HISTOIRE GRECQUE

TOME CINQUIÈME

LIVRE SEPTIÈME. — LA MACÉDOINE ET LA GRÈCE (362-337 Av. J.-C.).

CHAPITRE QUATRIÈME. — LES DERNIÈRES LUTTES POUR L'INDÉPENDANCE DE LA GRÈCE.

 

 

§ I. — FORMATION DU PARTI NATIONAL.

Ainsi se termina, par des ambassades multipliées et des traités, l'état de guerre qui avait subsisté entre Philippe et Athènes depuis la conquête d'Amphipolis : mais on n'était pas arrivé à une paix véritable. Philippe n'avait pas tout gagné encore : Athènes n'avait pas tout perdu. Aussi, au simulacre de guerre qu'on avait vu traîner pendant dix ans succéda un simulacre de paix maintenue pendant sept années, durant lesquelles se développèrent les germes de la lutte décisive.

Lors de la conclusion de la paix, la situation avait changé du tout au tout. Cette paix avait eu pour but de lier les mains du roi devenues libres par la chute d'Olynthe : tout au contraire, elle avait servi au roi à tenir les Athéniens enchaînés jusqu'au moment où il eut d'une part atteint son but en Thrace, et de l'autre mis en son pouvoir les Thermopyles et la Phocide. Le roi de Macédoine n'était plus une puissance étrangère toujours menaçante à la frontière ; il était transporté au centre du monde hellénique. C'est lui qui présidait le conseil des États grecs, qui tenait occupés les passages dont la confédération avait la garde, et qui était devenu le protecteur du sanctuaire national. Tout un pays grec, la Phocide, si importante par sa position centrale et son énergique population, était à ses pieds avec ses villes détruites. Les races les plus puissantes de la Grèce, les Thessaliens et les Béotiens, étaient rangées autour de lui comme autour de leur général, les Athéniens entièrement isolés, humiliés et gênés dans leurs mouvements par une paix imposée. Les trésors du dieu de Delphes, accumulés depuis des siècles, ces trésors qui employés dans un intérêt national auraient rendu possible un déploiement de forces extraordinaires, avaient été en peu d'années dilapidés pour la perte de la nation. Où restait-il encore une force capable de résistance ?

Néanmoins Philippe n'était pas encore arrivé au but. Delphes avait cessé depuis longtemps d'être le centre d'où l'on pouvait gouverner la Grèce. La Grèce méridionale avait encore toute son indépendance : tous les fils de la vie politique des Hellènes n'étaient pas encore réunis dans la main du roi : il fallait d'abord en attacher dans les cités qui étaient en dehors de la sphère de sa puissance, afin que l'autorité à laquelle il prétendait comme président des Amphictyons devînt une vérité.

Il n'entrait pas dans les intentions de Philippe de procéder par la force, mais de propager son influence tout doucement, d'apprivoiser peu à peu les Hellènes par un traitement habile et de les habituer à sa main. Il ne voulait pas régner en despote, comme c'était l'ambition de Xerxès, mais prendre la direction d'États confédérés, conformément aux traditions de la patrie, comme plusieurs fois Sparte, Athènes, Thèbes avaient tenté de le faire, sans jamais, malheureusement pour la nation, y réussir d'une manière complète et durable. C'était la force de ce peuple même dégénéré, le fruit de sa longue et glorieuse histoire, que son territoire ne pût pas être considéré comme une autre partie du sol terrestre que l'on allait tout simplement conquérir et soumettre dès qu'on était assez fort pour cela, ainsi que Philippe lui-même avait fait sans y regarder de plus près en tant de pays et même dans les territoires coloniaux de la Grèce. La mère patrie demandait d'autres égards et le respect du droit existant, autant du moins que ce respect pouvait se concilier avec les plans de l'ambition macédonienne. Ce n'était pas un caprice ou une faiblesse du roi ; c'était une nécessité historique. La position de sa dynastie dans le monde reposait sur cette civilisation grecque qu'elle cherchait à s'assimiler, et sa politique consistait uniquement à répandre de plus en plus et à exploiter cette civilisation pour ajouter à l'éclat et à la puissance de son empire naissant. C'est pour cela que le roi ne pouvait dévaster la patrie de la culture hellénique et détruire la vie intellectuelle qui y était encore florissante : c'est pour cela qu'il ne pouvait vouloir dominer des Hellènes autrement qu'à la mode hellénique.

Provisoirement, le roi ne pouvait faire autre chose que de traiter avec distinction ceux des États qui ne faisaient pas encore partie des associations récemment contractées, de consolider sa puissance maritime, de mettre hors d'état de nuire les pays alliés dans lesquels se manifestait encore quelque résistance et d'empêcher tout rapprochement entre les États encore indépendants. Si une coalition devait se former, Athènes serait le seul point où elle pourrait prendre naissance. Par sa constitution, par son histoire et son esprit, elle était le foyer de l'hellénisme libre : elle avait gardé des sentiments d'honneur et de justice qui pourraient opposer aux dernières et inévitables exigences de Philippe une résistance désespérée. Le roi le savait, et ce sont ces considérations qui lui dictèrent sa conduite pendant les années suivantes.

Il intervint d'abord en Thessalie pour y briser tout esprit de résistance. Démosthène avait souvent conseillé à ses concitoyens de s'allier avec la Thessalie. Il y avait là un peuple énergique et encore à peu près intact, tourmenté d'un vague désir d'employer sa force, surtout à Phères, où depuis le temps de Jason on était habitué à croire la Thessalie entrée dans une ère nouvelle. On s'était joint sans hésiter à l'armée du roi étranger, pour satisfaire par ce moyen une vieille rancune contre la Phocide. Après avoir atteint ce but, on pensa pouvoir se soustraire à la domination étrangère. Les insensés ne voyaient pas qu'ils n'avaient été que les instruments de la politique de Philippe. Dès les premiers symptômes qui trahirent ce goût de rébellion, le roi procéda avec la plus grande rigueur : il envoya des troupes dans le pays, mit une garnison dans la citadelle de Phères[1] et y institua, à l'exemple de Lysandre, un collège des Dix[2] composé de ses partisans, qui courba l'orgueil des citoyens sous un régime militaire. En même temps, la Thessalie tout entière fut rattachée plus fortement qu'auparavant aux possessions héréditaires de la Macédoine.

Il se présenta même fort à propos au delà de l'isthme des occasions d'étendre l'influence de la Macédoine. Les États péloponnésiens, habitués de tout temps à ne pas avoir d'intérêts au delà de la péninsule, continuaient de vivre dans leur insouciance traditionnelle et ne songeaient nullement, en face de la puissance menaçante qui se formait dans le Nord, à apaiser leurs luttes intestines ou à renoncer à leurs vieilles guerres de voisin à voisin. La jalousie entre Sparte et les États soustraits à son influence continuait toujours ; puis vinrent, pour augmenter le désordre, les mercenaires phocidiens, qui rôdaient çà et là depuis la capitulation de Phalæcos. Partout où ces mercenaires sans emploi se montraient, ils devenaient le fléau du pays ; les haines qui couvaient se rallumaient ; la fureur des partis trouvait l'occasion de se satisfaire par des attentats sanglants, et les plans de l'ambition la plus malsaine pouvaient prétendre au succès. C'est ainsi que le Péloponnèse vit aussi de véritables guerres civiles qui, en fin de compte, ne profitèrent qu'au roi de Macédoine. Celui-ci, toujours aux aguets, tirait parti de chaque mouvement, et ces mêmes mercenaires qui avaient si bien travaillé pour lui dans la Grèce centrale lui ouvrirent encore le chemin de la Péninsule. C'est ce qui arriva en Élide.

L'Élide était un de ces petits États qui, forgeant des plans ambitieux, aspiraient à faire de la grande politique. En leur qualité de possesseurs d'Olympie, les Éléens croyaient être quelque chose de supérieur aux autres Péloponnésiens, et on leur témoignait pour ce motif chez les grandes puissances étrangères des égards particuliers. Mais depuis qu'ils s'étaient brouillés avec Sparte, ils ne pouvaient retrouver dans leur propre pays une situation tranquille : en proie aux divisions des partis et absolument incapables de constituer à eux seuls. une puissance indépendante, ils étaient forcés de s'appuyer sur quelque État étranger et s'attachaient tantôt à l'un tantôt à l'autre. Alliés des Thébains, ils avaient favorisé le rétablissement de Mantinée ; après la guerre d'Arcadie, ils avaient pris parti contre Thèbes, et Sparte, à qui n'importe quel secours contre Mégalopolis était le bienvenu, avait su les attirer de nouveau de son côté en cédant sur la question de la Triphylie. Pendant ce temps, l'aristocratie, qui avait toujours été très puissante dans le pays, avait le gouvernement dans ses mains : le parti populaire était exilé, et ce fut lui qui profita de la présence des mercenaires pour rentrer de force dans la patrie. Il s'engagea une lutte sanglante, dans laquelle le parti de la ville fut vainqueur avec l'aide des Arcadiens. Mais ses chefs, Euxithéos, Cléotimos et Aristæchmos, ne se contentèrent pas de satisfaire leur vengeance de la manière la plus horrible en faisant exécuter 4.000 mercenaires comme sacrilèges[3] : pour éviter le retour d'une révolution, ils engagèrent des négociations avec Philippe qui, enchanté de prendre pied dans le pays du Zeus Olympique, leur accorda avec empressement sa protection[4]. C'est ainsi que l'aristocratie d'Élis devint un parti macédonien et mit le pays sous l'influence de Philippe[5]. Tel fut ce sanglant épilogue de la guerre de Phocide (343 : Ol. CIX, 1).

Philippe eut des succès encore plus faciles dans les États qui, fondés par Thèbes, étaient dès le commencement obligés de subir des protections étrangères et en avaient impérieusement besoin contre Sparte. En effet, aussi longtemps qu'Archidamos fut en état de créer des difficultés par la présence de ses troupes en Phocide, les Spartiates, qui avaient été trompés à Pella comme les Athéniens par des promesses illusoires, fidèles à leur politique à courtes vues, ne cessèrent de menacer leurs voisins et donnèrent à Philippe l'occasion désirée de prendre l'héritage de la politique thébaine. Il y avait neuf ans que Thèbes avait exercé pour la dernière fois sa mission dans la Péninsule : elle la passa alors à son puissant allié, qui se chargea de la protection des villes, envoya des troupes, et intima aux Spartiates l'ordre formel de s'abstenir de toute usurpation. C'étaient là des succès facilement obtenus mais extrêmement importants, qui furent la conséquence naturelle de la guerre de Phocide et de la position prise par le roi dans la Grèce centrale. Les portes de la Péninsule, qu'Épaminondas avait ouvertes de force, laissèrent passer le roi : ses ordres confinèrent les troupes 'lacédémoniennes dans la vallée de l'Eurotas : l'Élide, la Messénie, Mégalopolis ainsi qu'Argos se trouvèrent dans la dépendance du nouveau protecteur[6].

En deçà de l'isthme, le roi dirigea ses vues sur Mégare, ville de commerce alors très riche et très florissante, qui, malgré la proximité de Thèbes, avait su énergiquement maintenir son indépendance. Là aussi, Philippe mit dans ses intérêts le parti aristocratique[7] : puis il étendit de nouveau la main sur l'Eubée, qui était sans protection depuis que les Thermopyles étaient aux Macédoniens et que toute résistance était brisée dans la Grèce centrale[8]. Enfin, il préparait déjà les entreprises qui de l'Épire devaient le rendre maître de la mer Ionienne et du golfe de Corinthe.

La paix avec Athènes fut maintenue, et pourtant toutes les mesures du roi tendaient à entourer cette ville d'un réseau de solides points d'attaque toujours plus rapprochés et à lui couper toutes les communications avec le dehors. Le roi employa ses vaisseaux dans la mer de Thrace, sous prétexte d'extirper la piraterie, à occuper certaines îles, comme Halonnèse[9], et quoiqu'il feignît de ne plus s'occuper des Athéniens, ces derniers ne pouvaient que sentir plus douloureusement leur impuissance croissante en voyant le roi étendre constamment sa puissance sur terre et sur mer, au nord et au sud. Athènes devint plus que jamais le quartier-général des adversaires de Philippe, le seul pays où il restât des hommes pour suivre ses démarches d'un œil vigilant et pour considérer la paix de Philocrate comme une simple trêve.

A l'époque de la conclusion de la paix, Démosthène n'avait pas pu faire écouter ses avertissements : les Athéniens voulaient être trompés ; aussi prêtaient-ils une oreille favorable à des hommes comme Eschine et Eubule. Leur ville avait aussi plus que toute autre des motifs puissants de désirer sincèrement la paix. La paix assurait aux pauvres la jouissance entière des fêtes ; les riches, et les hommes de fortune moyenne qui avaient maintenant à supporter leur part des charges publiques, étaient ravis de n'avoir plus à entendre parler de contributions de guerre et d'armement de navires.

La liberté commerciale des mers n'était pas seulement l'intérêt de l'armateur et du gros négociant, mais de chaque habitant d'Athènes : car, dans une ville obligée de se procurer au dehors la plus grande partie de son blé, le prix des subsistances en dépendait. De plus, Athènes était toujours la place où se trouvaient les meilleurs artistes, fabricants et artisans : on y trouvait tous les articles de luxe ; aussi nulle ville n'avait autant à perdre à la guerre et à gagner à la paix. Après un long blocus, les ports du nord se rouvraient : l'hellénisation de la Macédoine qui marchait à grands pas, l'abondance des capitaux, étaient cause qu'on demandait de plus en plus les produits de l'industrie grecque. La cour de Philippe adressait de nouveau ses commandes à Athènes. Dans la Grèce elle-même, le pillage du Trésor de Delphes avait jeté dans la circulation une masse d'or et d'argent qui avait dormi pendant des siècles. Aussi y eut-il une hausse générale des prix ; la vie devint plus chère, et les Athéniens furent d'autant plus forcés de rechercher les bénéfices du commerce et de l'industrie que le ; ressources locales diminuaient. La destruction de leur empira maritime fut nécessairement un rude coup pour l'aisance de citoyens, et les mines d'argent du Laurion commencèrent à s'appauvrir au moment même où les mines de Thrace produisaient des richesses dont on ne s'était jamais douté. En effet bien que l'auteur du livre des Revenus[10] fasse tous ses effort pour démontrer que les mines d'argent sont inépuisables, on devine pourtant, en voyant les combinaisons artificielles qu'i propose pour encourager l'industrie minière en Attique[11], que les citoyens n'avaient plus une entière confiance dans cette affaire et qu'ils se promettaient peu de bénéfice du percement de nouvelles galeries d'exploitation en dehors de la région fouillée par les ancêtres : l'événement leur donna du reste bientôt raison.

Dans ces conditions, la liberté du commerce devenait d, plus en plus la source principale du bien-être. Qu'ils sont insensés, lisons-nous dans le même écrit, ceux qui pensent que la paix fait perdre à Athènes sa gloire et sa considération ! La république, en faisant la guerre, ne recueillera que des humiliations et des mépris : mais pendant la paix, il n'y a pas de classe d'hommes qui n'ait besoin d'elle. Armateurs et négociants, marchands de grains, producteurs de vin et d'huile, éleveurs de moutons, tous ceux qui font valoir un capital intellectuel, artistes, philosophes, poètes, tous ceux qui veulent charmer les yeux et les oreilles par les jouissances de l'art, bref tous les hommes d'affaires qui cherchent un marché où il puissent acheter et vendre rapidement, tous ont besoin d'Athènes. En résumé, à la guerre Athènes est misérable et faible ; dans la paix, elle est grande et puissante, le centre reconnu du monde civilisé. Aussi sa politique doit-elle être une politique pacifique : elle ne doit pas procéder par la violence ou des prétentions blessantes à la puissance : mais c'est par des bienfaits qu'elle doit chercher à attirer les États voisins : c'est par des ambassades que, sans prodiguer l'argent et le sang, elle doit gagner de l'influence et se procurer des alliés[12]. C'était déjà la politique de congrès, recommandée par Eubule et Eschine : c'est dans ce sens que l'auteur espère que les embarras du côté de Thèbes seront résolus sur le terrain pacifique, et que l'autonomie du temple sera rétablie sans guerre. A ce propos, il mentionne déjà les Phocidiens, qui ont occupé le sanctuaire, et une autre puissance qui voudra s'en emparer après la retraite des Phocidiens. Il ne peut 'entendre par là que les Thébains, qui poursuivaient à Delphes une politique égoïste. C'est ainsi que la politique pacifique d'Eubule, telle qu'elle est exprimée dans l'écrit attribué à Xénophon, étend ses plans et porte ses espérances jusque par delà le début de la guerre Sacrée.

Lorsque cette guerre eut pris fin, on vit naître une nouvelle politique de paix. C'est alors qu'Isocrate écrivit son discours à Philippe.

Lui aussi, il s'élève contre ces démagogues néfastes qui cherchent sans cesse à jeter de nouveau la république dans la guerre, afin de lui reconquérir une position qui est irrémissiblement perdue et qui n'a jamais été un bonheur véritable pour Athènes, parce qu'elle reposait sur l'injustice et qu'il avait fallu la fonder et la conserver par le fer et le sang, au détriment de la véritable prospérité. C'est pour cela qu'il avait déjà maudit la guerre au sujet d'Amphipolis et qu'il avait favorisé de toute manière les négociations pacifiques enfin entamées. Pour lui, il considère la puissance macédonienne comme l'aurore d'un meilleur avenir, d'une nouvelle ère réparatrice. Les républiques helléniques sont irréconciliables : il faut un grand homme, un héros, qui soit placé au-dessus des partis et qui force les États à l'union. La Providence a montré plusieurs fois cet homme à la Grèce : Archidamos, Jason, Denys, semblaient être appelés à cette mission. Enfin, ce grand homme est trouvé : on ne peut douter de sa mission historique ; c'est, comme Archidamos, un prince de la famille des Héraclides. Il est le nouvel Agamemnon, qui doit comme lui conduire les Hellènes contre leur ennemi héréditaire[13]. Il faut se confier à lui et ne pas écouter les orateurs qui le couvrent d'injures et font ainsi à leur patrie le plus grand dommage. S'il a fait du mal à tels ou tels Hellènes, c'est à cause de l'hostilité nourrie par une politique imprudente. C'est la guerre qui est cruelle, non Philippe. C'est ainsi qu'Isocrate rattache au roi toutes les espérances nationales : c'est pour cela qu'il entre en relations personnelles avec lui, qu'il le conjure de ne pas trop exposer sa personne et le prie de ne pas se laisser exciter contre Athènes par ses adversaires. Qu'il fasse de la paix récemment conclue une paix durable : que, sur cette base, il recommence la guerre nationale si longtemps interrompue, et dont le succès est indubitable, car Cyrus et Agésilas ont montré la faiblesse de l'empire des Perses. C'était l'ancienne politique de Cimon, cherchant dans la guerre avec la Perse l'apaisement des querelles intérieures. Cette idée, qui avait fourni à d'autres rhéteurs, notamment à Gorgias et à Lysias, une matière facile pour leurs discours d'apparat prononcés à l'occasion des fêtes, Isocrate lui donna le premier une valeur politique.

Enfin, il existait un troisième parti, qui montrait pour la pais un grand zèle, non par souci de la prospérité générale ou pour des motifs patriotiques, mais par suite de ses rapports avec la cour de Philippe. Nous pouvons affirmer, sans danger de nous tromper, que, dès le temps où l'attitude des citoyens d'Athènes avait attiré l'attention inquiète du roi, c'est-à-dire depuis la querelle au sujet d'Amphipolis, il eut ses gens à Athènes, qui travaillaient dans son intérêt à détourner les citoyens des viriles résolutions, à les confirmer dans leur confiance irréfléchie dans les promesses royales, et à mériter la reconnaissance de Philippe par un dévouement servile. Ils excitaient et exploitaient tous les mouvements d'opinion qui pouvaient servir les desseins de Philippe, aussi bien dans le sens de la guerre que dans celui de la paix : plus la puissance de Philippe se rapprochait, plus leur audace grandissait. Philocrate allait jusqu'à se vanter devant le peuple de l'argent reçu, et étalait ouvertement l'aisance qu'il devait à la faveur du roi ! Les autres étaient plus prudents. Pourtant Eschine aussi avait reçu des propriétés en Macédoine[14] : lui aussi maintenant se proclamait publiquement le partisan de Philippe et attendait sa récompense du même homme qu'il avait attaqué peu de temps auparavant comme le pire ennemi de sa patrie. Ces hommes et ceux de leur coterie, Pythoclès, Hégémon, Démade[15], se comportaient maintenant comme si tous les autres étaient ses dupes, tandis qu'eux seuls étaient les véritables hommes d'État et les politiques les plus influents du jour.

C'est ainsi que nous trouvons à Athènes, après la conclusion de la paix, trois tendances politiques que nous pouvons caractériser par les noms d'Eubule, d'Isocrate et de Philocrate, trois partis qui, malgré la différence de leurs points de vue, s'accordaient à regarder la paix nouvellement conclue comme un bonheur pour la ville, et à représenter tous ceux qui en menaçaient la durée comme des ennemis de la patrie. Isocrate, dans son Philippe, s'élève contre ceux qui font tapage à la tribune[16], contre les envieux du puissant monarque, qui travaillent sans relâche à le rendre suspect, qui sèment le désordre dans les villes, regardent la paix générale comme un piège tendu à la liberté, et qui parlent comme si la puissance du roi grandissait non pour l'Hellade, mais contre elle : comme si, après le règlement des affaires de la Phocide, il n'avait d'autre but que de subjuguer la Grèce tout entière, et autres folies, qu'ils proclament avec un tel accent de certitude qu'on dirait qu'ils savent tout des meilleures sources[17]. — C'est ainsi qu'un patriote athénien, le chef respecté d'un grand parti, osait caractériser la politique de Démosthène, pendant que les partis vendus n'étaient pas moins injustes envers lui, en le rangeant parmi les esprits inquiets qui rendaient si difficile la tâche généreuse du roi et l'empêchaient d'exécuter tous ses bienveillants desseins en faveur d'Athènes.

Cependant Démosthène n'était pas aussi abandonné, ni sa position aussi intenable qu'on pourrait le supposer. Son activité n'avait pas été dépensée en pure perte, et sa considération personnelle avait grandi. Tandis que le vieil Isocrate, qui avait vu de ses yeux toute la misère de la guerre du Péloponnèse, regardait l'histoire de la république athénienne comme un cycle terminé qui ne pouvait plus se recommencer, une jeune génération avait grandi sur laquelle les paroles enflammées de Démosthène avaient produit leur effet. Les événements du jour venaient du reste à son aide, car ils servaient au moins à ouvrir les yeux de tous et à dissiper de fausses espérances. Comment pouvait-on encore s'abandonner à l'illusion de croire qu'on parviendrait à arrêter le roi par des ambassades et une entente pacifique, comme le prétendaient les hommes d'Eubule ! Pour ce qui est des espérances d'Isocrate, la dévastation des villes phocidiennes suivit de près l'envoi de son dernier discours : c'était la réponse du roi à ses paroles : les scènes de terreur dont la péninsule chalcidique avait été témoin s'étaient renouvelées au cœur de la Grèce. Un esprit sensé pouvait-il encore se laisser séduire par l'idée que Philippe ne voulait réellement que conduire les Hellènes à des exploits nationaux ? Quant aux autres partisans de Philippe, qui prenaient de grands airs, comme s'ils avaient eu déjà partie gagnée, leur trahison devait exciter le mépris dans toutes les classes qui avaient conservé le sens du civisme hellénique. Les moins coupables d'entre eux s'étaient dévoilés aux yeux du peuple comme des hommes égoïstes, sans caractère, des girouettes politiques, des entremetteurs suspects, qui avaient trompé leurs concitoyens à plusieurs reprises par leurs promesses mensongères. Comment pouvait-on encore leur laisser quelque influence sur les affaires publiques !

En face des trois partis pacifiques, la considération de Démosthène ne pouvait donc que grandir, et c'est ainsi que, immédiatement après la grave défaite subie par sa politique, sa personnalité s'éleva plus haut que jamais au milieu de ses concitoyens. Il gagna la confiance non seulement de la jeunesse, mais des citoyens d'un âge mûr. On savait que la Macédoine attachait plus de valeur à sa voix qu'à celle de n'importe quel orateur : aussi l'indépendance de son caractère inaccessible à toutes les tentations et l'inébranlable solidité de ses convictions personnelles lui gagnèrent-elles l'estime de plus en plus profonde du peuple. Lui seul s'était resté fidèle à lui-même : seul il ne cessait de travailler pour la cité : en relation avec les négociants de la Thrace, de la Macédoine, de la Thessalie[18], il avait toujours l'information sûre et le mot juste : si lui-même avait cru pendant quelque temps à la possibilité d'une paix loyale, il était revenu maintenant à une appréciation plus juste de la situation. Si néanmoins, à l'occasion de la dernière ambassade, il avait de nouveau conseillé la paix, ce discours pacifique n'était lui-même au fond qu'une incitation à la guerre, mais à une guerre préparée avec réflexion, à une guerre dans laquelle on n'aurait pas contre soi la coalition militaire qui existait encore ; une guerre qu'on ne ferait pas contre les récentes innovations amphictyoniques, lesquelles disparaîtraient naturellement une fois que la puissance de Philippe serait brisée, une guerre enfin où l'on engagerait dans des conditions plus favorables la lutte pour les intérêts essentiels d'Athènes, pour les biens sans lesquels elle ne pouvait vivre.

La préparation de cette lutte décisive était le but que Démosthène avait poursuivi avec une persistante énergie. Il s'agissait donc maintenant de convaincre les citoyens de son absolue nécessité, de nouer des relations, d'augmenter les forces militaires.

Les ressources de la ville étaient toujours considérables[19]. L'État n'était pauvre que par la mauvaise organisation de ses finances : mais la population était relativement riche, et Démosthène pouvait en toute confiance crier à ses concitoyens : Contemplez, Athéniens, votre cité ! Elle renferme autant de richesses, je puis le dire, que toutes les autres villes réunies[20]. Le dévouement à la chose publique n'était pas éteint encore. On cite des hommes, comme Nausiclès et Diotimos, qui se distinguèrent par les sacrifices qu'ils firent comme triérarques pour l'armement des navires[21]. Dès la conclusion de la paix, on s'était mis à l'œuvre pour compléter les ports de guerre, pour construire de nouveaux hangars et élever un arsenal qui, sous la direction de l'architecte Philon, devint l'objet de l'orgueil patriotique des Athéniens[22] : on vota dans ce but depuis 347 (Ol. CVIII, 2) une somme annuelle de 10 talents[23] : les riches métèques contribuèrent généreusement aux dépenses[24]. Eubule avait la surintendance des travaux.

En même temps, on s'occupa aussi sérieusement d'améliorer la situation intérieure, conformément aux idées émises déjà dans le livre Sur les revenus. Mais on ne s'en tint pas à de simples projets ; on mit la main à l'œuvre, en adoptant un certain nombre des points de vue indiqués dans l'écrit précité. On travailla notamment à une réforme de la justice, et l'on fit une loi d'après laquelle les affaires judiciaires dans lesquelles les lenteurs de la procédure étaient particulièrement nuisibles au commerce, comme les procès commerciaux et maritimes, devaient être réglées dans le délai d'un mois[25]. On ne visait pas seulement les intérêts commerciaux, mais on cherchait aussi à extirper des abus profondément invétérés. Ainsi on procéda avec une grande rigueur contre ceux qui étaient soupçonnés d'avoir fait des tentatives de corruption sur les citoyens dans l'assemblée populaire et les tribunaux. Un certain Démophilos se distingua à ce propos par son zèle patriotique : ce même homme d'État proposa en 346 (Ol. CVIII, 3) une révision générale des listes des citoyens[26]. Cette mesure avait sans aucun doute pour but de débarrasser la ville d'étrangers sans conviction et peu sûrs, et en général d'opérer un relèvement de l'esprit public : c'était une mesure de tendance aristocratique, comme dans le temps la loi d'Aristophon sur le même objet.

A ces mesures se rapporte aussi une innovation au règlement de l'assemblée du peuple, dans laquelle l'indiscipline tapageuse avait fait de déplorables progrès[27]. La direction des débats avait passé des prytanes aux proèdres, c'est-à-dire à une commission de neuf membres, tirés au sort parmi les tribus non représentées dans le collège des prytanes en fonction[28]. On adopta alors un système nouveau et l'on désigna pour chaque séance de l'assemblée une des dix tribus, qui prit la responsabilité au point de vue de l'ordre et des convenances : elle eut sa place dans le voisinage de la tribune, afin de protéger l'orateur contre toute avanie : c'était une commission de discipline prise au sein même des citoyens[29]. On voulait par là raviver les sentiments d'honneur dans l'assemblée et contrecarrer les desseins de ceux qui voyaient avec satisfaction la décadence croissante des assemblées, parce qu'ils y trouvaient la confirmation de leur opinion, qu'une démocratie comme celle d'Athènes était absolument incapable d'une politique indépendante et féconde. Il n'est pas invraisemblable que dans le même temps on ait rendu à l'Aréopage une plus grande influence sur la vie publique, et qu'on lui ait confié de nouveau de pleins pouvoirs pour procéder, notamment contre le crime de haute trahison, avec toute la sévérité nécessaire[30]. Ainsi nous constatons qu'après l'humiliation causée aux Athéniens par la paix de Philocrate et la perte de la Phocide, on fit sur bien des points les efforts les plus honorables pour améliorer la situation publique et pour corriger les abus de la démocratie, préoccupation qui s'était manifestée de même après la domination des Trente. Il y avait donc encore une race de citoyens capables, aux idées saines, pénétrés de l'amour du bien public et ne désespérant pas de l'avenir de la patrie. Il fallait maintenant réunir en un faisceau les hommes animés de sentiments patriotiques et les diriger.

Démosthène, par caractère, était tout l'opposé d'un homme de parti. C'était un esprit indépendant au plus haut degré : il avait l'habitude de suivre sa propre voie et avait confiance clans la force de la vérité, à laquelle, en définitive, les citoyens ne pourraient se dérober toujours. Il était donc inévitable que ses idées se rencontrassent sur plus d'un point avec celles des anciens partis. C'est ainsi qu'il avait en commun avec le parti béotien le culte de la Constitution, un énergique esprit d'entreprise, et la résolution de ne pas permettre à Sparte de prendre la prépondérance. D'un autre côté, il se rapprochait de la politique d'équilibre de Callistratos et partageait son antipathie pour la Béotie : cette antipathie n'avait du reste fait que grandir après les négociations des Thébains avec la Perse et pendant la guerre de Phocide. Dans son discours pour Mégalopolis, il affirme que la politique athénienne doit avoir surtout pour but de ne laisser grandir ni Sparte ni Thèbes, et dans le discours contre Aristocrate il va jusqu'à regarder les dissensions entre Hellènes comme un bonheur pour les Athéniens. Mais peu à peu, ses vues changent du tout au tout. Plus la situation devient sérieuse, plus Athènes, comme du temps des guerres médiques, devient le quartier général de tous ceux qui aiment la liberté : toutes les considérations étroites à l'égard des États voisins reculent de plus en plus à l'arrière-place ; l'idée nationale devient de plus en plus puissante, et elle produit un parti nouveau qui vient se ranger autour de Démosthène.

On vit s'associer à lui des hommes qui, sous l'influence de ses discours et de ses actes ou par leur propre initiative, poursuivaient les mêmes buts, des hommes chez lesquels vivaient des sentiments d'un temps meilleur, des orateurs et des hommes d'État d'un caractère véritablement républicain qui, comme Démosthène, avaient l'œil ouvert sur tout ce qui intéressait l'honneur d'Athènes, au près et au loin. Parmi eux nous trouvons Hégésippos de Sounion, autrefois partisan de Léodamas, un ardent patriote qui dès 357 avait insisté pour que l'on gardât Cardia[31], lorsqu'on abandonna cette ville importante : animé des mêmes sentiments, il avait poussé les Athéniens à une alliance énergique avec les Phocidiens, tant que ces derniers avaient été capables de résister, et il avait lutté de tout son pouvoir contre la paix de Philocrate. A côté de lui, nous trouvons des personnalités plus importantes encore, Lycurgue et Hypéride.

Lycurgue, fils de Lycophron, était un peu plus âgé que Démosthène : il appartenait à l'antique famille sacerdotale des Étéoboutades[32] : c'était un noble Athénien, dans le meilleur sens du moi. Cet homme, au cœur généreux, fidèlement attaché aux traditions de sa patrie, était comme un monument d'un glorieux passé au milieu du présent, auquel il n'était pourtant ni étranger ni hostile : il était modéré, par conséquent disposé à la conciliation, quoiqu'il fût exigeant pour les autres comme pour lui-même[33]. Ennemi de toutes les habiletés, véridique, simple de cœur et religieux, patriote jaloux de l'honneur de son pays, il était, ne fût-ce que pour ce dernier motif, un adversaire décidé de la Macédoine, quoiqu'il n'appartint pas au parti populaire et qu'il eût plutôt des tendances aristocratiques. C'était une nature idéaliste. Il s'abandonnait avec une sorte d'ardeur mystique aux impressions de la vieille poésie ; il comprenait les arts plastiques, admirait Platon[34], mais ne se laissait pas détourner d'une participation active à la vie politique. Il fit de consciencieuses études pour développer son talent oratoire et employa l'influence qu'il conquit par là à faire hardiment la lumière sur les vices du gouvernement, à stigmatiser la trahison et l'immoralité, à réclamer le respect de la tradition et à demander que, dans la république comme dans les maisons bourgeoises, on conservât la discipline et le bon ordre.

Hypéride, fils de Glaucippos, était aussi d'une famille considérée[35] et un ardent défenseur de l'indépendance nationale ; mais, pour tout le reste, il était l'opposé de Lycurgue. C'était, en effet, une nature sensuelle, sans consistance morale, voluptueuse et dissolue ; il sut pourtant, comme Alcibiade, conserver sa force d'intelligence. Homme d'esprit, né orateur bien plus que Lycurgue, il savait rapidement et habilement grouper ses idées, trouver l'expression frappante, vivante, naturelle : il avait l'esprit mordant. A ces hommes venaient s'en ajouter d'autres, comme Polyeucte de Sphettos[36] Callisthène, qui après la destruction des villes de Phocide invita les Athéniens à mettre la ville et le pays en état de défense[37], Aristonicos d'Anagyre, Nausiclès, qui étant stratège avait défendu les Thermopyles, Diotimos le patriote et enfin Timarchos, fils d'Arizélos, un Athénien d'une activité peu commune, qui avait été chargé souvent de missions publiques, et dont la politique était tout à fait celle de Démosthène, comme le prouve son projet de loi de l'an 347/6 (Ol. CVIII, 2), dans lequel il établissait la peine de mort contre tous ceux qui feraient passer au roi des agrès ou des armes[38]

C'est ainsi que Démosthène, qui pendant de longues années avait été isolé, se vit entouré d'un groupe considérable de citoyens animés des mêmes idées que lui. Le sérieux de la situation avait produit son effet. Les exigences du moment étaient si claires et si évidentes, que des hommes des tendances les plus diverses, aristocrates et démocrates, philosophes et gens du monde, natures idéalistes, caractères pratiques, s'entendirent sans se concerter. Sans doute, comme c'est inévitable dans l'histoire des partis, il vint s'y joindre bien des éléments qui y étaient déplacés : des personnalités équivoques se joignirent au pur Démosthène. C'était pourtant un grand progrès que, à la place de l'indifférence stupide qui avait régné si longtemps, il s'élevât dans Athènes des antagonismes énergiques. En face des trois partis pacifiques, il y avait maintenant un parti patriotique qui regardait Démosthène comme son champion.

Mais, plus le parti national grandissait à Athènes, plus la lutte entre lui et ses adversaires devenait inévitable. Il n'était plus possible de permettre aux partisans du roi de se présenter comme d'honnêtes gens devant l'assemblée. La conscience publique avait besoin pour s'éclairer que l'on fit la distinction entre le juste et l'injuste. Pour cela, il fallait l'intervention des tribunaux, qui étaient chez les Athéniens en connexion si intime avec la vie publique, et dont on était habitué à attendre les arrêts comme des décisions définitives, même dans les dissentiments politiques. C'est dans des procès publics que devaient être reprises les discussions qui n'avaient pu trouver leur conclusion dans l'assemblée du peuple : c'est par un arrêt de la justice qu'il devait être établi que le peuple avait été trompé de la manière la plus odieuse par ses plénipotentiaires, pour obliger enfin les citoyens à se débarrasser définitivement de guides aussi coupables. Les procès des ambassadeurs n'eurent donc pas pour cause un mesquin sentiment de vengeance, ni des intrigues personnelles ; ils n'étaient pas davantage des vexations inutiles à propos d'événements acquis et immuables : c'étaient des luttes indispensables pour fixer clairement la position des partis, et pour montrer sous leur vrai jour les auteurs de la paix comme la paix elle-même.

Démosthène donna le signal en demandant des comptes à Eschine. La forme usitée voulait que, dans le délai de trente jours après l'accomplissement d'une mission officielle, la cour des comptes demandât à tous les citoyens de faire leur déclaration, dans le cas où le fonctionnaire aurait manqué à ses devoirs. Démosthène déposa une plainte, et demanda à être admis avec Timarchos, le cosignataire de sa plainte, à faire la preuve qu'Eschine avait dans ses fonctions d'ambassadeur manqué à ses devoirs et à sa conscience[39].

Il avait toutes sortes de raisons pour compter sur un succès ; mais il s'était associé avec un homme qui n'avait de commun avec lui que l'intérêt immédiat du parti, et. dont la collaboration nuisit à l'affaire. Timarchos était un homme de mœurs dissolues, qui avait offensé publiquement les convenances, et quoique ces défauts de caractère n'eussent rien à démêler avec la cause dont il s'agissait, Eschine n'en sut pas moins tirer parti avec beaucoup d'habileté de cette circonstance. Il ramassa avec ardeur tout ce qu'il put trouver d'histoires scandaleuses dans la jeunesse dissolue de Timarchos, et, dans son zèle hypocrite pour la vertu, il l'attaqua avec tant de vigueur, qu'il le fit condamner à la déchéance de ses droits civiques. Il en résulta que la plainte fut déclarée irrecevable et que non seulement Eschine grandit en considération aux yeux de beaucoup de citoyens, mais encore que l'association de Démosthène avec un homme aussi immoral jeta sur sa personne et sur sa cause un jour défavorable[40]. La manœuvre du parti avait parfaitement réussi. Les amis de Philippe reprirent confiance, et le roi, sans aucun doute, ne négligea pas d'encourager ses partisans par toutes sortes de promesses. Ils osèrent de nouveau se prononcer publiquement pour lui : Eschine lui-même, dans son discours contre Timarchos, fait déjà des allusions aux bienveillantes intentions de Philippe et s'élève à cette occasion contre Hégésippos[41] et contre Démosthène, qu'il signale comme un homme dangereux pour la république et exerçant sur la jeunesse une action funeste[42]. Tout le discours était un discours de parti ; Eschine se trouvait sur son véritable terrain, jouant le rôle de prédicateur de vertu avec tout le pathétique appris à la scène, et il sut repousser avec succès sous ce masque les attaques du parti national.

Mais ce succès ne pouvait amener de résultat décisif : ce ne fut qu'une trêve. Même après la condamnation de Timarchos, Démosthène maintint son accusation, et s'il ne la reprit pas immédiatement, ce fut seulement pour attendre des conjonctures plus favorables à la continuation du procès. Le succès de semblables luttes juridiques, devant le jury composé comme il l'était à Athènes, dépendait uniquement de l'opinion des citoyens, et Démosthène pouvait être assuré que sous peu il se passerait bien des choses qui rendraient évidente la culpabilité d'Eschine. Celui-ci était déjà suffisamment suspect pour avoir élevé une opposition lorsque Démosthène s'était offert à rendre des comptes après la deuxième ambassade : Eschine avait prétendu alors que pour cette ambassade il n'était pas nécessaire de rendre des comptes particuliers, parce qu'elle n'était que la continuation de la première et que les députés avaient conservé le même mandat[43]. Cette manière de voir fut, comme on pouvait s'y attendre, repoussée par l'autorité compétente, qui probablement reçut les comptes de Démosthène et des autres ambassadeurs[44], tandis que la plainte contre Eschine resta en suspens.

Les années qui suivirent ne furent pas favorables à la considération d'Eschine. Un fait surtout jeta sur lui un jour odieux, c'est qu'il prit la défense d'un certain Antiphon, que Démosthène avait fait arrêter parce qu'il était expressément suspect d'avoir noué avec les Macédoniens des relations criminelles et d'avoir traîtreusement offert, en échange de l'or de Philippe. d'incendier les hangars du Pirée[45]. Eschine prétendit que la conduite de Démosthène, qui n'avait certainement agi qu'en qualité de fonctionnaire, était une usurpation inconstitutionnelle, une violation de la liberté civile et du droit de domicile : il sut gagner l'assemblée du peuple et obtenir la mise en liberté du coupable, quoique ce dernier eût été rayé des listes de citoyens. Mais l'Aréopage, que nous voyons ici pour la première fois agir avec des pouvoirs spéciaux, intervint à propos de cette décision : Antiphon fut arrêté de nouveau. amené devant les jurés, convaincu et exécuté[46].

Le parti macédonien reçut un nouveau coup de la main d'Hypéride. En effet, ce dernier traîna devant les tribunaux Philocrate, le plus audacieux, le plus outrecuidant et le plus imprudent de tous les Macédoniens du camp athénien. L'affaire ne fut pas traitée suivant la procédure habituelle, mais portée immédiatement devant l'assemblée du peuple sous forme d'είσαγγελία ou de dénonciation, dans le but de soulever tous les citoyens contre un orateur populaire qui leur donnait des conseils contraires aux intérêts de la république et recevait une solde de l'étranger[47]. On démontra le mal qu'avaient fait à l'État les rapports mensongers de l'ambassadeur Philocrate ; et comme la conviction était faite sur la valeur du personnage, il ne put, malgré l'assistance d'Eschine, éviter le coup porté contre lui. Il dut se déclarer vaincu avant le prononcé de la sentence ; une fois en exil, il fut convaincu des crimes les plus graves et condamné à mort[48].

Quoique après cet événement Eschine eût prétendu n'avoir jamais eu d'accointances avec le condamné, Démosthène avait déjà, durant le procès même, saisi toutes les occasions de prouver le contraire et de convaincre les citoyens qu'il méritait la même peine. Sa considération avait fort souffert de la chute de Philocrate et de ses relations avec le traître Antiphon : nous en trouvons la preuve lorsqu'il s'agit dans une autre occasion de choisir, parmi les orateurs athéniens, un homme sûr à qui l'on pût confier une mission officielle d'un caractère tout particulier.

Dans les Cyclades et même à Délos, l'île la plus intimement alliée à Athènes, il s'était formé par des influences macédoniennes un parti qui s'élevait contre les prétentions d'Athènes à la domination : on y contestait même le droit de cette dernière à l'administration du sanctuaire de Délos. Le mouvement était certainement en corrélation avec les efforts que faisait le parti macédonien pour gagner pendant la paix de plus en plus de terrain autour d'Athènes, et pour saper peu à peu ce qui restait encore de puissance à la république en dehors de son territoire. Il devait entrer tout particulièrement dans les desseins de Philippe de prendre là aussi la direction d'un sanctuaire national, comme il avait réussi à le faire à Delphes et comme il le désirait certainement pour Olympie. Ce qui démontre la réalité de cette intrigue, c'est que les Déliens étaient conduits par un partisan macédonien, Euthycrate, le même qui avait trahi Olynthe, et qu'ils proposèrent de faire trancher le débat à Delphes : c'était en effet une excellente occasion de donner au nouveau Conseil fédéral une importance politique, et de faire de l'ombre de Delphes une puissance dans la Grèce. Athènes n'était pas en situation de repousser la proposition des Déliens, et il importait de trouver l'homme capable de défendre la cause d'Athènes devant le tribunal fédéral. Le peuple choisit Eschine, qui semblait être l'orateur né pour toutes les affaires amphictyoniques. Mais ce choix dut paraître extrêmement dangereux à tous les patriotes. Comment, avec Euthycrate pour adversaire, pouvait-on confier les intérêts les plus sacrés d'Athènes à un homme qui était lui-même un partisan de la politique de Philippe et son instrument, et cela devant un tribunal qui était sous l'influence macédonienne ! Aussi le parti national mit-il tout en œuvre pour infirmer la résolution des citoyens, et il réussit à faire renvoyer la décision de cette affaire électorale à l'Aréopage. Celui-ci réforma la première élection et choisit comme avocat d'Athènes Hypéride qui, dans le procès contre Philocrate, avait prouvé la noblesse de ses sentiments ainsi que son énergie. Celui-ci se montra absolument digne de la confiance qu'on lui témoignait, et, comme Philippe ne jugea pas opportun de faire triompher sa cause par la violence, les Athéniens obtinrent, à la suite du discours Déliaque prononcé par Hypéride à Delphes, un arrêt qui reconnaissait de nouveau solennellement leurs droits[49].

Après cette nouvelle défaite d'Eschine, Démosthène crut que le moment était arrivé de reprendre de son côté le procès qu'il se regardait comme obligé en conscience de mener jusqu'au bout. Il ne s'était pas départi un instant de son attitude et n'avait négligé aucune occasion de désigner publiquement son adversaire comme un traître et un ennemi de la patrie. Il s'agissait maintenant de faire endosser ce jugement par le peuple.

On devait croire la chose facile à obtenir : car, si Philocrate était un traître, Eschine ne pouvait pas être innocent, quoique maintenant il désavouât son ancien ami. Mais le succès était ici beaucoup plus incertain. Eschine était un homme rusé et prudent, qui ne s'était jamais compromis comme le lourd Philocrate : il était un modèle de distinction et de convenance, tel enfin dans toute sa personne qu'on ne pouvait le soupçonner d'un acte déshonorant. Il avait du reste conservé un parti puissant, parce qu'il était l'organe le plus éloquent du parti d'Eubule : comme orateur et comme politique, il était resté le favori du peuple. Aussi Démosthène n'employa-t-il pas contre lui la dénonciation devant le peuple, comme Hypéride l'avait fait contre Philocrate ; il le cita devant le bureau des comptes, et même là, il ne demanda pas une pénalité déterminée mais entreprit seulement de démontrer la conduite malhonnête de l'ambassade, abandonnant au tribunal que le bureau convoquerait la fixation de la peine[50].

Quoique Démosthène eût choisi la voie régulière de la procédure criminelle, cependant l'affaire n'était pas de sa nature propre à être traitée d'une manière strictement juridique : il ne s'agissait pas en effet de la violation de lois déterminées, mais de tendances antipatriotiques dans l'accomplissement des devoirs d'une mission de confiance, d'une versatilité dans les idées politiques qui ne pouvait s'expliquer que par des influences extérieures, et de l'attitude déloyale d'Eschine en face de ses concitoyens. Il y avait des faits connus de tous, qui rendaient inutile toute démonstration. Le peuple tout entier pouvait témoigner qu'Eschine avait débuté comme ardent patriote ; que le séjour à Pella l'avait transformé ; que depuis ce temps il avait toujours agi dans l'intérêt de Philippe et trompé les citoyens par des promesses mensongères. Démosthène est cependant obligé de convenir que son adversaire a pu être trompé lui-même et avoir transmis de bonne foi à ses concitoyens les promesses du roi. Mais en ce cas, Eschine une fois détrompé aurait dû quitter avec indignation le parti de Philippe. Loin de là, il était resté fidèle à ses relations avec lui ; il avait participé le plus gaiement du monde aux fêtes données par le roi à l'occasion de sa victoire sur les Phocidiens, à la ruine desquels il avait collaboré lui-même. La conclusion nécessaire était donc qu'il avait trompé sciemment ses concitoyens dans les affaires les plus importantes, et qu'il avait à dessein fait son possible pour amener une paix avantageuse pour Philippe, mais honteuse et funeste pour les Athéniens.

Si claire que fût au fond cette question à laquelle Démosthène attachait tant d'importance, on comprend qu'il était très difficile, avec un homme comme Eschine, de déterminer la mesure de la culpabilité, de distinguer exactement entre la faiblesse et la volonté criminelle, et de démontrer la trahison dans des faits déterminés. Démosthène combattait dans la personne d'Eschine tous les traîtres, dont le nombre croissait tous les jours dans la Grèce : il se laissa emporter par son zèle indigné, et l'exagération même de ses accusations tourna au bénéfice de son adversaire. En effet, quand il le signalait comme l'homme qui avait livré les Thermopyles et amené le roi au cœur de la Grèce, quand il lui attribuait la ruine de la Phocide et la défaite de Kersoblepte, le tranchant de l'arme maniée par l'accusateur s'émoussait aisément dès qu'on arrivait au détail. Eschine pouvait démontrer que la capitale du chef thrace avait déjà succombé avant le départ de l'ambassade, et que les tyrans de la Phocide étaient eux-mêmes les auteurs de leur désastre. Il pouvait nier les entretiens secrets avec Philippe, qu'on lui reprochait sans preuves suffisantes : il pouvait surtout montrer qu'il était injuste de le mettre en cause à propos de tout, plus que les autres, et de le traiter comme s'il était seul responsable des actes de Philippe et de la pais conclue avec lui. Mais ce qui rendait surtout la position d'Eschine favorable, c'est que les attaques personnelles contre lui étaient en même temps des attaques contre la paix, qui devaient effrayer les citoyens pacifiques. La condamnation d'Eschine eût été, en effet, quelque chose comme une nouvelle rupture avec Philippe, une résolution indirecte du peuple de rétablir son honneur entaché par la paix.

Eschine était parfaitement homme à exploiter les avantages de sa position dans toute leur étendue. Semblable à un habile lutteur, il échappe aux étreintes de son redoutable adversaire : au lieu de s'engager dans une justification sérieuse sur le fond même de l'accusation, il profite de chaque faiblesse de celle-ci, raille l'excès de responsabilité qu'elle veut faire peser sur sa pauvre tète et regarde tout ce procès comme une lutte entre des opinions politiques de couleur opposée, lutte dont la place n'est pas devant un tribunal. A l'entendre, il est, vis-à-vis du farouche agitateur qui l'accuse, le bouc émissaire du parti qui cherche à conserver la paix aux Athéniens et qui s'est toujours signalé par ses bienfaits, qu'il s'agit de la prospérité intérieure de la ville ou de sa constitution[51]. Il prend texte de la bonne opinion que l'on a de sa personne à Athènes pour montrer que les crimes qu'on lui reproche sont inconciliables avec son caractère. Il déploya tous les artifices de l'éloquence, tout le charme de sa voix qui remuait les cœurs. Du reste, il avait l'avantage de parler le dernier : de sorte que son adversaire n'eut pas l'occasion d'effacer l'impression qu'avait faite son éloquence. Enfin, des hommes aussi considérés qu'Eubule et Phocion prirent sa défense[52], si bien que la lutte mémorable des deux grands orateurs d'Athènes finit, quatre ans après son début, par l'acquittement d'Eschine lavé de l'imputation d'avoir manqué à son devoir et déchargé de toute sa responsabilité[53].

Ce n'était pourtant pas une victoire, bien au contraire. L'acquittement ne fut prononcé que par trente voix, et tous ceux qui connaissaient la situation avaient bien que cette majorité n'avait pas été convaincue de l'innocence d'Eschine, mais qu'elle s'était formée sous l'influence de causes extérieures, d'opinions, de considérations et de points de vue complètement étrangers à la question juridique proprement dite. Malgré son échec, Démosthène n'eut pas lieu de regretter la peine que lui avait donnée cette lutte : en effet, dans la partie la plus saine de la population, sa considération n'avait fait que grandir, et le public y avait gagné une vue plus nette de ce qui était juste ou injuste.

 

 

 



[1] DEMOSTH., De Halonnes., § 32. Cf. Philipp. III, § 12.

[2] DEMOSTH., Philipp. II, § 22. Cf. De falsa leg., § 260.

[3] DIODORE, XVI, 63.

[4] DEMOSTH., De falsa leg., § 260. Pro Coron., § 295.

[5] Alliance entre Élis et Philippe (PAUSAN., V, 4, 9).

[6] DEMOSTH., Pro Coron., § 64. De falsa leg., § 261.

[7] DEMOSTH., De falsa leg., § 295.

[8] DEMOSTH., De reb. Cherson., § 36.

[9] DEMOSTH., De Halonnes. (Argum., p. 75).

[10] Le traité intitulé Πόροι ή περί προσόδων, qui nous est parvenu sous le nom de Xénophon, date d'une époque où Philomélos commandait encore les Phocidiens. La guerre Sociale vient seulement de prendre fin (ibid. 5. 40. 42. 5, 12), et l'auteur pense qu'au moyen de négociations diplomatique les Athéniens, sans prendre part à la guerre Sacrée qui a déjà commencé, pourraient réussir à faire évacuer Delphes par les Phocidiens et à garantir l'autonomie du sanctuaire avec le concours des autres Amphictyons, si quelqu'un, les Thébains par exemple, essayait de s'en emparer (ibid., 5, 9). Le temple, sous le régime de Philomélos, n'a pas encan été dépouillé de sorte qu'une médiation, si on avait recours à ce moyen, aurait encore chance de succès. — La question de date el matière à controverse : tout récemment, L. HOLZAPFEL (Ueber die Abfassungszeit der dem Xenophon zugeschriebenen πόροι, in Philologus, XLII [1882], p. 242-269) a proposé la date de 347/6.

[11] [XENOPH.], De Vectig., 4, 27.

[12] [XENOPH.], De Vectig., 5.

[13] ISOCRAT., Philipp., § 76. Isocrate développe sa pensée ailleurs et fait sous le nom d'Agamemnon le portrait de Philippe (Panathen., § 72-76).

[14] Eschine avait des propriétés dans le territoire d'Olynthe (DEMOSTH., De falsa leg., § 146), et Philocrate dans la même région (ibid., § 114 sqq. 146).

[15] Pythoclès (DEMOSTH., ibid., § 225) : Hégémon, Démade ([DEMOSTH.,] In Aristogit., § 47).

[16] ISOCRATE, Philipp., § 129.

[17] ISOCRATE, ibid., §§ 73. 75.

[18] Sur les nombreuses relations de Démosthène avec les Grecs domiciliés ou voyageant en Macédoine, en Thrace, en Thessalie, cf. DEMOSTH., De reb. Cherson., § 14, et REHDANTZ, ad loc.

[19] BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 635.

[20] DEMOSTH., De Symmor., § 25.

[21] SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 309.

[22] BÖCKH, Seewesen, p. 67 sqq.

[23] Environ 58.940 fr.

[24] Cf. C. CURTIUS in Philologus, XXIV, p. 288.

[25] Cette procédure expéditive en matière commerciale est recommandée par l'auteur des Revenus (ch. 3, 3) ; elle a été mise en vigueur avant la délibération sur Halonnèse (DEMOSTH., De Halonnes., § 12).

[26] Διαψήφισις sur la proposition de Démophilos (ÆSCHIN., In Timarch., § 77. SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 289).

[27] ÆSCHIN., In Ctesiph., § 4. Cf. In Timarch., §§ 57-58.

[28] Sur les πρόεδροι, cf. VISCHER, Epigraph. Beiträge aus Griech., p. 63.

[29] C'est la φύλη προιδρεύουσαSCHIN., ibid.). Cf. F. SCHULTZ, Demosthenes und die Redefreiheit, p. 21.

[30] MEIER-SCHÖMANN, Att. Prozess, p. 344. On rencontre à cette époque — comme on le verra dans le récit — diverses commissions extraordinaires dont on charge l'Aréopage.

[31] DEMOSTH., De Halonnes., § 43. C'est Hégésippos qui avait proposé le décret rendu en 357 (Ol. CV, 4) au sujet des affaires d'Eubée (RANGABÉ, Antiq. Hellén., II, 391 et 392. Cf. KÖHLER in Hermes, VII, p. 166).

[32] Sur Lycurgue, voyez la Vie des Dix Orateurs, p. 852 a.

[33] DIODORE, XVI, 88.

[34] Lycurgue était un disciple de Platon (OLYMPIOD., Schol. in Gorg., p. 515 d).

[35] Hypéride était fils Γλαυκίππου τοΰ 'ρήτορος : cependant on reconnaît qu'il était de haute extraction à la sépulture de famille qu'il avait en face de la porte des Chevaliers (Vit. X Orat., p. 849).

[36] Polyeucte est le promoteur d'un décret décernant des éloges à des envoyés de Neapolis (SCHÖNE, Griech. Reliefs, p. 23. KÖHLER in Hermes, VII, p. 167).

[37] DEMOSTH., De falsa leg., § 86.

[38] Sur les hommes d'État du parti national, voyez SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 298-312.

[39] Il s'écoula trois ans entre le γραφή et les débats (DION. HALIC., Ad Amm., I, 10. DEMOSTH., De falsa leg., Argum. II).

[40] Sur le procès de Timarchos, voyez SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 315 sqq.

[41] Hégésippos est traité de ΚρώβυλοςSCHIN., In Timarch., §§ 64 [cf. SCHOL., ibid.] 71. 110.

[42] ÆSCHIN., ibid., § 170 sqq.

[43] ÆSCHIN., De falsa leg., § 123.

[44] DEMOSTH., De falsa leg., § 211.

[45] On trouve mentionnés ailleurs des attentats commis par des traîtres sur les arsenaux du Pirée (cf. ARISTOPH., Acharn., 918). Il n'est guère croyable que Philippe ait payé un homme pour faire le coup ; mais il est possible qu'Antiphon ait voulu gagner par là un supplément de gratification. BÖCKH (Abhandl. der Berl. Akad., 1834, p. 12) rattache ce fait à la διαψήφισις.

[46] DEMOSTH., Pro Coron., § 132 sqq. C'est cet acte d'énergie que Plutarque appelle σφδρα ριστοκρατικν πολτευμα (PLUTARQUE, Demosth., 14).

[47] HYPERID., Pro Euxenipp., § 20 sqq.

[48] ÆSCHIN., De falsa leg., § 6. In Ctesiph., § 79.

[49] Sur le procès relatif à Délos, voyez DEMOSTH., Pro Coron., § 134. Cf. BÖCKH, Abhandl. der Berl. Akad., 1834, p. Il sqq.

[50] Il s'agit de πρεβείας εΰθυναι (DEMOSTH., De falsa leg., § 103) devant les Logistes, chose bien distincte de l'είσαγγελία παραπρεδείαςSCHIN., De falsa leg., § 139). Cf. SCHÄFER, Demosthenes, II, p. 358-390.

[51] ÆSCHIN., De falsa leg., §§ 171 sqq.

[52] ÆSCHIN., De falsa leg., § 184.

[53] En voyant que, treize ans plus tard, dans les discours pour et contre Ctésiphon. les deux adversaires traitent ces mêmes questions sans faire d'allusion expresse à un procès antérieur, on a conçu des doutes sur la réalité de ce procès, doutes qui se trouvent déjà exprimés dans l'antiquité par Plutarque (Vit. Demosth., 15) et qu'a soulevés tout récemment encore O. HAUPT (Leben des Demosthenes). Les deux plaidoyers ne seraient plus à ce compte que des pamphlets. Sur les contradictions relevées entre ces discours et les discours postérieurs, voyez L. SPENGEL, Demosthenes' Vertheidigung des Ktesiphon, 1863. En admettant que les discours de l'Ambassade aient été publiés à l'état de pamphlets écrits, cela ne veut pas dire pourtant que le procès n'ait pas eu lieu ; il faut songer que, sur l'issue du procès, nous avons le témoignage précis d'Idoménée : cependant Idoménée assure qu'Eschine ne fut absous qu'à la majorité de trente voix (PLUTARQUE, Demosth., 15).