore (XVI, 75).

[78] Siège de Byzance (DIODOR., XVI, 76-77).

[79] PLUTARQUE, Phocion, 14. SUIDAS, s. v. Λέων.

[80] DEMOSTH., Pro Coron., §§ 73. 139.

[81] [DEMOSTH., XII], Epist. Phil., § 8. Cette lettre de Philippe, insérée à la suite des Philippiques, a été tenue pour authentique par GROTE, BÖHNECKE et RENDANTZ. Elle doit être considérée avec SCHÄFER (Demosthenes, III, 2, p. 110) comme apocryphe, ainsi que la réplique qui s'y rapporte.

[82] DEMOSTH., Pro Coron., § 73. PHILOCHOR., fragm. 135.

[83] PHILOCHOR., ibid. DION. HALIC., Ad Amm., I, 11.

[84] Charès était en station sur la côte de Chersonèse (C. CURTIUS, in Hermes, IV, p. 407).

[85] DIODORE, XVI, 77.

[86] Victoire de Charès à Θερμημερία (DION. BYZ., Anapl. Bospor., III, 14).

[87] Polyidos ό Θετταλός (ATHENÆUS, De machin., dans les Mathematici veteres, éd. Thévenot, Paris, 1693).

[88] STEPH. BYZ., s. v. Βόσπορος.

[89] BÖCKH, Seeurkunden, XIII, c. 100, p. 442.

[90] Auctes adiutusque a Demosthenecum adcersus Charetem eum subornaret (CORN. NEPOS, Phocion, 2).

[91] PLUTARQUE, Phocion, 14.

[92] FRONTIN., Strateg., I, 4, 13.

[93] SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 483.

[94] JUSTIN., IX, 2. Cf. SCHÄFER, ibid., p. 487.