HISTOIRE GRECQUE

TOME QUATRIÈME

LIVRE SIXIÈME. — THÈBES AU RANG DE GRANDE PUISSANCE GRECQUE (379-362 AV. J.-C.).

CHAPITRE DEUXIÈME. — GUERRES OFFENSIVES DE THÈBES.

 

 

§ II. — APOGÉE ET FIN DE LA PUISSANCE THÉBAINE.

Dans l'intervalle, le Péloponnèse n'était pas resté le seul théâtre de la guerre : Thèbes avait en même temps trouvé dans le nord aussi une importante carrière à son activité, notamment en Thessalie.

La Thessalie était depuis longtemps un pays étranger pour la Grèce : avec ses familles de dynastes qui tenaient leur cour dans les villes et sa masse de population non libre qui cultivait les campagnes, elle formait un monde à part, qui n'entrait qu'accidentellement en contact avec les États grecs, quand il s'y produisait des mouvements particuliers qui ébranlaient l'organisme du pays et éveillaient l'attention des Grecs. Ces mouvements émanaient soit de potentats qui aspiraient à un surcroît de puissance, soit des paysans qui se révoltaient contre leurs seigneurs. Dans la première catégorie se place la lutte qui, après la bataille d'Œnophyta, amena une intervention d'Athènes. A ce moment, Oreste, fils d'Échécratidas, un puissant dynaste de Pharsale, avait sollicité le secours des Athéniens[1], et ce fut une date brillante dans la courte domination d'Athènes sur le continent quand elle fit marcher ses troupes avec les Béotiens et les Phocidiens sur Pharsale, pour y paraître en arbitre et étendre son influence jusqu'à l'Olympe. L'agitation en Thessalie pendant la guerre du Péloponnèse eut un caractère démocratique, et l'on en tira parti à Athènes pour gagner de l'influence. Mais ces relations ne donnèrent pas plus de résultat que l'entreprise antérieure. L'intérêt des Athéniens n'était pas d'ailleurs de favoriser sans réserve les progrès de la démocratie en Thessalie, puisque, depuis fort longtemps, ils avaient conclu avec les dynastes des conventions qui leur procuraient des mercenaires.

Mais les familles dynastiques elles-mêmes étaient désunies, et nous trouvons quelques-uns de leurs membres à la tête du parti populaire, qui s'insurgeait contre la noblesse, par exemple Polymède et Aristonous qui, au début de la guerre du Péloponnèse, vinrent au secours d'Athènes[2]. Tous deux appartenaient au parti qui se posait en ennemi du gouvernement existant. Cet état de scission et de querelles de parti se prolongea durant toute la période de la guerre du Péloponnèse, et nous voyons certains chefs de parti, vaincus chez eux, chercher du secours au dehors et mêler ainsi des États étrangers aux affaires intérieures de leur pays. C'est ainsi que Hellénocrate, de Larisa, se tourna vers le roi de Macédoine Archélaos[3], et Aristippos vers Cyrus, qui lui envoie de l'argent pour lever des troupes et se maintenir à Larisa[4].

Les anciennes relations avec Athènes étaient naturellement oubliées à cette époque. Par contre, Sparte reprit avec une nouvelle ardeur après la défaite d'Athènes ses :efforts pour gagner de l'ascendant en Thessalie. Elle recouvra la ville d'Héraclée, qu'elle avait fondée contre les Athéniens, à la limite méridionale de la Thessalie, mit une garnison à Pharsale[5], et établit sa domination sur les tribus du sud de la Thessalie. Ces entreprises aussi coïncident sans aucun doute avec des troubles intérieurs.

En effet, vers la fin de la guerre du Péloponnèse, de nouveaux mouvements avaient éclaté en Thessalie dont les conséquences furent beaucoup plus importantes que par le passé. L'impulsion partit de Phères, vieille ville située dans la partie sud-est de la grande plaine de Thessalie, à quatre lieues de la mer où elle possédait le port jadis si renommé de Pagase. Là surgit un prince qui conçut la pensée de faire de son État le centre de la Thessalie entière ; c'était Lycophron. Sa politique visait au renversement des anciennes maisons nobles des Aleuades et des Scopades à Larisa, Pharsale et Crannon ; sa puissance reposait sur le peuple qui jusqu'alors avait vécu dans la sujétion, et, par ce motif, sa domination fut qualifiée de tyrannie. Il remporta en septembre 404 une grande victoire sur les Lariséens[6] ; c'est lui qui réduisit à l'extrémité dans Larisa même cet Aristippos de la famille des Aleuades, et sans doute il fut appuyé par Sparte dans ces attaques contre les cités thessaliennes. On s'explique ainsi pourquoi, dans la guerre de Corinthe, les États coalisés contre Sparte prirent aussi parti contre le tyran et envoyèrent des mercenaires au secours du dynaste de Larisa, Médios[7]. On réussit alors à enlever aux Spartiates Pharsale aussi bien que Héraclée, et la défaite d'Haliarte leur ôta toute influence en Thessalie.

Mais Lycophron sait se maintenir sans secours étranger ; il parvient à conquérir Pharsale pour son compte. Les mercenaires de Médios y sont surpris et massacrés ; ce fut une journée dont les horreurs émurent toute la Grèce ; on laissa couchés par tas en plein champ les cadavres des mercenaires étrangers, si bien qu'on racontait que tous les corbeaux de l'Attique et du Péloponnèse s'étaient réunis à Pharsale[8].

Les plans de Lycophron furent exécutés par Jason, son successeur dans la tyrannie et probablement son fils[9], homme d'une intelligence extraordinaire, et tout à fait propre, grâce à sa connaissance exacte des affaires du temps et à son infatigable énergie dans l'acquisition et l'emploi de nouvelles ressources, à agrandir un petit État. C'était un homme à la façon de Thémistocle, mais, en dépit de sa sagacité intellectuelle et de sa naissance princière, d'une affabilité séduisante et dégagé de raideur et d'orgueil nobiliaires. Il possédait au plus haut degré la finesse, que l'on considérait en général comme un trait caractéristique des Thessaliens et pour laquelle les intrigues sans fin des partis constituaient une bonne école : il n'était pas non plus trop scrupuleux dans le choix de ses moyens, mais il savait modérer son ambition. C'était un homme d'esprit chevaleresque, exempt de caprices de tyran, se dominant lui-même, et juste. Il avait une haute idée de sa mission, et une véritable culture intellectuelle était, à son sens, la première condition pour la remplir. Il était familier avec les cercles les plus distingués de la société athénienne, ami de Timothée[10] et d'Isocrate, admirateur et disciple de Gorgias.

Ce n'est pas une ambition ordinaire qui l'animait ; il démêlait dans la situation de son époque un appel fait à sa personne et à son peuple, appel auquel il voulait répondre. La Grèce avait besoin d'un État assez fort pour jouer le rôle de chef-lieu, si elle ne voulait pas s'épuiser en querelles intestines et tomber dans une complète dépendance de la Perse. Les races du nord, avec leurs forces encore intactes, paraissaient appelées surtout à cette prépondérance. Les Macédoniens et les Épirotes étaient trop étrangers aux Grecs et à un degré trop inférieur de civilisation. Mais la Thessalie était, en définitive, la patrie des rameaux les plus nobles de la race grecque, le siège le plus ancien de ses communes institutions religieuses et politiques. Riche comme elle l'était en ressources de toutes sortes, il ne fallait à la Thessalie qu'une organisation nouvelle, l'abolition de l'ancien régime nobiliaire, source d'interminables contestations, l'unification des éléments nationaux par une maison princière imbue de la civilisation grecque, et le plus grandiose avenir semblait assuré au peuple thessalien ; car les États secondaires, qui s'insurgeaient contre Sparte, ne pouvaient d'aucune façon se mesurer contre la Thessalie unifiée[11]. Qui donc pourrait alors disputer à Jason l'honneur de diriger les Hellènes ?

Mais, pour disposer les différents États à renoncer par amour de l'union à leur complète indépendance et à surmonter leur répugnance pour une autorité monarchique, il fallait pouvoir montrer en perspective de la gloire pour la nation, des victoires et du butin ; Jason prétendait y arriver en conduisant de nouveau les Hellènes contre la Perse[12], Ainsi, unification de la Thessalie, une Grèce une depuis l'Olympe jusqu'en Crète, et une guerre médique sous les auspices de la Thessalie, tels étaient les desseins de l'audacieux prince de Phères : du même rivage d'où les Grecs d'Europe avaient jadis lancé leurs vaisseaux à la mer, du berceau des Minyens, semblait partir aujourd'hui le signal d'un nouvel ordre de choses pour la Grèce.

En Thessalie, on comptait plusieurs sortes de tribus sujettes. Il y en avait qui étaient soumises à des cités isolées ; d'autres qui payaient tribut à l'ensemble des villes dominantes ; d'autres enfin qui ne reconnaissaient que pour la forme et temporairement la souveraineté des villes. Ces divers groupes de tribus, Jason sut, à ]a suite de Lycophron, les attirer à sa cause ; les Dolopes et autres peuplades montagnardes lui prêtèrent hommage. Par là il mina peu à peu la puissance des villes, si bien que ces dernières aussi furent obligées l'une après l'autre de s'associer à lui, et il eut toujours soin de rendre aussi acceptable que possible les conditions de l'association, ne voulant pas détruire, mais unir. En 374, la ville de Pharsale sur l'Énipée seule le bravait encore. Là il trouva une résistance énergique ; le plus éminent des chefs du parti de la vieille noblesse, Polydamas, y avait été élu magistrat suprême[13] ; c'était le dernier boulevard de l'ancien régime thessalien. Polydamas espérait en Sparte, car cet État avait modifié dans l'intervalle sa politique thessalienne et regardait comme son devoir de s'opposer à la puissance de Phères. Mais Sparte était contenue par Thèbes. Jason attachait le plus grand prix à un accommodement pacifique. Il ne désirait posséder son autorité que dans les formes légales et nationales ; il n'aspirait par conséquent qu'à la dignité de général en chef, de Tagos, et l'innovation qu'il prétendait effectuer ne consistait qu'à priver les Aleuades et les Scopades de la propriété héréditaire et perpétuelle de cette dignité, de façon à la rendre accessible à la maison que la personnalité de ses princes ou sa puissance matérielle appellerait au commandement suprême. Polydamas se vit accorder un délai pour attendre le secours de Sparte. Comme le secours n'arrivait pas, il rendit la forteresse[14]. Jason fut alors reconnu dans toute la Thessalie comme généralissime, et ce fut un triomphe de sa politique que cette révolution mit abouti sans violence, qu'elle n'eût nécessité ni destructions ni expulsions, toutes mesures qui auraient occasionné l'immixtion d'États étrangers.

Jason se montra digne de cette confiance. Les anciennes institutions locales ne furent pas supprimées, mais simplement régularisées. Telle fut particulièrement la question des impôts prélevés sur les paysans et les serfs ou Pénestes. Dans cette matière s'était introduit beaucoup de désordre et d'arbitraire, qui provoquait un mécontentement légitime et maintenait la Thessalie dans une fermentation continue ; Jason revint aux dispositions législatives édictées jadis par un des Scopades, à titre de président de la confédération[15]. Mais sa principale affaire consistait à ordonner et à relever les forces militaires du pays, qui s'étaient consumées jusqu'alors dans le service fait à la solde de l'étranger ou dans les querelles intestines. La Thessalie, malgré la liberté qu'il laissait aux différentes villes, devait par son organisation militaire former un tout ; grâce à une armée commune, dont disposerait l'autorité suprême, le pays allait devenir de plus en plus cohérent et homogène dans toutes ses parties, en même temps qu'il prendrait conscience de sa force. Lui-même entretenait une armée de mercenaires, bien instruite[16], à laquelle s'ajoutaient les contingents levés dans les villes thessaliennes. Il était infatigable dans l'organisation de ses troupes, .et il arriva dans un court espace de temps à rassembler autour de lui 20.000 hommes complètement équipés, sans compter une grande masse de troupes légères, et 8.000 cavaliers d'élite. A la tête de pareilles forces, toujours prêtes au combat, il lui était permis de se considérer déjà comme le maitre de la Grèce qui, avec ses milices citoyennes et quelques bandes de mercenaires ; ne pouvait se mesurer avec une telle armée. Le danger n'échappa point aux esprits les plus prévoyants en Grèce. C'est avec une préoccupation pleine d'anxiété qu'ils virent se rassembler dans le nord et s'approcher lentement le nuage qui menaçait leur liberté.

En attendant, Jason se mettait à l'œuvre avec circonspection. Il chercha d'abord à se fortifier par des alliances au dehors, et à ce titre, aucun allié ne lui importait davantage qu'Alcétas d'Épire, dont le concours lui assurait toute la région montagneuse située sur les derrières des États grecs[17]. Pour pouvoir aussi les prendre en flanc, et devenir maître des plus importantes routes maritimes, il avait besoin de l'île d'Eubée. Il y installa dans les différentes villes des potentats qui lui obéissaient, comme le tyran Néogène à Histiæa, sur la côte septentrionale de l'île[18]. Il était beaucoup plus délicat d'inaugurer avec la Grèce centrale des relations convenables ; car là, l'importance nouvelle que Thèbes avait acquise mettait un très sérieux obstacle sur son chemin.

Il comprit mieux qu'aucun de ses contemporains que la grandeur de Thèbes reposait sur Épaminondas ; il paraît avoir tenté à plusieurs reprises d'ébranler ce dernier dans sa sévère intégrité et de le gagner à ses plans d'ambition personnelle. Ces tentatives restant vaines, il ne pouvait hésiter à se joindre à lui comme allié, puisque l'impuissance de Sparte et le démembrement de la confédération péloponnésienne répondait à ses propres intérêts. Il s'associa donc aux Thébains d'une façon si intime qu'il donna à sa fille le nom de Thébé, et parut sans retard sur le champ de bataille de Leuctres pour complimenter son allié victorieux et délibérer avec lui sur les mesures à prendre[19]. Le conseil qu'il donna de s'abstenir d'une attaque sur le camp spartiate était juste, sans doute ; mais il n'est guère probable qu'il ait été dégagé de toute arrière-pensée intéressée. L'humiliation de Sparte faisait bien l'affaire de Jason ; mais il ne pouvait souhaiter que le désastre fût complet, parce que la continuation de la guerre entre les États helléniques servait ses propres desseins.

Les Thébains allaient bientôt concevoir des doutes sur la loyauté de leur allié. Car il ne se contenta pas de se montrer pour la première fois dans la Grèce centrale avec une brillante armée, mais il profita de l'occasion à son retour pour ses vues intéressées, et d'une façon non équivoque. En effet, de la plaine du Céphise il remonta la petite vallée de l'Assos et assaillit dans sa marche la ville de Hyampolis, qui fermait du côté du nord l'accès de la Phocide et de la Béotie[20] ; il s'empara d'Héraclée par trahison et détruisit les ouvrages de fortification, tandis qu'il distribuait le territoire aux tribus des Œtéens et des Maliens et s'en faisait des amis[21]. Ces opérations le rendirent maître des Thermopyles. Il partit donc pour revenir : il avait détruit les portes que l'on pouvait fermer devant lui.

Une fois rentré, il redoubla d'activité. Les tribus montagnardes de la Thessalie septentrionale, notamment les Perrhêbes, furent incorporés dans son armée, soit de gré, soit de force[22] ; les préparatifs et les exercices se continuèrent sans interruption[23]. La Thessalie formait un vaste camp, et sur, mer, sur l'ancienne rade des Argonautes, on commençait déjà la construction de bâtiments de guerre[24]. Phères était le centre et le foyer de tout le pays ; les anciennes familles seigneuriales étaient gagnées ou contenues par des otages qui vivaient à la cour de Phères ; une seule volonté dominait depuis les Thermopyles jusqu'au défilé de Tempé[25]. On ne doutait pas que bientôt Jason ne manifestât ses véritables intentions, et même Épaminondas dut se sentir entravé d'une façon fort pénible dans ses entreprises.

La tension s'accrut encore quand, au printemps 370, la nouvelle se répandit que Jason, à la fête prochaine des Jeux pythiques, se rendrait à Delphes en qualité de généralissime, environné de tout l'éclat de sa puissance. On racontait des choses incroyables. Toutes les villes de Thessalie, en proportion de leur richesse, s'étaient vu imposer une contribution supplémentaire pour le cortège des victimes, et, à celle qui fournirait le plus beau taureau pour mettre en tète du troupeau, l'on destinait comme prix une couronne d'or. Ainsi se rassemblèrent mille taureaux et plus de dix fois autant d'autres victimes, brebis, chèvres et porcs. Cette hécatombe gigantesque devait étaler en l'honneur du dieu la richesse du pays, tandis qu'une troupe d'élite triée dans l'armée témoignerait de la force de la Thessalie ressuscitée à une vie nouvelle. C'était un déploiement de sa puissance royale que Jason méditait de faire à Delphes. Mais il voulait plus que cela.

Delphes était le trait d'union par lequel la Thessalie était restée durant des siècles en communication avec la Grèce, et l'institution de la confédération amphictyonique était le témoignage évident d'une époque où les tribus thessaliennes formaient un corps de nation avec les tribus émigrées vers le midi. En se rattachant à cette tradition, Jason voulait, par les hommages grandioses qu'il offrait au dieu de Delphes, non seulement se montrer comme le nouveau souverain de Thessalie, et dans une certaine mesure se faire reconnaître en cette qualité — en effet, une vieille coutume locale établissait qu'en cas de contestation le chef suprême de la Thessalie serait désigné par l'oracle —, mais il voulait encore renouveler, dans des conditions appropriées au temps, les rapports avec Delphes, qui s'étaient réduits à de vaines formalités ; et, comme des douze voix du conseil fédéral sept se répartissaient sur les tribus de la Thessalie maintenant réunies sous sa domination, il voulait fonder là-dessus sa prétention d'acquérir dans le système des États grecs une situation en rapport avec sa puissance, revendiquer comme une prérogative honorifique la protection de l'oracle ainsi que la présidence des fêtes, et jeter les fondements d'une nouvelle association des tribus et des États[26]. Sans doute, l'habile prince avait depuis longtemps noué des relations à Delphes même, et certainement, parmi les hommes influents présents aux fêtes, il y en avait beaucoup qui attendaient pour Delphes une nouvelle ère de splendeur et n'étaient pas éloignés d'appuyer les prétentions de Jason. Ils tranquillisèrent même la population, qui nourrissait non sans motif le soupçon que Jason pouvait bien aussi en vouloir aux trésors de Delphes ; ils firent décider par le dieu qu'il saurait bien lui-même veiller sur ses trésors[27].

La fête des Jeux pythiques approchait ; les longues files de victimes s'étaient mises en mouvement, et Jason passait une dernière revue de la cavalerie, avec laquelle il voulait faire son entrée à Delphes. Jeune et vigoureux, il touchait au seuil d'un avenir magnifique, fortifié dans le sentiment de sa valeur par une protection souvent presque miraculeuse éprouvée au cours de ses entreprises, par de brillants succès, et plein de confiance dans sa fortune. Il était assis sur son trône en plein air, pour recevoir les requêtes. A ce moment s'approche de lui un groupe de sept jeunes gens, pour présenter une pétition commune ; dès qu'ils l'eurent entouré, ils se précipitèrent sur lui et l'égorgèrent[28]. Un des conjurés, qui avaient été poussés à l'action par une peine infamante à eux infligée, fut tué au moment même de l'attentat par les gardes du corps, un second atteint dans sa fuite. Les autres s'échappèrent sur des chevaux préparés et furent en divers endroits honorés comme des hommes qui avaient bien mérité de la liberté des Hellènes[29], signe évident des dispositions d'esprit avec lesquelles on avait vu les dernières entreprises de Jason.

Todt l'avenir de la Thessalie fut enseveli avec lui. Il ne laissait que des fils mineurs. Aussi la charge de généralissime fut-elle divisée entre ses frères, Polydoros et Polyphron[30]. Ce dernier régna un an après s'être débarrassé de son frère : il fut ensuite assassiné par Alexandre, ambitieux apparenté à la dynastie, qui prétendit avoir voulu venger Polydoros, mais qui, au lieu de renverser la tyrannie comme il l'avait promis, s'en mit lui-même en possessions. La grandeur de Jason n'apparaît bien nettement que quand on envisage la situation qui se dessine après sa mort ; car, bien qu'Alexandre épousât la fille de Jason[31] et se disposât à continuer l'œuvre de son prédécesseur, en fait, il se produisit tout le contraire de ce que Jason avait voulu obtenir : au lieu d'un gouvernement légal, on eut un despotisme effréné ; au lieu de l'unité du pays, le morcellement ; au lieu d'une puissance s'étendant hors des frontières du pays, faiblesse, immixtion du dehors et dépendance de l'étranger.

Ce que l'histoire nous apprend des actes du gouvernement d'Alexandre se résume dans des transports de colère furieuse contre certains adversaires, des cités entières, surtout contre les vieux ennemis de sa maison, les membres de l'aristocratie thessalienne. Polyphron avait déjà fait égorger le Pharsalien Polydamas[32], que Jason avait traité avec de sages ménagements. Alexandre souleva de nouveau par ses persécutions les Aleuades, qui avaient déjà su s'accommoder au nouvel ordre de choses, de sorte qu'ils se tournèrent vers la Macédoine pour demander secours. La conséquence en fut qu'Alexandre, fils d'Amyntas, pénétra en Thessalie, et, comme il ne rencontrait pas d'armée prête à la. résistance, occupa les villes de Larisa et de Crannon[33]. Mais son assistance ne fut manifestement qu'une tentative faite pour accroître sa propre puissance ; il se mit à s'installer dans la vallée du Pénée comme dans une province macédonienne, et les Thessaliens, déçus dans leur espoir, s'adressèrent alors à Thèbes.

Les relations amicales des Thébains avec Phères avaient été troublées, dès les dernières années de la vie de Jason, par les desseins désormais trop évidents de son ambition. Les Thébains se sentirent encore moins de penchant à faire cause commune avec ses successeurs. Instruits par les derniers événements, ils étaient obligés de surveiller de plus près les affaires de Thessalie ; ils ne pouvaient ni laisser s'y élever une tyrannie prépondérante, ni permettre à la Macédoine d'y prendre pied solidement. Leur politique leur était donc clairement tracée : ils avaient à protéger les villes thessaliennes contre toute oppression du dedans et du dehors, et à défendre, là comme dans le Péloponnèse, l'indépendance des républiques, pour assurer leur influence dans le pays. Les heureux succès obtenus contre Sparte avaient exalté leur courage, de sorte qu'ils n'hésitèrent pas à transporter la guerre sur un nouveau théâtre, et, au moment même où Épaminondas traversait le Péloponnèse pour la seconde fois, Pélopidas conduisit une armée thébaine en Thessalie[34].

Son apparition fut accompagnée du meilleur succès. Il délivra Larisa et organisa le pays d'après le principe des constitutions des États libres ; il se dirigea ensuite vers la Macédoine et y aplanit les contestations relatives au trône qui avaient éclaté entre Alexandre et le prétendant Ptolémée. Les fiers Aleuades se placèrent sous la protection de Thèbes ; le roi de Macédoine donna à Pélopidas son frère comme otage, et le tyran de Phères consentit à un traité où il dut reconnaître l'autonomie des villes affranchies, et sans doute promettre un contingent aux Thébains.

La défiance qu'inspirait Alexandre nécessita bientôt une deuxième intervention. L'autorité de Thèbes semblait si bien affermie dans l'intervalle et Pélopidas était si plein de confiance en lui-même et dans la bonté de sa cause, qu'il se chargea, sans armée, accompagné du seul Isménias, de se rendre en Thessalie pour demander des explications au tyran, conduite qui rappelle tout à fait l'assurance tranquille avec laquelle les fonctionnaires de Sparte se présentaient jadis dans les États grecs. Il rassembla ensuite une bande de mercenaires avec lesquels il alla en Macédoine, où le roi Alexandre venait d'être tué par Ptolémée. Abandonné de ses mercenaires, il y courut un grand danger : mais Ptolémée attachait trop d'importance à la bonne entente avec Thèbes et conclut avec Pélopidas un traité équitable. Pélopidas se tira moins bien d'affaire au retour. Il marcha avec une bande fraîchement recrutée contre Pharsale, pour châtier les troupes qui l'avaient trahi, et il donna inopinément contre une forte armée commandée par le tyran de Phères, lequel profita de l'imprudence de Pélopidas pour le faire prisonnier avec ses compagnons[35].

Cet attentat changea tout d'un coup l'état des choses. C'était le signal d'une guerre nouvelle. Thèbes arma avec ardeur, et Alexandre de Phères fut réduit à chercher d'autres alliés. Il se tourna donc vers Athènes, parce qu'il pouvait supposer que c'était le lieu du monde où l'on était le plus jaloux de Thèbes, et en cela il ne s'abusait pas. Les Athéniens accueillirent avec joie ses envois d'argent et ses hommages, conclurent aussitôt une alliance et expédièrent à son aide 30 vaisseaux et 1.000 hommes d'infanterie sous Autoclès[36]. Mais le plus grand avantage dont bénéficia le tyran à ce moment fut que les Thébains s'étaient alors eux-mêmes privés de leur meilleur général. Épaminondas était destitué de sa fonction : il servait comme simple soldat sous Cléomène. L'armée thébaine ne laissait pas d'être imposante (elle comptait 7.000 guerriers bien équipés et 600 cavaliers), mais il manquait une bonne direction. Cléomène et Hypatos s'étaient avancés rapidement, mais le défaut d'approvisionnements les contraignit à battre en retraite sans pouvoir livrer bataille à l'ennemi qui les harcelait de tous côtés. C'est dans la retraite seulement que commença la détresse. La supériorité numérique de sa cavalerie et de ses troupes légères permit à l'ennemi d'infliger aux Thébains les plus grands dommages ; ils perdirent beaucoup de monde et tombèrent finalement dans une telle détresse que l'armée, d'un cri unanime, demanda Épaminondas pour général[37]. Dès qu'il fut à la tête des troupes, on vit renaître la confiance et l'ordre : la terreur de son nom paralysa les attaques de l'ennemi, et l'habileté de son commandement sauva l'armée.

Le meilleur résultat de cette malheureuse campagne fut le changement de dispositions des Thébains à l'égard d'Épaminondas, et sa réintégration dans les fonctions de général. Après avoir pris les mesures les plus indispensables pour combler les vides dans les rangs de l'armée, il rentra sans retard en campagne (368 ou 367 : Ol. CIII, 1), afin de briser l'insolence du tyran avant qu'il ne pût se consolider dans le pays, C'était une tache délicate, car la vie de son ami était compromise si Alexandre se voyait poussé à des actes de désespoir. Épaminondas eut l'art de mener cette tache à bonne fin : il sut, par son énergique entrée en Thessalie, décourager complètement l'ennemi, si bien que ce dernier regarda comme une grande chance d'obtenir un armistice de trente jours, à la condition de livrer ses prisonniers[38]. Pour Pélopidas aussi, le temps de sa captivité avait été un temps de gloire ; car il y avait déployé son inébranlable héroïsme, et, tandis que sa vie dépendait de la volonté du tyran, il avait exprimé son aversion contre lui avec une téméraire franchise[39].

Bien qu'avec cet armistice on n'eût pas atteint un but définitif, il fallut pourtant se contenter en attendant des résultats acquis, car dans l'intervalle avaient surgi d'autres affaires plus importantes qui détournèrent de la Thessalie pour les années suivantes l'attention des Thébains. Thèbes avait été victorieuse au nord et au midi : elle était incontestablement le plus puissant État du continent grec, le seul qui poursuivît une politique ferme et qui pût montrer des hommes faits pour commander à la Grèce. Malgré ces succès pourtant, le résultat était mince. L'ancien système était renversé, la prépondérance de Sparte anéantie ; mais, au lieu d'un nouvel ordre de choses solide, on ne voyait qu'une fermentation grandissante et une croissante confusion parmi les nations helléniques.

D'abord, en dépit de son profond abaissement, Sparte n'était pas complètement paralysée ; elle se soutenait encore, grâce à la fidélité de quelques alliés, lesquels ou bien n'avaient jamais chancelé, comme Épidaure, ou bien s'étaient attachés à elle plus fermement que jamais par antagonisme contre Thèbes, comme c'était le cas notamment pour Corinthe et Phlionte ; elle était sûre en outre des dispositions favorables d'Athènes et avait trouvé dans Denys de Syracuse un allié sérieux.

Puis, les États du Péloponnèse qui avaient pris les armes contre Sparte n'étaient rien moins qu'unis entre eux et avec Thèbes. Jusqu'alors Thèbes conduisait la ligne séparatiste du Péloponnèse. C'est elle qui avait donné l'exemple de la révolte, l'impulsion au mouvement ; Épaminondas l'avait dirigé ; c'est à lui qu'on devait en somme tous les succès, et sa politique désintéressée semblait assurément mériter une pleine confiance. Or ce fut, cette fois, le contraire qui arriva.

Le peuple arcadien, troublé dans son existence champêtre et subitement entraîné, sans préparation aucune, dans le mouvement politique de l'époque, était hors d'état de trouver sa mesure et son équilibre. Des orateurs passionnés prirent de l'autorité sur les assemblées qui siégeaient à l'agora de Mégalopolis, et parmi eux il n'y avait pas d'hommes qui, ayant l'expérience des affaires publiques, parlassent le langage de la raison. Le principal orateur était Lycomède de Mantinée. Les Arcadiens, disait-il, étaient le plus ancien peuple de la Péninsule, et en même temps le plus nombreux et le plus guerrier. On sollicitait le secours de leurs bras partout où on avait besoin de braves, à l'orient et à l'occident du monde hellénique. Sans eux, jamais les Spartiates ne seraient arrivés à Athènes, ni les Thébains à Sparte et à Gytheion. Pourquoi donc ne verseraient-ils toujours leur sang que pour une gloire étrangère et ne seraient-ils toujours que les écuyers des autres ? Il fallait mettre fin à cette situation. Les Arcadiens se suffisaient à eux-mêmes. Habitant le centre et le noyau de la Péninsule, ils en étaient, en qualité de premiers colons, les maîtres naturels : cette souveraineté seule devait être le prix de la lutte et le véritable sceau de leur indépendance récemment conquise[40].

Lycomède fut alors le héros du jour. Il fut tout-puissant ; il mit dans toutes les places du gouvernement et de l'armée des hommes de son choix ; il introduisit une dictature démagogique et jeta les Arcadiens dans un délire belliqueux[41]. Ils allaient montrer à présent qu'ils n'avaient pas besoin des Thébains pour accomplir des actions glorieuses. Ils coururent au secours des Argiens, qui en voulant attaquer Épidaure s'étaient trouvés cernés par les Athéniens et les Corinthiens[42] ; puis ils continuèrent pour leur propre compte la lutte contre Sparte.

Après avoir emporté Pellana dans la vallée supérieure de l'Eurotas, ils tentèrent de pénétrer de la côte vers l'intérieur. Ils assaillirent Asine, un ancien port situé non loin de Gytheion, défirent la garnison et tuèrent son commandant, le Spartiate Géranor[43]. Dans ce genre d'opérations, les Arcadiens étaient passés maîtres ; montagnards endurcis, accoutumés au métier des armes, infatigables à pied, connaissant tous les chemins, ils avaient au suprême degré le talent d'effrayer l'ennemi par des agressions imprévues. La réussite de leurs expéditions convertit leur courage en une aveugle assurance, et, partout où ils arrivaient en ban des, ils se livraient impitoyablement à un pillage effréné.

Cette conduite ne pouvait assurément leur faire des amis parmi les Péloponnésiens. Les Éléens étaient de tous les moins satisfaits ; car, en se révoltant contre Sparte, ils avaient visé avant tout à recouvrer les portions de leur territoire que Sparte leur avait enlevées[44]. Mais les Arcadiens ne songeaient pas à les seconder ; ils prétextèrent que les habitants de la Triphylie se reconnaissaient eux-mêmes pour leurs frères d'origine, à ils se montraient bien décidés à ne pas laisser échapper cette occasion d'étendre leur territoire jusqu'à la mer. Ainsi se développa entre les deux États voisins une âpre inimitié, et, comme au même moment les Thébains étaient indisposés au plus haut degré par les procédés des Arcadiens et se plaignaient de leur ingratitude, les États que la communauté de leurs intérêts aurait dû rapprocher le plus étroitement étaient complètement divisés[45].

Pour augmenter encore la confusion des affaires grecques survint une immixtion du dehors.

A cette époque, le satrape de Phrygie était le Perse Ariobarzane, un ami d'Antalcidas, qui dès l'origine était animé de sentiments favorables à l'égard des Lacédémoniens, et qui tenait d'autant plus à ne pas laisser périr leur État que lui-même aspirait en silence à agrandir sa puissance personnelle et à se rendre indépendant ; il lui importait donc de maintenir les États dont il lui était permis, le cas échéant, d'attendre de l'appui. Il profita de la situation du Grand-Roi, telle que la reconnaissait le traité d'Antalcidas, pour convoquer en son nom un congrès destiné soi-disant à rétablir la paix publique, mais en réalité à prévenir les empiètements de l'Arcadie et l'humiliation ultérieure de Sparte. Dans ce but, Ariobarzane avait sous la main un homme habile, qui depuis longtemps jouissait de sa confiance, un Grec d'Abydos, Philiscos, qui avait fait sa fortune comme chef de mercenaires. Philiscos parut à Delphes avec les pleins pouvoirs de la Perse et, ce qui était plus sérieux, avec l'argent de la Perse. Les négociations s'engagèrent entre Lacédémoniens, Athéniens et Thébains[46]. La Messénie en fit le principal objet.

On essaya de déterminer Thèbes à des concessions : mais il lui était impossible d'anéantir de nouveau sa propre création et de livrer la Messénie, avec sa capitale bientôt achevée, aux Spartiates. Sur ce point, toutes les négociations échouèrent[47], et Philiscos rassembla une armée de mercenaires pour intervenir en faveur de Sparte. Lui-même, il est vrai, se vit rappeler en Asie ; mais il laissa aux Spartiates 2.000 mercenaires qu'il avait payés d'avance, et en fin de compte, ces derniers furent les seuls qui tirèrent avantage du désordre où se trouvaient les affaires de la Grèce. La scission qui avait éclaté dans le camp ennemi leur rendit du courage ; ils s'entendirent avec Athènes pour occuper les Thébains au nord, et reçurent sur ces entrefaites un nouveau secours de Sicile, des bandes de Celtes envoyées par Denys[48].

Il s'agissait maintenant avant tout d'assurer ses propres frontières. Les insolentes irruptions des Arcadiens avaient provoqué une exaspération indicible, et le jeune fils d'Agésilas, l'ardent Archidamos, était tout à fait homme à attiser et à utiliser la fureur guerrière des Lacédémoniens. Uni aux auxiliaires celtes, il remonta la vallée de l'Œnonte, prit Caryæ, et châtia les montagnards pour leur défection. Puis il pénétra en Arcadie, mais se retira devant les Arcadiens et les Argiens qui s'avançaient et campa sur les hauteurs près de Maléa[49]. Là les Celtes déclarèrent que le temps stipulé avec eux était expiré, et il se mirent aussitôt, sous la direction de leur chef Cissidès, en retraite sur Sparte.

A peine sont-ils partis, qu'ils se voient cernés par les Messéniens dans un défilé et sollicitent un prompt secours du général qu'ils viennent de quitter si outrageusement. Archidamos accourt aussitôt ; les Arcadiens et les Argiens le suivent et cherchent à lui couper la retraite. Si c'était une folie d'empêcher le départ des Celtes, c'en était une plus grande encore que de contraindre les forces ennemies surie point de se dissoudre à un effort commun, à une résistance désespérée. La présomption des alliés reçut la plus terrible punition. Car les Spartiates, qui combattaient pour leur vie sous le commandement du fils de leur roi, encouragés par son exemple et par des présages favorables, se lancèrent avec une telle impétuosité sur les ennemis, que ceux-ci ne ' tinrent pas tête un instant. Il n'y avait pas non plus à songer à une retraite en bon ordre, de sorte que les cavaliers et les Celtes en tuèrent des milliers, tandis que pas un des Lacédémoniens, dit-on, ne tomba. Telle fut la fameuse victoire sans larmes[50], victoire qui, après tant de coups du sort, releva de nouveau Sparte.

Agésilas se porta avec les magistrats de la ville au devant de son fils pour le féliciter, mais la défaite des Arcadiens ne causa pas moins de joie à Thèbes et dans l'Élide qu'à Sparte. On reconnaissait le juste châtiment de la présomption, et l'on comptait sur l'effet de la leçon reçue. Les Éléens espéraient des concessions au sujet de la Triphylie ; les Thébains pensaient que les Arcadiens se pénétreraient maintenant de la nécessité d'une direction intelligente et de l'impossibilité de rien exécuter sans Thèbes.

Épaminondas était assurément de tous les Thébains le plus exempt de malveillance et de malignité ; ce qui lui causait du souci, c'était la confusion et les querelles toujours renouvelées entre les États grecs ; son unique préoccupation était d'aboutir au rétablissement final de l'ordre. Il avait obtenu l'essentiel, l'unité de la Béotie, la limitation de Sparte à son ancien territoire, la restauration de la Messénie, l'indépendance de l'Arcadie ; tous ses vœux ne tendaient qu'à voir reconnaître les résultats de son activité comme des faits définitifs, et un nouvel et durable système de droit public se fonder sur cette base. Tout moyen qui menait à ce but lui agréait nécessairement, pourvu qu'il ne fût pas en contradiction avec ses principes moraux. Aussi ne doit-on pas s'étonner que Thèbes, dans cette intention, se tournât vers la Perse, et l'on n'a aucune raison d'admettre que cet acte se soit accompli contre le vœu d'Épaminondas.

Thèbes, en effet, n'avait pas, comme les autres États, pris dès le début vis-à-vis de la Perse une attitude hostile ; ce n'était donc pas pour elle un démenti à son histoire, comme c'était le cas pour Athènes, que de traiter avec le Grand-Roi. Elle ne cherchait pas non plus un allié à Suse, comme avaient fait Athènes et Sparte ; et, quant à parler de trahison envers la cause nationale, personne n'en avait le droit.

Les traités avaient accordé aux Perses une certaine autorité par rapport à la Grèce ; c'est d'eux qu'émanait la paix qui formait la base du droit public en vigueur. Les principes de la paix d'Antalcidas, dont les Spartiates n'avaient usé que comme de moyens au service de leur ambition, n'étaient devenus des vérités que grâce à Épaminondas. Il y avait donc un grand avantage à ce que la reconnaissance de ces faits de la part de la Perse enlevât aux Spartiates la base de leur prétendu droit. Le règlement des relations entre la Grèce et la Perse constituait le principal objet de la politique extérieure et la mission spéciale de la grande puissance dirigeante ; aussi c'était un grand avantage, même aux yeux des Grecs, que Thèbes pût négocier à la cour de Suse en qualité de grande puissance et y faire reconnaître ses prétentions à l'hégémonie.

Un accord immédiat importait d'autant plus, qu'après les négociations de Philiscos à Delphes — que ce dernier tînt réellement ses pleins pouvoirs du Grand-Roi ou seulement d'Ariobarzane, — Thèbes pouvait être considérée comme une perturbatrice obstinée de la paix. Il lui fallait chercher à prévenir cette idée et à faire prévaloir à Suse son bon droit. Enfin, il y avait d'autant plus urgence, que Sparte venait de renouer ses relations avec la Perse et qu'Athènes méditait des projets analogues. Sparte avait, après la mort d'Antalcidas, député un ambassadeur, Euthyclès. Il semblait donc nécessaire de contrecarrer les efforts de Sparte, afin qu'on ne renouvelât pas l'ancien pacte et que Sparte ne fût pas pourvue de ressources pour reprendre sa politique passée. C'est cette circonstance qu'invoquèrent les Thébains quand ils invitèrent leurs alliés à une ambassade commune à Suse. Les Arcadiens et les Éléens obéirent à cette invitation ; Pélopidas et Isménias conduisirent l'ambassade au nom de Thèbes. Les Athéniens se hâtèrent de députer Léon et Timagoras pour représenter leurs intérêts à Suse. Les envoyés semblent avoir cette fois aussi, de même que dans les occasions précédentes, effectué loyalement et pacifiquement leur voyage en commun[51].

A la cour de Perse, les ambassadeurs furent naturellement très bien accueillis : c'était un nouvel aveu de la part des Hellènes qu'ils étaient incapables d'aboutir à rien sans le Grand-Roi, un nouvel hommage spontanément rendu à sa puissance. La sanglante guerre des États se transformait en un conflit diplomatique où la personnalité des envoyés joua un rôle décisif.

Les Thébains eurent l'avantage dès le début. Le renom de leurs exploits les précédait. Après les injures qu'avait infligées aux Perses l'insolence d'Agésilas, la nouvelle de Leuctres avait été pour ceux-ci une agréable nouvelle, et ils admirèrent les héros qui avaient su restreindre à la vallée de l'Eurotas l'État qui naguère encore avait voulu conquérir l'Asie. Antalcidas avait éprouvé personnellement le changement de dispositions de la cour de Perse à l'égard de Sparte : ses propositions furent dédaigneusement repoussées ; méprisé dans son pays comme à Suse, on dit que, dans l'excès de son dépit, il se tua[52].

On n'avait pas trouvé moyen d'établir des rapports de confiance durables avec Sparte, non plus qu'avec Athènes ; il en fut autrement avec Thèbes. Les Perses n'avaient jamais éprouvé de mauvais traitements de la part de cette république. Dès le temps de Xerxès, ils avaient contracté avec elle des liens d'hospitalité ; elle s'était montrée .à cette époque leur plus fidèle alliée, et, pour prix de cette fidélité, avait passé par les plus dures épreuves. Or, le sentiment de la reconnaissance était un des traits saillants du caractère des Perses ; d'ailleurs ils savaient estimer à son juste prix la valeur réelle des hommes Ainsi, la personnalité chevaleresque de Pélopidas, sa nature généreuse, son complet désintéressement, exercèrent une influence décisive, tandis que l'habileté d'Isménias lui prêtait le plus précieux appui dans les affaires. Par comparaison avec les autres députations, on sut parfaitement apprécier chez les Thébains la droiture de leur parole, la netteté de leurs intentions, leur franchise ouverte : Pélopidas fut visiblement préféré à tous les autres, et ses propositions reçurent de la part du Grand-Roi une approbation complète.

En conséquence, les conventions passées par Antalcidas entre la Perse et Sparte furent abrogées ; Sparte cessa d'être l'alliée de confiance. Ensuite on reconnut comme existant en droit les créations que Thèbes avait appelées à la vie c'est-à-dire, entre autres choses, l'indépendance de la Messénie. Mais Thèbes voulait davantage encore. Dans les efforts qu'elle faisait pour affermir sa situation, nul État ne lui créait plus d'obstacles qu'Athènes, avec laquelle elle avait cherché sincèrement, mais sans succès, à établir des rapports d'amitié. Elle pouvait être persuadée que les Athéniens opposeraient des entraves à tous les progrès de Thèbes dans le Péloponnèse comme en Thessalie et en Macédoine. Il était par conséquent naturel qu'elle fût exaspérée contre Athènes. Comme, d'autre part, la flotte athénienne constituait toujours le danger le plus redoutable pour la Perse, les Thébains obtinrent un arrêt royal qui impliquait la plus profonde humiliation pour Athènes : l'ordre de désemparer ses vaisseaux de guerre et de les amener à terre, c'est-à-dire de se désarmer elle-même et de se priver de toute défense. De même, ses prétentions sur Amphipolis, qui pourtant avaient été admises au congrès de Sparte, furent formellement repoussées et cette ville placée sous la protection royale[53].

Cette ambassade à Suse était une nouvelle victoire de Thèbes : elle avait fait aboutir une paix d'Antalcidas modifiée en sa faveur ; on venait d'établir sous le haut contrôle de la Perse un nouveau système politique conforme à ses propositions. Thèbes, étroitement liée à la Perse, se voyait reconnue dans son hégémonie et chargée de l'exécution des traités. Mais que ces résultats comportaient d'incertitudes ! combien peu on se sentait sûr, d'une part du Grand-Roi, de l'autre de l'assentiment des États grecs aux conventions conclues à Suse !

C'est précisément de ce côté que vinrent les premières difficultés. On convoqua un congrès des puissances à Thèbes, pour s'unir sur la base des traités en une confédération nouvelle ; mais on n'aboutit à rien : aucun des envoyés ne se déclara autorisé à prêter serment. Ceux qui prirent l'attitude la plus énergique furent les Arcadiens ; leur ambassadeur s'était vu préférer à Suse l'envoyé de l'Élide, et il avait tracé à ses compatriotes la plus vive peinture du misérable état de l'empire perse. Lycomède protesta en conséquence à Thèbes contre toute immixtion de l'autorité perse, contesta absolument aux Thébains le droit de tenir les conférences dans leur ville, et quitta enfin solennellement le congrès au nom de l'Arcadie[54].

Les Thébains alors prirent une autre voie. Ils envoyèrent dans les différentes villes, et soumirent le traité à leur acceptation. Mais cet expédient ne réussit pas davantage. Les Corinthiens rejetèrent fièrement l'acceptation pour les mêmes motifs que les Arcadiens[55], et les députés rentrèrent chez eux sans résultat avec l'édit royal. La tentative de faire prévaloir un droit à l'hégémonie confirmé par lettres patentes du Grand-Roi, et d'établir un nouvel ordre politique par l'entremise de la Perse, se montra absolument impraticable. Thèbes se heurta contre une résistance plus vive qu'elle ne s'y attendait, et cette résistance fut d'autant plus fâcheuse qu'elle se donna un vernis de générosité, de patriotisme national, bien qu'au fond elle ne procédât que d'un particularisme opiniâtre. En tout cas, Thèbes fut réduite à reconnaître que seul le sort des armes pourrait fonder un solide ordre de choses.

Thèbes entreprit donc de nouveaux préparatifs, et Épaminondas, qui grâce à ses heureuses opérations en Thessalie avait regagné la pleine confiance de ses concitoyens, conduisit pour la troisième fois une armée dans le Péloponnèse[56].

L'attitude hostile de Corinthe et de l'Arcadie exigeait qu'on prît pied sur d'autres points ; or, aucune région n'offrait plus d'importance que l'Achaïe, parce que la domination du golfe de Corinthe était d'un intérêt capital pour Thèbes. Dans les villes de la côte achéenne subsistaient en général des constitutions aristocratiques telles qu'elles fonctionnaient à l'époque de l'hégémonie spartiate[57]. Épaminondas procéda avec la plus grande prudence ; il se porta garant, devant les familles qui dirigeaient les affaires publiques dans les différentes cités, qu'il ne se produirait pas de révolutions violentes[58] : aussi, vu leur grand éloignement de Sparte, elles se joignirent sans difficulté aux Thébains, en abandonnant en même temps les villes qui sur la rive opposée vivaient sous leur dépendance, Naupacte et Calydon[59]. C'était là pour la puissance des Thébains dans le golfe de Corinthe un avantage considérable, et aussi pour leur puissance continentale, parce qu'ils n'avaient plus besoin des passes de l'isthme pour arriver dans le Péloponnèse.

Malgré tout, ces mesures provoquèrent un vif mécontentement à Thèbes même, et plus encore chez les alliés. Les ménagements envers lés familles dirigeantes, disait-on, étaient une trahison envers le principe de la liberté populaire, principe que respectaient tous les États qui guerroyaient contre Sparte : la démocratie formait leur lien commun, leur unité et leur force. Des villes gouvernées par les aristocrates demeuraient toujours des alliées déguisées de Sparte, et celui qui, n'importe où, soutenait et appuyait les aristocrates devait être en secrète connivence avec Sparte. Tant l'on comprenait peu la politique d'Épaminondas, qui assurément visait à un autre but qu'à une propagande démocratique, et qui ne voulait pas exciter, mais apaiser les passions politiques !

Les Arcadiens se plaignirent à Thèbes, et leurs griefs trouvèrent un accueil empressé. On était animé du même esprit de parti, et l'on se croyait tenu à des égards envers les Arcadiens, bien que tout esprit judicieux dût comprendre que, malgré toute la condescendance imaginable, il était impossible de se fier à ce peuple. Les Thébains abrogèrent donc sans plus de formes les traités conclus, envoyèrent des gouverneurs dans les villes d'Achaïe, et chassèrent les grandes familles[60]. On rétablit ainsi une concorde fraternelle entre les alliés : mais on donnait en même temps le signal d'une nouvelle guerre civile, qui agita tout le nord de la Péninsule et ne fut à personne plus sensible qu'aux Arcadiens eux-mêmes. En effet, les familles expulsées se maintinrent dans le pays en bandes armées qui, trahies par Thèbes, se rangèrent du côté de Sparte, et désolèrent les confins de l'Arcadie pour se venger par le pillage de l'injure subie.

L'exemple qu'on venait de donner agit par contrecoup ailleurs. A Sicyone, on n'avait pas touché non plus à l'organisation intérieure, et l'on s'était contenté de compter cette importante place au nombre des alliés. Alors se leva parmi les grands de Sicyone un citoyen du nom d'Euphron, personnage ambitieux, qui jadis avait été l'homme de confiance de Sparte. Ce personnage, après ce qui s'était passé en Achaïe, entra en négociation avec les alliés : il se déclara prêt à renverser aussi à Sicyone les maisons aristocratiques, à instituer le régime démocratique, le seul qui attacherait aux alliés, d'une façon tout à fait sûre, sa ville natale. Les Arcadiens et les Argiens se prêtèrent avidement à ce projet, et Euphron fit une révolution par suite de laquelle il devint lui-même chef de l'armée et, avec le secours de mercenaires, maître de la ville. Toute la cité fut bouleversée, les anciennes familles chassées, les biens confisqués ; les gens aisés se virent faire leur procès à cause de leur prétendue sympathie pour Sparte ; les biens des temples furent séquestrés, et une masse de nouveaux citoyens admis dans la cité[61] C'était l'avènement du parfait despotisme, et le nouveau tyran commit des excès si criants qu'à la fin les alliés eux-mêmes furent forcés d'intervenir contre lui. Euphron dut s'enfuir. Dans sa fuite, il changea aussitôt de politique, livra avant son embarquement le port aux Spartiates, courut à Athènes et en revint avec une poignée de mercenaires[62]. Mais, ne pouvant se maintenir à Sicyone, il se rendit à Thèbes pour y renouer des relations, et fut égorgé dans la Cadmée par des partisans qui avaient suivi sa trace[63]. Le meurtrier justifia son acte en le qualifiant de tyrannicide et fut acquitté : mais, à Sicyone, ce même Euphron comptait encore tant d'adhérents que, sur la place publique de la ville, on lui éleva comme à un héros un tombeau et un sanctuaire[64]. Nous trouvons dans Euphron le type du plus impitoyable égoïsme, et nous constatons en même temps une complète incertitude dans les jugements de l'opinion publique sur les hommes et les questions de légalité.

Les complications du Péloponnèse s'accrurent encore par une nouvelle immixtion de la part d'Athènes. Les Athéniens en effet perdirent à cette époque Oropos[65], ville frontière située à l'embouchure de l'Asopos, qui était de temps immémorial un sujet de litige et qui, pour les communications avec l'Eubée, était pour eux un poste presque indispensable. Ils avaient perdu la ville dans la guerre de Décélie, puis en avaient repris possession après la paix d'Antalcidas. Mais depuis que les hommes d'État de Thèbes visaient à rétablir et à unifier la Béotie dans toute son étendue, l'importante région riveraine de la mer d'Eubée devint nécessairement le principal objet de leur attention. Il fallait chercher à déloger les Athéniens, et les mouvements des partis dans la population, de tout temps peu sûre et chancelante d'Oropos, offrirent pour cela une occasion propice, dans l'année qui suivit l'ambassade en Perse[66]. Le parti hostile aux Athéniens fut expulsé par ses adversaires : il rentra ensuite dans la ville avec le secours des tyrans de l'Eubée. Les Athéniens se préparèrent à la reconquérir ; mais, avant que l'entreprise ne réussît, les Thébains vinrent à bout de se faire livrer la ville en litige, et, une fois maîtres de la place, ils ne songèrent plus à la restituer.

Cet incident provoqua dans Athènes la plus profonde irritation, non seulement contre Thèbes, mais tout autant contre les alliés d'Athènes, notamment contre Sparte, dont, pour prix de l'assistance prêtée, on se voyait tout à fait abandonné. Ce sentiment l'emporta au point que les Athéniens ne se bornèrent pas à retirer leurs troupes auxiliaires du Péloponnèse (ce qui eut lieu immédiatement après l'explosion des troubles à Argos), mais qu'ils prirent même une attitude hostile à l'égard de Sparte et secondèrent ainsi indirectement les Thébains.

Les Athéniens revinrent à l'idée de profiter de la faiblesse de Sparte pour jouer dans le Péloponnèse un rôle à part et prendre pied solidement dans le nord de la Péninsule. Ils visaient principalement Corinthe, la plus grande partie de leurs troupes étant postée sur l'isthme. Ce dessein aboutit à un résultat tout contraire. Les Corinthiens furent avertis à temps[67] : ils se sentaient fatigués au plus haut point des misères de la guerre ; il leur fallait désormais, puisqu'ils ne pouvaient se fier aux Athéniens, entretenir avec leurs propres ressources les troupes nécessaires pour se garder contre Thèbes. Ce sacrifice leur parut insupportable. Ils profitèrent donc du nouveau danger dont les menaçait leur propre allié pour représenter à Sparte leur situation critique. Ils déclarèrent que, malgré la fidélité de leurs sentiments, ils étaient forcés de s'arranger de façon à prendre une position neutre. S'ils continuaient la guerre indéfiniment, ils s'épuiseraient au point de ne plus pouvoir à l'avenir rendre service à Sparte ; il leur semblait donc raisonnable de se ménager pour le moment. Cette tendance pacifique régnait également à Phlionte, la plus fidèle de toutes les villes alliées de Sparte, qui avait à subir de la part des Arcadiens et des Argiens des vexations inimaginables et qui se trouvait par leur fait en un état de siège continu. Sparte, hors d'état de fournir des secours, consentit à ce que les villes s'entendissent avec Thèbes au mieux de leurs intérêts. Corinthe, Phlionte, probablement aussi Épidaure, entrèrent alors en rapport avec Thèbes, acceptèrent la paix qu'elle proposait et s'engagèrent à fournir des contingents ; mais avec cette réserve de n'être pas contraints à la lutte contre l'ancien État souverain de leur confédération[68]. Ainsi s'établit dans le nord de la Péninsule une certaine tranquillité, tandis qu'à l'intérieur naissaient des complications nouvelles.

Les Arcadiens, menés par Lycomède, s'étaient à peine aperçus du changement de la politique athénienne, qu'ils saisirent avidement cette occasion de rompre avec Thèbes une alliance qui leur pesait. L'autorité fédérale d'Arcadie, à l'instigation de Lycomède, proposa une alliance aux Athéniens, et ceux-ci acquiescèrent, sans pour cela dénoncer la leur aux Spartiates[69]. Ils étaient donc simultanément alliés avec Sparte et l'Arcadie, et de même les Arcadiens étaient à la fois les alliés de Thèbes et d'Athènes, qui était en querelle ouverte avec Thèbes. En outre, l'ancienne guerre de frontières dans les montagnes entre Mégalopolis et la Laconie durait sans interruption, avec le concours des troupes auxiliaires de Syracuse du côté de Sparte[70], et enfin, pour mettre le comble à la confusion, une guerre éclata entre l'Arcadie et l'Élide.

Depuis longtemps une profonde animosité régnait entre les deux États. Les Éléens se voyaient déçus dans leur projet de recouvrer Lépréon, et les Arcadiens n'avaient pas oublié la joie maligne qu'avaient témoignée les Éléens lors de la victoire sans larmes d'Archidamos, non plus que la préférence dont ceux-ci avaient été l'objet à la cour d'Artaxerxès. Ils ne voulaient pas restituer le pays de Triphylie avec Lépréon, qui s'était volontairement annexé : au contraire, ils jetaient des regards pleins de convoitise sur les autres territoires de la riche contrée voisine, et surtout sur les trésors d'Olympie ; ils espéraient pouvoir réduire l'Élide ouverte, d'autant plus aisément qu'il y avait dans le pays un parti favorable à leur cause qui gagnait chaque jour plus d'influence. Mais c'est justement pour cette raison que le parti hostile à la démocratie arcadienne, pendant qu'il était encore au pouvoir, poussait à une action décisive. Les Éléens se mettent en campagne et prennent Lasion[71], une localité située dans les montagnes aux sources du Pénéios, et qui avait fait défection pour se rallier à l'Arcadie ; mais ils sont repoussés par les Arcadiens, dont les troupes menacent jusqu'à la capitale et se portent' sur les hauteurs au-dessus d'Olympie.

Les Éléens tombèrent dans la situation la plus critique. Ils n'avaient pas d'autre secours que des bandes de volontaires achéens[72] qui couvraient leur ville, tandis que le parti démocratique se détachait violemment de la cause nationale et, après une vaine tentative sur l'acropole d'Élis, s'emparait de l'importante ville de Pylos, sur les derrières de la capitale[73] Dans cette détresse, il ne resta plus aux Éléens qu'à se tourner vers Sparte, et là on avait toutes sortes de motifs pour ne pas repousser leurs sollicitations. On ressentait depuis longtemps avec douleur la perte de l'influence à Olympie ; on avait été condamné à voir proclamer, à la dernière olympiade (368 : Ol. CIII)[74], le premier vainqueur messénien, Damiscos, et l'indépendance de la Messénie solennellement reconnue ainsi par toute l'Hellade. Des deux côtés, on fit les plus grands efforts, car déjà l'époque des nouvelles fêtes olympiques approchait, et les Éléens déployèrent une activité qu'on n'aurait pas attendue de ce peuple pacifique et amolli ; ils savaient que l'ambition des Arcadiens ne visait à rien moins qu'à renverser l'organisation adoptée depuis des siècles pour la grande fête nationale et à célébrer les Jeux en commun avec les Pisates, les plus anciens possesseurs d'Olympie, sous la suzeraineté arcadienne. Il s'agissait donc de défendre les plus importants privilèges de l'État, ainsi que les trésors du dieu.

Les Éléens provoquèrent dans ce but une incursion d'Archidamos dans la région montagneuse de l'Arcadie, où l'on occupa Cromnos[75], et, aussitôt délivrés des troupes étrangères, ils se mirent à l'œuvre pour reconquérir les places de leur propre pays conquises par les démocrates. Mais, comme les troupes arcadiennes revinrent plus rapidement qu'on ne pouvait s'y attendre et tirèrent parti d'une forte position à Olympie pour y célébrer les fêtes sous la protection de leurs armes à l'époque traditionnelle, à la première pleine lune après le solstice, les Éléens s'avancèrent avec les Achéens, pour avoir au moins la satisfaction de ne pas laisser se passer sans trouble cette solennité olympique révolutionnaire[76].

Ainsi, pour la première fois, lors de cette fête à l'approche de laquelle d'ordinaire on posait les armes dans la Péninsule entière, un combat sanglant s'engagea dans l'enceinte même du temple. Les Arcadiens, avec leurs auxiliaires d'Argos et d'Athènes, s'étaient placés au bord du Cladéos, qui forme à l'ouest la limite du territoire sacré ; sur l'autre rive se tenaient les Éléens, exclus de la célébration de leur fête nationale. Le ressentiment de cet opprobre alluma en eux un véritable héroïsme. Ils franchirent le Cladéos, rejetèrent les Arcadiens, et les poussèrent avec un irrésistible élan jusqu'au milieu du téménos, où s'élevait l'autel des sacrifices. Mais là, ils se trouvèrent dans la situation la plus critique. Car les portiques et les temples tout autour étaient garnis d'ennemis, et les Éléens, pressés et frappés de toutes parts, furent contraints de repasser le Cladéos avec de grandes pertes. La nuit qui suivit fut mise à profit par les Arcadiens pour élever des retranchements, de sorte que, le lendemain matin, les Éléens ne purent pas risquer de nouvelles attaques et que les ennemis nationaux restèrent les maîtres de ce sol sacré[77].

Les Arcadiens croyaient avoir atteint un grand résultat. Ils étaient maintenant la puissance protectrice d'Olympie ; ils possédaient les privilèges auxquels Sparte avait toujours attaché un prix particulier : en même temps, comme les Pisates ne constituaient pas une puissance, ils tenaient entre leurs mains le sanctuaire lui-même avec tous ses trésors. Leurs ennemis, Sparte et Élis, n'auraient pu en vérité être plus sensiblement humiliés. Mais ce succès ne porta bonheur à personne, et à peine fut-on maître des trésors du temple, qu'ils donnèrent sujet à un démêlé sanglant entre les vainqueurs.

Les chefs arcadiens y avaient promptement porté la main pour pouvoir payer à leurs troupes l'arriéré de la solde. Il n'existait pas chez eux de Trésor public ; on en était donc réduit aux gains des expéditions, et les chefs ne virent pas de motifs pour considérer le butin fait sur les Éléens d'un autre œil que tout autre. L'autorité fédérale approuva, cette conduite, et ce fut pour tous ceux qui désiraient réellement l'unité politique un incalculable avantage que de pouvoir utiliser le trésor du temple comme Trésor fédéral, et d'entretenir ainsi l'armée de la confédération sans dépendre des contributions des divers États. Par ce moyen, et par ce moyen seulement, le gouvernement central pouvait acquérir un pouvoir solide.

Mais ce projet même fournissait déjà matière à protestation de la part de ceux qui ne voulaient pas voir se consolider ainsi la confédération, et à l'appui de cette protestation, on pouvait assurément faire intervenir de la façon la plus énergique les scrupules religieux ; car vider le trésor sacré était en somme un acte plus criminel encore que mettre la main sur des offrandes apportées jadis aux dieux sur des vaisseaux ennemis. Ceux qui firent opposition cette fois furent surtout les Mantinéens, chez qui évidemment le parti aristocratique, défenseur de l'indépendance communale, avait repris des forces après la mort de Lycomède. Les Mantinéens se déclarèrent contre l'emploi des fonds du temple ; ils envoyèrent à leur contingent sa solde tirée de la caisse publique et répudièrent solennellement toute participation à cette impiété. Le gouvernement fédéral, par contre, demanda raison de cette rébellion aux magistrats de la cité, les condamna et envoya des troupes pour réduire cette ville réfractaire ; mais les Mantinéens ne les laissèrent pas entrer chez eux, et, comme la rigueur ne produisit absolument aucun effet, il s'ensuivit bientôt un très sensible changement de dispositions dans le pays arcadien. L'impuissance de l'autorité centrale parut au jour, et nombre de petites républiques osèrent alors s'associer aux Mantinéens. Dans un peuple de mœurs si primitives, bien des âmes, par suite de la spoliation du temple, furent agitées d'un sentiment d'inquiétude ; elles ne voulaient pas charger leur conscience ; elles appréhendaient que la profanation du sanctuaire ne fût punie sur elles et leurs enfants, et cette crainte alla si loin que, dans la grande assemblée fédérale, la majorité des voix décida qu'on s'abstiendrait de toucher aux fonds du temple.

La conséquence immédiate en fut que les indigents quittèrent l'armée, mais que les plus aisés demeurèrent. Ils s'offrirent à servir en volontaires, engagèrent leurs amis à entrer aussi comme volontaires dans la milice fédérale, et tout ce manège aboutit à ce que les fils des riches familles formèrent le noyau de l'armée ; c'était une réaction aristocratique concertée à Mantinée contre les principes de la démocratie, sur lesquels était édifié tout le système politique de la nouvelle Arcadie ; c'était en même temps un moyen de paralyser complètement l'autorité centrale, qui dépendait désormais absolument du bon vouloir des divers États ; c'était une victoire décisive du particularisme.

Lycomède, qui était mort aussitôt après la conclusion de l'alliance avec Athènes[78], n'avait pas de successeur qui fût capable de maintenir la cohésion du parti national et d'unifier ainsi l'Arcadie. La contrée se démembra de nouveau, et, par la même occasion, l'ancien antagonisme entre Mantinée et Tégée reprit une force nouvelle. Cette fois, Mantinée devint le foyer des tendances aristocratiques et particularistes, et Tégée, où séjournait aussi une garnison béotienne, le quartier général de la démocratie et du parti fédéraliste[79].

Cette scission détermina aussi les relations extérieures. Les chefs et magistrats du peuple, qui dans l'intérêt de la confédération avaient sans scrupule poussé à la confiscation des fonds du temple, redoutaient, depuis qu'ils se trouvaient en minorité, de se voir appelés peut-être à rendre compte de leurs actes. Ils cherchèrent du secours chez les Thébains et leur firent observer que l'Arcadie était ex train de tomber aux mains des aristocrates, qui tôt ou tard la ramèneraient indubitablement sous le joug des Spartiates. A peine cette démarche fut-elle connue, qu'elle entraîna les adversaires à une contre-manifestation ; ils firent passer un arrêt de l'assemblée générale d'Arcadie qui représentait la précédente députation comme dépourvue de tout mandat régulier et répudiait l'intervention étrangère[80] ; on veillait, du reste, avec le plus grand soin, à éviter tout ce qui pouvait servir de prétexte à une intervention.

A l'instigation des Mantinéens, on opéra avec l'Élide une réconciliation qui impliquait de la part de l'Arcadie une renonciation complète à tous droits sur Olympie[81] La confédération arcadienne fut restaurée en apparence, et, pour bien dépiter les Thébains, on choisit précisément Tégée, la station des troupes béotiennes, pour y célébrer une fête solennelle en l'honneur de la paix. Des députés de tous les cantons y furent présents, et il est permis de supposer que les nouveaux règlements fédéraux furent rédigés dans le sens des intérêts du parti aristocratique.

Mais, tandis que la foule inaugurait sans arrière-pensée cette fête de la fraternité, le parti adverse machinait un perfide complot. C'étaient les mêmes individus qui appréhendaient toujours pour leur sûreté personnelle et qui par eux-mêmes n'avaient aucune chance de recouvrer le pouvoir. Ils se rapprochent donc du commandant thébain, témoin très mortifié de la fête ; ils lui placent sous les yeux les conséquences dangereuses d'une réaction aristocratique s'affermissant de plus en plus ; ils réussissent à lui représenter toute cette fête comme un affront manifeste à Thèbes, et, peut-être par suite de troubles et d'excès fomentés avec préméditation, le décident, lui qui venait de prêter serment comme les autres à la paix, à faire fermer subitement vers le soir les portes de la ville et à emprisonner les meneurs les plus considérables des Arcadiens réunis à Tégée. On espérait par ce moyen s'emparer de tous les chefs du parti aristocratique, et surtout des Mantinéens, et pouvoir étouffer une fois pour toutes l'agitation anti-thébaine. Mais le coup de main se termina fort mal, car les Mantinéens précisément étaient déjà sortis en masse avant la fermeture des portes pour retourner chez eux, et à leur place on avait rempli la prison et la salle du Conseil de gens en grande partie insignifiants[82]. Alors se produisit le contraire de ce qu'avaient espéré les auteurs du coup de main. Le parti national s'était mis dans son tort ; à son instigation, Thèbes avait enfreint la paix jurée. Aussi, au lieu d'être humiliée et découragée, Mantinée alors entre en action avec le véritable sentiment de sa force et la conscience de son bon droit : elle députa à tous les cantons, marcha avec son armée de citoyens sur Tégée et réclama l'élargissement des prisonniers, en se portant garante que tous ceux contre lesquels s'élevait un sujet de plainte auraient à se justifier devant le tribunal fédéral.

Le commandant thébain, qui n'avait que trois cents hommes avec lui, et qu'entourait une population surexcitée, se trouva dans la plus grande perplexité. Il n'ose pas rejeter la réclamation ; il relâche tous les captifs, et le lendemain, dans une assemblée d'Arcadiens convoquée tout exprès, il prononce un discours pour s'excuser, en alléguant qu'il avait été informé de la présence de troupes lacédémoniennes à la frontière et de machinations de la part de quelques traîtres. Mais les Mantinéens, non contents de cette humiliation, envoient à Thèbes et exigent l'exécution du général pour une violation aussi inqualifiable de la paix.

Tels furent les événements du Péloponnèse, depuis les fêtes d'Olympie dans l'été 364 jusqu'au printemps de l'année 362. Tout dépendait maintenant de la façon dont à Thèbes on prendrait ces incidents.

Les Thébains, depuis leur troisième expédition dans le Péloponnèse, avaient été occupés d'affaires toutes différentes, aussi bien sur terre que sur mer. Car si l'on voulait faire une vérité du désarmement d'Athènes visé dans la dernière paix avec la Perse, il était nécessaire que Thèbes devînt aussi une puissance maritime. Personnellement, Épaminondas n'avait pas, comme Thémistocle, de goût pour la marine[83] ; il lui était impossible, avec son éducation et ses idées, de se dissimuler les dangers que ses compatriotes courraient fatalement s'ils s'arrachaient à leur milieu traditionnel, et moins encore les immenses difficultés d'une telle entreprise ; car, s'il y avait un littoral et des ports, il manquait pourtant, pour la création d'une flotte, la base Indispensable, une population habituée à la mer et commerçante. Les habitants de la côte béotienne n'étaient que des pêcheurs et des plongeurs. Pendant un temps, Épaminondas avait, il est vrai, admis la possibilité d'une entente sincère avec Athènes, qui aurait permis de compléter les unes par les autres les ressources des deux États. Depuis que cet espoir était perdu sans qu'il y eût de sa faute, il n'avait pas le choix. Ce ne fut donc point par une ambition toujours inquiète, par une jalousie opiniâtre, mais en vertu d'une nécessité politique qu'il tenta de transformer ses compatriotes de paysans en matelots, et de se familiariser lui-même avec la mer. La puissance maritime seule le menait à son but ; une flotte seule lui permettait de tendre la main aux colonies et d'obtenir la puissance nécessaire pour unir enfin et pacifier les tribus helléniques.

Malgré les protestations de Ménéclidas, qui dans ce cas eut l'heureuse fortune de plaider contre l'homme d'État philosophe la nécessité d'une sage modération[84], il fit passer ses propositions relatives à la construction d'une flotte et à l'établissement de chantiers, et dans cette œuvre on procéda avec une énergie qui éveilla la plus vive admiration. Car, dès l'année 363, la première flotte de Thèbes put mettre à la voile, flotte assez forte pour repousser les Athéniens, qui voulaient l'arrêter dans les eaux de l'Eubée, et pour traverser victorieusement l'Archipel du nord au sud. Cette première entrée en scène de la jeune puissance maritime fut accompagnée de succès décisifs, car les grandes villes maritimes étaient toutes disposées à se détacher d'Athènes dans cette occasion. Rhodes, Chios et Byzance se rallièrent aux Thébains[85].

A ces armements se rattachent étroitement les entreprises dans la Thessalie, pays qu'il avait fallu négliger pendant l'ambassade en Perse et la troisième expédition du Péloponnèse. Alexandre avait profité de ce répit pour s'étendre de nouveau dans le pays. Les plaintes les plus amères au sujet de ses violences arrivèrent à Thèbes, et ce qu'il y avait de plus inquiétant, c'est que les Athéniens se montraient toujours prêts à appuyer le tyran, pour retirer quelque bénéfice de son alliance[86]. La tâche s'imposait donc aux Thébains de détruire ces liens, de briser la puissance d'Alexandre, de réduire en leur pouvoir les ports de la Thessalie et de faire servir sa puissance maritime à leur propre grandeur. Dans ce but, Pélopidas fut chargé de pénétrer en Thessalie avec une armée de sept mille hoplites. C'était en juin 364. Tout était prêt pour le départ. Une éclipse de soleil qui survint alors[87] causa une telle frayeur, qu'elle rendit impossible l'exécution de l'entreprise[88]. Mais rien ne pouvait arrêter l'ardeur guerrière de Pélopidas. Il laissa l'armée en arrière et inaugura l'expédition avec trois cents cavaliers d'élite.

La haine qu'inspirait Alexandre fut son plus précieux allié. A peine eut-il franchi la frontière, que tout le peuple afflua vers lui. Il marcha de ville en ville en libérateur. Près de Pharsale, sur les hauteurs de Cynocéphales, l'attendait' avec des forces numériquement doubles le tyran de Phères. Pélopidas se précipite en avant. Il aperçoit Alexandre, et dès lors rien ne le retient de charger avec un courage téméraire la garde du corps, pour abattre de sa propre main au milieu d'elle le tyran détesté. Mais, avant d'atteindre son adversaire qui recule, il tombe à terre percé par les lances des mercenaires. Les siens se ruent derrière lui, et vengent sa mort par une victoire complète[89]. Le résultat fut qu'Alexandre se vit limité au territoire de sa ville et obligé de fournir un contingent[90]. Le principal avantage de cette victoire si chèrement achetée consista en ce que les liens entre Phères et Athènes se rompirent, en ce que désormais les bâtiments corsaires du tyran durent contribuer pour une bonne part à ébranler l'empire maritime d'Athènes et lui infligèrent, dans l'Archipel comme sur ses propres côtes, des dommages considérables. Ces événements coïncident avec l'époque où Épaminondas se montra pour la première fois dans la mer Égée avec une flotte béotienne.

Tels étaient les progrès qu'avait accomplis la puissance thébaine, dans le nord et sur mer, quand arrivèrent les envoyés d'Arcadie pour réclamer le châtiment du gouverneur de Tégée. Épaminondas était placé comme généralissime à là tète de l'État ; il était à l'apogée de son prestige ; ses concitoyens sentaient plus clairement que jamais ce qu'ils étaient devenus grâce à lui, et lui-même était résolu à agir maintenant dans le Péloponnèse avec toute son énergie. Il avait espéré, avec le concours de la grande majorité des républiques péloponnésiennes, briser la domination de Sparte sans livrer de combats sanglants ; l'attitude incertaine de ses alliés, la crainte jalouse des Péloponnésiens pour leur indépendance, l'immixtion d'Athènes avaient déjoué ses plans. Mantinée, sur laquelle il avait toujours particulièrement compté, était le quartier général de ses adversaires. Il ne lui restait plus qu'à rassembler les débris du parti thébain et à terrasser la résistance de ses adversaires.

C'est pourquoi il fit aux députés une réponse sévère et dure, telle qu'on n'en avait jamais entendu sortir de sa bouche. Le gouverneur dont on réclamait la punition avait (c'est ainsi que sont rapportées ses paroles) plus convenablement agi en faisant des prisonniers qu'en les relâchant. Les Thébains, en faveur de l'Arcadie et à la requête de sa population, s'étaient imposé les plus grands sacrifices et s'étaient engagés dans des guerres pénibles ; ce n'est que grâce à Thèbes qu'il existait une Arcadie indépendante et libre. Cette conduite devait au moins lui avoir acquis assez de droits pour que les Arcadiens ne se permissent pas de passer des traités de paix et d'établir une nouvelle organisation dans leur État sans le consentement de Thèbes. Tout procédé arbitraire de cette nature constituait une violation du pacte fédéral et une trahison. Une pareille situation ne pouvait durer. Lui-même allait venir dans le pays pour se réunir à ses partisans fidèles et faire sentir sa rigueur à ses adversaires[91].

Cette sentence parvint en Arcadie et jeta le pays dans une agitation fiévreuse. La confédération arcadienne était dissoute en fait : deux camps s'étaient formés. Dans l'un, Mantinée prit la parole et déclara qu'à présent du moins se-dévoilaient les intentions de Thèbes. Elle ne méditait pas d'autre dessein que de dominer les villes arcadiennes au moyen de gouverneurs militaires. C'est pour cela que la fête pacifique de Tégée lui avait semblé une si rude mortification, car la désunion et la faiblesse intérieure de l'Arcadie étaient la condition essentielle pour qu'elle pût satisfaire son ambition[92]. La résolution de se révolter contre cette insolence l'emporta sur toute autre considération. On ne se fit aucun scrupule, pour ne laisser à aucun prix Thèbes dominer dans la Péninsule, de renouer des relations même avec Sparte. Les Spartiates reconnurent avec plaisir dans ces avances un revirement opportun du sentiment public ; ils voyaient l'odieuse confédération s'écrouler et l'esprit démocratique qui l'avait provoquée terrassé par une opposition locale ; ils se hâtèrent donc de promettre leur appui, et cela sans mettre de nouveau en avant leurs anciennes prétentions à l'hégémonie. Au contraire, on posa à cette occasion un principe de droit fédéral tout nouveau dans le Péloponnèse, à savoir que, parmi les États coalisés, le droit de diriger les opérations serait dévolu à celui dont le territoire servirait de théâtre à la guerre[93]. Sur la foi de cette décision, Athènes aussi se joignit à la ligue anti-thébaine.

Ainsi venaient de se former des groupes d'États tout nouveaux. D'un côté, l'Arcadie dirigée par Mantinée avec l'Élide et l'Achaïe, alliées à Sparte et Athènes ; de l'autre, la seconde moitié de l'Arcadie avec Tégée, chef-lieu des cantons dévoués à Thèbes, auxquels appartenait entre autres Mégalopolis, alliée avec la Messénie et Argos. Enfin il y avait aussi des États qui avaient conclu la paix avec Thèbes, mais à la condition de pouvoir garder la neutralité dans les guerres contre Sparte, par exemple Corinthe et Phlionte. Dans le Nord, la Phocide prétendit à une situation analogue, en déclarant qu'elle n'était obligée à fournir de contingent qu'au cas où la Béotie serait attaquée[94].

Cette situation devenait à la longue intenable : on ne pouvait aboutir à un équilibre stable que par de nouvelles luttes. Il fallait une seconde victoire de Leuctres pour terrasser les États qui levaient leurs dernières forces contre Thèbes, si la patrie d'Épaminondas était destinée à prendre la direction du monde grec.

On était comme dans une atmosphère accablante en attendant la sanglante journée, et les armées des Grecs se rassemblaient comme des nuées d'orage du nord et du midi vers les hauteurs de l'Arcadie[95]. Du sud vinrent les Spartiates sous Agésilas, avec tout l'effectif de leurs hommes disponibles, en remontant la vallée de l'Eurotas ; du nord, l'armée thébaine sous Épaminondas, qui avait à affronter sans son ami les plus critiques épreuves, mais qui était dans la plénitude de sa vigueur, la pensée bien fixée sur son but et le cœur haut. Il s'arrêta près de Némée, pour surprendre dans leur marche les Athéniens qu'il savait n'être pas rendus encore dans la Péninsule[96]. Mais il se laissa tromper par le bruit que cette fois les Athéniens se transporteraient par mer en Laconie : il laissa les passages libres et fit de Tégée son quartier général, où il rallia les Messéniens, les Arcadiens du sud et les Argiens, de sorte que ses forces se montèrent à 30.000 hoplites et 3.000 cavaliers. Mais il tint ses troupes à l'intérieur de la ville, si bien que l'ennemi, qui dans l'intervalle s'était posté à Mantinée, ne pouvait obtenir de renseignements sur leur force et leur composition. Tous les yeux étaient braqués sur la plaine de Tégée ; on s'attendait à une sortie soudaine parla porte nord de la ville. Mais, au lieu de ce faire, Épaminondas partit un soir, à la tombée de la nuit — c'était en plein été — avec ses troupes vers le sud. Il savait que Sparte était pour ainsi dire sans défense : son intention était d'occuper la ville et d'y dicter la paix aux Spartiates. C'est ainsi qu'il espérait dissoudre la ligue de ses adversaires et trancher sans bataille la question de l'hégémonie.

L'entreprise était en bonne voie ; les ennemis ne s'apercevaient de rien. Mais sa propre armée renfermait des traîtres. Un homme du corps des Thespiens, qui servaient à contrecœur, nommé Euthynos, s'échappa de nuit et annonça dans le camp ennemi ce qui se tramait[97]. Agésilas envoya en avant un courrier à Sparte et se disposa lui-même avec toutes ses troupes à marcher au secours de sa patrie. A la pointe du jour, les Thébains descendirent dans la vallée de l'Eurotas et s'avancèrent par le pont dans l'intérieur de la ville. Ils étaient en droit de croire à la complète réussite de leur plan ; mais, dès qu'ils pénétrèrent dans les rues, ils trouvèrent, contre leur attente, tout préparé pour la défense. Archidamos était dans la ville. Sur son ordre, on ferma toutes les voies étroites par des barricades ; sur les toits se tenaient les vieillards, les femmes et les enfants, pour accabler les ennemis sous les pierres et les projectiles ; on avait démoli les habitations et les murs des jardins ; on n'avait même pas épargné les trépieds sacrés, pour utiliser tout ce qui pouvait servir à barrer les passages. Agésilas distribua ses hommes sur les points les plus importants et rivalisa avec son fils de dévouement personnel pour le salut de la patrie. C'était la seconde fois que les Spartiates combattaient pour leurs propres foyers, et de nouveau Épaminondas dut faire l'expérience qu'à maints égards il est plus difficile de forcer une ville ouverte qu'une ville fortifiée. La petite troupe spartiate eût été hors d'état de garnir une muraille, et, quand une enceinte est forcée par un côté, la place est généralement perdue, parce qu'on parvient rarement à rassembler de nouveau les défenseurs à l'intérieur de la ville. D'autre part, une muraille avec ses tours offre aux assiégeants, dès qu'ils ont pénétré sur un point, de solides points de repère et des abris. Mais, dans une ville ouverte et étendue comme Sparte, le combat se morcelait fatalement en une série d'engagements isolés, difficiles à embrasser d'un coup d'œil, plus difficiles encore à diriger, et qui se livraient dans les conditions les plus défavorables, de sorte que même des succès sur des points isolés n'avaient pas de véritable importance. Épaminondas pénétra heureusement avec son corps jusque sur le marché, d'où partaient les principales voies vers les différents quartiers : il occupa aussi quelques hauteurs de la rive droite du fleuve. Mais, en d'autres endroits, les détachements qui s'étaient avancés furent de nouveau irrésistiblement repoussés vers le fleuve par l'impétuosité des Spartiates, et avec de grandes pertes. Aucun soulèvement des hilotes et des périèques en faveur de Thèbes n'éclata ; par contre, il fallait s'attendre d'heure en heure à voir arriver d'Arcadie des renforts envoyés par les alliés de Sparte.

Dans ces conjonctures, un séjour prolongé n'était pas prudent pour Épaminondas. Son plan d'occuper Sparte avant l'arrivée d'Agésilas était déjoué ; et, comme il ne pouvait songer à attendre l'ennemi dans la difficultueuse vallée de l'Eurotas, il prit la résolution de retourner promptement en Arcadie, sachant que l'autre quartier général de ses adversaires, Mantinée, se trouvait actuellement dégarni de troupes, et espérant effectuer un second coup de main avec un meilleur succès. Il fit donc entretenir les feux de bivouac sur les hauteurs de la rive gauche de l'Eurotas, pour faire croire aux Spartiates que le combat allait recommencer le lendemain matin, tandis que lui-même, à la tombée de la nuit, se retira à la dérobée avec le gros de son effectif et revint en Arcadie par divers chemins[98].

Le lendemain, il laissa l'infanterie se reposer à Tégée, mais il envoya sans retard la cavalerie en avant sur le territoire de Mantinée, dont les citoyens pour la plupart se trouvaient hors de la ville, profitant de la trêve qui leur était accordée contre toute attente pour récolter leur moisson. L'apparition subite des escadrons ennemis répandit la plus grande consternation. Non seulement leur moisson et leurs troupeaux, avec un grand nombre d'ouvriers, de femmes et d'enfants qui étaient aux champs, mais la ville elle-même courait le plus grand danger[99].

Mais à la même heure où une partie des citoyens pleins d'anxiété se précipitaient dans la ville pour annoncer le péril, arrivaient inopinément les auxiliaires athéniens qui avaient passé sans être inquiétés derrière les Thébains les défilés abandonnés par Épaminondas ; en tout 6.000 hommes, sous le commandement d'Hégésilaos[100]. La cavalerie n'avait pas encore eu le temps de se refaire de la marche de nuit par du repos et de la nourriture ; mais, dans une circonstance aussi urgente, elle se tint prête à marcher en avant sans délai, et sa charge contre la cavalerie supérieure en nombre des Thébains et des Thessaliens fut si bien conduite et si vigoureuse, que ces derniers, après un chaud engagement, durent reculer sur Tégée, l'infanterie manquant pour appuyer leur opération[101]. Ainsi les Mantinéens se virent sauvés, eux et leur ville, et le second plan de campagne d'Épaminondas, quoique bien conçu, fut complètement déjoué par des circonstances qu'aucune sagacité humaine ne pouvait prévoir.

Le courage du général ne fléchit pas sous ces échecs. Il avait voulu éviter une bataille sanglante : ce projet avait avorté. Maintenant une bataille en rase campagne s'imposait ; et c'est en rase campagne qu'il se sentait le plus sûr de sa supériorité. Ses troupes n'étaient nullement découragées par ces infructueuses marches forcées : elles suivaient allègrement leur chef. Cette disposition se manifestait surtout chez les Arcadiens, parmi lesquels régnait d'ordinaire tant d'aversion contre Thèbes, et c'est un témoignage remarquable de la grandeur d'Épaminondas considéré comme général, que ces derniers, gagnés par l'attrait de sa personne, aient voulu même devenir Thébains. Ils mirent sur leurs boucliers les armoiries de Thèbes, la massue d'Héraclès[102], et se préparèrent à la bataille comme à une fête.

Épaminondas ne put ajourner la bataille ; probablement une partie des confédérés ne s'étaient engagés que pour un temps déterminé[103]. Il s'avança avec toutes ses troupes de Tégée à travers la forêt de Pélagos sur le territoire ennemi ; mais, au lieu de marcher en droite ligne sur les ennemis, qui s'étaient déjà concentrés devant Mantinée au grand complet, il tourna à gauche vers les hauteurs qui bordent la plaine au nord. Là, il fit halte, ordonna de déposer les armes et feignit de dresser un camp. Les ennemis, qui s'étaient déjà rangés en ordre de bataille complet lorsqu'Épaminondas avait débouché de la forêt, conclurent de son mouvement de conversion qu'il voulait éviter une bataille : ils rompirent donc les rangs et dessellèrent les chevaux[104]. Mais Épaminondas n'avait choisi cette position éloignée que pour abuser l'ennemi et pour préparer l'attaque sans qu'il s'en aperçût.

Avec l'élite des Thébains et des Arcadiens il composa l'aile gauche, qui devait décider du sort de la bataille. Il lui donna cette disposition profonde, en forme de coin, faite pour défoncer la ligne ennemie, tandis que le centre et l'aile droite étaient destinés à occuper l'ennemi, pour le mettre hors d'état de se porter au secours du point visé par l'attaque principale. Dans ce but, il avait encore, à l'extrémité de l'aile droite placé une division spéciale d'Eubéens et de mercenaires, chargés de menacer par le flanc l'aile gauche de l'ennemi et d'entraver la liberté de ses mouvements[105].

Quand tout fut prêt, on donna le signal. La cavalerie qui, massée aussi en forme de coin[106], était rangée à côté de la colonne d'attaque, s'avance d'abord, pour surprendre les ennemis. En toute hâte et en grand tumulte, ceux-ci courent aux armes : chacun cherche sa place ; on selle les chevaux, et la cavalerie spartiate se déploie en large masse pour ramener les Thébains qui fondent sur ses ailes. Vains efforts ! Les Thébains enfoncent la ligne, dispersent les ennemis et les rejettent sur l'infanterie[107].

Jusqu'alors on croyait n'avoir affaire qu'a une attaque de cavalerie, chargée de réparer l'échec subi les jours précédents. Mais tout à coup on vit s'avancer du pied des hauteurs l'armée entière, et Épaminondas lui-même à la tête de l'aile qui s'élançait au pas de charge . Les Mantinéens et leurs alliés se placèrent du mieux qu'ils purent. Ils formaient ensemble une ligne oblique à travers la plaine, tournant le dos à la ville qu'ils avaient à couvrir. A l'aile droite se tenaient les Mantinéens, avec les autres Arcadiens. Conformément au dernier traité, ils exerçaient le commandement. Les Lacédémoniens se joignirent à eux, puis les Éléens et les Achéens. L'aile gauche se composait de 6.000 Athéniens. En tout, ils ont dû compter 20.000 hommes d'infanterie et 2.000 cavaliers, infériorité numérique sensible par rapport à l'effectif de l'ennemi. Il ne leur manquait ni le courage ni l'ardeur guerrière, mais bien un chef capable de se mesurer avec la science militaire d'un Épaminondas. Ils n'avaient pas de plan arrêté et facilitaient à l'adversaire l'exécution du sien par leur vaste déploiement. Lorsque la colonne ennemie s'enfonça dans l'aile droite, elle ne rencontra aucune résistance. L'aile tout entière se débanda et entraîna le centre dans la confusion. La bataille était gagnée par les Thébains dès qu'elle eut commencé[108]. Mais à peine la victoire était-elle décidée, que les vainqueurs perdirent de nouveau tous leurs avantages : Épaminondas s'était engagé trop témérairement dans la mêlée : grièvement atteint, il fallut le transporter hors du champ de bataille[109]. Pendant quelque temps, les Thébains maintinrent encore leur avantage incontesté ; mais bientôt, les troupes se sentant sans direction, la poursuite s'arrête, les ennemis se rassemblent, et les Athéniens réussissent même à livrer un combat heureux à la division thébaine disposée à l'extrémité de l'aile droite.

Au point où la grande plaine de Tripolitza se resserre en un étroit défilé, qui jadis marquait la frontière entre les banlieues de Mantinée et de Tégée, se détache du versant occidental de la montagne une croupe en forme de langue d'où l'œil embrasse librement toute la plaine septentrionale. Au pied s'étendait la forêt de chênes de Pélagos, qui couvrait le défilé et se prolongeait sur une bonne lieue dans la direction de Mantinée. Cette croupe s'appelait Scopa, le poste d'observation[110] ; les Tégéates, dans leurs fréquentes querelles de frontières, s'en étaient servis à coup sûr souvent pour observer lés mouvements de l'ennemi. Ce fut la place où l'on porta Épaminondas ; là le blessé reprit encore une fois toute sa connaissance et se réjouit quand des compagnons fidèles lui rapportèrent son bouclier qui lui avait échappé pendant la mêlée ; il apprit encore la nouvelle de la victoire et fut sur le point d'expédier à ses lieutenants Iolaïdas et Diophantos ses instructions sur la manière d'user de la victoire. Mais, comme on lui annonça qu'eux aussi avaient succombé, il donna le conseil, qu'il légua à sa patrie comme l'expression de sa dernière volonté, de faire la paix[111]. Sans doute, il avouait ainsi que le but politique qu'il avait poursuivi n'était pas atteint et ne pouvait l'être. Mais ce sentiment ne troubla pas le calme sublime de son âme, car il avait la conscience d'avoir travaillé avec désintéressement jusqu'à la fin pour la liberté et la grandeur de son peuple. C'est avec une tranquille résignation qu'il fit arracher le fer de lance de sa poitrine et expira.

De même que la terre thessalienne avait reçu son ami, les siens l'ensevelirent sur le champ de bataille de Mantinée, là où ses Thébains en étaient venus aux mains pour la première fois avec la cavalerie spartiate[112] ; de sorte que même les tombeaux des deux héros signalaient les contrées où Thèbes, que leurs vertus avaient rendue si grande, avait gagné ses victoires et montré sa puissance.

Si l'on embrasse du regard la marche des événements de 379 à 362, on avouera qu'il n'y a guère dans l'histoire grecque de période où l'équilibre politique ait subi des transformations aussi rapides et radicales que dans ces dix-sept années.

Une ville depuis longtemps obscure et intellectuellement arriérée, réduite à un territoire exigu, à l'intérieur des terres, étroitement entourée dans sa propre contrée des voisins les plus hostiles, déchirée par les partis, puis complètement abattue par Sparte, s'élève en un court espace de temps, parle déploiement de son énergie propre, à la condition de centre d'un État qui abaisse entièrement la puissance militaire alors dominante en Grèce, lui arrache la moitié de ses possessions continentales, suscite dans le Péloponnèse des villes et des États nouveaux, contraint la Thessalie à l'obligation du contingent, se fait livrer comme otages des princes macédoniens, réunit dans une ligue maritime Byzance et Rhodes, et traite avec l'étranger en qualité de chef-lieu de la Grèce.

La politique de Thèbes n'était pas neuve en soi ; elle rappelait au contraire l'antagonisme ancien, rajeuni seulement par la forme nouvelle que prit la lutte : c'était toujours l'opposition aux prétentions de Sparte, qui tendait perpétuellement à redevenir maîtresse de la Grèce. A partir de l'instant où Thèbes s'éleva contre ces prétentions à titre de puissance indépendante, elle reprit la politique athénienne, tandis qu'Athènes était elle-même trop faible pour la poursuivre.

On retrouve aussi une conformité remarquable, jusque dans les détails, dans la façon dont s'est formée la puissance de Thèbes et celle d'Athènes ; il y a seulement cette différence que l'histoire thébaine concentre en une courte série d'années ce que la croissance graduelle d'Athènes déroule à travers des siècles. C'est ainsi que les deux cités ont fondé leur grandeur sur la réunion de leur contrée en un seul territoire politique. Puis, dans les deux États, la chute d'une domination illégale a marqué le début d'une ère nouvelle. De même qu'Athènes, les Thébains, polir se montrer à la hauteur de leur nouvelle mission, ont senti la nécessité plus impérieuse d'une culture plus variée et plus haute, et de même qu'Athènes a tiré les éléments de sa civilisation des îles et de l'Asie-Mineure, de même Thèbes les a tirés d'Athènes et de l'Asie-Mineure.

Les deux États durent éprouver dans la lutte leur jeune liberté et l'essor intellectuel qui s'y liait, et tout d'abord, dans une lutte de légitime défense contre les tentatives faites pour leur imposer de nouveau le joug de la tyrannie. Leuctres fut le Marathon des Thébains. La guerre défensive se changea en guerre offensive, parce qu'on ne pouvait obtenir de sûreté réelle qu'en allant chercher l'ennemi sur son propre territoire, qu'en affranchissant aussi les autres Hellènes opprimés par lui et qu'en le mettant dans l'impuissance de poursuivre sa politique d'oppression. Thèbes se fit, comme Athènes, le champion de la liberté nationale, en combattant un système de despotisme égoïste dont le joug opprimait la Grèce. Seulement, elle eut dans cette tâche la malheureuse fortune d'avoir toujours à combattre des frères d'origine, tandis qu'aux Athéniens était échue une période glorieuse de luttes nationales contre l'ennemi du dehors.

Quand de petits États sortent de leur sphère limitée pour se charger de grandes missions, cette entreprise ne peut réussir que sous les auspices de quelques hommes qui, par la force de leur volonté et les dons de leur intelligence, se distinguent dans la nation. Thèbes, au temps de son élévation, comptait bon nombre d'hommes aux aspirations élevées, capables de tout sacrifier à d'importants desseins ; pourtant sa grandeur reposa sur deux personnages, qui durent réaliser à eux seuls ce que la brillante série des hommes d'État athéniens firent pour leur patrie. Pélopidas était le champion d'avant-garde, le héros qui frayait la voie, qui, comme Miltiade et Cimon, accomplissait les tâches pressantes, avec une entière énergie. Épaminondas, au contraire, était l'homme d'État, plus perspicace, qui organisait l'État au dedans et réglait ses relations extérieures d'après un plan réfléchi : il posa les bases de sa puissance, comme avaient fait Thémistocle et Aristide pour Athènes, et la maintint, tant qu'il vécut, par la force de son génie, comme un autre Périclès. En effet, on trouverait difficilement dans toute l'histoire grecque deux hommes d'État qui, en dépit de toutes les différences de caractère et de condition extérieure, offrent dans leurs aspirations et leur destinée autant de ressemblance et une si intime conformité que Périclès et Épaminondas.

Chez ces deux hommes, c'est leur culture si haute et variée qui est la raison même de leur ascendant ; c'est la passion pour la science, pénétrant et ennoblissant toute leur vie, qui leur donne leur supériorité intellectuelle. Thèbes, dit le rhéteur Alcidamas, fut heureuse dès qu'elle eut des philosophes pour la gouverner[113].

Nous découvrons donc aussi à Thèbes, au sein d'un régime démocratique, une direction tout aristocratique, un pouvoir personnel aux mains de l'homme qui est le premier par l'intelligence. Épaminondas aussi gouverne son pays, comme l'homme de confiance du peuple, à titre de stratège réélu d'année en année. Dans cette position, il eut à éprouver l'inconstance de ses concitoyens et l'hostilité d'une opposition qui considère l'égalité garantie par la Constitution comme violée. Des hommes comme Ménéclidas jouent le rôle de Cléon. Épaminondas aussi supporta avec le calme des grandes âmes toutes les attaques et les humiliations ; il eut, comme Périclès, la satisfaction de voir lui revenir, comme à l'homme indispensable, et lui rester attachée jusqu'à la fin la confiance de ses concitoyens. A la guerre, il fut, comme Périclès, toujours heureux dans toutes les entreprises importantes, parce qu'il savait également unir à la plus haute prudence la plus entière énergie, et surtout parce qu'il s'entendait à élever l'âme de ses soldats et à les animer de son esprit. Il leur apprit, comme fit Périclès à l'égard des Athéniens, à surmonter les préjugés superstitieux[114] ; il les déshabitua des haines de parti et des violences brutales. Dès que son influence était paralysée, ils retombaient dans leurs anciens défauts ; ces périodes de rechute sont marquées par les actions qui ne leur valurent que honte et préjudice, comme le manque de foi dont on se rendit coupable à l'égard des villes achéennes et la destruction d'Orchomène, qui fut un acte de cruauté. Sous Épaminondas les Béotiens parurent d'autres hommes ; ils avaient dépouillé leur ancienne lourdeur ; leur humeur sauvage et leur violence passionnée semblaient domptées. Des hommes d'une telle autorité sont, par leur caractère même, impossibles à remplacer. Ainsi que Périclès, Épaminondas n'eut pas de successeur, et sa mort marqua la fin d'une période historique qui ne pouvait plus revenir.

L'homme d'État athénien se trouva isolé par le fait de la peste, qui enleva l'élite de la génération précédente. Épaminondas fut toujours seul. Ce qui fait incontestablement la grande différence dans l'œuvre des deux hommes d'État, c'est qu'Athènes, la ville de Périclès, était, grâce à un développement graduel et intime, mûre pour le régime auquel il avait l'ambition de l'amener, tandis que Thèbes avait à réparer en un délai des plus courts une longue incurie. C'est pourquoi, d'une part, le personnage d'Épaminondas excite encore bien plus d'étonnement ; son caractère apparaît encore plus original, son énergie plus héroïque : d'autre part, le spectacle de la grandeur de Thèbes donne dès l'origine l'impression de l'imprévu, le sentiment d'un bouleversement dont on n'augure pas de résultat durable, d'une surexcitation des forces que suivra inévitablement une détente d'autant plus grande. Tandis que Périclès, avec toute sa supériorité, restait pourtant essentiellement sur le terrain de la civilisation athénienne, Épaminondas était en quelque sorte un étranger dans sa ville natale : il ne voulait pas non plus être Thébain dans le sens où Périclès était Athénien ; le but de sa vie était plutôt de devenir un Hellène complet : ses aspirations politiques ne tendaient qu'à initier ses concitoyens au véritable hellénisme, qui consistait dans la vertu civique et l'amour de la sagesse[115].

La philosophie avait opéré sur lui comme une force qui l'avait transformé, sans lui faire quitter cependant le terrain du génie national. A sa dernière heure encore, quand il se réjouissait de voir son bouclier sauvé, il se mouftait un véritable Hellène. De même il considérait aussi, à un point de vue vraiment grec, la guerre contre Sparte et Athènes comme une lutte poursuivie pour l'honneur de l'hégémonie en Grèce, honneur qui ne pouvait être légitimement conquis que par une supériorité intellectuelle et morale.

La lutte, était inévitable ; elle avait pris le caractère d'un devoir national, parce que la domination de Sparte avait dégénéré en une tyrannie déshonorante pour le peuple grec. Durant la lutte, jamais Épaminondas n'a démenti son patriotisme hellénique ; il ne s'est jamais laissé guider par les intérêts de sa ville natale au même degré que Thémistocle et Périclès. Sa douceur envers Sparte lui valut les plus rudes attaques de la part de ses compatriotes ; il ne put jamais oublier dans l'adversaire le frère d'origine. Aussi évita-t-il les dénouements sanglants tant qu'il put, et toutes ses expéditions, dans le Péloponnèse comme en Thessalie, n'ont jamais été provoquées par l'ambition ou la vengeance, mais par les motifs les mieux déterminés et les plus pressants. Il ne songea non plus jamais à anéantir Sparte, comme Sparte en avait eu l'intention à l'égard de Thèbes ; il voulait se borner à mettre cet État antinational dans l'impuissance de nuire. Dans ce but, il employa les plus nobles moyens, surtout en se faisant fondateur de villes.

C'est dans les villes qu'étaient parvenues à maturité toutes les institutions qui distinguaient les Hellènes entre toutes les nations ; la dissolution d'une cité constituait donc le plus sensible déshonneur et la pire violence qui pût frapper une tribu grecque. Sparte, dans son égoïsme, n'hésita pas à affermir sa puissance en anéantissant des centres urbains ou empêchant une tribu de se grouper dans une ville : elle n'était capable que de prendre partout, mais non de donner ; d'entraver, mais non de faire avancer. Épaminondas, par contre, suivit une politique véritablement hellénique, en regardant comme sa mission de restaurer les États détruits, d'aider les communes encore mineures à faire l'apprentissage de l'autonomie civique et de créer des centres nouveaux de vie historique. Son dessein n'était pas de contraindre les Hellènes à se grouper en un État unique ; au contraire, le plus dur châtiment qu'il infligea aux Spartiates fut précisément de faire pour sa part une vérité de l'autonomie des républiques grecques, proclamée par eux, mais qui n'avait été dans leur bouche qu'une phrase hypocrite : en effet, sur la base de la paix d'Antalcidas, il rétablit la Messénie et rendit l'indépendance à l'Arcadie méridionale. Mais, après avoir affranchi les Étals grecs du joug de Sparte, Épaminondas donna pour but à son patriotisme béotien de rendre sa propre patrie digne et capable de prendre l'hégémonie des États librement unis, et de remplir les délicates obligations de ce poste d'honneur avec plus de loyauté que n'avaient fait Sparte et Athènes.

Vu la difficulté de cette tâche, il usa de tous les moyens légitimes pour affermir l'autorité de sa patrie. Il entra dans ce dessein en relation avec Delphes et aussi avec la Perse ; cette dernière démarche, il l'entreprit avec plus de désintéressement que n'avaient fait Sparte et Athènes avant lui, car il n'est pas aisé de prouver qu'il eût en vue l'or persique. Mais ce dont personne ne s'était formalisé de la part des Lacédémoniens, on ne le pardonna pas aux Thébains, et, de tous les actes de leur politique, c'est celui qui leur a le moins porté bonheur. Sans doute, c'est un spectacle particulièrement douloureux que de voir des hommes animés d'un si vif orgueil national appuyer leurs prétentions en Grèce sur un rescrit du Grand-Roi ; pourtant, ces démarches avaient été nécessitées par celles de leurs adversaires, et ce qu'elles avaient d'ignominieux doit être imputé aux États qui avaient mis la Grèce dans cette dépendance vis-à-vis de l'étranger.

Jusqu'à quel point Épaminondas aurait-il réussi à assurer aux Thébains la direction durable des affaires grecques, c'est ce dont personne ne peut juger. Il succomba dans toute la vigueur de l'âge., sur le champ de bataille où les États hostiles à sa politique avaient appelé leurs dernières forces ; la Grèce gisait épuisée à ses pieds, et la confédération groupée autour de Thèbes s'étendait du golfe de Messénie jusqu'en Macédoine ; elle commençait même à englober les premiers États maritimes de l'Archipel. Qui aurait eu l'idée de s'opposer à la paix générale qu'il aurait proclamée au nom de Thèbes ?

Aussi n'y a-t-il pas d'homme d'État qu'on soit en droit de juger moins que lui d'après les résultats de sa politique. Sa grandeur consiste dans ses efforts incessamment poursuivis dès l'enfance pour être aux yeux de ses concitoyens un modèle de la vertu hellénique, dans sa constance à ne jamais se laisser détourner de ses aspirations par aucune difficulté ni aucunes méprises, à ne jamais se laisser entraîner à profaner de nobles fins par des moyens impurs. Chaste et détaché de lui-même, il traversa, toujours semblable à lui-même, une vie agitée, toutes les tentations d'une fortune militaire sans exemple, toutes les épreuves et toutes les disgrâces. Il repoussa fièrement les offres du tyran Jason qui avait grande envie de le faire coopérer à ses plans[116] ; il vécut dans une pauvreté volontaire, et ne rechercha pas d'autre plaisir que celui qu'il tirait de l'accomplissement fidèle d'une mission profondément sentie et du commerce de ses amis.

L'amitié était pour les Hellènes, et surtout pour les Pythagoriciens, non seulement un ornement de la vie, un bien précieux, mais une vertu, sans laquelle on ne pouvait imaginer une vie véritablement humaine. Cette conception si purement grecque, personne ne raptus profondément saisie et appliquée qu'Épaminondas, qui reconnaissait dans l'intime fraternité de tous les hommes animés des mêmes sentiments le moyen capital d'élever sa patrie à, un échelon supérieur de culture et de puissance, et qui, au sein de la grande fédération, forma avec son Pélopidas un couple d'amis tels que le monde grec n'en vit jamais auparavant ni dans la suite. Ils se tenaient l'un à côté de l'autre, sans jalousie, avec un inviolable dévouement, l'un complétant et animant l'autre dans leur commune mission. Pélopidas restait en contact plus direct avec le monde, avec les hommes, que le grave et austère Épaminondas ; il était plus populaire que celui-ci, et sans aucun doute il travailla activement à faire apprécier du grand public le mérite de son ami. Il avait été son précurseur lors du hardi coup de main contre les tyrans ; il se rallia ensuite tout à fait à la manière de son ami et se subordonna avec une affectueuse modestie à ce génie supérieur. Il fut l'homme d'action, qui concourut avec une assurance pleine d'entrain à l'exécution des idées d'Épaminondas.

Les relations incomplètes des anciens ne mentionnent que les résultats extérieurs de la politique thébaine. Notre admiration s'accroîtrait, s'il nous était donné d'embrasser du regard l'activité des deux amis à l'intérieur de la république et les difficultés qu'ils eurent à y surmonter. Épaminondas ne fut pas seulement le créateur d'une organisation militaire ; il n'a pas moins révélé son génie inventif en procurant à ce petit pays, que n'enrichissaient ni le commerce ni l'industrie, les ressources suffisantes pour entretenir une armée de terre digne d'un grand État et une flotte de guerre.

Il s'assimila toutes les idées fécondes des régimes antérieurs, et les Athéniens surtout s'offrirent à ses yeux comme les modèles et les devanciers naturels. De même qu'il appliqua dans l'intérêt de sa patrie les progrès que Xénophon, Chabrias et Iphicrate avaient fait faire à l'armement et à la tactique, de même que les succès d'Iphicrate l'encouragèrent à forcer comme lui les passes de l'isthme et à attaquer les Spartiates dans leur Péninsule, de même il apprit des Athéniens que l'hégémonie en Grèce ne pouvait se décider que sur mer, et pareillement il s'inspira de ce principe adopté par les fondateurs de la seconde Ligue maritime athénienne, qu'il fallait épargner les constitutions locales des alliés. Aussi s'opposa-t-il de la façon la plus délibérée à une propagande politique sans ménagement, telle que la voulaient les démagogues thébains. Enfin, Épaminondas, plus qu'aucun autre homme d'État de la Grèce, marcha sur les traces d'Athènes, en considérant la culture publique des arts et des sciences comme un devoir essentiel de l'État qui prétendait à l'hégémonie.

Lui-même fit tous ses efforts pour naturaliser la philosophie Thèbes, non comme un ingénieux amusement, cultivé dans un cercle d'élite, mais comme une force capable d'élever et d'épurer le peuple par des notions supérieures. L'éloquence publique s'acclimata à Thèbes en même temps que la liberté. constitutionnelle, et. Épaminondas non seulement se montra lui-même parfaitement à la hauteur des premiers orateurs d'Athènes, notamment de Callistratos, par l'énergie de sa parole et son heureuse présence d'esprit, mais encore, comme le prouve l'ambassade de Suse, ses amis apprirent en un espace de temps singulièrement court à défendre, à côté des autres États qui depuis longtemps pratiquaient des relations extérieures, les intérêts de Thèbes avec vigueur, talent et dignité.

Dans tous les domaines se manifesta un mouvement intellectuel, un vigoureux élan pour réparer la négligence du passé. Anaxis et Dionysodoros écrivirent l'histoire de là Béotie[117]. Parmi les arts, la peinture se développa avec un bonheur particulier. Aristide fut le chef d'une école de peinture béotienne, qui fleurit à l'époque de l'affranchissement de Thèbes : elle se distinguait par une manière grave et digne, par la représentation à la fois profonde et claire de sujets d'une portée morale, et elle acquit ainsi une illustration nationale[118].

L'architecture de l'époque a laissé jusqu'à nos jours d'honorables traces dans les restes bien conservés des fortifications de Messène, construites sous la direction d'Épaminondas : ce sont des modèles d'une architecture du plus grand style. Les murs sont bâtis avec d'énormes pierres de taille ; ces blocs immenses, en partie irrégulièrement taillés, ont gardé, leur paroi extérieure raboteuse ; mais ils sont exactement ajustés et soigneusement polis sur les bords[119], si bien que le caractère de la puissance se marie avec celui de la grâce et de l'élégance.

La sculpture aussi trouva un asile à Thèbes. La première alliance entre Athènes et Thèbes fut scellée par l'art lorsqu'Alcamène exécuta un monument dédicatoire pour Thrasybule. Au temps de la guerre de Corinthe existait à Thèbes une école renommée de fondeurs en bronze. Parmi eux figurent Hypatodoros et Aristogiton, qui à l'occasion du combat d'Œnoë, érigèrent à Delphes pour les Argiens les groupes représentant les alliés de Polynice et les Épigones[120]. Un rapide progrès élimina les formes archaïques qui s'étaient maintenues dans l'art comme dans la langue et l'écriture de la Béotie. On appela les maîtres de la jeune école d'Athènes. Scopas fut l'auteur de l'Athéna qui se dressait, comme pendant à un Hermès de Phidias, devant le vestibule de l'Isménion à Thèbes[121], et Praxitèle orna de figures le fronton de l'Héracléion[122]. Après de glorieuses luttes, à Thèbes aussi bien qu'à Athènes, on décora avec une splendeur nouvelle les sanctuaires de la cité, notamment ceux d'Apollon Isménien et du héros national Héraclès. A l'Athéna Promachos de Phidias correspondait l'Héraclès Promachos des Thébains, et sur l'agora de leur ville s'éleva le temple d'Artémis Eucleia, avec la statue en pied de la déesse, de la main de Scopas, absolument comme les Athéniens avaient célébré cette divinité après la victoire de Marathon. Épaminondas doit avoir soit exécuté soit projeté bien d'autres travaux dans la ville et dans l'acropole, car ses aspirations tendaient, bien qu'avec une sage modération, à transporter à Thèbes l'éclat de l'Athènes de Périclès, et c'est pourquoi, à ce qu'on rapporte, il dit à ses concitoyens que, s'ils voulaient tenir le premier rang en Grèce, il leur fallait transporter les Propylées d'Athènes sur la montée de la Cadmée[123].

Pourtant, la grandeur de Thèbes ne fut pas simplement un écho du passé ; malgré sa courte durée, elle a aussi une signification indépendante et a servi de modèle à l'âge suivant.

Grâce à Épaminondas, Thèbes devint, comme siège d'une politique libérale et nationale, l'égale de la république athénienne. Cette évolution permit aux deux États de marcher de concert dans la lutte soutenue plus tard pour l'indépendance grecque, et en ce sens, Épaminondas a inauguré l'œuvre de Démosthène. Mais il apparaît aussi comme le devancier des rois de Macédoine dans leurs tâches les plus nobles et les plus considérables. Il a montré comment le vainqueur peut tirer de ses succès un résultat pacifique, comment, dans des contrées opprimées et des cantons ruraux, il peut éveiller une vie nouvelle et créer par l'établissement de centres urbains des monuments durables d'une influence bienfaisante. Si l'on réfléchit avec quelles ressources exiguës et dans quel court délai Épaminondas fonda ou concourut à fonder Mantinée, Messène, Mégalopolis ; comment il conduisit dans d'autres places encore, par exemple à Corone, des colons thébains, on n'osera pas lui contester l'honneur d'avoir été le devancier d'Alexandre et de ses successeurs dans l'art royal de fonder des villes.

Leur devancier, il le fut encore en étendant par la diffusion de la civilisation grecque les étroites limites de la patrie, et en attirant les peuples du nord dans la sphère de l'histoire grecque. Il représentait dans sa personne l'idée d'un hellénisme qui, indépendant des accidents du milieu, planait dans les régions libres et élevées au-dessus des différences d'États et de races. Jusqu'alors on n'avait vu que des hommes d'État qui étaient de grands Athéniens ou de grands Spartiates : chez Épaminondas, cette couleur locale s'efface ; il fut d'abord Hellène et ensuite Thébain, et il prépara ainsi l'opinion à considérer l'hellénisme comme un bien intellectuel, indépendant du lieu natal, point de vue qui est précisément celui de l'époque hellénistique.

C'est parce que le génie hellénique apparaît chez Épaminondas en traits plus francs et plus humains que chez les chefs d'État connus avant lui en Grèce, que sa figure fut mieux comprise des générations postérieures. Il était plus aisé de se retrouver en lui, et sa personne pouvait servir de modèle partout où demeuraient des Hellènes ou des Philhellènes. C'est ainsi que son souvenir soutint le courage des hommes qui, dans les derniers temps, tentèrent de maintenir debout l'honneur du peuple grec, Philopœmen et Polybe[124] ; et même dans le monde romain, il n'y eut pas de Grec plus apprécié qu'Épaminondas.

Dans ces circonstances, ce serait un crime que de tenir son activité pour inféconde et ses hautes aspirations pour vaines. Il a essentiellement contribué à enrichir l'histoire grecque d'un fonds tout moral et d'une valeur éternelle ; il occupe dans le développement de la culture grecque une place éminente, encore que les résultats extérieurs de son activité se soient évanouis avec son dernier souffle.

C'est avec une douloureuse anxiété que la Grèce entière avait attendu la journée de Mantinée. On n'avait jamais vu, dans les anciennes luttes pour l'hégémonie, tant de forces en présence. Cette fois-ci, croyait-on, tout allait se décider. Thèbes gagna la bataille ; mais ce fut une victoire sans vainqueurs, et il n'y eut pas de prix de la lutte à partager. On savait seulement que Sparte avait perdu l'hégémonie une fois pour toutes et que Thèbes ne la garderait pas.

 

FIN DU QUATRIÈME VOLUME.

 

 

 



[1] THUCYDIDE, I, 111.

[2] THUCYDIDE, II, 22. Cf. BUTTMANN, Mythologus, II, p. 285. MEINEKE, Monatsberichte der Berl. Akad., 1851, p. 587.

[3] ARISTOTE, Polit., p. 219, 24.

[4] Aristippos est soutenu par Cyrus, à condition qu'il ne fera pas la paix sans l'agrément du prince, preuve de l'intention qu'avait Cyrus d'exercer son influence sur les affaires de la Grèce (XÉNOPHON, Anab., I, 1, 10).

[5] Pharsale avait une garnison spartiate en 391 (DIODORE, XIV, 82).

[6] Dans l'histoire de Lycophron, il n'y a qu'un point de repère assuré, c'est sa victoire sur les Lariséens (XÉNOPHON, Hellen., II, 3, 4). L'éclipse de soleil mentionnée ce jour-là a eu lieu le 3 septembre 404. Ce fut probablement le début de sa tyrannie (opinion que ne partage pas HAMMING, De Iasone).

[7] Μήδιος appartient, comme l'indique l'analogie de Φρύγιος, Θέσσαλος, etc., à la catégorie des noms d'emprunt, choisis à cause de leur signification politique (Cf. Monatsberichte der Berl. Akad., 1870, p. 167).

[8] Voici l'enchaînement probable des faits. Après le départ des contingents fournis par les tribus et conduits à l'armée de Cyrus par Ménon, il y a une nouvelle extension de Lycophron appuyé par Sparte (Pharsale doit avoir été, prise à frais communs), jusqu'à l'intervention des Thébains et Argiens qui, de concert avec l'Aleuade Médios, expulsent les Lacédémoniens de Pharsale en 395 [Ol. XCVI, 2] (DIODORE, XIV, 82). Médios fait vendre les habitants de Pharsale comme esclaves, ce qui prouve qu'il les considérait eux aussi comme des ennemis. Les Aleuades sont de nouveau puissants : quand Agésilas revint d'Asie, la Thessalie lui était hostile (XÉNOPHON, Hellen., IV, 3, 3). Puis le tyran de Phères reprend l'avantage, et c'est alors qu'a lieu l'extermination des mercenaires de Médios (ARISTOT., Hist. Anim., IX, 31) que SCHNEIDER (zu Xenoph.) et DU MESNIL (De rebus Pharsal., p. 47) rapportent sans motif à la guerre de Corinthe. Cf. LIEBINGER, De rebus Pherœis, et PAHLE, Zur Geschichte der pheräischen Tyrannis (N. Jahrbb. für. Philol., 1866, p. 530.)

[9] Jason apparaît dans l'histoire de Thessalie d'une façon jusqu'ici encore inexpliquée. Qu'il ait reçu la tyrannie en héritage, c'est ce qui paraît vraisemblable, étant donné le nom de son fils Lycophron. Mais ce Lycophron et ses frères (Tisiphonos et Pitholaos) étaient les fils de la femme de Jason et simplement frères utérins de Thébé (PHOT., Bibl., p. 142). Il est donc probable que la femme qui avait épousé en secondes noces Jason était la fille (et la fille unique) du premier Lycophron, comme l'a fait voir PAHLE (op. cit.). Suivant la conjecture émise par ce savant, Jason ne serait autre que le chef de partisans Prométheus, et c'est lui qui, dès 406, à l'âge de 24 ans, aurait travaillé avec Critias pour le compte de Lycophron. Wyttenbach avait déjà conclu à l'identité des deux personnages, parce qu'on rapporte à tous les deux la même anecdote, celle du meurtrier qui se trouve avoir fait sans le vouloir une opération salutaire et guéri sa victime (VAL. MAX., I, 8, extr. 6. PLUTARQUE, Moral., p. 890.)

[10] APOLLODOR. [DEMOSTH.], In Timoth., § 10, 22.

[11] DIODORE, XV, 60.

[12] ISOCRATE, Philipp., § 119. XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 12.

[13] Cf. XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 2 sqq. Polydamas était à Pharsale μεσίδιος άρχων (SIEVERS, Gesch. Griechenlands, p. 325).

[14] XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 18.

[15] XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 19.

[16] XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 5, 6.

[17] Jason fait alliance avec Alcétas (XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 7) et aussi avec Amyntas de Macédoine (DIODORE, XV, 60.)

[18] DIODORE, XV, 30.

[19] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 22 sqq.

[20] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 27.

[21] DIODORE, XV, 57. XÉNOPHON, ibid. Cf. WEIL, Hermes, VI, p. 384 sqq.

[22] DIODORE, ibid.

[23] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 28.

[24] XÉNOPHON, Hellen., VI, 1, 11. 4, 21.

[25] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 28.

[26] Sur les rapports de Jason avec Delphes, cf. C. I. GRÆC., I, p. 811. XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 29.

[27] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 30. On rencontre déjà une réponse analogue dans Hérodote (VIII, 30) et ailleurs.

[28] L'assassinat de Jason eut lieu έπιόντων Πυθίων (XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 29. DIODORE, XV, 57).

[29] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 32.

[30] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 33 sqq. Polydoros est soupçonné par quelques historiens d'avoir provoqué l'assassinat de Jason (DIODORE, XV, 60). XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 35 sqq.

[31] PLUTARQUE, Pélopidas, 28. Plus tard, il demanda la main de la veuve de son beau-père, qui doit avoir été, par conséquent, une seconde femme de Jason, et probablement une Thébaine (XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 37). On a des monnaies d'Alexandre avec des types de Phères (WEIL, Zeitschrift für Numismatik, I, [1873], p. 182). Cf. RHOUSOPOULOS, Δραχμή Άλεξάνδρου τοΰ Φεραίου (Mittheil., IV, [1879], p. 187).

[32] XÉNOPHON, Hellen., VI, 4, 34.

[33] DIODORE, XV, 61.

[34] DIODORE, XV, 67. PLUTARQUE, Pélopidas, 26.

[35] PLUTARQUE, Pélopidas, 27. DIODORE, XV, 71.

[36] DEMOSTH., In Aristocrat., § 120. DIODORE, XV, 71. XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 28.

[37] DIODORE, XV, 71.

[38] PLUTARQUE, Pélopidas, 29. DIODORE, XV, 75.

[39] PLUTARQUE, Pélopidas, 28.

[40] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 23 sqq.

[41] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 24. Il faut dire que Xénophon traite Lycomède avec une malveillance très marquée.

[42] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 25.

[43] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 25.

[44] En 400, après la guerre d'Élide.

[45] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 26.

[46] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 29.

[47] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 29. Diodore (XV, 70) donne un motif qui n'est pas le vrai, en faisant porter le débat sur l'indépendance des villes béotiennes. Nous sommes renseignés sur la politique athénienne au congrès de Delphes par une inscription (C. I. ATTIC., II, n. 51) étudiée de près par KÖHLER (Mittheil., I, p. 13 sqq.). D'après ce texte, on considérait alors la paix d'Antalcidas, renouvelée en 371 à Sparte, comme existant toujours en droit, et les Thébains, qui ne voulaient pas la reconnaître, comme les perturbateurs du repos public. Denys et ses fils, Denys le Jeune et Hermocritos, reçoivent des éloges parce qu'ils ont appuyé l'exécution du traité de paix, et on leur décerné du même coup une couronne d'or et le droit de cité à Athènes. Denys avait, au commencement de l'été 368, envoyé une ambassade en Grèce avec une déclaration écrite, dans laquelle il prenait parti pour les décisions du congrès de Sparte : fait qui montre du même coup que le nouveau congrès, celui de Delphes, n'a pas été provoqué uniquement par Ariobarzane. C'est dans l'écrit envoyé par Denys qu'était soulevée la question περί τής ο[ίκ]οδομ[ίας τοΰ νε]ώ (ibid., lig. 9). Köhler fait remarquer qu'il est fait allusion en cet endroit à une disposition du traité de paix de 371, mentionnée également par Xénophon (Hellen., VI, 4, 2). D'après ce passage, il a dû y avoir à ce moment au temple de Delphes des travaux de reconstruction, et l'on impose aux signataires du traité comme un devoir national l'obligation d'y prendre part.

[48] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 28.

[49] Μαλέα, Μαλαία, ou même Μηδέα et Μιδέα (E. CURTIUS, Peloponnesos, I, p. 336). La première orthographe est préférable, car la région s'appelait Μαλεάτις (XÉNOPHON, Hellen., VI, 2, 24).

[50] PLUTARQUE, Agesil., 33. DIODORE, XV, 72. XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 28-32. D'après Diodore, il y aurait eu 10.000 morts. Xénophon dit qu'à Sparte tout le monde pleura, mais de joie.

[51] PLUTARQUE, Pelopid., 30. Artaxerx., 22. XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 33. Xénophon, toujours animé d'une malveillance peu honorable, mentionne ici pour la première fois le nom de Pélopidas. GROTE (XV, p. 110-111, trad. Sadous) s'appuie sur des raisons insuffisantes pour placer l'ambassade avant la captivité de Pélopidas. Cf. SCHÄFER, Demosthenes, I, p. 82. SIEVERS, Gesch. Griechenlands, p. 285. 397.

[52] Antalcidas envoyé à Suse en 372, y retourne en 369/8, après l'invasion de la Laconie (HERTZBERG, Agesilaos, p. 360). Déshonoré pour avoir, étant éphore, fait passer ses enfants à Cythère lors de l'invasion (PLUTARQUE, Agesil., 32) il se laissa mourir de faim (PLUTARQUE, Artax., 22).

[53] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 36. On stipule pour Amphipolis la garantie de la Perse (DEMOSTH., De fals. leg., § 137). Cf. REHDANTZ, Iphicrat., p. 131. Ces dispositions hostiles aux Athéniens font sans doute peu d'honneur aux Thébains ; mais il faut songer qu'Athènes a elle-même poussé Thèbes à cette politique malveillante, en se refusant si dédaigneusement à toute alliance avec Thèbes, et en rendant impossible le rétablissement de l'ordre en Grèce par l'initiative des États grecs eux-mêmes.

[54] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 38-39.

[55] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 40.

[56] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 42.

[57] THUCYDIDE, V, 82. Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, I, p. 417.

[58] XÉNOPHON, ibid. Jusqu'à ce moment, Xénophon n'a pas encore prononcé le nom d'Épaminondas, et, s'il le nomme cette fois, c'est uniquement pour faire remarquer que les mesures prises par lui ont été désapprouvées par les Thébains.

[59] DIODORE, XV, 75. Calydon fut rendue aux Locriens.

[60] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 43.

[61] XÉNOPHON, Hellen., VII, 1, 44 sqq. Dans la chronologie relative à Euphron, le récit de Xénophon prévaut contre le système de Diodore (XV, 70). Xénophon place le début de la tyrannie après la troisième expédition d'Épaminondas (Cf. THIRLWALL, History of Greece, V, p. 129, 1). On a des monnaies de cuivre d'Euphron (LEAKE, Num. Hell. Eur., 164).

[62] XÉNOPHON, Hellen., VII, 3, 4 sqq.

[63] XÉNOPHON, Hellen., VII, 3, 5-11.

[64] XÉNOPHON, Hellen., VII, 3, 12. Après la mort d'Euphron, non seulement l'alliance avec Thèbes fut maintenue, mais il parait bien que, consolidées par cette alliance, les réformes constitutionnelles opérées de force par Euphron ont également subsisté. Outre le nom d'Euphron, on rencontre également sur les monnaies celui d'un certain Cléandros, qui a pris part au même mouvement (Cf. R. WEIL, Zeitschrift für Numismatik, VII, p. 371 sqq.).

[65] DIODORE, XV, 76. XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 1.

[66] D'après les nouvelles scolies d'Eschine (In Ctesiph., § 85), la perte d'Oropos eut lieu dès 367/6, sous l'archontat de Polyzélos (Ol. CIII, 2). Cf. A. SCHÄFER, N. Jahrbb. für Philol., 1866, p. 26.

[67] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 4 sqq.

[68] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 6 sqq.

[69] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 2. 6.

[70] XÉNOPHON, Hellen, VII, 4, 12.

[71] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 13. DIODORE, XV, 77.

[72] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 16.

[73] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 15.

[74] PAUSANIAS, VI, 2, 19.

[75] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 19-27. ATHEN., p. 542. Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, I, p. 291 sqq.

[76] Ce fut pour les Éléens une άνολυμπιάς (PAUSANIAS, VI, 22, 3).

[77] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 28-32. DIODORE, XV, 78.

[78] Il avait été assassiné à son retour d'Athènes par les bannis du parti adverse (XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 3).

[79] DIODORE, XV, 82.

[80] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 34.

[81] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 35.

[82] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 36 sqq.

[83] PLUTARQUE, Philop., 14. Cependant la proposition qu'il fit aux Thébains était, suivant Diodore, méditée de longue date (DIODORE, XV, 78).

[84] CORN. NEPOS, Epamin., 5. PLUTARQUE, De sui laude, p. 542 a.

[85] DIODORE, XV, 79. L'apparition de la flotte thébaine dans l'Archipel mit les alliés d'Athènes en effervescence. A Céos, le parti anti-athénien se souleva et voulut chasser ses adversaires : mais le mouvement fut bientôt après réprimé avec rigueur par Chabrias et fut cause qu'Athènes rétablit, au moins partiellement, dans l'île sa juridiction souveraine (KOUMANOUDIS, V, p. 516. KÖHLER, Mittheil., II, 112 sqq.). D'après KÖHLER (ibid., p. 150), le monopole de l'exportation du minium de Céos, qui se trouve plus tard aux mains des Athéniens, doit leur avoir été attribué par les traités conclus à cette époque. De même, d'après Isocrate (Philipp., § 53 sqq.), l'alliance que l'on constate entre Byzance et Thèbes au temps de la Guerre Sacrée, alliance qui vaut aux Thébains des contributions en argent pour leur caisse militaire (cf. l'inscription de Thèbes dans Koumanoudis, Άθήναιον, III, p. 479 sqq.), remonte à l'expédition militaire d'Épaminondas.

[86] PLUTARQUE, Pelopid., 31.

[87] L'éclipse a eu lieu le 30 juin 364.

[88] PLUTARQUE, Pelopid., 31. DIODORE, XV, 80. D'après le calcul de Pingré, l'éclipse de soleil aurait eu lieu le 13 juillet 364 (A. SCHÄFER, Demosthenes, I, p. 109) : Dodwell la place au 30 juin.

[89] PLUTARQUE, Pelopid., 32. DIODORE, XV, 80. Pélopidas fut enterré sur le champ de bataille (PLUTARQUE, ibid., 33).

[90] PLUTARQUE, Pelopid., 35. Diodore (XV, 80) s'exprime d'une façon inexacte.

[91] XÉNOPHON, Hellen., VII, 4, 40.

[92] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 1.

[93] XÉNOPHON, Hellen., VIII 5, 3.

[94] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 4.

[95] Les alliés de Thèbes étaient : les Eubéens, Locriens, Sicyoniens, Maliens, Ænianes, Thessaliens, Argiens, Messéniens, Arcadiens méridionaux [Tégéates, Mégalopolitains, Aséates, Pallantiens] (DIODORE, XV, 85. XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 5). Les alliés des Spartiates étaient : les Éléens, les Arcadiens du nord, les Achéens et les Athéniens (XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 18).

[96] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 7.

[97] Cet Euthynos (ou Εύώνυμος ? KEIL, Syllog. Inscr. Bœot., 213) était, d'après Callisthène, un Thespien (PLUTARQUE, Agesil., 34) ; d'après Xénophon (Hellen., VII, 5, 10), un Crétois.

[98] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 11-13. DIODORE, XV, 83. PLUTARQUE, Agesil., 34.

[99] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 14.

[100] EPHOR., fragm., 146 a (ap. DIOG. LAERT., II, 54). XÉNOPHON, De vectig., 3, 7. Diodore (XV, 84) se méprend sur le nom du chef athénien, qu'il appelle Ήγέλοχος.

[101] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 17. Au nombre des morts étaient l'hipparque Céphisodoros et Gryllos, le fils de Xénophon (DIOG. LAERT., ibid., HARPOCRAT., s. v., Κηφισόδωρος. PAUSAN., VIII, 9, 10). Cet engagement fut représenté par le peintre Euphranor (PAUSAN., I, 3, 4. Cf. SCHÄFER, Demosthenes, III, Beilag., I, p. 14).

[102] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 20. Ce passage a été mal compris par GROTE (XV, p. 197, 1, trad. Sadous). CLARK (Peloponnes) tient à la leçon 'ρόπαλα έχοντας. Toutes les difficultés s'évanouissent si l'on retranche, avec les meilleurs mss., le mot έχοντες.

[103] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 18.

[104] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 22.

[105] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 23.

[106] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 24.

[107] XÉNOPHON, ibid. DIODORE, XV, 85.

[108] Cf. la description de la bataille par SCHÄFER, Demosth., III, Beilag., I. Sur la date, voyez Archäol. Zeitung, 1856, p. 263. Dans le système de l'octaétéride (BÖCKH, Mondcyclen, p. 28) le premier Hécatombæon de Ol. CIV, 3 tombe le 22/3 juillet 362 : par conséquent, le 12 Scirophorion Ol. CIV, 2 tombe entre le 3 et le 5 juillet 362. Seulement, cette date est fort contestable. KÖHLER (Mittheil. I, p. 197 sqq.) a démontré que l'inscription publiée par KOUMANOUDIS (Άθηναίον, V, p. 101) se rapporte à l'alliance conclue avant la bataille de Mantinée entre Athènes et ses alliés, d'une part, et les Arcadiens, Achéens et Étéens, d'autre part. On est fixé sur la question de temps par la mention de vœux, lig. 6-12. Ce qu'on attend, c'est la bataille de Mantinée. Or, l'inscription est de l'archontat de Molon (362/1). Ce fait infirme du même coup et la tradition rapportée par Diodore (XV, 82) et Plutarque (Vit. X Orat.), qui veut que la bataille ait eu lieu sous l'archontat immédiatement antérieur de Chariclide, et la date du 12 Scirophorion donnée par Plutarque (De glor. Athen., p. 350). Cette dernière date, comme les autres mentionnées au même endroit, doit être celle de la fête d'actions de grâces. La conclusion de l'alliance et la bataille qui s'ensuit tombent dans les premières semaines de l'archontat de Molon (août 362).

[109] XÉNOPHON, Hellen., VII, 5, 25. DIODORE, XV, 87.

[110] Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, I, p. 247.

[111] PLUTARQUE, Apophth. reg. Epamin., 24. ÆLIAN., Var. Hist., XII, 3.

[112] PAUSANIAS, VIII, 11, 8.

[113] ALCIDAM. ap. ARISTOTE, Rhet., II, 23.

[114] DIODORE, XV, 53, etc.

[115] DIODORE, XV, 87.

[116] PLUTARQUE, De gen. Socrat., 14.

[117] Fragm. Histor. Græc., p. 84.

[118] BRUNN, Geschichte der griechischen Künstler, II, p. 159.171. SCHUCHARDT, Nikomachos, p. 7. Sur Aristide, voyez DILTHEY (Rhein. Museum, XXV, p. 151. XXVI, P. 283) ; URLICHS (ibid. XXV, p. 507).

[119] Cf. E. CURTIUS, Peloponnesos, II, p. 139.

[120] PAUSANIAS, X, 10, 3. BRUNN, op. cit., I, p. 293.

[121] PAUSANIAS, X, 10, 2.

[122] PAUSANIAS, IX, 11, 4. Sur les artistes étrangers venus à Thèbes, voyez ULRICHS, Skopas, p. 71 sqq. STARK in Philologus, XXI, p. 425.

[123] ÆSCHINE, De falsa leg., § 105. Sur les lois concernant les arts à Thèbes, ÆLIAN., Var. Hist., IV, 4.

[124] POLYBE, VI, 43. On le dit de Philopœmen (PLUTARQUE, Philop., 3), d'Aratos (PLUT., Arat., 19), de Timoléon (PLUT., Timol., 36), de Caton (PLUT., Cato m., 8). Cf. SCHÄFER in Philologus, XXIII, p. 658. D'une manière générale, il nous manque surtout Éphore, dans l'histoire duquel le portrait d'Épaminondas tenait à coup sûr une place d'honneur.