LA CIVILISATION DE LA GRÈCE ANTIQUE

DEUXIÈME PARTIE. — L’APOGÉE DE LA CIVILISATION GRECQUE.

CHAPITRE VIII. — LA SOCIÉTÉ ET LES MŒURS.

 

 

Pour quelles raisons Athènes doit être principalement considérée dans ce chapitre. — Pour se faire une idée juste d’un peuple, il ne suffit pas de considérer ses institutions politiques ou religieuses, ni même les œuvres de ses altistes ou de ses penseurs, si instructives qu’elles soient d’ailleurs ; il faut encore se représenter sa vie sociale, c’est-à-dire les relations des hommes entre eux, leurs manières de vivre et leurs mœurs, Mais lorsque ce peuple nous apparaît, comme le peuple grec, divisé en un grand nombre d’États ayant chacun leur esprit, leurs lois et leurs coutumes, comment rassembler ces traits multiples en un tableau unique ? D’ailleurs, Athènes est presque la seule cité grecque sui la vie intérieure de laquelle nous ayons assez de renseignements pour qu’il soit possible d’en parler en connaissance de cause, Mais, comme cette cité a été manifestement aux Ve et IVe siècles avant notre ère, le centre où a convergé tout ce qu’il y eut de plus intéressant et de plus caractéristique en ce temps, il y a peu d’inconvénient à s’attacher à elle de préférence, C’est Athènes, en fait, qui a mis alors son empreinte sur la civilisation grecque et c’est d’elle que procède tout ce qui en a survécu de meilleur dans la suite. On peut dire qu’elle en contenait donc toute la substance, En lui attribuant une importance historique privilégiée, on ne fait que constater une évidente réalité.

I. — LES DIVERS ÉLÉMENTS DU PEUPLE ATHÉNIEN.

Citoyens, métèques, étrangers de passage. — Rappelons d’abord de quels éléments se composait à cette époque la population de l’Attique. L’ancienne division en classes, distinguées par le cens, avait perdu beaucoup de son importance dans le cours du Ve siècle, toutes les charges étant devenues accessibles à tous. Dès lors, plus de distinctions essentielles entre les citoyens. Tout Athénien, à partir du jour où il atteignait l’âge de sa majorité, jouissait de la plénitude de ses droits Les femmes, par contre, sui la condition desquelles nous reviendrons un peu plus loin, restaient toujours mineures devant la loi. Mais, sans parler d’elles pour le moment, il s’en fallait de beaucoup que la population de l’Attique fût uniquement composée de citoyens. Elle comprenait, en outre, un nombre considérable d’étrangers domiciliés, désignés du nom de métèques, et une foule, plus considérable encore, d’esclaves et d’affranchis. Ajoutons enfin les étrangers lion domiciliés, ceux qui étaient seulement de passage à Athènes, pour leurs affaires ou pour leur plaise.

On comptait à Athènes, vers la fin du IVe siècle, dix mille Métèques, nombre égal à la moitié de celui des citoyens[1]. La plupart d’entre eux étaient des Grecs, qui étaient venus s’établir là, soit pour s’y livrer au commerce, soit pour profiter des facilités d’enrichissement qu’on y trouvait plus qu’ailleurs. Toutefois, il y avait aussi des Asiatiques, Lydiens, Phrygiens ou Syriens, presque tous fabricants ou négociants. Si Athènes se montrait plus hospitalière envers ceux qu’aucune autre cité grecque, c’est qu’elle comprenait mieux sans doute le profit qu’elle tirait de leur présence. Toutefois, elle ne leur ouvrait pas ses portes sans conditions. Le métèque devait avoir un patron, le prostates, choisi par lui entre les citoyens athéniens ; faute de ce patronage, il était exposé à une poursuite criminelle, à la suite de laquelle il pouvait être réduit en esclavage. Il avait, en outre, à payer une taxe spéciale, le métoikion, qui, d’ailleurs, ne l’exemptait pas de certains autres impôts. Comme les citoyens, il servait, soit dans la marine, soit dans l’armée de terre. En somme, les métèques n’avaient pas à se plaindre du sort qui leur était fait. Un certain nombre d’entre eux, qui étaient des gens d’affaires entendus, amassaient de grosses fortunes. Bien entendu, Athènes, de son côté, tirait profit de leur séjour. Leur présence et leur activité contribuaient grandement à sa prospérité.

Les étrangers de passage y contribuaient aussi, sans contracter avec elle de liens réguliers. On a eu l’occasion de dire précédemment, à propos des sophistes et des artistes, combien d’hommes renommés jugeaient opportun de faire, en quelque sorte, sanctionner leur réputation par le public athénien Ce fut à ces illustres visiteurs autant qu’à ses propres citoyens que la cité de Périclès dut l’avantage de devenu la capitale intellectuelle d’un pays si divisé politiquement.

II. — LES PROFESSIONS.

Les Professions. — Citoyens ou étrangers, les Athéniens se répartissaient naturellement entre un grand nombre de professions.

L’agriculture. — Nous avons vu que l’agriculture avait peu à peu perdu de son importance dans l’économie athénienne par le développement de la vie urbaine. Ce n’est pas à dire, toutefois, qu’elle eût cessé d’y terri sa place Il y avait toujours en Attique, sinon d’immenses propriétés, comme à Rome — la Grèce n’a jamais connu les latifundia — du moins d’assez grands domaines, d’autres d’étendue moyenne et un nombre considérable de petits. La production des céréales y était insuffisante, malgré tout, pour nourrir la population, et l’on devait faite venir du dehors une quantité notable de blé. Mais la culture de l’olivier donnait en abondance une huile de qualité supérieure, qui était en grande partie exploitée ; et, quelle que fût l’aridité du sol dans la partie montagneuse du territoire, beaucoup de paysans tiraient du peu de telle qu’ils cultivaient de quoi satisfaire à peu prés leurs besoins. Aristophane, dans plusieurs de ses comédies, nous a fait connaître le petit cultivateur clé son pays, économe et laborieux, ne demandant que la paix pour récolter les fruits de sa vigne et de ses figuiers. Et d’autre part, Thucydide nous apprend que beaucoup de citadins même, avant la guerre du Péloponnèse, avaient à la campagne leur installation préférée. Il est peu probable que ces habitudes se soient complètement perdues au siècle suivant.

L’industrie. — Néanmoins, c’était l’industrie, sans cesse en progrès, qui tendait manifestement à prévaloir. Certaines exploitations extractives, marbres du Pentélique, mines d’argent du Laurium, mines d’or du Pangée étaient une source de richesses, qui profitait soit à des fortunes privées, soit à l’Etat. Mais c’était sui tout par le travail de ses artisans qu’Athènes manifestait son activité industrielle. Elle avait des fabriques d’armes, de meubles, d’objets divers, dans lesquelles le bon goût s’associait à l’habileté technique. Sans parler des artistes proprement dits, architectes, peintres, sculpteurs, les ouvriers décorateurs, orfèvres, potiers, et beaucoup d’autres voués à des travaux d’un ordre moins relevé, tels que forgerons, maçons, charpentiers, ou encore les tisseurs et les foulons, les teinturiers et les parfumeurs formaient une partie importante de la population urbaine. La ville était pleine d’ateliers, renommés par la qualité de leurs produits. Certains chefs d’industrie y travaillaient eux-mêmes, assistés d’ouvriers libres ou d’esclaves spécialisés, tandis que d’autres s’en réservaient seulement la direction générale et le profit laissant la surveillance technique à quelque homme de confiance, souvent è un affranchi intelligent. Ces ateliers étaient toujours assez restreints ; d’ordinaire, ils ne comptaient guère plus d’une dizaine d’ouvriers, souvent moins, rarement plus de vingt ou trente. Point de machines à proprement parler ; un outillage simple ; rien par conséquent d’analogue à nos industries modernes ; pas de classe ouvrière, comme il en existe aujourd’hui dans presque tous les pays ; en revanche, nombre de petits patrons qui se distinguaient à peine de leurs employés, ayant à peu près même vie, même régime, même costume.

Commerce. — Comme l’industrie, le commerce avait pris, au Ve siècle, un rapide essor, qui s’accrut encore au IVe. Les exploitations d’huile, de vins, de meubles, d’armes et en général d’objets fabriqués, les importations diverses, particulièrement celle des blés, y avaient donné naissance à un grand négoce et à de grosses fortunes Les métèques prenaient une bonne part à ces opérations. C’était à eux qu’appartenaient quelques-unes des plus importantes maisons de commerce du Pirée. Pour satisfaire aux besoins de ce commerce, se multiplia au IVe siècle une nouvelle classe de gens d’affaires, les banquiers ou trapézistes, qui pratiquaient soit le change, rendu nécessaire par la diversité des types monétaires en circulation, soit les opérations de crédit indispensables aux armateurs. D’ailleurs, ils n’étaient pas moins utiles au petit et au moyen commerce, notamment aux nombreux détaillants qui débitaient leurs marchandises dans les boutiques, les échoppes ou les divers marchés. C’est pourquoi ils s’étaient accoutumés à installer leurs tables sur l’agora, au centre de la ville ; c’était là qu’ils se tenaient à la disposition des petits clients, sauf à traiter sans doute à domicile avec les plus importants. Ce qu’étaient les marchés de la ville pour les Athéniens, notamment le marché aux poissons, les allusions, de la comédie nous l’apprennent ; et elles nous renseignent aussi sur l’importance des barbiers qui tenaient boutique aux alentour g des lieux fréquentés et chez qui on discutait les faits du jour ; c’étaient les officines des nouvellistes, doit s’envolaient en foule médisances et commérages.

La Ville et le Pirée. — Dans l’ensemble, cette population urbaine se faisait remarquer par sa vivacité, son enjouement, ses mots piquants, sa bonne humeur. Sans être tout à fait exempte de grossièreté, elle possédait, à un degré remarquable pour une foule, le goût du beau, la finesse naturelle, une aversion instinctive pour toute vaine ostentation. Elle savait apprécier les œuvres des artistes et celles des auteurs dramatiques, elle aimait l’élégance simple, le naturel, elle goûtait la raillerie spirituelle et saisissait vile les allusions. Habituée d’ailleurs à la pratique des affaires, elle ne manquait pas de jugement, lorsqu’il s’agissait de choses qu’elle connaissait bien. Son plus grand défaut était de se laisser prendre trop facilement aux beaux discours. Eprise de toutes les manifestations de l’intelligence et clouée d’une vive sensibilité, elle se délectait à écouter les raisonnements ingénieux et les paroles émouvantes et savait mal se défendre de tout ce qui la touchait ou séduisait son imagination. A tout prendre, c’était en ville cependant que se trouvait la partie de la classe industrielle et commerçante la plus capable de prudence et de modération A cet égard, elle différait de la population du Pirée, bien plus mêlée et plus turbulente. Là étaient les travailleurs du port, les employés des docks et des chantiers, les matelots de profession, les pécheurs, auxquels se mélangeait constamment la foule bigarrée des gens d’outre-mer, Grecs des îles ou Asiatiques, Siciliens, Italiens, Syriens, Egyptiens, Libyens, marchands ou marins du Pont et des colonies lointaines, barbares des différents rivages méditerranéens, chacun apportant son langage, ses mœurs, ses superstitions. En contact quotidien avec ces hommes du dehors, les Athéniens du port prenaient eux-mêmes un esprit nouveau, plus accessible aux changements, plus dégagé des traditions. C’était dans la république l’élément le plus turbulent et le plus novateur, celui par l’intermédiaire duquel bien des choses étrangères, en religion surtout, s’introduisaient dans la cité.

III. — LA FAMILLE.

La puissance paternelle. — La famille, aux Ve et IVe siècles, avait moins changé, en apparence du moins, que la société Sa constitution fondamentale, reposant sur la puissance paternelle, était toujours la même. Elle procédait de l’idée antique de la supériorité de l’homme sur la femme. Le chef de famille détient donc une autorité qui, en principe, est à peu prés absolue, bien qu’en fait elle soit de plus en plus limitée, à Athènes sui tout, par le progrès des mœurs. Il a le droit de commander à sa femme, à ses enfants, à ses serviteurs. Il est le maître à qui toute la maison doit obéissance ; il règle, comme il l’entend, l’administration de son bien, les occupations et les obligations de chacun ; rien ne se fait chez lui sans sa permission. Sa femme n’a de liberté que celle qu’il autorise. S’il lui plait de la répudier, une déclaration devant témoins lui suffit, et il la renvoie, à la seule condition de rembourser la dot qu’il a reçue. Quant à ses enfants, il lui appartient de décider, au moment de leur naissance, s’il lui convient de les élever ; ils n’ont le droit de vivre que s’il y consent. Lorsqu’ils auront grandi, il gardera toujours celui de les exclure de sa famille par la procédure de l’expulsion (apokéryxis). Tels sont du moins ses pouvoirs légaux. Comment étaient-ils exercés ordinairement ? A Athènes, en tout cas, nous avons bien des raisons de croire qu’ils ne l’étaient guère. Les témoignages ne nous manquent pas qui nous font voir, dès le Ve siècle, des maris, comme le Strepsiade des Nuées d’Aristophane, cédant aux fantaisies de luxe et de grandeur de leur femme et singulièrement indulgents pour leurs enfants. La comédie du IVe siècle nous en dit plus encore sui ce point.

La condition des femmes. — Il est vrai que la femme athénienne, au point de vue légal, est toujours une mineure. Dans le mariage, elle a pour tuteur son mari ; devenue veuve, elle passe sous la tutelle de son plus proche parent ou d’un nouveau mari, souvent désigné par le testament du premier, fille, elle n’hérite du patrimoine paternel que si elle n’a pas de frère, et elle ne reçoit cet héritage que pour le transmettre à celui qu’elle est tenue d’épouser. La coutume veut qu’elle sorte peu de chez elle, qu’elle n’y accueille que ses proches parents ou d’autres femmes, et seulement si son mari l’y autorise. C’est une demi-recluse[2]. Pour s’occuper, elle a les soins de la maison, la surveillance du ménage, l’éducation de ses filles jusqu’à leur mariage, celle de ses fils, jusqu’à sept ans environ. Seulement ici, comme précédemment, il y aurait lieu de distinguer entre la condition légale et la situation réelle. Jamais, en aucun pays, ni les sentiments ni même les habitudes de la vie n’ont été entièrement réglées par les lois. En fait, l’influence de la femme et son rôle, à Athènes comme ailleurs, dépendaient naturellement de son caractère et de celui de son mari. Telle femme a pu être une conseillère judicieuse, souvent consultée, souvent écoutée. Telle autre a même pu avoir en réalité beaucoup plus de part au gouvernement domestique qu’un mari faible ou indécis ou indifférent. L’histoire des ménages athéniens ne se trouve chez aucun historien ; mais les témoignages qu’on peut recueillir çà et là, chez les biographes, chez les poètes de la tragédie et plus encore chez ceux de la comédie, sans parler d’un tableau d’intérieur tel que celui de la maison d’Ischomaque dans l’Économique de Xénophon, confirment suffisamment ce que la simple connaissance de la nature humaine suggère à cet égard. Le sort de la femme dépendait, sinon absolument, du moins pour une part importante, de ses qualités naturelles. Il faut reconnaître, il est vrai, qu’elle avait peu de moyens de les développer par l’éducation et que la réclusion du gynécée n’y était guère favorable non plus.

De l’éducation. — L’Etat athénien ne s’emparait pas de l’enfant dès l’âge de raison, comme le faisait l’État lacédémonien, pour le dresser à sa guise. Il laissait à la famille le soin de l’éducation et s’en remettait à l’initiative privée pour en assurer les moyens. Il n’y avait pas à Athènes d’écoles publiques. L’enseignement élémentaire était donné aux petits garçons par des maîtres bénévoles qu’on appelait les grammatistes et qui, moyennant un faible salaire, rassemblaient dans de petites classes les enfants d’un même quartier. Ils leurs apprenaient à lire, à écrire, à compter. Lorsque les petits élèves étaient devenus capables de lire, on leur faisait apprendre et réciter par cœur des morceaux d’Homère et quelque-, passages des poètes gnomiques, tels qu’Hésiode, Théognis, Phocylide, contenant des sentences et conseils pratiques. L’explication des mots, indispensable pote des enfants, leur faisait connaître beaucoup de choses. Les beaux récits homériques, même sans aucun commentaire, n’étaient-ils pas d’ailleurs par eux-mêmes une initiation excellente à la vie ? Cet enseignement très simple et peu coûteux était accessible à presque tous les enfants athéniens, du moins aux garçons, mais tous n’allaient pas au-delà. Ceux qui pouvaient poursuivre leurs études étaient confiés aux soins de maîtres plus instruits, professeurs de lettres et de musique, qui leur apprenaient à louer de la cithare, les initiaient pratiquement aux lois essentielles du rythme, et leur faisaient exécuter et chanter les morceaux les plus célèbres des poètes lyriques. Ils se trouvaient naturellement amenés à les leur expliquer d’abord. De telles leçons ne pouvaient être assujetties à aucun programme régulier ; elles variaient forcement selon la qualité d’esprit du maître. Au leste, il est clan que ce plan d’études, dans son ensemble, n’avait rien de rigoureux. Les enfants des familles aisées étaient souvent confiés à des maîtres particuliers, et ceux-ci pouvaient être des hommes de talent, dont le commerce était singulièrement profitable à des esprits bien doués. C’est dans cette classe qu’on doit ranger les sophistes dont il a été question plus haut. L’enseignement qu’ils donnaient et qu’ils faisaient payer fort cher était déjà une ébauche d’enseignement supérieur qui, à vrai dire, n’approfondissait rien, mais qui ouvrait des vues sur presque toutes les directions de la pensée.

A cette formation de l’esprit, s’ajoutait celle du corps, obtenue par les exercices physiques sagement coordonnes. Ceux-ci avaient lieu dans les palestres, oit les jeunes gens les pratiquaient sous la conduite de maîtres spécialisés, appelés pédotribes, et suivant une progression méthodique. Les principaux étaient la course, le saut, la lutte, le maniement des haltères, le lancement du disque. Toute brutalité en était soigneusement écartée, comme aussi tout excès de fatigue. On ne visait pas à former des athlètes, mais uniquement à développer la force, la souplesse, l’agilité, sans parler du courage, de l’endurance, du sang-froid, en un mot à faire des hommes sains et bien conformés. Enfin, lorsque le jeune Athénien atteignait l’âge de dix-huit ans, époque de sa majorité, il avait à faire deux ans de service militaire dans les limites de l’Attique, occupé à la garde des frontières, à la défense des points fortifiés et à la police du territoire. Au terme de cette période, il devenait citoyen et s’engageait par serment à remplir les devons attachés à ce titre. Il était prêt dès lors à tout ce que le pays pouvait exiger de lui.

Cette éducation formait, comme on le voit, un cycle bien compris, qui ne procurait, il est vrai, au jeune Athénien qu’un savoir généralement très restreint, suffisant toutefois pour donner aux bons esprits le désir de l’accroître, et pour leur inspirer l’attachement à la cité, avec le sens du bien et du beau. Les études proprement scientifiques étaient réservées à la période ultérieure, c’est-à-dire à la vie entière. Les Athéniens mettaient ainsi en pratique la maxime de Solon : je vieillis en m’instruisant. Il en résultait sans doute que beaucoup apprenaient trop tard bien des choses qu’ils auraient eu intérêt à savoir plus tôt, L’inconvénient s’en faisait moins sentir en un temps où la somme des connaissances nécessaires à un esprit cultivé était loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui.

C’était surtout l’éducation des femmes qui laissait à désirer. Pour elles, point d’écoles, les jeunes filles, à Athènes, ne paraissant en public qu’exceptionnellement. C’était donc dans la maison qu’elles devaient être instruites. Par quels moyens ? Sur ce point, nous sommes séduits aux conjectures. On doit admettre qu’elles recevaient au moins dans la classe moyenne une instruction élémentaire. Profitaient-elles indirectement de celles de leurs frères ? Ce qui est certain, c’est qu’elles savaient fort peu de chose, ou plutôt qu’à l’âge du mariage elles ignoraient presque tout de la vie. Dans l’Économique de Xénophon, nous voyons un nouveau marié se faire l’instructeur de sa toute jeune femme. Le tableau ne manque pas de grâce, mais il donne à penser. Quelle pouvait être la vie de ces femmes si peu cultivées et réduites à n’entretenir de relations qu’avec d’autres femmes semblables à elles ? Nous voyons, par les témoignages, qu’on leur reprochait souvent d’être frivoles, bavardes, indiscrètes, de se complaire aux commérages. Que leur avait-on mis dans l’esprit pour avoir le droit de se plaindre, quand on n’y trouvait rien de solide ni de sérieux ?

Les esclaves. — A la famille se rattachaient les esclaves, sauf le petit nombre de ceux qui appartenaient à l’État Devant la loi, l’esclave ne comptait pas comme une personne : c’était un corps (soma). N’ayant donc aucun droit, il était à la discrétion de son maître, qui pouvait disposer de lui à son gré, sans avoir de compte à rendre à personne. Si toutefois la loi athénienne accordait à cet être inférieur quelque protection contre certains abus particulièrement graves, c’était pure concession à un sentiment d’humanité ; rien ne lui était dû. Son témoignage même n’était reçu devant un tribunal qu’à la condition d’être affirmé dans la torture ; par lui-même, un serment d’esclave semblait sans valeur. Cela étant, on ne peut douter que beaucoup d’esclaves ne fussent assujettis à une existence fort dure, à la campagne surtout ou dans l’exploitation des mines, Tout dépendait du caractère du maître. Cependant, il semble qu’un assez grand nombre d’entre eux à Athènes n’avaient pas, à tout prendre, une vie aussi pénible qu’on pourrait le croire, La simplicité des mœurs leur était favorable. Elle diminuait la distance entre eux et les hommes libres, Mêlés à la vie de famille ils s’attachaient souvent à leurs maîtres, pour peu que ceux-ci fussent justes et bienveillants, et, par cet attachement, ils adoucissaient singulièrement leur soit. Des relations, même affectueuses, pouvaient s’établir entre des esclaves, hommes ou femmes, et les enfants qu’ils avaient vu naître, qu’ils avaient entourés de soin dans leurs premières années, Ces relations se prolongeaient dans la vie, et il arrivait que telle jeune fille, devenue femme, eût pour confidente une ancienne servante, ou que tel jeune garçon, devenu homme, trouvât dans le pédagogue qui l’avait autrefois surveillé le plus sûr auxiliaire et le meilleur conseiller, Cela explique comment on vit quelques-uns de ces humbles serviteurs, dans les temps de trouble, se dévouer pour leurs maîtres, et comment, plus souvent encore, on vit des maîtres faire de leurs esclaves leurs hommes de confiance et les associer à leurs entreprises. L’affranchissement d’ailleurs était fréquemment la récompense des bons services ; et il n’était pas rare, dans l’industrie et le commerce, que des affranchis, après avoir dirigé les affaires de leurs patrons, devinssent à leur tour chefs d’entreprises et fissent fortune. C’est ainsi que des sentiments naturels d’humanité corrigeaient, dans une certaine mesure, les vices de l’institution. Celle-ci n’en restait pas moins odieuse par elle-même. Car, indépendamment des violences qu’elle couvrait trop souvent et des souffrances quotidiennes qu’elle infligeait à beaucoup de malheureux, elle outrageait chez tous la dignité humaine et l’exposait à une dégradation presque inévitable. Reconnaissons simplement, à l’honneur de la civilisation grecque, que, si elle n’a pas su s’affranchir de cette tare, commune d’ailleurs à toute l’antiquité, c’est en Grèce du moins que se sont élevées les premières protestations de la raison et de la conscience contre cette violation du droit naturel. Elles se font entendre dès le Ve siècle dans certaines tragédies d’Euripide ; elles devaient être reprises par la philosophie et transmises par elle au christianisme.

IV. — L’EMPLOI DU TEMPS ET LES MANIÈRES DE VIVRE.

Les occupations. — Si la vie est une sorte de théâtre où se jouent incessamment des scènes variées, les quelques renseignements qui précèdent nous en ont fait à peu près connaître les acteurs. Il s’agit maintenant de les montrer en action. Transportons-nous par la pensée dans l’Athènes de Périclès et de Socrate, de Platon et de Démosthène, d’Aristophane et de Ménandre, et essayons de nous en représenter l’agitation quotidienne.

Evidemment, les occupations, les passe-temps et les plaisirs variaient beaucoup d’une classe à l’autre de la société, Mais, à coup sûr, le nombre de ceux qui restaient entièrement oisifs ne pouvait être très considérable. Songeons d’abord aux obligations passablement assujettissantes qui étaient communes à tous. Tout citoyen devait, comme tel, une par t importante de son temps aux affaires municipales et publiques. Il lui fallait, en principe du moins, assister aux assemblées du dème, de la phratrie, de la tribu, à celles du peuple ; et, s’il faisait partie du Conseil des Cinq-Cents, s’il était désigné comme arbitre ou comme commissaire, s’il siégeait dans un des tribunaux de l’Héliée, s’il exerçait une magistrature quelconque, il devait renoncer à régler librement l’emploi de son temps. D’ailleurs, indépendamment des devons publics, les simples exigences de la vie imposaient à presque tous une activité constante. Ce n’était pas une petite affaire pour quiconque possédait un peu de terre, dans ce pays de laborieuse culture, que d’en diriger ou d’en surveiller l’exploitation, alors même qu’on ne prenait pas, comme beaucoup, une part personnelle au travail ; lestait ensuite à assurer le bon emploi ou la vente des produits. Ceux qui vivaient de l’industrie avaient à suivre de près ce qui se faisait dans leurs ateliers, lorsqu’ils n’étaient pas eux-mêmes des artisans, à se faire rendre des comptes, à s’occuper de l’achat des matières premières, à se tenir au courant des demandes de la clientèle locale et de l’étranger. Que dire des négociants et des armateurs ? Ne leur fallait-il pas s’informer quotidiennement des conditions d’affrètement et de transport, se faire renseigner sui les débouchés possibles, entretenir de constantes relations avec des clients lointains et en chercher de nouveaux ? Beaucoup d’entre eux naviguaient eux-mêmes ; jeunes, ils faisaient leur apprentissage commercial en allant au loin vendre leurs marchandises et s’informer sur place de ce qu’on pouvait acheter ou débiter avec profit dans les diverses régions méditerranéennes. Il y avait là, certes, de quoi tenir en haleine bien des gens. En fait, toute la cité, ou peu s’en faut, devait être en mouvement du matin au soir.

Les loisirs. — Toutefois, l’Athénien, même de condition moyenne, savait se donner quelques loisirs. Les esclaves, qu’il faisait travailler pour lui, le dispensaient des corvées les plus ennuyeuses et des besognes trop absorbantes. Homme libre, il voulait pouvoir user de sa liberté et il se réservait du temps pour en jouir. Son humeur sociable lui faisait rechercher les occasions de causer de ses affaires et de s’enquérir curieusement de celles des autres.

Un des endroits propices aux rencontres et aux entretiens était le marché. Dès le matin, on y voyait arriver les gens de la campagne apportant les fruits, les légumes, la volaille et le gibier, les pêcheurs qui venaient vendre poissons de mer, crustacés et coquillages divers, et même des Béotiens offrant aux gourmets les anguilles renommées du lac Copais. Peu à peu, les boutiques s’ouvraient, les étalages se déployaient, les ateliers s’animaient, les esclaves s’affairaient. Vers le milieu de la matinée, l’agora était pleine, C’était l’heure, nous dit Xénophon, où Socrate s’y rendait, sûr d’y trouver à qui parler. Jusqu’au milieu du jour, il y avait foule sur la place et aux environs ; l’Athénien, même de bonne condition, ne dédaignait pas de faire lui-même son choix pour approvisionner sa table. Et, plus que tout, il aimait à regarder et à causer. Tout en passant d’échoppe en échoppe, on s’arrêtait avec des amis, on échangeait propos et informations, on recueillait au vol les bruits du jour ; c’étaient l’heure et le lieu des rencontres et des conciliabules.

D’autres endroits encore offraient d’agréables passe-temps, les palestres par exemple, où l’on pouvait voir les jeunes gens se livrer à des exercices divers, et les gymnases, où des hommes faits, parfois même des athlètes connus, donnaient le spectacle de l’agilité unie à la force et à l’adresse. On sait l’intérêt que tout Grec prenait à ces exhibitions, Ceux même qui avaient cessé de pratiquer la gymnastique trouvaient plaisir à être témoins de ces luttes, de ces courses, de ces sauts où toutes les qualités du corps se faisaient admirer tour à tour.

Mais rien peut-être n’était plus agréable aux Athéniens en général que d’entendre bien parler. A cet égard, on ne pouvait être mieux servi qu’ils ne l’étaient. Les assemblées du peuple qui avaient lieu périodiquement leur donnaient occasion d’écouter des hommes exercés à la parole, quelquefois de grands orateurs, discutant contradictoirement sur les intérêts de la république, Tantôt ces délibérations étaient de hautes leçons de politique, tantôt elles se transformaient en de véritables luttes où entraient en jeta d’ardentes passions, C’étaient là, pour les auditeurs, de véritables spectacles, tout aussi dramatiques que ceux du théâtre. A plus forte raison en était-il ainsi d’un grand nombre de procès, surtout des procès politiques, si fréquents à Athènes. A tous ceux qui y assistaient, soit comme juges, soit comme simples curieux, ces débats, où souvent un homme d’État défendait son honneur, sa fortune et même sa vie contre des accusateurs acharnés, procuraient les émotions profondes dont ils étaient particulièrement avides. Comme aux pièces de Sophocle et d’Euripide, l’admiration, la crainte, l’indignation ou la pitié agitaient tour à tour les âmes tenues en suspens par la parole des orateurs.

N’oublions pas non plus qu’Athènes était le lieu où tous les hommes de talent venaient chercher la consécration de leurs succès. Nulle part on n’avait autant d’occasions de les voir et de les entendre. Les sophistes célèbres y venaient donner des conférences, les acteurs en renom tenaient à s’y faire applaudir, les rhapsodes les plus habiles à interpréter l’antique poésie des aèdes se plaisaient à y réciter les plus beaux passages de l’Iliade et de l’Odyssée, les musiciens à la mode, un Philoxène, un Timothée, avaient à cœur d’y faire goûter leurs innovations. Et, d’autre part, il y avait dans la ville tant de chefs-d’œuvre d’architecture et de sculpture, tant de belles peintures, qu’on pouvait, rien qu’en la parcourant, se procurer les plaisirs les plus délicats. Enfin, c’était le temps aussi où le goût de la lecture était de plus en plus favorisé par le commerce des manuscrits. Il n’était guère d’Athénien cultivé, au Ve siècle et surtout au IVe qui n’en eût un certain nombre à sa disposition et qui ne prît plaisir à se les faire lire par un esclave instruit.

Une chose manquait à la Grèce de ce temps. Par suite de la clôture du gynécée, elle ne connaissait point de réunions mondaines comparables à nos salons, où la présence de femmes distinguées a contribué si efficacement au progrès de la politesse et du bon ton. Les hommes à Athènes, et dans les cités grecques en général, se réunissaient uniquement entre eux et presque toujours pour banqueter. Certaines maisons riches étaient largement hospitalières. Le maître se faisait honneur de tenir en quelque sorte table ouverte et d’y recevoir ses amis, dont le cercle pouvait être fort étendu. La chère y était délicate, comme il convient, et l’on avait à cœur d’y faire régner la gaieté. Après le repas, l’usage étant que l’on servît aux convives des vins de plus en plus généreux et que la réunion joyeuse se prolongeât autour des coupes foi t avant dans la nuit, quand ce n’était pas jusqu’au matin. On ne tenait pas pour un scandale que les cerveaux fussent plus ou moins troublés par les fumées du vin ni même que plus d’un convive finit par s’endormir sur le champ de bataille. Comme on peut bien le penses, on ne buvait pas en silence. Souvent les invités étaient priés de chanter tour à tour en s’accompagnant sur la cithare. D’autres fois, on se livrait à divers jeux de société ; ou encore, l’hôte faisait venir des joueuses de flûte, des bouffons, des mimes, chargés de divertir les assistants. Ces usages avaient donné naissance à une classe d’hommes qu’on appelait les parasites et qui étaient, pour ainsi dire, des convives professionnels. Flatteurs, tantôt insinuants, tantôt éhontés, ils savaient se faire inviter par tout et se passaient au besoin d’invitation. Si le bouffon était absent, ils le remplaçaient. Prêts à tout supporter, pourvu qu’on les laissât manger et boire à discrétion, ils se laissaient bafouer et tourmenter, prenant tout en plaisanterie. On conçoit que la présence de ces êtres dégradés n’était pas sans provoquer de fâcheux abus. Il était difficile qu’une certaine grossièreté ne se mêlât pas au laisser-aller qu’autorisait la nature même de ces réunions. Nous pouvons en juger encore par quelques-unes de celles qui nous ont été décrites. Elles sont même d’autant plus significatives qu’elles se passent dans un milieu où l’on se piquait de philosophie. Xénophon nous a dépeint un de ces banquets où figurent des gens posés ; les chansons y sont remplacées par de petites improvisations oratoires où chacun des convives à son tour fait preuve d’esprit ; encore est-il que la soirée s’achève par une pantomime fort libre. Platon, avant lui, avait représenté un autre banquet, qu’il a rendu justement célèbre. On sait comment il y a mis en scène des personnages de conditions diverses, qui dissertent l’un après l’autre sur l’amour. Aux ingénieux éloges qu’ils en font succède un admirable discours de Socrate, par la bouche duquel Platon expose les plus hautes idées. Nous sommes transportés quelques instants par son génie en pleine poésie, dans une région de rêve et de pensée tout à la fois. Mais, tout à coup, Alcibiade ivre fait irruption. Le ton change brusquement ; au dénouement, nous voyons tous les convives assoupis près de leurs coupes vides, à l’exception de Socrate, qui seul a tenu bon. Ce n’est pas là, on en conviendra, la peinture d’un salon Ainsi cette belle œuvre elle-même nous découvre, par ses contrastes, ce qu’il y avait de relâchement dans les mœurs athéniennes.

Sur ce point d’ailleurs, les témoignages abondent. Ils s’offrent à nous chez les historiens et les biographes, chez les compilateurs d’anecdotes tels qu’Athénée et dans ce qui nous reste des comédies du temps ; et ils nous sont fendus sensibles par les scènes figurées, qu’on peut voir sur un grand nombre de vases réunis dans les divers musées. Ils nous révèlent clairement le rôle que jouaient à Athènes les courtisanes de toute classe, depuis les plus vulgaires jusqu’à celles qui ajoutaient à la séduction de la beauté le charme de l’esprit. Leur succès est la meilleure preuve du tort que se faisait à elle-même la société grecque par la réclusion qu’elle imposait aux femmes honnêtes et par l’insuffisance de l’éducation qu’elle leur donnait.

V. — RÉSUMÉ DE LA SECONDE PARTIE.

J’ai passé en revue, dans ce chapitre et dans les trois précédents, les principaux aspects de la civilisation grecque à l’époque de son plein épanouissement. La suite de cet exposé nous en fera voir la diffusion, mais aussi l’affaiblissement. C’est le moment de résumer brièvement les traits qui sont ses titres d’honneur, sans négliger de rappeler ce qu’elle a tenté avec moins de succès.

Il est incontestable que le libre développement de la personnalité chez les individus, qui est, comme je l’ai dit au début, une des fins sociales, a été brillamment réalisé dans plusieurs cités grecques : en Ionie, dans certaines colonies d’Italie et de Sicile, mais surtout à Athènes. Ce fut en partie l’effet des qualités propres de la race, en partie celle des circonstances qui l’ont favorisée, notamment de ses contacts fréquents avec des peuples étrangers. Nulle part, l’humanité n’a produit, dans un espace de temps restreint, autant de talents divers ni autant d’œuvres originales si voisines de la perfection. La pensée, sous toutes ses formes, s’est montrée la plus créatrice que partout ailleurs, et, dans toutes ses créations, elle restée maîtresse d’elle-même, toujours soucieuse de mesure, toujours éprise de clarté. Jamais ni la puissance de l’imagination, ni l’intensité pathétique du sentiment n’ont dégénéré dans ses œuvres en violence ni en désordre. C’est pourquoi elle a réalisé, dans les arts comme dans la littérature, des types de beauté qui n’ont jamais été surpassés. Et à ce sens exquis s’est ajoutée souvent une pénétration de l’intelligence qui a permis à ses penseurs de poser, sinon de résoudre, presque tous les grands problèmes qui sollicitent l’esprit humain, souvent même d’en pressentir partiellement certaines solutions. Enfin, c’est en Grèce aussi qu’ont été énoncés pour la première fois un certain nombre des principes qui ont peu à peu adouci les instincts violent, et préparé une humanité meilleure. Ce sont là d’incontestables bienfaits, qui confèrent à la Grèce antique le droit d’être considérée comme la principale éducatrice du monde moderne.

Mais le développement personnel de l’individu n’est que l’une des fins sociales, l’autre étant l’organisation même de la société. A cet égard, la Grèce a fait des essais variés, qui sont en somme supérieurs en intérêt et en valeur à presque tous ceux que nous offre ailleurs l’antiquité, Ce ne sont toutefois que des essais, dont aucun n’a été complètement heureux. Elle a constitué des républiques de types divers qui ont fait preuve de vitalité ; quelques-unes ont été grandes par le patriotisme de leurs citoyens ; il en est qui ont réalisé l’égalité devant la loi, au moins partiellement, et qui, constituées en démocraties, ont créé, dans une certaine mesure, un régime de liberté. Mais les différences qui existaient entre elles les ont mises en conflit les unes avec les autres, et presque aucune d’elles n’a trouvé dans ses institutions la garantie de la paix intérieure. Il n’en est donc pas une qui puisse être proposée en exemple à un Etat moderne. Ce que la Grèce antique nous a légué d’utile, en ce qui concerne la politique, ce sont, d’une part, des expériences instructives, qu’il faut savoir interpréter, et, de l’autre, les enseignements que ses historiens et ses philosophes en ont tirés. Expériences et enseignements sont du moins un sujet de méditations singulièrement profitables.

 

 

 



[1] Athénée, VI, 103 (p 272 c), d’après le recensement de Démétrius de Phalère.

[2] Ce qu’il y a de plus beau pour une femme, dit Macarie dans EURIPIDE, c’est d’observer le silence et la réserve, c’est de se tenir paisiblement dans sa demeure (Héraclides, v. 476-477)