HISTOIRE GRECQUE

TOME QUATRIÈME

LIVRE CINQUIÈME. — LA DOMINATION DE SPARTE EN GRÈCE (DE 404 A 379 AV. J.-C.).

CHAPITRE DEUXIÈME. — ATHÈNES APRÈS SA RESTAURATION.

 

 

§ II. — LA PHILOSOPHIE SOCRATIQUE.

Tel était l'état de la poésie à Athènes. Même après que l'équilibre de la vie publique eut été rompu, elle s'est maintenue quelque temps encore dans toute sa grandeur, mais seulement dans les œuvres de Sophocle, qui perpétuait l'esprit du siècle de Périclès ; ensuite elle fut, comme la musique, saisie par le torrent qui minait alors les bases mêmes de la vie nationale et emportait le sol où les créations de la période classique enfonçaient leurs racines. Aussi, dans ce temps de perturbation générale, fut-elle hors d'état d'offrir à la morale un point d'appui ; le passé s'écroulait, mais un art nouveau, sous l'inspiration duquel l'humanité pût se relever, c'est ce que, en dépit de ses facultés philosophiques et oratoires, l'époque moderne était incapable de produire. De même, la foi des ancêtres se voyait jetée au rebut comme un meuble hors d'usage, sans être remplacée par une autre certitude qui pût diriger la vie morale, par un autre excitant qui portât à la pratique des vertus indispensables à la vie sociale. On reconnaissait la nécessité d'une régénération de l'État ; on se mettait sérieusement à en améliorer, à en régulariser le mécanisme : mais ce n'est point par des réformes politiques que l'on pouvait réparer de tels dommages et asseoir sur de nouvelles bases la prospérité publique. Il ne restait d'autre remède qu'une rénovation morale, procédant d'une sérieuse connaissance de soi-même ; qu'une volte-face décidée, arrachant la société aux voies trompeuses de la civilisation moderne et à toutes les idées fausses ; en un mot, que l'éducation d'une génération nouvelle, où les vertus d'autrefois, comme la loyauté, la crainte des dieux, la sincérité, reprendraient racine. La reconstruction d'une Athènes plus fortunée devait être reprise par en bas. C'était un chemin long et pénible, un chemin qui souriait peu à l'amour-propre des Athéniens, lesquels se croyaient au faîte de la culture humaine, mais c'était le seul.

Pour conduire les autres dans ce chemin et pour rendre évidente à ses concitoyens la nécessité d'une rénovation morale, qui devait s'accomplir dans l'âme de chaque individu, il fallait un homme d'un génie prophétique, se rendant un compte exact des égarements de son époque mais la dominant lui-même, possédant les ressources intellectuelles nécessaires pour combattre les erreurs, et enfin, assez convaincu de sa mission de sauveur et de tuteur pour être prêt, avec un désintéressement parfait, à vivre et à mourir pour elle. Cet homme, Athènes l'avait dans son sein ; il n'était autre que ce Socrate dont nous avons déjà à plusieurs reprises constaté l'action dans l'État et la société.

Si nous le considérons dans toute sa manière d'être, et nulle personnalité de l'antiquité grecque ne s'offre à nos regards avec des traits si nets, il nous apparaît du premier coup comme n'appartenant pas du tout à Athènes, tant sa nature est étrange, tant le personnage tout entier est peu amené. Il ne se range dans aucune classe de la société civile, et la mesure que nous appliquons à ses concitoyens ne s'adapte pas à lui. Il est un des plus pauvres entre tous les Athéniens, mais il parcourt avec une fière conscience de sa valeur les rues de la ville et marche de pair avec les plus riches et les plus nobles ; son extérieur laid et négligé fait de lui l'objet de la risée publique, et pourtant il exerce une influence sans exemple sur les petits et sur les grands, les savants et les ignorants. Il est un maître en l'art de parler et de penser, et avec cela, un adversaire radical de ceux qui enseignaient cet art aux Athéniens ; un homme de progrès, ne laissant rien passer sans examen, et toutefois le plus zélé faiseur de sacrifices, dévot aux oracles et croyant d'une foi naïve à bien des choses dont on se moquait comme de contes de nourrices, un censeur décidé de la souveraineté populaire et cependant un adversaire des oligarques. Tout. entier à lui-même, il pense autrement que le reste des Athéniens ; il va son chemin, sans se soucier de l'opinion publique, et, pourvu qu'il soit d'accord avec lui-même, aucune contradiction, aucune attaque, aucune insulte ne le fait dévier de sa voie. On eût dit vraiment qu'un pareil homme avait été comme transporté d'un autre monde au milieu d'Athènes.

Et pourtant, si unique dans son genre que fût Socrate, nous ne pouvons, après un examen plus minutieux, méconnaître en lui le pur Athénien. Il l'était par toutes ses tendances intellectuelles, par cet amour et ce talent de la parole qui ne se développait guère que dans l'atmosphère athénienne, par cette causticité fine qui savait unir le sérieux à la plaisanterie, par cette recherche incessante d'un lien intime de solidarité entre l'action et la connaissance. Il était Athénien de la vieille roche quand il défendait avec un ferme courage les lois de l'État contre tout arbitraire, et que, sur le champ de bataille, il ne reculait devant aucun danger ni aucune peine. Il connaissait et aimait les poètes nationaux ; il portait en lui, avec son ardeur infatigable pour la culture intellectuelle, la marque la plus noble de sa ville natale. Comme Solon, Socrate pensait qu'on n'est jamais trop vieux pour apprendre, que l'instruction et les connaissances ne constituent pas une préparation à la vie, mais la vie elle-même et ce qui seul lui donne de la valeur. S'améliorer chaque jour parla science et améliorer les autres, c'est là que tous deux voyaient la véritable mission de l'homme tous deux trouvaient la seule félicité véritable dans la santé de l'âme, et regardaient l'injustice et l'ignorance comme le plus grand des malheurs.

Ainsi Socrate, avec toute son originalité, demeurait sur le terrain de la civilisation attique ; et, si l'on considère que les représentants les plus renommés de la sophistique et des doctrines qui s'y rattachent sont tous venus de l'étranger, Protagoras d'Abdère, Gorgias de Sicile, Prodicos de Céos, Diagoras de Mélos, on peut affirmer à bon droit que, en face de ces rhéteurs, les meilleurs principes de la sagesse attique trouvèrent leur représentant dans Socrate.

Toutefois il ne se contentait pas d'en revenir purement et simplement aux vieilles idées qui alimentaient le sentiment patriotique et qu'on avait oubliées au grand dommage de l'État ; il ne s'opposait pas avec des airs dédaigneux et cassants au mouvement de l'époque ; au contraire, il s'y mettait en plein, et tâchait seulement de le diriger vers un but différent et plus élevé. Il ne demandait pas le retour en arrière, mais le progrès de la connaissance au delà de ce qu'offraient les plus habiles professeurs de sagesse. Aussi pouvait-il réunir en lui ce qui semblait à d'autres une contradiction inconciliable, et c'est à cette large compréhension qu'il devait ce qui le distinguait le plus de tous ses compatriotes, la haute indépendance et la liberté de son esprit ; aussi fut-il capable, sans devenir infidèle à son pays, de s'élever au-dessus de l'étroitesse des idées reçues. C'est ce qu'il fit, par exemple, en se dégageant absolument, avec une assurance héroïque, lui qui vivait au milieu d'un peuple épris de la beauté extérieure, en se dégageant de tout ce qui regarde le dehors, et en ne donnant de prix qu'aux qualités intérieures et à la vie morale. Aussi même sa propre laideur, sa large figure au nez camard, aux grosses lèvres, aux yeux saillants, était un des traits caractéristiques de sa personnalité, parce qu'elle témoignait contre l'opinion traditionnelle qui supposait nécessairement associés les avantages physiques et les perfections morales, parce qu'elle prouvait que dans le corps d'un Silène peut résider l'esprit d'un Apollon, et qu'elle aboutissait par conséquent à une conception plus haute de la personnalité humaine. Il se tenait ainsi au milieu de son peuple et de son temps, mais au-dessus de l'un et de l'autre, et un tel homme était nécessaire aux Athéniens pour trouver la voie par où il était, possible de sortir du conflit des opinions pour arriver à une certitude morale, et d'atteindre un bonheur qui portât sa garantie en lui-même.

Socrate se présente à nos yeux comme une personnalité achevée, portant son empreinte parfaitement arrêtée, et dont le développement progressif garde toujours quelque chose de mystérieux. Pourtant, le véritable germe en réside sans aucun doute dans cette ardeur innée de savoir, qui avait chez lui une force extraordinaire. Cette ardeur ne lui permit pas de suivre jusqu'au bout son apprentissage sous la direction de son père ; elle le poussa hors de l'étroit atelier dans les rues et sur les places de la ville, où s'étalaient alors à profusion tous les genres de cultures, art et science. Il avait entre vingt et trente ans quand Périclès était à l'apogée de son éclatante puissance, et on devait supposer que le fils d'un statuaire aurait occasion d'apprécier dans toute sa valeur l'œuvre du grand homme. Cependant, le jeune Socrate emportait de la maison paternelle un certain esprit exclusif, ce qu'on pourrait appeler des goûts de boutiquier, c'est-à-dire un sens rassis, terre-à-terre, préoccupé de l'utilité pratique, et qu'aucun lustre, aucune splendeur n'arrivait à éblouir. Aussi passait-il assez indifférent devant les chefs-d'œuvre, objets de l'admiration générale, qui remplissaient alors la ville ; il lui manquait l'intelligence de l'idéal du siècle de Périclès, et même les tragédies d'un Sophocle ne semblent pas avoir exercé sur lui une attraction particulière. S'il y avait là de l'exclusivisme, il offrait cet avantage d'affermir chez Socrate l'indépendance du jugement et de le mettre en état de reconnaître et de combattre les défauts et les vices dont souffrait Athènes au milieu même de sa grandeur.

Si le fils de Sophroniscos transporta la notion de l'utilité pratique dans le domaine de la science, il lui donna une portée si profonde et un rôle si grandiose qu'elle devint chez lui la passion de rechercher avec un zèle incessant tout véritable moyen d'éducation qu'offrait Athènes ; car il sentait l'impossibilité de satisfaire aux exigences les plus immédiates de sa mission moralisatrice sans posséder un ensemble coordonné de connaissances. Aussi fréquentait-il, comme affamé de savoir, les hommes et les femmes qui passaient pour des esprits d'une culture supérieure ; il entendit les leçons des sophistes ; il se procura les écrits des anciens philosophes, dont il trouvait l'influence encore vivante parmi ses contemporains ; il se plongea, avec quelques amis curieux comme lui, dans l'étude des œuvres d'Héraclite et d'Anaxagore, et, dans ce commerce animé de l'un à l'autre, il devint lui-même peu à peu un autre homme, c'est-à-dire, il reconnut ce qu'il y avait de peu satisfaisant dans le point de vue auquel se tenait alors la philosophie, en même temps qu'il prit conscience de son propre but et de sa vocation. Car, tout en demandant d'autres raisons et en en cherchant de plus profondes que celles qu'on lui fournissait, il devint, sans dessein prémédité, celui qui donnait l'impulsion et de, qui l'on finissait par attendre la réponse aux questions restées sans solution. Ce chercheur d'enseignement devint le centre d'un cercle de jeunes gens qui s'attachèrent à lui avec enthousiasme, et la preuve que les idées qu'il s'efforçait de donner répondaient bien au besoin profondément senti de l'époque, c'est que des personnes très diversement douées et de condition très différentes se livrèrent à lui, des jeunes gens de la haute société, satisfaits d'eux-mêmes, enchantés de la vie, présomptueux, comme Alcibiade, et d'autre part, des âmes mélancoliques et découragées, comme ce bizarre Apollodore de Phalère qui, éternellement mécontent de lui-même et des autres, mena une existence infortunée jusqu'au jour où il rencontra en Socrate la seule personnalité qui lui fût sympathique et, dans sa fréquentation, la satisfaction où il aspirait[1]. Socrate était tout pour lui, et, chaque heure qu'il passait loin de lui, il la déplorait comme perdue. C'est ainsi que, parmi les Athéniens chez lesquels les relations personnelles entre hommes du même âge aussi bien qu'entre hommes faits et jeunes gens étaient troublées et souillées soit par des intérêts de parti, soit par une impure sensualité, Socrate sut ressusciter la puissance bienfaisante de la pure amitié et du dévouement désintéressé. Cet homme prosaïque alluma le plus noble enthousiasme et conquit par les moyens les plus simples un empire immense, tel que personne avant lui n'en avait encore possédé de pareil à Athènes ; il était déjà avant la paix de Nicias, au moment où Aristophane fait de lui le héros de ses Nuées (423 : Ol. LXXXIX, 1), un des personnages les plus connus et les plus influents d'Athènes.

De même que Socrate devint peu à peu le maître dont la parole enseignait le peuple, de même sa vie et sa conduite se façonnèrent en gardant un rapport indissoluble avec son développement philosophique. Car ce fut la plus saillante de ses qualités, que sa vie et son enseignement étaient comme coulés d'un seul jet et qu'aucun de ses disciples ne pouvait dire si son exemple ou sa parole avait plus profondément agi sur lui. Cela tenait à ce que, dès le début, sa philosophie s'était proposée pour objet ce qui peut rendre l'homme meilleur et plus agréable à Dieu, plus libre et plus heureux. Il lui était impossible de se vouer à cette tâche sans s'élever dans son for intérieur à une clarté et à une pureté toujours plus haute, et sans subordonner à la raison les penchants sensuels, indolents et passionnés de sa nature. C'est ainsi qu'il devint un homme prêtant par bien des côtés au sourire et à la moquerie, mais que ceux même qui ne répondaient pas de sa sagesse étaient forcés de reconnaître pour un citoyen irréprochable et honnête. Il était dévoué à sa patrie avec une entière loyauté, et, sans briguer ni emplois ni dignités, il travaillait tout spontanément au bien de la république, de sorte que, comme l'homme d'affaires le plus absorbé, il ne connut jamais un jour de loisir durant sa longue vie et ne quitta sa ville natale qu'une fois, pour assister aux jeux Isthmiques.

Mais, de quelque hauteur que sa manière de voir dépassât ce que l'État exigeait du citoyen, il était bien loin de dédaigner les devoirs civiques. Il en imposait à ses disciples l'accomplissement le plus fidèle et les y devançait avec un élan dévoué qui prouvait clairement que, pour lui, c'était une affaire de conscience, et non simplement un service extérieur dont il était forcé de s'acquitter. Il risqua sa vie dans plus d'une bataille, et, dans le tumulte du combat, dans les défaites même, où chacun ne songe d'ordinaire qu'à son salut, lui, plein d'abnégation et de charité, ne s'occupait que des autres. C'est ainsi qu'à Potidée il sauva Alcibiade, qui gisait à terre blessé, et renonça ensuite en sa faveur au prix de la bravoure. Après la bataille de Délion, quand tout se précipitait dans une fuite désordonnée, il se retira, revêtu de tout son équipement, marchant d'un pas aussi fier et aussi tranquille que dans les rues d'Athènes, et il se sauva ainsi que son compagnon, le brave Lachès, qui se sentit tout honteux à la vue de ce calme imposant[2]. Ses adversaires mêmes furent forcés de convenir que les armées d'Athènes seraient invincibles, si elles ne comptaient que des guerriers d'un sang-froid pareil à celui de Socrate.

Et pourtant, il faisait peu de cas pour son compte d'un pareil emploi de son activité ; il se sentait plutôt appelé à proposer à ses concitoyens, pour but de leurs aspirations morales, un calme et une satisfaction indépendante des vicissitudes de la fortune. Afin de montrer l'unique chemin qui y mène, il préféra à tous les bonheurs de la vie la pauvreté volontaire, et, au milieu d'un peuple acharné à la poursuite du lucre et des jouissances, il déclara que la perfection à atteindre est d'avoir le moins de besoins possible : c'est par là que l'homme se rapproche le plus de la félicité des dieux, laquelle consiste dans l'absence de besoins. Il tenait à ne posséder que ce qui lui était indispensable pour n'être pas troublé dans l'exercice de sa vocation par le souci de son entretien, et, pour y arriver, il ne rougissait pas d'accepter de ses amis ce qu'ils lui envoyaient chez lui[3]. Il reçut ces services d'amitié surtout du noble Criton. C'était là une communauté de biens entre amis, à laquelle il apportait de son côté et dans la plus large mesure ce qu'il possédait. Car il donnait volontiers ce qu'il avait do meilleur à tous ceux auxquels il pouvait rendre service, et dédaignait par principe toute espèce de rémunération, bien que l'on se fût peu à peu habitué à Athènes à voir les professeurs de sagesse vivre des revenus de leur science. N'avait-on pas depuis les temps anciens richement récompensé les chanteurs, devins et médecins, les sculpteurs et les peintres, sans que la dignité de leur art en fût pour cela déshonorée, et aujourd'hui que la nécessité d'une instruction supérieure se faisait sentir à Athènes pour la jeunesse approchant de l'âge d'homme, cet enseignement n'était-il pas en droit de prétendre à un salaire ? Les sophistes l'entendaient ainsi. En effet, si, comme les maîtres d'armes et de musique, mais seulement dans une sphère plus haute, ils ne visaient qu'à des résultats immédiatement pratiques et utiles pour la vie sociale, la communication de ces talents précieux pouvait, aussi bien ici que là, s'évaluer en argent, et l'on pouvait même alléguer qu'une contribution proportionnée de la part de ceux qui les recevaient ne servait qu'à séparer les simples curieux de ceux qui désiraient réellement apprendre.

Mais cette manière de voir était en contradiction absolue avec celle de Socrate. Il ne voulait pas communiquer à ses disciples des talents isolés, dont l'utilité était susceptible d'estimation et dont on pouvait dire à un moment donné que le but convenu d'avance était atteint ; il voulait les transformer et faire d'eux des hommes meilleurs, réveiller en eux une vie nouvelle : il fallait pour cela un libre abandon et des rapports d'affection mutuelle que toute considération accessoire aurait dégradés. Aussi les sophistes lui faisaient l'effet de courtisanes qui vendent leur amour à qui les paye. Il s'y ajoutait cette circonstance que les sophistes étaient des étrangers, qui rentraient dans les frais de leurs voyages grâce aux profits de leur profession, et qui n'aimaient pas les Athéniens pour eux-mêmes. Mais entre citoyens, pensait Socrate, il ne convenait pas que ce que l'un avait à donner à l'autre de plus noble et de meilleur devînt jamais l'objet d'une exploitation commerciale ; il n'y avait lieu d'un côté à aucun intérêt autre que celui d'un pur amour du prochain, et de l'autre à aucune rémunération, si ce n'est à l'abandon reconnaissant d'un cœur touché de cet amour[4].

D'ailleurs, avec sa nature réfractaire à la passion du lucre et des jouissances, Socrate n'était rien moins qu'un original bourru, à la façon d'Euripide ; la philanthropie avait pour cela trop de puissance sur lui. Il se montrait enjoué dans un milieu enjoué et n'était pas homme à gâter le festin où on l'invitait. Il tenait sa place, en buveur intrépide, dans le cercle de ses amis, et leur montrait ici encore par son exemple comment l'homme vraiment libre peut manquer du nécessaire ou avoir le superflu sans perdre la pleine domination de soi-même. Après une nuit joyeuse, son intelligence était aussi nette et lumineuse que de coutume ; il avait avec une rare énergie réduit son corps au rôle d'un instrument toujours au servi ce de l'esprit ; aussi pouvait-il fournir au besoin un travail physique impossible à d'autres, et, comme protégé par un talisman, il traversa sain et sauf les époques d'épidémie à Athènes sans jamais redouter ou éviter le danger. Animé comme il l'était par une foi absolue en sa vocation intérieure, rien ne pouvait le détourner de sa voie ou le troubler. Les attaques et les moqueries ne le touchaient pas, et il était même d'ordinaire celui des spectateurs qui riait de meilleur cœur quand l'athée Aristophane le faisait flotter comme un rêveur envolé de ce monde dans les frises, entre ciel et terre, et que les autres comiques amusaient le public de sa personne. Aussi resta-t-il insensible à toutes les offres qui lui vinrent de la part des princes étrangers, lesquels auraient donné beaucoup pour attirer à leur cour l'homme le plus remarquable du temps. Ce furent surtout les grands de Thessalie qui se disputèrent à l'envi ses préférences, Scopas de Crannon et Eurylochos de Larisa[5]. Mais leur or le séduisit aussi peu que celui d'Archélaos, dont le faste despotique, conquis par la fraude et le meurtre, ne pouvait éblouir un Socrate. Il répondit au roi de Macédoine, avec la fierté d'un vrai républicain, qu'il lui serait insupportable d'accepter des bienfaits qu'il serait incapable de rendre[6]. Il ne lui manquait rien, ajouta-t-il, car à Athènes on achetait quatre mesures de froment mondé pour une obole, et on y avait pour rien la plus exquise eau de source[7].

Ce qui est plus difficile à définir que la vie extérieure de Socrate, c'est sa place dans le mouvement intellectuel de son temps : il y a là une équivoque qui explique comment ce même homme, qui était l'adversaire le plus résolu des sophistes, put lui-même être regardé comme un pur sophiste. Cette singularité s'explique par ce fait que la sophistique n'était en somme que l'expression du mouvement qui dominait le siècle, et que Socrate suivit le mouvement avec une pleine conviction, en tant qu'il lui paraissait légitime et nécessaire. La vieille simplicité de la vie grecque était chose bien finie, et l'on ne pouvait se remettre à vivre comme autrefois, sans songer à mal, sur le fonds des traditions populaires, depuis que la pensée philosophique avait conquis ses droits. L'ancienne philosophie, la philosophie naturaliste, avait ébranlé la valeur des opinions traditionnelles sans rien donner qui aidât l'homme perplexe à sortir d'embarras, et la religion héréditaire n'était pas de nature à conserver son énergie et à suffire aux exigences d'un peuple parvenu à un état bien différent de culture intellectuelle. On sentait en conséquence le besoin d'une autre philosophie, d'une science qui fût plus applicable à la conduite de la vie et qui mît tout individu en état, depuis qu'il n'y avait plus autorité universelle, de débattre par lui-même toutes les questions morales et de se faire une opinion indépendante.

Ce besoin qu'éprouvaient tous les esprits un peu éveillés, les sophistes l'avaient prévenu, et la grande habileté qu'ils y déployèrent, leur intelligence du temps et leur infatigable activité, expliquent l'influence extraordinaire qu'ils eurent sur leurs contemporains.

En tenant compte de ce besoin de l'époque, en imposant aussi énergiquement que possible à l'individu l'obligation de régler ses affaires en connaissance de cause et après examen, d'agir en dehors de toute autorité extérieure et avec la conscience bien nette de son initiative, il se plaçait incontestablement sur le terrain même des sophistes, qui cherchaient, en perfectionnant l'art de penser et de parler, à assurer l'indépendance de l'homme. Il résultait de là que chacun constituait pour lui-même, dans les cas douteux, la dernière et suprême autorité, et ce fut par conséquent une conclusion inévitable que tira Protagoras quand il émit cette proposition que nous pouvons considérer comme l'idée maîtresse de la sophistique : L'homme est la mesure de toutes choses[8]. Cet aphorisme téméraire, qui rejetait toute vérité indépendante du jugement individuel, acceptée en tous lieux et obligatoire pour tous, trouva dans le monde d'alors le plus puissant écho. Elle flattait cet instinct de liberté à qui toute règle pèse : elle plaisait à l'orgueil athénien, qui y reconnaissait le triomphe de sa civilisation ; c'était comme la délivrance d'une longue oppression, comme la restitution d'un droit naturel longtemps confisqué que l'on saluait dans cette proposition de Protagoras.

Cependant, cette proposition eut le sort de tous les principe de ce genre qui, vides de toute teneur positive, se prêtent à une application illimitée ; on en tira des conséquences auxquelles l'auteur lui-même n'avait pas songé. Les sophistes plus récents appliquèrent la mesure de leur jugement à toutes les institutions de l'État et de la société politique, et, comme cela déplaisait à l'un, cela à l'autre, il se produisit une mêlée confuse d'opinions, de critiques, d'attaques contre les institutions existantes qui, lorsqu'elles ne répondaient pas à la mesure qu'on prétendait leur appliquer, étaient considérées comme une contrainte et comme un mal. Le résultat fut que les uns se retirèrent mécontents de la communauté politique, pour rester à l'écart de tous les conflits ; ils estimaient que le plus sage était de vivre partout en étrangers, comme Aristippe de Cyrène, qui partait aussi de la doctrine de Protagoras[9] ; d'autres, gens avisés et souples, préférèrent se soumettre à la force des choses et s'en accommoder le plus avantageusement possible ; les plus passionnés, au contraire, engagèrent la lutte contre la constitution de l'État, qu'ils considéraient comme n'oyant en soi aucune légitimité intrinsèque et comme étant l'émanation d'une force brutale plus puissante que l'individu. En d'autres termes, le droit dans l'État n'est, au fond, que la volonté du plus fort, à laquelle la minorité doit se soumettre tant que les choses ne marchent pas autrement. Mais le développement méthodique des facultés de l'entendement doit servir à faire prévaloir, en face du droit positif, le droit naturel et rationnel ; la dialectique et la rhétorique doivent être l'instrument grâce auquel l'homme intelligent doit se soustraire de plus en plus aux entraves restrictives de sa volonté personnelle. Ainsi le moi particulier se place au centre du monde ; c'est là que gît le ressort de l'activité scientifique elle-même ; et dès lors, à mesure que le point de vue s'abaisse, on en vient de plus en plus à entendre avant tout par droit naturel la libre satisfaction du goût des jouissances et de l'ambition, et toute la sagesse des sophistes se fait de plus en : plus la servante de l'égoïsme qui s'élève, avec une arrogance irrévérencieuse, contre toutes les institutions d'ordre humain et divin.

Tous les sophistes, il est vrai, ne pensaient pas de la sorte et n'enseignaient pas ces doctrines : il y avait parmi eux des différences sensibles. Protagoras avait, au fond, le tempérament d'un conservateur ; il ne songeait pas à plaider la cause de l'impiété, de l'immoralité et de la révolte. De même, nous ne pouvons contester chez le noble Prodicos le désir de consolider les principes moraux. Mais, pris dans son ensemble et dans sa tendance générale, l'esprit sophistique aboutissait à ces principes, tels que les formulèrent Polos, Calliclès et Thrasymachos[10] ; il arrivait à débarrasser l'individu de tout frein ; il prêchait la lutte contre tout ce qui est universellement admis et la rébellion contre toutes les règles de droit existantes.

Avec ce déchaînement de l'égoïsme, aucune constitution, — et la constitution républicaine moins que toute autre, — ne pouvait longtemps subsister ; car, dès que le juste et l'injuste, l'honneur et la honte, la vertu et le-vice, tout enfin n'est plus qu'une chose relative, qui apparaît à l'un de telle façon, à l'autre de telle autre, un pareil état d'esprit mène fatalement à la décomposition de toute société politique. Aussi le plus grand service qu'un Hellène pût rendre à sa patrie, c'était de combattre la pensée sophistique, qui compromettait les ;biens les plus précieux du peuple, avec un raisonnement plus profond et plus sérieux, et de remplacer cette éducation exclusive de l'intelligence, qui ne voulait même pas arriver à une vérité définitive, par une investigation découvrant les fondements derniers de la vie morale. C'est ce que fit Socrate ; aussi les affinités de son système avec celui des sophistes ne sont pas, il s'en faut de beaucoup, aussi marquées que le contraste qui l'en sépare.

Socrate ne méconnaissait pas la vérité qui se trouve au fond de l'aphorisme de Protagoras ; car l'homme, en réalité, ne peut régler sa pensée et ses actes que sur son propre jugement ; il faut qu'il porte en lui-même la mesure du juste et du vrai. Mais ce n'est pas le premier venu, l'individu tel que le fait la nature, qui possède cette mesure ; c'est l'homme doté d'une culture morale, l'homme bon. Cette prémisse, avec toutes les conséquences qui s'y rattachent, les sophistes, dans leur préoccupation exclusive de la pratique, l'avaient laissée de côté. Il est vrai qu'en bien des points ils touchaient au domaine de la morale, mais seulement dans ses applications de détail et ses formes extérieures, et même celles de leurs considérations éthiques qui furent le plus généralement appréciées, comme l'allégorie de Prodicos sur Héraclès devant le double chemin de la vertu et du vice, restaient absolument superficielles. En constatant le vide absolu de la sophistique en fait de données morales, en faisant des questions que la philosophie naturaliste avait complètement négligées et que les sophistes avaient ou prudemment éludées ou effleurées en se jouant, les questions capitales autour desquelles tournaient toutes ses méditations, en faisant de la réponse à ces questions la tâche propre de la philosophie, Socrate imprima à cette dernière une direction essentiellement nouvelle ; il la rappela, comme disaient les anciens, du ciel sur la terre[11], c'est-à-dire qu'au lieu de faire des recherches sur la structure de l'Univers et les forces de la Nature, il sonda les lois de la vie morale, pour reconnaître la véritable destinée de l'homme, les biens qu'il doit rechercher, les maux qu'il doit éviter.

Quelque nouvelle que fût cette direction de la spéculation philosophique, elle se rattachait pourtant à la vieille tradition hellénique, et, sous ce rapport aussi, elle était beaucoup plus nationale que la sophistique, qui procédait des théories arbitraires de l'inspiration personnelle. Car, pour répondre à cette question : Quel est l'homme bon, celui qui porte en lui-même la mesure d'après laquelle il faut juger des !,choses ? il fallait nécessairement un consciencieux examen de soi-même. La connaissance de soi-même était donc le premier des devoirs, et ce devoir, Socrate ne le formulait pas comme nouveau ; c'était un principe primitif de la religion hellénique. Des mains pures, un cœur pur, voilà ce que les dieux exigeaient de ceux qui s'approchaient du seuil de leur sanctuaire ; aussi chacun était obligé de s'examiner avant de présenter ses offrandes et d'implorer le salut : c'était là, suivant le précepte d'Apollon, le commencement de toute sagesse agréée des dieux, et ce que demandait Socrate se lisait déjà en lettres d'or sur le fronton du temple de Delphes : Connais-toi toi-même[12].

Ce point d'appui religieux n'était point pour Socrate une forme extérieure sous le couvert de laquelle il cherchait à s'insinuer et à se recommander ; il s'y attachait de tout cœur et avec un saint zèle : Depuis qu'au-dessus des figures variées de l'Olympe grec planait l'idée d'une Raison gouvernant le monde, qu'au-dessus des dieux se dressait de jour en jour plus puissante l'idée de la divinité. Socrate se ralliait sur ce point aux doctrines d'Héraclite et d'Anaxagore ; mais il restait plus près de la croyance populaire, en ce sens qu'il ne concevait pas la divinité dans son action cosmique, mais plutôt dans ses rapports avec l'homme ; il tenait fermement à la personnalité divine, et, avec un tact dont une âme profondément religieuse était seule capable, il savait, en parlant des dieux auxquels croyait le peuple, conduire les intelligences jusqu'à la divinité que réclame la raison. Cette transition lui était facilitée surtout par la religion d'Apollon, le plus haut degré où se soit élevée la conscience religieuse des Grecs ; celle-là renfermait les principes d'une doctrine morale susceptible de développement. Aussi resta-t-il en général un croyant à l'ancienne manière, fermement attaché à la religion des ancêtres ; il y voyait une discipline salutaire pour l'homme, un frein indispensable pour l'égoïsme, un lien sacré, qui maintenait unis tous les concitoyens ; d'autre part, il avait, comme les anciens Sages de la nation, un commerce tout particulier avec le dieu de Delphes et son oracle, l'antique foyer de la religion nationale.

Héraclite avait déjà résumé la teneur de ses spéculations philosophiques dans cette formule : Je me cherche moi-même[13]. Toutefois Socrate le premier fit de l'examen personnel le point de départ de toute sa philosophie, et, si stérile que semble peut-être la maxime d'Apollon envisagée comme fondement d'une doctrine philosophique, en ce sens qu'elle ne donne rien et se, borne à demander, cependant il a été d'une grande importance pour l'ensemble de la doctrine de Socrate qu'elle ait eu pour point de départ une injonction morale. Par là se trouvèrent écartées toutes prémisses venant d'une autre origine ; la pensée fut ramenée, de la variété de sujets divers où les hommes versés dans la philosophie aimaient à se mouvoir, à un objet principal qui intéressait directement chaque homme L'esprit dut, de cette multiplicité où il se dispersait, se replier sur un point central, abandonner les questions sur lesquelles on ne peut que se faire une opinion, et se limiter à ce qui peut être l'objet d'une connaissance positive. C'est pour cela que Socrate opposait avec tant d'insistance à la frivole universalité des sophistes son ignorance. Il n'admettait aucune espèce de connaissance acquise par le dehors, mais il descendait dans les profondeurs de sa propre conscience pour y chercher des vérités appuyées sur une certitude inébranlable. C'est par le non-savoir qu'il débutait ; et il faisait tant de cas de ce principe qu'il prétendait n'avoir été regardé comme plus sage que d'autres par le dieu de Delphes que parce qu'il ne s'imaginait pas savoir ce qu'il ne savait pas.

Ce rejet franc et décidé de tout semblant de science fut le premier acte de sa philosophie ; par là il déblaya le terrain et éloigna les illusions d'une sagesse chimérique qui se mouvait avec complaisance dans un monde de possibilités abstraites. Mais il ne faut pas s'en tenir à cette ignorance. L'ardeur de savoir est une exigence impérieuse, à laquelle l'homme ne saurait se dérober sans se devenir infidèle à soi-même, et ce que l'âme a besoin de connaître pour agir avec pleine conscience et conformément à sa nature doit pouvoir être connu. C'est par cette voie que Socrate est arrivé à fixer la notion du vrai savoir. Si nous entendons par là, dit-il, une appropriation absolue et une conception adéquate, nous n'y pouvons réussir que si l'objet offre quelque affinité intérieure avec nous-mêmes, s'il est nôtre en ce sens que les causes en résident en nous, si bien que nous sommes capables de le tirer de notre propre fonds ; tout le reste nous demeure toujours étranger et énigmatique. Mais la conscience de l'homme lui révèle certaines lois qu'on ne saurait contester. Plus il se recueille sérieusement en lui-même, plus il y apprend ce qui est conforme à sa nature ; il trouve vivant en lui le bien moral ; il sent en lui l'essence de la justice, de la bravoure, de la prudence, de la gratitude, et, de progrès en progrès, il arrive à une détermination toujours plus précise de sa conscience et à des jugements sûrs. Car celui qui réalise en lui le bien moral est contraint de lui donner son assentiment partout où il le rencontre et de le reconnaître comme le principe adapté à la nature humaine, comme le vrai, comme la règle normale, de même que le contraire lui apparaît comme étant contre nature, faux, perverti et destructeur.

Ici, par conséquent, l'homme trouve des lois d'une valeur absolue, et, en suivant la même voie, il arrive par le progrès de son expérience intime à la croyance aux dieux, car la certitude de leur existence, à laquelle l'homme ne saurait pas plus se dérober qu'à la reconnaissance de ces lois morales, cette certitude, qui se montre avec d'autant plus de puissance qu'un peuple est moins corrompu et plus raisonnable, serait quelque chose de tout à fait inintelligible si elle n'était pas un don implanté dans la nature humaine par les dieux, qui ont voulu se révéler par là à la race des mortels. Ainsi Socrate, en prenant pour point de départ son ignorance, arrivait à la détermination de la vraie science et des éléments qui la constituent ; il démontrait la possibilité de formuler des jugements d'une valeur universelle et découvrait dans la conscience humaine la base d'une connaissance affermie sur une certitude inébranlable.

Une pareille science ne saurait être une science morte, car, reposant sur un acte de la pensée qui suppose un retour sérieux de l'homme sur lui-même et la répudiation de l'élément sensuel, elle agit directement, quand on l'acquiert, sur l'homme tout entier. Elle est la lumière de la vérité elle-même qui, s'allumant dans l'âme, disperse toutes les illusions au sein desquelles s'oublie l'homme qui ne réfléchit pas. La science devient ainsi chez l'homme une force d'impulsion qui ne lui laisse pas de repos qu'il n'ait reproduit spontanément au dehors ce qu'il a compris : ainsi, après avoir exactement discerné l'essence de la justice, de la bravoure, de la modération, de la piété, il doit nécessairement se sentir la volonté d'être juste, brave, modéré, pieux. La science n'est pas véritable dès qu'elle n'entraîne pas après elle la volonté, et la vertu, qui consiste dans la volonté moralisée, n'est donc en soi que la raison éclairée par la science.

Ainsi s'édifie directement sur les nouvelles bases trouvées à la connaissance la doctrine socratique de la vertu, et, comme la notion du divin, aussi bien que la croyance à l'immortalité et à la responsabilité de l'âme humaine se démontrent en tant que faits de conscience, les premiers principes de la science, de la volonté et de la foi s'enchaînent phi, un lien solide, dont nul autre n'avait encore donné la preuve. Ce qui entrave la pensée n'est autre que ce qui paralyse la volonté ; ce sont les instincts inférieurs de la nature humaine. Plus complètement ces instincts sont domptés, plus s'affermit l'harmonie de la vie intime, plus l'homme devient calme et tranquille et réussit à percevoir immédiatement la voix de la divinité, qui se révèle à, lui dans son for intérieur dès que le bruit produit par l'agitation extérieure de la vie ne couvre pas cette voix d'en-haut. Socrate avait la conscience de porter en lui une voix divine de cette sorte, l'accompagnant toujours, l'avertissant de tout écart ; c'est ce qu'il appelait son démon ; il sentait en lui-même l'approche de la divinité, qui intervenait comme autorité suprême quand sa réflexion personnelle était à court de motifs déterminants.

Bien qu'il ne rentrât guère dans les vues de Socrate de construire un corps de doctrine suivant les règles de l'art, il a délimité pourtant d'une main sûre le domaine de ce qui est susceptible d'être connu de science certaine et vraiment digne d'être appris. Dans ce domaine, qui comprend ce que l'homme doit savoir pour remplir sa destinée, il a éclairé les points principaux et fondé ainsi une doctrine morale à laquelle on ne pouvait songer avant que n'eût été démontrée la solidarité intime existant entre la pensée et la volonté, entre le vrai et le bien.

Même la méthode philosophique doit aussi à Socrate un progrès essentiel. En effet, visant à la direction des âmes, il devait, au lieu de parler comme les sophistes à tort et à travers, s'attacher à mettre dans ses pensées un ordre rigoureux ; car le seul moyen d'établir d'une façon inébranlable les vérités morales était d'introduire dans les pensées qu'il développait un enchaînement dont on ne pût ni entamer ni rompre la cohésion. Il partait de faits simples, déduisait d'un premier point qu'on voulait bien lui accorder une deuxième et une troisième conséquence à laquelle on ne pouvait refuser un égal assentiment, et ainsi se formait comme une chaîne de propositions dont le dernier anneau, quelque surprise qu'il pût causer en apparaissant à l'improviste, était pourtant indiqué déjà dans le premier terme. Cette méthode appliquée à la pensée, l'induction, Socrate le premier parmi les Grecs l'a sciemment perfectionnée et s'en est servi avec une puissance victorieuse, soit pour montrer le vide des idées traditionnelles, soit pour mettre en lumière le parfait enchaînement qui règne dans le domaine du vrai, et pour fortifier chez ses amis la croyance à la possibilité d'une certitude morale. Grâce à ce procédé, toutes les notions qui entrent en ligne de compte dans les études morales reçurent pour la première fois un ordre précis et clair ; elles furent délimitées les unes par rapport aux autres et fixées avec leurs signes distinctifs ; par là Socrate devint le créateur de l'art de déterminer scientifiquement les idées, autrement dit, de la définition[14].

Le perfectionnement de ces méthodes dialectiques et logiques témoigne d'un progrès très sérieux dans la culture intellectuelle de la nation. C'est précisément dans la spéculation rigoureuse et conséquente que les Grecs, si avancés sous d'autres rapports, étaient restés le plus en arrière, et les sophistes n'avaient comblé qu'en apparence cette lacune en enseignant des doctrines toutes faites et arrêtées, sans exiger un effort spontané de la part de leurs auditeurs. Socrate, au contraire, ne voulait pas des auditeurs pour l'admirer, mais des amis pour chercher avec lui. Son système d'enseignement y gagna une vigueur toute populaire et éveilla un intérêt palpitant qu'on ne pouvait éprouver en entendant des leçons prétentieuses. Toute conversation socratique était un petit drame, souvent plat et trivial au début, mais l'interlocuteur qui se laissait captiver sentait bientôt la puissance d'un esprit original qui le saisissait et le menait avec une telle sûreté, qu'il était incapable d'échapper à l'étreinte. Quant au résultat final, ils le trouvaient ensemble, car Socrate ne voulait, en somme, rien introduire de nouveau dans les intelligences ; il ne voulait pas inculquer aux autres, avec une habileté de sophiste, des théories personnelles, mais éveiller en eux l'instinct encore assoupi qui doit les porter à penser par eux-mêmes, les aider seulement à mettre au jour les idées accumulées dans leur être et à amener à l'état conscient les éléments de vérité qu'ils portaient inconsciemment en eux. Aussi nommait-il son art de manier les âmes la maïeutique ou l'art des accouchements[15].

Ainsi l'Athénien qui repoussait le nom de maître, parce qu'il prétendait ne faire qu'aider les autres et chercher en compagnie de ses amis, cet homme fut pourtant le maître par excellence de son temps et de tous les siècles suivants, un Sage qui reproduisait eh lui-même le modèle d'un homme vraiment libre, heureux dans ses études incessantes et son abnégation philanthropique, un philosophe qui renversa les fausses doctrines d'une science spécieuse et outrecuidante et qui, dans une époque où l'on niait toute possibilité de s'entendre sur la valeur des choses, fonda un empire de vérité incontestable, et institua pour diriger la pensée des méthodes valables dans tous les temps ; un patriote qui travailla sans trêve à susciter chez ses concitoyens une rénovation morale, et à guérir ainsi peu à peu les maux de la société politique. Si la science devait donner ce dont l'art était incapable, si la philosophie devait réparer ce que la sophistique avait gâté, cette œuvre ne pouvait réussir que de la façon indiquée par Socrate. Il tendit à ses concitoyens la main qui devait les sauver : comment cette main fut-elle accueillie ?

Les Athéniens n'aimaient pas les gens qui voulaient être autrement que tout le monde, surtout quand ces originaux ne suivaient pas tranquillement leur chemin et ne se retiraient pas du monde comme Timon, mais pénétraient au milieu de la foule pour la régenter, comme faisait Socrate : quelle mortification plus sensible, en effet, pour un personnage important à Athènes que de se voir, sur le chemin du Conseil ou du tribunal, engagé à l'improviste dans un colloque qui visait à l'embarrasser, à ébranler la confiance si commode qu'il avait en lui-même et finalement à le rendre ridicule ? Dans d'autres villes ces conversations n'auraient eu lieu que rarement ; mais à Athènes le plaisir de parler était si vif que beaucoup se laissaient prendre, et que le nombre augmenta successivement de ceux qui avaient dû s'exécuter devant ce fâcheux questionneur, et qui emportaient partout le pénible souvenir de l'humiliation infligée par lui. Mais ses pires ennemis étaient ceux qui s'étaient laissé toucher par ses paroles et émouvoir jusqu'aux larmes dans ce douloureux examen qu'ils avaient fait d'eux-mêmes, puis qui étaient retombés dans leur vie antérieure et rougissaient maintenant de cette heure de faiblesse. Socrate apprit ainsi chaque jour à ses dépens que l'étude des hommes était le métier le plus ingrat qu'on pût exercer à Athènes, et il lui fallait la sainte énergie d'un dévouement désintéressé à sa mission pour obéir sans relâche à la voix divine qui, chaque matin, le ramenait avec un nouveau zèle au milieu des hommes.

La mauvaise humeur du public athénien avait des motifs plus généraux et plus profonds : c'est ce qui ressort le plus clairement des attaques dirigées contre lui sur la scène comique. Moi aussi, lit-on dans une comédie d'Eupolis, je déteste ce Socrate, ce mendiant bavard, qui raffine sur toutes choses et coupe les cheveux en quatre : la seule chose à laquelle il n'ait pas songé, c'est où il prendra aujourd'hui de quoi manger[16]. Les attaques d'Aristophane étaient bien plus vigoureuses. Comme Eupolis et Cratinos, c'est du vieux point de vue athénien qu'il considérait les choses de la vie ; il regardait ces professeurs de sagesse errants, qui réunissaient autour d'eux les fils de citoyens, comme les corrupteurs de l'État ; et, bien qu'il lui fût impossible de ne pas faire de différence entre Socrate et les sophistes, bien qu'il ne comptât nullement parmi les ennemis personnels de Socrate, avec lequel au contraire il semble avoir eu des rapports assez familiers, il se croyait pourtant autorisé et appelé, comme poète et patriote, à, combattre dans Socrate le sophiste, et même le plus dangereux d'entre eux. Ces interminables conversations en plein jour qui enlevaient la jeunesse aux gymnases[17], ces pénibles discussions sur des sujets moraux et politiques sur lesquels tout honnête citoyen doit avoir, dès le berceau, son jugement fait, tout cela déplaisait aux Athéniens de la vieille roche. Si l'on examine tout, on est en droit aussi de tout rejeter ; et que deviendra la république si l'on ne donne de valeur qu'à ce qui trouve grâce devant la critique du premier rhéteur venu ? S'il faut tout apprendre et tout acquérir par la réflexion, c'en est fait de la véritable vertu civique, qui doit être quelque chose d'inné et se développer naturellement. Toute activité, toute aptitude, disait-on, se réduisait maintenant à une science oiseuse ; une culture exclusive de l'intelligence énervait les hommes et les rendait indifférents à la patrie et à la religion. Partant de ce point de vue, le poète rejette toute éducation de la jeunesse portant sur ce système d'examen et de connaissance, et il loue les jeunes Athéniens qui n'ont pas envie de perdre leur temps à tenir séance et à bavarder autour de Socrate.

Socrate avait aussi contre lui le parti sacerdotal, bien que la plus haute autorité en matière religieuse qui existât en Grèce depuis l'antiquité, et qui du moins n'avait été remplacée par aucune autre, se fût prononcée en sa faveur, et cela à l'instigation de Chæréphon, qui dès sa jeunesse s'était attaché à son maître avec une affection exaltée. C'était une nature enthousiaste, et qui ne souhaitait rien avec tant de passion que de voir la bienfaisante influence que son propre esprit avait ressentie s'étendre dans les plus larges proportions sur ses concitoyens. Aussi avait-il à cœur de provoquer, en faveur de son ami méconnu de tant de manières, un témoignage public d'estime, et il rapporta, comme on sait, de Delphes un oracle qui déclarait Socrate le plus sage de tous les Grecs[18]. Si ce verdict ne pouvait donner au philosophe lui-même une plus haute certitude de sa mission, s'il ne supprima pas l'antipathie du public, il était permis de supposer qu'il atténuerait le soupçon encouru par Socrate de professer des doctrines dangereuses et fausses, et, sous ce rapport, la sentence de Delphes dut lui être personnellement agréable. D'ailleurs, à ses yeux, l'oracle restait le centre vénérable de la nation, le symbole d'une communion religieuse entre Hellènes, et quand il écartait toute discussion indiscrète sur la vraie manière d'honorer les dieux, il ne faisait en cela que suivre l'exemple de l'oracle de Delphes, qui avait coutume d'expédier toutes les questions de ce genre avec cette réponse, qu'il fallait honorer les dieux d'après la coutume des ancêtres. D'autre part, on ne pouvait se dissimuler à Delphes l'importance d'un homme qui ramenait le monde infidèle au respect des choses saintes et qui, voyant ses contemporains, pleins d'un dédain moqueur pour toutes les traditions de leurs, aïeux, courir après les lumières trompeuses de la sagesse du jour, leur rappelait les oracles antiques dont il suffit de se pénétrer une bonne fois pour discerner le trésor d'impérissable sagesse qu'ils renferment. S'il était impossible désormais d'arrêter l'élan du libre examen, force était aux prêtres d'admettre que c'était là le seul moyen de sauver la religion de leurs pères.

Toutefois, même le témoignage venu de Delphes n'était pas capable de défendre Socrate du soupçon d'hérésie. Le parti sacerdotal était à Athènes d'autant plus fanatique qu'il avait moins de chance de succès effectif ; il regardait toute discussion philosophique sur des vérités religieuses comme un sacrilège, et Socrate était mis sur la même ligne que Diagoras. Les démocrates enfin, qui après le rétablissement de la constitution formaient le parti dominant, haïssaient la philosophie parce qu'un grand nombre d'oligarques étaient sortis de cette école : non seulement Critias et Théramène, mais Pythodoros, l'archonte de l'anarchie, Aristote, un des Quatre-Cents et des Trente, Charmide[19] et d'autres étaient connus pour des hommes imbus d'une culture philosophique. Philosophie et réaction, en politique, semblaient par conséquent choses nécessairement associées. En un mot, Socrate trouva de l'opposition partout : pour les uns il était trop conservateur, pour les autres trop libre-penseur ; il avait contre lui les sophistes et les ennemis de la sophistique, la rigide orthodoxie comme l'incrédulité, les patriotes de la vieille roche comme les représentants- de la démocratie nouvelle. Malgré ces hostilités, la sûreté personnelle de Socrate n'était point menacée, car il suivait son chemin sans donner lieu au moindre reproche, et il se faisait un cas de conscience d'éviter toute violation des lois. Mais, après le rétablissement de la constitution, il se rencontra un concours de circonstances qui compromirent sa situation à Athènes.

On avait vu se reproduire, même avant l'entière défaite des Trente, ce qui s'était passé après la chute des Quatre-Cents : quantité de procès avaient été intentés aux partisans et adhérents de l'oligarchie. Le plus célèbre de ces procès fut celui de Lysias contre Ératosthène, un des Trente, le seul avec Phédon qui eût profité de la clause permettant à ceux qui rendraient compte de leurs actes d'avoir part au bienfait de l'amnistie. Ératosthène chercha à se justifier surtout en insistant sur l'antagonisme de la faction de Critias et de celle de Théramène, et bien lui en prit que ce dernier fût regardé alors comme un martyr de la cause populaire. Contre Ératosthène s'éleva, probablement au cours du procès en reddition de comptes[20], une voix accusatrice, celle de Lysias. Personne n'avait été plus durement frappé que lui. Il s'était vu, sans motif aucun, dépouiller de son patrimoine ; il avait perdu son frère Polémarchos, exécuté au mépris des lois, et lui-même n'avait échappé qu'avec peine à la mort. C'était le devoir de venger ses proches qui le poussait à comparaître personnellement devant le tribunal et à demander raison à l'auteur du crime. Sans doute, c'est bien le meurtrier de son frère que Lysias accuse ; mais il ne peut s'empêcher d'introduire dans son réquisitoire les événements de la vie publique, et son plaidoyer dégénère en un discours politique où il dépeint l'image de la tyrannie sous les couleurs les plus sombres. Il s'attaque notamment à la mémoire de ce Théramène, de l'amitié duquel on tâche de se couvrir aujourd'hui ; il le dépouille de sa fausse grandeur ; car cet intrigant n'est pas mort pour le peuple, mais bien à cause de ses propres forfaits qui, chez les oligarques comme chez les démocrates, lui ont valu la peine capitale.

Le discours de Lysias était une accusation portée au nom d'un profond sentiment du droit contre l'oligarchie tout entière ; c'était un appel à la vengeance au nom des métèques maltraités et de ce grand nombre de citoyens qui avaient subi les plus graves injures : si cet appel était entendu et suivi, toute la ville allait être impliquée de nouveau dans des luttes terribles. Aussi, après ce procès, la réconciliation des partis, qui n'avait jusqu'alors été consommée qu'extérieurement, fut renouvelée et solennellement jurée ; la loi d'amnistie devait prévenir tous litiges de cette nature. Elle devint la base de l'ordre de choses nouveau ; conseillers et juges lui prêtaient serment chaque année, et, sous la bienfaisante influence de Thrasybule et d'Archinos, auxquels, comme dit Démosthène[21], on devait après les dieux le salut de la république, on réussit à rétablir la paix et la concorde. La détente générale des esprits, la considération de Sparte, la vue très juste que la ville avait besoin avant tout de calme, furent autant d'appuis pour la politique salutaire de ces patriotes.

Cependant, les choses ne demeurèrent pas longtemps en l'état. Les antipathies passionnées se réveillèrent dans les maisons en deuil ; les vieilles blessures saignaient toujours, et la secte des sycophantes reparut bientôt pour exploiter cette situation singulièrement favorable à l'exercice du métier. On trouvait d'ailleurs une occasion des plus opportunes lors de l'épreuve publique à laquelle, suivant la constitution, étaient soumis tous ceux que le sort ou l'élection désignait pour une fonction publique. Alors il était possible, sans aller directement contre l'amnistie, de rouvrir le registre des vieux péchés, et l'orateur qui, après une vive description des excès oligarchiques, posait la question de savoir si des gens qui y avaient pris part étaient bien dignes de revêtir les charges données par la confiance publique, pouvait compter sur l'approbation de la foule et gagner à bon marché là renommée d'homme populaire. Mais on ne se borna pas aux complices effectifs des actes des tyrans ; on établit encore une deuxième classe de citoyens suspects, où l'on comprenait tous ceux qui, pendant la Terreur, étaient restés tranquilles et sans être inquiétés dans Athènes.

C'est à l'occasion d'une élection contestée pour des motifs de ce genre que Lysias prit la défense du candidat. Comme, cette fois, il faisait abstraction de toutes raisons personnelles, il ne s'occupe que de montrer, avec un sens parfaitement rassis, où est l'intérêt de la chose publique. Son discours exprimait l'opinion des modérés, qui ne redoutaient rien plus vivement que de voir grandir l'agitation et la cité à peine ramenée à la concorde se déchirer de nouveau en partis, grâce aux soupçons dictés par la rancune. Personne, dit-il, n'est par nature oligarque ou démocrate ; mais, en règle générale, chacun tient pour la constitution qui répond à ses intérêts : il dépend en conséquence de la conduite des citoyens qu'un grand nombre se trouve satisfait de l'ordre existant. Sous le règne démocratique antérieur, il y en avait beaucoup qui commettaient des malversations, se laissaient corrompre et poussaient ainsi les alliés à la défection. Si les Trente avaient châtié ces gens-là, ils auraient mérité des éloges ; mais vous vous irritiez à bon droit contre eux, parce qu'ils en faisaient porter la peine à la cité tout entière. Ne tombez pas dans la même faute. Pesez à votre tour ce qui a causé la chute de vos ennemis. Tant que vous entendiez dire que tous les habitants de la ville étaient unanimes à les appuyer, vous ne conceviez qu'un mince espoir de retour ; mais quand vous reçûtes la nouvelle que la majorité des citoyens étaient exclus des charges, que les Trois-Mille se soulevaient et que les Trente étaient divisés entre eux, alors arriva le moment propice que vos prières avaient demandé aux dieux ; car vous saviez bien que vous atteindriez le but plutôt grâce aux forfaits des Trente qu'à la bravoure des proscrits. Voilà sur quoi il vous faut prendre exemple : vous devez regarder comme les véritables amis du peuple ceux qui tiennent leurs serments ; car pour les ennemis de la république il n'y a point de spectacle plus désagréable que celui de votre concorde, et les oligarques réfugiés maintenant à l'étranger ne forment pas de vœu plus ardent que de voir calomnier et priver de leurs honneurs le plus grand nombre possible de citoyens, parce que dans vos victimes ils espèrent trouver leurs alliés ; ils ne souhaitent rien avec plus d'impatience que de voir s'épanouir chez vous, dans toute sa fleur, la profession des sycophantes, parce qu'ils voient leur salut dans la bassesse de ces délateurs. Réfléchissez donc, et demandez-vous si les hommes qui, en exposant leur vie aux plus grands périls, ont rétabli votre liberté et qui vous recommandent aujourd'hui la paix intérieure comme la sauvegarde de la constitution n'ont pas plus de droit à votre confiance que les gens, qui, ramenés de l'exil par d'autres, se font maintenant calomniateurs et accusateurs, et recommencent l'œuvre funeste d'où deux fois déjà est sortie la tyrannie[22].

Malgré la netteté et la force persuasive avec laquelle les hommes les plus distingués par le talent défendaient la politique seule salutaire d'Archinos et de ses adhérents, il ne s'ensuivit pas moins une époque troublée de suspicion et d'attaques réciproques, où se firent jour les passions qui n'avaient pu se satisfaire immédiatement après le rétablissement de la constitution. Des individus de la plus vile espèce, à qui seul le décret de Patroclide reconnaissait le droit d'être tolérés à Athènes, pratiquèrent, sous la garantie de l'amnistie, la délation la plus éhontée et se firent acheter à prix d'argent pour troubler d'autres citoyens dans la jouissance de l'amnistie. Tel fut, par exemple, Céphisios, un personnage qui une fois déjà avait mérité de perdre tous ses droits civiques pour avoir détourné les deniers de l'État[23].

Les attaques portèrent de préférence, cette fois encore, contre les membres dès vieilles familles, et c'est ainsi qu'elles atteignirent une seconde fois Andocide, dont l'existence reflète plus clairement que toute autre l'agitation inquiète de l'époque et les ignobles manœuvres des partis à Athènes. Il était entré jadis dans la vie publique avec les plus brillantes perspectives, distingué entre les jeunes nobles par la naissance, les richesses et le talent ; mais, impliqué dans le procès des Hermès, il trahit ses compagnons, puis, répudié par les deux partis, il s'exila, perdit sa maison paternelle, où il dut voir s'installer le démagogue Cléophon, erra longtemps à l'étranger comme négociant, et obtint enfin sous Euclide de revenir dans sa patrie. Mais là non plus on ne le laissa pas en repos. Dans l'automne de 399 (Ol. XCV, 1), Céphisios le cita en justice à l'instigation de Callias[24] ; il l'accusait d'être encore sous le coup de l'excommunication lancée par les prêtres, et d'avoir néanmoins, ce qui était un crime, pris part aux Mystères d'Éleusis. Les vieilles histoires qui seize ans auparavant avaient mis Athènes en émoi, on les ressuscita ; on exhuma des lois abrogées ; on invoqua pêle-mêle lois et règlements ; on fit valoir le droit non écrit contre le droit écrit ; bref, tous les abus qu'on croyait avoir abolis venaient de reparaître.

Entre tous les membres de la haute société, c'étaient les chevaliers surtout auxquels on enviait la jouissance de l'amnistie, et, si là encore on s'en prenait à toute une classe de citoyens, il y avait à cela une certaine excuse, en ce que les chevaliers, agissant comme une corporation fermée, avaient en réalité servi les intérêts de la tyrannie et abusé de la situation exceptionnelle que leur avait faite la cité au détriment de cette dernière. Aussi non seulement les jeunes gens de cet ordre se virent regardés en général avec méfiance et tenus éloignés des charges, mais aussitôt après le rétablissement de la constitution, on décréta que tous ceux qui auraient manifestement servi sous les Trente restitueraient à l'État les frais d'équipement que le Trésor leur avait fournis à leur entrée dans la cavalerie[25]. On les rangeait par conséquent dans la catégorie de ceux qui détenaient illégalement des biens d'État, et l'on chargea la commission des σύνδικοι de faire les recouvrements. On alla même plus loin. Quand en 399 (Ol. XCV, 1) les Lacédémoniens entrant en campagne contre les Perses réclamèrent 300 cavaliers comme contingent à fournir par Athènes, on prit ces trois cents parmi ceux qui avaient servi sous la tyrannie. C'était une mesure violente, absolument contraire à l'esprit de l'amnistie ; mais l'on considéra comme un profit pour la chose publique de se débarrasser de ces gens-là, et l'on souhaitait à part soi de ne jamais les voir rentrer dans leur ville natale, aux malheurs de laquelle ils avaient contribué et évidemment de parti pris[26].

Ces hostilités sont un signe évident de la grande tension et de l'irritation qui, aussitôt après l'amnistie, avaient éclaté entre les citoyens d'Athènes, et cette disposition d'esprit réagit finalement jusque sur l'homme le plus innocent des malheurs de l'État. Ce qu'on reprochait à Socrate, ce n'était pas une faute isolée, dont il se serait récemment rendu coupable : toute l'animosité accumulée depuis quelques dizaines d'années fit explosion au moment où la délation était de nouveau à l'ordre du jour, et où l'on se mettait à la piste de tous ceux qui s'étaient trouvés avec les oligarques en quelque communauté de sentiments ou de relations.

Le principal accusateur fut Mélétos, probablement le même qui, quelques mois auparavant, avait appuyé Céphisios contre Andocide[27]. C'était un homme jeune, encore inconnu, poète de profession, et n'ayant guère mieux réussi de ce côté que son père Mélétos, dans lequel il nous est bien permis de reconnaître l'auteur tragique conspué par Aristophane. Lycon et Anytos se joignirent à lui[28] : le premier était un rhéteur, l'autre, le célèbre homme d'État et libérateur d'Athènes, qui dans cette affaire aussi fut sans doute le personnage principal, bien qu'il eût ses raisons pour abandonner le premier rôle à Mélétos[29]. Il s'était trouvé à plusieurs reprises en contact personnel avec Socrate, et nous savons même que celui-ci l'avait pris à partie à propos de l'éducation de son fils. Le fils d'Anytos était destiné à continuer le métier de corroyeur, pour restaurer la fortune de la famille ruinée par l'exil. Toute culture supérieure fut laissée de côté, et le fils, esprit complètement manqué, justifia les avertissements de Socrate, au grand dépit d'Anytos. Ce fut Anytos aussi qui, en qualité de zélé démocrate, se crut appelé à défendre contre Socrate l'intérêt de l'État. Or il fallait, pour réussir, transporter le procès du. terrain des contraventions politiques, qu'on jugeait plutôt suivant la lettre rigoureuse de la loi, sur un terrain où l'on aurait les mains plus libres, et ce terrain fut celui des convictions religieuses et de la conduite morale. En conséquence, l'accusation porta sur l'apostasie envers la religion des ancêtres, l'introduction de dieux nouveaux et la corruption de la jeunesse. En faisant ressortir le premier point, on fit déférer le procès au tribunal de l'archonte-roi, chargé de connaître de tous les procès intéressant le droit spirituel et de les instruire pour préparer le verdict des jurés.

Sur ces trois chefs, il ne fut pas difficile de trouver des arguments spécieux : pour le premier et le second, étroitement liés l'un à l'autre, on se fonda sur le démon dont Socrate s'était fait comme une divinité nouvelle, et, en ce qui concerne le troisième chef, la situation actuelle offrait la plus favorable occasion d'attaquer Socrate comme le maître de Critias, lequel aurait appris de lui son exécrable politique[30]. De même, on connaissait suffisamment ses remarques railleuses sur ces spirituels Athéniens dont chacun se croyait capable de gouverner l'État, et sur les fonctionnaires appelés à la tête de la cité par la grâce de la fève, pour qu'on pût s'en servir afin de mettre en suspicion ses sentiments démocratiques.

Mélétos avait intenté une action capitale ; mais il est certain que l'issue réelle du procès ne doit être attribuée qu'à l'attitude de l'accusé ; car soi originalité, qui avait de longue date irrité la foule, se manifesta au suprême degré dans ce procès, et ces dispositions, vu la composition des tribunaux populaires à Athènes, eurent une influence décisive.

Socrate considérait toute l'affaire avec le plus grand calme, comme s'il ne s'agissait nullement de son propre sort ; on peut même dire que, s'il s'était agi d'un autre, il eût pris sans doute une tout autre attitude, pour prévenir autant qu'il était en lui une sentence injuste. Le calme fier de l'accusé, la résolution avec laquelle il refusa d'en appeler, suivant l'usage suivi dans les débats judiciaires, à l'indulgence des juges ou de laisser prévoir dans sa manière de vivre un changement portant sur les points qui avaient fait scandale, tout cela sembla confirmer l'accusation et montrer qu'en effet il méprisait les institutions de la cité et n'était par conséquent qu'un mauvais citoyen. Il ne présenta sa défense que pour satisfaire à la loi et repoussa tout secours offert par d'autres. Il arriva ainsi que ses amis furent hors d'état de rien tenter d'efficace en sa faveur ; leurs instances ne parvinrent pas à adoucir l'animosité de la masse ; l'opinion de la ville était contre lui, et la seule chose qui étonne, c'est que, sur plus de cinq cent cinquante jurés, la moitié à peu près ne se laissa décider ni par l'opinion dominante ni par le puissant Anytos à se départir de sa conviction. Ce fut une majorité de cinq ou six voix seulement qui déclara l'accusé coupable[31].

A ce moment encore, Socrate tenait son sort entre ses mains. Il lui était permis encore d'opposer à la peine réclamée par les accusateurs une contre-proposition plus équitable à son gré, de sorte que les juges pussent choisir entre les deux, et nul doute que tout moyen acceptable d'adoucir l'arrêt aurait été accepté. Mais Socrate ne voulait ni ne devait donner raison à ses accusateurs, sous peine de se rendre coupable d'un lâche mensonge et de ruiner l'œuvre de toute sa vie. Pour témoigner ouvertement la conviction qu'il avait de son innocence, il requit dans sa contre-proposition non pas une peine, mais une récompense ; il demandait même qu'on le reconnût digne du plus grand honneur civique que les Athéniens pussent décerner à un bienfaiteur de la république, la nourriture au Prytanée. Cette motion aurait passé chez tout autre pour un signe de démence. Chez Socrate on ne pouvait y voir qu'une raillerie à l'adresse des juges et de la procédure ; le résultat fut que, parmi ceux qui lors du premier vote l'avaient déclaré non coupable, quatre-vingts encore changèrent d'avis au second tour et le condamnèrent à mort.

Le jugement ne devait pas être exécuté sur-le-champ, car le vaisseau sacré d'Athènes était parti pour Délos, et, jusqu'au retour, la tradition antique prescrivait que la ville restât pure de toute souillure[32]. Cette circonstance fut cause que Socrate put, pendant trente jours encore, correspondre dans sa prison avec ses amis, et, par son refus de se prêter à toute tentative de délivrance comme par la sérénité de son âme, fournir la preuve que toute sa conduite était bien pesée et qu'il ne se repentait pas un instant du passé. Jusqu'à son dernier souffle, il resta fidèle aux lois de sa patrie et s'occupa des siens sans relâche, dans ses discours et ses relations. C'était le condamné qui consolait son entourage ; lui qui caressait les joues d'Apollodore pleurant sur l'injustice de son sort, en lui demandant si Par hasard il préférait le voir mourir coupable ; lui enfin qui chargea ses amis d'une dernière recommandation, les priant de sacrifier un coq à Asclépios, c'est-à-dire de lui porter l'offrande de sa reconnaissance pour la guérison qu'il comptait trouver dans la mort. Lui-même avait dans la fidélité de ses amis la garantie qu'il n'avait pas vécu en vain, et le reste de ses concitoyens ne pourraient tarder à reconnaître qu'il était mort innocent. Il n'y a pas de raison pour douter que les Athéniens n'aient éprouvé bientôt des remords douloureux ; on rapporte qu'ils répandirent au théâtre des larmes amères, lorsqu'à la représentation du Palamède d'Euripide ces paroles arrivèrent à leur oreille et à leur conscience : Vous avez tué, vous avez tué l'oiseau sage par excellence, ô Danaëns, et qui ne fait mal à personne, le rossignol des Muses[33].

C'est ainsi que mourut Socrate dans sa soixante-dixième année, au mois de Thargélion (mai 399 : Ol. XCV, 1), victime de ce mouvement qui, refoulé de temps à autre, reprenait toujours à Athènes une vigueur nouvelle pour tirer vengeance des couches sociales ennemies du peuple et de la constitution. On avait vu précisément les hautes classes de la société fournir un grand nombre de disciples à Socrate. On savait que Critias, Alcibiade, Théramène, Charmide, Chariclès, Xénophon, étaient en relation avec lui. Pouvait-on s'étonner, par conséquent, que bon nombre de gens se soient figuré que sa fréquentation encourageait les sentiments anticonstitutionnels ? Sans doute, Critias affirmait, comme Socrate, que le gouvernement n'est pas l'affaire d'un chacun, que c'est un art qu'il faut apprendre ; mais Périclès aussi pensait de la sorte. Certes, c'était une grande injustice que de rendre Socrate responsable des forfaits de ceux qui avaient eu avec lui quelques relations passagères ; il a renié lui-même assez résolument ses disciples dégénérés ; il a risqué plus d'une fois sa vie contre les oligarques ; il a publiquement condamné leur régime et décliné toute participation à des démarches illégales[34]. Aussi les oligarques le haïssaient-ils et cherchèrent-ils à lui fermer la bouche en interdisant l'enseignement libre. Sa doctrine même — que toute fonction publique et avant tout le gouvernement doit reposer sur l'intelligence — ne pouvait, une fois bien comprise, que contribuer à donner un relief et une force nouvelle à la constitution démocratique ; et la preuve la plus évidente que la fréquentation la plus familière de Socrate ne produisait pas nécessairement des sentiments réactionnaires, c'est l'exemple de Chæréphon, qui était de tous les disciples de Socrate le plus absolument attaché à son maître, et qui pourtant fut un des partisans les plus zélés de la démocratie.

Tout aussi peu justifiée était l'hostilité du parti sacerdotal qui, se glissant dans l'ombre, ne montrait sa puissance à Athènes que dans des circonstances spéciales, et qui, partout où se produisait un mouvement intellectuel, flairait la libre pensée et l'hérésie. Il ne voulait ni ne pouvait, à son point de vue, admettre la religion de Socrate, pas plus que les hommes d'État sa vertu civique. Et pourtant, il était impossible de prouver que Socrate eût jamais dérogé aux statuts de l'État ; il leur a obéi, en parole et en action, jusqu'à la fin, et le serment qu'était obligé de prêter le jeune Athénien à son entrée dans le corps des citoyens, il l'a tenu plus consciencieusement que ses ennemis. On prononçait alors ce vœu : Je ne déshonorerai pas les armes qui me sont données et je n'abandonnerai pas mon voisin de rang dans la bataille ; je combattrai pour la religion et le bien général de la patrie ; je me soumettrai aux juges établis et obéirai aux lois existantes ; si quelqu'un viole les lois, je ne le souffrirai pas, et je maintiendrai en honneur les dieux et les sanctuaires de ma ville natale[35]. Or Socrate n'a-t-il pas saintement tenu ce respectable serment de point en point avec une fidélité plus qu'ordinaire, et n'a-t-il pas confirmé cette fidélité par le sacrifice généreux de sa vie ?

C'étaient donc les accusateurs et les juges qui n'étaient pas dans leur droit vis-à-vis de Socrate. Il expia des crimes dont il n'était pas coupable, condamné par la méchanceté des uns, par l'aveuglement et la sottise des autres. Il fut la victime d'une politique qui tendait à restaurer l'ancienne Athènes sans se rendre bien compte ni des moyens ni du but. Sa condamnation ne pouvait être d'aucune utilité à l'État, et les Athéniens n'ont réellement rendu service qu'au condamné, car ils lui fournirent l'occasion de sceller sa doctrine par une libre soumission aux lois et une mort héroïque. Il avait achevé sa journée, et, pour le succès ultérieur de ce qu'il avait commencé, il n'y avait pas de plus énergique impulsion que son martyre.

De l'art on ne pouvait rien tirer de neuf, rien qui fût cap able de donner au peuple d'Athènes l'ordre moral dont il avait besoin : il n'en était pas ainsi de la philosophie. Là, on n'était arrivé à aucune conclusion ; là, on n'avait même pas touché encore aux points les plus importants ; là, Socrate venait de tenter le premier essai pour fixer avec précision et netteté le devoir le plus important pour tout homme, le devoir de réfléchir. La vertu routinière qui unissait les citoyens et maintenait l'État avait disparu, mais, si l'on voulait empêcher la ruine de la république, il fallait la recouvrer, et il n'y avait pour cela qu'un moyen : c'était de remplacer l'autorité tout extérieure de la tradition par la conviction libre, et de donner à la moralité jusque-là inconsciente la conscience des fondements sur lesquels elle repose. Au faux subjectivisme des sophistes il n'y avait d'autre remède à opposer que le subjectivisme supérieur que Socrate fit prévaloir, une doctrine reposant sur un examen sérieux de soi-même et seule capable de fournir une mesure valable pour les facultés intellectuelles. Il avait ainsi montré le chemin par où il était possible de sauver l'État sans rompre avec le passé, de fonder une moralité supérieure, sans laquelle ni l'État ni l'individu ne pouvaient retrouver la paix et le repos, et d'élever une génération plus heureuse. Mais la société politique ne voulait pas entendre parler d'une telle régénération, et, en échange du salut que lui offrait Socrate, elle lui tendit la coupe de poison.

 

 

 



[1] Apollodore ό μανικός (PLUTARQUE, Sympos., p. 172 f.). Cf. COBET, Prosop. Xen., p. 63. Archäol. Zeitung, 1858, p. 248*.

[2] Sur les trois batailles (Potidée, Délion, Amphipolis) auxquelles assista Socrate, voyez PLATON, Apol., 28. Athénée (Deipnos., p. 216) confond les évènements. L'histoire de Xénophon sauvé à Délion (STRABON, p. 403. DIOG. LAERT., II, 22) est fausse, comme l'a démontré GORET, Mnémosyne, VII, p. 50 (Nov. Lect., p. 538). On trouve un rapport authentique sur Délion dans Platon (Symp., p. 221), qui attribue également à Socrate le salut de Lachès.

[3] XÉNOPHON, Memor., I, 6, 1 sqq.

[4] XÉNOPHON, Memor., I, 6.

[5] Sur les offres venues de l'étranger, voyez DIOG. LAERT., II, 5, 9.

[6] ARISTOTE, Rhet., II, 23 [p. 98, 30].

[7] PLUTARQUE, De tranquill., 10. Sur le prix des subsistances à Athènes, voyez BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 131. Une χοϊνιξ par jour était la mesure moyenne pour l'alimentation d'une personne ; les quatre χοίνικες de gruau revenaient alors à 1 obole (0,16 c.). Les prix avaient déjà doublé depuis Solon.

[8] DIOG. LAERT., IX, 51. PLATON, Theæt., p. 152 a, etc. — PLATON, Cratyl., p. 386 e.

[9] XÉNOPHON, Mentor., II, 1, 8.

[10] Thrasymachos de Chalcédoine disait que le droit repose tout entier sur l'intérêt du plus fort (PLAT., Republ., p. 338). Cf. K. FR. HERMANN, Gesetz und Gesetzgebung im Alterthum, p. 66. STRÜMPELL, Gesch. der praktischen Philosophie der Griechen, p. 83. SCHANZ, Beiträge zur vorsokratischen Philosophie, 1867, p. 109 sqq.

[11] CICÉRON, Acad. Poster., I, 4, 15.

[12] PLUTARQUE, De E Delph., 17. Cf. ULRICHS, Reisen und Forschungen, I, p. 75.

[13] PLUTARQUE, Adv. Colot., 20.

[14] ARISTOTE, Metaph., XIII, 4.

[15] PLATON, Theæt., p. 150 e. Sur la ψυχαγωγία, qui ne se traduit pas exactement par direction des âmes, voyez Rhein. Museum, XVIII, p. 473.

[16] MENEIKE, Fr. Com., II, p. 553.

[17] ARISTOPH., Ran., 1491-98. Socrate se défend contre les attaques d'Aristophane dans les Nuées : mais ni chez lui ni chez ses disciples on ne rencontre trace de rancune contre Aristophane.

[18] PLATON, Apolog., 20.

[19] Χαρμίδης ό Γλαύκωνος faisait partie des Dix commis à la garde du Pirée (XENOPH., Hellen., II, 4, 19).

[20] Le discours de Lysias contre Ératosthène (Orat., XII) a été prononcé l'année de l'archontat d'Euclide (RAUCHENSTEIN, Lysias, p. 12. FROHBERGER, Lysias, p. 16 sqq. BLASS, Attische Beredsamkeit bis auf Lysias, p. 539).

[21] DÉMOSTHÈNE, In Timocrat., § 135.

[22] LYSIAS, Orat., XXV. Ce discours est une apologie opposée à une accusation dans laquelle le renversement de la Constitution, le mot d'ordre des démagogues, jouait le principal rôle : de là le titre inexact de δήμου καταλύσεως άπολογία. Il a été prononcé peu de temps après la prise d'Éleusis (FROHBERGER, op. cit., I, p. 177. 183), avant que fût votée la παραγραφή d'Archinos. Il n'est question dans les discours que de deux partis, οί έκ Πειραιώς et οί έκ άστεως ; mais ce dernier parti comprend les deux fractions des oligarques, les modérés aussi bien que les ultras, ceux qui s'étaient retirés à Éleusis. Malgré le pacte d'amnistie conclu à Éleusis, un certain nombre d'adhérents du parti oligarchique, comme Batrachos (LYSIAS, Orat., VI, § 45), intimidés déjà par le sort des Trente, ont bien pu se défier des démocrates et se réfugier à l'étranger pour y épier l'occasion d'une restauration oligarchique. Ce sont là les έχθροί τή πόλει (Orat., XXV, § 6), les φεύγοντες (§ 24) : mais l'auteur du discours a intérêt à en grossir le nombre. L'opinion de GROSSER (Jahrbb. für klass. Philologie, 1869, p. 199 sqq.), qui croit le discours prononcé avant la prise d'Éleusis, ne paraît pas fondée sur des raisons suffisantes. Elle a été réfutée tout récemment encore par E. STUTZER, Zur Abfassungszeit der Lysianischen Reden (in Hermes, XV [1880], p. 35 sqq.).

[23] ANDOCIDE, De Myster., I, § 92.

[24] Céphisios avait été acheté par Callias moyennant 1000 drachmes (ANDOCIDE, De Myster., § 121). Andocide, étant né vers 442 (Ol. LXXXIV, 3), était dans la quarantaine quand il prononça le discours Sur les Mystères. La date de 468 (Ol. LXXVIII, 1), assignée à sa naissance par la Vie des X Orateurs, est erronée (cf. KIRCHHOFF in Hermes, I, p. 7, 14. BLASS, op. cit., p. 279).

[25] Sur cette restitution de la κατάστασις (LYSIAS, Orat., XVI, § 6), voyez SAUPPE in Philologus, XV, p. 69.

[26] XÉNOPHON, Hellen., III, 1, 4.

[27] ANDOCIDE, De Myster., § 94.

[28] Sur Mélétos et Lycon, voyez PLATON, Apolog., p. 28 e : sur Anytos, XÉNOPHON, Apolog., 29.

[29] Sur les accusateurs de Socrate, voyez E. ZELLER, Philosophie der Griechen, II2, 1, p. 131.

[30] D'après COBET (Mnémosyne, VII, p. 259), Socrate ne fut mis en cause comme précepteur de Critias et d'Alcibiade que plus tard, par le sophiste Polycrate.

[31] PLAT., Apolog., 36 a. Platon dit que Socrate eût été acquitté si trois jurés avaient voté autrement. Cf. LEHRS in N. Jahrbb. für Philologie, 1859, p. 561. Le texte de Diogène de Laërte (II, 41) est obscur. Voyez les diverses corrections et interprétations données dans ZELLER, op. cit., II2, 1, p. 135.

[32] XÉNOPHON, Hellen., IV, 4, 2. Sur la Théorie envoyée à Délos, voyez A. MOMMSEN, Heortologie, p. 402.

[33] EURIPID., Fragm. 591 Nauck). Sur le repentir des Athéniens, voyez PLUT., De Invid., 6. DIOG. LAERT., II, 43. VI, 9 sqq.

[34] On voit Socrate défendre l'ίσηγορία attique contre les oligarques, lors de l'arrestation de Léon de Salamine (PLUT., Apolog., 32).

[35] POLLUX, Onomast., VIII, 105.