HISTOIRE GRECQUE

TOME DEUXIÈME

LIVRE TROISIÈME. — DU DÉBUT DES GUERRES MÉDIQUES À LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE.

CHAPITRE TROISIÈME. — LES ANNÉES DE PAIX.

 

 

§ IV. — PROSPÉRITÉ D’ATHÈNES SOUS PÉRICLÈS.

Athènes, d’abord capitale du petit territoire de l’Attique, ayant passé au rang de chef-lieu du gouvernement fédéral des villes maritimes, celte élévation exerça nécessairement aussi une influence profonde sur son administration intérieure et principalement sur son régime financier. Après comme avant, sans doute, la valeur des citoyens devait demeurer la vraie richesse de l’État : les Athéniens, au lieu de se reposer sur leurs lauriers, devaient être, par leur bravoure et leur entraînement militaire, les premiers soldats de la confédération. Mais cela ne pouvait être la seule assise de la cité. Depuis qu’Athènes était devenue une puissance maritime, l’argent était le nerf de l’État, et, si dans des temps plus anciens l'administration des finances n’avait point formé une branche spéciale des services publics, il n’en était plus de même à ce moment ; la meilleure marque que les hommes d’Étal athéniens pussent donner de leur sagesse, c’était de découvrir, d’organiser et d’utiliser à propos les ressources de la commune.

De même que, dans une maison bien tenue, les dépenses nécessaires sont réglées d’après les revenus fixes des biens de la famille, ainsi l’État de son côté pourvoit à ses besoins d’abord par ce que lui procurent ses propriétés en forêts, pâturages, terres, maisons, mines, arbres fruitiers, etc. ; à cela s’ajoutent les octrois. Deux sortes de revenus, qui n’étaient pas perçus directement par l’État, mais affermés[1], s’étaient considérablement augmentés avec l’extension de la puissance d’Athènes. Parmi les possessions des États soumis, bon nombre avaient passé dans le domaine immédiat de la république athénienne, comme on peut l’admettre, par exemple, pour les mines de Thrace. De même, à mesure que le commerce prenait son essor, les recettes des douanes s’étaient singulièrement élevées, aussi bien les droits d’importation et d’exportation acquittés par les grands négociants, que les redevances de marché pesant sur les petits marchands. Dans la même proportion avaient monté les revenus qu’on tirait de la cote personnelle et des patentes payées par les métèques[2] ; car cette classe avait, depuis l’époque de Thémistocle, considérablement gagné en nombre et en importance. Enfin, les affaires litigieuses étant devenues plus fréquentes, les frais de justice, les indemnités, les amendes, qui constituaient une portion notable des revenus publics, s’étaient multipliés. Cet argent permettait à l’État de vivre sans faire immédiatement appel aux ressources des citoyens imposables, et ainsi Athènes ignora longtemps tout embarras financier, n’eut pas à se plaindre du poids des taxes. En effet, ce que le commerce et l’industrie payaient à titre de contribution indirecte, n’était en réalité qu’un remboursement à l’État qui protégeait et favorisait le mouvement des affaires, et était aisément regagné par ceux mêmes qui le versaient.

Mais, quoique les citoyens n’eussent pas à suffire, en tant que contribuables, aux besoins ordinaires de l’État, ils n’en restaient pas moins avec tout ce qu’ils possédaient au service de la cité, toutes les fois qu’elle avait besoin d’eux pour quelque entreprise particulière. Or, c’étaient surtout les fêtes publiques et les préparatifs de guerre qui offraient l’occasion de les utiliser ainsi. Ces frais étaient, pour la plus grande partie, couverts par l’argent des citoyens riches, qu’on choisissait dans les dix tribus, et qui, d’après un ordre réglé, se chargeaient des dépenses, soit périodiques et annuelles, soit extraordinaires, appelées prestations publiques ou liturgies.

Les premières avaient pour but l’exercice et l’entretien des chœurs, qui concouraient ensemble dans les représentations dramatiques et musicales ; puis, la préparation des autres jeux, courses de chevaux, courses à pied, dans les stades et dans les palestres, régates ; puis encore, l’équipement des théories qu’on envoyait aux sanctuaires étrangers, le renouvellement des costumes de cérémonie, le repas donné aux gens de la tribu à l’occasion des fêtes, etc., etc. Dans les liturgies extraordinaires était comprise surtout la triérarchie[3], c’est-à-dire l’obligation pour les citoyens de mettre les vaisseaux de la république en état de tenir la mer, d’enrôler des équipages, et de prendre à leur compte, en ce genre, toutes sortes de dépenses et d’avances.

Ce système avait ses inconvénients, et il ne faut pas les méconnaître ; c’est qu’ainsi il devenait impossible d’arriver à une répartition équitable des charges publiques. Une ligne de démarcation, nécessairement toujours arbitraire dans une certaine mesure, divisait tous les citoyens en deux groupes, les. riches et les pauvres. A ceux-ci on ne demandait rien : ils n’avaient qu’à se servir de l’État pour leurs jouissances ; ceux-là étaient soumis à la plus dure contrainte. Parmi les riches, d’autre part, les uns savaient échapper le plus possible à ces lourdes obligations, tandis que d’autres se ruinaient par patriotisme ou par vanité. Car l’État comptait, surtout pour les dépenses relatives à la guerre, sur l’esprit de sacrifice qui animait ses citoyens, et le peuple s’accoutumait, dans la célébration des fêtes, à accroître continuellement ses exigences. Cependant, tant que la prospérité des habitants fut florissante et tant que fut vivant leur patriotisme, l’État retira sans aucun doute les plus grands avantages de l’institution des liturgies. Par là, en effet, on épargnait au trésor public des dépenses considérables, et celles-là précisément qu’il était le plus difficile de régler avec économie. Puis, ces charges publiques étaient un honneur, un objet d’émulation. Les liturgies, du reste, n’étaient pas seulement un sacrifice pécuniaire ; elles comportaient aussi un service personnel qui exigeait de la capacité et de l’adresse, et ainsi on se préparait par une éducation perfectionnée à remplir tous les devoirs de la vie sociale pendant la guerre et pendant la paix. Primitivement, les chorèges conduisaient eux-mêmes le chœur, comme les triérarques leur vaisseau ; ils avaient aussi le droit de surveiller les hommes enrôlés par eux, et se trouvaient ainsi jusqu’à un certain point dédommagés de leur sacrifice par l’honneur et l’influence qu’ils y gagnaient.

Bien que le système des liturgies ait atteint pour la première fois son développement complet avec l’établissement de la démocratie et de la puissance maritime d’Athènes, il avait été institué déjà à une époque antérieure, et ou en trouve aussi le germe dans d’autres États. Mais, ce qui paraît dans l’histoire grecque un phénomène absolument nouveau, c’est cette source de revenus que l’État tirait des contributions fédérales, en ce sens qu’elles n’étaient pas, comme dans le Péloponnèse, réglées par les nécessités du moment, mais payées régulièrement chaque année, qu’ainsi elles entraient dans le budget comme un apport fixe, et pouvaient être employées pour l’administration intérieure.

La première fixation du total de ces tributs à une somme de 460 talents, se rapporte à l’époque qui suivit la victoire de l’Eurymédon. On obtint cette somme parce que, à mesure que la mer devenait plus sûre, les villes maritimes qui avaient fourni jusque-là des contingents particuliers préférèrent, tout compte fait, s’arranger arec Athènes au moyen de contributions inscrites au rôle, ce qui, tout en répondant à leurs convenances, leur assurait aussi des avantages financiers. A cela s’ajoutèrent les diverses exécutions fédérales qui, là où elles furent nécessaires, mirent fin à l’obligation de fournir des contingents particuliers.

Le taux des contributions avait été fixé d’après les ressources financières de chaque ville, et les rôles qu’on a conservés nous donnentune échelle pour évaluer la prospérité des localités qui pour la première fois furent réunies sous l’autorité d’Athènes. Parmi les villes rapprochées les unes des autres par la petitesse même de leur territoire, Abydos payait talents, Lampsaque 12, Périnthe 10, Selymbria 5, Chalcédoine 9, Byzance 15, Rhodes (ses possessions continentales mises à part) 18, et plus tard Lindos, pour elle seule, 15.

Dans les endroits où existaient des ressources industrielles d’une nature spéciale, nous trouvons aussi établies des contributions extraordinaires. Ainsi, Paros paie 16 talents, plus tard 30. Il semble qu’on ait considéré les carrières de marbre comme une sorte de domaine de l’empire, dont on laissait l’usufruit aux insulaires. C’est au même point de vue qu’on peut expliquer les 30 talents où montait l’apport de Thasos, riche en mines. Les 30 talents des Éginètes doivent être regardés au contraire comme mie amende, une sorte de contribution de guerre permanente, qui permit à une politique impitoyable d’anéantir les derniers débris de l’antique richesse de cette île[4].

D’autre part, il y avait des contrées vis-à-vis desquelles la sagesse imposait une politique de prudence et de ménagement. C’étaient, particulièrement, les districts lointains des frontières, qu’on n’avait pas aussi sûrement dans la main. Là, on n’osait pas donner aux villes une occasion de se plaindre que la confédération attique leur fia plus onéreuse qu’autrefois la domination des Perses. On voit un traitement plus doux appliqué aux villes situées près du golfe de Carie, où la plus forte contribution, celle de l’île de Cos ne dépasse pas 5 talents. De même en Ionie et en Éolie. Milet, avec Léros, Tichioussia et d’autres villes, paie 10 talents ; Colophon, Phocée, 3 talents chacune : Éphèse, 7 ½, parfois 6. Le clergé du riche sanctuaire éphésien jouissant d’une grande influence, op pensait qu’il fallait lui témoigner des égards particuliers.

Mais, quand il s’agissait des contrées comprises dans la sphère immédiate de la puissance d’Athènes, tous les ménagements de ce genre disparaissaient ; c’est pourquoi le tribut des îles atteint le taux proportionnellement le plus élevé : 6 talents 4000 drachmes à Naxos, 12 (et même plus tard 15) à Andros, 3 à Cythnos. Les villes d’Eubée, après la prise de Chalcis, sont frappées d’une redevance de 33 talents[5].

Bien différentes sont les rubriques des villes qui se sont imposées elles-mêmes et que les particuliers ont inscrites comme villes tributaires[6]. Ces deux rubriques, que nous trouvons au rôle de l’année 137 (Ol. LXXXV, 4), comprennent principalement des villes de Thrace : et il est à supposer que, au moment de la fondation d’Amphipolis, on s’est attaché à gagner par un traitement amical les localités situées sur ce littoral. Par contre, Amorgos, comprise aussi sous la première rubrique, avait été d’abord tributaire des Samiens. Sans doute cette île, pendant la guerre de Samos, s’était rangée volontairement du côté d’Athènes, et elle en fut récompensée en obtenant une situation privilégiée, après la dissolution de la ligue samienne, de même que les Sporades doriennes, Casos et Symé. Mais quand on voit des villes isolées, situées aussi surtout en Thrace, être incorporées dans la confédération par l’entremise de simples particuliers, on peut croire que les citoyens de ces États, par exemple, les plus riches marchands, se cotisaient pour payer une certaine contribution, voulant ainsi procurer à leur ville les avantages commerciaux que leur assurait la soumission à la ligue maritime athénienne, quand, pour quelque raison particulière, il ne paraissait pas possible que l’État lui-même y adhérât formellement.

Le total des villes tributaires, d’après Aristophane[7], était de 1.000 ; c’est un chiffre rond, mais qui peut n’être pas au fond sensiblement exagéré, si on y fait entrer toutes les petites localités qui ne sont pas portées nommément sur les rôles officiels.

Mais ces listes mêmes nous montrent que nous n’avons pas affaire à un empire ayant des limites précises et une cohérence solide. Ses liens se relâchaient du côté de l’extérieur, là où il s’étendait le long du continent situé au delà de la mer ; et la dépendance de mainte ville inscrite sur les rôles était parfois purement nominale. Aussi peut-on constater des déficits importants dans les tributs, qui à la fin, entre les années 446 et 440 (Ol. LXXXIII, 3 : LXXXV, 4) tombent de 460 talents à 423 ½ environ[8]. On trouve aussi, dans la série des noms, des inégalités considérables. Tandis qu’en 443 (Ol. LXXXIII, 4) les villes des cercles tributaires d’Ionie et de Carie réunis atteignent le chiffre de 71, en 436 (Ol. LXXXVI, 1) les deux cercles n’en forment plus qu’un seul[9], et on n’y compte que 46 villes. Les Lyciens, pli, comme formant déjà une ligue de cités, sont entrés en bloc dans la confédération moyennant une redevance collective de 10 talents[10], disparaissent de la liste, absolument, en 416 (Ol. LXXXIII, 3) ; mais on y trouve encore la lointaine Phasélis, la plus excentrique des villes fédérées du côté de l’orient, port qui, en raison de l’extension de ses armements, avait intérêt à entretenir des relations étroites avec Athènes.

Ces oscillations n’ont pas exercé sur les finances de l’empire une influence visible. La somme de 460 talents se maintint pendant seize années comme total des tributs ; puis, en 438 (Ol. LXXXV, 3), il y eut une augmentation qu’on peut évaluer en prenant pour échelle les villes de Thrace, par exemple, Mendé, la Samothrace, Potidée, dont les taxes s’élèvent respectivement de 5 talents à 8, de 4 à 6, et de 6 à 15[11]. De cette façon, le total a atteint 600 talents. Une somme aussi énorme risquait moins encore que le tribut primitif d’être absorbée par les dépenses militaires : aussi, les excédants finirent par constituer le Trésor de l’État.

L’idée d’un trésor public est aussi ancienne à Athènes que la résolution de constituer une puissance maritime : on n’imagine pas une flotte sans trésor. Les mines d’argent du Laurium constituèrent le capital de fondation ; mais l’histoire propre du Trésor athénien ne commence qu’au transfert de celui de Délos. On raconte que l’argent fut confié à Périclès[12] : nous pouvons admettre en conséquence que c’est lui qui non seulement en a provoqué le déplacement, mais aussi en a réglé, l’administration, comme étant devenu le trésor public d’Athènes.

Ce qui montre combien puissante a été en cette matière l’influence de Périclès, c’est qu’il passe pour avoir érigé en principe que la puissance d’Athènes reposait sur ses revenus. A une époque antérieure, c’étaient les tyrans qui appuyaient leur pouvoir sur l’or, c’étaient Polycrate, Pisistrate, les despotes siciliens ; mais, dans les États libres, on ne pouvait pas employer les mesures auxquelles un tyran avait recours pour former son trésor : aussi ces États n’étaient-ils pas en position de se lancer dans de grandes entreprises. Athènes fut la première cité de la Grèce qui fit appel à la puissance de l’or en même temps qu’à l’énergie de citoyens libres. C’est le mérite de Périclès d’avoir reconnu combien était précieux un tel avantage, et d’en avoir tiré parti ; il vit là la véritable force d’Athènes, surtout en face de Sparte ; en effet, par suite de l’insuffisance des ressources publiques et malgré toute la bravoure de ses citoyens, malgré l’importance de l’armée fédérale du Péloponnèse, fut toujours paralysée dans ses mouvements, et, dans diverses circonstances où il lui fallait de l’argent, pour agir, elle fut à la merci du bon vouloir soit de ses alliés, soit des clergés de Delphes et d’Olympie, assez riches pour lui avancer les fonds nécessaires[13]. Il s’ensuivit qu’elle ne put jamais entreprendre que des campagnes isolées, ni poursuivre que des résultats éphémères. Une politique indépendante et ferme n’était possible qu’avec l’aide d’un trésor ; aussi Périclès considéra-t-il que, pendant les années de paix, la tache la plus pressante était d’en constituer un, qui fut placé sous la protection de la déesse Poliade.

Depuis longtemps, les dépôts les plus sûrs étaient les temples ; c’est là que tout d’abord on a réuni des capitaux ; c’est des prêtres qu’on a appris l’administration des finances[14]. Si donc il existait, à l’intérieur d’une commune pauvre en revenus publics, quelque sanctuaire dont les recettes et les réserves pécuniaires fussent, considérables, la tentation était bien forte d’étendre à ce point la puissance de l’État qu’il pût faire servir à ses fins ces ressources, sans dépendre du bon vouloir du clergé. On pull, signaler, au temps des Pisistratides, des empiètements de ce genre. La déesse Poliade a été primitivement dotée de revenus fixes, que l’État lui garantissait ; en retour, l’État s’est réservé un droit de surveillance et de contrôle sur le trésor du temple. C’est en quelque sorte, sous les formes les plus respectueuses possible, la sécularisation des biens du sanctuaire qu’on poursuivait, une conciliation entre l’État et le clergé, grâce à laquelle en réalité tout tournait à l’avantage de l’État, sans que cependant on perdit jamais de vue ce qu’on devait à la religion.

C’est seulement au temps de Périclès que nous pouvons saisir avec quelque précision ces rapports tout particuliers qui existaient entre les finances d’Athènes et les temples[15]. A cette époque, l’excédant qui restait à l’État, après qu’on avait couvert les dépenses ordinaires, sur les revenus de l’année, fut confié à la déesse Poliade, réuni à son trésor propre, et mis comme lui à l’abri du lieu sacré. Mais ces sommes — c’est-à-dire essentiellement le montant des tributs — n’étaient là qu’en dépôt : elles appartenaient toujours au trésor public, pour la garde duquel l’État, depuis le transfert de la caisse fédérale, payait un soixantième des recettes de l’année ; c’était la part du temple, considérée comme une offrande sacrée prélevée sur une récolte[16].

La déesse avait en outre son trésor personnel, qu’alimentaient annuellement des fermages, des redevances obligatoires payées par les familles athéniennes, des amendes, des dîmes. Il formait avec le dépôt public ce qu’on appelait les deniers de l’acropole, et comprenait aussi les autres objets précieux, les lingots d’or et d’argent, les présents sacrés qui venaient de l’État et des particuliers. Enfin, le manteau d’or de la Vierge constituait un capital spécial.

En réalité, l’État ne pouvait disposer librement que de son dépôt ; tout le reste était argent sacré, propriété de la déesse, dont le droit absolu était reconnu par ce fait même qu’on ne pouvait en utiliser aucune partie pour les besoins publics que sous la forme d’un emprunt[17], et qu’ainsi l’État contractait l’obligation d’en servir l’intérêt et d’en effectuer le remboursement. Mais, dans cette opération financière, le consentement du propriétaire était présumé tacitement. On avait recours aux deniers sacrés même avant d’avoir épuisé le dépôt ; et si on s’appliquait sérieusement à rembourser l’emprunt dès que les ressources le permettaient — c’est ainsi que les frais de la guerre de Samos furent couverts par les versements imposés aux Samiens vaincus —, pourtant ces paiements, aussi bien que les intérêts soldés et les dîmes, enrichissaient finalement le fonds de réserve, et le but de toute cette institution était, en somme, que l’État, dans une circonstance donnée, pût mettre la main sur tout le numéraire de l’acropole, aussi bien que sur les objets précieux et les offrandes consacrées, en un mot, sur tout ce qui figurait dans l’inventaire.

Il s’agissait là non seulement de la propriété de la déesse nationale et tutélaire, d’Athéna-Polias, mais aussi de ce qui appartenait à Athéna-Nikê ; et, lorsque les deux trésors sacrés furent réunis en un seul, on alla plus loin encore dans la concentration de tous les fonds de réserve à l’acropole. On y centralisa également les trésors des autres divinités dans une caisse commune[18], qui fut gardée au Parthénon à côté de celle d’ Athéna, organisée d’une façon tout à fait analogue, et mise pareillement à la disposition de l’État. Ce fut l’œuvre d’une loi portée en 435, sous le gouvernement de Périclès, et qui compléta dans ses parties essentielles l’organisation du régime financier.

On avait donc ainsi à l’acropole, dans un même édifice, tous les deniers publics, aussi bien les fonds de l’État immédiatement utilisables que les trésors sacrés d’Athéna et des autres divinités ; mais ni les uns ni les autres ne pouvaient être employés que sous des conditions limitatives. Celles-ci, en fait, n’étaient qu’apparentes : car les intérêts payés (1 ½ %) étaient si minimes, qu’il n’y avait pas à s’en préoccuper. Pourtant, ces restrictions servaient du moins à maintenir fermement la séparation entre les propriétés de l’État et celles des dieux, et mettaient un frein à l’excès des dépenses. Car c’était d’un double point de vue qu’était sortie toute cette institution. D’une part, l’État devait au dernier instant être assuré de trouver sous sa main, en cas de besoin, toutes les valeurs monnayées et non monnayées que renfermait l’acropole ; d’autre part, il fallait le mettre à l’abri d’une prodigalité peu réfléchie, danger assez facile à prévoir dans une commune démocratique. C’est pourquoi, sur le dépôt confié à la déesse, on prélevait une certaine somme à laquelle on ne touchait jamais, qu’on mettait de côté pour parer à des éventualités tout à fait extraordinaires, par exemple à une attaque d’Athènes par mer. On avait aussi promulgué des règlements pour l’emploi même de l’argent public, qui établissaient dans le budget des dépenses des articles précis. Ainsi, dans la loi de 435, une somme fixe était attribuée aux constructions publiques, et le reste était réservé rigoureusement, puisque tout supplément de crédit affecté à ces travaux était limité à un maximum de 10.000 drachmes. Toute proposition contraire à ces mesures devait être punie d’une amende, à moins qu’on n’eût obtenu pour la présenter une autorisation spéciale de l’assemblée. De telles mesures écartaient aussi ce danger, que les caprices soudains de quelque orateur populaire, accueillis par des oreilles complaisantes, ne vinssent à détruire l’équilibre nécessaire des recettes et des dépenses.

C’est conformément à ces principes économiques que l’administration même des finances était organisée. Les employés du trésor s’appelaient trésoriers de la déesse et administrateurs des deniers sacrés de la déesse ; il s’y adjoignit plus tard les trésoriers des autres divinités. C’étaient en apparence des fonctionnaires religieux, mais en réalité des officiers civils, tirés chaque année au sort dans les premières classes des citoyens les plus imposés ; chacune des dix tribus en fournissait un ; chargés au nom de l’État de procéder à des inventaires minutieux, ils devaient rendre leurs comptes à la république, et ils étaient soumis constamment au contrôle de l’assemblée, pendant toute la durée de leur gestion.

Il y avait aussi des fonctionnaires purement civils, les dix Hellénotames, institution amenée par la formation même de la Ligue maritime, et empruntée à Délos ; on les tirait également au sort parmi les citoyens riches. Ils avaient à prélever sur les excédants des recettes, dont le trésor de Délos forma le fonds le plus ancien, les sommes votées par les citoyens sur la proposition du Conseil, d’abord pour subvenir aux dépenses fédérales, puis pour servir à des desseins moins immédiats. A la fin de chaque année, ils effectuaient le versement du soixantième au Trésor sacré, de concert avec la haute Cour des comptes, les Logistes ou les Trente ; ils étaient, ainsi que leur caisse, sous la surveillance permanente du Conseil, et l’épistate ou président du jour, parmi les prytanes, portait sur lui la clef du Trésor.

Ainsi, la constitution collégiale des fonctionnaires, le concours de différentes autorités, la fortune même des employés, c’étaient là toutes les précautions qu’on pût prendre pour rendre consciencieuse l’administration des finances.

La filière actuellement suivie était donc celle-ci : les tributs échus, versés autrefois directement à Délos entre les mains des Hellénotames, furent perçus par le conseil des Cinq-Cents, et cela par l’intermédiaire des dix receveurs généraux appelés Apodectes. Cette perception se faisait le neuvième mois de l’année athénienne, à la grande fête de Dionysos. Les Apodectes versaient les espèces dans la caisse des Hellénotames, qui effectuaient les paiements votés et portaient le reliquat au trésor d’Athéna. L’état détaillé des entrées et des sorties passait en dernier lieu aux Logistes, qui le révisaient.

Toute cette comptabilité athénienne, nous l’avons aujourd’hui sous les yeux, clairement établie, dans des archives gravées sur la pierre. Nous avons les documents où était consigné et exposé publiquement l’état régulateur des contributions fédérales[19]. D’autres, mieux conservés et par suite plus importants, nous donnent le compte et la série des soixantièmes prélevés sur le total des tributs. Ces listes commencent à l’année 451/3[20], c’est-à-dire, immédiatement après le transfert du trésor de Délos, et comprennent une période de quinze ans, jusqu’en 440[21]. Tous ces documents étaient réunis en un seul et même appareil de pierres, dressées près du grand temple. Elles donnent le total des tributs payés effectivement année par année, et attestent aussi la conscience avec laquelle l’État remplit les obligations vis-à-vis de la déesse ; tandis que d’autres pièces, rassemblées par les trésoriers, établissent après chaque jour de paie le compte des sommes tirées de la caisse du temple pour les besoins de l’État[22]. C’étaient des reconnaissances monumentales, qui fixaient, jusqu’à une drachme et une obole, ce que l’État devait à la déesse, en capital et intérêts.

Périclès, nous pouvons le conjecturer, prit à toutes ces institutions une part considérable, car, pour servir son activité politique, il avait surtout à cœur d’organiser la puissance économique d’Athènes. Par là, les ressources de la ville se sont notablement accrues ; leur emploi, dans les cas ordinaires ou extraordinaires, a été réglé avec précision. La caisse fédérale a été rattachée d’une façon indissoluble au système financier d’Athènes, pour constituer ainsi le budget de l’empire ; et, à côté de la responsabilité rigoureuse de tous les fonctionnaires, la publicité de l’administration a servi à prévenir toute irrégularité, toute négligence. C’est par là seulement qu’Athènes, au moment d’une transformation qui, dans le cours d’un petit nombre d’années, a fait d’une modeste ville continentale, située sur le golfe Saronique, la capitale et la maîtresse d’un vaste empire maritime, a pu l’accomplir sans trouble et sans désordre.

En vérité, la multiplicité, et jusqu’à un certain point l’incertitude de ces revenus, le nombre de ces caisses différentes, la foule de ces receveurs, de ces payeurs, de ces contrôleurs, la séparation formelle du trésor de l’État et de celui du temple, faisaient de la surveillance de l’administration dans son ensemble, malgré toute la publicité imposée, une tâche bien difficile. Ces difficultés mêmes forçaient les citoyens à prendre un homme de confiance qui pût tout diriger ; elles agrandissaient l’importance d’un homme d’État tel que Périclès et le rendaient indispensable à la république, parce que, mieux que personne, il embrassait d’un coup d’œil ce que devait et ce que pouvait faire l’État.

En ce qui concerne la fédération, Périclès ne voulait d’aucun accroissement qui pût en compromettre la situation. Il n’en était que plus jaloux de rehausser le prestige d’Athènes dans les contrées où elle ne pouvait établir sa suprématie, comme il fit sur le littoral du Pont-Euxin, et de nouer avec l’étranger de nouvelles et utiles relations. C’est à quoi lui servit l’établissement des clérouquies et des colonies.

On appelait clérouques[23] les propriétaires des κλήροι ou lots de terres, qu’on attribuait à des citoyens d’Athènes, quand l’État avait à disposer de certains territoires situés en dehors de l’Attique. Il arrivait de diverses manières à les posséder : la plus ordinaire était la conquête.

Chalcis, en Eubée, fut la première ville où les Athéniens chassèrent une partie des habitants et confisquèrent leurs propriétés, la première ville grecque où le droit du vainqueur s’exerça sans ménagement et sans pitié[24] Après l’établissement de la ligue maritime de Délos, on prit des mesures analogues, qui parurent nécessaires au maintien de la suprématie d’Athènes sur la mer et à la sûreté du commerce. Ainsi les Athéniens occupèrent, après l’avoir dévastée, la ville d’Eïon sur le Strymon, et l’île de Scyros, repaire de pirates qui empêchaient tout commerce avec la Thrace, devint une clérouquie athénienne[25].

De ce qui s’était produit accidentellement, à l’époque de Cimon, à la suite de circonstances particulières, Périclès fit une règle qu’on appliqua de temps en temps, et qu’on s’habitua insensiblement à considérer, de même que les distributions d’argent et les banquets, comme un élément essentiel d’une constitution démocratique. Les clérouquies, sous le gouvernement de Périclès, doivent avoir été bien plus nombreuses que ne le font connaître les documents conservés jusqu’à nous ; car c’est un fait que, en Eubée notamment, une partie considérable du territoire, c’est-à-dire les cieux tiers[26], passé graduellement aux mains des citoyens athéniens. Il est donc vraisemblable qu’au moment où Histiæa fut détruite et Oréos fondée, des confiscations eurent lieu également à Chalcis, à Érétrie[27], à Carystos, et dans d’autres endroits : de même, à Samos. A côté des colons s’établissaient les dieux et les héros athéniens, à qui on donnait aussi des domaines. C’étaient là autant de rejetons du sanctuaire de la métropole ; leurs revenus affluaient au trésor de la déesse Poliade[28], et par conséquent augmentaient la richesse publique d’Athènes.

Mais ce n’est pas seulement par le droit de la guerre, c’est aussi par l’effet des traités que tel ou tel territoire fédéral est devenu une propriété des Athéniens ; et, à coup sûr, l’idée de Périclès était tout particulièrement de favoriser l’extension pacifique d’une population attique dans l’Archipel, afin de gagner ; par une annexion régulièrement consentie, des possessions dont ont ne pût jamais mettre en question la parfaite légitimité.

Les traces de semblables traités se retrouvent dans la taxe même des tributs. A Thasos, par exemple, il est difficile d’expliquer comment ils ont été décuplés par une élévation soudaine, si ce n’est parce que les terres confisquées ont été rendues aux habitants[29] Mais le cas contraire est bien plus fréquent, et, dans les îles où s’étaient établis des clérouques athéniens, ou voit le chiffre des contributions s’abaisser tout d’un coup. C’est qu’Athènes achetait des terrains, et payait l’intérêt du prix d’acquisition par un dégrèvement équivalent qui diminuait d’autant le tribut annuel. De tels arrangements étaient profitables aux deux parties : les confédérés y gagnaient un allègement notable, et Athènes y trouvait cet avantage précieux, d’affermir sa puissance sur des points d’appui 41e plus en plus solides. C’est ainsi que, dans la guerre de Samos, on put laisser en toute sécurité les otages sous la garde des clérouques de Lemnos. De même, sur les côtes de Thrace, à Andros. à Naxos[30], à Imbros, des citoyens d’Athènes s’installèrent à côté des indigènes, qui devinrent des alliés tributaires. Les Athéniens prenaient bien le nom de leur nouvelle résidence, et s’appelaient Imbriens, Lemniens, etc. ; mais ils restaient des citoyens athéniens, inscrits dans leurs tribus athéniennes, dont les dix héros conservaient là-bas leurs sanctuaires ; ils appartenaient, après comme avant, à l’armée de terre et de mer d’Athènes, représentaient partout les intérêts de la mère-patrie, et surveillaient la population non-athénienne[31]. On y trouvait en outre cet avantage, d’élever peu à peu une foule de citoyens pauvres au rang de propriétaires aisés, sans diminuer en rien l’effectif de la cité elle-même. C’était tirer parti des forces vives de la nation pour le plus grand bien de l’État, qu’on préservait en même temps des inconvénients résultant de l’excès de population dans la métropole. C’était donc, au point tic vue de la politique extérieure et intérieure, une mesure des plus efficaces.

Sans doute, de toutes les entreprises réalisées par Athènes en vertu de son hégémonie maritime, aucune ne souleva plus de haines que les clérouquies, parce qu’elles aboutissaient fréquemment à violenter et à exploiter les confédérés. Cependant, tant que Périclès gouverna l’État, on se conduisit avec une sage modération. Le sort rigoureux d’Histiæa était justifié par des circonstances particulières ; Chalcis, par contre, fut traitée avec une grande douceur. On approuva universellement l’expédition dans la Chersonèse de Thrace (452 : Ol. LXXXII, 1), où Périclès en personne conduisit mille citoyens, pour attacher ainsi étroitement à Athènes cette péninsule importante. Il fit également servir à la colonisation la campagne du Pont-Euxin ; après la chute de Timésilaos, il établit à Sinope 600 Athéniens, à qui il assigna les propriétés du tyran expulsé[32]. Amisos, sous le commandement d’Albénocres, fut rebâtie et prit le nom de Pirée[33].

Les colonies de citoyens dépassèrent donc les limites de l’Archipel, au nord duquel se trouvait notamment la Thrace, qu’on chercha de plus en plus à s’annexer, en dépit de toutes les difficultés, à cause de sa richesse en forêts et en mines. Nous possédons encore aujourd’hui la stèle antique, qui contient le plébiscite voté vers la LXXXIVe olympiade, et en vertu duquel, grâce à l’intervention personnelle de Périclès[34], la ville de Bréa, située sur le territoire des Bisaltes, dans une contrée montagneuse abondamment pourvue d’eau, au nord de la Chalcidique et au sud du Strymon, a été attribuée comme résidence à une commune de citoyens athéniens[35]. On lit dans ce document la prescription relative au sacrifice officiel qu’on doit offrir aux dieux pour la colonie nouvelle, l’élection de dix répartiteurs, les pleins pouvoirs confiés à Démoclide, auteur de la proposition, pour organiser la colonie, l’obligation imposée aux colons de respecter les domaines sacrés déjà existants, d’envoyer aux grandes Panathénées un taureau et deux brebis, l’injonction faite aux villes alliées de leur porter secours selon les traités, en cas de danger ; de même, un autre article portant qu’on dressera des stèles où seront inscrits les noms de tous les colons, qu’on équipera 30 vaisseaux pour le transport, etc., etc. Ce qui montre en outre avec la dernière évidence le but social de cet établissement, c’est qu’on désigne, comme devant fournir les colons de Bréa, les deux dernières des classes de censitaires instituées par Solon.

C’est ainsi qu’au temps de Périclès on prenait soin des citoyens sans fortune. Mais pour lui, sa pensée en cette circonstance allait bien au delà des intérêts et des besoins immédiats de la cité. Athènes avait déjà, par sa ligue maritime, la situation brillante d’une métropole riche en rejetons ; car on aimait à identifier les relations des villes sujettes, vis-à-vis d’Athènes, avec celles qui liaient les colonies à la mère-patrie, et on désirait, en conséquence, les faire participer aux fêtes religieuses de la capitale. Mais Athènes devait aussi à ce moment diriger pour la Grèce entière l’essor de la colonisation, et se mettre à la tête de ces entreprises nationales, comme étant la première puissance maritime des Hellènes. Il se présenta pour elle, en Italie, une excellente occasion d’y parvenir.

Là, Sybaris était en ruines depuis plus d’un demi-siècle, lorsque les familles de la vieille ville qui avaient trouvé un refuge dans ses colonies de Scidros et de Laos[36] prirent la résolution de retourner dans leur patrie et de bâtir, sur l’emplacement de l’ancienne, une nouvelle Sybaris. Elles se mirent à l’œuvre avec ardeur ; mais leurs ennemis héréditaires, les Crotoniates, se jetèrent à la traverse, et cette tentative échoua[37]. Elles cherchèrent donc un appui au dehors, et s’adressèrent à Sparte. Si elles n’eurent pas recours immédiatement au plus puissant des États maritimes, cela tient vraisemblablement à ce qu’elles éprouvaient de l’aversion pour une ville démocratique comme Athènes : puis, il était naturel que les villes maritimes de l’étranger craignissent, en se rattachant à elle, de perdre leur indépendance. Cependant, Sparte rejeta ces propositions, et les députés arrivèrent à Athènes.

Celle-ci saisit l’occasion avec empressement ; car l’échec de Coronée était une raison de plus d’accueillir avec joie une entreprise nouvelle, se présentant sous des auspices favorables. On exhuma d’antiques oracles qui parlaient de la domination d’Athènes en Italie ; l’ancienne prospérité des Sybarites se présenta sous des images séduisantes à l’esprit des Athéniens, et la cité tout entière fut saisie d’un enthousiasme plein d’espérances. Dans cette surexcitation générale, nul n’était plus ardent que Lampon, le plus occupé des prophètes et interprètes d’oracles. Mais ce fut Périclès lui-même qui, en sa qualité d’homme d’État, prit en main toute l’affaire ; et déjà, avant la défection de l’Eubée (446 : Ol. LXXXIII, 3), les premiers vaisseaux athéniens passaient en Italie, sous la conduite de Lampon. Toutefois, avant même qu’on ne vit sortir de terre les murs et les maisons de la nouvelle Sybaris, l’entreprise courut de nouveau le risque d’avorter. Les familles de Sybarites, dont les habitations occupaient l’emplacement ancien, réclamèrent une série de charges honorifiques, la préséance dans les sacrifices, les terrains situés dans le voisinage de la ville ; elles voulaient former un patricial urbain, et refusaient de concéder aux nouveaux venus l’égalité des droits civiques. Une lutte s’engagea ; les Sybarites furent repoussés et tués pour la plupart[38].

Alors les Athéniens eurent les mains libres ; et, sous l’impulsion de Périclès, qui, après la conclusion de la paix, devait être particulièrement intéressé à débarrasser la ville de ses éléments turbulents, ils commencèrent vers la fin de la première année de la LXXXIVe olympiade, au printemps de 443, la reconstruction de la ville italienne. Ils choisirent, sur le territoire de l’ancienne Sybaris, un emplacement où jaillissait depuis l’antiquité une source abondante, appelée Thuria, qui servait de fontaine[39]. C’est d’elle que la ville prit son nom de Thurii. Mais, cette fois, on n’y installa pas exclusivement des citoyens, d’Athènes ; car Périclès voulait qu’il y mit là une fondation nationale, hellénique, et qu’on fil la tentative d’effacer, en dehors des limites étroites de la Grèce, les contrastes violents qui séparaient les races.

Sous la direction d’Hippodamos de Milet, Thurii fut dessinée sur le plan du Pirée, comme une grande ville avec des rues régulières ; quatre voies principales la traversaient dans sa longueur, trois dans sa largeur. Quant aux citoyens, ils furent partagés, selon leur provenance, en dix tribus ; trois d’entre elles, Arcas, Éléa, Achaïs, comprirent les colons du Péloponnèse ; Athénaïs, Bœotia et Amphictyonis, ceux de la Grèce centrale ; Doris et Ias, les Asiatiques ; Eubœis et Nésiotis, les insulaires[40]. Ensuite, utilisant les lois de Charondas, on institua un régime démocratique tempéré ; des traités furent conclus avec les localités environnantes, et l’heureuse floraison de la jeune ville y attira une foule d’hommes distingués de tous les pays. C’est ainsi qu’aussi tôt après la fondation on vit arriver Empédocle ; puis Protagoras, qui s’occupa aussi activement de la législation de Thurii ; Tisias, le maître de l’éloquence sicilienne ; Lysias d’Athènes, fils de Céphalos ; Hérodote d’Halicarnasse, etc., etc. Ainsi s’établit une république riche, bien policée ; la fertilité du territoire favorisa sa prospérité[41], et le succès de la colonie fut une gloire éclatante pour Athènes et pour son grand homme d’État.

Enfin, il faut ajouter à la série des villes fondées sous l’administration de Périclès, Amphipolis sur le Strymon. Pendant longtemps, à la suite des revers subis près de Drabescos, Athènes avait renoncé à toute tentative de pénétrer, en remontant la vallée du Strymon, dans le pays des Édons, race belliqueuse et jalouse de sa liberté. Elle se contentait d’être maîtresse de l’embouchure du fleuve. L’attaque recommença pour la première fois en 437 (Ol. LXXXV, 4)[42]. On fortifia une colline escarpée, que le Strymon entoure en demi-cercle, après qu’il est sorti d’un lac de forme allongée. Hagnon, fils de Nicias, fut le chef des colons qui, sur cette hauteur, bâtirent la ville d’Amphipolis. Celle-ci commandait la route qui, partant de la Macédoine, traverse la contrée et la fait communiquer avec l’Hellespont. Sa situation était tellement avantageuse qu’il suffit pour la défendre, vers l’est, d’une muraille transversale qui touchait au fleuve par ses deux extrémités. Cette colonie rassembla aussi une population grecque d’origine diverse ; mais Athènes eut la direction du mouvement, et c’est elle principalement qui bénéficia des avantages qu’y trouva le commerce.

Telles furent les mesures, prises sous l’administration de Périclès, qui étendirent de plus en plus loin l’influence d’Athènes et. accrurent d’une manière si efficace le bien-être de la-ville. La prospérité, la tranquillité, la jouissance de la vie allaient devenir le bien commun de tous ses citoyens ; et ce but fut atteint, autant que cela est possible dans les sociétés humaines. Les ressources propres au pays, et consistant en blé, vin, huile, miel, sel, etc., etc., devinrent de plus en plus abondantes par l’emploi intelligent qu’on en fit ; les hauts fourneaux furent partout florissants, et les carrières de marbre d’Athènes eurent pour la première fois toute leur valeur, du jour où on eut la faculté comme le désir de les faire servir aux travaux publics. Dans un pays où la population était extraordinairement dense et s’accroissait d’une façon continue, il fallait déployer sans cesse une grande activité, une grande industrie, pour découvrir des sources de gain toujours nouvelles ; et cette prospérité qui excita bientôt la jalousie de tous, les Athéniens l’ont due à leur tempérament laborieux et à leur esprit libre de préjugés. Loin d’adopter cette oisiveté du bel air, qui aime mieux mourir de faim que de prendre un métier au-dessous de la dignité d’un Hellène libre, on considérait à Athènes la paresse comme un vice : et celui qui dédaignait de combattre la gène par le travail se déshonorait par cela même aux veux de ses concitoyens. L’activité industrielle paraissait d’autant moins malséante, que les tâches purement mécaniques demeuraient abandonnées aux esclaves ; le rôle des hommes libres était de surveiller ce travail, de le perfectionner par leur génie inventif, d’en augmenter la valeur par leur intelligence commerciale, et de donner ainsi aux affaires une extension qui leur fit dépasser le domaine des métiers proprement dits. Le régime démocratique réussissait surtout à supprimer l’étroitesse des préjugés de classes, à rendre justice à tout mérite légitime, à écarter sous toutes ses formes le despotisme de l’esprit de caste, et à favoriser ainsi par la liberté de la concurrence l’essor de l’industrie.

Cet essor même fut aidé par la franchise de relations dont on jouissait à Athènes. C’était, contrairement à Sparte, une ville ouverte, abordable, accueillante. Cette hospitalité, qu’on peut marquer depuis lès temps anciens comme un des traits les plus aimables du caractère national et un des germes les plus féconds de la grandeur de la cité, a été vraiment un principe de la vie politique. Thémistocle et Périclès l'ont appliqué avec un succès merveilleux. En effet, du jour où Athènes sortit de sa situation modeste, elle devint le centre du monde grec ; et quiconque se croyait un mérite supérieur dans l’art qu’il pratiquait savait que sur aucun autre théâtre il ne trouverait autant d’honneur et de profit. C’est ainsi que de tous les pays les industries les plus diverses furent importées à Athènes où, grâce à l’émulation des indigènes et des étrangers, grâce à l’échange incessant des inventions les plus nouvelles, elles atteignirent dans toutes leurs branches un développement inconnu jusque-là Elles s’y firent en quelque sorte naturaliser, parce qu’aucune autre ville ne pouvait rivaliser avec Athènes. Celle-ci devint comme l’école de perfectionnement des industries et des métiers, le marché principal ouvert à toute fabrication supérieure : c’est là que les prix s’établissaient, que se fixait le goût. Qui ne connaissait pas Athènes ne connaissait pas la Grèce, et qui la connaissait ne se résignait guère à vivre ailleurs.

Mais l’attraction qu’exerçait cette ville avait aussi son côté dangereux. Les anciens éprouvaient une antipathie naturelle pour les trop grandes villes ; ce qu’ils aimaient, c’était un corps de citoyens peu nombreux, facile à surveiller ; ils devaient donc chercher à en prévenir l’accroissement. Le caractère familial des villes anciennes était cause aussi qu’on redoutait pardessus tout l’infusion du sang étranger dans la cité, comme devant nécessairement amener la dissolution des vieilles familles et du culte domestique, l’altération des mœurs et des coutumes de la vie sociale. C’étaient là, au gré de bien des gens, des idées surannées ; mais elles restaient tenaces et puissantes. En effet, si les citoyens gouvernaient eux-mêmes l’État, ne semblait-il pas d’autant plus nécessaire de ne pas laisser envahir la vieille souche par des végétations parasites ? Il fallait clone, sans restreindre d’une façon nuisible le libre commerce avec l’étranger, chercher à garantir la cité athénienne contre la décomposition et la dégénérescence. Périclès le comprit à merveille ; et c’est pourquoi, à un moment où on voulait n’aller toujours qu’en avant, en renversant les barrières encore existantes, il revint à l’antique et sévère législation d’Athènes.

Il s’y trouvait entre autres une loi ancienne, d’après laquelle ceux-là seulement pouvaient prétendre au plein droit de cité qui étaient par leur père et par leur mère, enfants de l’Attique ; car l’État ne reconnaissait comme légitimes que les mariages contractés entre des fils et des filles de citoyens. Mais cette prescription était tombée en désuétude.

En effet, bien qu’il existât certaines différences entre les citoyens de sang pur et les citoyens de sang mêlé, le contrôle, en ce qui concerne les droits essentiels du citoyen, ne s’exerçait

pas bien rigoureusement. Pendant la crise médique, où tout ce qui apportait à la ville une force de plus fut accueilli volontiers. ce fut moins que jamais le moment d’y recourir que serait-il advenu d’Athènes, si on avait exclu du corps des citoyens tous ceux que leur naissance en pouvait écarter, et même un Thémistocle, un Cimon ? Ce fut tout autre chose, dans -ta période de paix qui suivit, lorsqu’on vit accourir de plus en plus à Athènes une population étrangère, hommes et femmes, attirée soit par les divertissements et par les fêtes, soit par le marché de la ville et l’argent qu’on y gagnait. L’affluence des hétaïres d’Ionie rendit de plus en plus nombreuses les unions illégitimes ; et en même temps, le développement même de la démocratie et la gloire croissante d’Athènes firent graduellement du litre de citoyen un privilège lucratif. Il conférait le droit d’obtenir un lot dans le partage des terres, aussi bien que la jouissance de ces présents que des bienfaiteurs étrangers envoyaient assez fréquemment à la cité.

Dans une telle situation, il était à désirer que le droit de citoyen fût soumis à une surveillance plus scrupuleuse, et Périclès se chargea de rétablir dans toute sa rigueur l’ancienne législation. Ce fut une des premières mesures qu’il put réaliser, une fois qu’il eut conquis toute son influence ; et si cette circonstance met précisément en relief l’énergie et la résolution de sa conduite, on peut en conclure aussi quelle émotion il dut provoquer, que d’obstacles et d’inimitiés il trouva sur son chemin. Cette mesure était populaire, en ce sens qu’au profit des Athéniens authentiques elle retirait à des copartageants sans droits les avantages attachés à la communauté, quand on procédait dans les îles à quelque distribution de terres[43] ; mais, en même temps, elle était conforme à l’esprit d’une constitution aristocratique, car elle tenait lieu du contrôle exercé jadis par l’Aréopage, c’est-à-dire, du droit de surveiller la liste des citoyens et d’en rayer tous les éléments inutiles, illégitimes ou dangereux.

La loi de Périclès ne pouvait être appliquée immédiatement avec une rigueur inexorable. Mais le principe fut rétabli à nouveau ; et, comme alors, en une année de grande cherté (445/4 : Ol. LXXXIII, 4) il arriva d’Égypte[44] un présent de 40.000 boisseaux de blé pour être distribué entre les citoyens, ceux-ci, par égoïsme, saisirent l’occasion d’appuyer l’exécution formelle de la loi. Le nombre de ceux qui profitèrent de cet envoi dépassa 14.000 ; le nombre des exclus monta à 4.760[45]. Parmi eux, il ne faut pas comprendre seulement ceux qui n’étaient qu’à demi citoyens par leur naissance, mais aussi ceux qui ne l’étaient pas du tout, les étrangers de toute catégorie qui s’étaient glissés sur les listes des citoyens. Beaucoup durent quitter le territoire ; d’autres demeurèrent à titre de métèques ; d’autres enfin, qui avaient introduit une action judiciaire contre l’État au sujet de leur exclusion et qui perdirent leur procès, furent vendus comme esclaves.

Ayant ainsi écarté les dangers croissants qui menaçaient la ville par suite de cet afflux débordant d’étrangers, Périclès put profiter d’autant plus librement des avantages qui en résultèrent dans tout le domaine de la vie publique. La floraison de l’industrie athénienne fut telle qu’on en rechercha partout les produits ; par exemple, les métaux travaillés, les cuirs, les lampes, les ustensiles de toute sorte, et principalement les vases en terre cuite[46]. Une des foires annuelles les plus importantes de la Grèce fut celle des poteries, qui se tenait le second jour des Anthestéries. Les articles d’Athènes se répandirent sur toutes les côtes de la mer intérieure ; ils remontèrent même le Nil jusqu’en Éthiopie, sur les vaisseaux des marchands phéniciens. Ainsi, l’industrie eut pour débouché un commerce d’exportation des plus actifs, qui menait à Allènes l’or en abondance et multipliait pour ses citoyens les sources de profit.

La race ionienne avait du reste pour le trafic maritime une aptitude naturelle si marquée que cette activité avait moins besoin que les autres d'être excitée et encouragée par des mesures artificielles. Pourtant. l’Athènes de Périclès fit beaucoup pour l’entretenir : car, tandis que les constitutions aristocratiques, en général, n’étaient point favorables au mouvement commercial, il était au contraire dans l’esprit de la démocratie de faire autant que possible participer le plus grand nombre aux affaires maritimes, qui, plus que tout le reste, augmentaient la richesse nationale, assuraient l’indépendance des citoyens, animaient l’activité industrielle, étendaient la suprématie de l’État sur la mer et refoulaient l’influence des nobles, propriétaires du sol. C’est pourquoi le commerce devint un des objectifs de la politique intérieure, surtout, à Athènes, où sa prospérité était dans le rapport le plus étroit avec la tranquillité du pays et la puissance de la ville.

Jamais les Athéniens n’ont méconnu combien étaient fragiles les bases de leur suprématie maritime ; et, quand leur vigilance inquiète vit de combien de ressources l’État avait besoin, à cause de la petitesse et de la pauvreté de son propre territoire, pour être en tout temps à la hauteur de sa tâche, ils crurent qu’ils ne pouvaient pas laisser à leur commerce la liberté de mouvements qui avait autrefois si puissamment aidé à son expansion. En conséquence, on interdit absolument l’exportation de tout ce qui était indispensable aux besoins de la république dans la guerre comme dans la paix ; par exemple, les grains, les bois de construction, le goudron, le lin, et autres matières analogues. Pour qu’on autorisât la sortie d’autres articles, tels que l’huile, il fallait préalablement que les approvisionnements publies fussent largement assurés.

Les dispositions les plus rigoureuses étaient celles qui réglaient. le commerce du blé, parce qu’aucun État ne dépendait autant qu’Athènes des envois de l’étranger. Tout ralentissement dans l’exportation, toute hausse dans les mercuriales, même toute crainte de pareilles éventualités, était un accident menaçant pour la tranquillité et le bon ordre de la république. Le pain à bon marché, c’était là pour la cité la question vitale et la tâche la plus importante de la législation et de l’administration.

Aussi devait-on de ce côté laisser au hasard le moins de place possible, et c’est en ces matières qu’on imposa le plus d’entraves à la spéculation mercantile. Les armateurs et les commerçants en gros de l’Attique, qui faisaient venir le blé de la mer Noire, n’avaient pas le droit de choisir les ports où ils pouvaient espérer le meilleur débit de leurs chargements ; ils devaient les conduire intacts à Athènes. Les marchands au détail, en retour, ne pouvaient acheter autant qu’il leur plaisait, mais seulement un nombre déterminé de boisseaux à la fois, et ne pouvaient vendre chaque boisseau qu’une obole au-dessus du prix de revient. C’étaient donc des espèces d’agents, à qui, au nom de l’État, on permettait seulement le bénéfice d’un intérêt de tant pour cent. Des fonctionnaires spéciaux veillaient à l’exécution de ces lois sur les grains ; chaque infraction était punie comme un crime de haute trahison. Car le marchand, lui aussi, devait être avant tout un bon citoyen, obéissant à son devoir civique ; il commettait un délit s’il tentait d’exploiter à son profit les embarras de l’État et de spéculer avantageusement sur la gêne de ses concitoyens.

On prit des mesures aussi violentes afin de concentrer le commerce maritime au Pirée, que la nature n’avait nullement disposé pour être le centre des affaires. Ainsi, les seuls vaisseaux que pût commanditer un Athénien étaient ceux qui devaient revenir en Attique avec un chargement de retour ; car aucun capital athénien ne devait enrichir un comptoir étranger. On imposa aux alliés des traités qui les obligeaient à n’expédier certaines marchandises qu’au Pirée, à l’exclusion de tout autre port, et même sur certains bâtiments de transport fournis par l’État[47]. Une loi de ce genre réglait, par exemple, le trafic de l’ocre rouge de Céos[48], qu’on employait beaucoup comme matière colorante, même dans les constructions navales. On ne recula donc devant aucune mesure pour que le Pirée, le seul port de l’Attique qui eût le droit d’ancrage, devînt l’entrepôt de toute l’Hellade, et les villes maritimes alliées d’Athènes, en retour de leur indépendance perdue, n’eurent même pas la liberté de commerce et d’échange dans l’intérieur du territoire fédéra]. Elles ne pouvaient mettre en vente leurs bois de construction, leur fer et leur cuivre, leur chanvre et leurs grains, que sous les conditions prescrites par l’État suzerain de la mer.

Si des considérations politiques entravaient d’une manière dure et vexatoire le libre essor du commerce, tout tendait d’autre part à le favoriser ; et la centralisation des affaires eut cet avantage, qu’on put s’occuper ainsi dans des proportions d’autant plus grandioses du seul entrepôt qui existât. Par sa flotte de guerre, l’État assurait les routes de la mer et protégeait la marine marchande, aussi bien dans les eaux de la Lycie et dans le Pont-Euxin que sur les côtes de l’Attique. On veillait aux intérêts des armateurs, par le privilège accordé aux capitaux engagés dans les entreprises commerciales de n’être pas frappés par les contributions de guerre, comme par l’institution de tribunaux de commerce[49], qui siégeaient pendant l’hiver et étaient tenus d’expédier rapidement les procès, pour épargner autant que possible aux gens d’affaires toute perte de temps et de bénéfices ; institution dont on trouva le modèle chez les Éginètes, qui ont beaucoup appris aux Athéniens en ce qui concerne la réglementation du commerce. Les droits d’entrée étaient minimes : 2 % de la valeur réelle.

Le soin que prit l’État de fournir une monnaie de bon aloi, de vérifier les poids et mesures, facilita et assura le mouvement des affaires. La double empreinte qui de très bonne heure remplaça à Athènes le coin unique, et fut ensuite imitée dans l’Asie-Mineure et ailleurs, empêchait la falsification du numéraire et était pour les transactions une garantie de plus. Comme les autres villes du monde grec où le commerce était actif, comme Chios, Samos, Rhodes, Athènes reconnut à son tour que rien n’est plus efficace pour maintenir la valeur de la monnaie que de conserver les empreintes anciennes. C’est pourquoi la tête d’Athéna et la chouette restèrent, sans altération essentielle, sur les drachmes attiques, qui gardèrent pour la même raison leur forme massive[50].

C’était encore une sécurité pour le commerce que les lois rigoureuses concernant les dettes, car elles servaient à affermir le crédit. Sous toutes ses formes, l’activité des citoyens était honorée et protégée.

La circulation monétaire était partout animée et lucrative ; pour placer avantageusement ses capitaux, on avait les fabriques, les commandites maritimes, les opérations sur les marchandises ou les banques, les mines, la location des maisons, etc. Personne ne croyait déroger en s’occupant d’affaires.

Quant aux négociants qui se trouvaient à l’étranger, ils étaient confiés aux soins de chargés d’affaires résidant sur les lieux, qui, en vertu de leur charge honorifique et en leur qualité d’hôtes publics, veillaient sur les citoyens de la ville amie. Mais, sans cela, le citoyen athénien était déjà protégé contre tout dommage par la puissance même de l’État qui prenait sa cause en main ; et la crainte qu’inspiraient les juges d’Athènes avait ce résultat, que personne, dans la sphère de leur juridiction, n’osait s’attaquer à la propriété d’un Athénien. Plus sa prospérité grandit, plus la ville devint le centre d’un vaste empire maritime, et son port le premier marché où l’on trouvait à acheter les esclaves, les poissons et les peaux de la mer Noire, les bois de construction de la Thrace, les fruits de l’Eubée, les raisins de Rhodes, les vins des îles, les tapis de Milet, les métaux de Chypre, l’encens de Syrie, les dattes de Phénicie, le papyrus d’Égypte, le silphion de Cyrène, les friandises de Sicile, les fines chaussures de Sicyone, en un mot, tous les produits de l’étranger, en aussi grande abondance que ceux du territoire national.

 

 

 



[1] Sur les biens de l’État et les fermiers généraux, voyez BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 415 sqq.

[2] Capitation due par les étrangers (BÖCKH, Staatshaushaltung, I, p. 415), et impôt sur les esclaves (ibid., p. 448).

[3] A la rigueur, toutes les liturgies sont des prestations régulières, bien que les triérarchies figurent parmi les liturgies extraordinaires, car on élisait, aussi des triérarques en temps de paix : seulement, on ne leur imposait pas alors de charges aussi lourdes (SCHÖMANN, Griech. Alterth., I2, p. 586. BÖCKH, op. cit., I, p. 700. SCHÄFER, Demosthenes, I, p. 155. Il n’y a que l’είσφορά qui fût considérée comme prestation extraordinaire.

[4] Pour Égine. il y avait des raisons particulières de forcer le chiffre des taxes (BÖCKH, op. cit., II, p. 631) : pareil traitement est appliqué à Potidée en 436, et à Éphèse (E. CURTIUS, Beiträge, zur Gesch. und Topogr. von Kleinasien, 1872, p. 21).

[5] En faisant le compte du tribut de l’Eubée, il faut considérer qu’il y avait dans le pays plus de 6.000 citoyens athéniens qui ne devaient pas supporter les charges des impôts au moyen desquels les villes parvenaient à payer leur tribut.

[6] Sur les deux rubriques extraordinaires de πόλεις αύταί φόρον ταξάμεναι et de πόλεις άς οί ίδιώτα ένέγραψαν φόρον φένειν, voyez KÖHLER, ibid., p. 136. LÖSCHCKE (De titulis atticis, 1876, p. 16).

[7] ARISTOPHANE, Vesp., 707. BÖCKH, Staatshaushaltung, II, p. 664.

[8] KÖHLER (ibid., p. 133) compte 423 ½ talents au lieu de 460. Cf. KIRCHHOFF, Zur Geschichte des athenischen Staatsschatzes (Abhandl. d. Berl., 1876), p. 29.

[9] La fusion des deux cercles n’apparaît qu’en 436 (C. I. ATTIC., I, n. 244) : à ce moment, celui d’Ionie est le plus grand (THUC., III, 31), tandis que celui de Thrace se trouvait diminué par la défection des villes chalcidiennes et bottéiennes (KÖHLER, op. cit., p. 133). Le total des noms portés sur les rôles des contributions est à celui des noms inscrits en 425 (Ol. LXXXVIII, 4) comme 2 est à 3 (KÖHLER, p. 121).

[10] Sur les groupes de villes formant des syntélies, voyez KÖHLER (op. cit., p. 122) qui fait, figurer sur ses listes même les noms cités par Cratéros et non encore retrouvés dans les inscriptions.

[11] Augmentation des tributs en 438 (C. I. ATTIC., I, p. 226).

[12] DIODORE, XII, 38.

[13] THUCYDIDE, I, 121, 3. 143, 1. C’est ce qui explique le jugement des adversaires d’Athènes (THUC., I, 121, 3).

[14] Sur les opérations financières des prêtres, cf. E. CURTIUS, Stellung des Priesterthums bei den Alten (Berliner Universitätsrede vom 22 März 1878).

[15] Sur le mécanisme financier, cf. KIRCHHOFF, op. cit. La caisse des dépôts s’appelle παρακαταθήκη. La majeure partie des recettes courantes est fournie par les tributs. Il y a en outre un fonds de réserve.

[16] Ce soixantième était le seul versement que les Hellénotames pussent effectuer sans ordre spécial, mais sous le contrôle des logistes, comme l'a démontré KÖHLER (Urkunden, p. 104) d’après la suscription de la liste XXXIV.

[17] Les reconnaissances étaient exposées près du temple (KIRCHHOFF, op. cit., p. 41 sqq.)

[18] Sur le Trésor central, voyez KIRCHHOFF, ibid., p. 44,

[19] En fait de liste d’estimation, τάξις φόρου (KÖHLER, ibid., p. 64), liste suivant laquelle le Conseil taxait les villes, on ne possède que celle de 425 (Ol. LXXXVIII, 4) dans le C. I. ATTIC., I, n. 37. On y voit que, pour procéder à l’estimation chez les alliés, on doit envoyer deux commissaires par cercle.

[20] On distingue, dans l’administration des finances athéniennes, deux époques, caractérisées par les autorités sur lesquelles on prend date : dans l’une, on compte par années de la βουλή, dans l’autre, par années d’une άρχή. La 34e άρχή tombe l’année de l’archontat d’Aristion (421/0. Ol. LXXXIX, 4) ; l’année initiale est donc 454/3 (Ol. LXXXI, 3). C’est à cette époque, par conséquent, que les Logistes ou les Trente furent sinon institués à nouveau, du moins chargés pour la première fois de calculer la part du temple (KÖHLER, ibid., p. 108). La supputation d’après la βουλή a pour point de départ l’année 447/6 (Ol. LXXXIII, 2).

[21] On les trouve aujourd’hui dans le C. I. ATTIC., I, n. 224-240.

[22] Les pièces relatant les sommes livrées par le Trésorier général contiennent des indications sur les dépenses. Cf. C. I. ATTIC., I, p. 82 et 85, etc.

[23] Sur les clérouquies athéniennes, voyez KIRCHHOFF, Ueber die Tributpftichligkeit der attischen Kleruchen, ap. Abhandl. der Berlin. Akad., 1873, p. 1-35. L’auteur y prouve contre Böckh, d’après les rôles de contributions, que les clérouques ne payaient point de tribut.

[24] A Chalcis, le nombre de 4.000 clérouques indiqué par Hérodote (V, 77. VI, 100) n’a jamais été atteint (KIRCHHOFF, p. 18). D’après Élien (Var. Hist., VI, I), il n’avait été distribué du temps de Clisthène que 2.000 κλήροι.

[25] THUCYDIDE, I, 98. DIODORE, XI, 69.

[26] ANDOCIDE, De pace, § 9. Cf. ÆSCHINE, De falsa legat., § 175. KIRCHHOFF, ibid., p. 46 sqq.

[27] Pour Érétrie, voyez C. I. ATTIC., I, n. 339.

[28] KIRCHHOFF, Staatsschatz der Athener, p. 52.

[29] D’après les rôles contributions, Thasos ne paie jusqu’en 449 (Ol. LXXXII, 4), que 3 talents ; mais le tribut est porté à 30 talents à partir de 444 (Ol. LXXXIV, 1) et se maintient à ce chiffre, même après l’estimation de 425 (Ol. LXXXVIII, 4), probablement en vertu d’une convention d’après laquelle des mines ayant appartenu aux Thasiens, mais cédées aux Athéniens par le traité de paix de 462 (PLUT., Cimon, 14), furent restituées à Thasos moyennant une augmentation du tribut.

[30] PLUTARQUE, Pericl., 11, voyez KIRCHHOFF, ibid., p. 25 sqq.

[31] FOUCART (Les Colonies des Athéniens, 1879, dans les Mém. prés. par divers savants) a démontré que les clérouquies ont eu leur autonomie municipale, un Prytanée et une βουλή à elles, une organisation financière faite pour elles, etc. L’épitaphe d’un clérouque de Mélos nomme la tribu et le dème attiques auxquels il appartient. Il reste des monnaies de cuivre des communes-clérouquies de Myrina, Héphæstia.... etc.

[32] PLUTARQUE, Pericl., 20.

[33] THEOPOMP. ap. STRABON, p. 517. KÖHLER, op. cit., p. 115. On a des monnaies d’Amisos avec l’inscription ΠΕΙΡΛΙΩΝ (LEAKE, Num. Hellen. Asia. 9). La distinction entre clérouquie et colonie ne peut être partout établie avec exactitude : il en est ainsi pour les établissements du Pont.

[34] PLUTARQUE, Pericl., 11. STEPH. BYZ., s. v. Θράκην. La LXXXIVe olympiade correspond aux années 444-441.

[35] La charte de fondation de la colonie de Bréa a été publiée en même temps par BÖCKH (Monatsber. der Berl. Akad., 1853, p. 147) et par SAUPPE (Ber. d. Sächs. Ges. d. Wiss., 1853) : elle figure dans le C. I. ATTIC., I, n. 30.

[36] HÉRODOTE, VI, 21.

[37] DIODORE, XII, 10.

[38] DIODORE, XII, 11.

[39] E. CURTIUS, Griech. Quell. und Brunneninschriften, p. 28 (Abh. d. Götting. Ges. d. Wiss., VIII, p. 180).

[40] DIODORE, XII, 11.

[41] Monnaies de la nouvelle Sybaris ap. CARELLI, Numm. Ital., p. 89 : 11-14.

[42] Sur la fondation d’Amphipolis, voyez WEISSENBORN, Hellen, p. 152. La date de cette fondation est un point de repère des plus importants en chronologie et sert à établir des dates antérieures. On sait que 28 ans auparavant, d’après Thucydide (IV, 102), avait eu lieu la défaite de Drabescos (465/4 : Ol. LXXVIII, 4), laquelle coïncide avec la défection de Thasos : peu de temps auparavant avaient eu lieu la bataille de l’Eurymédon et le siège de Naxos, événements dont la date se trouve déterminée à son tour par le changement de roi en Perse, Xerxès ayant été assassiné aussitôt après, en 465.

[43] BÖCKH (Staatshaushalt., I, p.127) soupçonne une connexité entre la loi sur l’état civil et la répartition des terres en Eubée.

[44] Philochore (ap. SCHOL. ARISTOPH., Vesp., 716) cite comme auteur du présent Psammétique. SINTENIS (ad Plutarch.) pense qu’il y a là confusion entre Psammétique et Inaros, tandis que Bergk (Jahrb. f. Philol., 1852, p. 584) songe au père d’Inaros : mais il est impossible de reculer la loi de Périclès jusqu’à la LXXIXe olympiade. Il me semble infiniment plus simple d’admettre que les Grecs appelaient le petit-fils de Psammétique du même nom que son grand-père, et qu’il s’agit du fils d’Inaros, appelé aussi du nom libyen de Tannyras (HEROD., III, 15). D’après VON GUTSCHMIDT (ad S. Sharpe, Gesch. Ægyptens, 1862 [The History of Egypt, 1852], I, p. 113), Thannyras et Psammétique sont deux frères.

[45] Plutarque parle de 4.760 individus vendus comme esclaves : l’expression est inexacte. Sur le chiffre de 14.000, voyez les données fournies ci-dessus (livre III, chap. Ier, § III).

[46] MACROBE, V, 21, 10. HEROD., V, 88. En Italie, les poteries attiques avaient déjà pénétré vers le milieu du Ve siècle jusque dans la région du Pô, comme l’ont montré les fouilles d’Atria. Elles s’exportaient d’un autre côté jusque chez les Éthiopiens (SCYLAX, 112. Cf. H. BLÜMMER, Gewerbliche Thätigkeit, p. 66).

[47] XENOPH., De rep. Athen., 2, 11. BÜCHSENSCHÜTZ, Besitz und Erwerb im Alterthum, p. 403.

[48] BÖCKH, Staatshaushaltung, II, p. 349. C. I. ATTIC., II, n. 546.

[49] BÖCKH, op. cit., I, p. 711.

[50] Sur l’influence régulatrice du système monétaire attique, voyez BRANDIS, Münzwesen in Vorderasien, p. 337.