HISTOIRE GRECQUE

TOME QUATRIÈME

LIVRE CINQUIÈME. — LA DOMINATION DE SPARTE EN GRÈCE (DE 404 A 379 AV. J.-C.).

CHAPITRE QUATRIÈME. — LA GUERRE DE CORINTHE.

 

 

§ I. — LES HUIT ANNÉES DE GUERRE.

Lorsqu'Agésilas passa en Asie pour attaquer le Grand-Roi dans son empire, cette entreprise, vue du dehors, pouvait être regardée comme un essor grandiose de Sparte ; en réalité, Sparte ne faisait que se dérober à la tâche incomparablement plus lourde qu'elle avait à résoudre dans la patrie hellénique, et la complète incapacité qu'elle montra dans le maniement des affaires grecques causa à l'État plus de préjudice que la gloire de ses armes ne lui valut d'avantages. Après les exploits des Cyréens, des triomphes sur les satrapes perses ne pouvaient plus produire de sensation ; l'appel aux idées nationales artificiellement excitées ne trouvait pas d'écho, parce que ces idées ne répondaient point à un sentiment vrai : le siècle était trop froid pour se laisser éblouir par le pompeux début d'Agésilas.

Pendant ces campagnes, le mécontentement général n'avait fait qu'augmenter. Le cruel traitement infligé à Élis avait surtout provoqué la plus vive irritation ; on voyait maintenant où Sparte voulait en venir, quand elle avait la puissance en main. Mais on voyait aussi que, pendant que les petits États voisins et sans défense étaient les victimes de sa rancune, les grands États plus éloignés restaient impunis pour l'opposition la plus manifeste et les offenses les plus injurieuses. Ainsi s'évanouit peu à peu la crainte de Sparte ; on reconnut la disproportion qu'il y avait entre ses prétentions à la puissance et sa puissance réelle, et il s'établit d'autant plus aisément une entente entre les États qui voulaient pour la première ou la seconde fois se soustraire à l'oppression de Sparte, les uns se relevant de leur défaite, les autres entrant en ligne avec des forces fraîches pour se conquérir une situation indépendante[1].

Thèbes, Argos, Corinthe et Athènes étaient les places où fermentait cet esprit d'opposition ; partout il y avait des hommes considérables pour diriger le mouvement ; à Argos, Cylon et Sodamas ; à Corinthe, Timolaos et Polyanthe ; à Thèbes, Androclide, Amphithéos et Galaxidoros[2]. A Athènes les orateurs populaires Agyrrhios et Épicrate prirent de l'influence, et l'État revint de plus en plus à l'ancien régime démocratique. Une tendance pareille, marchant de pair avec la révolte contre Sparte, se manifesta également dans les autres villes et servit à les unir entre elles.

Cette situation, on en était instruit en Perse par l'intermédiaire de Conon, et Timocrate reçut des instructions en conséquence. Le moment était si favorable qu'il n'eut pas besoin de recourir à la corruption pour embaucher des traîtres et imprimer une direction nouvelle à la politique des États. On pouvait traiter ouvertement, et l'on était d'autant plus sûr de ne pas dépenser inutilement l'argent. La défection était déjà opérée : Corinthe comme Athènes avaient refusé leurs contingents. Thèbes, que les Spartiates tentèrent de gagner tout particulièrement par l'envoi d'Aristoménidas, avait imité ces deux villes avec bien moins de ménagements encore, et de plus insulté publiquement et de la façon la plus grossière le roi Agésilas. C'était là une situation qui n'était pas tenable ; il binait en venir à la guerre, et il n'y avait certes aucun avantage à attendre que Sparte, enrichie par le butin d'Asie et encouragée par une paix heureuse avec la Perse, jugeât à son tour l'instant propice pour châtier les États réfractaires et leur infliger successivement le sort de l'Élide. Il ne manquait que des ressources pour faire la guerre : maintenant qu'elles s'offraient à l'improviste et en abondance, on ne pouvait ni ne devait tarder. Ainsi s'explique le prompt effet qui suivit l'envoi de Timocrate, et qui confirma avec éclat tout ce que Conon avait montré en perspective.

Les Thébains étaient les plus ardents. Ils étaient alors à la du pays entier ; ils agissaient en qualité de Béotiens. Ce sont eux qui amenèrent l'explosion de la guerre, mais il s'y prirent de façon à ne pas s'attaquer immédiatement à Sparte, en provoquant dans leur voisinage une querelle de frontières.

Les Locriens d'Oponte, placés sous l'influence de Thèbes, reçurent avis de revendiquer une bande de territoire qui faisait litige entre eux et la Phocide[3]. Les Phocidiens, comme on pouvait le prévoir, appellent Sparte à leur secours[4], et les Thébains députent à Athènes. Athènes était une ville sans défense et tenue à une attitude circonspecte ; elle n'avait pas accepté de subsides de la Perse[5] et répugnait à entamer des hostilités ouvertes. D'autre part, elle ne pouvait souffrir de voir les troupes péloponnésiennes envahir de nouveau la Grèce centrale et la politique de Lysandre revenir à l'ordre du jour, car dans ce cas les Athéniens pouvaient s'attendre aux plus mauvais traitements. Aussi les envoyés de Thèbes avaient-ils pleinement raison dans la péroraison de leur harangue, en disant que la ligue armée proposée par eux était encore plus avantageuse pour Athènes que pour Thèbes.

Le parti laconien n'osa pas essayer ses forces à Athènes. Peut-être une ambassade se rendit-elle encore à Sparte avec la proposition de faire trancher par un tribunal le différend concernant la frontière phocidienne[6]. Comme on n'y répondit que par des préparatifs de guerre, la république se décida promptement. On voyait bien les garnisons spartiates campées en cercle autour de l'Attique, en Eubée, à Tanagra, à Égine, à Mégare[7] : on était soi-même dépourvu de murailles et de vaisseaux, mais on ne voulait pas laisser en peine les bienfaiteurs de la cité[8]. A côté d'hommes comme Épicrate, sur le compte desquels du moins le bruit courait qu'ils avaient touché de l'argent des Perses, Thrasybule de Collytos et Thrasybule de Stiria, le libérateur d'Athènes, parurent en public et réveillèrent l'ancienne valeur guerrière. Thrasybule rédigea un plébiscite, aux termes duquel Athènes concluait une ligue armée avec les Béotiens, et ce plébiscite, dont le texte original nous a été conservé par un fragment[9], fut le premier acte par lequel Athènes, huit ans après le rétablissement de son indépendance, sortit de son effacement, le premier pas d'une politique personnelle, le premier succès du parti béotien qui s'était formé lors de la délivrance de la ville. Dès l'automne 395 (Ol. XCVI, 2), Thrasybule, avec un corps auxiliaire, marcha sur Thèbes, tout heureux de pouvoir prouver sa gratitude à ses hôtes, qui le reçurent avec joie[10].

L'ardeur guerrière de Sparte tenait à ce que Lysandre avait raffermi de nouveau son autorité. Ne pliant sous aucune disgrâce, il avait sans relâche poursuivi ses plans et de nouveau rassemblé autour de sa personne un parti qui lui était solidement attaché. Il lui fallait avant tout une nouvelle occasion de montrer qu'il était le seul homme capable de réduire les Hellènes. La défection de la Grèce centrale fut pour lui un premier triomphe, parce que cet événement dévoila le contresens de la politique lâche et circonspecte qu'on avait pratiquée pour le contrecarrer ; il espérait redevenir l'homme indispensable et, en l'absence d'Agésilas, pouvoir reprendre avec un plein succès son œuvre interrompue. Il espérait pouvoir se venger sur les deux rois des humiliations qu'il avait subies.

Il exigea qu'on le nommât au commandement suprême ; il se fit fort de concentrer au nord de Thèbes une armée fédérale. Pausanias fut chargé de rassembler les troupes péloponnésiennes et de franchir l'isthme. Les deux corps devaient se joindre dans la Béotie méridionale, et écraser les forces ennemies avant que les auxiliaires étrangers ne les eussent renforcées. Lysandre impatient court en avant, ramasse des troupes en Phocide et en Thessalie et pousse sur Haliarte, où il devait rallier le roi. Il ne le trouve pas ; emporté par le désir d'accomplir seul le premier fait d'armes, il fond à l'étourdie sur la ville bien défendue ; il est surpris d'un côté par les assiégés, de l'autre par les Thébains accourus à l'aide, et, dans ce combat inégal, il succombe avec une partie de ses troupes[11].

Telle fut la fin lamentable d'un homme qui avait été pour un temps plus puissant en Grèce qu'aucun autre Hellène avant lui, qui s'était fait adorer comme un dieu, et qui, après avoir amené la plus grande crise de l'histoire grecque, avait cru tenir dans sa main la marche ultérieure des événements. Il se rendit parfaitement compte de ce que les Corinthiens, au début de la guerre du Péloponnèse, disaient aux Lacédémoniens : Pour un État qui se tient tranquille, une organisation stable est excellente. Si, au contraire, il s'engage dans toutes sortes d'affaires, s'il se livre à de grandes entreprises, il lui est impossible de persister dans son ancien système, mais bien des réformes et des modifications s'imposent à lui. C'est ainsi que Lysandre voulait transformer la vieille Sparte, pour lui permettre de suffire à sa mission nouvelle. Mais ce n'était pas le patriotisme qui le poussait à ces innovations ; c'est à lui-même qu'elles devaient profiter. Son égoïsme sans scrupule prétendait détruire tout ce qui barrait la route à son ambition. Sans relâche, il a dès sa jeunesse concentré ses efforts vers un seul but[12] ; mais une sorte de malédiction s'attachait à tous ses actes, et ses victoires n'ont porté bonheur ni à lui ni à sa patrie. Il lui fallut survivre à sa gloire, souffrir les plus amères mortifications, et enfin tomber prématurément et obscurément dans une entreprise qui eut par sa faute une issue malheureuse.

Après sa mort, on trouva un écrit qu'il avait fait rédiger par Cléon d'Halicarnasse[13] pour exposer les idées qui devaient servir de base à la révolution méditée par lui. Ses plans sont restés un mystère ; pourtant on en sait assez pour comprendre qu'il voulait mettre un terme au conflit des pouvoirs qui rendait Sparte incapable d'une politique énergique et suivie. La royauté devait être maintenue, comme une institution consacrée par d'antiques oracles ; mais à condition de revêtir un autre caractère, à condition qu'on élevât au rang suprême le plus digne entre tous les Héraclides ou même entre tous les Spartiates[14]. De là résultait la nécessité de la suppression des éphores, la nécessité d'un corps politique nouveau, élargi, pour élire le souverain. Ainsi l'État devait être renouvelé dans son chef et dans ses membres, et le semblant de royauté être remplacé par un gouvernement personnel, par une volonté énergique qui pût dominer Sparte et de Sparte le monde hellénique. Lysandre avait jeté aux pieds de sa ville natale tous les États de la Grèce réduits à l'état passif : il se regardait aussi comme l'homme appelé à consolider, à titre de souverain élu, la domination qu'il avait conquise et à réunir la Grèce sous une dictature[15].

Mais, pour un coup d'État opéré de vive force, Lysandre n'en possédait ni les moyens ni le courage. Ce n'était pas une de ces natures héroïques qui se font suivre de tout un peuple et vont droit au but ; il ne put même pas former autour de lui un parti fortement constitué. L'intrigue était son élément, et, en s'abandonnant tout à fait à ce penchant, il perdit de plus en plus, au cours des années, de sa résolution et de son activité. Il chercha à gagner un parti parmi les prêtres, afin de transformer l'État, que gouvernaient toujours les signes divins, par une voie légitime ; comme un second Lycurgue, il voulait tenir son autorité de Delphes, dont ses splendides offrandes lui avaient attiré la bienveillance. On répandit le bruit que les archives de Delphes renfermaient des oracles encore inédits, dont un fils d'Apollon seul pouvait prendre connaissance. On amena même à Delphes un jeune homme du Pont, que sa mère qualifiait de fils du dieu ; il devait être reconnu comme tel à Delphes et annoncer ensuite les nouvelles révélations[16]. Si l'on songe que Lysandre rait en mouvement aussi les oracles de Dodone et de Libye, on est stupéfait de l'immense réseau d'intrigues ourdi par cet homme. Mais le tissu de ses artifices était trop mince, et les fils se rompirent entre ses doigts.

Certes, Lysandre fut l'homme d'État le mieux doué qu'ait produit la nouvelle Sparte ; personne ne l'égalait pour la connaissance des hommes et des choses. Son testament politique indiquait sans doute avec une rare justesse les vices de la constitution spartiate ; c'est du moins ce qu'il est permis de conclure des scrupules que l'on éprouva à divulguer cet écrit, malgré le désir d'Agésilas. Mais il manquait à Lysandre l'énergie que donne une bonne conscience. Aussi, malgré toutes ses aptitudes, n'est-il-arrivé à rien. Il n'a contribué qu'à ébranler encore davantage la fortune de sa ville natale, qu'à développer chez ses concitoyens l'avarice et la fraude, qu'à gâter radicalement l'esprit de Sparte. Il n'y avait pas pour lui de dessein trop coupable ni de moyen trop immoral, et pourtant il a péri en partie pour avoir voulu associer la révolution et la légalité, et pour avoir flotté sans cesse entre le trouble de ses remords et une présomption sans scrupule. Peut-être cette contradiction fient-elle à une maladie mentale qui paraît l'avoir affligé dans ses dernières années[17] et qu'expliqueraient aisément les nombreuses déceptions de cette ambition passionnée.

Le lendemain de la mort de Lysandre, Pausanias arriva avec les Péloponnésiens. Il vit les cadavres étendus sous les murs d'Haliarte et abandonnés sans défense à l'ennemi ; car les Phocidiens, après cette malheureuse surprise, s'étaient dispersés et étaient rentrés chez eux pendant la nuit. Tout le plan de campagne était déjoué : les troupes du roi étaient mal disposées ; elles se voyaient menacées par une cavalerie supérieure en force ; les Athéniens dans l'intervalle étaient arrivés jusqu'au champ de bataille ; bref, Pausanias était dans une pénible situation. Il lui était impossible d'obtenir par les armes ce qui s'imposait à lui le plus immédiatement, la délivrance des cadavres restés aux mains des ennemis ; il ne lui resta plus, après avoir pris l'avis du conseil de guerre, qu'à demander à l'ennemi un armistice et la remise des morts par voie pacifique. Il ne l'obtint qu'à la condition d'évacuer le pays. Il dut battre en retraite sans délai, suivi par des ennemis insolents, qui ne permettaient pas aux troupes en marche de s'écarter à droite ouf à gauche de la route militaire pour pourvoir à leur entretien[18]. Le roi fut reçu à Sparte avec un mécontentement hautement manifesté ; on lui reprocha ses hésitations et sa lâcheté ; le parti de Lysandre profita de ces dispositions pour lui faire expier l'étourderie de Lysandre et le rendre responsable de sa mort. Du même coup, sa conduite antérieure en Attique, sa faiblesse et sa condescendance envers la démocratie d'Athènes, lui furent de nouveau imputées à crime. Il n'osa pas comparaître en justice : condamné à mort, il se sauva à Tégée[19].

Dans le camp ennemi, ce succès inespéré avait provoqué un changement extraordinaire. L'adversaire le plus dangereux était écarté pour toujours, Sparte abaissée, Thèbes pleine d'une ardeur victorieuse. Il n'en coûtait plus guère de former ouvertement contre Sparte une ligue armée. Argos et Corinthe, déjà d'accord entre elles, s'associèrent avec Thèbes et Athènes ; on créa un Trésor fédéral ; on institua un conseil fédéral qui de Corinthe était chargé de diriger les démarches communes[20].

De Corinthe partirent dès lors, comme au temps de Thémistocle, des ambassadeurs pour inviter les autres États à la lutte pour l'indépendance. Les Locriens étaient acquis déjà, et ils avaient même passé avec Athènes un traité particulier[21] ; les Maliens, qu'irritait la fondation d'Héraclée, les villes d'Eubée, et, à l'ouest, les Acarnaniens, les Leucadiens, les Ambraciotes accédèrent à la ligue. Tous avaient à souffrir ou à craindre les violences de Lacédémone. Sparte n'avait d'autres adhérents que les localités tout à fait dépendantes de la Péninsule, et les États gouvernés par une minorité de citoyens ou par des tyrans que maintenaient les armes spartiates.

La ligue corinthienne exhortait les Grecs à s'affranchir de tinte espèce d'oppression. Suscitée par l'argent de la Perse, elle était cependant soutenue par l'opinion de la nation. Ce n'était donc pas une ligue séparatiste, comme Sparte la considérait, mais une confédération nationale, qui devint très vite une puissance reconnue, dont l'assistance matérielle fut invoquée partout où l'intérêt de la liberté politique était en jeu : elle prit, comme adversaire de la tyrannie, la place de l'ancienne Sparte.

C'est ce qui arriva en Thessalie. Là Médios, dynaste de Larissa, était en querelle depuis des années avec le tyran de Phères, Lycophron[22]. Le tyran, appuyé par Sparte, avait l'avantage. Dès que les Larisséens entendirent parler de la ligue anti-spartiate, ils se tournèrent vers elle et réussirent, avec un renfort de 2.000 hommes de troupes fédérales, à s'emparer de Pharsale, dont la citadelle fortifiée était occupée par des Lacédémoniens. Héraclée, la forteresse spartiate des Thermopyles, fut prise d'assaut et son territoire rendu aux anciens habitants[23]. Les villes et tribus de Thessalie entrèrent dans la ligue, et les Phocidiens, commandés par des chefs spartiates, essuyèrent une grave défaite à Narycos. En quelques mois, l'influence de Sparte dans la Grèce centrale et septentrionale fut pour ainsi dire anéantie, et, depuis les frontières de Laconie jusqu'à l'Olympe, la nouvelle Ligue fut considérée comme la puissance grecque par excellence ; elle possédait une armée aguerrie de 15.000 hommes et tenait en son pouvoir les passages de l'isthme. Sparte était enfermée, et en même temps peu sûre de sa population et de ses autres alliés ; elle était impliquée dans une guerre en pays étranger, guerre dont le développement ultérieur était impossible à prévoir, car les faits d'armes les plus brillants dont les rapports d'Agésilas étaient remplis ne procuraient point de résultat durable et ne délivraient pas non plus Sparte de la crainte de la flotte phénicienne. Cette crainte augmentait à la pensée que, pendant' le conflit engagé avec la ligue séparatiste, elle pouvait aborder sur les côtes de Grèce et faire cause commune avec l'ennemi. Aussi maudissait-on toutes ces complications où l'on s'était engagé de l'autre côté de la mer, et l'on n'eut rien de plus pressé que de faire parvenir à l'armée d'Asie l'ordre de revenir en toute hâte.

C'est au printemps 394 (Ol. XCVI, 2) que le messager des éphores atteignit le roi, qui campait alors près d'Astyra en Mysie, à la veille d'ouvrir les campagnes qui devaient transporter la, guerre dans l'intérieur du continent et frapper au cœur l'empire du Grand-Roi. Au milieu de sa victoire il se voyait vaincu par les armes à longue portée de Tithraustès et contraint, le cœur gros, à une retraite qui d'un coup délivrait ses ennemis de tous les dangers, rendait vaines toutes les alliances qu'il avait nouées, et qui d'autre part le conduisait, lui et ses troupes, sur un champ de bataille où les attendaient de durs combats avec peu de gloire et de rudes labeurs sans butin. Il s'efforça d'atténuer son infortune en se leurrant, lui et les autres, de l'espoir d'un prochain retour[24]. Il fit ce qu'il put pour garder le plus possible des avantages acquis. Outre la flotte, une armée de 10.000 hommes, sous Euxénos, allait pendant son absence protéger les villes de la côte ; il désigna pour cette mission des troupes européennes, sur lesquelles il était en droit de compter, pendant qu'il emmenait avec lui les milices tirées des villes. Il voulait par ce moyen s'assurer des villes elles-mêmes ; il voulait tenir en haleine les forces militaires nouvellement organisées chez les Grecs d'Asie ; il voulait les habituer à la confraternité d'armes avec les troupes spartiates, et avant tout chercher à affermir sur les deux rives la domination de Sparte, dont la restauration était sa plus grande gloire. Il sut avec une grande adresse provoquer l'émulation des villes pour l'équipement de leurs contingents, et parvint à réunir une grande et belle armée, avec laquelle il franchit en juillet l'Hellespont[25].

Sur ces entrefaites, la lutte dans la mère patrie s'était rapprochée du domaine propre de Sparte, et à la guerre de Béotie avait succédé celle de Corinthe. Ceux des membres de la ligue qui habitaient le nord n'avaient d'autre but en vue que de délivrer leurs contrées respectives du joug de Sparte et de limiter cet État à la Péninsule. La frontière géographique devait redevenir une frontière politique ; par conséquent, les passes de l'isthme prirent une nouvelle importance, et le tout était maintenant d'occuper, avec l'aide de Corinthe, les trois débouchés du Péloponnèse, le défilé de Cenchrées, la gorge de l'Acrocorinthe et surtout la large route qui va à la plage entre Corinthe et Léchæon. Ces débouchés formaient en effet les avenues vers les contrées du nord, couvertes de ce côté par cette commune défense, tandis qu'en deçà de l'isthme le pays était ouvert aux incursions ennemies ; Athènes notamment, tant qu'elle restait privée de ses murailles particulières, n'avait de recours qu'à la protection des murailles de l'isthme. Athènes et Thèbes s'accordaient donc dans leurs vues et comptaient, pour faire réussir leur façon de comprendre les hostilités, sur l'ancienne aversion des Péloponnésiens pour des expéditions au delà de l'isthme et sur la maladresse de Sparte dans la guerre de sièges.

Les Péloponnésiens ne pouvaient s'accommoder de ces vues ; car enfin, Corinthe était située en dehors de la ligne de défense et Argos moins protégée encore que Corinthe. Une guerre de longue haleine, qui n'offrait aucune perspective de solution, poursuivie sur son territoire, ne faisait pas l'affaire d'une ville de commerce comme Corinthe, qui tenait avant tout à la liberté des communications avec l'intérieur et l'extérieur. Corinthe souhaitait nécessairement une prompte solution, c'est-à-dire l'abaissement de Sparte, qui ne pouvait aboutir qu'à Sparte même ; aussi Timolaos proposa-t-il dans la diète fédérale l'attaque immédiate de l'ennemi. Celui-ci d'ailleurs était découragé. Lysandre était mort, Agésilas éloigné. C'était le moment propice. Quand on sait, dit-il, se garantir de la piqûre des guêpes, on n'attend pas que tout l'essaim accoure ; on met le feu au nid, et, quand on veut traverser un fleuve, on le fait le plus près possible de la source. De même fallait-il aborder l'ennemi avant que des renforts n'eussent grossi ses rangs[26]. Toutefois ce parti n'eut pas le dernier mot. Thèbes, qui était l'État le plus puissant et qui, grâce à son général Isménias, le vainqueur de la campagne de Thessalie, avait remporté tous les succès de quelque importance, Thèbes resta le membre dirigeant de la ligue sans pouvoir tout à fait réduire au silence l'opposition. Même au sein des États péloponnésiens adhérant à la ligue, il y avait deux partis bien tranchés : les démocrates, qui avaient allumé la guerre, voyaient dans l'exiguïté des États le fondement de la suprématie de Sparte ; ils tenaient donc pour une étroite alliance avec d'autres États et réclamaient la formation de grandes puissances territoriales, tandis que le parti aristocratique s'attachait obstinément à l'autonomie de la cité. C'est ce qui se produisit notamment à Corinthe. Les dissensions intestines s'y aggravaient du fait des dommages que la guerre avait causés aux citoyens. Dans les autres États belligérants, on pouvait ensemencer tranquillement les champs ; Corinthe supportait pour tous les charges de la guerre. Ce mécontentement profitait aux aristocrates, qui désiraient la paix avec Sparte, et empêchait l'entente dans le conseil de guerre. Bref, la ligue avait tous les défauts qui caractérisent d'ordinaire les coalitions d'États secondaires, auxquels manque la pratique d'une politique personnelle, et que des circonstances extraordinaires amènent à s'associer avec d'autres États sans avoir l'habitude d'agir de concert avec eux et sans avoir d'autre intérêt commun que des points de détail. On y rencontrait même des États qui jusqu'alors avaient eu des rapports hostiles, et qui, par suite, éprouvaient des difficultés particulières pour s'entendre sur la conduite en commun des affaires.

Les Spartiates n'étaient pas résignés à se laisser ainsi tranquillement enfermer dans la Péninsule ; en outre, un plus long délai pouvait multiplier encore les défections dans les rangs de leurs alliés. Ils s'avancèrent sous la conduite d'Aristodémos en Arcadie, pour rallier les contingents de Mantinée et de Tégée. Peut-être est-ce en cette occurrence qu'ils tentèrent sur Argos un coup de main qui fut repoussé près d'Œnoë, avec le secours des auxiliaires athéniens[27]. De Mantinée ils ne prirent pas les chemins les plus courts pour arriver à l'isthme — probablement parce qu'ils craignaient dans les défilés de donner dans une embuscade — ; au contraire, ils firent un long détour en longeant le rivage de la mer de Corinthe[28] pour gagner la région destinée à servir de théâtre à la guerre, et choisirent Sicyone comme quartier général. Deux armées considérables y étaient postées l'une en face de l'autre. La grosse infanterie pouvait des deux côtés monter à 20.000 hommes ; pour la cavalerie et les troupes légères, les confédérés avaient l'avantage. En revanche, ils manquaient d'une direction énergique et se divisaient sur la tactique aussi bien que sur le commandement, probablement parce qu'on refusait de céder le commandement aux Corinthiens, bien qu'on se battît chez eux. Les Spartiates étaient conduits par Aristodémos, tuteur du roi Agésipolis, lequel avait succédé à Pausanias détrôné.

Vers le milieu de l'été 394, les armées se rencontrèrent sur les bords du ruisseau de Némée, dont le cours inférieur formait le fossé séparant le terroir de Corinthe de celui de Sicyone. Les Thébains se lancèrent précipitamment sur les Achéens placés en face et rompirent ainsi la cohésion de la ligne, de sorte que les Athéniens, qui combattaient au nombre de 7.000 sous les ordres de Thrasybule, furent cernés par les Spartiates et les autres troupes refoulées en grand désordre. La détresse augmenta quand les détachements fugitifs arrivèrent aux portes de Corinthe et les trouvèrent fermées par le parti laconien. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps qu'ils réussirent à forcer l'entrée, et à s'abriter à l'intérieur de l'enceinte[29]. Les confédérés avaient subi de grandes pertes ; pourtant ils purent garder leurs positions et rester, après comme avant, maîtres des défilés. Aristodémos jugea prudent de ne livrer pendant ce temps aucune attaque, car Agésilas approchait, et il pouvait compter sur un changement heureux dans tout l'ensemble des opérations militaires.

En effet, dans la Grèce du nord, la Ligue, en dépit de sa rapide extension, n'avait pas assez de puissance ni d'autorité pour entraver la marche du roi, qui poussait en avant avec un élan irrésistible[30]. On reconnut aisément à quelle école lui-même et ses troupes s'étaient instruits dans les pays d'outre-mer. Elles firent preuve d'une agilité, d'une habitude de la marche dont auparavant on n'avait pas d'idée. Dans une série de campagnes d'hiver et d'été, elles avaient acquis une cohésion solide née de la camaraderie, et, sous des chefs éprouvés, une discipline exemplaire. Elles avaient appris à pourvoir partout à leur subsistance, à surmonter tous les obstacles, à employer à propos la ruse et la force. Aussi Agésilas traversa-t-il heureusement la Thessalie hostile[31] ; il trouva les Thermopyles libres, put rallier sans encombre les Phocidiens comme les Orchoméniens, voisins et ennemis de Thèbes, et, trente jours après avoir franchi l'Hellespont, le 14 août (la date est fixée par une éclipse de soleil), il parut en Béotie prêt à combattre.

C'est à ce moment seulement qu'une partie des confédérés débouchait par l'Hélicon dans la plaine de Coronée où, grossis par les renforts de Béotie et des régions contiguës, ils prirent position près du temple d'Athéna Itonia, le sanctuaire fédéral de la contrée, à la même place où, cinquante-trois ans auparavant, les Thébains avaient une première fois défendu avec succès leur indépendance. Agésilas poussa jusqu'au Céphise, et se rangea en bataille. Les Lacédémoniens formaient son aile droite ; les troupes asiatiques, son centre ; les Phocidiens et Orchoméniens, l'aile gauche. Ceux-ci étaient juste en face des Thébains ; à côté des Thébains, au centre, les Athéniens avec les autres confédérés, puis les Argiens. Agésilas avait plus de troupes légères ; pour le reste, les armées étaient à peu près égales. Mais les unes sortaient d'une défaite et manquaient, ici encore, d'une direction sûre ; les autres n'étaient accoutumées qu'à vaincre ; elles étaient conduites par des maîtres dans l'art de la guerre et composées en majorité de vétérans, les Cyréens en première ligne.

Cette fois encore, les Thébains se précipitèrent en avant et enfoncèrent l'aile gauche ; la bataille se scinda en trois batailles, et, pendant que les Thébains lancés en avant tombaient déjà sur le camp lacédémonien, ils virent les deux autres divisions repoussées du champ de bataille et réfugiées sur les hauteurs de Tilphossion, derrière Coronée. Soutenir seuls l'action, c'était un effort impossible aux Thébains ; mais ils voulaient percer jusqu'à leurs frères d'armes. Alors Agésilas se porte avec toute l'armée à leur rencontre, tout aise de voir seuls devant lui les plus détestés de tous les Grecs, et brûlant du désir de tirer une vengeance sanglante des injures subies. Au lieu de les cerner par les flancs, il les force, contre l'avis de Xénophon, par une attaque de front en masse à une lutte désespérée. Il s'engage une mêlée terrible. Le roi se tient au plus épais de la tourmente et est couvert de blessures, .mais, malgré tous ses efforts, il ne peut empêcher les Thébains de se frayer un chemin au travers de son armée et de se réunir à leurs alliés. Deux fois ils ont été vainqueurs, mais le champ de bataille reste aux mains des Lacédémoniens, et ceux-ci portent au milieu de leur camp les cadavres ennemis, pour contraindre les confédérés à demander leurs morts et à avouer ainsi leur défaite[32]. L'honneur du roi demeure sauf ; mais le résultat de la journée fut si mince que les Lacédémoniens étaient incapables de se maintenir en Béotie. Agésilas lui-même se rend à Delphes pour faire soigner ses blessures et consacrer au dieu la dîme du butin d'Asie, pas moins de cent talents[33]. Mais avec quelle rapidité pâlit l'éclat de son triomphe ! Avant la bataille, il avait déjà reçu la nouvelle du revirement total des affaires en Ionie[34], et ses exploits furent relégués au second plan par les entreprises de Conon.

Conon fut le premier qui rendit aux idées athéniennes, à la politique athénienne, quelque influence sur les affaires des États groupés autour de la mer Égée. Avec autant d'adresse que d'activité, il avait profité de la situation de l'empire perse pour conquérir une situation à Suse, pour préparer la chute de Tissapherne et inaugurer avec Pharnabaze une nouvelle politique militaire, à l'exécution de laquelle il était indispensable ; le proscrit, le protégé du prince de Salamine, vit mettre à sa disposition les trésors du Grand-Roi. Ce revirement avait eu lieu avant le passage d'Agésilas en Asie. Mais les événements marchèrent lentement.

Le pitoyable état de l'empire exigeait qu'on reprît par la base les préparatifs maritimes, et, après que Pharnabaze eut par son voyage à Suse provoqué la résolution décisive, on eut beaucoup de peine à réunir d'abord quarante bâtiments, que Conon exerça à la manœuvre dans les eaux de Cilicie, pour en faire le noyau d'une flotte. La solde promise ne vint pas ; l'opposition était toujours puissante ; les côtes méridionales d'Asie-Mineure appartenaient à la satrapie de Tissapherne, qui avait l'art d'entraver de toutes manières la marche des préparatifs. Conon fut obligé de se retirer devant la flotte lacédémonienne dans le port militaire de Caunos et y demeura enfermé trois ans (397/5)[35]. Il patienta tranquillement, comptant sur ses amis. Il comprit que les expéditions de maraudeurs faites par les Spartiates contribueraient nécessairement à redoubler l'empressement de Pharnabaze à l'appuyer. Lui-même pendant le blocus se rendit auprès du Grand-Roi[36], et obtint de pousser énergiquement les préparatifs qui mirent Sparte en émoi et amenèrent le départ d'Agésilas. Immédiatement avant la bataille du Pactole, Pharnabaze réussit à faire lever le blocus[37], de sorte que Conon put rallier les vaisseaux récemment construits et porter sa flotte à quatre-vingts bâtiments, puis au double.

Alors il commença sans délai ses opérations, se mit en rapport avec le parti démocratique de Rhodes, entraîna la défection de cette île importante jusque-là alliée de Sparte, et captura les navires de transport qui amenaient à la flotte spartiate des grains d'Égypte. Il profita de ces premiers succès pour exiger une confiance plus entière et une situation plus sûre. Il ne convenait pas qu'il dépendît désormais des coteries de la cour ou du caprice des satrapes, si l'on tenait à poursuivre l'œuvre commencée dans le conseil du Grand-Roi, on décida, avec la participation personnelle de Conon[38], une guerre simultanée sur terre et sur mer contre Sparte : on remit les fonds à Conon lui-même et on lui déféra la haute direction de la guerre. Conon fut assez habile pour demander Pharnabaze comme collègue et pour lui laisser l'honneur du commandement suprême[39]. Mais il était l'âme de tout : l'ancienne arrogance des Perses était tombée ; ils reconnaissaient que leurs forces ne pouvaient quelque chose contre la Grèce que sous la conduite d'un Grec. Ils confièrent leurs personnes, leur puissance, leurs trésors à cet Athénien ; ils le laissèrent veiller à leurs intérêts, si bien que c'est à ce moment, selon toute apparence, que prit naissance le proverbe : La guerre, c'est l'affaire de Conon[40].

Il est vrai que, de l'autre côté aussi, l'on concentrait ses forces. Agésilas devint général sur terre et sur mer. Il sut enflammer le zèle des villes du littoral : elles réunirent cent-vingt vaisseaux de guerre ; mais, en plaçant à la tête de la flotte son beau-frère Pisandros, novice en l'art de la guerre, Agésilas rendit à Conon le plus grand service . Aussi, dès le mois d'août, ce dernier trouva l'occasion de justifier au plus haut degré la confiance qu'on lui avait accordée. Il rencontra la flotte près de la presqu'île de Cnide. Pisandros ne pouvait se dérober au combat, bien que, sous aucun rapport, il ne fût à la hauteur de son adversaire. Il essuya le désastre le plus complet. Il périt lui même dans l'action, et cinquante de ses vaisseaux furent pris[41].

La nouvelle de la bataille surprit le roi Agésilas à son entrée en Béotie ; il la cacha à ses troupes jusqu'après la journée de Coronée, où il combattit lui-même avec la conviction que ses espérances étaient ruinées, car non seulement tous les résultats de ses campagnes de deux ans, mais aussi toutes ses victoires futures étaient anéanties d'un seul coup. Toute l'Ionie était perdue ; il n'y avait plus moyen de retenir à l'armée les troupes ioniennes, ni de songer au retour. La bataille de Cnide eut son contrecoup immédiat sur les rapports des deux continents. Agésilas avec le reste de ses troupes rentra dans Sparte comme un vaincu (automne 394).

Cependant la flotte victorieuse, partant de la Carie, remontait la côte. Sur le conseil de Conon, les cités helléniques reçurent promesse de liberté et d'autonomie, et, comme la présence d'Agésilas avait toujours entraîné pour elles beaucoup de sacrifices et d'inconvénients, elles se soumirent d'autant plus volontiers au revirement produit dans la situation. La liberté du commerce avec l'empire restait pour elles l'intérêt dominant, et, comme on leur octroyait généreusement tous les avantages qu'elles souhaitaient, elles firent en masse, même Éphèse, défection à Sparte, jusque sur l'Hellespont, où Dercyllidas se maintint pourtant dans Abydos et Sestos.

Au printemps suivant, la flotte se dirigea vers la Grèce. Il y avait juste cent ans que la première expédition maritime avait cinglé de la côte d'Asie vers l'Attique. Mais aujourd'hui, la flotte perse-phénicienne venait en amie des Athéniens ; elle comptait dans ses rangs une proportion considérable de Grecs ; son amiral était un Athénien, et elle avait pour mission de relever la patrie de son chef. Toutes les Cyclades furent affranchies du joug de Sparte, les harmostes expulsés des points où ils se maintenaient encore. Cythère fut occupée, la côte de Messénie inquiétée puis Conon conduisit la flotte vers l'isthme, pour s'entendre avec le conseil fédéral et donner une vigoureuse impulsion à la guerre continentale[42]. C'est ainsi qu'il se rapprochait de son véritable but. Il ne lui fut pas difficile de présenter aux Perses, ainsi qu'aux confédérés grecs, ce qu'en qualité d'Athénien il désirait le plus passionnément comme étant une affaire qui les intéressait personnellement. Les Spartiates, disait-il, ne renonceraient pas à leur prétention de dominer la Grèce tant que les murailles d'Athènes seraient à l'état de ruines. C'est leur rétablissement seul qui mettrait la ville en état de faire contrepoids à Sparte, comme l'exigeait la politique du Grand-Roi et celle des confédérés. Pharnabaze consentit à tout ; et, tandis qu'il retournait lui-même en Asie avec une partie de la flotte, il laissa Conon jeter l'ancre dans le Pirée avec quatre-vingts navires. On débarqua les équipages ; on recruta des architectes et des tailleurs de pierre ; de Thèbes et des villes voisines arrivèrent des centaines de travailleurs ; à Argos, les familles alliées aux Athéniens, comme celle d'Aristomachos[43], s'intéressèrent à l'entreprise ; la construction fut regardée comme une affaire nationale, comme une question fédérale, et c'est ainsi que l'œuvre de Thémistocle, de Cimon et de Périclès, l'enceinte du port avec les Longs Murs, fut restaurée en commun avec l'argent du Grand-Roi, d'un côté par les Phéniciens, les Ciliciens, les Cypriotes, de l'autre par les Athéniens et leurs confédérés. Comme, des trois longs murs, celui de Phalère était devenu superflu par la construction de celui du milieu, on se contenta naturellement de bâtir deux murailles parallèles, suffisant à relier la haute et la basse ville. La construction resta imparfaite en plusieurs places ; mais le but principal était atteint[44]. C'est alors seulement que les plans de suprématie de Sparte parurent sûrement déjoués, et les Athéniens célébrèrent leur résurrection avec une allégresse sans bornes. C'est alors seulement que l'œuvre de la délivrance fut achevée, que l'opprobre souffert fut effacé. Les exploits de Thrasybule et de ses compagnons furent relégués dans l'ombre[45]. Conon et Évagoras devinrent les héros du jour, les nouveaux fondateurs d'Athènes.

Par bonheur pour Athènes, les Lacédémoniens étaient toujours enfermés dans la Péninsule. Leurs victoires ne leur avaient, en somme, servi à rien ; ils étaient impropres au plus haut point à la nouvelle tactique dans laquelle ils se trouvaient engagés. Ils campaient dans l'inaction à Sicyone, hors d'état de percer les lignes de l'isthme, et ils auraient eu de la peine à pousser plus avant si la trahison dans le camp ennemi ne leur avait tendu la main.

A Corinthe, en effet, les partis n'avaient fait que s'échauffer chaque jour davantage l'un contre l'autre. Les démocrates s'étaient vus affermir dans leur pouvoir par la présence de la flotte perse, et , avec l'argent de la Perse, ils avaient de nouveau construit des vaisseaux à Léchæon ; leur dessein était de dominer de nouveau le golfe de Corinthe. C'était le moyen de tomber le plus facilement sur le camp ennemi de Sicyone, de gagner de l'influence sur les États riverains, et de se dédommager des souffrances que la guerre avait apportées dans le pays. Agathinos commença dès l'année 393 ses opérations avec des navires corinthiens[46].

Dans l'intervalle cependant, le mécontentement des grands et petits propriétaires fonciers s'était accru de plus en plus ; la guerre qui envahissait la région portait le plus sensible préjudice au produit de leurs champs, à leurs troupeaux, à leurs esclaves, et renforçait l'effectif du parti de la paix. Ces circonstances ne pouvaient laisser les confédérés indifférents. Ils avaient déjà fait l'expérience que les partisans de Sparte leur avaient fermé les portes ; il leur fallait s'assurer de leur plus importante place d'armes. On se concerta avec les chefs de la démocratie pour se débarrasser des individus qui exploitaient le mécontentement des citoyens en vue d'entraver les opérations militaires et de travailler à l'avantage des Lacédémoniens. On utilisa pour l'attentat la fête d'Artémis Eucleia (printemps 392). Plus de cent citoyens sont massacrés au théâtre, sur l'agora, jusqu'au pied des autels ; le reste des partisans de Sparte se retirent dans la citadelle pour s'y défendre. Mais, séparés de tous secours, effrayés par des signes funestes, ils se laissent amener à un accommodement avec leurs concitoyens et à la soumission[47].

Le parti démocratique domine désormais ; mais la situation de Corinthe n'en demeure pas moins flottante et incertaine. Elle est par elle-même trop dépendante, et les confédérés qui avaient aidé à la victoire de la démocratie élèvent de ce chef certaines prétentions et provoquent ainsi de nouvelles scissions. Car, si le parti de la guerre souhaite l'association avec un puissant État, la grande majorité s'oppose à toute concession à l'égard des Athéniens ou des Thébains. C'est le vieil antagonisme des Péloponnésiens contre la Grèce centrale qui conduit à regarder une étroite union avec l'Argolide, la fusion de Corinthe et d'Argos, comme le seul remède pour améliorer radicalement la situation. Ainsi se forme parmi les démocrates le parti des argolizontes[48]. Ils ]'emportent. On commence à enlever les bornes frontières des deux pays, à introduire de part et d'autre un gouvernement et une organisation militaire identiques : des troupes argiennes occupent la citadelle. Corinthe disparaît du nombre des États autonomes, et, comme au temps d'Agamemnon, l'Argolide étend son domaine depuis les confins de la Laconie jusqu'à l'isthme[49].

Cette révolution ne pouvait manquer d'éveiller de nouvelles rancunes dans les sphères aristocratiques. A leurs yeux, l'absorption de leur patrie dans l'Argolide était un sacrilège, un intolérable forfait. Les vieilles familles de Corinthe voyaient leur dignité atteinte, leur autorité à jamais anéantie ; elles voyaient dans la formation d'un grand État au nord du Péloponnèse un danger menaçant pour Sparte et pour tous les partisans de Sparte. Il importait donc de faire échouer ces nouveautés odieuses, avant qu'elles ne se fussent affermies ; et, dans ce but, les aristocrates entrèrent en relations avec Sparte, comme faisaient les laconistes d'Athènes, qui voulaient empêcher à tout prix l'achèvement des murs de, leur ville.

Deux chefs de parti, Alcimène et Pasimélos, ouvrent secrètement une porte du mur de jonction situé du côté de Sicyone[50]. Les Spartiates pénètrent par là dans la place, se retranchent entre les deux murailles qui reliaient Corinthe et Léchæon et rallient autour d'eux leurs adhérents. Le lendemain se livre un combat sanglant, car les Argiens, Corinthiens et Athéniens s'avancent pour rejeter l'ennemi hors de la ligne des fortifications. Mais les Spartiates demeurent vainqueurs et maîtres du terrain conquis[51]. Corinthe se trouve alors séparée de la mer et de la flotte ; une partie des murailles de jonction est abattue, et en outre, au delà de l'isthme, Crommyon et Sidonte, les clefs des défilés qui conduisent à Mégare, tombent aux mains de l'ennemi[52].

C'était un brillant succès pour les armes spartiates, un succès qui semblait détruire tout le plan des confédérés. Mais Sparte ne sut pas profiter de la victoire, tandis que les Athéniens se remuèrent avec d'autant plus d'ardeur. Ils devaient faire tous leurs efforts pour arrêter l'ennemi sur l'isthme, tant que leurs murs n'étaient pas terminés : ils avaient envoyé sur le théâtre de la guerre Iphicrate, un jeune homme d'obscure origine, qui s'était distingué dans les dernières batailles navales, c'est-à-dire, sans aucun doute, sous Conon. Grâce à lui, les subsides que Conon avait procurés prirent alors leur véritable importance pour Athènes, car il avait su organiser les mercenaires enrôlés avec l'argent étranger de façon à relever l'honneur des armes athéniennes[53]. Dans la bataille livrée entre les murs, il ne fut pas heureux, parce que ce n'était pas un terrain pour ses troupes légères[54]. Mais quelques mois après, il avait réussi à enfermer pour ainsi dire les Lacédémoniens dans leurs retranchements. Il dominait toute la région, mettait à contribution Sicyone et Phlionte, et, jusqu'au fond de l'Arcadie, tout tremblait devant les bandes d'Iphicrate ; sous la protection de ses armes, les murs de l'isthme se rebâtirent ; tous les citoyens d'Athènes y coururent, construisirent en quelques jours le mur de l'ouest, puis plus à loisir la muraille orientale (printemps 391).

Ce revirement dans l'état des choses sur l'isthme était incompatible avec l'honneur de Sparte, mais il irrita surtout les exilés corinthiens, car, depuis le jour de la trahison, c'étaient eux qui poussaient Sparte en avant sans relâche et lui dictaient ses résolutions. Ils rappelaient l'importance de leur patrie, gardienne des portes de la Péninsule. Il était nécessaire que les Spartiates s'en assurassent, sinon c'en était fait de leur grandeur. Il fallait donc agir sérieusement. Agésilas fut chargé du commandement, bien qu'il n'eût guère envie de traverser toute la Péninsule pour démolir un mur qui certainement serait reconstruit très vite derrière son dos. De pénibles expéditions sans gloire ni profit, c'était le contraire des campagnes d'Asie qui avaient gâté le roi. Il partit au printemps 391, aussitôt après la deuxième fortification de l'isthme. Pour donner à sa démonstration plus d'autorité et d'éclat, il se fit appuyer par une escadre qui fut équipée avec l'argent provenant du butin d'Asie et confiée à son frère Téleutias[55]. Le concours des deux frères eut un résultat favorable. Les murailles furent promptement renversées, et Léchæon avec ses chantiers tomba d'abord au pouvoir des Lacédémoniens ; cela fait, le roi s'en retourna à Sparte.

Les exilés corinthiens, peu satisfaits de ce départ précipité, imaginèrent un nouveau plan, qui souriait davantage au roi et qui devait exercer sur la condition de leur patrie une sensible influence, car ils tâchaient sans cesse de dégoûter leurs concitoyens de la guerre et de renverser ainsi le parti belliqueux. Dans ce but, ils recommandèrent une expédition contre le Piræon. C'était une partie du territoire corinthien, située au delà de l'isthme et qui, adossée à la chaîne des monts de la Mégaride, se projette comme une grande presqu'île carrée dans le golfe de Corinthe. Vers l'ouest, elle profile une saillie en forme de bec, qui, avec la côte opposée de Sicyone, embrasse la baie de Léchæon : au nord-est, la presqu'île avance vers la côte béotienne. Elle offrait donc une position très importante ; elle formait en arrière de Mégare le trait d'union entre Corinthe et la Béotie. D'autre part, les Corinthiens avaient leurs troupeaux dans cette presqu'île montagneuse, et même à présent plus que jamais, depuis que les environs de la ville étaient devenus le théâtre de la guerre. La principale localité était Piræon, place forte reliée à d'autres petits postes. Il est très probable que ces ouvrages furent sinon construits du moins réparés à ce moment, pour assurer les communications de Corinthe avec ses alliés récemment acquis. En effet, comme Mégare était hostile, il fallait prendre ce chemin pour communiquer avec Thèbes[56].

Sous tous les rapports, ce pays de montagnes écarté, auquel sans les exilés corinthiens on n'eût guère songé à Sparte, était donc un emplacement des plus favorables pour porter un coup sensible à l'ennemi, et les proscrits avaient certainement choisi avec intention le moment d'engager la campagne. On était au milieu de l'été (390), et les jeux Isthmiques approchaient[57]. Or, ils regardaient comme un sacrilège que cette antique fête corinthienne fût inaugurée pour la première fois au nom d'Argos[58]. Ils parurent donc sur l'isthme avec l'armée spartiate juste au commencement du grand sacrifice à Poséidon, dispersèrent l'assistance et reprirent de leur côté, comme étant les vrais Corinthiens, le sacrifice interrompu[59]. Agésilas pénétra ensuite dans la contrée et trouva les perspectives que ses guides lui avaient ouvertes complètement confirmées. Il ramassa dans un étroit espace un butin énorme et dévasta la région avec une fureur sauvage. Les prisonniers furent réduits en esclavage, ou même livrés comme victimes à leurs ennemis les exilés. Les Thébains, effrayés par l'apparition inattendue de l'armée ennemie à leur frontière, envoyèrent des députés à Agésilas pour traiter de la paix[60]. Lui-même concevait les plus grandes espérances, comptant sur une heureuse issue de la guerre.

Tout à coup il fut arraché à l'enivrement de sa fortune. La nouvelle arriva que, à l'armée de Sicyone, tout un corps de guerriers spartiates, fort de 600 hommes environ, avait été détruit près de Corinthe. Les Spartiates avaient escorté les Amy qui selon leur ancienne coutume voulaient célébrer chez eux la fête des Hyacinthies[61], et, en revenant au camp, ils avaient été assaillis à l'improviste par Iphicrate[62]. C'était une perte irréparable pour Sparte si pauvre en hommes, et en même temps une cruelle humiliation, car les mercenaires si méprisés avaient été les vainqueurs[63]. En vain Agésilas s'élança sur le champ de bataille pour emporter au moins les cadavres dans un combat glorieux ; déjà on les avait obtenus par prière ; la défaite était avouée, et il ne resta plus au roi qu'à se retirer après avoir fait dans le plat pays d'effroyables ravages.

Les expéditions victorieuses de ces deux dernières années[64] n'avaient donc abouti, en somme, à aucun résultat sérieux ; Iphicrate dominait plus absolument que jamais le territoire corinthien ; il réoccupa aussi, immédiatement après la retraite du roi, les places au delà de l'isthme, pour tenir libre la route du nord. A Léchæon et à Sicyone, les Spartiates demeuraient perplexes comme avant, et il y régnait une telle alarme que les exilés de Corinthe, qui ne cessaient pas de poursuivre la petite guerre, ne se risquaient à passer que par eau d'un camp à l'autre. En outre, les affaires du Péloponnèse devenaient chaque jour plus critiques et difficiles, car la nouvelle du désastre des Spartiates avait été accueillie dans les villes d'Arcadie avec une joie maligne non dissimulée, et lorsque le roi, après avoir rallié le reste du détachement maltraité, revint par Mantinée et Tégée, il jugea prudent de régler ses marches de manière à n'entrer dans les localités où ses troupes s'abritaient pour la nuit qu'après le coucher du soleil. C'était là, sans contredit, un amer contraste avec les campagnes d'Asie, où Agésilas nageait dans les délices d'une gloire facilement conquise et, se laissait adorer comme un demi-dieu par les amis et les ennemis. On comprend qu'il n'avait aucune envie de reprendre les luttes sur l'isthme.

Chez lui, il ne trouvait pas davantage le repos dans la situation gênée et déplaisante qui lui était faite : il guettait impatiemment une nouvelle occasion de combattre ; aussi les députés des Achéens furent-ils pour lui les bienvenus quand ils vinrent à, cette époque solliciter le secours de ses armes.

La population de l'Achaïe conservait toujours un esprit vigoureux et des aspirations ambitieuses, et comme elle ne pouvait étendre vers l'intérieur son petit territoire, elle chercha à faire de nouvelles annexions au delà du golfe. Là, on se sentait maintenant les coudées plus franches, car la domination d'Athènes était brisée et celle des Corinthiens point rétablie encore. Aussi les Achéens, partant de Patræ avec leurs troupes fédérales, avaient opéré une audacieuse incursion en Étolie et incorporé dans les formes la ville de Calydon à leur ligne de cités. Mais cette annexion les brouilla avec les Acarnaniens. Car ceux-ci, qui constituaient alors un peuple fort et florissant, n'avaient pas envie de se restreindre à la rive occidentale de l'Achéloos, et, s'ils voulaient s'étendre vers l'est, les Achéens leur barraient le chemin Les Acarnaniens s'étaient déjà antérieurement rapprochés des Athéniens ; ils venaient encore de s'associer à la ligue formée contre Sparte et voulaient, avec l'aide de leurs alliés, repousser les immixtions péloponnésiennes du bassin de l'Achéloos avec autant d'énergie que les Thébains et les Athéniens de leurs contrées respectives. Ils réclamèrent l'évacuation de Calydon et eurent pour les appuyer des troupes attiques et thébaines dans le pays. Les Achéens avaient droit de prétendre, pour le fidèle appui qu'ils avaient prêté à Sparte, à un témoignage de reconnaissance. Les Spartiates avaient, de leur côté, tout intérêt à ne pas laisser s'élever sur la mer de Corinthe une puissance hostile. Agésilas prit l'affaire à cœur avec d'autant plus de plaisir qu'il trouvait là un théâtre de guerre tel qu'il le souhaitait : des contrées riches, intactes, habitées par des tribus de pasteurs sur lesquelles, avec sa science militaire, il pouvait compter obtenir une complète supériorité. Un appui efficace de la part d'Athènes et de Thèbes n'était guère à craindre, car l'ardeur guerrière des confédérés se relâchait déjà sensiblement. Aussi poussa-t-il à la guerre en faveur des Achéens opprimés, et il se sentit de nouveau dans son élément quand, au printemps 389, il passa le golfe avec une armée considérable, affranchit Calydon et s'avança sur l'Achéloos[65].

Circonspect et même hésitant dans ses allures, il se tint tout d'abord sur la limite de la région, comme s'il n'avait ni l'intention ni le courage de pénétrer plus profondément dans l'intérieur, si bien que les Acarnaniens se sentirent peu à peu tout à fait en sûreté dans le haut du bassin et laissèrent paître leurs troupeaux en liberté. Tout à coup il poussa en avant à marelles forcées, surprit les ennemis sur les rives de leurs beaux lacs, fit un immense butin, et, s'il ne réussit pas à s'emparer d'une des villes fortes des Acarnaniens, il abattit au moins si complètement leur courage, qu'ils résolurent d'abandonner la ligue séparatiste et d'accéder à la confédération spartiate pour ne pas s'exposer à une seconde expédition de ce genre. Agésilas menait, en effet, l'œuvre de destruction avec une si révoltante inflexibilité que non seulement il anéantissait la moisson de l'année, mais faisait arracher du sol les arbres fruitiers avec leurs racines. Avec cette méthode, le but principal fut vite atteint, mais les Achéens se montraient peu satisfaits de cette tactique : c'était un grossier brigandage qui ne donnait aucune garantie pour l'avenir ; on ne songea même pas à rattacher plus solidement le bassin de l'Achéloos au système des États péloponnésiens, qui avait plus que jamais besoin de nouveaux renforts.

Mais ce dont on peut s'étonner le plus, c'est que, dans l'histoire de cette guerre, on voie paraître si peu l'État qui, parmi tous les membres de la ligue, se trouvait le plus à la portée de la vengeance de Sparte et qui dès le début avait pris part à la lutte avec une ardeur particulière et de vastes desseins, c'est-à-dire Argos.

Une singulière contradiction se manifeste dans la politique de cet État. C'est avec une audacieuse présomption qu'il recule son territoire jusqu'au delà de l'isthme et se pose comme un nouveau grand État péloponnésien ; puis, il manque d'énergie et de confiance pour défendre son propre pays contre les voisins qu'il traite d'une façon si provocante. Quand les Lacédémoniens faisaient mine de franchir la frontière, les Argiens faisaient valoir des prétextes religieux et l'ancienne union des deux États voisins[66] ; ils profitaient derechef du mois férié de Carneios et d'autres époques consacrées pour protéger leurs frontières menacées. Les Spartiates étaient assez naïfs pour tenir compte du Carneios, qui se laissait déplacer patiemment de çà de là au gré des Argiens[67], et ils ramenaient leurs troupes, quand les hérauts couronnés venaient à leur rencontre et leur défendaient d'avancer. Mais, à la fin, la patience leur échappa. Ils firent rassurer leur conscience à Olympie et à Delphes, et, après une première irruption d'Agésilas opérée avant la conquête de Léchæon, le roi Agésipolis pénétra de Némée en Argolide et dévasta la contrée. Mais on manqua cette fois encore de courage et de persistance ; des signes funestes amenèrent une prompte retraite[68], et, par un inconcevable phénomène, Sparte se montre dans toutes ses entreprises contre Argos comme paralysée. Cependant, l'Argolide doit avoir servi plus fréquemment de théâtre aux hostilités qu'on ne l'admet d'ordinaire, et maints combats s'y seront livrés sur lesquels les renseignements directs font défaut. Par exemple, auprès de la bourgade d'Œnoë, dans la vallée du Charadros, sur la route d'Argos à Mantinée, il paraît s'être engagé un combat sérieux où les Argiens unis à des auxiliaires athéniens défirent les Lacédémoniens[69] Sans des succès isolés de cette sorte, on ne saurait comprendre l'audacieux essor eue prit la politique des Argiens et la subordination volontaire d'un État comme Corinthe.

Les expéditions d'Acarnanie et d'Argolide étaient pour l'objet principal d'une importance toute secondaire, car le véritable dénouement s'était depuis longtemps transporté sur une autre scène, et l'inertie des Spartiates, qui dans les dernières années ne firent rien pour donner par des préparatifs considérables une autre tournure à la guerre, cette inertie tient sans aucun doute à ce que, dans l'intervalle, ils avaient inauguré une nouvelle politique et qu'ils espéraient pouvoir affronter les ennemis avec des moyens plus efficaces et plus sûrs que par la force des armes. La ligue séparatiste elle-même ne constituait pas pour eux le plus grand danger, car sa force s'épuisait déjà ; le plus grand péril qu'eussent engendré les années de guerre, c'était bien plutôt la construction des murs d'Athènes. Par cet événement, toute la situation de la Grèce se trouvait modifiée et tout le profit de la grande guerre était de nouveau perdu. L'ancien ennemi avait recouvré son indépendance ; si l'amitié entre Conon et Pharnabaze se maintenait, l'empire maritime d'Athènes allait renaître à l'improviste, et Sparte se voyait plus incapable que jamais de se garantir contre une telle puissance. La bravoure désordonnée d'un Agésilas ne pouvait triompher de tels dangers. Il fallait le concours d'hommes de l'école de Lysandre, pour provoquer un changement au point même d'où était parti le coup qui avait retourné au détriment de Sparte une situation naguère si favorable.

Agésilas n'avait nulle envie de changer de système, car toute négociation avec la Perse lui apparaissait comme un désaveu de sa période héroïque et une renonciation à tous les résultats qu'elle comportait ; mais en face de lui s'éleva un autre parti ayant à sa tête Antalcidas, fils de Léon[70], qui regardait comme une folie que Sparte consumât ses forces dans de petites campagnes absolument stériles sans pouvoir vider la question principale : il fallait attaquer à la racine la puissance de l'adversaire, et rétablir l'ascendant de Sparte par les mêmes moyens avec lesquels Lysandre l'avait fondé. Antalcidas lui-même devint ce nouveau Lysandre. Il acquit bientôt un parti considérable, et, même avant la prise de Léchæon[71], les éphores l'envoyèrent à Sardes avec mission de réaliser à tout prix un accommodement et une nouvelle alliance entre la Perse et Sparte. Comme au temps de Lysandre et de Cyrus, Antalcidas trouva Tiribaze, l'ancien satrape d'Arménie, qui en 392 avait succédé à Tithraustès comme généralissime des troupes royales[72]. Il était arrivé cette fois ce qui s'était déjà produit si souvent : le nouveau fonctionnaire n'était rien moins que disposé à suivre la politique de son prédécesseur. Aussi bien, l'attitude qu'adoptaient les lieutenants du roi dans les plus graves questions était abandonnée à leur jugement personnel, et, l'un ayant eu à souffrir directement des incursions d'Agésilas, tandis que l'autre avait été nourri clans la vieille haine contre Athènes, la politique perse se déterminait d'après ces considérations. Tiribaze avait eu de tout temps du penchant pour les Spartiates, et, en sa qualité de loyal serviteur de son roi, il tenait, par conviction sincère, pour une alliance avec eux. Mais à peine eut-il commencé à négocier dans ce sens avec Antalcidas, qu'arriva une ambassade du parti contraire sous la conduite de Conon, pour travailler contre Antalcidas ; elle comptait quatre Athéniens et, comme appoint demandé par Athènes elle-même, des députés béotiens, corinthiens et argiens. C'est ainsi que, dès l'année 392, la cour du satrape à Sardes devint le véritable champ de bataille des parties belligérantes.

Ici Sparte tenait décidément l'avantage, et Antalcidas était l'homme qu'il fallait pour exploiter dans toute sa portée le bénéfice de la situation. Les succès des adversaires lui fournirent le meilleur argument pour ses desseins, et notamment il tira parti de l'essor d'Athènes pour attaquer efficacement le plus dangereux ennemi de Sparte. Il montra clairement au satrape que Conon, dans son poste d'officier du Grand-Roi, n'avait jamais eu en vue que l'intérêt de sa propre patrie et qu'il avait abusé avec une impardonnable mauvaise foi de la confiance qu'on lui avait accordée. Car enfin, il n'était guère possible d'admettre que l'argent du Trésor lui eût été alloué pour rétablir Athènes dans son rang de grande puissance, pour flatter l'orgueil de ses concitoyens, dont la ville devait sa grandeur aux défaites des Perses et était remplie de trophées élevés avec le butin fait sur les Perses.

Antalcidas ne s'appliqua pas seulement à enlever au général athénien la confiance du gouverneur — besogne d'autant plus aisée qu'à ce moment la situation d'Évagoras à la cour de Perse venait de se modifier dans un sens hostile —, mais il sut encore présenter à Tiribaze les intérêts des Perses sous une face toute nouvelle. Les inconvénients de leur politique passée étaient faciles à indiquer. On avait supprimé Tissapherne, mais l'on n'en était pas moins revenu à ses principes ; car, ce que Pharnabaze et Tithraustès avaient mis en pratique, ce n'était au fond que les avis adressés jadis par Alcibiade à Tissapherne. On soutenait en Grèce un parti contre l'autre, afin de ne permettre à aucun de devenir assez fort pour nuire à l'empire. Avec ce principe, la Perse était condamnée à être toujours préparée et à faire elle-même la guerre, ou bien à la faire faire pour son argent ; il n'y avait jamais pour elle de repos. Il est beaucoup plus raisonnable, dit Antalcidas, de prendre des mesures pour qu'il ne subsiste aucune puissance grecque dangereuse pour la Perse. Tout le danger pour elle ne naît que de cette circonstance, que certaines villes grecques en oppriment d'autres et réunissent ainsi sous leur autorité des groupes de villes dont les ressources sont à leur disposition. Cette oppression répugne aussi bien à la volonté nationale des Hellènes qu'aux intérêts du Grand-Roi ; elle est le germe de querelles sans fin, d'une agitation perpétuelle et du trouble porté dans les relations de tous les parages de la mer Égée. Pour mettre un terme à ce désordre, il faut, dans l'intérêt bien entendu de tous les États riverains, proclamer la pleine indépendance des différentes cités grecques comme un principe du droit des gens, et placer ce principe sous la garde du plus fort de ces États. C'est le seul moyen d'obtenir une garantie sérieuse d'une paix durable, et l'on reconnaîtra les véritables amis du Roi et de la paix à l'empressement qu'ils mettront à adhérer sans réserve à ce principe.

On comprend facilement combien cette manière de présenter les faits était calculée à l'avantage de Sparte. Sa situation dans le Péloponnèse n'était pas compromise par le principe que préconisait Antalcidas, car ses alliés conservaient leur autonomie nominale ; mais tous les agrandissements hostiles aux Spartiates se trouvaient visés et annulés comme illégitimes. Argos serait forcée de lâcher Corinthe — et c'est ce que cherchaient avant tout les exilés corinthiens, auxquels on peut sans conteste attribuer une part essentielle des projets d'Antalcidas — ; Thèbes devrait abandonner les villes béotiennes, Athènes les îles qui lui restaient encore, Lemnos, Imbros, Scyros, c'est-à-dire précisément ce qu'elle considérait à ce moment comme devant former le noyau d'une confédération nouvelle. Sparte non seulement était le seul État dont ces projets de paix ne compromettaient pas la situation territoriale actuelle, mais elle était en droit de compter tacitement qu'à côté du Grand-Roi, au second rang, elle serait chargée de surveiller l'exécution des clauses du traité et y trouverait occasion de travailler pour sa propre suprématie dès qu'elle aurait abaissé et affaibli les États rivaux. Aussi n'éprouva-t-elle aucun scrupule à se placer absolument au point de vue des intérêts perses, si bien qu'il ne fut même pas question de ceux des Hellènes : même les villes d'Asie pour lesquelles on venait de combattre, on ne revendiqua pas pour elles l'indépendance vis-à-vis des Perses.

Le but immédiat fut complètement atteint. On comprit alors aussi peu les véritables desseins des Lacédémoniens que l'on avait autrefois reconnu ceux de Conon. Tiribaze fut séduit par ces propositions, dont l'exécution semblait enfin rendre possible pour la Perse une ferme et fructueuse politique dans l'Archipel, et, comme les députés des autres États protestaient, il ne vit dans leur attitude que l'expression de sentiments hostiles et la confirmation des paroles d'Antalcidas ; quant à Conon, il ne le traita pas en ambassadeur, mais comme un officier qui avait à se justifier de l'abus de la confiance royale ; il le fit incarcérer, bien que Conon eût montré assez de prudence pour ne pas disposer des fonds de la Perse sous sa propre responsabilité, mais d'accord avec Pharnabaze[73]. Antalcidas en revanche fut pourvu d'argent, et Tiribaze se rendit à Suse pour faire accueillir ses vues au moment et au lieu décisifs.

Cependant la négociation ne se poursuivit pas dans des conditions aussi favorables qu'elle avait commencé. Le revirement subit de la politique perse que méditait Tiribaze rencontra une vive opposition. On gardait encore la mémoire trop fraîche des expéditions dévastatrices d'Agésilas, et le Grand-Roi lui-même était toujours irrité au plus haut point contre les Lacédémoniens, qui ne devaient leurs succès en Grèce qu'à l'appui de la Perse, et qui ensuite avaient tourné leurs forces contre elle pour arracher de nouveau à l'empire ces mêmes villes maritimes dont les traités passés avec Sparte devaient lui garantir la paisible possession. Ces dispositions de la cour furent, ce semble, exploitées par les adversaires du nouveau système pour tenir Tiribaze éloigné quelque temps de l'Asie-Mineure et pour porter à sa place, comme gouverneur des provinces maritimes, un adhérent de Pharnabaze, du nom de Strouthas[74]. C'était un homme belliqueux et actif, qui mettait son honneur à venger sur les Spartiates les maux qu'ils avaient déchaînés sur les terres du roi. Il continuait à regarder les Athéniens comme les alliés du roi, et c'est probablement à son instigation que Conon fut remis en liberté[75].

Ce changement était une défaite pour Antalcidas, qui s'était cru si près du but, et, par une conséquence naturelle, l'opposition à Sparte releva la tête ; elle demanda que, puisque le satrape était animé de sentiments hostiles, on le traitât résolument en ennemi et qu'on expédiât des troupes à Éphèse. Comme les trésors rapportés par Agésilas étaient dépensés, la perspective de nouveaux bénéfices était fort séduisante. On ne pouvait pas marcher sans l'argent de la Perse : si donc on ne le recevait pas sous forme de subside, il fallait aller le chercher sous forme de butin. Thibron, au début de 391, fut envoyé à Éphèse avec une escadre, pour recommencer de nouvelles expéditions à la façon d'Agésilas. Mais il trouva dans Strouthas un adversaire auquel il ne s'attendait pas. Dans une incursion négligemment entreprise, il fut assailli et tué avec un corps considérable[76].

En même temps la lutte se rallumait sur divers points. Le s Athéniens s'efforçaient de reconstituer une confédération et de s'approprier les fruits de la victoire de Cnide ; les Spartiates, par contre, tâchaient de leur enlever les places qu'ils avaient conquises. Les deux frères qui dirigeaient à Sparte le parti de la guerre, Agésilas et Téleutias, étaient à la tête des forces militaires : car Téleutias, successeur de l'infortuné Pisandros, avait depuis 393 exercé plusieurs années de suite les fonctions soit de navarque, soit de chef d'escadre. Après un long intervalle, il était encore le premier homme capable à qui l'on pût confier des vaisseaux de guerre ; c'était un général populaire, le favori des équipages, un homme d'une éloquence entraînante et résolu dans l'action. C'est lui qui amena la prise de Lécha on et qui rétablit la domination de Sparte sur la mer de Corinthe, tandis qu'une autre escadre, sous Ecdicos, le navarque de l'année 391 (Ol. XCVII, 1/2), cinglait vers Rhodes pour reprendre cette île, dont la défection avait donné le signal des désastres sur mer.

Ainsi la guerre béoto-corinthienne s'était, dans sa quatrième année, transformée en une guerre maritime qui reléguait au second plan le théâtre de la lutte sur l'isthme. On se remuait vivement des deux côtés et l'on poursuivait de vastes plans, mais ni d'un côté ni de l'autre on ne se sentait une véritable assurance. Des influences du dehors avaient attisé la guerre ; des fonds étrangers avaient permis aux confédérés d'achever leurs préparatifs ; mais aujourd'hui ces ressources étaient taries, et la lutte ne continuait plus qu'avec des sacrifices personnels ; aussi l'empressement diminuait à mesure que diminuait la chance d'un succès certain. Il manquait d'ailleurs aux confédérés un objectif commun. En effet, lorsque le ressentiment général contre Sparte avait fait explosion, on n'était uni que dans le désir d'humilier Sparte ; pour le reste, les points de vue différaient sensiblement. Les partis modérés d'Athènes et de Thèbes n'aspiraient qu'à l'indépendance de leurs républiques, tandis que le parti de la guerre à Argos et à Corinthe visait nécessairement à la destruction de la puissance spartiate ; car, tant que subsisterait une Sparte douée de quelque force, il lui était impossible de renoncer à l'hégémonie du Péloponnèse. Les Argiens étaient donc les plus belliqueux ; ils demandaient qu'on ne déposât pas les armes avant d'avoir forcé Sparte à accorder aux États de la Péninsule une pleine liberté d'action. Athènes aussi renfermait un parti qui tenait avec les Argiens et professait l'opinion qu'il fallait briser complètement la puissance de Sparte, si l'on voulait ménager à Athènes un nouvel avenir ; mais il existait aussi un parti très considérable qui désirait la paix, et, parmi les hommes d'État de cette tendance, le plus remarquable était Andocide.

Il appartenait à une maison où cette politique était une tradition de famille. Son grand-père Andocide avait pris part à la conclusion de la paix de Trente Ans[77] ; son oncle Epilycos avait figuré dans une ambassade en Perse, la même probablement que conduisit Callias[78]. C'est à leurs sentiments que le jeune Andocide conforma ses actes dès son adolescence. Dès sa vingtième année, il fut un des orateurs des classes aristocratiques : il travailla contre les démagogues qui ébranlaient la paix de Nicias récemment conclue et engageaient des relations avec les cités du Péloponnèse[79]. Il resta fidèle à cette opinion, bien qu'à d'autres égards il ait montré peu de caractère, et alors comme trente ans auparavant, il défendit ceux des intérêts d'Athènes qui exigeaient la scission d'avec la ligue séparatiste et l'accord avec Sparte. Les circonstances le secondaient. On s'était battu quatre ans, et les confédérés n'avaient pas encore remporté un succès dans une action en rase campagne. Iphicrate n'avait pas encore eu l'occasion de faire quelque coup d'éclat. L'occupation de Léchæon avait ouvert de nouveau les passes corinthiennes ; les fortifications d'Athènes n'étaient toujours pas achevées, et l'issue de la guerre de l'isthme était plus douteuse que jamais, surtout depuis que Téleutias était le maître dans les eaux de Corinthe. D'autre part, les Lacédémoniens non plus n'avaient pas l'avantage d'une façon assez marquée pour qu'ils fussent en droit de porter trop haut leurs prétentions. Leur espoir d'obtenir le secours de la Perse s'était dissipé : Thibron avait essuyé un désastre ; à Rhodes, les choses ne marchaient pas à leur gré. Il leur fallait par conséquent abandonner leurs vastes plans de domination et songer tout d'abord à diviser tes confédérés, pour pouvoir étouffer les révolutions qui avaient éclaté dans le Péloponnèse, abaisser Argos et redevenir les maîtres chez eux.

Le parti de la paix à Athènes profita de cet état de choses avec un grand succès. On députa une ambassade à Sparte sous la conduite d'Andocide[80]. Il obtint qu'on traitât avec Athènes de puissance à puissance ; les deux États devaient prendre les devants en faisant la paix entre eux et requérir ensuite l'adhésion des autres. Parmi les différents points, on plaça en première ligne l'autonomie des républiques grecques, disposition qui visait naturellement Corinthe et Orchomène de Béotie, et, pour obvier à toute interprétation préjudiciable aux Spartiates, on reconnut formellement les possessions actuelles de Sparte ; on en fit autant pour celles d'Athènes, y compris Lemnos, Imbros et Scyros. Un article spécial concéda aux Athéniens la faculté d'achever leurs fortifications, et de réparer leur flotte de guerre en construisant autant de vaisseaux qu'il leur plairait.

C'est avec cette paix qu'Andocide revint, pour en recommander l'adoption au peuple, car elle devait être jurée à Athènes dans le délai de quarante jours. Il croyait, non sans raison, avoir obtenu un grand résultat ; car Sparte avait renoncé à son hégémonie absolue, Athènes redevenait une grande puissance ; la honte de la dernière paix était effacée. Pourtant, Andocide n'avait satisfait aucun parti. Les uns trouvaient mauvais qu'il n'eût pas usé de ses pleins pouvoirs pour conclure la paix séance tenante ; les autres ne voulaient pas de paix du tout ; ils ne voulaient pas tenir leurs murailles et leurs vaisseaux de la grâce de Sparte ; il ne voulaient pas être réduits à trois îles : enfin, dans tout rapprochement avec Sparte, ils redoutaient un danger pour la constitution.

Andocide défendit son œuvre et son opinion. Il montra au peuple que l'histoire d'aucune ville n'offrait au même titre que celle d'Athènes un si frappant enseignement sur les maux de la guerre et les bienfaits de la paix. Tout traité de paix — car l'on ne pouvait considérer comme tel la triste capitulation qui suivit la défaite d'Ægospotamoi — avait marqué le début d'un heureux essor, d'un prompt relèvement du bien-être et de la puissance de la cité. Une politique raisonnable exigeait qu'on demeurât en paix avec les puissants. Le travers des Athéniens était d'aimer à se brouiller avec les grands États et à s'unir aux petits ; c'est ainsi qu'on avait préféré comme alliés Amorgès au Grand-Roi, les Ségestains aux Syracusains, les Argiens aux Spartiates. Les projets des Argiens, qui voulaient garder Corinthe avec le secours d'Athènes et qui excitaient leurs alliés à la guerre tout en cherchant à se couvrir par tous les moyens, ces projets ne pouvaient être réalisés que par une complète défaite de Sparte ; or les ressources n'y suffiraient pas, et la Perse ne le souffrirait pas davantage. Toutes les conditions de paix qu'Athènes était en droit d'attendre après une guerre où l'ennemi restait vainqueur, on les lui accordait sans restriction. Il importait de se tenir en garde contre les nouveaux amis et de se rappeler qui, après les désastres de la ville, avait émis la proposition de détruire Athènes et qui avait sauvé alors la cité vaincue. Les Thébains aussi inclinaient à présent à la paix. Si l'on voulait absolument la guerre. il fallait s'interroger, pour voir si l'on était d'humeur à faire tous les sacrifices sans en tirer aucun profit personnel, à seule fin d'aider les Argiens à atteindre le but de leurs calculs égoïstes[81].

Andocide revenait donc aux principes de Cimon en se prononçant pour le règlement des affaires grecques par la mutuelle entente des deux grandes puissances ; il voulait aussi, comme Périclès, avoir avec les Barbares des rapports réglés par voie contractuelle, rapports qui permissent au commerce de la mer Égée de se développer sans entraves. Cette politique de paix ne pouvait être en aucun temps plus justifiée qu'en ce moment où Athènes se trouvait complètement hors d'état de jouer le rôle de puissance militaire ; elle ne possédait ni Trésor, ni flotte, ni peuple prêt aux sacrifices, ni allié sûr. En outre, on était informé de l'union d'Antalcidas et de Tiribaze, et c'est assurément dans l'intérêt bien entendu d'Athènes qu'Andocide s'employa pour prévenir un accord exclusif entre Sparte et la Perse. Athènes avait, par une heureuse fortune, gagné des avantages relativement très considérables en proportion de ses minces sacrifices ; il n'y avait pour le moment aucune chance d'obtenir plus ; il était donc prudent de mettre en sûreté aussi vite que possible les conquêtes qu'on devait à Conon.

C'est ce que voulait Andocide. Mais il ne put faire prévaloir son avis. Il n'était pas homme à inspirer confiance. Sa sympathie pour Sparte le rendait impopulaire. Il avait contre lui le parti béotien et les démocrates proprement dits, qui voyaient dans l'hostilité contre Sparte la garantie des libertés publiques. Un grand nombre espéraient peut-être encore des subsides de la Perse, et de même l'on peut supposer que des hommes ambitieux comme Thrasybule et Iphicrate n'aimaient pas à se voir enlever l'occasion de s'illustrer par de brillants faits d'armes. Il s'agissait surtout de la Chersonèse de Thrace. Les Athéniens voulaient que Sparte reconnût leurs possessions dans cette contrée ; mais Sparte n'était point résignée à abandonner l'Hellespont, dont l'importance pour la domination des mers lui était clairement apparue dans ces dernières années. Bref, la paix négociée par Andocide ne fut pas ratifiée ; Andocide lui-même, cité en justice comme ayant abusé de ses pouvoirs, fut banni, et la lutte se ralluma avec une nouvelle ardeur. C'est alors qu'eut lieu la dévastation de la région montagneuse de la Corinthie, et qu'Iphicrate fit l'essai de sa nouvelle tactique en détruisant une division lacédémonienne, succès qui décida les Thébains aussi à rompre leurs négociations avec Agésilas.

Mais les plus graves événements se passent sur mer. Téleutias reçut l'ordre de hâter l'entreprise tentée sur Rhodes. Enchanté d'avoir un plus grand théâtre où déployer son activité, il quitta la mer de Corinthe, traversa en biais l'Archipel, gagna Samos à la cause de Sparte, et captura dix vaisseaux athéniens envoyés au secours d'Évagoras[82]. Athènes, qui par suite de la victoire de Cnide se sentait encore la maîtresse des mers, fut subitement réveillée de sa sécurité. Elle rassembla ses dernières ressources pécuniaires. Thrasybule, un moment supplanté par Conon, était de nouveau le premier personnage d'Athènes, le chef du parti de la guerre ; c'est à lui que l'on confia la première flotte considérable qu'Athènes restaurée put mettre sur pied, une flotte de quarante vaisseaux, avec laquelle il devait se porter à la rencontre des Spartiates dans la mer de Rhodes. Au printemps 390 (Ol. XCVII, 2), il sortit du Pirée. Mais, au lieu de se diriger sur Rhodes, il remonta vers le nord, dans les eaux de Thrace, dans les parages dont l'importance avait été signalée lors des dernières négociations et probablement accentuée avec une insistance particulière par Thrasybule lui-même, comme principal adversaire d'Andocide. Il y déploya une grande et féconde activité ; il conclut des conventions avantageuses avec les princes thraces et avec les partis démocratiques des villes maritimes, gagna de cette façon Byzance et Chalcédoine, rétablit le péage à Chrysopolis et l'afferma[83] ; après quoi, il revint dans la mer Égée. A Lesbos régnait encore un harmoste spartiate : Thrasybule le battit et conquit pour Athènes les cités de l'île, à l'exception de Méthymne[84].

Au printemps suivant, il s'avança davantage dans le Sud, mais sans aller encore à Rhodes, bien qu'il reçût d'Athènes les plus pressants avis de courir au secours des Rhodiens réduits à l'extrémité. Il préféra rançonner les côtes de l'Asie, surtout par ce motif, qu'il avait à pourvoir à l'entretien de ses troupes et ne pouvait entreprendre une guerre sérieuse où il n'y avait point de butin à gagner. En attendant, le déplaisir provoqué par sa conduite arbitraire grandissait à _Athènes de jour en jour ; il arrivait des plaintes amères de la part d'alliés, d'hôtes, de citoyens d'Athènes qu'il avait maltraités ; le parti adverse attisa le mécontentement contre lui et son collègue Ergoclès ; on l'accusait d'avoir, à l'instigation d'Ergoclès, conçu le plan de s'établir avec ses troupes à Byzance, et là, de connivence avec le groupe de ses partisans de Thrace, de braver les ordres du peuple et de se constituer une puissance indépendante. En tout cas, la principale faute pesait sur Ergoclès ; il fut rappelé pour en répondre[85]. Thrasybule fut provisoirement laissé au commandement pour terminer sa tâche à Rhodes ; mais, avant d'y arriver, il périt suries bords de l'Eurymédon, dans le territoire de la ville d'Aspendos, dont la milice le surprit la nuit et le massacra dans sa tente[86]. Agyrrhios conduisit les vaisseaux à Rhodes.

Cependant les préparatifs ; maritimes d'Athènes et les faits d'armes de Thrasybule avaient provoqué chez les Spartiates des contre-préparatifs ; ils jetèrent même les yeux sur deux points bien situés pour s'en servir comme de places d'armes contre Athènes, Abydos et Égine. Dans Abydos, Dercyllidas s'était maintenu avec une grande habileté ; c'était un homme qui, depuis vingt ans, s'était acclimaté dans ces contrées, et qui avait justifié au plus haut degré la confiance de sa ville natale. Sans raison autre que la complaisance personnelle des éphores gouvernants pour un favori, on le remplaça par l'ancien amiral Anaxibios[87], chargé d'ébranler la puissance récemment conquise par Athènes dans ces parages et de troubler le commerce athénien. Iphicrate, expédié contre Anaxibios avec huit vaisseaux et 1.200 peltastes, le tua avec un grand nombre des siens dans une embuscade bien dressée près d'Abydos[88].

Les attaques parties d'Égine étaient bien plus menaçantes. Les Athéniens, à leur grand effroi, virent recommencer de ce côté sur la mer l'état d'insécurité qui avait existé jadis avant les guerres médiques. En effet, Sparte chargea les insulaires qu'elle avait ramenés à Égine d'armer des bâtiments en corsaires, pour inquiéter les côtes opposées. Une armée athénienne venue pour assiéger Égine est cernée sous ses murs, et ce n'est qu'après de sensibles pertes que Chabrias, allant à Cypre, réussit à aborder à l'improviste à Égine, à tuer l'harmoste Gorgopas, et à rouvrir aux Athéniens le libre chemin de la mer[89]. Pourtant la tranquillité qu'on y gagna ne fut pas de longue durée. Les Lacédémoniens envoyèrent à Égine Téleutias, qui remplit ses marins d'une ardeur nouvelle et eut l'audace de surprendre le Pirée, de pénétrer avec ses troupes jusque dans les magasins du port et de s'en revenir, sans avoir perdu un homme, avec un riche butin[90].

Tels furent les derniers épisodes de la lutte : on se battit en divers endroits, sans obtenir nulle part de résultat décisif. En revanche, il se produisit peu à peu un changement essentiel dans la situation des partis. Les Athéniens s'étaient tout à fait séparés des confédérés avec lesquels ils s'étaient engagés dans la guerre béoto-corinthienne. La guerre à propos des défilés de l'isthme avait dégénéré en un conflit maritime où Athènes, restaurée grâce aux subsides de la Perse, cherchait à s'approprier les avantages que la victoire remportée sur mer par les Perses lui avait valus. Mais, sans s'en rendre compte, elle se trouvait par le fait impliquée dans une guerre contre la Perse, car elle se vit obligée par les bienfaits d'Évagoras à soutenir ce prince dans sa révolte, et avec lui l'Égypte également révoltée. Sparte au contraire, jadis alliée à l'Égypte contre Artaxerxès, et qui venait d'envoyer tout récemment Thibron et Diphridas à Éphèse pour guerroyer contre la Perse[91], avait suivi dans sa politique un courant opposé, car, tandis que son armée de terre se battait encore avec les Perses, ses amiraux capturaient les navires athéniens qui appuyaient la révolte de Cypre[92] : puis, en 388 (Ol. XCVII, 4), elle plaça Antalcidas à la tête de ses forces de mer, donnant à connaître ainsi son désir de renouer avec la cour du Grand-Roi.

Antalcidas n'avait jamais abandonné ses plans. Il vit combien l'imprudente conduite des Athéniens secondait ses desseins, et il en tira parti pour ses fins de la même façon que Conon, six ans auparavant, avait fait valoir pour sa cause les incursions d'Agésilas. En même temps, son protecteur Tiribaze avait repris crédit et influence. On ne pouvait plus à Suse se refuser à comprendre que la politique proposée par Antalcidas était la plus avantageuse pour la Perse. L'antipathie contre Sparte fléchit devant le désir de pacifier les régions du littoral. Il fallait avoir les mains libres du côté des Grecs pour tourner toutes les forées de l'empire contre Cypre et l'Égypte ; car l'union de ces deux dangereuses puissances allait nécessairement attirer au plus haut point l'attention du Grand-Roi. Aussi l'amiral spartiate reçut-il à la cour le plus favorable accueil ; toutes ses propositions furent approuvées, et dès lors il ne s'agissait plus pour lui que de disposer vivement et sans nouveaux combats les Athéniens à accepter la paix.

Il y réussit d'autant plus aisément que les Athéniens avaient gaspillé leurs minces ressources et continuaient la guerre sans énergie. Il courut sur l'Hellespont, dégagea Abydos bloquée par Iphicrate, prit huit navires à Thrasybule de Collytos, puis tira des ports appartenant aux Perses ainsi que de Sicile[93] tant de renforts qu'il domina la mer avec une flotte de 80 bâtiments[94]. Athènes, peu sûre de ses propres eaux à cause des corsaires éginètes, privée aussi des convois du Pont et hors d'état de lever une flotte qui pût tenir tête aux ennemis, avait en perspective un nouveau siège et la famine. Toutes les terreurs de l'année 405 se présentèrent aux yeux des citoyens, tandis que les profits à venir de l'alliance avec Cypre et l'Égypte restaient dans le lointain et que, d'autre part, l'amitié inaugurée avec Denys venait de se transformer en son contraire ; aussi aucun orateur n'osa conseiller de poursuivre la guerre. Thèbes était épuisée en ressources publiques et privées et ne pouvait plus soutenir la lutte ininterrompue avec Orchomène. Argos et Corinthe étaient hors d'état, â elles seules, de braver l'ennemi ; Sparte elle-même, sortie de toutes les misères de la guerre sans dommage et avec les honneurs de la victoire[95], ne pouvait songer à employer de sitôt sa prépondérance actuelle à l'oppression des autres États, car sa puissance ne reposait, en fin de compte, que sur l'appui du Grand-Roi, et cet appui ne lui était accordé qu'à seule fin de mettre un terme à la guerre qui entravait la Perse dans ses entreprises et fournissait un aliment à la révolte de Cypre. Aussi Sparte n'avait-elle pas d'autre intérêt que de profiter de l'épuisement général des États belligérants[96] pour provoquer le plus tôt possible un congrès pacifique et un désarmement général de la Grèce, et cela à Sardes même, où Tiribaze fit mander les ambassadeurs[97].

Par ce moyen, Sparte obtenait à la fois deux avantages. D'abord, elle supposait avec raison que le prestige du Grand-Roi contribuerait essentiellement à faciliter le succès de l'œuvre pacifique, parce que toute contradiction aurait fatalement l'air d'une hostilité contre la puissance qui, grâce à ses flottes et à ses ressources pécuniaires, était la plus redoutée ; elle était, en effet, la seule qui dans toute la guerre n'eût fait que gagner et vaincre. En second lieu, les États adverses n'étaient pas regardés sur terre persique comme des confédérés, ayant droit après une guerre commune de poser des conditions communes, mais comme des États isolés qui devaient se conformer tout aussi bien que Sparte au règlement général des affaires grecques. Par là, Sparte se trouvait dans une situation infiniment plus avantageuse. Enfin, l'initiative de la Perse, le droit qu'elle s'arrogeait de régler elle-même le nouvel ordre de choses, était justifié jusqu'à un certain point par ce fait que toute la guerre continentale avait été provoquée par des envois de fonds expédiés de Perse et que la principale action sur mer, la seule bataille décisive de toute la guerre, avait été une victoire remportée par la flotte des Perses.

Les conditions furent celles que proposa Antalcidas et qui ne s'écartaient des anciennes qu'en ce qu'Athènes y était plus favorablement traitée. Athènes, en effet, avait émis les protestations les plus vigoureuses dans la précédente conférence qui s'était réunie à Sardes, elle était le seul État où l'on restât encore attaché à ce principe qu'il était ignominieux de livrer des Hellènes aux Barbares, le seul enfin dont les troupes fussent encore en campagne. Chabrias était même heureux à Cypre ; il pouvait se faire que la révolte de l'île procurât de grands profits aux Athéniens : aussi leur alliance avec Évagoras devait-elle être rompue ; c'était là pour les Perses la principale base de la paix. Pour ces motifs, l'on concéda aux Athéniens les points sur lesquels dans la précédente assemblée des députés ils avaient spécialement insisté, la possession de Lemnos, Imbros et Scyros. Ces îles n'avaient pas été enlevées aux Perses ; elles pouvaient être considérées comme des conquêtes légitimes, comme des portions de l'Attique situées en pays d'outre-mer. En conséquence, le protocole de la paix fut rédigé sous la forme suivante :

Le roi Artaxerxès tient pour équitable que les villes d'Asie lui appartiennent, et, parmi les îles, Clazomène et Cypre ; les autres villes helléniques, grandes et petites, seront indépendantes ; seules Lemnos, Imbros et Scyros appartiendront comme par le passé aux Athéniens. Les nations qui n'accepteront pas cette paix, je les combattrai de concert avec celles qui l'acceptent, sur terre et sur mer, avec mes vaisseaux et avec mes trésors[98].

 

 

 



[1] La guerre qui commence est appelée Κορινθιακός πόλεμος par Isocrate, Isée, et Diodore (XIV, 86) qui, tout en mettant à part la guerre de Béotie, n'en donne pas moins à cette période d'hostilité une durée de huit ans. PAUSANIAS, III, 9, 12. Sur ces faits, voyez SIEVERS, Gesch. Griech., p. 59 sqq. HERTZBERG, König Agesilaos, p. 80. SPILLER, Kritische Geschichte des korinthischen Krieges, 1852. Xénophon expose tout au long l'histoire des hostilités (guerre sur terre, Hellen., III, 5, 3 — IV, 7 : guerre sur mer, IV, 8 — V, 1), mais sans chronologie aucune. Le seul point de repère assuré est celui que fournit l'éclipse de soleil mentionnée au livre IV, 3, 10.

[2] XÉNOPHON, Hellen., III, 5, 1. PAUSANIAS, III, 9, 8.

[3] XÉNOPHON, Hellen., II, 5, 3. Pausanias se trompe en disant οί έξ Άμφίσσης Λοκροί (PAUSANIAS, III, 9, 9).

[4] XÉNOPHON, Hellen., III, 5, 4.

[5] XÉNOPHON, Hellen., III, 5, 2. Le témoignage de Xénophon contredit formellement Pausanias (III, 9, 8).

[6] PAUSANIAS, III, 9, 11. GROTE (XIV, p. 14. 1, trad. Sadous) révoque en doute cette ambassade. Sans doute, Xénophon n'en dit rien, mais son silence est très compréhensible. Parmi les motifs qui ont engagé Sparte à faire la guerre à Thèbes, il ne cite (Hellen., III, 5, 5) que le refus des Thébains de marcher avec les Spartiates contre le Pirée en 403, et non le refus de marcher contre Élis (III, 2, 25) ou contre la Perse (PAUSAN., III. 9, 2) dans le σύνταγμα τών συμμάχων (XÉNOPHON, Hellen., III, 4, 2). Du moins, ce dernier motif est rappelé incidemment (III, 5, 4).

[7] DEMOSTH., Pro coron., § 96.

[8] Si impuissants que fussent les Athéniens vis-à-vis de Sparte depuis la domination des Trente, le sentiment de leur faiblesse ne les empêcha pas de prendre en main, dès l'année de l'archontat d'Euclide, la cause des démocrates samiens, qui, de tous leurs alliés, leur étaient restés le plus longtemps fidèles. Après la reddition de Samos à Lysandre, tout le parti attaché aux Athéniens avait dû partir pour l'exil (XÉNOPHON, Hellen., II, 3, 7) et avait trouvé asile sur la côte en face, à Notion et à Éphèse. C'est de là que, bientôt après la restauration de la constitution à Athènes, ils envoyèrent une ambassade pour demander aux Athéniens leur médiation auprès des Spartiates (C. I. ATT., II, 1. n. 1 b. p. 393). Dans ce Posés qui s'est occupé des négociations et que l'on récompensé avec une couronne de 1.000 drachmes (lig. 20-36), nous aurons l'occasion de reconnaître un des chefs de la démocratie samienne. Peu de temps après, on s'occupe de toute une série de Grecs des îles ou des côtes, probablement des Thasiens qui, pour avoir pris le parti d'Athènes, avaient dû quitter leur patrie lorsque le parti laconisant avait pris le dessus : on leur renouvelle les faveurs qui leur avaient été accordées avant la domination des Trente (soit le droit de cité, soit l'isotélie : C. I. ATT., II, 1, n. 4). Un autre plébiscite de Ol. XCV, 2 (399/8) traite du renouvellement de l'άσυλία qui avait été accordée à un Carystien également chassé de sa patrie, mais dont celui-ci s'était trouvé déchu à l'époque des Trente (C. I. ATT., II, 1, n. 1 c.). Ce sont là les premières manifestations du sentiment de la dignité qui se réveille à Athènes ; elles montrent qu'on n'entendait pas abandonner à leur sort les vieux amis qui avaient jadis soutenu la domination d'Athènes et qui étaient maintenant tombés dans le malheur.

[9] Ce fragment a été publié par KÖHLER dans l'Hermes, V, p. 1.

[10] PAUSANIAS, III, 5, 4. FROHBERGER in Philologus, XVII, p. 438.

[11] XÉNOPHON, Hellen., III, 5, 18 sqq. DIODORE, XIV, 81.

[12] Agis le disait voluptueux comme un second Pausanias : mais Théopompe faisait de lui un portrait tout opposé (ATHÉNÉE, p. 543).

[13] (PLUTARQUE, Lysandre, 25. CORN. NEPOS, Lysandre, 3, 5). D'après GROTE (XIV, p. 22, trad. Sadous), Cléon aurait rédigé le mémoire de sa propre initiative. Ce n'est pas l'avis de LACHMANN (Geschichte Griechenlands, II, p. 394) et de HERTZBERG (op. cit., p. 282).

[14] C'est parce que Lysandre voulait faire de la royauté un pouvoir essentiellement différent qu'Aristote a pu lui attribuer l'intention de καταλΰσαι τήν βασιλεΐαν : encore ne donne-t-il pas ce plan pour un fait avéré, car il ajoute : ώσπερ έν Λακωνία φασί Λύσανδρόν τινες (ARISTOT., Polit., 192, 31).

[15] Les plans révolutionnaires de Lysandre sont indiqués par PLUTARQUE, Lysandre, 24 sqq. DIODORE, XIV, 13. CORN. NEPOS, Lysandre, 3 (d'après Éphore).

[16] L'histoire de Silénos, le prétendu fils d'Apollon, est racontée par Plutarque (Lysandre, 26) sur la foi d'un άνήρ ίστορικός καί φιλόσοφος, qui pourrait bien être Théophraste.

[17] Aristote, soutenant que les grandes natures sont mélancoliques, rapporte que Lysandre, en approchant de la vieillesse, tomba dans la mélancolie (PLUTARQUE, Lysandre, 2).

[18] XÉNOPHON, Hellen., III, 5, 22 sqq.

[19] XÉNOPHON, Hellen., III, 5, 25. D'après Plutarque, où il se mit, comme suppliant, sous la protection de Minerve, et y passa le reste de ses jours (PLUTARQUE, Lysandre, 30) : c'est-à-dire dans le temple d'Athéna Άλέα (PAUSANIAS, III, 5, 6).

[20] DIODORE, XIV, 82.

[21] Voyez Hermes, V, p. 2. KÖHLER (Mittheil. d. d. Archäol. Instit., II, p. 212) a démontré, d'après un fragment d'inscription, l'existence d'un troisième traité d'alliance entre Athènes et Érétrie, datant de l'époque de la guerre de Corinthe.

[22] DIODORE, XIV, 82.

[23] Les habitants d'origine lacédémonienne sont mis à mort ; les autres colons d'origine péloponnésienne sont simplement congédiés, et les Trachiniens expulsés par Hérippidas sont ramenés par les Béotiens sous la conduite d'Isménias (DIODORE, XIV, 82 sqq.). Cf. WEIL in Hermes, VII, p. 383.

[24] XÉNOPHON, Hellen., IV, 2, 3.

[25] XÉNOPHON, Hellen., IV, 2, 5-8.

[26] XÉNOPHON, Hellen., IV, 2, 11.

[27] PAUSANIAS, I, 15, 1. KÖHLER (Hermes, V, p. 5), par une combinaison ingénieuse, rapporte à ces événements un autre passage (PAUSANIAS, X, 10, 4).

[28] XÉNOPHON, Hellen., IV, 2, 13. HERBST (N. Jahrbb. für Philol., LXXVII, p. 690) propose de lire άμφί Άλέαν ou peut-être άγχίαλον. Je crois avoir donné à ce passage son sens exact.

[29] XÉNOPHON, Hellen., IV, 2, 8 sqq. DIODORE, XIV, 83. LYSIAS, Orat., XVI, § 15. — DEMOSTH., In Leptin., § 52. XÉNOPHON, Agesil., VII, 5). La date est donnée par Aristide (ARIST., II, p. 370. Dindorf). Par conséquent, la première bataille appartient encore à l'année de l'archontat de Diophantos, laquelle expire au 14 juillet 394 (Cf. KIRCHNER, De Andocidea quæ fertur tertia oratione, p. 19). Agésilas apprend à Amphipolis la nouvelle de la bataille de Némée (XÉNOPHON, Hellen., IV, 3, 1). Celle-ci a donc été livrée au milieu de juillet, à peu près en même temps que celle de Cnide.

[30] Agésilas prend le même chemin que Xerxès (DIODORE, XIV, 83).

[31] Combat contre les Thessaliens entre Pras et Narthakion (XÉNOPHON, Hellen., IV, 3, 3 sqq.).

[32] Sur la bataille de Coronée, voyez XÉNOPHON, Hellen., IV, 3, 10-21. PLUTARQUE, Agesil., 18. Le détail concernant les cadavres dans XENOPH., Agesil., II, 15.

[33] DIODORE, XIV, 84. PLUTARQUE, Agesil., 19. XÉNOPHON, Hellen., IV, 3, 21. Cent talents représentent environ 589.400 fr.

[34] XÉNOPHON, Hellen., IV, 3, 10. PLUTARQUE, Agésilas, 17.

[35] ISOCRATE, Panegyr., § 142.

[36] PAUSANIAS, III, 9, 2. Conon entreprit son premier voyage à la cour de Perse (printemps 396) à l'instigation de Pharnabaze. Introduit auprès du Grand-Roi par Tithraustès, il prépare la disgrâce de Tissapherne (CORN. NEPOS, Conon, 3). Le récit de Justin (VI, 2) est inexact, car il confond le premier et le second voyage.

[37] DIODORE, XIV, 79.

[38] Conon se rend cette fois à Babylone, résidence d'hiver des rois de Perse, durant l'hiver 395/4 (DIODORE, XIV, 81). Il était remplacé pendant ce temps à la tête de la flotte par Hiéronymos et Nicodémos, tous deux Athéniens (DIODORE, XIV, 81).

[39] DIODORE, XIV, 81. Pharnabaze n'est pas seulement le trésorier de Conon (CORN. NEPOS, Conon, 4), mais le chef nominal de la flotte (XÉNOPHON, Hellen., IV, 3,11). Les navires grecs commandés par Conon étaient en majeure partie athéniens (PLAT., Menexen., 245 a). C'est du temps où Pharnabaze s'occupait des armements de Cilicie et de ses fonctions d'amiral que datent les monnaies de Pharnabaze frappées à Tarse (DE LUYNES, Monnaies des satrapies, p. 7. BRANDIS, Münzwesen, p. 236).

[40] DIOG. LAËRTE, VII, 75. Cf. REHDANTZ, op. cit., p. 2.

[41] D'après Diodore (XIV, 83), Pharnabaze et Conon avaient plus de 90 vaisseaux, et Pisandros 85 seulement. Xénophon (Hellen., IV, 3, 12) est peu explicite. Les renseignements sur la bataille sont tout à fait insuffisants. NEWTON (Discoveries at Halicarnassus, Cnidus, etc.) croit avoir découvert un monument de la bataille dans le lion de Cnide (cf. Götting. gelehrte Anzeige, 1864, p. 383). BEULÉ (Drachme de Conon dans la Revue Numis., 1858, p. 357) reconnaît un autre monument de la victoire de Cnide dans la drachme qui porte comme effigie une demi-figure d'Athéna Niké (Cf. MÜLLER-WIESELER, Denkmäler der alten Kunst, II, p. 220).

[42] DIODORE, XIV, 84. XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 1-6.

[43] Il existe un décret honorifique du peuple athénien relatif à la famille d'Aristomachos (KÖHLER, Hermes, V, p. 5).

[44] Sur la reconstruction des murs par Conon, voyez XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 7-10. DIODORE, XIV, 85. DEMOSTH., Orat., XX, § 68.

[45] Sur Thrasybule et Conon, cf. Philologus, XVII, p. 439.

[46] XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 10.

[47] XÉNOPHON, Hellen., IV, 4, 2-3. D'après l'analogie fournie par le calendrier de Corcyre, la fête d'Artémis Εΰκλεια tombait en février (KIRCHNER, op. cit., p. 10).

[48] ÉPHORE ap. STEPH. BYZ., s. v. Άργος.

[49] XÉNOPHON, Hellen., IV, 4. 6. Cf. VISCHER, Staaten und Bünde, p. 25.

[50] XÉNOPHON, Hellen., IV, 4, 7.

[51] XÉNOPHON, Hellen., IV, 4, 9-12. D'après GROTE et HERBST (N. Jahrbb. für Philol., LXXVII, p. 694), il faut distinguer ce combat livré près de Léchæon de l'assaut donné plus tard par Agésilas (XÉNOPHON, Hellen., IV, 4. 19.).

[52] XÉNOPHON, Hellen., IV, 4, 14.

[53] CORN. NEPOS, Iphicrate, 1.

[54] PLATON, Menexen., p. 245 e.

[55] Téleutias était frère utérin d'Agésilas (PLUTARQUE, Agesil., 21). Peut-être était-ce un fils que la laide Eupolia avait eu d'un second mariage (HERBST, op. cit., p. 703).

[56] Sur le Piræon, voyez E. CURTIUS, Peloponnesos, II, p. 552.

[57] Les jeux Isthmiques étaient triétériques et on les célébrait la deuxième et la quatrième année des olympiades, peu de temps avant les jeux olympiques. Comme les jeux Isthmiques ont eu lieu au printemps de 412 (POPPO ad THUCYD., VIII, 9), ils tombaient par conséquent encore en 390 (KIRCHNER, op. cit., p. 12).

[58] XÉNOPHON, IV, 5, 1.

[59] Les φυγάδες τών Κορινθίων célèbrent alors la fête sous la protection d'Agésilas, et les Argiens la recommencent de leur côté après le départ de celui-ci (XÉNOPHON, Hellen., IV, 5, 2).

[60] XÉNOPHON, Hellen., IV, 5, 6.

[61] Les Hyacinthia se célébraient au commencement du printemps.

[62] XÉNOPHON, Hellen., IV. 5, 11-17. ÆSCHINE, In Ctesiph., § 243.

[63] HARPOCRATION, s. v. ξενικόν.

[64] Voici, d'après GROTE et KIRCHNER, la succession probable des événements durant les six premières armées de la guerre. Commencement des hostilités (été 395 : Ol. XCVI, 1-2) : bataille d'Haliarte (395 : Ol. XCVI, 2), de Cnide (commencement d'août 394 : Ol. XCVI, 3), de Coronée (mi-août) ; Agésilas licencie son armée (automne 394). — Camps établis à Corinthe et à Sicyone (393). — Arrivée de Conon à l'isthme : armement de la flotte et fermentation des esprits à Corinthe (392). — La journée d'Artémis Eukleia (février 392) ; destruction des murs à Corinthe, occupation de Crommyon et de Sidonte. — Coups de main des mercenaires (hiver et printemps 392/1). Téleutias amiral. Prise de Léchæon (391 : Ol. XCVII, 2) : licenciement de l'armée. — Jeux Isthmiques (390) ; Agésilas à Piræon, Destruction de la μόρα spartiate par Iphicrate : fête des Hyacinthia (mai 390). — Agésilas en Acarnanie (389).

[65] Pour la chronologie des hostilités en Acarnanie et en Argolide, nous en sommés réduits à la succession établi' par Xénophon (Hellen., IV, 6-7).

[66] ANDOCID., Orat., III, § 27. Il s'agit de vieux traités du temps des Héraclides.

[67] XÉNOPHON, Hellen., IV, 7, 2.

[68] C'est ici que Xénophon arrête la guerre continentale (Hellen., IV, 8, 1).

[69] PAUSANIAS, I, 15, 4. X. 10, 4. PLUTARQUE, Apophthegm. Lacon. var., 7. KIRCHHOFF, Gesch. des griech. Alphabets, p. 90.

[70] PLUTARQUE, Agesil., 23. Apophth. Lacon. Agesil., 60. HERBST (op. cit., p. 699) nie qu'il y ait eu antagonisme politique entre Agésilas et Antalcidas.

[71] La mission d'Antalcidas doit être placée vers 392 (XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 12. KIRCHNER, op. cit., p. 35).

[72] Sur les monnaies de Tiribaze, voyez BRANDIS, Münzwesen, p. 353 sqq.

[73] XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 16. D'après Cornélius Nepos, Conon a été arrêté parce qu'il travaillait sous main ut Ioniam et Æoliam restitueret Atheniensibus (CORN. NEP., Conon, 5).

[74] XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 17.

[75] Certains auteurs prétendaient qu'il avait été mis à mort chez le roi : contra ea Dinon historicuseffugisse scripsit (CORN. NEP., ibid.), probablement à l'instigation de Strouthas. Lysias dit qu'on l'avait arrêté dans l'intention de le mettre à mort (LYSIAS, Panegyr., § 154).

[76] XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 19.

[77] ANDOCID., De pace, § 6.

[78] ANDOCID., ibid., § 29. Cf. HIECKE, De pace Cimonica, p. 9. KIRCHNER, op. cit., p. 69.

[79] Andocide avait fait circuler un pamphlet entre 420-415. Cf. KIRCHHOFF, in Hermes, I, p. 5.

[80] L'ambassade d'Andocide est attestée par Philochore, dans l'Argument du discours Sur la paix avec les Lacédémoniens.

[81] L'authenticité du discours d'Andocide Sur la paix, suspectée déjà par Denys, est défendue par BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 211 : GROTE (XIV, p. 73, 1, trad. Sadous) : KIRCHNER, De Andocide : BLASS, Attische Beredsamkeit, p. 322. On y trouve des erreurs en ce qui concerne l'histoire des temps antérieurs, comme il y en a dans Démosthène, mais rien qui soit en contradiction avec la situation de l'année 391, même quand il s'agit des murs (§ 23), des tendances pacifiques de Thèbes (§ 18. 24 . 28. Cf. XÉNOPHON, Hellen., IV, 5, 6), et du désir qu'ont les Argiens de prendre définitivement possession (§ 27) de Corinthe. Cf. HERTZBERG, op. cit., p. 294.

[82] XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 23 sqq.

[83] XÉNOPHON, IV, 8, 27. Cf. BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 442.

[84] Les campagnes de Thrasybule dans XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 25-30.

[85] Voyez les réquisitoires de Lysias contre Ergoclès (Orat. XXVIII) et son ami Philocrate (Orat. XXIX). Ergoclès y est représenté comme l'instigateur des projets reprochés à Thrasybule (Orat. XXVIII, § 5, Cf. Demosth., De fals. leg., § 180). Thrasybule était déjà mort au moment du procès (LYS., ibid., § 8) qui se termina par la condamnation d'Ergoclès et la confiscation de ses biens.

[86] XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 30.

[87] XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 32. C'est l'ancien ennemi des Cyréens.

[88] XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 33-39.

[89] XÉNOPHON, Hellen., V, 1, 1-9. Cf. SIEVERS, Gesch. Griechenlands, p. 135.

[90] XÉNOPHON, Hellen., V, 1, 21-24.

[91] Diphridas est le successeur de Thibron (XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 21. DIODORE, XIV, 97).

[92] XÉNOPHON, Hellen., IV, 8, 24.

[93] Depuis que Denys avait remporté ses grands succès sur les Carthaginois, qu'il avait refoulés jusqu'à l'extrémité de la pointe occidentale de l'île, et depuis que, poursuivant ses conquêtes, il avait soumis à sa domination les villes de la Grande-Grèce, sa situation vis-à-vis des États grecs avait considérablement changé. Non seulement il n'avait plus besoin de demander aux Spartiates leur appui, mais il était en mesure d'exercer à son tour une certaine influence sur les affaires de la Grèce : et ce qui prouve qu'il a fait sentir déjà son action, avec une énergie exceptionnelle, lors de la conclusion de la paix d'Antalcidas, c'est l'envoi de vingt vaisseaux sous le commandement de son cousin Polyxénos (XÉNOPHON, Hellen., V, 1, 28). C'était là un fort contingent, le quart de la flotte entière, de cette flotte qui contribua à imposer la paix édictée par le Grand-Roi (Cf. KÖHLER, Mittheilungen, I, p. 7 sqq.)

[94] XÉNOPHON, V, 4, 25 sqq.

[95] Nous savons que l'entreprise contre Rhodes, commencée en 391 par Ecdicos (XENOPH., Hellen., IV, 8, 20), a été poursuivie après lui par Téleutias (IV, 8, 24), puis par Hiérax (V, 1, 5) : mais Xénophon n'en mentionne pas l'issue. Cf. A. SCHÄFER, Demosthenes, I, p. 24.

[96] Sur l'épuisement et le besoin de paix qu'on éprouvait partout, voyez XÉNOPHON, Hellen., V, 1, 29.

[97] GROTE (XIV, p. 124, trad. Sadous) distingue avec raison le premier congrès (qui se réunit probablement à Sardes) de celui qui eut lieu à Sparte, bien que les anciens ne fassent nulle part cette distinction. Pourtant Xénophon s'exprime ainsi : quand Tiribaze invita à se présenter ceux qui voulaient prêter l'oreille aux conditions de paix envoyées par le roi, tous les Grecs s'empressèrent de se rendre à son invitation. Quand ils furent réunis, Tiribaze, leur montrant le cachet du roi, leur lut sa lettre. En voici la teneur : Le roi Artaxerxès..., etc. (Hellen., V, 1, 30).

[98] XÉNOPHON, Hellen., V, 1, 31. DIODORE, XIV, 110. La paix fut conclue 19 ans après la bataille d'Ægospotamoi (POLYBE, I, 6), le premier mois de l'archontat de Théodotos (DIODORE, XIV, 110. 117), c'est-à-dire entre le 29 juin et le 29 juillet 387 (Ol. XCVIII, 2).