LOUIS XI ET LE SAINT-SIÈGE

1461-1483

 

CONCLUSION.

 

 

Louis XI, ce maistre avec lequel il falloit charrier droict, mourut donc en pleine gloire. Il put s'éteindre avec la conscience d'avoir bien rempli son office de roi.

L'œuvre de ce souverain passionné pour sa grandeur qu'il confondait avec celle de la France, de ce prince vraiment digne de son rang et de sa race, fut on le sait immense. Il augmenta singulièrement le prestige de la royauté française et, malgré les petitesses très réelles de son caractère, il fut un grand monarque.

Dans ses relations avec la papauté, ce prince, plus politique que belliqueux, plus heureux quelquefois que prévoyant, sauvegarda, dans la mesure du possible, et ce fut là son plus grand mérite, la prérogative royale. Ce fut un génie presque unique qui, plein de superstition, mais ayant un fonds sincère de religion, agit le plus souvent comme s'il n'en avait que fort peu et qui, grâce à cela même, sut beaucoup oser. Il en usa avec Dieu et avec son représentant sur terre comme avec ses voisins, se flattant de leur donner pareillement le change par des démonstrations auxquelles le cœur n'eut jamais grande part.

Ce souverain qui mettait dans les moindres affaires les plus grands moyens en œuvre pour en tirer quelque avantage, le plus saige pour soy tirer d'ung mauvais pas, en temps d'adversité, le plus humble en parolles et en habitz qui se enquist de tant de choses et qui voulut congnoistre tant de gens, eut en tous ses desseins, et surtout en matière religieuse le sens du possible.

Sa conduite trouve son explication — sinon sa justification dans la morale princière de l'époque et il n'est ni meilleur ni pire que ses contemporains. Il fut plus rusé peut-être qu'eux, et il ne choque pas à côté d'un Francesco Sforza, d'un Lorenzo de Medici, d'un Ferrante, d'un Sixte IV.

Aussi fut-il craint et doubté et il mist en telle subjection ses ennemis qu'ils vindrent tous par devers luy à mercy.

Ses rapports avec le Saint-Siège sont dominés par deux questions primordiales d'une part, la tentative d'établissement d'un régime particulier entre l'Eglise gallicane, la royauté et la papauté, d'autre part, la question italienne.

La politique religieuse du roi est identique à celle du Saint-Père. La duplicité de part et d'autre, telle est la caractéristique de cette politique. Chacun des deux adversaires cherche à tromper l'autre, mais ils sont tous deux maîtres en cet art et ils n'y parviennent point.

Le souverain pontife a peut-être un avantage plus marqué sur le roi par suite de son caractère sacré et surtout des difficultés intérieures parfois inextricables au milieu desquelles louvoya continuellement la diplomatie avisée de Louis XI.

Fort de ses droits, le pape a toujours l'arme de l'excommunication levée sur le roi. Il peut, soit en Italie, soit dans le royaume, par la Bourgogne, la Bretagne, l'empire même, brouiller tout à son aise l'écheveau royal.

La politique pontificale apparaît en somme comme plus nettement conduite que la politique royale. La papauté a recouvré, grâce à l'abolition de la Pragmatique, tous ses droits sur l'Eglise de France. Dès ce moment, les papes, qu'ils s'appellent Pie II, Paul II ou Sixte IV, luttent toujours avec un remarquable esprit de suite, pour conserver cette souveraine puissance qui leur a été rendue, profitant très habilement de tous les embarras de Louis XI. Le roi est en effet obligé, par suite des multiples obstacles qu'il doit surmonter, d'avoir une politique au jour le jour mais ce n'est qu'en apparence seulement. Aussi les souverains pontifes ne se résignèrent-ils à lui céder une parcelle d'autorité que lorsque, débarrassé de tous soucis, Louis XI put, en essayant de les dominer, les forcer de composer avec lui.

Quant à Louis XI, c'est merveille de le voir manœuvrer. Personnage moderne, malgré les idées du temps qu'il partage, mais dont il sait fort bien s'affranchir quand l'occasion l'impose, il joue avec une dextérité sans pareille de la Pragmatique, du concile, de la croisade, des Etats italiens. C'est un artiste consommé, un tyran au sens antique et italien du mot. Sa souplesse est extraordinaire. Tour à tour humble et soumis, belliqueux et cassant, il évoque les grands diplomates du XVIe et du XVIIe siècles.

Son attitude varie avec les adversaires contre lesquels il combat. Avec le bouillant et délié Pie II, il complète son apprentissage diplomatique. Il berne Paul II, tient tête à Sixte IV et le force à partager avec lui.

Les moyens dont se servent les deux protagonistes sont toujours les mômes, et les effets médiocres. Les menaces du pape ne sont jamais mises à exécution. Le roi, par ses mesures violentes, effraie souvent les successeurs de Pierre et obtient ainsi, la plupart du temps, ce qu'il désire.

La politique royale n'est d'ailleurs qu'un perpétuel recommencement, et l'on peut facilement en résumer les principales étapes.

Louis XI détruit d'abord l'œuvre paternelle en révoquant la Pragmatique, mais Pie II ne lui fait aucune concession dans le domaine religieux, ne favorise en rien ses projets italiens et le joue très finement.

Irrité, le roi reprend alors contre le pape la vieille guerre gallicane. Il rétablit la Pragmatique et devient un moment, mais seulement en apparence, le défenseur le plus ardent des libertés de l'Eglise de France. Malheureusement cette œuvre est superficielle. Les réformes hâtives du roi tournent tout le monde contre lui. Le Bien publie le force à recourir aux bons offices du Saint-Siège, et, ne pouvant dominer la papauté, il songe à partager avec elle.

Cette politique réussit un instant malgré le grave conflit soulevé par l'affaire Balue. Mais le pape, croyant n'avoir plus rien à craindre, veut de nouveau, comme sous Pie II, tromper le roi. Par le concordat de 1472, la papauté reprend tous ses droits sur l'Eglise de France et se refuse à les partager avec Louis XI, qui n'avait signé cet acte que pour arriver, grâce au pape, à dominer entièrement le clergé gallican.

Libéré de tous ses soucis intérieurs, Louis XI, à l'apogée de sa puissance, se lance alors à fond et dans la guerre d'église et dans l'intrigue italienne. Il force, grâce à l'imbroglio italien, le pape à rabattre de ses prétentions. Il se substitue à lui dans le rôle d'arbitre et de maitre de l'Italie.

Enfin le roi, vieux et malade, semble une dupe facile. C'est alors qu'il montre une vigueur plus considérable que jamais. Il recueille les fruits de sa politique, fait céder la papauté, sauvegarde les droits de la royauté et meurt en triomphateur.

Sa politique est conforme à son caractère. Il louvoie, tourne les obstacles, essaie cyniquement, quand il se croit sûr du succès, de tout garder, quitte ensuite à partager, tout en conservant par devers lui l'essentiel.

Ce vieillard cassé, sans cesse tourmenté par des scrupules religieux, apparait, au fond de son manoir de Plessis-lès-Tours, comme le maitre absolu de l'Europe et ce sont ses mains débiles qui font manœuvrer sur la scène historique tous les acteurs du temps qu'il est parvenu, par un travail long, patient et sournois, à enserrer dans ses fils.

Absence de scrupules, confiance en la fortune, habileté à choisir les hommes ou à les gagner, grande largesse, pour parler comme Commynes, préférence marquée pour les petites intrigues et les moyens tortueux, extrême finesse qui parfois dégénère en rouerie vulgaire, souplesse incomparable, cruauté froide, oubli des injures passées, sens très net de l'absolue puissance de l'Etat, tels sont en quelques mots les traits caractéristiques de la nature si complexe de Louis XI. Il eut en somme et conserva jusqu'au bout les qualités de sa race mais la conduite que lui inspirèrent le besoin de dominer, l'intérêt et peut-être aussi certain penchant naturel, fait songer à celle d'un tyran italien.

Ses relations avec la papauté eurent un double résultat.

Les multiples négociations du roi préparèrent en France l'Eglise gallicane à subir la domination royale et pontificale, qui va s'établir par le concordat de i5i6, grâce à une entente entre les deux pouvoirs souverains qui s'accorderont sans consulter le principal intéressé le clergé français. La confusion du temporel et du spirituel amenée par cet acte aura pour conséquence d'enlever à l'Eglise française tous les privilèges qu'elle avait acquis aux dépens de la royauté et de la papauté, et elle l'asservira en somme plutôt au pouvoir royal qu'au pouvoir pontifical.

En Italie, en donnant à la France l'hégémonie morale sur la péninsule, en se substituant à l'empire et au Saint-Siège dans le rôle de suzerain, il prépara les voies à son fils et à Louis XII. Non seulement il devint presque le maître de l'Italie, mais il en fut aussi l'arbitre pacifique.

La seigneurie florentine, en écrivant à la reine, au dauphin et à Anne de Beaujeu au lendemain de la mort de Louis XI : Sa perte afflige grandement l'Italie, la chrétienté, la seigneurie, car il était le défenseur dévoué de la république chrétienne et le conservateur de la paix de l'Italie : condolendose de ladicta morte per la perdita che ha fatto Italia et la christianita de uno tanto christianissimo principe defensore et propugnatore de la republica christiana et conservatore de la pace d'Italia, ne faisait qu'exprimer la vérité pure. Ce n'était pas là une simple formule louangeuse et diplomatique.

Mais Louis XI n'en fuit pas moins en réalité le véritable promoteur des guerres d'Italie. Sans ses embarras intérieurs, il les eut entreprises et conduites avec plus de décision, d'esprit politique, de sagesse que ses successeurs.

S'il eut eu — dit très judicieusement Claude Seyssel — occasion d'acquérir grand' chose en Italie si aisément et qu'il n'eut été empêché en France, en crainte de ses voisins et de ses sujets, il n'eut pas refusé un tel party ni plaint la dépense et si ne se fut par aventure pas arresté à ce que par droit lui eut pu appartenir, s'il eut eu le moyen de passer plus oultre, mais estant en si grande crainte et soupçon de ses sujets, et non voyant le moyen pour parvenir si promptement à si grand n'est pas à émerveiller s'il n'y voulut entendre, car c'eut été grande folie.

Nous avons dans ces quelques lignes tout Louis XI, le politique sans scrupules et cynique, qui eut sans aucun remords, quitte à se faire absoudre ensuite, passé plus oultre, et le diplomate avisé et pratique qui n'y voulut entendre, car c'eut été grande folie.

En résumé, en 1461, le roi est en fort mauvaise posture en Italie. En France, dans l'Eglise gallicane, il n'est rien ou presque rien.

En 1483, s'il n'est pas tout, il est l'arbitre incontestablement reconnu de l'Italie qui est sous sa domination et il a quelque chose, la presque certitude de pouvoir en France, les circonstances aidant, donner au pouvoir royal, par la transformation de ses relations avec l'Eglise, un instrument nouveau, et non des moindres, de despotisme et de gouvernement un clergé essentiellement royal.

 

FIN DE L'OUVRAGE