HISTOIRE GRECQUE

TOME DEUXIÈME

LIVRE TROISIÈME. — DU DÉBUT DES GUERRES MÉDIQUES À LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE.

CHAPITRE PREMIER. — LES GUERRES DE L’INDÉPENDANCE.

 

 

§ I. — LA PREMIÈRE GUERRE MÉDIQUE.

Le désastre naval du mont Athos ne pouvait avoir d’autres conséquences qu’un temps d’arrêt très court dans la grande lutte nationale. La flotte avait i été victime de la mauvaise saison, et toute la part de responsabilité qui revenait aux hommes dans ce malheur retombait sur la tête de Mardonius. C’était avec une confiance sans bornes que le Grand-Roi avait placé cet homme jeune et sans expérience à la tête de ses forces navales, et destitué en même temps pour lui les officiers supérieurs qui jusque-là avaient commandé sur les côtes de la mer Égée ‘. Mardonius avait débuté, dès son entrée en fonctions, par des réformes téméraires : il avait annulé les dispositions d’Artapherne, éloigné les tyrans qui, sous la suzeraineté du roi de Perse, exerçaient le pouvoir dans les villes grecques et rendu aux assemblées populaires la connaissance de toutes les affaires publiques. On reconnaît en lui l’homme qui, novateur hardi et plein de lui-même, se mettait au-dessus des principes traditionnels de la politique perse, afin de se ‘faire passer pour un homme d’État de jugement plus ouvert et capable de vues plus larges. Dans le plan de guerre qu’il allait suivre, il n’entendait pas perdre le temps à châtier quelques villes une à une, et à y ramener quelques familles d’émigrés : c’est sur l’Occident entier, sur l’Europe entière et ses cités florissantes qu’il attachait son regard. Dans l’ardeur d’une ambition juvénile, il poursuivait le dessein de gouverner comme lieutenant des Achéménides un empire grec au-delà de la mer Égée. Aussi s’était-il avancé en toute hâte, pour pouvoir prendre ses quartiers d’hiver dans la Grèce du nord et annoncer à son beau-père la conquête de nouveaux territoires sur l’autre rivage de la mer, l’année même où il avait quitté la Haute-Asie[1].

Lorsque tous ses projets eurent échoué au mont Athos, la faveur du roi revint aux hommes qui avaient déconseillé cette façon impétueuse de faire la guerre et ces grandes visées. Sous l’influence des Pisistratides qui, accompagnés de leurs anciens courtisans, déployaient à Sardes comme à Suse une activité infatigable, on arrêta un nouveau plan de campagne qui n’eut d’abord pour objet que la Grèce moyenne. La première chose à faire, la tâche indispensable, était de châtier Érétrie et Athènes : l’exécution en serait facilitée par bien des circonstances. La Grèce moyenne était fractionnée en tout petits États, chez qui il ne pouvait être question d’une résistance suivie de succès. Tout le pays était sourdement agité par la rivalité des villes les plus importantes, d’Athènes avec Sparte, d’Égine et de Thèbes avec Athènes ; dans chacune de ces cités même, on Louverait des partisans. On ne pouvait avoir dans une expédition contre Athènes de meilleur guide qu’Hippias ; et par lui on aurait le grand avantage d’attirer à soi son ancien parti. Les Spartiates ne demanderaient pas mieux que de voir Hippias, qu’ils n’avaient pu ramener eux-mêmes, rétabli par les troupes perses et dominant en despote la cité indocile dont la suffisance insolente croissait d’année en année. On trouverait à travers des groupes d’îles sans défense un chemin rapide et sûr pour s’avancer au cœur même de la Grèce, et Athènes elle-même, avec ses cinquante vaisseaux de guerre, serait hors d’état d’empêcher la descente des Perses.

Après l’échec de Mardonius, il n’était pas difficile d’obtenir le consentement du Grand-Roi à ce nouveau plan de campagne. C’était un plan qui écartait toute exagération et ne visait qu’à l’indispensable. C’était essentiellement une expédition contre l’Attique, telle que l’exigeaient l’honneur des Achéménides et les vœux personnels du Grand-Roi. Aussitôt, on ordonna de nouvelles levées et, sur toute la côte, les chantiers maritimes furent mis en activité. On ordonna surtout la construction de bâtiments de transport pour la cavalerie. On connaissait, en effet, par Hippias le point faible de l’armée athénienne : c’était avec le secours de cavaliers étrangers que les Pisistratides avaient soutenu leur tyrannie.

En même temps, on avait l’œil sur les frontières de l’empire, et l’on se servait des rivalités de voisinage entre les villes grecques pour se mettre au courant des mouvements dangereux auxquels on devait s’attendre après le malheur qu’on venait d’éprouver.

Cette prudence ne fut pas inutile. La même année ou au commencement de l’année suivante, il y eut une dénonciation contre les habitants de Thasos que, depuis longtemps, les cités des environs regardaient d’un œil d’envie. Du temps du roi Gygès (720 : Ol. XV, 1), des colons venus de Paros s’étaient établis dans cette île et v avaient fondé, après bien des revers et de rudes combats, un État qui s’étendit sur la partie voisine du continent, soumit ou repoussa les tribus sauvages des Thraces, et trouva dans les mines d’or et d’argent ouvertes au temps des Phéniciens une source d’inépuisables richesses. Les mines de Thrace et celles de l’île elle-même donnèrent de si grands bénéfices que le petit État, sans imposer les biens-fonds des citoyens, avait, en y comprenant la douane et d’autres taxes, un revenu qui s’élevait dans les bonnes années jusqu’à 300 talents (1.770.000 fr.)[2]. Il y a encore aujourd’hui une foule de monnaies antiques en argent qui appartiennent à Thasos ou à ses colonies[3] C’est une preuve visible de la richesse des Thasiens à cette époque, et de l’extension de leur domaine commercial sur le continent thrace. Avec cela, ils avaient assez d’activité et de patriotisme pour employer à de digues objets ces ressources extraordinaires. Déjà, au moment où Histiée assiégeait l'île, ils s’étaient créé une marine de guerre, et, bien placés pour voir de près le désastre de la grande Armada orientale, ils avaient conçu le dessein hardi de se détacher de l’empire perse, auquel ils avaient été incorporés par Mardonius, et de se constituer en cité libre.

L’envie de leurs voisins rendit vains leurs efforts. Ce furent apparemment des villes thraces de la côte qui, par jalousie ou par souci de leur propre indépendance, trahirent les projets des Thasiens et appelèrent les Perses, dont les forces maritimes furent encore suffisantes pour désarmer sans peine les insulaires pris au dépourvu. Ils durent raser leurs murailles et remettre leurs vaisseaux qu’on emmena à Abdère[4]. Abdère était le point d’appui de la puissance perse au nord de la mer Égée, admirablement placée pour maintenir dans l’obéissance, avec le concours des places fortes de l’Hellespont, les territoires thraco-macédoniens que Mardonius avait de nouveau soumis, pour exploiter le bassin métallurgique du Nestos, pour observer le littoral avoisinant, tandis que, de l’autre côté de la mer, au pied du Taurus, on préparait une nouvelle attaque contre l’Hellade.

Des mesures pacifiques précédèrent les premières hostilités. Des hommes habiles, qui avaient la confiance du roi, furent envoyés avec une suite d’interprètes aux villes grecques. Ils devaient, en avertissant que la flotte les suivait, exiger d’elles la terre et l’eau, en signe de soumission. Ils trouvèrent dans la population des îles une docilité presque générale ; car les petites villes de l’Archipel n’avaient pas le choix, livrées comme elles l’étaient sans défense à un ennemi supérieur en forces. Mais on se préoccupa tout particulièrement d’Égine, dont on connaissait l’importance par les Pisistratides. Situé en face. et très près des ports d’Athènes, cet État insulaire pouvait être singulièrement utile aux desseins des Perses. Aussi la mission des ambassadeurs royaux y détermina-t-elle des événements très importants.

Les Éginètes arrivèrent à l’apogée de leur puissance et de leur prospérité après avoir vaincu en 519 (Ol. LXV,2) les pirates samiens et occupé Cydonia ; ils revinrent de la mer de Crète avec un riche butin. Ils étaient désormais la première puissance navale de l’Archipel. Ils avaient des comptoirs en Ombrie et sur les côtes de la mer Noire ; ils étaient établis en Égypte bien avant l’époque d’Amasis, et leurs armateurs, Sostratos par exemple, passaient pour les plus riches commerçants du monde grec. Ils ne méprisaient aucun genre de profit. Partout on trouvait des Éginètes colportant des ustensiles en bronze, des poteries d’argile, des onguents et autres produits qui provenaient des grandes fabriques de l’île. En temps de guerre, ils suivaient les armées, pour faire encore des affaires et pour acheter aux soldats ignorants les objets précieux recueillis dans le butin[5]. La condition fondamentale de leur prospérité, c’était une grande liberté de relations : aussi leur île était-elle connue pour ses mœurs hospitalières et ouverte à tous les étrangers. Avec cela, les aspirations les plus élevées de l’esprit hellénique n’étaient nullement reléguées à l’arrière-plan. Dans l’île des Æacides fleurissait toujours l’amour des Achéens pour le chant ; la gymnastique était un art qui atteignait dans les classes nobles une perfection en quelque sorte héréditaire. Elle avait ce sens élevé que Pindare, l’ami inspiré d’Égine, a célébré dans ses hymnes. Nulle part les fondeurs n’étaient plus habiles à donner des vainqueurs une représentation pleine de vie et de vérité, et nous pouvons voir encore, sur les hauteurs qui font face à l’Attique, un monument mémorable de l’architecture éginète : ce sont les restes du temple d’Athéna, sans doute le même temple auquel les Éginètes suspendirent les éperons de navires pris à l’ennemi, lorsque, vainqueurs des Samiens, ils revinrent de la mer de Crète[6].

Puis, ils s’avancèrent toujours plus hardiment dans le golfe Saronique, et leurs rapports avec Athènes devinrent de plus en plus tendus. Les premières hostilités guenons connaissions sont du temps de Pisistrate ; une fille du tyran fut prise par des corsaires d’Égine[7]. L’agression n’était pas dirigée contre la famille du tyran, mais contre la ville d’Athènes ; on voyait avec inquiétude le développement croissant des constructions navales à Phalère, et les alliances d’Athènes avec les cités d’outre-mer, Délos, Naxos, Sigeion. Lorsque, après la chute du régime tyrannique, les villes grecques se séparèrent en deux partis, Égine conclut avec Thèbes une étroite alliance que Delphes favorisa. Les familles qui à Égine étaient à la tête du gouvernement avaient d’autant plus de raisons d’être hostiles à la démocratie athénienne qu’il y avait, dans l’île même, un parti démocratique dirigé par Nicodromos, et que ce parti était en relations secrètes avec les Athéniens et en lutte avec les privilèges des familles nobles. Athènes pouvait défendre contre Thèbes les défilés des montagnes ; mais ; comme il était plus malaisé de protéger contre les surprises des insulaires la ligne si étendue du littoral ! Ni d’un côté, ni de l’autre, on n’avait les moyens de trancher à fond le débat.

Tel était l’état d’hostilité, d’irritation toujours en éveil des cités de la Grèce centrale, lorsque les envoyés du roi Darius arrivèrent dans l’Hellade. Faut-il s’étonner après cela que les intérêts généraux fussent sacrifiés à l’esprit de parti des États rivaux ? Égine comme Thèbes cherchaient du secours contre Athènes, qui faisait cause commune avec Platée et Corinthe, et c’est en un pareil moment que se présentait un nouvel allié auquel on n’avait pas songé, le plus acharné et le plus puissant des ennemis d’Athènes, ce Roi dont les Athéniens eux-mêmes, peu de temps auparavant, avaient réclamé le secours contre leurs ennemis, allié d’autant plus précieux qu’il offrait les plus grands avantages sans demander le moindre sacrifice. La flotte perse-phénicienne commandait la mer. Si l’on traitait les Éginètes en ennemis, on barrerait à leurs vaisseaux l’accès de l’Asie-Mineure, du Pont-Euxin, de Tyr et de l’Égypte, et l’île surpeuplée serait menacée de voir tomber sa prospérité avant même d’avoir été atteinte directement par les maux de la guerre. Ces considérations l’emportèrent, et, malgré leur culte de Zeus Panhellénique, malgré les souvenirs glorieux du temps où les héros de la race d’Éaque, Télamon et Achille, avaient été les champions des Grecs contre les Barbares, comme lés artistes d’Égine l’avaient représenté sur les frontons du temple d’Athéna, les Éginètes firent hommage au roi de Perse.

A peine les Athéniens surent-ils d’une façon certaine cette décision qu’ils se hâtèrent d’envoyer des députés à Sparte, pour mettre les Spartiates au courant de la situation et pour les inviter à prendre d’un commun accord les mesures opportunes. C’était une démarche d’une grande importance. Depuis qu’Athènes avait repoussé victorieusement toute immixtion de Sparte dans ses affaires, depuis qu’elle avait suivi dans la question ionienne une politique tout à fait personnelle et indépendante, il y avait en Grèce deux grands États dont aucune convention, aucune décision juridique ne réglait les rapports mutuels. Mais, à ce moment, Athènes reconnut la nécessité de se rapprocher de Sparte et d’arriver à une alliance capable d’acquérir une importance nationale. Pour atteindre ce but, elle fit des concessions. Elle reconnut sans réserve à Sparte la qualité de chef-lieu ; et, pour donner au besoin qu’elle avait d’alliance et de secours un prétexte autre que son propre danger, elle réveilla les souvenirs de l’antique fraternité établie entre tous les Hellènes et des devoirs qu’elle créait. Athènes accusa donc les Éginètes de trahir la patrie et demanda aux Spartiates, au nom de la communauté hellénique, de prévenir, en punissant aussitôt cette défection, les désertions nouvelles qui pourraient se produire. Cette ambassade devenait ainsi le commencement d’une ligue nationale contre les Perses et les peuples de l’Hellade qui leur seraient favorables.

Le roi de Sparte était encore ce Cléomène qui, malgré toutes ses méprises et ses mésaventures, avait cependant conservé plus d’influence personnelle qu’on n’en accordait d’ordinaire aux Héraclides. Le projet d’une guerre contre les Perses sous la conduite d’un roi de Sparte ouvrait à son ambition de brillantes perspectives. Lorsque les députés scythes avaient demandé des secours à Sparte contre Darius, il avait fait avec eux dans une orgie les plans les plus audacieux. Étendre la domination de Sparte sur la Grèce centrale, tel était depuis longtemps l’objet des efforts passionnés de cet homme ; et voilà que les Athéniens venaient eux-mêmes au devant de Sparte. Il est hors de doute que Cléomène appuya les députés de toute manière. Grâce à lui, ils purent réaliser la première partie de. leur programme. Il fallait décider Sparte à prendre parti si nettement qu’il lui fût impossible de reculer[8]. A Sparte comme à Athènes, les envoyés du Grand-Roi furent mis à mort ; et il n’y a guère qu’une manière d’expliquer cette mesure, c’est d’admettre qu’ils furent surpris essayant de corrompre les citoyens. On était donc déjà disposé à prêter l’oreille aux accusations dirigées par les Athéniens contre Égine. Malgré la décision avec laquelle les modérés et leur chef, Démarate fils d’Ariston, s’opposaient aux projets insensés de Cléomène, celui-ci, appuyé sur un parti puissant, sut triompher de cette opposition. Il avait conquis à Argos une nouvelle gloire militaire : il avait victorieusement repoussé toutes les attaques qui avaient suivi la campagne. L’abaissement des Éginètes, qui ne lui avaient fourni qu’à regret des soldats contre Argos, devait lui sembler comme l’achèvement de ses derniers exploits.

Il alla en personne à Égine, comptant sur l’impression que devaient faire sa personne et sa dignité. Mais les Éginètes furent assez fins pour ne pas même laisser poser la question. Ils discutèrent ses pleins pouvoirs, et, connaissant parfaitement le désordre qui régnait à Sparte, ils réclamèrent, pour une ambassade de cette importance, la présence des deux rois.. Cléomène n’avait pas, pour le moment, le moyen d’user d’autorité. Il revint à Sparte, mais avec le dessein bien arrêté d’exécuter n’importe à quel prix ses volontés : il y avait à cela une condition nécessaire, la chute de son collègue. Il s’allia alors à Léotychide, le parent et l’ennemi le plus acharné de Démarate, et ils parvinrent à jeter des doutes sur les droits de ce roi à la couronne. Les prêtres de Delphes furent gagnés par l’or de Cléomène ; la Pythie déclara que Démarate n’était pas le fils d’Ariston. Démarate fut déposé[9] : après avoir été appelé encore à une charge publique[10] par le peuple qui lui restait attaché, le prince si cruellement offensé finit par quitter sa patrie secrètement, et, fuyant les poursuites ordonnées contre lui, il alla d’Élis à Zacynthe et de Zacynthe en Asie, dans le camp ennemi (492/1 : Ol. LXX, 1/2)[11]. A Sparte, Léotychide, chef de la branche cadette des Proclides, lui succéda.

Cléomène croyait toucher au but si ardemment souhaité, car son nouveau collègue était naturellement tout à sa dévotion. Il retourna alors triomphant chez les Éginètes, accompagné de Léotychide, pour les punir, au nom de la capitale de la confédération péloponnésienne, de leur défection. Dix hommes des familles les plus riches et les plus nobles furent emmenés comme otages, non pas à Sparte, mais à Athènes, et donnés en caution aux Athéniens[12] C’était un nouveau coup de force du roi. C’était aussi la vengeance la plus sensible qu’il pût tirer personnellement des Éginètes. Cependant, il n’eut pas longtemps à se réjouir de la satisfaction qu’il s’était accordée . On sut quels moyens il avait employés pour parvenir à ses fins intéressées. Cléomène s’enfuit. Il alla en Thessalie, pour y susciter de nouveaux troubles au milieu desquels il eût pu satisfaire son ambition. Puis, nous le retrouvons en Arcadie. Dans les montagnes Aroaniennes, là où le Styx tombe d’une paroi de roche abrupte, à Nonacris, lieu consacré où se réunissaient les assemblées fédérales, il appelle les autorités des communes voisines, leur dépeint l’humiliante situation où ils sont vis-à-vis de Sparte, et cherche à se créer une puissance qui lui permette de se venger de sa patrie. A Sparte, ces intrigues causèrent les plus grandes inquiétudes ; car, après la rupture officielle avec les Perses, il ne pouvait rien arriver de plus dangereux qu’une défection des cantons arcadiens. Cléomène est donc rappelé : on le rétablit dans tous ses honneurs : mais comment revient-il ? Assauvagi par sa vie errante, déchiré par les emportements de la passion et les tortures d’une ambition inassouvie, courbé sous le poids de ses fautes, épuisé au physique et au moral par ses excès. Cette surexcitation tourna en folie furieuse. Le roi de Sparte dut être lié et surveillé par ses hilotes, et il mourut enfin d’une mort effroyable qu’il se donna de sa propre main[13].

Voilà comment Hérodote raconte la fin de cet homme remarquable, dont les grandes qualités naturelles avaient dégénéré en un égoïsme criminel et en une grossièreté effrénée. Les circonstances de sa mort ne furent révoquées en doute par personne, et tout le monde y vit un effet de la justice divine. Les Athéniens motivaient même cet arrêt par la dévastation du domaine sacré d’Éleusis, attentat dont il s’était rendu coupable dans son expédition contre Athènes ; les Argiens, par le massacre de leurs compatriotes qui avaient cherché asile auprès de Héra. Pour les autres Hellènes, son plus grand crime était d’avoir corrompu la Pythie : on voyait là la véritable cause de cette exécution divine, qui jeta la terreur dans tout le monde grec.

Après la mort de Cléomène, Sparte voulut changer de méthode et se faire pardonner ses proc-. :..dés violents par des mesures de conciliation. Elle reconnut publiquement l’injustice faite aux Éginètes. Le roi Léotychide leur fut livré comme complice de Cléomène. Les Éginètes l’envoyèrent à Athènes, pour obtenir la remise des otages. Mais les Athéniens se gardèrent bien d’accepter leurs propositions, et de sacrifier de gaieté de cœur l’avantage qu’un rare bonheur avait mis à leur disposition. Tant que les citoyens d’Égine, qui étaient précisément les chefs du parti dos Perses, seraient sous bonne garde, les Éginètes verraient leurs desseins politiques entravés et seraient hors d’état de fournir, d’une façon officielle et énergique, aux ennemis d’Athènes un secours sur lequel ils avaient sans doute compté[14].

Cependant les préparatifs des Perses, poussés avec une grande énergie pendant l’aimée 491 (Ol. LXXII, 2), étaient achevés. Six cents trirèmes se réunirent sur la côte de Cilicie, et les gros vaisseaux de transport étaient prêts à recevoir chevaux et cavaliers. Artapherne, le fils du gouverneur de Sardes, et Datis le Mède, qui avaient rassemblé, Fun dans l’Asie-Mineure, l’autre dans la Haute-Asie, une magnifique armée, reçurent en commun le commandement de l’expédition. Datis était le plus âgé et le plus considérable. Après avoir reçu Suse les dernières recommandations du Grand-Roi, qui leur donna avant tout mission de punir Érétrie et Athènes pour leur participation à la révolte d’Ionie, de soumettre les îles rebelles et de rétablir les Pisistratides, ils s’embarquèrent au printemps de 490 (Ol. LXXII, 3). Quant à l’effectif total des troupes qui s’embarquèrent, l’évaluation la plus modérée donne le chiffre de 100.000 fantassins et de 10.000 cavaliers[15]. Les rameurs et matelots pouvaient servir de troupes légères.

La flotte se dirigea du golfe d’Issus vers le couchant, puis remonta le long des côtes de Carie et d’Ionie, comme pour prendre encore la direction de l’Hellespont. Mais, à la hauteur de Samos, elle tourna brusquement et cingla vers Naxos, où devait commencer l’œuvre de vengeance. Les hardis insulaires avaient en effet dédaigné d’éviter la guerre en faisant leur soumission.

La ville fut brillée avec tous ses sanctuaires, et tous les habitants qui ne s’étaient pas sauvés dans la montagne furent réduits en esclavage. Après avoir expédié de là à Suse un premier messager de victoire, la flotte poursuivit sa route et jeta l’ancre dans la rade de Délos. Mais là, les Perses ne se présentèrent pas en ennemis ; bien au contraire, on rendit aux divinités de l’île un hommage imposant en leur offrant un magnifique sacrifice. Tout le monde devait voir que le roi de Perse ne voulait pas priver les dieux nationaux de la Grèce des honneurs qui leur étaient dus. Les antiques fêtes qui unissaient les deux rivages devaient être restaurées avec un nouvel éclat. Ainsi les Perses marquèrent par un double exemple de sévérité et de douceur leur entrée dans la mer des Cyclades, et ils reçurent en même temps de toutes les îles voisines des transports, des troupes, des otages et des vivres. Ils mirent alors le cap sur les deux hautes cimes de l’Ocha en Eubée. Carystos, située juste au pied de la montagne, avec son port abrité par des récifs, dut être emportée de force, pour que la flotte pût, sans laisser d’ennemis derrière elle, pénétrer dans l’Euripe et approcher du but principal de sa route[16].

Érétrie et Athènes avaient formé entre elles une alliance offensive et défensive. Les Érétriens avaient confié aux Athéniens la garde de leurs trésors, et les citoyens d’Athènes qui habitaient à Chalcis ne faisaient qu’un avec ceux d’Érétrie. Mais, lorsque l’armée perse se développa sur le rivage, on reconnut impossible de lui résister en pleine campagne. Les alliés venus d’Athènes se retirèrent, tandis que les Érétriens eux-mêmes se mettaient à l’abri derrière leurs remparts. Six jours durant, l’assaut fut donné sans succès ; une foule de cadavres entourait la vaillante cité, quand un expédient plus simple s’offrit aux assiégeants. Les Perses trouvèrent des alliés dans les cercles aristocratiques de la ville. La trahison leur ouvrit les portes ; et ainsi, en peu de temps, la seconde ville que les amiraux perses avaient été chargés de châtier fut changée en un monceau de ruines et les habitants réduits en esclavage[17]. Pourquoi n’aurait-on pas le même succès avec la troisième ville dont le territoire était là en face, de l’autre côté du détroit ?

Il était naturel que les Perses recherchassent l’endroit le plus proche pour aborder, et qu’ils n’eussent pas la moindre envie, avec leurs transports lourdement chargés, de faire le tour des côtes découpées et pleines d’écueils de la péninsule attique. Là, il était facile et peu dangereux d’aborder, et surtout la cavalerie débarquerait à l’aise. Enfin, on voyait de ce côté de vertes prairies où l’on pourrait faire paître les chevaux. Sans doute, on pouvait soutenir qu’il serait plus raisonnable de marcher droit sur Athènes, car la première rencontre serait ainsi une rencontre décisive : cependant, personne ne songeait à une bataille rangée loin d’Athènes ; on était persuadé que les Athéniens inquiets se tiendraient à distance et se borneraient à la défense de leurs murailles. Toute hésitation disparut quand on apprit d’Hippias qu’il n’y avait pas dans toute l’Attique un lieu où l’on pût tirer meilleur parti de la cavalerie que la plaine qui fait face à l’Eubée. De là, l’armée pourrait, en suivant le bord de la mer, gagner la capitale de l’Attique par des chemins faciles : là, on arriverait de suite au milieu du domaine des Diacriens qui, de tout temps, avaient été dévoués à la maison de Pisistrate ; on ne manquerait ni de renforts ni d’appui de toute sorte, tandis qu’on couperait aux Athéniens les arrivages de l’Eubée. Ces considérations furent décisives ; les Perses quittèrent les ruines fumantes d’Érétrie, et, battant de leurs rames ce tranquille bras de mer, ils abordèrent en quelques heures sur l’autre rive du détroit où la grande et verte plaine de Marathon s’ouvrit à eux et les reçut dans sa baie circulaire[18].

Pays et côtes, rien n’avait changé, il est vrai, depuis le jour où Hippias avait quitté Athènes ; et cependant, Athènes était devenue dans l’intervalle une tout autre ville. Il n’y avait plus ni Paraliens ni Diacriens, comme le croyait le fils de Pisistrate. Pendant les années de combats livrés pour l’indépendance et, de résistance acharnée aux entreprises malveillantes des États voisins, la ville et la campagne s’étaient fondues en un tout qui n’avait plus d’autre centre que le marché et l’hôtel-de-ville d’Athènes. Il ne manquait pas de partis ; mais la pensée de trahir le pays ne pouvait plus s’exprimer tout haut, car les aspirations de tous les bons citoyens s’unissaient dans un patriotisme élevé. On savait surtout à merveille ce qu’on ne voulait pas : point de pas en arrière, point de joug étranger, point de lâches concessions ; on était prêt à tous les sacrifices, à tous les efforts ; on sentait qu’il ne s’agissait pas là d’un événement ordinaire, et, précisément à cause de cela, on était disposé à accorder aux hommes qui avaient montré leur supériorité dans la vie publique une entière confiance. Pour le bonheur d’Athènes, il ne manquait pas de ces citoyens qui méritaient, en face d’un danger imminent, la confiance de la cité.

Pendant les dernières années de la tyrannie, deux enfants, raconte Plutarque, avaient grandi côte à côte à Athènes, les fils de Lysimaque et de Néoclès ; tous deux de bonne heure avaient été, par les promesses de leur heureux naturel, l’objet de l’attention publique ; et l’attention s’était de plus en plus attachée à eux à mesure que, d’année en année, on remarquait entre eux plus de différence[19]. Le fils de Lysimaque s’appelait Aristide. Ce qui le distinguait, c’était un vif sentiment de l’ordre et de la justice, une conscience ferme, une crainte profondément morale de l’illégalité, une haine innée contre tout ce qui sentait le mensonge et la déloyauté. Il grandit pendant la belle jeunesse de la démocratie athénienne, et il prit même, comme ami de Clisthène, une part active à son établissement. Personne n’a conçu d’une façon plus vive et plus profonde la mission d’Athènes, qui était d’associer le libre mouvement des esprits et la discipline de la loi. Simple, ouvert, franc comme il était, il acquit de bonne heure, sans la rechercher, l’autorité que donne la confiance. On vit et on se prit à aimer en lui le modèle d’un jeune Athénien ; on savait qu’il ne désirait rien pour lui, tout pour sa patrie.

Thémistocle, le fils de Néoclès, était de quelques années plus jeune. Il avait une nature passionnée qui n’eût point permis un développement paisible et harmonieux de ses facultés : impétueux et volontaire, il résistait à toute direction ; on ne savait si on devait concevoir de lui plus de craintes que d’espérances. Par son père, il appartenait à la vieille famille attique des Lycomides ; il n’était cependant pas d’un sang tout à fait pur, sa mère étant une étrangère, thrace ou carienne[20]. Il n’était pas admis, même dans les gymnases de l’Académie ou du Lycée, à prendre part aux exercices de la jeunesse[21]. Cette tache, empreinte sur sa naissance, ne contribua qu’à lui donner plus de fierté ; il eut d’autant plus arrêtée la prétention de tout devoir à sa distinction personnelle. La nature l’avait singulièrement doué pour ce rôle : par la vivacité de son esprit, la perspicacité, la promptitude et la justesse de son jugement, il était bien supérieur à tous ses contemporains. Dès l’enfance, il eut une maturité, une possession de lui-même tout à fait au-dessus de son âge ; il s’habitua de bonne heure à diriger toutes ses facultés vers des objets bien déterminés, et, tandis que ses camarades ne songeaient qu’à jouer, il cherchait l’occasion de discuter les sujets de querelles qui se présentaient avec le sérieux d’un homme d’affaires ou d’un orateur populaire. Il montrait dans ses études peu de zèle pour la poésie et la musique, et d’autant plus de goût pour tous les arts qui lui permettraient d’exercer une influence personnelle sur ses concitoyens. Convaincu de sa supériorité, il s’habitua bien vite à se présenter avec hardiesse et suffisance, et des entreprises dont la difficulté dit effrayé tout autre que lui n’en avaient que plus d’attraits pour son intelligence inépuisable en projets et en inventions de toute sorte.

La jeune génération athénienne à la quelle appartenaient Aristide et Thémistocle voyait s’ouvrir devant elle une vaste carrière, un champ libre où elle pourrait déployer au profit du bien général toute son activité. Car, depuis qu’il n’y avait plus de familles qui eussent des droits héréditaires au pouvoir et à l’influence politique, c’était à la bourgeoisie elle-même de fournir les hommes dont Athènes avait besoin pour accomplir sa grande et rude tâche, des hommes d’une intelligence assez haute pour comprendre l’état des choses et signaler les véritables points de vue qui devaient diriger la gestion des affaires publiques, capables enfin d’achever au dedans l’édifice de la constitution, d’assurer au dehors l’indépendance et la puissance de la cité. Il ne manquait pas d’occasions de se signaler. La parole était libre. Tout Athénien pouvait paraître à l’assemblée du peuple, y faire valoir son opinion et acquérir une influence décisive. La chose était cependant impossible, du moins d’une façon durable, pour les orateurs les mieux doués et les plus éloquents, s’ils restaient isolés. Ils devaient s’allier avec tous ceux qu’ils trouvaient disposés à adopter leurs idées. Il se forma ainsi des sociétés d’abord restreintes, puis plus étendues, dont les membres s’engageaient à défendre certaines tendances politiques, à se soutenir dans l’exécution d’un plan commun, et à diriger les votes des citoyens. Ce furent les sociétés politiques ou hétæries, dont l’action fut décisive sur l’histoire de l’État athénien une fois que les anciens partis, qui avaient leur raison d’être dans la différence des domiciles et des habitudes, eurent perdu toute leur importance. Aristide avait une aversion naturelle contre de pareilles associations : par l’effet même de son caractère, il sentait trop le besoin d’agir en toute occasion avec toute sa liberté, sans chercher ses motifs ailleurs qu’en lui-même ; il craignait le désaccord qui pouvait s’établir entre les obligations contractées vis-à-vis de ses amis et la voix de sa conscience. Thémistocle n’avait pas tant de scrupules : tout moyen lui était bon pour arriver au pouvoir. Il était l’âme du parti dont la devise était guerre aux Perses, de ce parti qui avait fait voter du secours à Aristagoras et qui tenait pour une honte d’avoir abandonné Milet au moment du danger[22]. Il reconnaissait d’ailleurs mieux que tout autre qu’Athènes était encore trop faible pour le grand rôle qui lui incombait, et qu’il lui manquait surtout deux choses, une flotte et un port.

D’après une vieille tradition, on considérait la baie de Phalère, où la mer pénètre le plus profondément le territoire de l’Attique, comme le port naturel de toute cette région. On pouvait le surveiller aisément des hauteurs de la ville, et sa large rade était bien faite pour la pacifique circulation des marchandises. Mais, si Athènes songeait à devenir une puissance, ne voulût-elle dominer que dans ses propres eaux et sur le littoral circonvoisin, cette rade ouverte ne suffisait plus. Il fallait des stations où l’on p-tt, à l’abri de toute surprise de l’ennemi, construire et retirer des vaisseaux, des ports, en un mot, que l’on pût fermer du côté de la mer. Thémistocle montra aux Athéniens comment la nature était allée d’elle-même au devant de ce besoin.

A l’ouest de Phalère se projette en effet une presqu’île, reliée au continent par une langue de terre formée d’alluvions marécageuses. Le centre de la presqu’île est formé par la hauteur de Munychie, taillée à pic de tous côtés, dont le sommet aplati était occupé par un vieux sanctuaire d’Artémis. De ce bloc rayonnent, en forme d’une grande feuille dentelée, des masses rocheuses qui s’étendent dans la mer et forment trois ports naturels, où l’on ne peut accéder du dehors que par d’étroites ouvertures. Ainsi, ce que les Corinthiens, les Samiens et les Éginètes avaient été forcés d’établir artificiellement à grand’ peine, à grands frais, ce qu’il leur fallait sans cesse retoucher à nouveau, la nature l’avait donné à Athènes dans une mesure incomparablement plus large : un ensemble de trois ports de guerre fermés, au pied d’une hauteur qui les dominait et ouvrait sur la mer une libre perspective. Prise dans son ensemble, la presqu’île portait le nom de Pirée[23].

C’est le mérite de Thémistocle d’avoir le premier découvert cette disposition naturelle que chacun cependant pouvait voir tous les jours, c’est-à-dire, d’en avoir reconnu l’importance pour Athènes. Mais cela ne suffisait pas. Pour devenir le fondement d’une puissance maritime, la presqu’île avait besoin d’une enceinte fortifiée. Thémistocle aurait bien transporté tout Ailettes au Pirée, l’acropole à Munychie : la chose étant impossible, il fallait fonder une seconde ville, une Athènes maritime. C’était une entreprise immense, mais indispensable si Athènes voulait. devenir une puissance maritime.

Une fois que Thémistocle eut fait accepter ses projets par ses concitoyens, il se mit à l’œuvre, en dépit de tous les obstacles. Il brigua pour 493 (Ol. LXXI, 4) la charge de premier archonte. et, favorisé par le sort, il se servit de sa situation officielle pour mettre son plan à exécution. Le sénat et l’assemblée du peuple décidèrent sur sa proposition la construction d’un port et d’un faubourg au Pirée. C’était l’année même on l’ami et l’allié politique de Thémistocle[24], le hardi poète Phrynichos, montra aux Athéniens sur le théâtre la prise de Milet, pour reprocher à ses concitoyens la faute dont leur lâche indécision les avait rendus coupables. Dans le cours de la même année, les préparatifs de cette œuvre gigantesque furent achevés, les mesures prises, les matériaux amassés, et les travailleurs enrôlés au nombre nécessaire.

La construction commença l’année suivante. Les nouveaux archontes élevèrent, en attaquant le mur d’enceinte, une statue d’Hermès, avec une inscription dont nous avons encore le texte. C’était l’hermès dit, à la petite porte ; il se trouvait, à ce que l’on suppose, à une des issues qui s’ouvraient sur la mer[25]. On dut, en effet, chercher avant tout à fortifier le côté de la mer, pour se protéger d’une façon efficace contre les descentes des insulaires. Une œuvre de géant comme la construction d’un mur d’enceinte de 60 stades ou plus de 11 kilomètres de longueur, n’a pas dû être entreprise sans qu’on ait spécifié l’usage qu’on comptait faire des différentes rades pour les besoins de la guerre et du commerce et décidé l’établissement de chantiers de construction. Ainsi les travaux du Pirée eurent pour conséquence immédiate une impulsion donnée aux constructions navales en Attique ; et nous voyons déjà, dans l’espace des trois années qui suivent, le nombre des vaisseaux de guerre s’élever de 50 à 70. Il n’est même pas invraisemblable que, dès cette époque, on ait proposé à l’assemblée du peuple les mesures financières qui étaient nécessaires pour mener à bonne tin une entreprise aussi extraordinaire, aussi grandiose que la création d’un port et d’une marine militaire. Mais l’exécution des décrets votés pendant l’archontat de Thémistocle fut tout à coup arrêtée par les nouveaux armements des Perses : toutes les pensées se tournèrent vers le danger du moment.

Là encore, Thémistocle exerça une influence décisive. Ce fut lui surtout qui éveilla le sentiment national et qui sut faire, d’un péril dont Athènes seule était d’abord menacée, une affaire nationale intéressant tous les Hellènes. Aussi proposa-t-il de condamner à mort l’interprète qui accompagnait les messagers de Darius, sous prétexte qu’il avait fait servir la langue grecque à sa trahison. Aussi travailla-t-il à un rapprochement entre Athènes et Sparte ; et l’humiliation des Éginètes qui, au moment même où ils avaient envie de passer à l’ennemi avec leurs vaisseaux, se voyaient les mains liées par leurs otages détenus à Athènes, fut certainement un effet de ses intrigues et de son adresse : car la rancune personnelle que les otages transportés à Athènes gardaient à Thémistocle[26] indique assez qu’il avait dû être le principal instigateur de l’accusation dirigée contre leur patrie. Grâce à lui et à son parti, Athènes devint le quartier général de la résistance nationale ; et, plus les Perses s’avançaient du côté de l’Europe, plus Athènes servit de refuge à des hommes courageux et de caractère indépendant qui, délaissant les places menacées, venaient accroître d’autant les forces de la ville.

Parmi ces réfugiés, le personnage le plus considérable était assurément Miltiade, le fils de Cimon, qui avait dû, après la ruine de l’Ionie, s’échapper de la Chersonèse de Thrace. Ce n’était pas pour lui chose facile que de se créer à Athènes une situation. Il avait abandonné sa patrie au temps des tyrans et n’avait pas vécu avec ses concitoyens durant ces années de progrès intérieur, au cours desquelles Aristide et Thémistocle étaient devenus des hommes faits. Il rentrait à un âge déjà avancé dans la cité métamorphosée, et il y rentrait comme un étranger. Chez lui, l’orgueil de la vieille famille des Philaïdes n’avait rien perdu de son énergie : c’était en prince qu’il était revenu, avec des vaisseaux de guerre à lui, des soldats, de riches trésors : c’était bien là le gendre d’un roi thrace. Les façons autoritaires et rudes de cet homme habitué depuis vingt ans à commander sans contrôle, devaient froisser la susceptibilité des citoyens d’Athènes. De plus, les Grecs qui avaient habité la Chersonèse répandaient sur son compte toute sorte de bruits de nature à exciter au plus haut point le mécontentement ; et, quelques efforts qu’il fit pour s’accommoder aux circonstances nouvelles, pour vivre comme un citoyen parmi des citoyens, il ne put échapper à ses ennemis qui ne voulaient pas laisser remonter à son rang la famille des Philaïdes. Après avoir disputé sa vie aux Scythes et aux Phéniciens, il se voyait encore dans sa propre patrie menacé d’un nouveau danger : il fut mis en accusation pour la tyrannie qu’il avait exercée en Thrace et cité devant un tribunal populaire.

Miltiade, pour justifier sa conduite, exposa l’état du pays d’où il venait et fit valoir les services qu’il avait rendus à Athènes. Cette péninsule riveraine de l’Hellespont, terre fertile et peuplée de villes florissantes, où son père et son oncle avaient fondé un pouvoir indépendant, au lieu de la considérer comme son patrimoine, il en avait fait la propriété du peuple. Puis, au temps de la révolte de l’Ionie, il avait conquis pour le compte d’Athènes la grande et importante île de Lemnos ; il pouvait en outre prouver qu’il avait été le premier de tous les Hellènes à se déclarer ouvertement contre Darius, et que déjà au bord du Danube il avait mis l’ennemi national de la Grèce à deux doigts de sa perte. Les actes de Miltiade parlaient assez haut ; le peuple sentait qu’il avait affaire à un homme de valeur. Tout tremblait encore en Grèce lorsqu’on prononçait seulement le nom des Perses. Comment se priver. en un pareil moment, d’un homme qui était un général éprouvé, qui connaissait parfaitement l’armée perse, et dont tout le passé répondait qu’il ne penserait jamais à négocier sous mains avec les Pisistrades ou avec les Perses ! Il fut acquitté : ses ennemis rentrèrent dans l’ombre : ils eurent même le dépit de voir que, lorsqu’on procéda à l’élection des stratèges pour la troisième année de la LXXIIe olympiade, l’année qui commençait avec la nouvelle lune après le solstice d’été, le 27 juillet 490, les citoyens nommèrent dans les dix stratèges Miltiade à côté d’Aristide.

A peine les stratèges étaient-ils entrés en charge que déjà les citoyens athéniens installés à Chalcis accouraient, fuyant leurs demeures. Derrière eux flamboyait l’incendie d’Érétrie : les événements se précipitaient. On envoya un message officiel à Sparte pour obtenir un prompt secours ; mais on n’attendit pas la réponse, car, dès les premiers jours du mois suivant (fin août), le peuple décidait, sur la proposition de ses stratèges, la levée en masse des citoyens. Naturellement, on un moment pareil, la ville ne pouvait pas être tout à fait dégarnie. Il n’y eut donc que 9.000 citoyens complètement équipés[27] pour suivre les stratèges ; ils étaient accompagnés de leurs esclaves, qui leur servaient de valets d’armes et pouvaient prendre part au combat comme troupes légères[28].

Ils se dirigèrent vers la partie menacée du territoire, sans plan bien arrêté on se réservait de prendre dans le camp même les mesures ultérieures, et d’agir suivant les nécessités du moment. Mais là, les avis furent des plus partagés. Miltiade était sorti pour se battre ; rien ne lui paraissait plus périlleux que de se replier sur la ville. L’armée était en excellente disposition, les contingents des dix tribus animés d’un même esprit : il n’en était pas de même de la population urbaine, et on pouvait prévoir que, à Athènes comme à Érétrie, les souffrances d’un siège donneraient au parti des traîtres l’occasion de ressaisir quelque influence. Aussi Miltiade demandait-il qu’on se battit à Marathon. Jusque dans le conseil des stratèges on flottait indécis. Il y eut quatre voix pour Miltiade et cinq voix contre. Mais il manquait la voix prépondérante, celle du polémarque, c’est-à-dire du troisième entre les neuf archontes, de celui qui avait été autrefois le véritable général en chef et qui n’avait plus alors qu’une voix au conseil des stratèges élus, avec l’honneur de conduire l’aile droite à la place autrefois occupée par le roi. Le polémarque de l’année était Callimachos d’Aphidna, homme de cour et d’énergie. Sa voix se rallia enfin aux suffrages de ceux qui voulaient combattre, et tous virent dans Miltiade le seul homme qui fût à la hauteur des circonstances. Sur la proposition d’Aristide, les stratèges lui cédèrent tous leur droit au commandement supérieur, qui d’ordinaire passait chaque jour de Fun à l’autre. Miltiade, habitué à commander, était bien à sa place ; une volonté énergique dirigeait l’armée, et, moins on espérait de secours du dehors, plus on montra de joie en voyant arriver 1.000 Platéens qu’on n’attendait pas et qui, de leur plein gré, venaient, à l’heure du péril suprême, se montrer clignes de leur union avec Athènes.

En parcourant la plaine du regard, Miltiade reconnut facilement qu’elle était loin d’être aussi favorable aux Perses qu’elle le paraissait. Sans doute, c’est une surface considérable, qui s’étend sur une longueur de cieux bonnes lieues sans interruption du sud au nord-est, le long de la mer, et qui est séparée en deux moitiés par un torrent descendu du Pentélique. La partie méridionale est limitée par les contreforts du Brilessos (Pentélique), qui s’avancent fort près de la mer ; entre la mer et l’extrémité de la chitine, un large chemin conduit droit au sud à Athènes. C’était la route qu’Hippias voulait faire suivre aux Perses. L’antre partie de la plaine, la plus éloignée d’Athènes, est entourée par les hauteurs escarpées de la Dia-cria, hauteurs qui s’étendent jusqu’à la côte et, continuées par un promontoire allongé, appelé Cynosoura, abritent une rade circulaire. D’autre part, la large esplanade qui avait séduit les Perses n’est pas dans toute son étendue formée d’un sol résistant ; sur la lisière, là où les eaux restent stagnantes, surtout au nord-est, s’étendent des marais considérables dont la surface verdoyante fait illusion à l'œil.

Miltiade n’avait pas à hésiter sur le choix du lieu où il allait asseoir son camp. Il devait couvrir la grande route d’Athènes. Il se tint sur les hauteurs du Pentélique, au-dessus de l’Héracléon dont il protégeait l’enceinte sacrée, découvrant tonte l’étendue de la plaine dans le sens de sa longueur, surveillant les mouvements de l’ennemi, d’ailleurs suffisamment garanti contre ses attaques par les soubassements escarpés des rochers et une ligne de retranchements, et approvisionné d’eau par les ruisseaux voisins qui vont se jeter dans les marais près de l’Héracléon. Durant plusieurs journées, les armées restèrent tranquillement en face l’une de l’autre. Les Athéniens s’habituaient ainsi à la vue des Perses, et de leur côté, ceux-ci, se confirmant de plus en plus dans l’idée que l’armée athénienne ne voulait que couvrir le défilé près du rivage, se sentaient parfaitement en sûreté, maîtres comme ils l’étaient de la plaine et du littoral.

Le 17 du mois Métagitnion (12 sept.) au matin[29], lorsque le commandement en chef échut à Miltiade suivant l’ordre primitivement établi, il lit ranger son armée par groupes correspondant aux dix tribus. La tribu Æantis, à laquelle appartenait Callimachos, eut le premier rang, c’est-à-dire l’extrémité de l’aile droite tournée du côté de la mer ; puis, les neuf autres suivaient, dans un ordre fixé par le sort[30] ; à l’extrémité de l’aile gauche prirent place les Platéens qui, venant de Céphisia, avaient opéré de ce côté leur jonction. Le front de bataille fut étendu jusqu’à ce qu’il fût égal à la largeur des lignes ennemies, afin de parer au danger d’être enveloppé, et aussi afin de faire paraître l’armée athénienne aussi nombreuse que possible aux veux des Perses. Miltiade renforça les deux ailes, sur lesquelles il comptait principalement pour décider la lutte, au lieu que le centre, on se trouvaient les tribus Léontis et Antiochis, fut probablement déployé sur trois rangs de profondeur seulement : les esclaves suppléaient jusqu’à un certain point les colonnes absentes.

Les troupes avaient franchi les fossés et les abatis qui protégeaient leur camp et s’avançaient avec un calme parfait, comme elles l’avaient sans doute déjà fait plus d’un fois. Mais, lorsqu’elles furent à quinze cents mètres de l’ennemi, elles poussèrent le cri de guerre et s’élancèrent au pas accéléré qui prit peu à peu la vitesse de la charge à fond. Les Perses, voyant les soldats se précipiter ainsi des hauteurs, crurent avoir affaire à des fous : ils se mirent rapidement en ordre de bataille ; mais, avant qu’il eussent eu le temps d’envoyer à bonne distance une volée de flèches, les Athéniens étaient là, bouillants d’ardeur, et entamaient aussitôt la lutte corps à corps, homme contre homme, une mêlée compacte où la valeur personnelle, la souplesse due à la gymnastique, le poids des lourdes armures, le choc des lances et le tranchant de l’épée décida du succès. Grâce à cette attaque habile autant que hardie, on était parvenu à faire produire à l’énergie belliqueuse qui était du côté des Athéniens tout son effet.

Le succès ne fut cependant pas le même sur toute la ligne. Le centre ennemi résista : c’est là que se trouvaient les troupes d’élite, Perses et Salves réunis, là que le combat fut le plus sanglant et le péril plus grand : il arriva même que les minces rangées des citoyens d’Athènes, au milieu desquels combattaient Aristide et Thémistocle, sans cesse refoulées avec leur arrière-garde d’esclaves par des forces supérieures, furent rejetées de la côte assez loin dans la plaine. Mais, pendant ce temps, les deux ailes avaient culbuté l’ennemi, et une fois que dans leur mouvement offensif elles se furent avancées, l’une sur la route de Rhamnonte, l’autre jusqu’à la côte, Miltiade, qui était resté complètement maître de la direction du combat, donna au moment opportun aux ailes l’ordre de cesser la poursuite, de se rabattre l’une vers l’autre et d’attaquer ensemble par derrière le centre de l’armée perse. Bientôt la débandade y fut générale, et la fuite ne fit qu’aggraver le désastre des Perses, car il leur manquait, comme Miltiade l’avait prévu, une base de retraite où ils auraient pu se réunir et se rallier : ils furent acculés au marais et passés en masse au fil de l’épée. Les plus heureux furent ceux qui purent gagner la côte et monter, à l’aide des passerelles, à bord de leurs navires. On avait déjà vu s’éloigner, durant la mêlée, ceux qui étaient à l’ancre à quelque distance ; et même les vaisseaux qui accostaient de plus près le rivage furent si vite mis à flot et si énergiquement défendus par les archers, que les Grecs ne purent saisir et capturer plus de sept navires dans l’assaut qu’ils donnèrent au bord de la mer. Dans ce combat qui se livra moitié sur terre, moitié dans l’eau, où l’on employa la torche, l’épée et le poing, tombèrent aux premiers rangs les hommes les plus vaillants, entre autres Callimachos, qui jouit d’une renommée immortelle pour avoir donné avec son suffrage le signal du combat, et Gynégire, le frère d’Eschyle, qui, au moment où il escaladait le bord d’un navire, eut la main coupée et retomba dans la mer[31].

Quand on parcourt les descriptions sommaires que les anciens nous ont laissées du combat de Marathon, il y a deux choses qui surprennent tout d’abord. Où était donc, se demande-t-on, la cavalerie sur laquelle, dès le commencement de leurs préparatifs, les Perses avaient fondé l’espoir du succès, pour laquelle on avait abordé à Marathon, qui seule eût été capable de faire échouer toute la tactique de Miltiade ? Il n’en est fait mention dans aucun récit ; il est même dit expressément qu’elle était absente lorsque le combat s’engagea. Un second motif d’étonnement, c’est la rapidité avec laquelle s’est opéré l’embarquement des troupes perses. Il est absolument impossible de comprendre qu’il ait pu commencer durant le combat et s’effectuer après avec, tant de bonheur et si peu d’obstacles, si la flotte de guerre et les bâtiments de transport n’étaient pas déjà prêts à partir avant la bataille. Il est par conséquent très probable que les Perses, voyant la forte position et les retranchements des Athéniens, abandonnèrent le projet de marcher sur Athènes par le défilé de Marathon. Aussi bien, ils n’avaient débarqué à Marathon que parce qu’ils supposaient pouvoir s’avancer sans obstacle dans la plaine qui avoisine la capitale. Il n’entrait certainement pas dans leurs plans de forcer, par un assaut sanglant, un passage bien défendu. Ceci posé, il valait bien mieux, une fois que la cavalerie eut trouvé dans la plaine le repos et le réconfort nécessaire, aborder en uni point de l’Attique où il n’y aurait point de. défilés sur la route et où le parti qu’avaient les Perses dans la capitale serait plus en état de leur rendre des services. Je crois, en conséquence, que le matin du jour où se livra la bataille, la flotte était déjà montée par ses équipages et que la cavalerie notamment était déjà h bord. Miltiade effectua donc son attaque au moment où l’armée perse était partagée et où l’arme la plus dangereuse était éloignée du théâtre de la lutte : il assaillit le reste de troupes qui se trouvait encore à terre et protégeait l’embarquement. Pourquoi, en effet, aurait-il attendu le jour qui était à l’origine son jour de commandement, alors qu’on avait renoncé une fois pour toutes au système du commandement à tour de rôle ? On comprend très bien, au contraire, que dans la scène du combat de Marathon, telle qu’on s’habitua peu à peu à la raconter à Athènes, tout ce qui, dans la réalité des faits, paraissait faire tort à la gloire des Athéniens ait été relégué dans l’ombre[32].

La flotte longea la côte dans la direction de Sounion. On dit qu’un bouclier fut hissé sur le mont Pentélique, et que c’était un signal convenu pour faire savoir aux Perses que le moment était venu de se jeter sur Athènes. C’était une démonstration des Athéniens amis de la Perse qui, après le départ des généraux et de l’armée, avaient les coudées plus franches. Le fond de l’intrigue n’a jamais été éclairci. C’était surtout aux Alcméonides qu’on reprochait d’avoir entretenu avec l’ennemi des accointances secrètes. Quels qu’aient été les auteurs du signal donné avec le bouclier, il est difficile de croire que le fait se soit produit pendant la bataille, qui s’engagea tellement à l’improviste et dura si peu, ou pendant la fuite des Perses : suivant toutes les vraisemblances, c’est plutôt avant le combat décisif que le signal fut fait ; et alors, nous sommes en droit d’y voir la cause qui détermina les Perses à s’embarquer. En ce cas, les traîtres auraient contribué malgré eux au succès de l’attaque ordonnée par Miltiade[33].

Les vainqueurs de Marathon ne purent, après une si chaude journée, s’accorder le moindre repos. Aristide, l’homme dont personne ne suspectait la loyauté, fut laissé sur le champ de bataille avec le contingent de sa tribu, qui avait été le plus éprouvé, pour garder le butin et s’occuper des morts. Les autres corps, après une courte halte, se replièrent sur Athènes, et, le soir même du jour de la bataille, ils campaient près de la ville, au nord-est, sur la hauteur où se trouve le gymnase de Cynosarge. Quand les Perses, faisant force de rames, eurent atteint la baie de Phalère et que le jour se leva, ils virent en face d’eux les héros de Marathon, prêts à recommencer la lutte. Quelle fut la raison qui décida les Perses à s’abstenir de toute tentative de débarquement ? C’est ce qu’il est difficile de deviner. Peut-être le motif principal a-t-il été l’attitude d’Hippias.

Hippias n’était plus qu’un vieillard décrépit quand il remit le pied sur le sol de sa patrie. Jusque-là, il était resté obstinément attaché à l’idée de restaurer sa dynastie ; mais, après la journée de Marathon, il avait perdu tout espoir et le découragement s’était emparé de lui. Hippias renonçant à ses projets, les généraux étaient au bout de leurs instructions : ils n’avaient nulle envie d’agir de leur propre autorité, d’autant plus que le parti sur l’appui duquel on avait compté était également découragé par l’issue du combat livré à Marathon. On s’explique que, dans de pareilles circonstances, les généraux, même sans avoir éprouvé de pertes sérieuses (on estime à 6.400 le nombre de leurs morts), se soient décidés à rentrer chez eux avant les mauvais temps de la saison d’automne, à se contenter pour cette fois du châtiment infligé à Naxos et à Érétrie et de la soumission des Cyclades. Le chemin d’Athènes était ouvert ; ils pouvaient revenir au printemps de n’importe quelle année pour achever l’œuvre commencée.

Les Spartiates, qui avaient promis des renforts dès que serait passé le jour de la pleine lune, jour où tous les citoyens devaient assister au sacrifice en l’honneur d’Apollon Carneios, arrivèrent à Athènes le jour qui suivit la bataille, et, au lieu d’une ville menacée et anxieuse, ils trouvèrent une cité toute à la joie de sa victoire, pleine de reconnaissance envers les. dieux et d’une noble fierté. Les Spartiates poussèrent jusqu’à Marathon, admirèrent sur place l’exploit des Athéniens et retournèrent chez eux. Le témoignage que rendirent alors les guerriers de Sparte peut avoir été loyal et sincère : la politique de Sparte ne l’était pas. La nouvelle alliance n’avait pas supprimé l’ancienne jalousie ; car, si les Spartiates avaient envisagé le péril où se trouvait la cité-sœur sans arrière-pensée et en se plaçant à un point de vue national, ils n’auraient pas pris la fête Carnéenne pour prétexte à leurs temporisations, pas plus qu’ils n’auraient différé à cause d’une fête d’opposer la résistance la plus énergique à qui aurait attaqué leur propre territoire[34]. Du reste, ils n’envoyèrent que 2.000 citoyens, et cc n’était pas un roi qui les commandait. Ils reçurent la juste punition de leur duplicité : ils n’eurent point de place dans la journée qui fit le plus d’honneur aux armes helléniques, et il fut à jamais constaté que les Spartiates avaient laissé aux Athéniens, les Doriens aux Ioniens, la gloire de la première victoire remportée sur les Perses.

Le danger une fois passé, les Athéniens songèrent avant tout à s’acquitter de leurs vœux et à honorer la mémoire de leurs morts. Ceux-ci, au nombre de 192, furent ensevelis rangés par tribus, au lieu même où ils avaient succombé pour la patrie : sur leurs tombes furent érigées des stèles où étaient gravés leurs noms. Un second tertre funéraire couvrait les Platéens qui étaient tombés en alliés fidèles, ainsi que les esclaves qui avaient combattu avec les citoyens et avaient acquis par le sacrifice de leur vie le droit d’être honorés comme eux. Le champ de bataille devint un sanctuaire national[35] et un sacrifice annuel fut institué en l’honneur des morts, assimilés ainsi aux héros. La dîme du riche butin fut consacrée aux divinités secourables, Athéna, Apollon et Artémis. A Delphes aussi on dédia un ex-voto ; quant au dieu Pan, qui avait apparu au messager athénien sur le chemin de Sparte, on lui voua, en reconnaissance de l’amitié dont il avait fait preuve, une grotte sur le flanc de l’acropole et on fonda du même coup à son intention une fête annuelle avec course aux flambeaux. La grande fête triomphale fut célébrée, dix-huit jours après la bataille, à Agræ, sur les bords de l’Ilissos, le jour d’une fête d’Artémis, le 6 du mois Boédromion[36], qui était en même temps consacré à Apollon. Ce dieu portait en effet lui-même, par allusion au cri de guerre poussé lors de l’attaque, le nom de Boédromios, et c’était à l’instar de leur dieu que les Athéniens s’étaient jetés au pas de charge sur les rangs ennemis.

Pour le moment, Miltiade était tout-puissant. Il sentait sa force, et il la crut plus grande encore qu’elle n’était. Pour lui, la journée de Marathon ne devait être que le début d’une série de brillants faits d’armes ; il prétendit garder à l’avenir le commandement absolu qui avait été remis entre ses mains ; et, comme il n’avait guère envie de soumettre ses projets à une discussion publique au sein de l’assemblée du peuple, il demanda qu’on mit à sa disposition des vaisseaux de guerre et de l’argent, afin qu’il pût utiliser pour de nouvelles victoires, pendant qu’elle était toute fraîche, l’impression produite sur les Athéniens aussi bien que sur leurs ennemis par la victoire de Marathon. Un magnifique butin devait, selon lui, justifier sa demande. Ces façons mystérieuses d’agir étaient absolument contraires à l’esprit de la constitution athénienne ; mais on venait justement d’éprouver les heureux effets d’un commandement militaire absolu : on avait dans le bonheur de Miltiade une confiance aveugle ; on lui céda, par conséquent, et l’on conçut les plus orgueilleuses espérances en voyant la flotte, forte de soixante-dix vaisseaux, prendre la mer sous sa conduite. C’était, abstraction faite de la folle équipée de Sardes, la première expédition guerrière partie de l’Hellade pour attaquer le Grand-Roi ; et Miltiade ayant déjà, au pont du Danube, signalé la délivrance de l’Ionie comme le but nécessaire vers lequel devait être dirigé l’effort des armes helléniques, on s’attendait à entendre bientôt parler de succès éclatants et à voir rentrer les vaisseaux chargés d’un riche butin.

Au lieu des exploits rêvés, on apprit que la flotte stationnait inactive devant Paros. C’est que Miltiade voulait rançonner les alliés du Grand-Roi, et que les riches Pariens devaient expier les premiers le tort qu’ils avaient eu de fournir aux Perses une trirème et de combattre contre Athènes : ils devaient se soumettre et paver un fort impôt de guerre. Mais, chose à laquelle on ne s’attendait pas, les Parions, se fiant à leurs remparts, osèrent refuser l’un et l’autre et mirent ainsi Miltiade dans le plus fâcheux embarras. En effet, il n’était pas organisé pour un siège, et cependant, il ne pouvait se résoudre à quitter la place sans avoir poussé l’affaire jusqu’au bout. Ce fut du temps et de l’argent perdu : avec ses descentes et ses courses dévastatrices à travers Vile, il n’aboutit à rien. A la fin, la passion s’exaspérant chez lui, il eut recours à des moyens superstitieux. Il essaya, à ce que l’on racontait à Paros, de se glisser dans le sanctuaire de Déméter, la patronne de l'île, pour y obtenir un gage de la victoire, soit par un sacrifice secret, soit par l’enlèvement de la statue.

 

 

 



[1] Sur le caractère de Mardonius, cf. HEROD., VI, 43. Dans un autre passage (VII, 6), Hérodote signale chez Mardonios le goût des innovations et indique comme but visé par son ambition le gouvernement de l’Hellade.

[2] HEROD., VI, 46.

[3] Sur les monnaies de Thasos et leur circulation sur le continent, cf. G. PERROT, Mémoire sur l'île de Thasos, p. 21 sqq.

[4] HEROD., VI, 47.

[5] HEROD., IX, 80. L’historien attribue à ces marchés l’opulence des Éginètes.

[6] HEROD., III, 59. La leçon traditionnelle de ce passage a été mise en doute, sans motif suffisant, dans le Neuss Schweizerisches Museum, III, [1863], p. 96.

[7] POLYÆN., V, 14.

[8] HEROD., VII, 133. Cf. KIRCHHOFF, Ueber die Abfassungszeit des Herodot. Geschichtswerks, p. 24.

[9] HEROD., VI, 61-66.

[10] HEROD., VI, 67.

[11] HEROD., VI, 70.

[12] HEROD., VI, 73.

[13] HEROD., VI, 74-75.

[14] Hérodote raconte tout d’une haleine l’ensemble des faits qui se sont passés depuis la réception des ambassadeurs mèdes à Égine (VI, 49) jusqu’aux combats livrés sur mer entre Éginètes et Athéniens (VI, 92 sqq.) : il n’y a que les pilleries des Éginètes installés au cap Sounion qu’il cite comme un incident postérieur, inséré accidentellement dans le récit (VI, 90). Partant de là, Clinton, O. Müller et K. F. Hermann ont fait remonter la mort de Cléomène à l’année 491 (Ol. LXXII, 2), et O. MÜLLER (Aeginet., p. 118) admet que les combats racontés § 92-93 ont été interrompus par l’expédition de Datis et Artapherne. Il rapporte également à cette guerre le Άθηναίων τάφος, οΐ πρίν ή στρατεΰσαι τόν Μήδον έπολέμσαν πρός Αίγινήτας (PAUSANIAS, I, 29, 5), et il pense que les otages des Éginètes ont été rendus en échange de l’équipage de la galère sacrée. Cependant, il est difficile d’entasser la quantité de faits narrés par Hérodote dans le court espace de temps qui sépare l’ambassade médique de la bataille de Marathon : il est clair aussi que, au temps où fut votée la loi sur les mines, les hostilités duraient encore. Répartir avec précision les événements un à un dans le temps qui précède et qui suit la bataille de Marathon est chose impossible. Parmi les faits exposés par Hérodote, le seul que l’on puisse déterminer d’après d’autres témoignages est l’avènement de Léotychide, qui est resté en fonctions 22 ans (DION., IX, 48). Le successeur de Léotychide est Archidamos, auquel on attribue 42 ans de règne (DION., IX, 48 : XII, 35). Or, comme Archidamos commande encore l’armée en 428 (THUC., III, 1) et qu’en 426 Agis occupe sa place (THUC., III, 89), Archidamos doit être mort en 427 ou au commencement de 426. Son avènement remonte, par conséquent, à 409 ou 408, et celui de Léotychide à 491 ou 490. Donc, de toute manière, le commencement de la guerre avec Égine est antérieur à la bataille de Marathon. Pourtant, GROTE VI, p. 335, trad. Sadous) ne fait commencer les hostilités entre Athènes et Égine qu’en 488, et DUNCKER (Gesch. des Alterth., IV, 694) place en cette même année la mort de Cléomène. Ce calcul, comme aussi l’opinion que Cléomène n’est pas mort de mort naturelle, me paraissent reposer sur des raisons insuffisantes. D’après KAEGI (ap. Jahrbb. für Philol., Supplem. VI, 471), qui se rallie à la chronologie de Grote, Sparte n’aurait eu, au moment de la bataille de Marathon, qu’un seul roi, Léotychide : seulement, d’après Hérodote (VI, 75), Cléomène est resté jusqu’à la fin de sa vie en possession de la dignité royale. L’ordonnance chronologique adoptée ici pour la guerre entre Égine et Athènes est approuvée par FR. RHÜL, Die Quellen Plutarchs im Leben des Kimon, 1867, p. 42.

[15] Hérodote est assez prudent pour ne pas donner de chiffres. L’écart considérable des données fournies par les autres auteurs montre qu’il n’y avait point de tradition bien assise. Les chiffres adoptés ici sont ceux de Cornelius Nepos (Miltiad., 5), qui parait avoir suivi Éphore.

[16] HEROD., VI, 99.

[17] HEROD., VI, 100 sqq.

[18] Les motifs qui ont déterminé les Perses à débarquer à Marathon ont été analysés, après Leake et Finlay, par VICTOR CAMPE, De pugna Marathonia, 1867, p. 23. Sur la localité, voyez H. LOLLING, Mittheilungen des deutschen archäolog. Instit. in Athen, I, p. 67 sqq.

[19] D’après les témoignages auxquels se réfère Plutarque (Aristid., 2), Aristide et Thémistocle ont été élevés et instruits ensemble : d’après Élien (Var. Hist., III, 2), Thémistocle n’était encore qu’un écolier quand il refusa de se déranger pour laisser passer le tyran Pisistrate. Suivant ces indications, Thémistocle serait né au plus tard en 535 (Ol. LXI, 2). Mais, s’il est vrai que Thémistocle a vécu 65 ans (PLUT., Themist., 31), et si, comme nous le verrons plus loin, l’année de sa mort doit être placée après 465 (Ol. LXXIX, 1), il n’y a qu’un moyen d’accorder ces informations diverses ; c’est de supposer que l’incident dont Thémistocle enfant est le héros se rapporte non pas à Pisistrate lui-même, mais aux fils du tyran, Il y a là simplement une confusion qui se reproduit souvent entre les divers membres de la dynastie. Ceci admis, la date de la naissance de Thémistocle coïnciderait à peu près avec l’année de la mort de Pisistrate (527). Pour Aristide, la seule chose que nous sachions, c’est qu’au temps des réformes de Clisthène, c’était un jeune homme maître de ses actions. Il n’y a donc aucune raison de reculer la date de sa naissance beaucoup plus haut que la mort de Pisistrate. Cf. KLEINERT, ap. Beiträge zu den theologischen Wissenschaften von den Prof. der Theol. zu Dorpat, Bd. III [Hamburg, 1806], p. 213.

[20] PLUT., Themist., 1. Phanias soutenait, contre l’opinion commune, qu’elle était carienne ; Néanthès ajoutait : d’Halicarnasse (ibid.).

[21] Il allait au Cynosarge ou γυμνάσιον Ήρακλέους, Héraclès étant lui-même un νόθος, parmi les dieux (PLUT., ibid.).

[22] Sur la puissance des hétæries dans la vie politique à Athènes, cf. H. BÜTTNER, Geschichte der politischen Hetärien in Athen, p. 21.

[23] Le passage classique de Thucydide (I, 93) sur la construction du port d’Athènes avait été généralement interprété jusqu’ici dans ce sens que, par les trois ports, il fallait entendre trois subdivisions intérieures du port appelé Pirée. On oubliait que, dans un sens général, le nom de Pirée désigne aussi la presqu’île tout entière, comme on le voit clairement par les expressions de Pausanias (I, 1, 2) et de Strabon (p. 58). Une fois que j’eus démontré le fait dans mon étude De portubus Athenarum, 1842, p. 44, il ne restait plus de place pour Phalère dans la région où l’on plaçait jusqu’ici cette bourgade qui, si elle a fait jadis partie de l’ancien groupe des douze villes, doit cependant avoir eu son acropole. Aussi Ulrichs a-t-il transporté Phalère là où l’on mettait auparavant le cap Colias. En supprimant ainsi complètement l’idée fausse d’un Pirée ou port à trois bassins, il a remis en ordre la topographie des ports de l’Attique, bien qu’il reste encore à élucider quelques points difficiles. Du reste, la rade de Phalère était certainement plus rapprochée autrefois de la ville ; ce qui n’empêche pas que le chiffre de 20 stades donné par Pausanias (VIII, 10, 1) ne soit inexact ou corrompu.

[24] BERNHARDY, Grundriss der griech. Litteratur, II3, 2, p. 18. Sur le πίναξ τής νίκης que consacre Thémistocle après les Φοινίσσαι, voyez PLUT., Themistocl., 5. O. MÜLLER, De Phrynichi Phœnissis, 1835. WELCKER, Allgem. Litterat. -Zeitung, 1803, p. 229.

[25] D’après la correction apportée par BÖCKH (Abhand. der Berlin. Akad. der Wiss., 1827, p. 131) au passage de Philochore que cite Hesychius (s. v. Άγοραίος), l'Hermès Agoræos a été consacré sous l’archontat d’Hybrilide (491/0), l’année qui suivit le commencement des travaux du port (493/2 : Ol. LXXII, 1), deux ans après que le décret eut été rendu et les premiers préparatifs faits sous l’archontat de Thémistocle (494/3 : Ol. LXXI, 4). Sur le πυλίδι Έρμής, voyez WACHSMUTH (Stadt Athen, p. 208. 519) qui est tenté d’en placer l’érection à l’époque qui suit les guerres médiques.

[26] Hérodote (VIII, 92) raconte comment, pendant la bataille de Salamine, Polycritos fils de Crios, qui avait été livré en otage aux Athéniens (VI, 73), cria à Thémistocle d’un ton ironique : N’est-il pas vrai, Thémistocle, que nous sommes bien des gens dévoués au Mède ?

[27] Le chiffre le plus exact paraît être celui-là : 900 de chaque tribu (SUIDAS, s. v. Ίππίας). Pausanias (IV, 25, 5) dit pas tout à fait 10.000, et ailleurs (X, 20, 2), il abaisse même le chiffre à 9000, en y comprenant les vieillards et les esclaves. Cornélius Nepos (Miltiad., 5) compte 10.000 hommes, y compris les Platéens. Cf. BÖCKH, Stantshaushaltung der Athener, I, 360. Justin (II, 9) dit qu’il y avait 10.000 hommes sans compter les Platéens.

[28] Sur la part prise par les esclaves à l’expédition, cf. HERBST, Die Schlacht bei den Arginussen, 1855, p. 20. L’auteur arrive difficilement à prouver, même avec le secours de Pausanias (VII, 15, 7), que des esclaves ont combattu dans les rangs des hoplites athéniens. Voyez là-dessus BÖCKH, op. cit., I, p. 365.

[29] La date de la bataille se trouve déterminée par les recherches chronologiques de BÖCKH (Zur Geschichte der Mondcyclen, p. 65) dont les résultats, en dépit des objections de Grote, ne laissent subsister de doutes que sur quelques points accessoires. La date donnée par Plutarque (6 Boédromion) s’explique par la confusion qu’on rencontre fréquemment entre le jour de la fête d’actions de grâces et celui de la bataille : la fête fut célébrée en pleine tranquillité, après réunion de plusieurs assemblées populaires. La bataille eut lieu aussitôt après la pleine lune qui précéda immédiatement le 6 Boédromion, par conséquent dans le mois Métagitnion, qui commença avec la nouvelle lune du 20 août. Le courrier envoyé à Sparte, Phidippide, y arriva le neuvième jour de la lune (HER., VI, 106) : les Spartiates se mettent en marche après la pleine lune du mois courant (c’est-à-dire, chez eux, du mois Carneios), et la tête de la pleine lune à Sparte tombe le 9 septembre. Ils partent donc le 10 ; le 13, ils arrivent à Athènes, un jour après la bataille (PLUT., Legg., p. 608) ; le jour de la bataille est donc le 12 septembre (17 Métagitnion). Les discordances possibles entre le calendrier d’Athènes et celui de Sparte déplaceraient peut-être la date de quelques jours, mais il n’y a pas lieu d’admettre un écart considérable.

[30] La place assignée à la tribu Æantis ne tient pas, comme le pense GROTE (VI, p. 210, trad. Sadous), à ce que Marathon faisait partie de cette tribu, mais, comme Grote lui-même l’a soupçonné à bon droit (ibid.), à ce que Callimachos en était membre. Là où était le polémarque, là était aussi sa tribu ; or, le polémarque avait le commandement de l’aile droite. C’est aussi l’avis de SAUPPE, De creatione archont. atticorum, Göttingen, 1864, p. 26. L’ordre des neuf autres tribus fut réglé par le sort : c’est ainsi que les tribus Léontis et Antiochis se rencontrèrent au centre.

[31] Sur les représentations figurées de la bataille de Marathon, voyez O. JAHN ap. Gerhards, Archäol. Zeitung, 1866, p. 222.

[32] Je persiste aujourd’hui encore à penser que c’est là la seule manière d’expliquer l’allure de la bataille de Marathon, comme j’ai cherché ale démontrer dans les Göttinger gelehrte Anzeigen, 1859, p. 1013. L’absence de la cavalerie est un fait dont le souvenir s’est conservé sous une forme précise dans Suidas (s. v. Χωρίς ίππεΐς). FINLAY (Transactions of the Royal Society of Literat., III, p. 373. 385) pense que la cavalerie était si peu considérable qu’elle n’aurait pu jouer un rôle décisif (alors, pourquoi les Perses l’ont-ils amenée ?), et que cette cavalerie se trouvait précisément à faire du fourrage à l’extrémité nord de la plaine (comment a-t-elle fait ensuite pour se trouver à bord des vaisseaux ?). Un passage de Théopompe (Fragm. Hist. græc., I, p. 306) atteste qu’il y avait une manière moins ambitieuse d’expliquer la journée de Marathon. Cf. N. WECKLEIN, Sitzungsber. der Bair. Akad., 1876, p. 275 sqq. Sur la façon dont s’obscurcit de bonne heure la notion de la réalité vraie, cf. V. CAMPE, De pugna Marathonia, 1867, p. 7. Campe convient que les difficultés les plus graves se trouvent écartées par mon hypothèse ; mais demander qu’on explique encore par surcroît les lenteurs et l’indécision des Perses, c’est être trop exigeant. L’orgueil des Perses ne leur permettait pas de se mettre à l’abri derrière les marais : et les marais n’étaient pas non plus aussi étendus qu’ils le sont aujourd’hui. Sur la valeur du butin fait dans le camp, il n’y a pas de tradition constante, et le fait qu’il y avait encore à terre quelques trésors ne me parait pas tirer à conséquence.

[33] Le signal du bouclier sur le Pentélique est un fait indubitable : mais Hérodote (VI, 121. 123) repousse comme une calomnie l’accusation portée contre les Alcméonides. Cf. KIRCHHOFF, Abhandl. der Berlin. Akad., 1871, p. 57 sqq. et NITZSCH, ap. Rhein. Mus., XXVII, p. 243 sqq.

[34] Les exemples énumérés par KAEGI (ap. Jahrbb. für Philol., Suppl., VI, p. 450) ne prouvent pas que les Spartiates fussent retenus par la fête Carnéenne, mais seulement que cette solennité a dû leur servir souvent de prétexte pour faire la guerre sans énergie.

[35] Il y avait là un πρόπαιον λίθου λευκού (PAUSAN., I, 32, 5) ; mais on ne saurait dire de quelle époque.

[36] HERMANN, Gottesdienstliche Alterthümer, § 56, 3.