HISTOIRE GRECQUE

TOME DEUXIÈME

LIVRE DEUXIÈME. — DE L’INVASION DORIENNE AUX GUERRES MÉDIQUES (SUITE).

CHAPITRE CINQUIÈME. — LES LUTTES AVEC LES BARBARES.

 

 

§ IV. — LES PERSES SUR LE CONTINENT EUROPÉEN.

Dans l’intervalle, l’empire perse avait éprouvé lui-même les secousses les plus violentes, et, au moment même où il avait si brillamment agrandi sa puissance au dehors, des événements intérieurs l’avaient mis à deux doigts d’une complète dissolution.

A vrai dire. les entreprises gigantesques des armées perses, qui devaient ajouter aux possessions héréditaires de l’empire asiatique tout une partie du monde, étaient loin d’avoir entièrement réussi. Cambyse, qui se fiait en aveugle à la fortune de ses armes, s’en vit abandonné lorsque, emporté par son orgueil, il ne voulut phis mettre de bornes à son ambition. Il dut redescendre la vallée du Nil avec les débris de son armée épuisée, avant d’avoir fait encore la cinquième partie de la route qui devait le mener chez les tribus indépendantes de l’Éthiopie, et, des 50.000 hommes qu’il avait envoyés au sanctuaire d’Ammon, il survécut à peine un messager pour lui apporter la nouvelle des ouragans furieux qui leur avaient fait trouver dans les déserts et les sables de la Libye une mort affreuse[1]. Il dut renoncer même à son entreprise contre Carthage, dont il caressait depuis longtemps le projet, parce que les Phéniciens lui refusaient leurs vaisseaux pour cette expédition[2].

Le Grand-Roi dut donc reconnaître que sa puissance avait des bornes, sur terre et sur mer ; cependant, malgré tous ces insuccès, il avait immensément agrandi l’héritage paternel ; l’empire des Pharaons, cet ennemi séculaire des États de l’Asie occidentale, l’inabordable pays du Nil, qui depuis des milliers d’années se suffisait à lui-même et s’enfermait dans un isolement dédaigneux, était devenu, avec tous ses trésors et ses merveilles, une province de la Perse ; le culte des idoles, que les peuples d’Iran regardaient comme un sacrilège, était tombé dans le mépris devant Aroumazda. Les farouches populations de l’Arabie prêtaient hommage au Grand-Roi ; les flottes des Phéniciens et des Grecs étaient à ses ordres ; les Libyens, protégés par leur ceinture de déserts, envoyaient des ambassadeurs à Memphis, et l’on voyait venir de la Syrte les présents des Grecs de Cyrène[3].

Cambyse avait lui-même bien changé au cours de ses campagnes. La bonne fortune lui avait inspiré un orgueil de sultan ; la mauvaise ne fit qu’exciter la violence de ses passions et acheva de compromettre sa situation vis-à-vis des Perses. Déjà, avant l’expédition d’Égypte, il avait secrètement fait disparaître son jeune frère Bartiya, connu des Grecs sous le nom de Smerdis, en qui semblaient revivre les hautes vertus de son père. Depuis lors, harcelé par le cri de sa conscience, il se plongeait chaque année plus avant dans les excès de la cruauté et de l’arbitraire, déshonorant par son ivrognerie et ses extravagances brutales le trône de Cyrus. Les pays qui formaient le domaine propre de la couronne étaient à l’abandon ; la discipline et les mœurs nationales dégénéraient dans le pays d’Iran ; on sentait qu’il manquait le bras d’un maître sachant régner.

Le parti mède, resté puissant clans l’Iran, exploita cet état de choses. Il paraît même que Cambyse, par défiance pour les grandes familles perses, avait confié au mage Patizeithès l’administration de son palais et de ses trésors, avec des pouvoirs extraordinaires. Cet homme le trahit : il déclara le trône de Cyrus vacant, fit passer pour le jeune fils de Cyrus son propre frère Gaumata qui avait avec Bartiya, le prince assassiné, quelque ressemblance[4], et, dans le trouble général de l’empire, le parti des Mages réussit à faire triompher l’imposture. On trouva des partisans dans le pays en parlant à des peuples las de batailles de les délivrer du service militaire et des impôts de guerre : la mort soudaine de Cambyse qui, à son retour d’Égypte, était mort dans un accès de colère sauvage (521 : Ol. LXIV, 4) contribua à affermir le faux Bartiya sur le trône[5]. Ainsi, pendant que les peuples croyaient être gouvernés par un fils du grand Cyrus, les Mages avaient retiré le pouvoir à sa race et reporté en Médie le siège du gouvernement.

Mais les grandes familles de la Perse n’étaient pas décidées à renoncer de si bonne grâce à, leurs droits. Leurs chefs, représentants des sept plus nobles maisons, se réunirent pour aviser à la situation. Ils étaient égaux entre eux ; mais il y en avait un que l’antique dignité de sa race et sa proche parenté avec Cyrus mettaient sans contredit au premier rang : c’était Hystaspe, chef de la branche cadette des Achéménides, que Cyrus avait laissé derrière lui en Perse comme son vicaire. C’était un homme déjà avancé en âge. Il avait par conséquent transmis sa charge, avec ses honneurs et ses devoirs, à son fils Darius, qui avait alors vingt-huit ans. Celui-ci eut de suite le prestige du souverain de race[6] ; l’on dit même que déjà Cyrus l’avait vu une fois en songe assis sur son trône et couvrant de l’ombre de deux ailes immenses l’Asie et l’Europe.

Avec l’appui de ses pairs, il réussit à fonder la seconde monarchie perse, fondation tout aussi glorieuse qu’avait été la première. La faction des Mages fut surprise et massacrée dans sa citadelle médique, et sa domination fondée sur le mensonge anéantie ; mais il fallut une série de lui tes pénibles pour reconstituer de fond en comble l’empire désagrégé, habitué au désordre et comme sorti des gonds, pour briser sur tous les points la résistance et la trahison, et pour reconquérir les satrapies qui s’étaient rendues indépendantes. Au bout de cinq ans environ, le jeune prince put considérer sa victoire comme complète et élever, pour en perpétuer le souvenir, un monument grandiose sur la route militaire qui va de Babylone à Suse. Le monument de Bagistana[7] est, pour l’histoire grecque elle-même, d’une importance capitale : il indique un moment décisif dans l’évolution historique de l’Asie, c’est-à-dire, l’achèvement de l’œuvre commencée par le massacre des Mages, le rétablissement de l’empire perse, du vrai culte d’Aroumazda et de la politique hardie des Achéménides, qui ne voulait pas laisser à moitié chemin l’œuvre entreprise par Cyrus, l’assujettissement des Grecs. Le triomphe de Darius rendait inévitable la lutte entre les Hellènes et les Barbares, ou, comme on peut dire maintenant que la différence est bien tranchée, entre l’Asie et l’Europe.

Le fils d’Hystaspe[8] n’avait le caractère ni d’un ambitieux ni d’un conquérant. Il avait pu constater en Égypte à quels périls entraîne l’appétit démesuré des conquêtes ; il avait fait toute l’expédition, dans l’entourage intime et sous les yeux de Cambyse. Il est certain qu’il avait, pendant ces années de guerre, beaucoup observé et beaucoup appris. Le contraste avec l’empire solidement constitué des Pharaons, à qui toutes les révolutions n’avaient pu faire perdre son unité, avait fait ressortir à ses yeux les côtés faibles de l’organisation du grand empire asiatique. Le trône médique était tombé sans résistance parce que l’empire manquait de cohésion ; c’était un agrégat de pays et de peuples d’autant moins unis qu’ils étaient plus éloignés du centre de l’État. Il voyait l’empire perse aller au-devant d’un sort semblable si tous ces pays divers n’arrivaient pas à temps à une fusion intime, et si l’idée de l’unité nationale, telle qu’il l’avait rencontrée en Égypte, n’était pas réalisée h peu prés dans les mêmes conditions. Il eut l’esprit de comprendre sa tâche, le courage de l’entreprendre, l’énergie de l’accomplir ; et voilà pourquoi Darius a sa place et son rôle dans l’histoire du monde.

Les États vassaux devinrent des provinces, les provinces des membres d’un empira, et ces membres furent reliés en un tout par une constitution politique commune. En dépit des privilèges de la race perse, tous durent également se reconnaître sujets du trône. Suse ne fut plus seulement la première ville, mais le vrai centre de l’empire et le siège du gouvernement. Il se forma à la cour une nouvelle aristocratie de fonctionnaires ; les rangs hiérarchiques en furent assez régulièrement constitués pour entretenir une ambition que la volonté du Grand-Roi pouvait seule satisfaire ; la Sublime Porte devint l’école où l’État forma ses serviteurs pour la paix et pour la guerre. Les relations intérieures furent facilitées par la création de routes et de canaux, le commerce extérieur par la recherche de nouvelles voies maritimes, et la somme des ressources nationales s’accrut ainsi dans des proportions inattendues. Mais les progrès de la prospérité matérielle ne devaient servir que l’intérêt de l’État. Darius avait appris en Égypte de quelle façon on peut exploiter un pays, comment toutes les forces qu’il contient doivent être portées à la connaissance et mises à la disposition de l’autorité gouvernementale. Dans ce but, il fit dresser un cadastre général de l’empire, mesurer le sol, estimer le revenu, et fixer pour chaque province la part d’impôt foncier qu’elle devait fournir. L’Inde paya son tribut en or, les dix-neuf autres satrapies en talents d’argent ; la somme totale s’éleva à 86 millions de francs environ. On continua de percevoir un supplément important de contributions en nature : le principal produit de chaque pays devait être offert au Grand-Roi en tribut. De plus, il y avait une foule d’impôts indirects et de redevances particulières, comme celle que l’on payait pour user des aqueducs royaux, et d’autres régales très productives. Enfin, les biens immédiats de la couronne produisaient des revenus considérables qui prenaient aussi le chemin de Suse. Avec tout cela, l’on constitua un trésor royal, et les gouverneurs furent rendus responsables vis-à-vis du Grand-Roi de la rentrée régulière de tous les impôts et de leur versement au Trésor. Ils étaient déjà, rien que de ce chef, obligés de veiller par tous les moyens possibles au maintien de l’ordre et de la discipline, ainsi qu’à la sûreté des communications dans leurs provinces respectives.

Le roi attacha une importance particulière à la question du numéraire et mit son amour-propre de roi à frapper une monnaie qui, par le fini de l’empreinte, la pureté du métal[9] et l’exactitude du poids, fit à jamais honneur à son nom. Pour les espèces d’or et d’argent. il se rallia au système de Crésus. La principale pièce d’or de l’empire, le statère de Darius ou darique, comme les Grecs l’appelaient, pesait 8 gr 40, la moitié du statère phocéen, et valait plus de vingt-six francs. Le darique était le soixantième de l’ancienne mine babylonienne (poids faible) ; mais on suivit encore les habitudes des Grecs en ce que l’on compta, non pas 60, mais 50 de ces unités pour, une mine, de sorte que le talent valait, non pas 3600, mais 3000 statères. Or, c’était là tout simplement le talent euboïque, qui devenait désormais l’unité de poids de l’empire perse[10].

Toutes ces institutions reflètent d’une manière frappante les rapports réciproques des anciens peuples civilisés. Le système de poids originaire de l’Orient avait produit chez les populations grecques du littoral la monnaie ; de la côte, celle-ci avait passé dans l’intérieur des terres, d’abord en Lydie, où elle était devenue monnaie royale, mais en conservant son caractère républicain, puis en Perse, où l’on avait imité la monnaie gréco-lydienne. Mais ici l’empreinte de la cité disparait ; la monnaie porte comme emblème la figure du Grand-Roi, du monarque, dont la volonté est l’âme et le soutien de l’État. On l’y voit, l’arc dans la main gauche, le bâton dans la main droite, parcourant d’un pas rapide les contrées de l’empire[11], symbole vivant de l’unité nationale qui repose sur sa personne et de sa souveraineté partout présente. Ainsi la monnaie devint, dans toute la force du terme, monnaie royale et monnaie d’État ; sous cette forme, elle a contribué plus que tout le reste à relever aux yeux des Grecs le prestige de l’empire : elle devint l’arme la plus dangereuse des Achéménides[12].

Les monnaies et les frappes locales ne furent point pour cela supprimées : il y eut encore les monnaies des villes du littoral et les monnaies des satrapes, qui conservèrent les armes des villes, de Sinope, de Cyzique, par exemple, ou y substituèrent leurs propres armoiries[13]. Mais les pièces d’or et d’argent marquées à l’effigie du Grand-Seigneur étaient seules acceptées à leur valeur nominale dans les caisses royales. C’était là la seule monnaie proprement dite. On laissa aussi aux satrapes la fabrication de la menue monnaie d’or, à partir du quart de Urique.

C’est ainsi que l’État fut transformé de fond en comble. Tous les ressorts en furent plus fortement tendus ; un nouvel esprit administratif prit la place des vieilles habitudes. Qu’il y ait eu des transitions pénibles, donnant lieu bien souvent à des plaintes et à des murmures, c’est ce dont on ne saurait douter. En comparaison de l’ancien régime patriarcal où l’impôt prenait la forme de dons volontaires au Grand-Seigneur, l’organisation nouvelle avait l’air d’une grande spéculation financière, et le dicton populaire répéta depuis lors que Cyrus avait gouverné l’empire en père, Cambyse en maître, et Darius en usurier. Cependant le roi sut punir et étouffer toute manifestation de mécontentement ; grâce à ses nombreux agents, il était partout présent et invisible, instruit de tout, et il tenait grands et petits dans un respect mêlé de terreur.

C’est ainsi que s’était organisé, en face des Grecs, un empire qui dépassait en étendue et en puissance tout ce qu’on avait vu jusque-là. Les villes ioniennes de la côte et des îles, au complet désormais depuis l’importante occupation de Samos, formèrent, sous le nom d’Iouna, une province tributaire (pli s’étendait de la Lycie à l’Hellespont. Une deuxième comprenait les côtes de la Propontide et du Bosphore, avec Dascylion pour siège de son gouvernement. La Mysie avait pour capitale Sardes ; la Cilicie, avec ses villes grecques de la côte, relevait du satrape de Tarse[14]. Les villes furent laissées à elles-mêmes ; mais on y surveilla le mouvement politique et on s’arrangea de façon que, dans les plus importantes, il y eût toujours au gouvernail des hommes sur qui l’on pût compter, des hommes qui s’étaient fait une haute situation parmi leurs concitoyens comme chefs de partis et qui se maintenaient au pouvoir grâce à l’influence perse, des hommes, par conséquent, qui savaient fort bien que leur domination finirait vite dès que les commandants des troupes impériales cantonnées dans le voisinage leur retireraient leur appui. Au nombre de ces tyrans soutenus par le Grand-Roi se trouvaient Histiée à Milet, Æaque, successeur de Syloson, à Samos, Strattis à Chios, Laodamas à Phocée, Aristagoras à Kyme, un autre du même nom à Cyzique, Daphnis à Abydos, Hippoclos à Lampsaque, et bien d’autres, tous hommes de valeur qui furent de grande utilité à Darius dans le conseil et dans l’action. Comme ils espéraient fonder dans leurs villes des dynasties sous son patronage, il était de leur intérêt d’y maintenir de toutes manières l’ordre et la tranquillité, et de se tenir prêts à rendre à l’empire toute espèce de services.

Quoique l’organisation de l’empire absorbât entièrement les pensées de Darius, il ne pouvait cependant se borner longtemps à ce rôle pacifique. Il lui fallait des exploits guerriers pour prouver qu’il était un digne successeur de Cyrus ; d’autant plus qu’on inclinait à voir dans sa manière de gouverner un certain manque de hardiesse et d’initiative. De plus, il avait, pour l’arracher à son repos et le tirer de son palais, l’ambition de son épouse Atossa, la fille de Cyrus, qui se considérait comme le trait d’union entre la branche aînée et la branche cadette et se sentait appelée à conserver Ma puissance perse l’attitude guerrière que son père lui avait donnée[15].

Cependant, les entreprises de Darius présentent un caractère tout particulier. Instruit par les expériences de ses prédécesseurs, il chercha à éviter et les grandes conquêtes et les entreprises continentales. Son dessein était d’arrondir l’empire et de lui donner, par la découverte de nouvelles routes maritimes, une part toujours plus grande dans les relations internationales. A l’est, son but était d’appuyer l’empire aux Alpes indiennes, d’occuper la vallée de l’Indus jusqu’aux frontières du désert, d’ouvrir l’Inde à ses caravanes el le fleuve à ses vaisseaux. Il reconnut comme. limite de son empire, au sud, le désert d’Arabie, au nord, les steppes des peuples touraniens. A l’ouest, au contraire, il n’y avait pas de limites naturelles ; car les bras de mer étroits qu’on rencontrait de ce côté semblaient n’être là que pour inviter à passer sur le continent opposé, dont l’annexion devait paraitre le complément naturel des possessions acquises. Les Thraces d’Asie étaient déjà soumis à Darius ; les monnaies d’argent de Thasos étaient un échantillon des trésors de la Thrace d’outre-mer. Mais ce qui l’attirait particulièrement, c’était ce qu’il entendait raconter de l’or des Scythes, des grands fleuves navigables qui traversaient leur pays et qui débouchaient, disait-on dans un vaste bassin maritime. Il espérait ouvrir dans ces pays de nouvelles routes au commerce et il pensait qu’une seule expédition, conduite par terre le long des côtes et soutenue par sa flotte, lui permettrait de réunir à son empire une série de villes importantes. Des bandes scythes qui servaient dans son armée promettaient de faciliter l’entreprise ; aussi, après avoir fait faire par Ariaramne une reconnaissance préalable des côtes, il résolut de conduire en personne la grande expédition qui allait amener pour la première fois les armées de l’Asie occidentale sur le continent européen (vers 513 avant J. -C. Ol. LXVI, 4).

Les messagers royaux appelèrent pour la première fois aux armes toutes les forces militaires de l’empire réorganisé, et les ports de l’Ionie en particulier déployèrent une activité incroyable. C’est là que se trouvaient les ressources sur lesquelles Darius devait fonder tout l’espoir de sa campagne. C’est de là aussi que lui étaient venues les sollicitations qui l’avaient surtout décidé à agir. En effet, les tyrans des cités ioniennes espéraient trouver là une occasion de se distinguer par des services signalés et d’en obtenir la récompense ; quant aux villes, elles avaient avec le Pont-Euxin des rapports si étroits qu’une interruption de ces rapports eût été pour elles la ruine. Elles espéraient que l’expédition de Darius les rendrait encore plus complètement maîtresses de ces contrées, qu’elles pourraient s’affranchir du tribut payé par elles aux princes scythes, et se délivrer une fois pour toutes de l’inquiétude permanente où les tenait la crainte de leurs incursions. Elles espéraient enfin pouvoir étendre avec plus de sécurité leurs relations commerciales au-delà de l’étroite bande de littoral dont il leur avait fallu jusque-là se contenter. C’est ce qui explique la participation générale de l’Ionie à l’entreprise : on aurait presque dit une expédition nationale ionienne. Les dynastes ioniens formèrent le conseil de guerre du Grand-Roi, et tout ce que l’Ionie possédait de connaissances pratiques, d’art, de procédés techniques, d’expérience et d’aptitude pour la navigation, sembla n’avoir été amassé que pour aider le roi des Perses dans sa grande entreprise. On n’avait pas encore vu s’étaler si complètement au grand jour ce que l’Ionie, prise dans son ensemble, pouvait déployer d’énergie.

On donnait bien du même coup au roi de Perse le moyen de soumettre les villes grecques du rivage opposé ; on l’aidait à réduire et à rétrécir toujours davantage le territoire de la Grèce indépendante : mais on ne s’en inquiéta guère dans les places de commerce. Au contraire, il n’est pas douteux que les Grecs d’Ionie, les Samiens particulièrement, qui, du reste, avaient déjà été en lutte avec les colonies doriennes, n’aient vu avec plaisir les deux colonies de Mégare, Chalcédoine et Byzance, devenir les premiers points de mire visés par l’expédition. C’est ainsi que les premières villes grecques du continent occidental furent livrées aux Barbares par des Grecs. Le chef des ingénieurs samiens, Mandroclès, n’eut pas honte de considérer comme un des hauts faits du génie grec le pont du Bosphore, qui fut construit sous ses ordres pour permettre au despote d’Asie d’attacher aux mains de l’Europe leur première chaîne ; il osa conserver dans le sanctuaire national des Samiens un tableau qui représentait le pont de bateaux et le passage de l’armée devant le trône et sous les yeux du roi[16]. Darius lui-même, lorsqu’il atteignit l’entrée du Bosphore et que, debout à l’endroit où des marins grecs avaient élevé leur autel à Zeus Ourios, il porta pour la première fois son regard sur la mer et sur les côtes du Pont, fit élever en souvenir de cet instant mémorable deux colonnes sur lesquelles était gravée, en écriture cunéiforme perse et en langue grecque (tant l’entreprise était à ses yeux perse et grecque à la fois), la liste des peuples qui composaient son armée.

Son premier objectif fut l'Ister. Les vaisseaux des Ioniens s’avancèrent par une route bien connue d’eux jusqu’à l’embouchure de ce fleuve, pour construire un pont au-dessus du point où il se divise ; l’armée de terre s’avançait en mène temps par le territoire des Thraces et des Gètes et, comme une marée montante, s’accroissait en route des contingents de ces peuples, dont les chefs furent forcés de suivre l’expédition. Parmi ces peuplades figurait celle des Dolonces qui, sous le gouvernement de leurs princes issus de la maison athénienne des Cypsélides, occupaient la langue de terre baignée par l’Hellespont. Miltiade avait élevé, au point le plus étroit de l’isthme, un mur transversal pour protéger contre les Barbares du nord son petit empire péninsulaire. Il avait également cherché à prendre pied sur le continent opposé et était entré de la sorte en relation avec Crésus, qui sut apprécier à toute sa valeur le prince athénien. Leurs rapports furent même si intimes que, Miltiade étant tombé un jour entre les mains des habitants de Lampsaque, Crésus menaça de détruire leur ville s’ils ne délivraient immédiatement leur prisonnier[17]. Miltiade, mort sans enfants, eut pour successeurs ses neveux, les fils de ce Cimon qu’avaient mis à mort les Pisistratides : d’abord Stésagoras, sous lequel la lutte contre Lampsaque continua, et ensuite Miltiade, qui s’était entouré d’une garde et avait conçu le plan hardi d’étendre sa domination sur les côtes et sur les îles voisines, lorsque l’expédition de Darius vint le surprendre et l’obligea à servir malgré lui d’instrument à des plans de conquête étrangers.

C’est sur l'Ister que se rejoignirent les deux corps de l’armée perse ; la flotte remonta le fleuve pendant deux jours. Il est très probable que Darius, en homme prudent qu’il était, n’avait d’autre dessein que de faire du Danube la frontière de son empire, comme l’était l’Indus à l’est. Le pont de bateaux ne devait servir qu’à porter au delà du superbe fleuve le témoignage de la puissance du Grand-Roi, et à répandre dans la contrée du Danube la terreur de ses armes. Qu’il n’eût pas l’intention de s’avancer sans mesure et sans but de l’autre côté du fleuve, c’est ce qui ressort déjà de ce fait que son retour au pont était attendu au bout de deux mois au plus tard. Darius songeait plus aux découvertes qu’aux conquêtes ; il voulait reconnaître le pays, et prétendait à la gloire d’égaler son prédécesseur Cyrus en portant le nom du dieu des Perses dans les déserts du Touran, avec une armée perse pour escorte d’honneur.

Dans cette expédition, les troupes s’égarèrent au milieu de steppes sans chemins tracés, à la poursuite des Scythes qui rôdaient çà et là autour de l’armée. Elles se trouvèrent dans une pénurie extrême ; le retour ne put avoir lieu dans le délai convenu, et les princes ioniens laissés en arrière à la garde du pont, se trouvant sans nouvelles de l'armée, eurent l’idée de couper le susdit pont. d’abandonner le roi, et de saisir l’occasion pour anéantir sans péril toutes ses forces militaires. De toutes les conspirations qui avaient menacé la puissance de Darius. celle-ci était de beaucoup la plus redoutable. Elle avait pris naissance chez les tribus qui avaient été contraintes les dernières à suivre l’armée l’Athénien Miltiade, qui voyait tous ses plans anéantis par l’invasion perse, s’en était fait le promoteur, et elle aurait infailliblement abouti avec toutes ses incalculables conséquences si, cette fois encore, on ne se fût trouvé Grecs contre Grecs. Histiée prit la parole parmi les princes d’Asie-Mineure qui régnaient dans les cités grecques Sous la suzeraineté de Darius. Il n’eut pas de peine à les convaincre que sa domination à Milet et celle de chacun des autres princes étaient si intimement liée à la puissance du Grand-Roi qu’anéantir celle-ci serait de leur part un véritable suicide. Comme d’ailleurs. en thèse générale. les Ioniens ne pouvaient que tirer gloire et profit de l’expédition. comme ils s’en promettaient en outre pour leur commerce les plus grands avantages, l’avis d’Histiée l’emporta, et sauvé par lui, Darius repassa heureusement avec le reste de son armée sur la rive droite du Danube.

On ne tenait, dans une expédition perse. aucun compte de la vie des hommes : en dépit des pertes qu’elle avait coûté, l’expédition chez les Scythes put être célébrée comme un grand exploit du monarque. De fait. l’empire des Achéménides avait été considérablement agrandi : l’Hellespont et le Bosphore avaient cessé d’être des barrières politiques. et lister était devenu la frontière de l’empire.

Mais on avait encore beaucoup à faire pour organiser en satrapies le vaste territoire compris en-deçà de cette limite et y faire reconnaître l’autorité du Grand-Roi. Dans ce dessein, Darius laissa derrière lui Mégabaze, qu’il considérait comme un de ses hommes d’État les plus déliés et de ses généraux les plus habiles et qu’il honorait comme tel d’une confiance toute particulière. avec une armée de 80.000 hommes : pour lui, il franchit l’Hellespont à Sestos et remonta vers la Haute-Asie, non sans avoir pris toutes les dispositions pour garantir le rivage asiatique du détroit, dans le cas où les Scythes songeraient à prendre leur revanche par des incursions en Asie. En effet, longtemps encore après l’invasion perse, ils restèrent très agités et fort peu décidés à respecter la frontière du Danube ; dans les premières années qui suivirent, leurs bandes pillardes se montrèrent jusque sur le rivage de la mer Égée, au point que Miltiade dut fuir devant eux et abandonner son domaine,

La tâche militaire de Mégabaze était double ; car il avait affaire aux peuplades indigènes et aux villes maritimes grecques[18]. Les dernières seules lui opposèrent une résistance vigoureuse, en particulier Périnthe, la colonie samienne qui s’élevait en larges terrasses sur une péninsule de la Propontide, clans une position excellente pour la défense. Cependant, affaiblie déjà par les attaques des Péoniens, elle dut céder devant les forces supérieures de Mégabaze et se rendre. Après avoir de la sorte assuré ses derrières, celui-ci tourna à l’ouest et pénétra clans la Thrace proprement dite, dont la population était divisée en un si grand nombre de tribus qu’on ne pouvait s’attendre à une sérieuse résistance. tapins puissante de ces tribus était celle des Péoniens, établie sur les bords du Strymon et, apparentée aux Phrygiens et aux Troyens. Les Péoniens travaillaient aussi alors — leurs guerres avec Périnthe en témoignent — à accroître leur puissance et à s’emparer de la mer. Ils se trouvèrent violemment arrêtés dans leur développement ; non seulement ils durent rendre hommage à Darius, mais encore une grande partie d’entre eux devinrent ses sujets et se virent transportés dans l’intérieur de l’Asie-Mineure[19].

Ainsi, l’armée de Mégabaze s’était avancée jusqu’au Strymon qui, avec l’énorme volume de ses eaux, le vaste marécage lacustre où il glisse à travers les roseaux et le golfe profond où il se jette après avoir fait brèche dans le massif du Pangée, forme au milieu du littoral de la Thrace une frontière bien accusée. Il est vrai qu’on ne put soumettre ni les montagnards du Pangée, ni les villages bâtis sur pilotis dans la dépression occupée par le lac du Strymon ; cependant des envoyés partirent pour faire reconnaître par les peuples qui habitaient plus loin, au delà des régions baignées par le fleuve, la puissance du roi des Perses. L’empire le plus considérable qu’on rencontrât de ce côté était celui des Macédoniens, alors gouverné par le roi Amyntas[20]

Amyntas appartenait à une branche collatérale des Téménides d’Argolide. Durant les troubles qui interrompirent la succession régulière. des rois d’Argos, vers le milieu du neuvième siècle avant J.-C., Caranos était venu en Macédoine et y avait acquis chez les tribus alpestres qui la peuplaient une puissance royale, devenue ensuite héréditaire dans sa famille. Ce n’était pas un pouvoir despotique, mais une autorité réglée dès le début par des lois et des conventions réciproques. Toute l’histoire de l’empire se rattache à la race des Téménides et commence avec Perdiccas qui, des hauteurs de sa forteresse d’Ægæ, s’avança clans la basse Macédoine, l’ancienne Æmathie, et fonda par cette conquête l’empire des Téménides. Cependant, il s’était écoulé après la mort de Perdiccas tout un siècle durant lequel des guerres incessantes avec les Illyriens avaient arrêté les progrès de ses successeurs ; en effet, les Illyriens ne se pressaient pas seulement autour des frontières de l’empire. ils formaient encore dans la Macédoine même une grande partie de la population, partie énergiquement réfractaire à la culture grecque.

Amyntas, cinquième successeur de Perdiccas, commença à se sentir les mains plus libres et put s’occuper des affaires extérieures. C’est lui qui noua des relations avec les Pisistratides et qui, lors de l’expulsion d’Hippias, offrit à ce prince le territoire d’Anthémos sur le golfe de Thessalonique, en vue de se servir de lui, comme Gygès s’était servi des Milésiens, pour prendre pied sur la côte. La civilisation grecque régnait dans la maison d’Amyntas, et son fils Alexandre se l’était assimilée avec une ardeur passionnée : à ses yeux, l’avenir de la Macédoine était tout entier dans l’alliance avec les États helléniques. Aussi, tandis qu’à l’approche de la puissance perse le vieux roi croyait devoir se résigner à l’inéluctable nécessité, la nature bouillante du jeune prince fut tellement révoltée par les prétentions des Achéménides qui voulaient lier sa patrie aux destinées d’un empire asiatique, et par l’insolence tout orientale de leurs envoyés, qu’il lit assassiner ces derniers dans l’appartement des femmes, à la cour de son père ; toute leur maison et leur pompeux équipage tomba aux mains des Macédoniens. Néanmoins, une entente pacifique s’établit ensuite avec les Perses, qui pour le moment n’étaient pas en état d’employer la force. Amyntas prêta hommage à Darius, et l’empire de ce dernier s’étendit nominalement jusqu’aux frontières de la Thessalie. Toute la partie septentrionale des Alpes grecques fut vassale des Achéménides, et de male que les Doriens étaient descendus jadis de la Macédoine vers le sud, les Barbares songeaient à s’avancer un jour comme eux dans la région inférieure, pour étreindre à l’ouest comme à l’est la mer Égée englobée dans leurs possessions.

Les tyrans ambitieux des cités grecques encourageaient ces plans, en particulier Histiée de Milet, qui avait réclamé, pour prix du service rendu le jour où il avait sauvé le roi et son armée, le territoire de Myrcinos sur le Strymon. Cette possession offrait en perspective à l’habile prince une foule de riches bénéfices. Là, il avait des mines d’or et d’argent, une provision abondante de bois de construction et une plage riche en ports. Il s’y croyait assez loin de Suse pour agir à sa guise, sans être dérangé dans ses plans. Il se mit promptement à l’œuvre et il était en train de se construire une solide enceinte de murailles et de fonder sur le Strymon une grande ville destinée à devenir une nouvelle Milet, le rendez-vous des peuplades voisines, une sorte de capitale de la côte de Thrace. De là, il comptait, avec l’aide des vents étésiens du nord, dont l’importance au point de vue de la domination de l’Archipel ne pouvait lui échapper, conquérir les villes du sud. Mais, à ce moment, Mégabaze revenait de sa campagne contre les Péoniens ; il vit les immenses préparatifs d’Histiée et pénétra les desseins ambitieux de l’Hellène qui, comme tel, lui était odieux. Il ne lui fut pas difficile d’éveiller les soupçons de Darius. La conséquence fut qu’on manda Histiée à Suse, et que, sous prétexte que le Grand-Roi ne pouvait se passer de sa présence, on le retint à la cour.

Le successeur de Mégabaze dans le commandement des troupes royales chargées d’étendre et de consolider la domination perse sur les rivages de la mer hellénique fut Otanès. Il conquit les deux villes du Bosphore, Byzance et Chalcédoine, força les cités éoliennes encore indépendantes à faire leur soumission, et s’allia ensuite avec Coès, à qui Darius avait donné l’île de Lesbos en récompense de sa fidélité dans l’affaire du pont du Danube. Son but était de faire avec lui une expédition à main armée, dirigée contre Lemnos et Imbros. Les Lemniens, après une vaillante résistance, furent mis sous le gouvernement de Lycarétos, frère du Samien Mæandros. Ainsi, la Propontide et les détroits du nord, avec les principales îles situées tout en haut de la mer Égée, par conséquent, les positions les plus importantes dans une attaque contre la Grèce, étaient aux mains des Perses. L’ambition des gouverneurs aussi bien que la politique du Grand-Roi, dont le regard était obstinément fixé sur l’Occident, permettaient de prédire à coup sûr que l’on ne s’en tiendrait pas là. Un concours remarquable de circonstances, d’incidents grands et petits, contribua à précipiter les événements.

Au nombre de ceux qui avaient accompagné le tyran Polycrate dans le voyage qui devait lui coûter la vie, se trouvait son médecin Démocède. Il avait été retenu comme esclave par Orœtès ; et, lorsque ce satrape, qui traitait ses amis comme ses ennemis avec le sans façon le plus outrageant et finit par se révolter contre le Grand-Roi lui-même, eut été mis à mort par ordre de Darius, le Crotoniate dont les premiers États de la Grèce s’étaient disputé la possession resta à Sardes, oublié, enchaîné dans une prison sordide, songeant avec une tristesse poignante au pays natal.

Il advint alors que, Darius s’étant foulé le pied à la chasse, on fit chercher dans toute l’étendue de l’empire des hommes au courant de la médecine ; car les médecins égyptiens, qui à Suse passaient pour les meilleurs, avaient par des pratiques violentes fait empirer le mal, et le roi se retournait sur sa couche sans pouvoir y trouver le sommeil. C’est alors que l’on songea au Crotoniate. On le tira de sa prison de Sardes. Tout d’abord, il voulut dissimuler son art ; aucune perspective d’honneur ni de profit ne pouvait le consoler de la patrie absente. Mais la feinte ne lui réussit pas. Il devint médecin du roi, riche, honoré et envié, surtout du jour où il eut le bonheur de guérir aussi la fille de Cyrus d’un abcès au sein. Mais il ne songea toujours à profiter de ce nouveau succès que pour se ménager la possibilité du retour. Il ne cessait d’attirer l’attention d’Atossa sur la Grèce ; et plus elle entendait parler de l’adresse et des talents des Grecs, plus elle caressait la pensée de se voir servie par des femmes de Sparte, d’Athènes et de Corinthe. Elle était assez instruite de la situation de la Grèce pour persuader à Darius qu’une expédition contre les petits États de la côte occidentale offrirait peu de risque et beaucoup de profit. Darius consentit à envoyer de ses gens, sous la conduite de Démocède, pour explorer l’Hellade d’outre-mer. Le plan imaginé par le rusé médecin se trouva ainsi mis à exécution.

Ce fut à peu près au temps on Hipparque était assassiné au Céramique d’Athènes et où Mandroclès jetait un pont sur le Bosphore que deux galères royales, somptueusement équipées, sortirent du port de Sidon pour promener le pavillon perse dans les eaux de la Grèce. Elles avaient à bord quinze Perses du plus haut rang, et un vaisseau de transport qui les accompagnait portait, entre autres choses, de nombreux présents pour la famille du médecin. Celui-ci, qui était à la fois le prisonnier et le guide, sut conduire par le plus court chemin l’escadre au terme de ses désirs, c’est-à-dire aux rivages de la Grande-Grèce. Les voyageurs furent retenus à Tarente, et là, Démocède s’échappa pour se rendre à Crotone. Les Perses l’y suivirent et, sur la place publique de sa ville natale, ils réclamèrent encore une fois le serviteur du Grand-Roi en menaçant de sa vengeance ; mais Démocède ne leur fut pas livré. Il se maria à Crotone avec la tille de Milon, dont la renommée avait déjà été portée par lui jusqu’à Suse, et les Perses errèrent sans guide sur la mer Ionienne jusqu’à ce qu’enfin, après bien des traverses, un Tarentin voulut bien les reconduire dans leur pays[21].

Ainsi, avant même l’expédition de Scythie, Darius s’était trouvé déjà en rapports hostiles avec les villes de la Grèce italique. Mais, pour l’Hellade proprement dite, Sardes restait le point central des relations entre Perses et Grecs. A Sardes, Darius avait établi son propre frère Artapherne ou Artaphrène[22] comme gouverneur, tandis que le fils de Mégabaze, Œbarès, tenait à Dascylion son quartier-général. Ce fut vers Artapherne que se tourna Hippias fugitif, sachant avec quelle sollicitude le gouverneur avait mission de surveiller les affaires de la Grèce. Pour cette raison aussi, les Athéniens avaient commencé par échanger avec lui des ambassades, rapports qui avaient amené bien vite une situation très tendue et finalement hostile. Sparte avait été excitée contre la Perse par des envoyés des Scythes, qui surent gagner le roi Cléomène en lui remplissant sa coupe de vin pur[23]. On forma de vastes plans de guerre, d’après lesquels les Scythes devaient pénétrer en Médie par la mer Noire et les Péloponnésiens partir d’Éphèse pour envahir l’intérieur. L’agitation gagnait tous les États et tous les peuples ; on sentait de toutes parts que de grands événements étaient proches et que, depuis l’avènement de Darius, les deux côtés de l’Archipel étaient engagés dans un mouvement commun qui ne pourrait trouver ultérieurement sa voie qu’à-travers de sanglantes guerres de races.

Cependant, le retour du Grand-Roi à Suse fut suivi d’abord d’une accalmie générale qui ne fut troublée qu’au bout de plusieurs années, par des complications toutes nouvelles et inattendues.

 

 

 



[1] Sur l’expédition de Cambyse, en Égypte, voyez HEROD., III, 1 sqq.

[2] HEROD., III, 19.

[3] HEROD., III, 13. IV, 165.

[4] HEROD., III, 61.

[5] Sur le règne du faux Bartiya, voyez DUNCKER, Gesch. des Alterthums, II3, p. 794.

[6] Darius était déjà roi du vivant de Cambyse (RAWLINSON, Journal R. Asiat. Society, vol. X, part. III, p. 272. BOSANQUET, Transact. of Soc. of Bibl. Archæology, I, p. 255).

[7] Όρος τό καλούμενον Βαγίστανον [Béhistoun] (CTESIAS ap. DIODOR., 13).

[8] Darius (Dariyavousch) règne 36 ans, d’après le canon d’Hérodote et de Manéthon (CLINTON, Fasti Hellenici, éd. Krüger, p. 320).

[9] HEROD., IV, 166.

[10] D’après BRANDIS, Münzwesen, p. 55. ce n’est pas aux Grecs que Darius aurait emprunté ce mode de division de la mine et du talent. Il y avait aussi comme monnaie d’argent le σίγλος μηδικός, du poids de 5 gr. 57. Un darique d’or valait 15 claniques d’argent.

[11] En ce qui concerne la figure de roi courant sur les dariques, cf. E. CURTIUS, Ueber die knieenden Figuren der altgriechischen Kunst, Berlin, Winckelmanns-Programm, 1869. p. 7.

[12] A partir de Darius, le système monétaire de la Perse se répand de plus en plus (BRANDIS, op. cit., p. 203).

[13] BRANDIS, op. cit., p, 240.

[14] Voyez dans Hérodote (III, 90) la liste des satrapies (c’est-à-dire désormais des provinces administrées par des fonctionnaires royaux) ou nomes de l’Asie-Mineure.

[15] HEROD., III, 134. VII, 3.

[16] HEROD., IV, 87.

[17] HEROD., VI, 37.

[18] Sur le caractère et les agissements de Mégabaze, voyez HEROD., V, 1 sqq.

[19] HEROD., V, 13 sqq.

[20] Sur la Macédoine, voyez ci-dessous, vol. V (Livre VII, ch. I)

[21] HEROD., III, 135-138.

[22] Sur le nom de Άρταφέρνης ou Άρταφρένης voyez STEIN, Vindic. Herodot., p. 8.

[23] HEROD., VI, 84.