LOUIS XI ET LE SAINT-SIÈGE

1461-1483

 

CHAPITRE V. — LA POLITIQUE DU CONCORDAT - 1472-1474.

 

 

C'est à la suite de l'ambassade du cardinal de Nicée, Bessarion, que les relations entre les deux souverains s'améliorèrent et finirent par devenir très amicales. On put croire qu'une paix sincère allait définitivement se conclure. Ce fut pour un moment le régime de l'entente cordiale.

Le pape, pour rétablir la paix dans la chrétienté et pour prêcher la croisade contre le Turc, nomma, dans le consistoire du 18 décembre 1471, des légats en Espagne, à Naples, en Allemagne, en France. Le légat choisi pour le royaume fut le cardinal Bessarion[1]. Cependant per landata de Niceno in Franza on ne conclut rien de ferme[2]. Le cardinal, très vieux, tenta de s'excuser, mais il fut forcé d'accepter et Louis XI, qui lui était alors très favorable, l'invita à venir dans le royaume en lui manifestant sa joie de sa désignation. Bessarion n'accepta la mission qui lui était confiée qu'après bien des hésitations très curieuses à connaître et sur lesquelles nous renseignent admirablement les diplomates italiens.

Le cardinal de Nicée ne s'était pas dissimulé lui-même les difficultés de sa tâche. Il en parlait au cardinal de Rouen aussitôt après la nomination pontificale, et Mgr de Rouen disait à l'évêque de Novare que les légats nommés pourraient bien ne pas tous partir[3].

Le cardinal, qui avait pourtant grand désir de venir en France, essaya nous aurons bientôt l'explication de cette conduite singulière en apparence d'esquiver la légation dont il était chargé. L'évêque de Novare et Nicodemo de Pontremoli écrivent le 12 janvier 1472 au duc de Milan que les médecins trouveront certaines humeurs au cardinal pour l'empêcher de partir[4]. On songea même un instant au cardinal de Santa Croce, mais le cardinal de Pavie déclara en consistoire que tous deux étaient impropres à cette légation[5].

Aussi l'évêque de Novare écrivait-il le 1er février que le cardinal avait renoncé à sa mission, prétextant sa vieillesse et ses maladies[6] et Arrivabene pouvait à la fin du même mois écrire à sa maîtresse que rien n'était encore fixé et que l'on intriguait ferme à ce sujet[7].

Le cardinal avait, en effet, oscillé entre tous les partis. En janvier il s'offrait, demandant avec instance à aller en France, disant qu'il serait bien reçu par le roi très chrétien qui lui montrait une très grande confiance. IL voulait partir à tout prix, dût-il mourir dans le voyage, il mourrait content. Il fixait son départ en mars[8]. En mars, il parait renoncer per propria inconvalescentia tout en déclarant pourtant se sentir le courage de se mettre en route passé Pâques[9]. Le cardinal de Pavie nous explique ces tergiversations. L'un de ses amis lui écrivit que, quoiqu'il fût encouragé par le duc de Milan et sûr du bon accueil de Louis XI, le cardinal ne tenait pas à partir. Il était fort superstitieux. Il avait consulté les livres sibyllins qui parlaient de l'apparition d'une comète et il espérait surtout succéder à Sixte IV qui, croyait-il, allait mourir prochainement. Le pape, malgré la tiédeur du cardinal grec, désirait au contraire le voir entreprendre au plus tôt son voyage. Il lui trouvait de l'argent, mettait à sa disposition une galère napolitaine[10]. Il s'inquiétait de sa santé, l'engageant à se soigner, ce qui était fort nécessaire pour sa légation de Gaule[11].

Bessarion finit enfin par se décider et il partit de Rome, le 20 avril 1472 au matin, accompagné par les cardinaux jusqu'à la porte du Peuple, se dirigeant sur Milan par Urbin et Bologne[12]. Jean de Novare recommandait à son maitre de le recevoir fort chaleureusement. Le pape priait le roi et le duc de Bretagne de bien accueillir le cardinal qui nunc in Gallias apostolicœ sedis legatus[13] et il nommait Bessarion, le 8 juin 1472, légat en France, en Angleterre et en Ecosse, le chargeant entre autres choses d'arranger spécialement et amicalement la querelle pendante entre l'évêque de Nantes et le duc breton[14].

Louis XI, de son côté, donnait des ordres pour que l'envoyé pontifical fût reçu dignement dans le royaume. Il écrivait, le ni juin 1432, aux Lyonnais de faire un accueil chaleureux à nostre très cher et grant amy le cardinal de Nicenne comme légat expressément deputé de par luy ès-marches de par deçà et que désirons qu'il soit reçu le plus honorablement que faire se pourra[15].

La mission de Bessarion était d'obtenir la nomination de nouveaux commissaires pour le procès Balue, d'installer à Avignon l'archevêque de Lyon, d'imposer la paix en France pour la croisade et de conclure, si possible, un accord au sujet de la collation des bénéfices, des juridictions et des questions qui troublaient la bonne entente entre le pape et le roi[16]. Différentes lettres de Sixte IV, soit au roi, soit au cardinal lui-même, nous montrent bien, en effet, que le pape avait à cœur de voir cesser la guerre entre Louis XI et la papauté[17].

Le voyage du cardinal fut assez rapide, car en août il se trouvait à Saumur d'où, il écrivait le 15, au roi, qu'il avait fait grande diligence et qu'il ferait tout pour mettre d'accord le roi avec les dues de Bourgogne et de Bretagne. Il verra d'abord le roi, selon l'ordre fixé par sa légation, puis les ducs. Il envoya à Louis XI l'évêque de Parenzo pour lui demander de prolonger la trêve qui avait été conclue avec les ducs de Bretagne et de Bourgogne et pour lui parler confidentiellement d'autre chose[18].

Malheureusement pour Bessarion, le roi en ce moment ne lui était plus favorable. Le duc de Guyenne venait alors de mourir (24 mai 1472) et Louis XI délivré de ses angoisses voulait, en faisant attendre le légat, lui imposer ses conditions et le rendre plus souple. Il demanda qu'on le remplaçât par le cardinal de Rouen qui, au dire de l'évêque de Novare, se souciait fort peu de cette mission[19]. Le roi se laissa persuader par le même cardinal que Bessarion était Borgognone[20]. Il se souvint qu'il avait été, sous Paul II, président de la commission qui s'occupa du procès Balue, il lui fit attendre assez longtemps un sauf-conduit et une audience pendant deux mois. Il lui ordonnait, vers le 15 août, d'aller l'attendre à Orléans et, dit Sforza de Bettini, Sa Majesté ne le fera pas encore venir en sa présence[21]. Le cardinal s'en montra très mécontent. Sforza qui le vit et le consola écrit au duc de Milan, le 30 août 1472 : le cardinal m'a dit qu'il était suspect au roi qui le croit Bourguignon et à Charles le Téméraire qui le croit Français[22].

Aussi quand Louis XI le reçut, l'entrevue fut-elle excessivement courte. Le roi chercha, en bon diplomate, à abréger cette entrevue et il demanda au légat — ce à quoi celui-ci n'osa s'engager — de faire excommunier ses ennemis. Bessarion qui partit sans rendre visite aux ducs tenta sans succès de faire élargir Balue et essaya sans y parvenir de résoudre le conflit religieux. Le pape se plaignit amèrement des procédés du roi à l'égard de son légat et il écrivit à l'empereur que Louis XI avait traité l'évêque de Nicée en suspect, qu'il l'avait expulsé de son royaume. Il cherche quelqu'un qui puisse être agréable au roi et il est prêt il lui donner pleins pouvoirs à condition toutefois que l'évêque de Forli lui soit adjoint[23].

Cette persona grata, Sixte IV la trouva dans l'évêque de Valence que Louis XI lui avait envoyé peu de temps auparavant comme ambassadeur. Prévoyant sans nul doute l'échec de Bessarion et averti des mauvaises dispositions du roi, le pape dépêcha vers Louis XI, en août 1472, le patriarche d'Antioche, Gérard de Crussol, comme nonce apostolique, avec tous pouvoirs pour traiter les affaires pendantes, espérant bien que cet envoyé, qui avait pour lui des qualités éminentes, sapientia, prudentia, circumspectio, fides, industria, in arduis negotim comprobata, réussirait là où le vieux Bessarion avait échoué[24]. De plus, il faisait de nouveau luire aux yeux du roi la canonisation de Berland et il demandait, pour pouvoir procéder à une enquête définitive à ce sujet, des preuves certaines des miracles dudit prélat[25].

La mission de Bessarion n'en eut pas moins pour Louis XI un résultat favorable. Le roi obtint enfin pour Charles de Bourbon la légation d'Avignon. Lui, qui depuis son delphinat s'était abstenu de toute agression contre les domaines de l'Eglise et qui avait renoncé à toute tentative d'annexion, n'en arrivait pas moins par là à ses fins faire prévaloir sa volonté dans les Etats pontificaux, comme dans le reste de son royaume. Il avait voulu, et il y était arrivé, considérer le légat comme un subordonné[26]. Le pape s'était décidé à satisfaire les vœux du roi et de l'archevêque de Lyon. Bessarion avait apporté la bulle de nomination qu'il présenta au roi en présence du duc de Bourbon et de l'archevêque de Lyon. Mais le pape mettait à sa faveur certaines conditions. Le nouveau légat devait jurer de remettre entre les mains du pontife ou de son successeur les terres et forteresses du Comtat à simple réquisition et s'y engager par écrit[27].

L'archevêque reçut aussi la promesse du chapeau quoique le pape n'y fût guère favorable et qu'il eût, semble-t-il, peur d'avoir un collège cardinalice entièrement français. Charles de Bourbon prêta serment, le 4 juillet 1472, de gouverner équitablement le Comtat au nom du pape[28]. Louis XI de son côté déclara que le légat administrerait bien les Etats venaissins et seulement tant qu'il plairait au pape[29].

Pendant que Bessarion venait en France pour échouer en somme assez piteusement, le roi avait envoyé à Rome une ambassade solennelle composée du maréchal de Dauphiné, Châteauneuf ; de Jean Luilier, doyen de la cathédrale de Paris ; de Bernard Loret, avocat au parlement de Toulouse, et du patriarche d'Antioche, Gérard de Crussol, évêque de Valence, qui en était le chef. Le roi avait fait choix de ces ambassadeurs dès le mois de mars, ainsi que Sforza de Bettini l'apprit â son maître[30]. Ils ne devaient pas partir avant Pâques. Sforza annonçait un peu plus tard le départ de l'évêque de Valence pour sa ville épiscopale, où il allait attendre les instructions du roi[31]. Ils devaient porter au pape l'obédience royale et négocier avec lui sur le gouvernement de l'Eglise gallicane[32]. Le souverain pontife était décidé à les recevoir avec force démonstrations amicales pour honorer le roi[33].

L'ambassade française entra à Rome le 9 juillet 1472, dans la nuit[34], et le lendemain elle prêtait solennellement l'obédience à Sixte IV[35], oui pour la circonstance s'était entouré de ses cardinaux. Il avait rappelé ceux de ses conseillers absents afin de pouvoir, grâce à leurs lumières, délibérer plus saintement sur ces matières[36].

Les conférences, qui commencèrent après le 17 juillet, furent assez nombreuses et quelquefois embarrassantes, car l'évêque de Novare écrit au duc que les Français éprouvent certaines difficultés au sujet des questions de juridiction. Les ambassadeurs français auraient voulu que les affaires relatives aux bénéfices se traitassent toutes en France, mais le pape et les cardinaux s'y refusèrent. L'évêque de Novare, qui avertissait son maître, pensait qu'on arriverait ce qui advint à une transaction, à savoir que les procès en première instance auraient lieu devant les parlements et les appels devant la curie, à la volonté des plaideurs[37]. Pour les expectatives, le pape, dit-il, aura un mois les ordinaires, un autre mois. Les évêchés et les gros bénéfices seront donnés par le pape, les autres par le roi. De part et d'autre on parvint ainsi à s'entendre. Ayant tout réglé, les ambassadeurs de Louis XI se retirèrent vers le 15 août 1472[38].

A la suite de ces négociations, Sixte IV publia la bulle du 13 août 1472, que l'évêque de Valence apporta au roi en qualité de nonce pour la lui faire accepter et publier. Il semble donc bien que c'est plutôt au patriarche d'Antioche qu'au cardinal Bessarion que l'on doit rapporter l'honneur de la réussite de cette négociation. Rien, en effet, dans les documents contemporains, ne nous permet de soupçonner ce rôle de premier plan qu'on a voulu attribuer au vieux cardinal et les termes mêmes de la lettre de Sixte IV à l'empereur laissent clairement voir que Bessarion ne parvint en somme à aucun résultat sérieux.

Les points que règlent et la bulle de 1472 et l'ordonnance d'Amboise n'étaient en aucune façon nouveaux. Déjà Louis XI avait essayé, en 1466 et en 1469, d'arriver à un accord sur les questions toujours pendantes de la collation des bénéfices et des conflits de juridiction. Aussi ne fut-il pas besoin, en 1472, de longues négociations, puisque, en l'espace d'un mois à peine (17 juillet-15 août), tout fut conclu.

Que Bessarion ait pu, lors de l'ambassade Compaing-Raquier, s'occuper avec eux de ces matières, c'est là une hypothèse fort plausible, mais rien ne nous prouve qu'à ce moment on établit un projet d'accord et qu'il fut spécialement préparé par le cardinal de Nicée. Ce projet existait depuis que le roi avait fait adresser au pape des propositions concordataires par Charles de Bourbon et il n'était pas nécessaire de conférer longuement par avance sur des questions si connues parce qu'elles étaient le fond même de la querelle qui divisait le pape et le roi question de souveraineté absolue d'un côté comme de l'autre en définitive. En cette circonstance le rôle de Bessarion fut comme celui du patriarche d'Antioche, des plus modestes. L'évêque de Valence réussit simplement là où avait échoué le cardinal grec. Son habileté diplomatique et son industrie firent accepter au roi qui s'y trouvait alors déterminé, la bulle de 1472. Bessarion n'est, comme l'archevêque de Lyon et les autres diplomates français, qu'un précurseur. Le patriarche d'Antioche, en présentant la bulle à la signature royale, recueillit le fruit de leurs efforts.

Le concordat de 1472, homologué à Amboise le 3i octobre par lettres patentes de Louis XI, comprend 10 articles[39]. Dans un long préambule, le roi, après avoir rappelé l'ambassade de l'évêque de Valence auprès du Saint-Père, déclare qu'il l'a envoyée pour lui rendre l'obédience qu'il lui doit, pour le règlement des procès et troubles engendrés par la Pragmatique et les ordonnances royales au sujet des prélatures et bénéfices du royaume qui sont en danger de tomber en ruine et aussi pour chercher à accorder les droits de la papauté, de l'Eglise et de la royauté. Cet accord étant survenu entre les ambassadeurs royaux et aucuns cardinaux, prélats et autres notables et grands personnaiges, Louis XI ratifia les articles contenus dans la bulle plombée du souverain pontife[40] et commanda à ses cours de Parlement de Paris, Toulouse, Bordeaux et Dauphiné et à tous ses autres officiers, justiciers et sujets de son royaume et du Dauphiné, d'observer et de faire observer ledit concordat, nonobstant la Pragmatique et toutes les ordonnances et lettres contraires, car tel est, dit-il, nostre plaisir.

Les articles du concordat peuvent se grouper sous quelques chefs particuliers question de la nomination aux bénéfices qui semble définitivement réglée (articles 1 et 4), question judiciaire (articles 6, 7 et 8), question financière (article 9), avantages réservés au roi (articles 2 et 10), avantages réservés à la papauté (articles 1, 3 et 5).

Les termes de l'ordonnance royale manquent quelquefois de précision et de clarté, comme si la royauté avait eu intérêt à laisser dans le doute un certain nombre de points pour en faire surgir plus tard une série de contestations. Aussi est-on la plupart du temps obligé, pour illustrer l'acte d'Amboise, de recourir au texte des deux bulles pontificales du 13 août 1472, dont les lettres patentes royales ne sont souvent qu'un très sec résumé.

Le premier article établit une règle fixe pour la collation des bénéfices. Il accorde à la France les avantages concédés à l'Allemagne par le concordat de Vienne. Le pape et les ordinaires ont désormais alternativement, à partir de janvier, six mois pour conférer, élire et présenter aux bénéfices qui vaqueront comme s'il n'y avait aucune expectative. La papauté nommera en janvier, mars, mai, juillet, septembre et novembre les ordinaires, les autres mois.

C'était là un très grand avantage accordé aux ordinaires, qui jusqu'alors n'avaient eu que des privilèges moins considérables. Nous savons, en effet, que sous Charles VII, en 1422 et en 1431, à la suite d'une entente avec Martin V et Eugène IV, il avait été décidé que le pape aurait pour la collation des bénéfices 8 mois de l'année et les ordinaires 4. La Pragmatique sanctionna cet usage dans le titre des collations. Il y a donc là, en faveur de l'Eglise gallicane, une concession fort importante. Mais à côté la papauté faisait ses réserves et elles étaient assez considérables. Sont exceptés de la mesure les bénéfices réservés reservatione clausa in corpore juris par les constitutions de Jean XXII et Benoit XII et par les règles de la chancellerie romaine.

Les réservations comprises in corpore juris étaient de quatre sortes. La première touche les bénéfices vaquant apud sedem apostolicam. Cette réserve avait été instituée parce que les pontifes pouvaient pourvoir plus rapidement aux sièges vacants in curia que les évêques, qui, fort éloignés, étaient très souvent dans l'ignorance de la vacance. La seconde est fondée sur le temps pendant lequel a lieu la vacance. C'est la réserve mensium et alternativa. La troisième concerne la qualité des personnes qui possèdent les bénéfices venant à vaquer (cardinaux, domestiques et officiers pontificaux). La quatrième repose sur la qualité des bénéfices qui deviennent vacants — premières dignités des cathédrales, principales dignités des collégiales[41].

Jean XXII, dans l'extravagante Exsecrabilis (1317), déclara, Boniface VIII s'étant réservé toutes les dignités et bénéfices qui vaqueraient en cour de Rome et Clément V, les églises cathédrales, les monastères, prieurés, administrations et offices qui vaqueraient de la même manière, qu'il confirmait ces réserves et décida en outre que tous ces bénéfices étaient estimés vaquer en cour de Rome, lorsque ceux qui en étaient possesseurs, y étaient déposés ou en étaient privés, lorsque les élections y étaient cassées ou les postulations refusées, quand les bénéficiaires renonçaient à leurs bénéfices, qu'ils étaient transférés à d'autres sièges, enfin, que quelque part où mourussent les cardinaux, officiers et commensaux de la cour romaine, leurs bénéfices étaient censés vaquer en cour de Rome. Furent aussi réservés tous les bénéfices venant à vaquer par l'acquisition d'un autre bénéfice incompatible avec le premier[42].

Dans la décrétale Ad Regimen, Benoit XII, en 1335, déclara instituer les réservations suivantes[43]. Outre les évêchés, abbayes et bénéfices vacants in curia à deux journées près, par mort, déposition, privation, translation ou suspension, sont réservés tous les bénéfices dont les élections ou postulations auront été cassées, refusées, ou les résignations admises les bénéfices vacants par la mort des cardinaux et des officiers de la cour romaine, les abbayes, prieurés et bénéfices possédés par ceux à qui le Saint-Siège accordait des évêchés ou des abbayes, tous les bénéfices venant à vaquer comme incompatibles par la collation et la possession pacifique d'autres bénéfices reçus de la libéralité du Saint-Siège, enfin les bénéfices devenant vacants par la promotion au patriarchat, à l'archiépiscopat et à l'épiscopat.

Ces réserves furent le début des règles de la chancellerie romaine qui furent codifiées sous Jean XXII. Elles furent augmentées par ses successeurs jusqu'à Nicolas V. Ces règles publiées par les papes aussitôt après leur élection, expiraient avec eux et pendant la vacance les ordinaires reprenaient tous leurs anciens pouvoirs.

Parmi ces règles, les principales étaient la 2e, qui réservait au pape toutes les églises épiscopales et abbatiales de la chrétienté dont le revenu était supérieur à 200 florins ; la 3e, qui réservait au Saint-Père la provision de toutes les dignités des cathédrales qui sont les premières après l'évêque, les premières des collégiales, les prieurés et autres dignités conventuelles la 8-, qui réservait au pape 8 mois et n'en laissait que 4 aux évêques pour la nomination de tous les bénéfices[44].

Par le second article, Louis XI se fait accorder un certain nombre d'avantages personnels. Le pape déclare que pour lui complaire, en dehors des expectatives déjà octroyées, il en accordera pendant ses 6 mois, six nouvelles aux clercs du royaume, dont deux seront données aux clercs désignés par le roi, la reine, le dauphin et les parlements, clercs qui jouiront des mêmes prérogatives que les familiers du Saint-Père, et que ces six expectatives accordées, il en sera accordé six nouvelles dans la même forme et manière.

Il y a évidemment là une tentative destinée à sauvegarder les droits des clercs nationaux à la possession des bénéfices du royaume et aussi à augmenter le pouvoir de la royauté sur l'Eglise en permettant au roi, par ce droit de présentation, de ne proposer que des clercs dévoués à la royauté.

L'article 3 établit une restriction au sujet des bénéfices des familiers des cardinaux, qui seront réservés, mais la réservation cessera six ans après le décès des cardinaux.

L'article 4 décide que les bénéfices des clercs qui seront pro mus aux dignités consistoriales seront réservés à la collation pontificale si ces clercs sont nommés pendant les mois du Saint-Père. Dans le cas contraire, ils reviendront aux ordinaires, à moins qu'ils ne fussent réservés suivant les formes déjà adoptées.

L'article 5 établit une nouvelle exception en faveur de la papauté. Il déclare que les bénéfices des protonotaires apostoliques seront réservés, mais dans le cas seulement où ils porteront publiquement et continuellement l'habit de leur ordre. Les protonotaires existaient déjà dans l'empire d'Orient. La papauté adopta ensuite cette institution. C'étaient les secrétaires des pontifes et originairement ils furent occupés à recueillir les actes des martyrs. Ils étaient sous-diacres et régionnaires, c'est-à-dire distribués dans les divers quartiers de Rome[45]. Nous n'avons aucun renseignement sur leur costume. Pie II, dans un document sans date, déclare, à propos de la réforme de la curie romaine, que les protonotaires ne peuvent, hors de Rome, porter ni le rochet ni le bonnet. Ils ont aujourd'hui le costume des évêques, à l'exception de la croix épiscopale. A Rome, ce costume est violet, à l'extérieur il est noir[46].

Les articles 6, 7 et 8 abordent la question de compétence judiciaire.

L'article 6 décide que toutes les causes bénéficiales seront traitées en première instance dans le royaume, devant la juridiction compétente, c'est-à-dire celle des parlements, jusqu'au prononcé de la sentence définitive inclusivement.

Pendant le cours de la première instance on ne pourra en appeler avant la sentence définitive, et si un appel est produit, il ne devra pas être reçu, à moins qu'il ne s'agisse d'un appel d'une sentence interlocutoire ou à moins qu'il ne s'agisse d'un dommage ne concernant pas l'affaire principale, dommage qui ne pourrait être réparé par l'appel de la sentence définitive. Pour les autres instances, les affaires seront traitées et terminées en cour de Rome.

L'article 7 déclare que les causes bénéficiales pendantes en cour de Rome entre les familiers des cardinaux demeurant à Rome ou absents par cause de légation ou de récréation, ou des officiers de la curie, ou des clercs qui pendant 6 mois se sont attachés à la curie et s'y attachent encore maintenant et leurs adversaires, quels qu'ils soient, ayant eu leurs bénéfices par les ordinaires, seront entendues et achevées suivant les formes prescrites devant ceux à qui ces causes doivent être confiées — c'est-à-dire à Rome —, ou devant d'autres juges désignés pour ce fait par le pape ou qui seront désignés par lui. Les autres causes pendantes entre n'importe quels autres clercs seront confiées à des juges compétents en France, pour être entendues par eux suivant la forme en usage et elles seront ensuite évoquées en cour de Rome.

L'article 8 essaie de mettre un terme à la longueur exagérée des procès pendants soit en cour de Rome, soit dans le royaume. Il décide que les procès au petitoire pendant à Rome seront suspendus pendant deux ans durant lesquels on procédera dans le royaume à l'examen des procès au sujet du possessoire. Il sera, après ce laps de temps, permis de procéder devant le juge apostolique sur le petitoire et tous ces procès seront terminés et éteints au bout de deux nouvelles années. Si le juge apostolique les différait encore, il serait excommunié, privé de ses bénéfices et ne pourrait obtenir l'absolution que du Saint-Père où à l'article de la mort.

En somme, pour la question judiciaire comme pour celle de la collation des bénéfices, il y a transaction. La juridiction de première instance reste aux parlements, les appels sont réservés à Rome. Mais la papauté, en se réservant en première instance toutes les causes des cardinaux, des officiers de la curie et des clercs qui s'attachent à elle, essaie d'une façon détournée d'attirer à elle toute la juridiction ecclésiastique. Nous avons là l'explication de l'opposition très nette et très vive que le Parlement fera au concordat.

L'article 9 règle la question financière. On décide de conserver, au sujet de la vacance des bénéfices, la taxe établie par Jean XXII, mais on déclare que par suite des guerres et des tribulations du royaume, on ne paiera que selon la vraie valeur des fruits d'un an, c'est-à-dire la moitié seulement. Jean XXII, par la décrétale Cam nonnullœ avait confirmé les décisions prises par Boniface IX au sujet des annates. Antérieurement à Boniface IX, les papes se réservaient le revenu d'une année des bénéfices, payable en trois ans, un tiers chaque année. Boniface IX réduisit la taxe à la moitié du revenu annuel du bénéfice vacant, à condition que le bénéficier ne recevrait ses bulles déjà expédiées qu'en payant cette taxe réservée tout entière pour les besoins du pape et de la chambre apostolique[47].

Il y a donc là une tentative faite pour concilier à la fois les intérêts de la papauté et ceux du clergé gallican dont nous connaissons les plaintes si vives au sujet de l'évacuation des pécunes.

Par l'article 10 enfin, le roi se fait octroyer une nouvelle faveur et non des moindres. La papauté, pour lui être agréable, s'engage à n'élever aucun sujet du roi aux dignités consistoriales sans en avoir reçu, par lettres, l'autorisation du prince. C'est là une concession considérable qui permet à Louis XI de tenir son clergé bien en main et de ne faire arriver au sacré collège que des clercs entièrement dévoués à la cause royale seurs, féables et agréables.

Louis XI se faisait, en somme, reconnaître ainsi une part dans la disposition des bénéfices. Il obligeait la papauté à partager avec le pouvoir royal ce qu'elle avait jusqu'alors considéré comme lui appartenant de plein droit à elle seule. Il ouvre ainsi la voie à un accord définitif entre la royauté et la papauté. Cet accord sera conclu en 15i6, sous François Ier qui, profitant du précédent et grâce à ce précédent, parviendra à dépouiller complètement le Saint-Père, lui laissant les annales, c'est-à-dire le temporel, et conservant par devers lui le spirituel.

D'ailleurs, le concordat n'était pas une nouveauté. Charles VII avait déjà songé vers 1442 à s'entendre avec le pape et à peu près dans les mêmes conditions qu'accepta son fils. Ces projets étaient donc dans l'air.

Malheureusement l'arrangement de 1472 froissa trop d'intérêts. Il mécontenta surtout les Gallicans qui voyaient disparaître la plus grande partie de leurs prérogatives et l'Université à laquelle on n'avait rien accordé pour ses suppôts. Aussi dès que la bulle pontificale et l'ordonnance royale furent lues aux Bernardins, l'Université de Paris protesta vivement. Le concordat ne fut d'ailleurs enregistré dans aucun parlement et il ne fut pas, comme nous l'allons voir, exécuté.

Après la mort de Bessarion, Sixte IV eut un instant l'idée d'envoyer en France comme légat le cardinal d'Estouteville, archevêque de Rouen. Le cardinal de Pavie en détourna le pape dans une lettre fort curieuse où il maltraite assez violemment Louis XI prince défiant et soupçonneux avec qui l'on est bien ou mal suivant que cela cadre avec ses intentions et qui n'est pas, comme le feu roi Charles, droit et observateur de sa parole[48]. Nous ignorons si le cardinal de Rouen vint en France. Il est probable qu'il déclina cette offre. Sixte IV n'en continua pas moins à se montrer l'ami du roi. Il lui permettait, le 10 août 1472, de faire dire la messe l'après-midi dans sa chapelle par ses prêtres ou par d'autres clercs en raison de sa singulière dévotion au siège apostolique[49].

Mais bientôt les relations se tendirent de nouveau lorsqu'on voulut passer à l'application du concordat et de nombreux conflits surgirent. Le Parlement de Paris, malgré les lettres royales, refusa de faire ou de laisser publier la bulle de Sixte IV. Il déclara avec l'Université que cette bulle était attentatoire aux droits de la couronne, que le concordat était contraire au droit commun, aux décrets de Bâle et de Constance, et surtout à la volonté réelle de Louis XI, à son caractère, à ses intérêts, à ses droits[50]. Quelque autorité qu'ait eue Louis XI il, rencontra souvent de la résistance et il la souffrit. Nous inclinerions même à croire qu'il la fit naître pour avoir toujours à sa disposition un prétexte commode pour se dispenser de tenir ses promesses après avoir retiré de ses concessions tout le fruit qu'il en attendait, savoir accroître, avant toutes choses, son autorité. Aussi les stipulations de 1472 furent-elles à peu près inutiles.

Quant au roi, il ne fut attentif qu'à tirer parti de tous les systèmes pour accroître son pouvoir, ce qui montre bien quel avait été son but en acceptant la bulle de Sixte IV. Après la mort de l'évêque de Paris, Guillaume Chartier, il demanda à Rome des bulles pour Louis de Beaumont qui fut pourvu sans que le chapitre pût intervenir. Après le décès de l'archevêque de Reims, le roi défendit au chapitre de procéder à l'élection et il nomma de sa propre autorité Pierre de Laval. Il fit défense, en 1473, au chapitre de Reims, de faire opposition à la nomination qu'il comptait obtenir du pape, de Pierre de Laval comme archevêque[51]. Par contre, après la mort du cardinal d'Albi, voulant écarter Guillaume d'Estouteville auquel le pape désirait donner en commende ce gras bénéfice qu'était l'abbaye de Saint-Denis, le roi fit procéder par voie de scrutin, par le chapitre au choix d'un abbé. Jean de Villiers, évêque de Lombez, qui était tout à la fois agréable au roi et aux religieux, fut élu[52].

En un mot, Louis XI recourait à l'élection quand elle lui était favorable et il ne cachait pas ses intentions. C'est à peine si nous le voyons intervenir une fois en faveur d'un candidat pontifical pourvu de l'abbaye de Saint-Sulpice-les-Bourges, parce que les religieux s'étaient prononcés contre les concordats signés entre le roi et le pape[53]. Ce fut là sans doute un cas isolé et le roi n'intervint que parce que le chapitre s'était ouvertement prononcé contre son autorité. A la mort du cardinal d'Albi, il défendit de nommer aux bénéfices vacants lui ayant appartenu, surtout à l'abbaye de Bonnecombe, parce qu'il était le protecteur de l'Eglise gallicane. Il commit un conseiller du parlement de Bordeaux pour garder et administrer le temporel de ladite abbaye[54].

On eut ensuite le conflit entre l'évêque de Saintes et son chapitre. L'évêque, absous à Rome, parce qu'il avait défendu contre son chapitre les droits de la papauté, fut condamné par le Parlement, sur la demande de son chapitre qui prétendit que les arrêts avaient été rendus contre l'autorité royale, à 40.000 écus d'amende et à la privation de son temporel pour toute sa vie. Le temporel fut saisi, et en 1481 l'évêque sera emprisonné pour n'avoir pas voulu payer son amende[55].

Sixte IV, de son côté, faisait défense à Charles de Bourbon d'intervenir dans les élections épiscopales, dans la collation des bénéfices et dans les jugements sur appellation en se prévalant, comme les archevêques de Tours et de Sens, de ses droits de primat, et des avantages de la Pragmatique. Il lui rappelle le serment d'obéissance qu'il avait prêté, en 1460, à Pie II, auquel il promettait de ne plus s'immiscer sous couleur de primatie dans les élections des évêchés et dans la collation des bénéfices. L'archevêque de Lyon avait juré de n'user de ses droits de primat qu'avec l'autorisation du souverain pontife. Le pape le menace, ainsi que les deux autres prélats, d'excommunication s'il ose enfreindre sa défense[56].

Ces heurts n'empêchaient pas les deux souverains de se rendre de mutuels services. Le pape essayait même par sa complaisance d'apaiser le roi. Il prenait bonne note des instances de Louis XI en faveur de Julien de Médicis, dont le roi lui avait, ainsi qu'au collège des cardinaux, recommandé la candidature au cardinalat[57] et il lui accordait la pourpre, ce qui faisait aussitôt de Lorenzo di Medici l'un des plus chauds partisans du roi de France[58]. Par contre, le bruit ayant couru en Italie d'un refroidissement entre le roi et les Sforza, Louis XI s'empressait de démentir le fait auprès du Saint-Père[59]. Sixte IV intervenait aussi, tout au début de 1473, vers le 15 janvier, dans l'affaire de la tentative d'empoisonnement sur Louis XI qui en fut moult esbahy et espovanté, pour soustraire à l'excommunication prononcée contre lui, Pierre Noblet, chapelain du dauphin, qui avait dénoncé au bras ecclésiastique les coupables le moine Jordan Fabre, maitre Ythier et Jean Hardy, qui avaient tenté le coup à l'instigation du duc de Bourgogne[60].

D'ailleurs, quoique le roi et le pape cherchassent mutuellement à se duper, ils négociaient toujours. Ce ne furent dans cette période assez embrouillée que perpétuelles ambassades et inlassables demandes du roi au souverain pontife.

C'est ainsi qu'au milieu de 1473, Louis XI expédia à Rome l'évêque du Mans, Thibaud de Luxembourg. L'envoyé royal avait des instructions précises. Il demandera au Saint-Père, pour la tranquillité du royaume, l'élévation de l'archevêque de Lyon au cardinalat. Il énumèrera les nombreuses vertus de ce prélat, sans oublier ses liens de parenté avec Sa Majesté très chrétienne. Les ambassadeurs supplieront Sa Sainteté de ne donner la pourpre à aucun sujet breton ou bourguignon sans le consentement du roi, ce qui évitera de nombreux inconvénients. Sixte IV ne devra accorder de provisions de bénéfices, gros ou petits, qu'à des personnes acceptées et agréées par le roi. Il ne nommera aux évêchés et archevêchés que des sujets fidèles et sûrs. On supprimera ainsi des rébellions, des désastres, des entreprises hostiles.

Le pape sera en outre prié, à cause des malheurs de l'Eglise, de réduire les taxes des bénéfices suivant les indications du concile de Constance, de diminuer les grâces expectatives[61] et d'enlever les taxes sur les dignités consistoriales vacantes du royaume. Il réservera dans la provision des bénéfices une place aux gradués des Universités, de peur que le désir de la science ne disparaisse ne desiderium scientiam acquirendi torpescat. On conservera pour les expectatives la règle suivie par les papes antérieurs, la règle des possesseurs triennaux sera maintenue[62], les causes pendantes dans la curie y seront terminées, les procès de première instance seront enfin toujours jugés dans le royaume, ceux des curiales et des familiers du pape exceptés[63]. C'était, en somme, demander à la papauté, au lendemain même du Concordat, de remettre en vigueur un certain nombre d'articles de la Pragmatique et surtout tenter d'enlever au Saint-Siège, en l'obligeant à ne nommer aux bénéfices que des candidats absolument agréables au roi, les avantages qu'il avait retirés de l'acte de 1472. De plus, le roi voulait forcer Sixte IV à se déclarer en sa faveur, car il essayait à ce moment de dissoudre la ligue formée par Naples et Rome avec le Téméraire[64].

L'effet de cette ambassade fut de provoquer la nomination d'un nonce favorable à Louis XI, André de Spiritibus. Ce docteur ès-droit, protonotaire apostolique, fut envoyé pour faire conclure la paix entre le roi et les ducs de Bourgogne et de Bretagne. Le pape lui donna le droit de conférer des bénéfices et le roi lui accorda des lettres pour user pleinement des pouvoirs et facultés contenus en ses bulles. Le Parlement et le Châtelet ayant débouté ceux que le nonce avait pourvus, le roi autorisa par lettres nouvelles les collations faites par le légat[65]. Louis XI envoya de Spiritibus au Téméraire pour l'engager à conclure la paix. Pris de méfiance, le duc refusa. Le nonce rentra alors en France et de Cléri (13 octobre 1473) fulmina une bulle d'excommunication contre le roi et le duc pour le cas où ils se refuseraient à traiter[66]. La bulle fut publiée et affichée sur les frontières du duché. Mais Charles le Téméraire en appela de la sentence de l'évêque de Viterbe au pape auquel il envoya des ambassadeurs[67]. Le nonce était évidemment trop partial et on put l'accuser de s'être vendu au roi qui lui avait donné une autorité considérable dans le royaume. Aussi le Parlement de Paris refusa d'enregistrer les décrets publiés par l'évêque et il députa quelques-uns de ses membres au roi pour lui montrer que la publication des bulles pontificales ne pouvait que porter préjudice et dommage au roi, au royaume, aux sujets[68].

En même temps, Louis XI faisait des dons à la chapelle de la Bienheureuse Pétronille dans la basilique du prince des Apôtres et le pape le remerciait[69]. Il ordonnait au seigneur de Bressuire, curateur de la succession de l'évêque de Maillezais, d'assurer à l'évêque d'Evreux, nommé par le pape abbé de Bourgueil, la possession des divers biens qui lui étaient échus dans la succession[70]. Il priait le pape, par l'intermédiaire de son conseiller et secrétaire, Jean Merlin, préchantre de Saint-Exupère-de-Corbeil, d'autoriser le mariage de Jeanne, fille de Henri IV de Castille, avec Alfonse de Portugal[71]. Il intervenait aussi auprès des chapitres du royaume en faveur de ses familiers Jean Potier, son chapelain et Georges Robinet, clerc et sommelier de sa chapelle[72].

Mais cette amitié des deux princes n'allait pas sans nuages. C'est ainsi que Louis XI faisait arrêter un camérier du pape dont Sixte IV lui demandait aussitôt la mise en liberté, car il n'était, disait-il, pas coupable. Le pontife profitait de l'occasion pour réclamer en faveur du cardinal d'Estouteville, dont il vantait au roi les mérites et les talents, l'abbaye de Saint-Denis[73]. La recommandation ne servit de rien. Le roi défendit de donner l'abbaye à un religieux étranger à l'ordre, par suite de certains privilèges apostoliques du monastère. Le souverain pontife[74], qui avait écrit à l'évêque de Viterbe d'insister fortement auprès du roi pour que le cardinal de Rouen, évêque d'Ostie, put jouir paisiblement de la possession de Saint-Denis[75], s'en montra mécontent.

Le roi faisait aussi condamner l'évêque de Chartres, Miles d'Iliers, contre lequel il reçut, étant en cette ville, de grandes plaintes, à rendre foi et hommage au roi pour le temporel, ce à quoi il se refusait. Un conseil, présidé par Gaucourt, l'y obligea, le convainquit de parjure et le condamna à mille livres d'amende[76]. Par contre, Louis XI obtenait de Sixte IV l'expectative de l'abbaye de Brantôme pour son confesseur, l'évêque d'Avranches[77] et l'évêché de Maillezais pour Jean d'Amboise, son confident[78]. Il sollicitait, pour le cardinal de Mendoza, archevêque de Séville, l'abbaye de Fécamp, dont le pape accorda seulement l'administration et économat, et l'évêché de Clermont en commende pour l'archevêque de Lyon, qui en fut pourvu.

De son côté, le pape intéressait le roi aux affaires de Jean de Montmirail, évêque de Vaison, qui se voyait disputer son patrimoine[79]. Il parvenait à faire accorder au cardinal de Rouen l'abbaye de Bonnecombe[80] et à son neveu, le cardinal Saint-Pierre-ès-liens, le prieuré de Saint-Esprit-d'Avignon et l'abbaye de Gorze. Il louait le roi du désir qu'il manifestait de supprimer complètement l'hérésie vaudoise dans le diocèse d'Embrun[81]. Il le pressait, de tenir les promesses faites à son neveu qui n'avait pas été encore mis en possession de ses bénéfices et il demandait une réparation et une indemnité pour le cardinal[82]. Mais quelquefois Sixte IV refuse, quoiqu'il fasse dit-il au prieur de Saint-Antoine de Vienne qui lui exprimait les vœux du roi tout pour complaire à Sa Majesté[83]. C'est ainsi qu'il refuse de nommer coadjuteur de l'abbé de Sainte-Marie-de-Boulay, malgré le consentement de l'abbé, un maître des requêtes de la maison du roi, licencié en droit[84]. Il n'autorisa pas non plus le transfert de l'évêque d'Avranches à Coutances et celui du cardinal d'Estouteville à Avranches[85]. Nous ne pouvons, dit à ce sujet Sixte IV, satisfaire tes désirs, le Saint-Siège n'a pas coutume d'agir de la sorte et le droit canon ne le lui permet pas. Non possumus quidem honeste in hoc tuo desiderio satisfacere, neque apostolica sedes hoc facere consuevit, ne que jura permittunt. Il intervient néanmoins en faveur du cardinal de Rouen dont on a saisi le temporel et que des gens du roi ont osé toucher, ce dont le pape et le sacré collège ont été stupéfaits. Il demande qu'on lui rende ses biens et que si on ne peut lui donner Saint-Denis, on lui accorde soit Saint-Pierre-de-Bourgueil ou, ce qui eut lieu, Sainte-Marie-de-Bonnecombe[86]. Sixte IV n'en était pas moins irrité par tous ces conflits. Il écrivait au roi que chaque jour les concordats n'étaient pas observés et qu'il devait, pour l'honneur de son royaume et celui du Saint-Siège, empêcher tous les abus. Il lui ordonnait ou de ratifier pleinement le concordat et de le faire inviolablement observer, ou de renvoyer les bulles pontificales. Le pape déclare que l'évêque de Viterbe a reçu à ce sujet des instructions formelles[87]. L'évènement qui domine cette période des relations du roi avec la papauté, c'est l'accord de 1472, qui ne fut en définitive qu'une transaction passagère.

Le concordat essaya, sans y parvenir, d'accorder un instant les prétentions rivales du roi, de la papauté, de l'Eglise gallicane. Il mécontenta naturellement tout le monde et fut si peu du goût royal qu'il ne fut pas plutôt signé qu'on le viola. La papauté y trouva dès le début des avantages si considérables qu'elle fit entendre des plaintes amères sur sa non exécution.

Elle avait cru un instant pouvoir tout conserver encore. Mais l'on n'était plus en 1461, au lendemain de l'abolition de la Pragmatique.

Mûri par les épreuves et les revers, Louis XI fit plus que protester, il résista et cette résistance fut, nous l'allons voir, si énergique que la papauté dut finalement céder.

 

 

 



[1] Legrand. Histoire, II, 753.

[2] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma. 19 décembre 1471. L'évêque de Novare au duc.

[3] Milano. A di Stato. Potenze estere : Roma, 30 décembre 1471. Jean de Novare et Nicodemo au duc. Ce document est daté du 30 décembre 1472, mais il y a là manifestement une erreur, le cardinal grec étant mort le 18 novembre 1472. De plus, quoique datée de Rome, cette lettre se trouve dans le Potenze estere : Francia, sous une chemise portant la rubrique : Cardle Niceno.

[4] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 12 janvier 1472. Jean de Novare et Nicodemo au duc.

[5] Milano. A. di Stato Potenze estere : Roma, 14, 24 février 1472. Jean de Novare et Nicodemo au duc.

Ange Capranica, romain, cardinal du titre de Sainte-Croix de Jérusalem (1460), conserva ce titre jusqu'à sa mort (1478), bien qu'il eût été promu en 1473 à l'évêché cardinalice de Palestrina.

[6] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 1er février 1472. Jean de Novare et Nicodemo au duc.

[7] Mantova. A. Gonzaga. Potenze estere : Roma, ultimo februario 1472. Arrivabene à Barbara.

[8] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 4 janvier 1472. L'évêque de Novare au duc.

[9] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 14 mars 1472. Jean de Novare et Nicodemo au duc.

[10] A. du Vatican. Arm. XXXIX, n° 10, fis 266 et 215, 22 janvier 1472 (Ex epistola An. de Forlivio ad card. Papien. data Romœ die 22 januar 1472).

[11] A. du Vatican. Arm. XXXIX n° 14, f° 232b (23 avril 1472).

[12] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 12 janvier, 20 avril 1472. Jean de Novare au duc.

[13] A. du Vatican. Arm. XXXIX, n° 14, f° 255b (13 avril 1472).

[14] A. du Vatican. Sixti IV. Reg 660, f° 100 (18 juin 1472)

[15] Lettres, V, 2.

[16] Vast. oc, passim.

[17] A. du Vatican. Arm. XXXIX, n° 14, f° 2911, 226, 303, 320, 374 (avril, juin, juillet 1472).

[18] Vast. oc, 413.

[19] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 11 juillet 1472. L'évêque de Novare au duc.

[20] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Francia. Saumur, 20 juin 1472. Sforza de Bettini au duc.

[21] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Francia. Saumur, 15 août 1472. Sforza de Bettini au duc.

[22] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Francia. Tours, 30 août 1472. Sforza de Bettini au duc.

[23] A. du Vatican. Fondo Borghese. Série I, n° 34, f° 116. Sixtus papa IIIjx Responsiones ad petitiones imperatoris D. Sixti iiij, etc.

[24] A. du Vatican. Sixti IV. Reg 662, f° 6b.

[25] A. du Vatican. Arm. XXXIX, n° 14, f° 364 (26 août 1472).

[26] Rey. oc, 125.

[27] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma 28 juillet 1472. Jean de Novare au duc.

[28] A. du Vatican. Arm. XXXV, n° 8, f° 418. — Arm. XXXI, n° 62, f° 105b. (4 juillet 1472.)

[29] A. du Vatican. Arm. XXXV, n° 8, f° 416b. — Arm. XXXI, n° 62, f° 104b. (10 et 15 juin 1472.)

[30] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Francia. Tours, 8 mars 1472. Sforza de Bettini au duc.

[31] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Francia. Tours, 2 avril 1472. Sforza au duc.

[32] Berthier. oc, 140.

[33] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 3 juillet 1472. L'évêque de Novare au duc.

[34] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 10 juillet 1472. Jean de Novare au duc.

[35] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 10 juillet 1472. Jean de Novare au duc.

[36] A. du Vatican. Arm XXXIX, n° 14, f 328. (17 juillet 1472.)

[37] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 3 juillet 1472. Jean de Novare au duc.

[38] Milano. A. di Stato. Potenze estere : Roma, 15 août 1472. Jean de Novare au duc.

[39] Ordonnances, XVII, 548.

[40] Ordonnances, XVII, 549 et Extrav. com. Ad universalis ecclesiæ regimen. De treuga et pace (1472). Corpus juris canonici, éd. Friedberg, II, col. 1247-9.

[41] L'usage des réserves découle de ce principe que le pape étant l'ordinaire des ordinaires, est le maître de toutes les églises et de tous les bénéfices du monde chrétien. Il peut donc se réserver le droit de les conférer avant tous les autres collateurs.

[42] Extrav. Exsecrabilis, Joann XXII. De Præbendis et dignitatibus (1317). — Corpus juris canonici, éd. Friedberg, II, col. 1207-9.

[43] Extrav. Comm. Ad Regimen. De Præbendis et dignitatibus (1335). — Corpus juris canonici, éd. Friedberg, II, col. 1266-7.

[44] La chancellerie romaine était anciennement chargée de la présentation des suppliques au pape et de leur expédition. Elle avait à sa tête le chancelier dont le nom vient du grillage (cancellis) derrière lequel il s'abritait quand il recevait les suppliques, pour ne pas être importuné par la foule. La chancellerie expédiait aussi les brefs pontificaux. C'est la secrétairerie des Mémoriaux qui est aujourd'hui chargée des suppliques.

La chancellerie — le mot désigne communément toutes les administrations de l'Eglise ayant contribué à l'expédition d'un rescrit émané de l'autorité pontificale — faisait usage de certaines règles. Jean XXII les fit réunir et les confirma de son autorité pontificale. Ses successeurs imitèrent son exemple, les modifièrent et les amplifièrent. La collection comprend aujourd'hui 72 règles. Ces règles ne sont pas un droit perpétuel, elles ne sont valables que pendant la vie du pontife qui les a confirmées, mais l'usage veut que son successeur les renouvelle et les confirme à son tour.

Ces règles ont pour objet l'office de ceux qui dans la curie sont chargés des jugements. Elles indiquent les réserves pontificales en matière de bénéfices (règles 1 à 9, 11, 15, 58). Elles ont force de droit dans l'Eglise toutes les fois qu'elles ne sont pas modifiées ou annulées par les concordats conclus entre les souverains pontifes et les princes séculiers. (Cf. Riganti : Commentarii in regulas cancellariæ romanæ.)

[45] Thomassin. oc, I, 1re partie, 131; II, Ire partie, 169.

[46] A. du Vatican. Arm. XI, n° 134, f° 17.

[47] Thomassin. oc, III, 803. Extr. Com. C. J. C. Friedberg, II, 1266.

[48] Jacobi Papiensis. Epistolæ, 476.

[49] A. du Vatican. Sixti IV. Reg. 601, f° 27b.

[50] Ordonnances, XVII, 553.

[51] Lettres, V, 159.

[52] Berthier. XVII, 142. — Martène, II, 1473, 1493.

[53] Legrand. Pièces hist., XXI, 49.

[54] Ordonnances, XVII, 596.

[55] Legrand. Pièces hist., XXVIII, 264-270.

[56] A. du Vatican. Sixti IV. Reg. 662, f° 164 (15 avril 1473). — Arm. IV, caps. III, n° 1, f° 31 (15 juin 1460).

[57] Lettres, V, 127.

[58] Buser. oc, 163.

[59] Lettres, V, 113.

[60] Jean de Roye oc, I, 303. — A. du Vatican. Sixti IV. Reg. 652, f° 187.

[61] Ces demandes nous montrent qu'au lendemain même du concordat les abus avaient recommencé de plus belle et que la papauté, pas plus que la royauté, ne se faisait faute de violer les stipulations concordataires. D'ailleurs, les papes ne voulurent jamais renoncer aux expectatives. Le cardinal de Pavie nous apprend que, déjà sous Pie II, on délibéra en consistoire pour supprimer les expectatives et les réservations, mais le cardinal de Porto, Carvajal, prélat d'une très grande intégrité, ayant déclaré que ces avantages avaient croûté trop de peine à obtenir pour les laisser échapper, elles furent conservées. (Thomassin. oc, III, 40.)

[62] La possession paisible d'un bénéfice pendant trois ans donnait un titre canonique au possesseur de ce bénéfice, même, s'il n'en avait pas d'autres. Cette règle avait été autorisée dès les débuts du christianisme comme prescription triennale, par un concile d'Afrique. Tout clerc se trouvant dans ces conditions ne pouvait plus être évincé ni molesté. La règle des possesseurs triennaux est inscrite tout au long dans la Pragmatique de Bourges, au titre De pacificis possessoribus. (Thomassin. oc, III, 63.)

[63] A. du Vatican. Politicorum. Arm. II, t. 55, f° 85.

[64] Buser. oc, 192.

[65] Legrand. Pièces hist., XXI, 291.

[66] Legrand. Pièces hist., XXI, 194.

[67] Legrand. Histoire, II, 804. — Mantova. A. Gonzaga Potenze estere : Roma, 17 mars 1474. Arrivabene au marquis. — Voir aussi : Gingins, oc I, 2. L'évêque de Parme, Sacramorus d'Arimino, en écrivant au duc de Milan, lui annonce que Sixte IV est décidé à excommunier le duc et que Louis XI y pousse secrètement. L'évêque de Viterbe doit porter la bulle en France. Le cardinal d'Estouteville lui a déclaré que le roi avait la haute main sur cette affaire et qu'elle se terminerait suivant sa volonté.

[68] Legrand. Pièces hist., XXI, 127 (fév. 1474).

[69] Legrand. Pièces hist., XXII, 167 (29 septembre 1474).

[70] Lettres, VI, 9.

[71] Lettres, VI, 24.

[72] Lettres, V, 298, 783.

[73] Legrand. Histoire, II, 936. Pièces hist., XXII, 170 (23 nov. 1474).

[74] Legrand. Pièces hist., XXIII, 91.

[75] Legrand. Pièces hist., XXII, 168 (5 et 20 nov. 1474).

[76] Legrand. Pièces hist., XXII, 147 (août 1474).

[77] Legrand. Pièces hist., XXIII, 60 (7 mars 1475).

[78] Legrand. Pièces hist., XXIII, 183 (juin 1475).

[79] Legrand. Pièces hist., XXIII, 60 (mars 1475).

[80] Legrand. Pièces hist., XXIII 183 (16 juin 1455).

[81] Legrand. Pièces hist., XXIII 199 (juin 1475).

[82] Legrand. Pièces hist., XXIII, 186 (juin 1475).

[83] Legrand. Pièces hist., XXIII, 80 (mars 1475).

[84] Legrand. P. hist., XXIII, 58 (fév. 1475).

[85] Legrand. P. hist., XXIII, 55 (fév 1470).

[86] Legrand. P. hist., XXIII, 91 (avril 1475).

[87] D'Achery. oc, 844.