LES MÉTÈQUES ATHÉNIENS

LIVRE DEUXIÈME. — FORMATION ET DÉVELOPPEMENT DE LA CLASSE DES MÉTÈQUES À ATHÈNES.

SECTION II. — LES FAITS ET LES HOMMES POLITIQUES.

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

CHAPITRE PREMIER.LES MŒURS PUBLIQUES.

§ 1.

Deux causes ont favorisé la formation et le développement de la classe des métèques à Athènes, depuis les origines jusqu'à la chute de la puissance politique de la cité : les mœurs publiques, et la politique suivie par tous les hommes d'État qui se sont succédé au pouvoir. On peut dire que ceux-ci, d'accord avec l'opinion publique, ont toujours partagé et mis en pratique les idées qui ont inspiré à Xénophon le second chapitre de son traité des Revenus.

Aucune autre des cités antiques ne s'est, d'une façon générale, ouverte aux étrangers aussi facilement qu'Athènes, et cela dans toutes les périodes de son histoire. Les Athéniens se vantaient eux-mêmes d'avoir toujours été hospitaliers à l'étranger. Leurs poètes tragiques célèbrent à l'envi cette générosité d'Athènes : c'est Eschyle dans ses Suppliantes, où il prête au roi d'Argos des sentiments tout athéniens ; c'est Sophocle dans Œdipe à Colone [1] : « Athènes est, dit-on, la plus pieuse des cités, et la seule capable de sauver l'étranger maltraité, la seule en état de lui porter secours. » C'est encore Euripide dans les Héraclides, ou le chœur répond au héraut d'Eurysthée demandant qu'on lui livre les enfants d'Héraclès[2] : « C'est une chose impie pour une cité que de repousser la prière suppliante des étrangers. » Toutes ces pièces, au fond, ne sont que de magnifiques apologies de la conduite d'Athènes vis-à-vis de l'étranger.

Aristophane lui aussi déclare que la piété impose des devoirs aussi bien envers les étrangers qu'envers ses compatriotes.[3]

Les poètes ne sont d'ailleurs pas les seuls à vanter cette hospitalité d'Athènes : les historiens aussi en parlent et en citent une foule d'exemples, depuis les temps légendaires jusqu'aux temps historiques. Pausanias raconte, par exemple, que le roi Mélanthos avait ouvert la cité aux Ioniens, en souvenir des guerres qu'il avait soutenues en commun avec Ion.[4] Thucydide, parlant des premiers temps de la Grèce, dit que des familles riches et puissantes, chassées de toutes les cités de la Grèce par la guerre ou des séditions, se réfugièrent à Athènes, où elles trouvèrent un asile assuré.[5]

Enfin Suidas prétend qu'une ancienne loi ordonnait d'accueillir en Attique tous les étrangers, pourvu qu'ils fussent d'origine hellénique.[6] Cette prétendue loi n'est sans doute pas autre chose que l'expression de cette politique généreuse d'Athènes, qu'on voit encore symbolisée par cet autel que les Athéniens seuls, au dire de Pausanias, avaient élevé à la Pitié, Έλου βμος,[7] « manifestant ainsi leur philanthropie envers les dieux aussi bien qu'envers les hommes. »

Il y avait donc, incontestablement, dans la conduite d'Athènes vis-à-vis de l'étranger, quelque chose de noble et de désintéressé, qui est un exemple unique dans l'histoire des cités antiques. Mais en même temps Athènes témoignait par là d'une grande habileté politique et d'une parfaite intelligence de ses intérêts. Pausanias, dans le passage où il raconte que le roi Mélanthos avait ouvert la cité aux Ioniens, l'explique en disant que c'était par reconnaissance pour Ion et en souvenir des guerres faites en commun, mais que c'était surtout afin de pouvoir mieux résister aux Doriens.[8]

Ce mélange de générosité et d'intérêt bien entendu que Pausanias suppose chez un des rois de l'Attique légendaire se retrouve réellement dans la période historique, et explique toute la conduite des Athéniens vis-à-vis de l'étranger.

§ 2.

En dehors de cette bienveillance naturelle des Athéniens à l'égard des étrangers, une autre cause a contribué puissamment à leur faire accorder à ceux-ci une grande place dans la cité : c'est le respect qu'avaient les Athéniens pour le travail sous toutes ses formes, même le travail manuel.

On sait que, dans beaucoup de cités grecques, le métier d'artisan était considéré comme déshonorant pour un citoyen, et même pour un homme libre. Il en était ainsi surtout à Sparte,[9] la ville aristocratique par excellence ; mais Thèbes ne se montrait guère moins sévère, puisque, au dire d'Aristote, la loi y excluait des fonctions publiques non seulement ceux qui exerçaient une profession manuelle, mais ceux même qui en avaient exercé une depuis moins de dix ans[10] ; il va sans dire que cette loi remontait au temps où le gouvernement de Thèbes était oligarchique.

A Thespies, celui qui apprenait un art mécanique était frappé de déshonneur.[11] Il semble qu'à Corinthe seule, en dehors d'Athènes, on ne méprisât pas les artisans, et encore l'expression dont se sert Hérodote est-elle toute relative : « Les Corinthiens, » dit-il, « sont ceux des Grecs qui méprisent le moins les artisans.[12] » Il en était tout autrement à Athènes : on peut affirmer que dès le début de la période historique Athènes a encouragé et favorisé le travail sous toutes ses formes.

Plutarque attribue à Solon toute une politique économique : « Il tourna, » dit-il, « vers les arts et l'industrie les citoyens, dispensa le fils de l'obligation de nourrir son père, si celui-ci ne lui avait pas fait apprendre un métier ; » et plus loin : « Il voulut que l'industrie fut honorée, chargea l'Aréopage de s'enquérir des ressources de chaque citoyen, et de punir ceux qui vivraient dans l'oisiveté » (ργίας γραφή).[13]

Quelle que soit l'authenticité de ces lois attribuées à Solon, le fait même qu'on les lui attribuait à Athènes prouve que le travail manuel était estimé de son temps et qu'il avait cherché à développer l'industrie ; ne savons-nous pas d'ailleurs que lui-même, quoique de famille noble, s'était enrichi par le commerce[14] ?

Une autre loi, citée dans le plaidoyer de Démosthène contre Euboulidès,[15] permettait d'intenter une action on diffamation (δίκη κακηγορίας) à quiconque reprocherait à un Athénien ou à une Athénienne le métier qu'ils exerçaient sur la place.

Il est donc certain que, dès cette période de l'histoire d'Athènes, le travail manuel était encouragé par les législateurs. Il on fut de même dans la période suivante : c'est ainsi que Thémistocle conseilla d'exempter de toute taxe les ouvriers, afin de développer dans la ville beaucoup d'industries utiles.[16] Périclès, d'après Thucydide, déclarait que si à Athènes ce n'était pas une honte d'être pauvre, c'en était une de ne pas travailler pour sortir de sa pauvreté.[17] Et Plutarque le représente se vantant d'avoir fait élever de grandes constructions, parce qu'il a par là dirigé l'activité de ses concitoyens vers les arts et l'industrie et contribué ainsi à enrichir la cité.[18]

M. Caillemer, qui reconnaît que les hommes d'État d'Athènes ont encouragé le travail manuel, prétend d'autre part que « l'opinion publique ne suivait pas volontiers l'inspiration de Thémistocle et de Périclès, » que « les petits propriétaires étaient toujours enclins à assimiler les citoyens qui travaillaient manuellement aux gens qu'ils méprisaient le plus, aux esclaves ou tout au moins aux étrangers de basse condition, » et que « en résumé, à Athènes, les lois recommandaient le travail, les mœurs le condamnaient. » Seulement, à l'appui de cette opinion, M. Caillemer ne cite aucun texte.[19]

Si les mœurs athéniennes, comme le veut M. Caillemer, avaient été réellement hostiles au travail, il n'aurait pas pris le développement qu'il prit : on sait assez que les lois sont impuissantes, la où les mœurs leur résistent. Or ce développement de bonne heure fut tel que, dès l'année 580, au milieu des révolutions qui suivirent la réforme de Solon, et après l'expulsion de l'archonte Damasias, on fut obligé d'attribuer aux démiurges deux des dix places d'Archontes, les agriculteurs en ayant cinq et les Eupatrides cinq.[20] Quant au cinquième siècle, est-il nécessaire de rappeler la place que tenaient alors les artisans dans la société athénienne ?

Il suffit de dire que les favoris de l'Assemblée du peuple sont alors pour la plupart des artisans, comme Cléon, qui était corroyeur,[21] Cléophon, qui était luthier,[22] Hyperbolos, qui était lampiste,[23] etc. Enfin Plutarque, ou l'auteur quel qu'il soit des Apophtegmes des Lacédémoniens inconnus, dit formellement que les Athéniens ne considéraient comme honteux aucun métier, pas même celui de marchand de salaisons à la criée, de fermier des impôts publics, ou d'entremetteurs, tous personnages qui avaient ailleurs, paraît-il, la même fâcheuse réputation.[24]

En fait, un très grand nombre de citoyens exerçaient alors des métiers manuels, et très souvent les femmes y travaillaient avec leurs maris.[25] Et l'ancienne fête des Chalkeia, célébrée en l'honneur d'Athéna Ergané et d'Héphœstos, les deux divinités protectrices du travail, était comme la reconnaissance officielle par la cité du prix qu'elle attachait à l'exercice des arts industriels.[26]

Il ne manque pas, il est vrai, de passages d'écrivains athéniens où l'on voit exprimé le plus profond mépris pour le travail manuel et tous ceux qui s'y livrent. Seulement ils émanent tous de partisans décidés du régime aristocratique. C'est tout d'abord Platon, qui, nous l'avons déjà dit, méprise la richesse et les moyens qui la procurent ; c'est Aristote, qui défend d'enseigner aux jeunes gens l'art, qui rend l'âme incapable d'acquérir et de pratiquer la vertu.[27] C'est encore Xénophon, qui dit que les arts manuels sont justement décriés, car ils minent le corps de ceux qui les exercent : or, quand les corps sont efféminés, les âmes perdent bientôt toute leur énergie.[28] Il est d'ailleurs assez difficile de concilier cette théorie, que Xénophon, il est vrai, met dans la bouche de Socrate, avec les conseils qu'il donne lui-même aux Athéniens dans ses Revenus. Ou plutôt, on saisit ici sur le fait cette contradiction que nous signalons entre les théories des philosophes d'une part et les mœurs publiques d'autre part : Xénophon, à la fois philosophe et homme d'action, est amené forcément à se contredire, quand il passe de la théorie pure à la pratique.

Ces théories, en somme, s'accordent bien avec le système général des partisans du régime aristocratique. D'après eux, pour être vraiment citoyen, il fallait être affranchi de toute obligation matérielle et consacrer sa vie aux affaires publiques exclusivement. Il y avait eu d'ailleurs une époque où il en était réellement ainsi, et il s'est produit là, dans les mœurs grecques, une évolution curieuse, justement signalée par M. Caillemer.[29] A l'époque héroïque, sous le régime patriarcal, le travail manuel, loin d'être méprisé, était pour ainsi dire pratiqué par tout le monde. Dans les poèmes homériques, les héros, comme Ulysse, et même les dieux, comme Héphaestos, ne rougissent nullement de travailler de leurs mains, et les artisans de profession portent le nom honorable de δημιουργοί. C'est avec l'avènement dans les cités du régime aristocratique que disparaît le travail libre : exercé alors uniquement par des esclaves, ou par des hommes libres, mais que le manque de fortune rabaissait à leur niveau, le travail devint par cela même l'objet du mépris des riches propriétaires qui composaient la cité ; et il continua à en être de même, dans la période suivante, dans les cités où, comme à Sparte, l'aristocratie conserva le pouvoir. Et pourtant c'est alors, aux huitième et septième siècles, que l'industrie grecque commence à prendre son essor, qui coïncide avec le développement du commerce maritime et de la colonisation. Seulement ce sont les esclaves qui seuls ou à peu près seuls exercent ces métiers.[30]

Or ce n'est plus le régime aristocratique qui gouverne Athènes à l'époque qui nous intéresse particulièrement. Les anciens préjugés contre le travail manuel persistent bien encore chez les aristocrates et surtout chez les théoriciens de l'aristocratie, mais là seulement. Si les artisans ont été, dès 580, assez nombreux et assez forts pour conquérir deux des places d'Archontes, on peut dire, une fois l'aristocratie définitivement dépossédée du pouvoir, qu'ils sont la base même du gouvernement nouveau. Aussi ce gouvernement démocratique favorise-t-il de son mieux le travail, et la plus grande partie des citoyens s'y livre elle-même, montrant assez par là qu'elle l'estime. Les comptes de constructions qui nous sont parvenus de ce temps nous montrent, à côté d'ouvriers étrangers, un grand nombre d'ouvriers de naissance libre et citoyens. Or ces citoyens, de l'aveu des aristocrates eux-mêmes, formaient la majorité de l'Assemblée du Peuple : Socrate, dit Xénophon, s'étonnait que Charmidès hésitât à prendre la parole dans l'Assemblée du Peuple ; quels étaient donc ceux qu'il redoutait ainsi ? des foulons, des corroyeurs, des charpentiers et des forgerons.[31]

Et le même Socrate, toujours au dire de Xénophon, engageait lui-même les hommes libres qui avaient peu de ressources à en demander au travail, leur démontrant que par là ils se rendraient utiles à eux-mêmes et à leurs concitoyens.[32]

Enfin, taudis que les aristocrates prétendaient que l'artisan ne peut s'occuper des affaires de la cité, Périclès déclarait hautement que les mêmes hommes pouvaient soigner tout à la fois leurs propres intérêts et ceux de l'État, et que de simples artisans pouvaient entendre suffisamment les questions politiques.[33] Et sous son gouvernement Athènes devenait, en même temps que le centre des arts et des sciences, un immense atelier que dépeint ainsi Plutarque, faisant parler Périclès lui-même : « Ceux qui ne portent pas les armes et sont obligés de vivre de leurs bras ont une part des deniers publics ; mais ce qu'ils reçoivent n'est pas le prix de leur paresse. Ils sont appliqués à la construction de grands édifices où ils trouvent, dans les arts de toute espèce, à s'occuper longtemps. Ainsi ceux qui restent dans la cité ont un moyen de tirer des revenus de la république les mêmes secours que les matelots, les soldats et ceux qui sont préposés à la garde des frontières. Nous avons à acheter la pierre, l'airain, l'ivoire, l'or, l'ébène, le cyprès ; et des ouvriers sans nombre, charpentiers, maçons, forgerons, tailleurs de pierres, teinturiers, orfèvres, brodeurs, tourneurs, ébénistes, peintres, sont occupés à les mettre en œuvre. Les armateurs, matelots et pilotes, conduisent par mer une immense quantité de matériaux ; les voituriers, les charretiers, en amènent par terre ; les charrons, les cordiers, les tireurs de pierres, les bourreliers, les paveurs, les travaillent ; et chaque patron, tel qu'un général d'armée, a autour de lui une troupe d'artisans sans profession déterminée, qui sont comme un corps de réserve, employé en sous-ordre. Par là les hommes de tout âge et de toute condition partagent l'abondance que ces travaux répandent.[34] »

Or la plupart des étrangers qui venaient se fixer à Athènes étaient, comme nous le verrons, des artisans et des marchands. On ne pouvait évidemment mépriser chez eux ce que l'on estimait chez les citoyens. La politique qui tendait à favoriser le développement du commerce et de l'industrie devait porter les hommes d'État d'Athènes à y attirer des travailleurs étrangers. Et les citoyens ne pouvaient qu'accueillir volontiers des hommes qui menaient la même vie qu'eux et qui partageaient leurs travaux de tous les jours.

Seulement, ce n'est qu'à partir d'un certain moment que la cité athénienne est entrée dans cette voie de l'encouragement du travail libre : c'est à partir du moment où sa constitution a commencé à se transformer dans le sens démocratique. C'est là la troisième et la plus importante des causes qui ont amené Athènes à ouvrir largement ses portes aux métèques.

 

CHAPITRE II.LA POLITIQUE : 1. DES ORIGINES A CLISTHÈNE.

§ 1.

C'est à partir du moment où la constitution athénienne incline vers la démocratie que les métèques commencent à prendre dans la cité une place importante. Chacun des fondateurs du nouvel ordre de choses, Solon, Clisthène, Thémistocle, Périclès, a des idées très nettes sur l'intérêt qu'il y a pour Athènes à attirer beaucoup de métèques ; et au nom de chacun de ces hommes d'État se rattachent des mesures concernant les étrangers domiciliés.

Est-ce à dire qu'il n'y eût point en Attique de métèques avant l'établissement du régime démocratique ? C'est l'avis de M. Schenkl, qui veut qu'il n'y ait point ou en Attique avant Clisthène de classe d'hommes à laquelle ou puisse appliquer ce nom.[35] Il en donne pour preuve que dans toutes les lois et fragments de lois attribués à Solon et qui nous sont parvenus, il n'est question que de citoyens et d'étrangers, et jamais de métèques.

Le fait est exact, mais il ne prouve rien ; la chose peut fort bien avoir existé sans le mot. D'ailleurs nous avons déjà dit que souvent, même à l'époque classique, on désigne par le mot de ξένοι des hommes qui sont certainement des métèques.[36]

M. Schenkl ajoute que la plus ancienne inscription où il soit question de métèques[37] est à peu près contemporaine de Clisthène : or c'est le décret qui organise les cultes du dème de Scambonides et qui détermine la part qu'y prendront les métèques. M. Schenkl en conclut qu'il faut rattacher ce décret aux réformes de Clisthène, et que c'est cet homme d'État qui a constitué la classe des métèques telle qu'on la voit à Athènes à partir du cinquième siècle.

Seulement cette théorie se heurte à un texte capital d'Aristote, qui affirme, dans la Politique, que Clisthène fit entrer dans ses nouvelles tribus des métèques : πολλος γρ φυλέτευσε ξένους κα δούλους μετοίκους.[38] M. Schenkl l'explique ainsi : μετοίχους serait mis pour μετοικοντας et ne s'appliquerait qu'à δούλους, et pour lui ces mots mêmes montrent que les étrangers qui pouvaient alors habiter Athènes n'y avaient point une condition analogue à celle des métèques du cinquième siècle, et que c'étaient les affranchis qui seuls avaient une condition à peu près analogue. A l'appui de cette explication il allègue qu'Aristote distingue toujours soigneusement les étrangers des métèques, et les esclaves des affranchis, et que, s'il avait voulu dans le passage en question désigner des affranchis et des métèques, il aurait écrit μετοίκους κα πελεύθερους.

On pourrait dire avec autant de raison que, si Aristote avait entendu parler d'étrangers libres et d'étrangers esclaves, il aurait écrit ξένους κα λευθέρους κα δούλους. Au contraire, c'est évidemment à dessein qu'il a employé cette expression de ξένους κα δούλους μετοίκους. Μ. Ε. Curtius on rend fort bien compte, d'après Bernays[39] : il y avait alors deux sortes de métèques : 1°des étrangers de naissance libre ; 2° des esclaves transférés par l'affranchissement dans la classe des métèques. C'est-à-dire que les choses se passaient déjà exactement comme aux cinquième et quatrième siècles, où nous avons vu que, pour la cité, affranchis et métèques ne faisaient qu'un.

Mais laissons de côté cette discussion sur les mots. Y a-t-il rien de plus artificiel que de faire ainsi créer par un homme, une loi ou un décret, toute une catégorie de personnes ? Personne n'a créé les métèques, pas plus que personne n'a créé les esclaves : il y a toujours eu des uns et des autres dans les cités antiques, surtout dans celles qui, comme Athènes, se sont livrées au commerce et à l'industrie. Or ces étrangers qui s'établissaient ainsi à demeure ou au moins pour longtemps se trouvaient forcément dans des conditions particulières, différentes de la condition des étrangers de passage. Il est certain que la cité devait les faire contribuer à ses charges, et non à ses honneurs : il y avait donc là une classe d'hommes particulière ; peu importe qu'ils s'appelassent ou non métèques : c'étaient des métèques.

Aristote ajoute d'ailleurs, et nous verrons qu'il n'y a pas lieu de révoquer en doute son témoignage, que Clisthène fit entrer une partie de ces ξένους et de ces δούλους dans ses tribus. N'est-il pas plus naturel d'admettre que ces hommes, dont il fit ainsi des citoyens, constituaient déjà une classe différente de celle des étrangers proprement dits, et qu'ils étaient déjà jusqu'à un certain point dans la cité ? Si Clisthène put les admettre dans ses tribus, c'est précisément parce que ces hommes étaient fixés depuis longtemps déjà sur le sol de l'Attique et avaient donné à la cité des preuves de leur attachement ; c'est qu'ils n'étaient plus tout à fait des étrangers, et que déjà la cité les avait fait participer jusqu'à un certain point à sa vie. De sorte que l'œuvre de Clisthène ne consista en somme qu'à faire en grand ce que l'on fit quelquefois plus tard en détail, à savoir, à accorder le droit de cité aux métèques qui s'en étaient montrés dignes.

Ce n'est pas donc pas Clisthène qui a créé, comme le veut M. Schenkl, la classe des métèques (ordinem metaecorum) ; ce n'est ni lui ni personne ; cette classe est née du jour où des étrangers, venant se fixer définitivement et à titre héréditaire sur le sol de l'Attique, ont par cela même participé à la vie de la cité, supporté certaines charges auxquelles échappaient les étrangers de passage, et peut-être reçu en échange certains droits. Or ce jour est très reculé ; la légende nous montre elle-même l'ancienneté des métèques en Attique : entre Athènes et Eleusis, au dire de Pausanias, on voyait l'hérôon du Lacédémonien Zarèx, qui avait appris d'Apollon la musique, et qui était venu s'établir en Attique et y mourir.[40]

M. Schenkl reconnaît d'ailleurs que la condition des étrangers était bien meilleure à Athènes du temps de Solon que dans toutes les autres cités de la Grèce : or qu'est-ce que ces étrangers mieux traités à Athènes qu'ailleurs, si ce n'est des métèques ?

Il y avait donc en Attique, dès une plus haute antiquité reculée, des étrangers établis à demeure et formant par là même une catégorie particulière de la population. On peut entrevoir à quels moments principalement et à quelles occasions ils furent attirés à Athènes. Thucydide raconte que le synœkisme opéré par Thésée amena un agrandissement de la ville[41] : il n'est pas impossible que ces travaux aient attiré du dehors des ouvriers, qui seraient ensuite restés en Attique.

Mais il est certain que ces métèques ne devaient avoir ni le nombre, ni l'importance, ni les privilèges qu'ils eurent plus tard. Le gouvernement aristocratique qui succéda à la royauté primitive ne pouvait être favorable aux étrangers : ceux-ci ne pouvaient trouver place dans la constitution des génies, tandis que les esclaves eux-mêmes y avaient la leur. Aussi croyons-nous qu'il ne faut ajouter aucune foi à ces prétendues admissions d'étrangers au nombre des citoyens, que rapportent certains écrivains anciens, et auxquelles M. Schenkl semble croire. Nous voulons parler du passage du scoliaste d'Aristophane que nous avons déjà discuté et qui, selon nous, doit s'appliquer aux métèques admis dans la cité comme tels, et non comme citoyens.[42] Il faut y ajouter un passage des scolies de Thucydide, d'après lequel les Athéniens à l'origine auraient accordé facilement le droit de cité, et ne l'auraient plus fait dans la suite, les citoyens étant devenus suffisamment nombreux.[43]

Comment admettre qu'on ait reçu si facilement des étrangers au nombre des citoyens à une époque où la cité n'était constituée que par des gentes étroitement formées et fondées autant sur la religion que sur la nature et la famille[44] ? Faire participer au culte du foyer des étrangers eût été un sacrilège. Or il n'y avait point alors d'autres cadres que la gens : quiconque n'était pas dans une gens n'était pas dans la cité. C'est précisément en cela que consista la révolution de Clisthène : sans détruire les juntes, il créa d'autres cadres, les dèmes et les nouvelles tribus, qui pouvaient recevoir de nouveaux citoyens. Et si cette révolution a été si célèbre dans l'antiquité, c'est précisément parce que Clisthène osa faire ce que nul avant lui n'avait fait.

Ce qui a pu et dû arriver en réalité, c'est ce que dit, d'une façon beaucoup plus exacte, Thucydide lui-même, au passage que le scoliaste a commenté : à savoir que quelques gentes puissantes et riches, chassées de leur patrie par l'invasion étrangère ou par la guerre civile, non seulement trouvèrent à Athènes un refuge, mais y reçurent le droit de cité.[45] C'est ainsi que la gens des Æacides se disait originaire d'Egine,[46] que les Médontides, les Paeonides et les Alcméonides venaient de Messénie, etc.[47] Mais il n'est pas croyable que l'on ait accordé alors le droit de cité à des individus isolés, ni surtout qu'on l'ait fait souvent et facilement. Le texte du scoliaste d'Aristophane doit dériver de la même source qui a fourni à Suidas et à Photius leur commentaire du mot Περιθοδαι ; seulement il l'a mal comprise et mal interprétée. En somme, il faut entendre simplement par là que les Athéniens, à cette époque reculée, recevaient volontiers les étrangers, et ne faisaient point, comme les Spartiates, de xénélasies : autrement dit, ils admettaient chez eux des métèques.

Quelle pouvait être la condition légale de ces métèques ? Il ne faut pas s'attendre à trouver là-dessus le moindre renseignement dans les auteurs ; mais on pout le conjecturer d'après ce que nous savons du régime de la gens, et aussi par analogie avec ce qui s'est passé à Rome pendant les premiers siècles.

Le métèque, c'est-à-dire l'étranger, ne pouvait avoir de relations avec la cité (et il fallait bien qu'il en eût, y étant établi à demeure) que par l'intermédiaire d'un citoyen. Les seuls rapports qui existassent alors étaient des rapports d'homme à homme, et il fallait que tout nouveau venu s'attachât à la personne d'un citoyen, qui devenait son patron.[48] Il a dû y avoir à Athènes et dans toutes les cités grecques une institution analogue à l’applicatio ad patronum des Romains, qui avait pour résultat d'assimiler l'étranger domicilié à un client. C'est pour cette époque que l'on peut accepter ce que les lexicographes rapportent du prostate des métèques : il avait dû se conserver un souvenir obscur de cet ancien état de choses où l'étranger n'était toléré dans la cité qu'à la condition de s'y mettre sous la protection d'un de ses membres. Les métèques étaient donc alors des clients ; ils différaient seulement des clients ordinaires en ce qu'ils s'étaient volontairement soumis à la clientèle, et aussi en ce qu'ils n'acquéraient de droits qu'envers leur patron, et aucun vis-à-vis de l'État, pour qui ils restaient des étrangers.

Telle devait être la situation des métèques en Attique avant Solon : la Cité les admettait sur son territoire, mais comme clients des citoyens ; comme ils se livraient à des travaux qu'exerçaient seuls ou à peu près seuls les esclaves, ils étaient méprisés comme eux, et ne jouaient-aucun rôle dans la cité. Seulement ces travaux devaient peu à peu les conduire à la richesse : là était le germe de leur importance future.

§ 2.

C'est à partir de la réforme de Solon que l'on peut constater cette importance des métèques.

Nous avons déjà dit que Solon s'était efforcé de tourner les citoyens vers le commerce et l'industrie : il dut être amené par là même à s'occuper des métèques et à prendre à leur égard certaines mesures. S'il fallait en croire Plutarque,[49] Solon aurait offert le droit de cité à tous ceux qui auraient consenti à abandonner leur patrie pour venir se fixer à Athènes sans esprit de retour, pour y exercer quelque industrie.

Mais ce qui doit nous mettre eu défiance contre ce texte, c'est que Plutarque croit, lui aussi, qu'antérieurement à Solon on octroyait ce droit de cité à tous ceux qui le demandaient. Pour lui, la mesure prise par Solon n'était nullement une innovation et une largesse : c'était au contraire une restriction apportée à un usage existant.

Bruijn de Neve Moll[50] a conclu de ce texte que Solon donna le droit de cité à tous les exilés et à tous les artisans qui étaient venus se fixer définitivement à Athènes. Aucun texte ne confirme cette façon de voir : or c'aurait été toute une révolution, et une révolution peu en rapport avec le caractère au fond conservateur de la constitution solonienne. D'ailleurs Plutarque s'exprime de façon à faire croire que c'était une loi d'une portée générale, et valable pour toujours : s'il en avait été ainsi, la réforme de Clisthène n'aurait pas eu lieu d'être. Il ne pouvait donc, dans tous les cas, s'agir que d'une mesure de circonstance, et n'engageant nullement l'avenir.

Mais nous ne croyons même pas que ce soit là le sens véritable de la mesure prise par Solon. Solon a bien élargi les cadres de la cité, de manière à ce que tous les membres des anciennes gentes y eussent leur place ; mais rien n'indique qu'il ait fait entrer dans ces cadres des hommes tenus jusque-là en dehors des gentes, c'est-à-dire des étrangers. L'autorité du seul Plutarque est insuffisante pour nous le faire admettre, et Aristote, dans la République des Athéniens, n'en dit pas un mot.

A notre avis, il ne s'agit pas en réalité du droit de cité, mais simplement d'une hospitalité largement offerte par la cité. Il dut y avoir, du temps de Solon et émanant de son initiative, toute une série de mesures qui avaient pour but, les unes, d'assurer toute sécurité aux étrangers déjà axés à Athènes, les autres, de les y attirer en plus grand nombre en leur offrant certains avantages, sans doute d'ordre purement matériel. Ainsi comprises, ces réformes de Solon sont bien d'accord à la fois avec le caractère conservateur de sa constitution, et avec ce que nous savons de sa politique économique.

W. Wachsmuth, allant plus loin, a considéré Solon comme le premier créateur de la classe des métèques.[51] Nous avons déjà essayé de montrer que les métèques existaient avant lui ; il est probable seulement que Solon améliora leur sort. Une loi à lui attribuée et citée par Démosthène semble pourtant contredire cette façon de voir : c'est la loi qui défendait à tout étranger de travailler sur la place d'Athènes, ξένον μ ργάζεσθαι ν τ γορ.[52] M. Schenkl, qui n'admet pas l'existence d'une classe de métèques antérieurement à Clisthène, veut que la loi n'ait visé que les étrangers proprement dite. En fait, elle s'appliquait aux deux catégories d'étrangers ; la preuve en est qu'elle persista à l'époque classique, et qu'elle fut reprise sous la même forme par Aristophon[53] : or nous savons qu'alors elle s'appliquait également aux étrangers et aux métèques, désignés les uns et les autres par le mot de ξένοι, par opposition avec les citoyens.

Seulement cette loi n'était pas une défense absolue : on pouvait s'y soustraire en payant une taxe spéciale, τ ξενικά, véritable patente, à laquelle les citoyens n'étaient pas soumis.[54]

C'est donc aux métèques comme aux étrangers que Solon avait imposé cette loi. Pourquoi ? parce qu'il ne voulait pas que les métiers et l'industrie passassent complètement entre leurs mains, lui qui voulait au contraire que les citoyens s'y livrassent. Or quel meilleur moyen de les relever dans l'estime publique que d'en montrer l'exercice comme un droit pour les citoyens et de le frapper d'une redevance pour les étrangers ? Il était juste que les citoyens eussent sur les étrangers une supériorité ; il était juste aussi de faire payer à ceux-ci la sécurité qu'on leur assurait ; ce n'était d'ailleurs pas une condition assez onéreuse pour les empêcher de venir à Athènes, et la preuve, c'est qu'à partir de ce moment ils vont y affluer de plus en plus.

Cette loi de Solon, tout en favorisant les citoyens vis-à-vis des étrangers, n'était donc pas de nature à éloigner ces derniers. Et les réformes de Solon dans leur ensemble étaient de nature à les attirer.

Elles reposaient en effet sur la fortune ; Solon avait créé, à côté et en dehors des tribus, des phratries et des génies anciennes, une nouvelle division de la population, qui consistait en catégories censitaires. C'était encore une aristocratie, mais une aristocratie ouverte, et non plus forcément fermée comme l'était l'aristocratie de naissance.

C'est la fortune qui maintenant, à côté de la vieille noblesse eupatride, va constituer parmi les citoyens une noblesse nouvelle : « De quelle naissance est cet homme ? — Riche ; ce sont là aujourd'hui les nobles, » — dit le poète comique Alexis.[55]

Assurément la fortune ne suffisait pas pour donner le droit de cité ; les hommes que Solon répartit dans ses classes censitaires étaient les citoyens d'auparavant, et eux seuls. Mais qui ne voit que cette considération qui allait s'attacher aux citoyens riches devait rejaillir sur tous les riches, même sur ceux qui ne jouissaient pas du droit de cité ? Du moment que le législateur encourageait les citoyens à s'enrichir, en offrant aux plus riches les premières places dans l'État, on ne pouvait plus mépriser l'étranger qui arriverait à acquérir la même fortune, et par les mêmes moyens. La situation morale des métèques se trouvait donc du coup améliorée et relevée : ils n'acquéraient aucun droit positif nouveau, mais une position plus honorable et mieux assise. C'est ce qu'indique d'ailleurs Plutarque, en disant que du temps de Solon les étrangers affluèrent de toutes parts en Attique, attirés par la sécurité dont on y jouissait.[56]

C'est on ce sens que Solon peut être considéré comme le fondateur de la classe des métèques : c'est comme leur ayant assuré une sécurité entière et même une certaine considération de la part des citoyens au milieu desquels ils vivaient.

Pendant les quatre-vingts ans qui s'écoulèrent entre la réforme de Solon et celle de Clisthène, le nombre et l'importance des métèques durent singulièrement augmenter. Nous sommes, il est vrai, hors d'état de le démontrer dans le détail. Nous savons seulement que les travaux publics prirent à Athènes un développement considérable sous le gouvernement de Pisistrate et de ses fils[57] : or toutes ces constructions de monuments, d'aqueducs, de routes, exigèrent un grand nombre d'ouvriers, et il n'est pas douteux qu'elles aient attiré et occupé beaucoup de métèques, comme le firent plus tard les grands travaux de Périclès.

La République des Athéniens d'Aristote nous fournit un témoignage frappant, quoique indirect, de l'importance prise pendant cette période par la classe des métèques. Après l'expulsion des tyrans, dit Aristote, on procéda à une révision des listes des citoyens, parce que beaucoup avaient usurpé illégalement le droit de cité.[58] Or qui pouvait avoir usurpé ce droit, sinon des étrangers domiciliés, établis en Attique déjà depuis longtemps et déjà confondus, dans la vie de tous les jours, avec les citoyens ?

 

CHAPITRE III.LA POLITIQUE : 2. CLISTHÈNE.

§ 1.

C'est cette importance prise à partir de Solon par les étrangers établis en Attique qui nous fait comprendre toute une partie des réformes opérées par Clisthène. Disons tout de suite que nous attribuons à celles de ces réformes qui concernaient les métèques la plus grande portée : si nous n'admettons pas que Clisthène soit, comme le veut M. Schenkl, le créateur de la classe des métèques, nous croyons, avec M. de Wilamowitz,[59] qu'il est l'auteur de toute une organisation nouvelle de cette classe d'hommes, ou, pour mieux dire, qu'il a réellement institué toute une nouvelle partie du droit public athénien, relative aux métèques.

Les mesures prises par Clisthène vis-à-vis des métèques furent de deux sortes. D'abord il fit d'un certain nombre d'entre eux des citoyens. Le fait n'est plus contestable aujourd'hui, et la République des Athéniens d'Aristote est venue confirmer le passage de la Politique dont nous avons déjà parlé, et que nous reproduisons de nouveau : Κλεισθένης, μετ τν τυράννων κβολνπολλος φυλέτευσε ξένους κα δούλους μετοίκους [60] ; — « Clisthène, après l'expulsion des tyrans, fit entrer dans les tribus beaucoup d'étrangers et d'esclaves métèques. » — Nous avons dit plus haut comment il faut entendre ce texte. Il y avait déjà alors à Athènes, comme plus tard, deux classes d'hommes qui étaient dans la cité sans en faire partie : des affranchis et des métèques, lesquels avaient vis-à-vis de l'État la même situation, et ne différaient que parce que les uns étaient de naissance ou d'origine servile, les autres d'origine libre. Les uns et les autres n'avaient de relations avec la cité que par l'intermédiaire d'un patron, patron réel et héréditaire pour les affranchis, patron en quelque sorte fictif pour les autres. C'est parmi ces hommes que Clisthène choisit les nouveaux citoyens, et il est facile de comprendre ce qui détermina son choix : ce fut évidemment la fortune. Les nouveaux citoyens fuient ceux des affranchis et des métèques qui s'étaient enrichis, et enrichis par le seul moyen qui fût à leur disposition, la propriété du sol leur étant interdite, c'est-à-dire par le commerce ou l'industrie.

La révolution qui s'était opérée après l'archontat de Damasias avait déjà montré l'importance croissante prise par ceux des citoyens qui se livraient au commerce, les Paraliens. Ils nous apparaissent à ce moment comme inférieurs encore, non seulement aux Eupatrides, mais même aux Diacriens, qui eurent le droit de fournir trois Archontes, les Paraliens n'en fournissant que deux. Ce n'en avait pas moins été la reconnaissance officielle de toute une classe d'hommes qui devait à Solon son importance. Que cette importance ait crû très rapidement, c'est ce que prouve la réforme de Clisthène, en même temps qu'elle montre le développement considérable pris par la classe des métèques.

Pour que Clisthène ait pu songer à donner le droit de cité à ces étrangers, et pour que ses concitoyens y aient consenti, il fallait que tout le monde eût admis l'importance de leur rôle, et qu'il y eût parmi eux beaucoup d'hommes jouissant, grâce à leur fortune, d'une situation considérable. Mais il fallait aussi que la valeur du commerce et de l'industrie fût reconnue par la majorité des citoyens, que le développement de la propriété mobilière eût pris une extension toute nouvelle, et que cette propriété jouit auprès de l'opinion publique de la même faveur que la propriété foncière.

Les métèques dont Clisthène fit des citoyens n'étaient donc nullement, comme le croit M. Schenkl,[61] des hommes « ex infima plebe oriundi ; » c'étaient des commerçants et des industriels riches ou tout au moins aisés, et devant cette richesse aux mêmes moyens qui avaient enrichi les citoyens de la faction des Paraliens.

Dans la République des Athéniens, Aristote s'exprime ainsi à propos de cette réforme de Clisthène : « Il commença par répartir tout le monde en dix tribus au lieu de quatre, voulant opérer un mélange, et faire participer plus de personnes au droit de cité.[62] » Et plus loin : « Il fit démotes les uns des autres les habitants de chacun des dèmes : il voulait qu'on ne pût pas, en appelant les citoyens par leurs noms patronymiques, signaler les nouveaux citoyens, mais qu'on les désignât par le nom de leur dème ; et c'est ainsi que les Athéniens s'appellent encore d'après leur dème.[63] »

Il n'est donc pas douteux que Clisthène ait créé de nouveaux citoyens, νεοπολίτας. Si l'on prenait à la lettre les expressions dont se sert ici Aristote, ce ne serait pas seulement un grand nombre de métèques (πολλούς, comme il dit dans la Politique), ce seraient tous les métèques qu'il aurait ainsi fait entrer dans la cité : συνε'νειμε πάντας ; — δημότας έποίησεν άλλή'λων toùç οίχοϋντας. Il n'en fut cependant certainement pas ainsi, et ce qui le prouve, c'est que Clisthène prit à l'égard des métèques qui conservèrent leur ancienne condition toute une série de mesures, qu'il nous reste à examiner.

§ 2.

M. Schenkl,[64] qui fait de Clisthène le créateur de la classe des métèques, dit avec raison que, par cela même qu'il avait donné le droit de cité à une partie d'entre eux, il fut forcé d'établir la condition légale des autres, afin que ceux qui n'avaient pas été faits citoyens ne devinssent pas les ennemis du nouvel ordre de choses, et aussi afin que ceux qui viendraient dorénavant s'établir à Athènes ne pussent pas réclamer le droit de cité. Mais, ajoute M. Schenkl, nous ne pouvons déterminer eu quoi ont consisté les innovations de Clisthène sur ce point.[65] Nous croyons au contraire que l'on peut, après l'étude que nous avons faite de la condition légale des métèques aux cinquième et quatrième siècles, reconnaître la part prise par Clisthène dans la constitution définitive de la classe des métèques. Tout d'abord, il faut avouer que ni Aristote ni les autres historiens anciens ne mentionnent expressément les mesures de Clisthène relatives aux métèques ; mais il ne faut pas s'en étonner outre mesure : ils ne s'intéressent qu'à ce qui touche les citoyens et laissent presque toujours de côté l'élément étranger ; et même, ils passent toujours très rapidement sur les événements qui, comme la réforme de Clisthène, eurent pour résultat l'introduction dans la cité d'éléments nouveaux. Ainsi nous ne connaissons cette première partie si importante des réformes de Clisthène que par les passages d'Aristote que nous avons cités, dont les termes à dessein un peu vagues montrent que les Athéniens n'aimaient pas beaucoup qu'on leur rappelât que leur origine n'était pas aussi pure qu'ils le prétendaient volontiers.

Mais tout ce que nous savons de la condition légale des métèques au cinquième siècle, telle que nous avons tâché de l'établir dans la première partie de cette étude, prouve qu'il s'était opéré une révolution profonde dans la conduite de la cité à leur égard ; or, étant données les mesures qu'avait prises Clisthène vis-à-vis de quelques-uns des métèques, étant donné aussi l'ensemble de ses réformes, c'est à son nom seul que l'ou peut rattacher cette révolution.

Clisthène avait voulu en somme mettre un à jamais aux vieilles divisions des partis et créer une cité dont tous les citoyens eussent des intérêts communs. Il avait pour cela fait appel, dans des proportions que nous ignorons malheureusement, à l'élément étranger, qu'il avait mêlé intimement au vieux fond athénien. Une fois les cadres des citoyens reconstitués, il ne put laisser de côté les non citoyens, ces affranchis et ces métèques qui avaient fourni un contingent pour les cadres de la nouvelle cité. A eux aussi, il fallut donner des cadres, de façon à les intéresser au nouvel ordre de choses.

Or pour cela, il fallait rompre les anciennes relations personnelles des métèques avec les citoyens leurs patrons, et les rattacher directement à la cité. C'est ce que fit Clisthène : le métèque inscrit régulièrement sur le registre du dème fut dispensé de l'obligation de l’applicatio ad patronum. Ou plutôt, cette obligation devint une pure formalité : le métèque, nous l'avons dit, n'eut plus qu'à se faire présenter au dème par un citoyen ; après quoi, redevenu libre de sa personne, il n'avait plus de relations, c'est-à-dire de droits et de devoirs, qu'envers la cité.

Le signe matériel de la nouvelle condition des métèques fut le nom du dème, dont ils eurent le droit, dans les actes officiels, de faire suivre leur nom, comme les citoyens eux-mêmes ; avec cette différence pourtant que les citoyens étaient dits « membres du dème, » et les métèques simplement « domiciliés dans le dème. »

La substitution pour les métèques de relations d'État aux anciennes relations personnelles a une portée considérable : on ne peut bien la comprendre, à notre avis, que si l'on en rapproche la réforme opérée par Solon au profit des thètes, et que si l'on admet pour expliquer celle-ci la théorie célèbre et tant discutée de Fustel de Coulanges sur la Seisachthie.

Nous ne voulons pas reprendre dans son ensemble une discussion pour laquelle on a épuisé à peu près tous les arguments,[66] mais seulement montrer que le nouvel ouvrage d'Aristote apporte en faveur de la thèse de Fustel de Coulanges des arguments de la plus haute valeur.

Rappelons brièvement les deux thèses opposées. D'après Fustel de Coulanges, les thètes que délivra Solon étaient des clients qui cultivaient les terres des Eupatrides moyennant une redevance égale à un sixième de la récolte.[67] C'étaient donc des clients déjà à demi émancipés, et qui étaient, non pas propriétaires, mais possesseurs de leurs lots de terre, sous la seule condition de payer cette redevance.

D'après Schömann et la plupart des savants allemands, auxquels se rallie M. Martin, ces thètes (κτημριοι) étaient des propriétaires libres, mais endettés, et qui devaient livrer à leurs créanciers les cinq sixièmes de leur récolte.

Pour ces derniers savants, la réforme de Solon aurait consisté, comme le dit d'ailleurs Aristote, à abolir les dettes et aussi la redevance, et à ôter aux créanciers le droit d'asservir leurs débiteurs ; d'après Fustel de Coulanges, l'abolition de la redevance n'aurait été que le signe sensible de l'abolition de la clientèle, et de la reconnaissance du droit de propriété personnelle conféré aux thètes.

Au premier abord, la République des Athéniens d'Aristote semble condamner absolument cette façon de voir. Non seulement Aristote ne dit point que les débiteurs du temps de Solon fussent les anciens clients, mais il déclare formellement que la réforme de Solon consista en une « abolition des dettes publiques et privées.[68] » A vrai dire, il serait bien surprenant qu'aucun écrivain ancien, même Aristote, eût compris la portée véritable de la réforme sociale accomplie par Solon. A tous manquait le sens de la haute antiquité, et tous étaient naturellement portés à expliquer par les faits et les usages de leur propre temps les usages et les événements de temps beaucoup plus reculés. Il n'est pas douteux que nous ayons aujourd'hui du γνος antique une idée beaucoup plus juste que celle qu'en pouvaient avoir même Thucydide ou Aristote. Et d'ailleurs il est à remarquer que dans l'ouvrage de ce dernier les réformes sociales de Solon tiennent beaucoup moins de place que ses réformes politiques : il est visible que celles-ci intéressent davantage Aristote, précisément parce que la portée véritable des premières lui échappe.

Et cependant, les expressions dont se sert Aristote pour dépeindre l'état du peuple avant Solon sont des plus frappantes : « La constitution d'alors était en tout oligarchique ; et surtout, les pauvres, eux, leurs femmes et leurs enfants, étaient les esclaves des riches, δούλευον.[69] » Et il y revient encore plus loin : « La multitude était asservie à quelques hommes.[70] » Dans la Politique, d'ailleurs, il emploie la même expression, et dit que Solon fit cesser l'esclavage du peuple, δουλεοντα τν δμον πασαι.[71]

Il y a une contradiction flagrante entre ces expressions si fortes et le remède que, d'après Aristote, Solon aurait apporté à cette misère du peuple : « Devenu maître des affaires, Solon délivra le peuple dans le présent et dans l'avenir, en défendant d'engager son corps pour dette, et en abolissant les dettes publiques et privées.[72] »

Une abolition des dettes, même en y ajoutant la stipulation qui garantissait pour l'avenir la personne du débiteur, ne peut jamais être qu'une mesure temporaire. En quoi la réforme de Solon aurait-elle modifié les conditions économiques de l'époque ? et si ces conditions ont subsisté, comment se fait-il que le peuple ne soit pas retombé dans son ancienne misère, et que la Seisachthie ait été son affranchissement définitif ?

Nous croyons qu'Aristote, par une véritable divination, a eu le sentiment très net de la condition respective des Eupatrides et des thètes avant Solon ; mais, faute de documents, qui ne pouvaient d'ailleurs exister, il n'a pu comprendre en quoi consistait exactement cette « servitude, » et il a été obligé d'accepter la tradition courante, qui voulait qu'une simple abolition de dettes eût suffi pour « délivrer le peuple. » Cela prouve que l'ancien régime de la gens, modifié depuis des siècles, avait disparu complètement et sans retour après la réforme de Solon, et que le souvenir même s'en était perdu très vite : « Les générations suivantes, » dit très bien Fustel de Coulanges, « qui, une fois habituées à la liberté, ne voulaient ou ne pouvaient pas croire que leurs pères eussent été serfs, expliquaient ce mot (Seisachthie) comme s'il marquait seulement une abolition de dettes. »

Si l'on étudie de près les chapitres de la République des Athéniens d'Aristote relatifs à Solon et à ses réformes, on y constate une autre contradiction, formelle celle-là, et tout à fait significative : « La terre était tout entière entre les mains d'un petit nombre d'hommes ; le peuple souffrait surtout et s'irritait de ne pas avoir sa part de la terre,[73] » dit Aristote retraçant la situation de l'Attique avant Solon. Et cependant il n'en reparle plus à propos de la réforme de Solon ! Comment admettre que ces hommes « qui cultivaient les champs des riches » et qui réclamaient leur part de terres aient pu se contenter d'une simple abolition de dettes ? Aristote a été évidemment très embarrassé pour concilier la tradition courante avec l'idée plus juste qu'il se faisait de l'état réel des choses ; et tout en exposant les réformes de Solon d'après la tradition, il a suivi, pour dépeindre la condition des anciens thètes, une autorité bien supérieure, qui n'était autre que Solon lui-même. C'est ainsi qu'il faut s'expliquer la disparate et le manque de proportion entre les besoins du peuple tels qu'il les dépeint et les réformes si insuffisantes qu'il attribue à Solon.

Les fragments de Solon que cite Aristote, déjà connus d'ailleurs pour la plupart, prouvent que c'est chez Solon lui-même qu'il avait cherché des renseignements sur la situation de l'Attique avant la Seisachthie. Naturellement Solon n'avait nulle part exposé ex professa ni sa réforme, ni la condition légale des thètes de son temps. Mais les expressions très fortes dont il s'est servi pour dépeindre leur malheureuse situation ont frappé Aristote, qui lui a certainement emprunte tout ce qu'il dit de la servitude du peuple. C'est sans doute à Solon qu'il a pris aussi l'expression de πλαται, qu'il applique aux thètes[74] : or c'est ce mot qu'emploient toujours les écrivains grecs pour traduire le mot latin clientes.[75] Quelque différence qu'il y ait entre les clients romains de l'époque classique et les anciens clients, cette synonymie n'en est pas moins significative, et πελάτης était certainement le mot qui dans l'ancienne langue désignait à Athènes, et en Grèce, les clients des Eupatrides.

Enfin, un des vers de Solon que la République des Athéniens nous fait connaître pour la première fois nous paraît tout à fait décisif. Il fait partie d'une citation de neuf vers dont quatre étaient déjà connus, et dont voici la traduction[76] : « Ils marchaient au pillage, avaient de vastes espérances, et chacun d'eux croyait qu'il trouverait une grande fortune, et que bientôt, malgré mes paroles conciliantes, je dévoilerais des desseins implacables. Ils parlaient à la légère alors ; et maintenant, irrités contre moi, ils me regardent tous de travers, comme des ennemis ; c'est bien à tort. Car ce que j'ai dit, je l'ai accompli avec l'aide des dieux ; pour le reste, je n'ai pas agi sans raison ; procéder par la violence de la tyrannie ne m'a point plu, et je n'ai pas voulu que tous, grands et petits, eussent une part égale de la grasse terre de la pairie. »

Solon dans ces vers fait allusion aux espérances qu'avait fait naître chez les thètes le pouvoir illimité qu'on lui avait conféré. Qu'avaient-ils espéré au juste ? Aristote nous le dit lui-même, confirmant ce que laisse entrevoir le dernier vers de Solon : ils avaient espéré un partage des terres, et de toutes les terres (πάντ' νάδαστα).[77] Non contents de devenir propriétaires légaux des terres qu'ils cultivaient depuis des siècles, ils voulaient, ou qu'on répartît plus également la propriété, ou, plutôt peut-être, qu'on ne laissât pas entre les mains des seuls Eupatrides les excellentes terres de la Pédias, qui étaient presque exclusivement leur domaine, les terres des clients étant situées surtout dans la Diacria. Solon, bien loin d'y consentir, maintint la propriété telle qu'il l'avait trouvée, laissant chacun sur son domaine ;, devenu légalement le sien aussi bien pour le thète que pour l'Eupatride. Ce réformateur conservateur ne songeait nullement à introduire en Attique l'égalité sociale, pas plus que l'égalité politique : il voulait seulement que chacun eût des droits reconnus et sa place sur le sol de l’Attique et dans le gouvernement de la cité. Et il n'hésite pas à employer ces termes de σθλς et de κακς, dont le sens à cette époque est bien connu, notamment par l'emploi qu'en fait constamment Théognis : ces bons ne sont autre que les nobles et ces mauvais les non nobles, c'est-à-dire les clients émancipés, qui vont bientôt devenir le peuple.

Or comment Solon aurait-il pu dire qu'il n'a pas voulu donner aux petits une aussi grande part du sol qu'aux nobles, si à ce sol il ne leur avait donné en réalité aucune part ? Ses expressions sont très précises ; il ne parle point par métaphores : il s'agit bien de la grasse terre de la pairie. Si l'on admet le système de la redevance, ce sol, les thètes le possédaient déjà avant Solon : or non seulement Aristote le nie formellement, mais Solon lui-même déclare n'avoir rien changé à la répartition de la propriété. Au contraire, s'il dit qu'il n'a pas voulu que les petits eussent une part égale à celle des grands, c'est qu'il a voulu qu'ils eussent cependant leur part. Autrement dit, il avait fait d'eux des propriétaires, moins bien partagés que les Eupatrides, qui avaient les terres les meilleures et sans doute aussi les plus considérables, mais des propriétaires véritables du sol.

C'est donc bien de la suppression légale et définitive de l'antique clientèle qu'il s'agissait, et Solon a rompu les derniers liens personnels qui rattachaient les uns aux autres les citoyens. Il a affranchi en même temps les hommes et la terre, en détruisant définitivement le régime du γένος, et en créant à côté des propriétaires Eupatrides une autre classe d'hommes, propriétaires au même titre qu'eux. L'affirmation positive d'Aristote, qu'avant Solon les thètes n'avaient aucune part à la terre, suffit pour faire rejeter le système de la redevance. D'ailleurs réduire, comme le fait Plutarque, cette longue lutte et cette grande révolution à une lutte entre riches et pauvres, c'est, à notre avis, anticiper de plusieurs siècles et méconnaître les conditions premières au milieu desquelles se sont développées les cités antiques.

Enfin, toute la suite de l'histoire sociale et politique d'Athènes ne s'accorde-t-elle pas avec cette façon de voir ? Croit-on que la réforme de Solon, si elle n'avait été qu'une abolition momentanée des dettes, aurait empêché à jamais le retour des mêmes difficultés ? Et pourtant il n'en est plus question dans la suite, et c'est seulement dans les cités de la Grèce dégénérée que l'on verra éclater ces luttes entre les riches et les pauvres qui rempliront les derniers temps de l'histoire de la Grèce, jusqu'à sa soumission par les Romains.

§ 3.

Toute cette discussion sur la réforme de Solon nous a en apparence éloigné de celle de Clisthène. Mais elle nous permet de résumer celle-ci en un mot : ce que Solon avait fait pour les thètes, Clisthène le fît pour les métèques.[78] Eux aussi, il les délivra de la clientèle personnelle, pour faire d'eux exclusivement, comme le dit M. de Wilamowitz, les clients de la cité. Il acheva ce qu'avait commencé Solon, la substitution d'obligations publiques à des obligations personnelles, et il ne put le faire pour les étrangers que parce que Solon l'avait déjà fait pour les citoyens. Il n'y eut plus de liens personnels qu'entre maîtres et esclaves ou affranchis ; et encore la situation de l'affranchi se trouva-t-elle du coup singulièrement relevée, puisque ses relations avec son patron ne furent plus que d'ordre privé, l'affranchi ayant, pour toutes ses obligations publiques, la condition des métèques d'origine libre.

Pour rattacher ainsi les métèques à la cité, il n'y avait qu'un moyen, et Clisthène l'employa : il fit inscrire les métèques dans les nouvelles divisions administratives de la cité, et leur reconnut le droit de prendre part à certains de ses cultes, notamment aux Grandes Panathénées, c'est-à-dire au culte par excellence de la cité. Enfin, puisqu'ils faisaient partie des dèmes, ils eurent part aussi à leurs cultes, et le décret du dème de Scambonides est là pour attester que cette participation des métèques aux cultes de leurs dèmes fut l'objet de prescriptions légales.

Il est inutile d'insister sur la portée de la double réforme de Clisthène relative aux métèques, qui fut évidemment des plus considérables. Tous les métèques devinrent les partisans les plus ardents du nouvel ordre de choses, aussi bien ceux qui avaient vu leur situation régulièrement améliorée que ceux qui avaient reçu le droit de cité. D'ailleurs les relations qui existaient antérieurement entre ces deux catégories de métèques ne cessèrent pas : les métèques incorporés dans les rangs des citoyens, qui étaient auparavant les plus riches et les plus influents de leur ordre, durent garder leur influence sur les autres, et cette influence, ils l'exercèrent en faveur du gouvernement nouveau. Or ce gouvernement, c'était la démocratie, dont les Athéniens regardaient à bon droit Clisthène comme le fondateur.[79]

Le régime timocratique institué par Solon avait déjà contribué indirectement à relever la condition morale des métèques, par l'importance qu'il attachait à la fortune. Le régime démocratique institué par Clisthène la releva bien davantage : non seulement il fit participer au droit de cité nouveau un certain nombre de métèques ; mais il donna à tous les autres une sorte de constitution, qui fit d'eux des membres inférieurs de la cité. Il les attacha ainsi étroitement, non seulement à la cité, mais au nouveau gouvernement démocratique.

 

CHAPITRE IV. — LA POLITIQUE : 3. LE CINQUIÈME SIÈCLE.

§ 1.

La politique de Clisthène vis-à-vis des métèques fut suivie au cinquième siècle par tous les hommes d'Etat ses continuateurs, ceux qu'Aristote appelle dans la République des Athéniens les chefs du peuple, ceux qui ont affermi et développé à Athènes le gouvernement démocratique. Non pas qu'ils aient eu à décréter vis-à-vis des métèques de nouvelles mesures : la constitution de Clisthène suffisait pour leur assurer dans la cité une place honorable. Mais ils ont attaché à cet élément nouveau de la cité la même importance que Clisthène, et ont comme lui favorisé son développement, en même temps qu'ils en faisaient un des appuis du régime démocratique.

Nous n'avons d'ailleurs aucun renseignement direct sur la classe des métèques à partir de la réforme de Clisthène jusqu'à Thémistocle. Mais il n'est pas douteux que cette réforme en ait attiré un grand nombre pendant les trente années qui s'écoulèrent jusqu'à la seconde guerre médique, et M. de Wilamowitz a raison d'affirmer[80] que ni la création de la flotte de guerre par Thémistocle, ni l'exploitation des mines du Laurion, ni le développement de la peinture sur vases dits à figures rouges, ne s'expliquent sans la participation de plus en plus grande des métèques à la vie de la cité. Nous ajouterons que la prospérité du Pirée, la grande création de Thémistocle, dépendait en grande partie de l'importance qu'y prendrait l'élément étranger et de la force d'attraction qu'il exercerait sur lui.

Cette nouvelle ville, il fallait la peupler, et la peupler d'artisans de tous les métiers, capables de fournir aux besoins de tous genres d'une nombreuse flotte de guerre, en même temps qu'à ceux du commerce. C'est à ce plan d'ensemble de Thémistocle que l'on doit rapporter un texte de Diodore, dont il nous semble que personne n'a bien compris toute l'importance[81] : « Thémistocle persuada au peuple d'ajouter chaque année aux navires existants vingt trières et de donner l'atélie aux métèques et aux artisans ; de cette façon on assurerait à la ville une nombreuse population, venue de partout, et on se procurerait facilement un plus grand nombre de métiers. Or c'étaient là, à son avis, les deux choses les plus utiles pour l'établissement d'une puissance navale. »

Ainsi, créer et entretenir régulièrement une puissante flotte de guerre, et faire appel aux artisans de tous les pays, telles étaient pour Thémistocle les conditions essentielles de la puissance maritime d'Athènes, autrement dit, de la vitalité du Pirée. On ne voit pas pourquoi Böckh, tout en admettant que Thémistocle a favorisé l'établissement des métèques en Attique, croit sur ce point précis à une méprise de Diodore.[82] M. Schenkl de son côté allègue que nulle part on ne voit dans les auteurs que cette proposition de Thémistocle ait été votée réellement par le peuple, et suppose que Diodore aura mal compris un passage d'un auteur plus ancien, et qu'il faut lire τν μετοίκων τος τεχνίτας τελε ποιῆσαι.[83] Cette correction ne nous paraît pas nécessaire, et nous pensons que c'est du Pirée et non d'Athènes que parlait Thémistocle. Il s'agissait de peupler rapidement la nouvelle ville, et pour cela il voulait faire appel à la fois à l'élément national et à l'élément étranger. Il offrit aux artisans qui, des autres parties de l'Attique, viendraient s'y fixer, l'atélie, qu'il offrit aussi aux métèques, anciens ou nouveaux-venus. C'est ce qui nous paraît résulter de la relation que Diodore ou plutôt la source qu'il a suivie, sans doute Ephore, introduit très justement entre la marine de guerre créée par Thémistocle et les industries qu'il voulait développer dans l'intérêt de cette marine.

En quoi consistait exactement cette atélie, nous ne le savons pas ; nous ne savons pas non plus, comme le dit M. Schenkl, si cette proposition de Thémistocle passa réellement à l'état de loi ; les termes de Diodore porteraient cependant à le croire.[84]

Ce qui est certain, c'est qu'il ne s'agissait nullement d'une mesure d'ordre général et définitive, mais simplement d'une mesure transitoire et toute de circonstance. Il n'était pas question, dans la pensée de Thémistocle, d'exempter à jamais de taxes les métèques, pas plus que les artisans ; il voulait, nous le répétons, peupler rapidement le Pirée,[85] et aussi peut-être réparer les pertes faites pendant la guerre contre les Perses. En un mot, il s'agissait d'attirer là, par une faveur temporaire, toute une population ouvrière, et d'y favoriser le développement d'une foule d'industries nécessaires à la marine. Or cette fois encore, la proposition émanait du chef principal du parti démocratique.

En dehors de cette mesure positive attribuée par Diodore à Thémistocle, il est certain que la construction même du Pirée et de ses fortifications avait dû employer une grande quantité d'ouvriers étrangers et en attirer du dehors. Beaucoup d'entre eux se fixèrent sans doute ensuite au Pirée, et contribuèrent à y former le noyau de cette population de marins, de commerçants et d'artisans qui devait devenir le plus ferme appui du gouvernement démocratique, dont les intérêts étaient liés si intimement aux siens.

Par contre, il n'y a aucune mesure relative aux métèques que l'on puisse rattacher au nom d'Aristide, malgré les renseignements assez inattendus, et, à notre avis, fort suspects, que nous a apportés sur cet homme d'Etat la République des Athéniens d'Aristote.[86]

Mais Aristide n'en exerça pas moins, par sa politique générale, une puissante influence sur le développement de la classe des métèques. C'est bien à lui qu'il faut attribuer l'idée première de la ligue maritime athénienne et l'organisation primitive de cette ligue[87] : or nous avons déjà indiqué qu'il y avait entre la condition légale des métèques et celle des alliés de singulières analogies. La condition des alliés n'a influé en rien, matériellement parlant, sur celle des métèques ; mais, dit avec raison M. de Wilamowitz, par le fait même que les alliés virent leur condition s'empirer jusqu'à devenir de véritables sujets, les métèques virent la leur rehaussée de tout ce que perdaient les alliés[88] : c'est surtout vis-à-vis d'eux, même en ne prenant pas à la lettre la phrase trop flatteuse de Nicias à leur égard, qu'ils avaient l'air de demi-citoyens.

Une autre cause dut alors contribuer également à relever la situation morale des métèques dans la cité. On sait qu'à cette époque les enfants d'un citoyen et de toute femme d'origine étrangère, mais libre, étaient réputés citoyens, et les exemples bien connus de Clisthène, de Thémistocle et de Cimon prouvent que le fait ne devait pas être rare. Cet usage des mariages mixtes dut contribuer à rapprocher en quelque sorte les métèques des citoyens, et habituer ceux-ci à ne pas considérer ceux-là comme des étrangers, beaucoup d'entre eux appartenant par leur naissance aux deux classes à la fois.

§ 2.

De là aussi provint ce rapide accroissement de la population d'Athènes, qui engagea Périclès à réagir par son fameux décret en vertu duquel nul ne devait plus jouir des droits politiques que s'il était né de père et de mère citoyens.[89] Quelle était la portée véritable de ce décret ?

On a prétendu que Périclès n'avait fait que renouveler une loi plus ancienne, tombée en désuétude.[90] Les termes dont se sert Aristote en parlant de cette réforme nous permettent d'affirmer qu'il n'en est rien : sous l'archontat d'Antidotos (en 451), dit-il, en raison de la multitude croissante des citoyens, on décréta sur la motion de Périclès que nul ne jouirait des droits politiques, s'il n'était né de père et de mère citoyens. Aristote donne donc cette mesure comme une innovation, motivée par le développement pris par la population d'Athènes. C'est que les mesures de Thémistocle avaient porté leurs fruits, et qu'Athènes et le Pirée s'étaient remplis d'une population d'étrangers venus de tous les points du monde grec, en même temps que la facilité des unions entre citoyens et femmes étrangères avait accru le nombre des citoyens. Outre ces fils d'étrangères, beaucoup d'étrangers proprement dits avaient dû peu à peu se glisser dans les rangs des citoyens et usurper le droit de cité. Aristote signale dans la Politique ce danger qu'offrent les cités dont la population est devenue trop nombreuse, ce qui, dit-il, facilite l'usurpation du droit de cité par les métèques et les étrangers.[91]

D'après Plutarque, c'est ce décret de Périclès qui amena la radiation de près de cinq mille citoyens : cette radiation fut faite à l'occasion de la distribution du blé envoyé par Psammétik, distribution qui, d'après Philochore, eut lieu sous l'archontat de Lysimachidès, c'est-à-dire en 445/4.[92]

Philochore dit que 14.040 citoyens prirent part à la distribution, et que l'on constata que 4.760 noms étaient inscrits à tort sur les listes des citoyens (παρεγγράφους). Plutarque ajoute que ces derniers étaient des νόθοι, et qu'ils furent vendus comme esclaves,[93] les autres étant seuls reconnus comme citoyens athéniens. Il n'est pas douteux que Plutarque se soit trompé sur ce dernier point : ce chiffre de 14.040 ne pouvait nullement être le nombre total des citoyens athéniens, mais, comme le fait remarquer M. Schenkl,[94] seulement le nombre de ceux qui s'étaient fait inscrire pour prendre part à la distribution du blé ; car on ne supposera pas que tous les citoyens athéniens aient désiré y prendre part.

Quant aux cinq mille environ qui furent rayés de la liste, il serait bien étonnant aussi que tous eussent été des νόθοι, ou enfants nés d'un père athénien et d'une mère étrangère ou d'une concubine ; il y avait certainement parmi eux, et en majorité, des métèques.

Il semble en effet qu'il ne fût pas très difficile, pour des fils de métèques établis depuis longtemps on Attique, de se glisser parmi les citoyens : les fragments du discours de Dinarque contre Agasiclès nous montrent que les démotes n'étaient pas toujours incorruptibles, et que les métèques riches savaient trouver le moyen de faire inscrire régulièrement leurs fils sur le registre des citoyens du dème.[95]

Comment se fait-il pourtant que six ans seulement après le décret de Périclès, il pût y avoir un aussi grand nombre de citoyens inscrits à tort sur les listes ? c'est ce qu'il nous paraît très difficile d'expliquer. Il n'y a qu'un moyen de le faire : c'est d'admettre que le décret n'avait pas eu d'effet rétroactif, et qu'on avait, sans rectifier les listes des citoyens existantes, veillé seulement à ce que l'on n'y inscrivît plus de citoyens nouveaux, que d'après la règle prescrite par le décret. Quand eut lieu la distribution du blé de Psammétik, beaucoup des anciens citoyens, inscrits sur les listes en vertu de l'ancienne tolérance, voulurent user de leur droit et y prendre part : il est probable que les autres citoyens réclamèrent, et que, sous la pression de l'opinion publique, les magistrats intentèrent des poursuites contre tous ceux qui furent l'objet de dénonciations. Il est d'ailleurs inadmissible que ces cinq mille νόθοι ou métèques aient été, comme le dit Plutarque, vendus comme esclaves. M. E. Curtius suppose que ce furent seulement ceux qui introduisirent contre l'Etat une action en justice au sujet de leur exclusion et qui perdirent leur procès[96] ; quant aux autres, ils durent simplement être privés du droit de cité et recevoir le rang que leur assignait la loi nouvelle.

Faut-il conclure, de ce décret de Périclès, qu'il voulût restreindre à Athènes le développement de l'élément étranger ? Nullement, et l'on sait assez que jamais Athènes ne fut plus ouverte aux étrangers que sous son gouvernement : son union avec Aspasie de Milet, et ses relations d'amitié avec Anaxagore de Clazomène, Protagoras d'Abdère, Zénon d'Elée, avec le père de Lysias, Képhalos, qui quitta, sur ses instances, Syracuse pour Athènes, suffisent à prouver le contraire. Seulement, Périclès entendait conserver au titre de citoyen toute sa valeur ; il était, lui aussi, imbu des idées chères à tous les philosophes de la Grèce ancienne, à savoir que le nombre des citoyens ne devait pas s'étendre indéfiniment. Il voulait, en un mot, que chacun eût dans la cité sa place marquée, et que les cadres dans lesquels était répartie la population tussent strictement maintenus.

Sa conduite vis-à-vis de Képhalos est à cet égard très caractéristique. C'est, nous venons de le dire, sur les instances de Périclès que Képhalos, citoyen riche et considéré de Syracuse, était venu s'établir à Athènes, ou plutôt au Pirée, où il acheva sa vie.[97] Et pourtant il ne fut point admis a participer au droit de cité : il demeura métèque (ou plus probablement isotèle), ainsi que ses fils, et l'amitié même de Périclès ne put leur procurer dans leur nouvelle patrie les droits auxquels ils avaient renoncé volontairement à Syracuse.

Képhalos ne fut certainement pas le seul qu'attira à Athènes l'influence personnelle de Périclès, et beaucoup d'étrangers, de savants et d'artistes notamment, qui vinrent alors s'établir en Attique, devaient y avoir été invités par lui. C'est du temps de Périclès qu'Athènes a vraiment commencé à prendre l'aspect d'une ville cosmopolite ; et c'est à ce cosmopolitisme, qui tranchait si vivement avec les vieilles idées grecques, qu'elle dut de devenir la véritable capitale, non seulement de la Grèce, mais de tout le monde civilisé d'alors, et de répandre largement au dehors sa civilisation, qui n'était plus celle d'une cité particulière, mais qui paraissait l'idéal même de l'humanité.

En cela, il faut le dire, Périclès fut puissamment secondé par les mœurs publiques, et par cet esprit de tolérance dont Athènes seule alors donnait l'exemple. M. Julius Schvarcz prétend au contraire que les Athéniens se montrèrent toujours intolérants à l'égard des penseurs et des savants.[98] Il reconnaît pourtant qu'Athènes a été alors le centre de la pensée et de la science comme de l'art helléniques, mais il l'attribue simplement au développement de sa puissance politique. Il faudrait alors expliquer pourquoi Sparte, qui a eu l'hégémonie de la Grèce plus longtemps qu'Athènes, n'a pas vu se produire le même fait et n'est pas devenue elle aussi le rendez-vous des artistes et des penseurs. Qu'Athènes ait parfois persécuté les philosophes, le fait est incontestable ; mais ces persécutions ont toujours eu pour cause des motifs politiques et momentanés, et non, comme le veut M. Schvarcz, l'esprit d'intolérance et de fanatisme.

Il faut donc attribuer ce prodigieux concours d'hommes de talent venus de tous les points du monde grec, à la fois aux succès politiques et militaires d'Athènes, à l'esprit de tolérance de ses habitants, et à l'habile initiative de celui en qui s'incarnait alors le gouvernement de la cité.

La sollicitude de Périclès ne dut pas d'ailleurs s'étendre seulement aux savants, aux artistes et aux riches commerçants comme Képhalos. Les grandes, constructions qu'il entreprit, la réfection du Pirée et celle de l'Acropole, nécessitèrent tout un monde d'ouvriers et d'artisans de toutes sortes, et il fit certainement là aussi, comme Thémistocle, appel aux étrangers. Si les comptes de construction du Parthénon et des Propylées nous étaient parvenus, nous y verrions sans doute figurer, comme dans ceux de l'Erechthéion, autant de métèques que de citoyens.

Athènes sous Périclès fut comme un immense atelier, où il y eut place pour tous, depuis les plus humbles artisans jusqu'aux artistes de génie, et où tous trouvèrent à acquérir à la fois profit et réputation. En même temps, rien ne dut plus contribuer à relever la situation morale des métèques et à assurer la bonne entente entre eux et les citoyens, que ces travaux poursuivis en commun pendant des années, et qui n'auraient pu être menés à bonne fin sans cette heureuse émulation : il dut rejaillir sur les plus humbles collaborateurs d'Ictinos et de Phidias quelque chose de cette gloire que le Parthénon valut à Athènes et à Périclès.

Nous avons, comme témoignage de cette sollicitude de Périclès pour tous les métèques athéniens, quelle que fût leur condition, un document des plus significatifs : c'est l'acte additionnel à la convention imposée par Athènes à Chalcis après la révolte et la soumission de l'Eubée en 446/5, que nous avons déjà étudié.[99] Il y était stipulé, avons-nous dit, que tous les citoyens et métèques athéniens qui iraient s'établir à Chalcis y garderaient leur statut personnel, en continuant à payer l'impôt, s'ils le voulaient, à Athènes et non à Chalcis ; quant à ceux qui voudraient le payer à Chalcis, ils devraient le payer au même taux que les citoyens, c'est-à-dire être élevés à la condition d'isotèles. Le gouvernement de Périclès veillait donc sur les métèques même hors des frontières de l'Attique, et leur assurait la protection d'Athènes jusque dans les villes pour lesquelles ils la quittaient.

Ce document à lui seul nous suffirait pour affirmer que Périclès a partagé les idées des hommes d'Etat ses prédécesseurs sur l'intérêt qu'avait Athènes à attirer et à protéger les métèques. Aussi avait-il le droit de compter en toute occasion sur leur concours et d'escompter leur reconnaissance. Et en fait, il ne craignit pas de proclamer hautement toute la confiance qu'il avait dans leur courage et leur fidélité : « En admettant que Sparte, » déclarait-il aux Athéniens au début de la guerre du Péloponnèse, « débauche, grâce aux trésors d'Olympie et de Delphes, les matelots étrangers qui sont sur nos navires, les citoyens et les métèques suffiront pour tenir tête à l'ennemi.[100] »

Périclès a lui-même admirablement résumé sa politique vis-à-vis des étrangers, qui n'était d'ailleurs que la continuation de la politique suivie par tous les chefs du parti démocratique, dans cette phrase que lui prête Thucydide et que nous avons déjà citée : « Notre cité, nous l'avons ouverte à tous, et jamais nous n'avons chassé l'étranger, ni privé personne d'un enseignement ou d'un spectacle.[101] »

Il ne semble pas d'ailleurs que la condition légale des métèques eût changé depuis Clisthène ; mais, sous Périclès comme sous Thémistocle et plus encore, leur importance et leur situation morale avaient été sans cesse grandissant. C'est ainsi qu'il faut s'expliquer les paroles de Nicias, ou, si l'on veut, de Thucydide : il n'y a pas de doute que la façon dont les Athéniens traitaient leurs métèques ne fît l'étonnement des autres cités de la Grèce.

§ 3.

Ainsi tous les hommes politiques qui ont gouverné Athènes, depuis Solon jusqu'à la un du cinquième siècle, ont favorisé le développement de la classe des métèques. A mesure que le régime démocratique se développe, les métèques semblent devenir plus nombreux et tenir dans la cité une place plus considérable : aux obscurs artisans des premiers temps viennent s'adjoindre, au temps de Périclès, des hommes célèbres par leur talent. Athènes est devenue le centre où l'on accourt de tous les points du monde hellénique,[102] les uns pour y passer quelque temps, les autres, comme Anaxagore, Képhalos, Hippodamos, avec l'intention d'y vivre et d'y mourir.

Le développement de la classe des métèques coïncide donc avec le développement du régime démocratique.

Mais ce n'est pas dans un but désintéressé que la démocratie favorisait ainsi les métèques : elle avait, sur le rôle qu'ils pouvaient jouer et les services qu'ils pouvaient lui rendre, des idées bien arrêtées.

Aristote reconnaît que, d'une façon générale, les métèques sont nécessaires dans une cité, aussi bien que les esclaves et les étrangers.[103] Mais il y avait pour Athènes une nécessité d'un genre spécial. Xénophon l'indique très vaguement quand il dit que les métèques, tout en pourvoyant à leur propre vie, procurent à la cité une foule d'avantages, et cela sans qu'on les paye.[104] Il semble dans ce passage, ne les envisager guère que comme rapportant à la cité de l'argent ; il est vrai que l'ouvrage tout entier (les Revenus) est consacré à la recherche des moyens capables de restaurer les finances d'Athènes.

Cette nécessité, nous la trouvons mieux indiquée dans la République des Athéniens, dont l'auteur, s'il n'est pas Xénophon, émet des idées si semblables aux siennes : « La cité a besoin des métèques et pour les métiers de tous genres et pour la marine. Et c'est sans doute pour cela qu'on accorde aux métèques la même liberté de parole qu'aux citoyens.[105] »

C'est ce que dit, mais d'une façon encore plus nette, Diodore, à propos du projet de loi qu'il attribue à Thémistocle : « De cette façon, on assurerait à la ville une nombreuse population, venue de partout, et on se procurerait facilement un grand nombre de métiers. Or c'étaient là, à l'avis de Thémistocle, les deux choses les plus utiles pour l'établissement d'une puissance navale.[106] »

Il s'agissait donc, en favorisant l'établissement de métèques à Athènes et au Pirée, d'augmenter la population de la cité, et de développer les métiers et l'industrie, non pas tant pour eux-mêmes que dans l'intérêt de la marine nationale. Ce qu'on voulait avoir d'abord, c'étaient des équipages pour les trières de combat, qui exigeaient un nombreux personnel de matelots. Mais ce n'était pas encore là le plus important ; il fallait surtout développer toutes les industries, si nombreuses, sans lesquelles une marine considérable ne peut exister. Une marine de guerre, en effet, ne peut être une création factice ; il ne suffit pas, pour devenir puissance maritime, d'être un pays côtier et d'avoir des ports : il faut encore toute une population de marins exercés par la navigation à bord des navires de commerce, et d'ouvriers, constructeurs de navires et fabricants d'agrès. C'est tout cela que Diodore désigne par ναυτικών δυνάμεων κατασκευάς.

Or la population athénienne à elle seule n'aurait pu suffire à tous ces besoins : elle avait en outre à remplir les cadres de l'armée de terre, et à prendre part à toutes les branches du gouvernement et de l'administration, depuis que le régime démocratique les avait rendues accessibles à presque tous les citoyens. Tous les hommes politiques qui se succédèrent au pouvoir comprirent qu'il fallait faire appel aux étrangers : le développement de la puissance politique d'Athènes absorbant les forces vives des citoyens, les métèques devaient les remplacer et, par le commerce et l'industrie, pourvoir aux besoins matériels de la cité. Ils leur offrirent donc les moyens de s'enrichir, mais en exigeant que l'intérêt d'Athènes passât avant tout. Par exemple, beaucoup de métèques faisaient fortune en se livrant au prêt à la grosse ; Athènes le leur permettait aussi bien qu'à ses propres citoyens ; seulement elle leur défendait de spéculer sur tout navire qui ne serait pas frété à destination du Pirée.[107]

C'était donc surtout l'intérêt de sa marine de guerre que poursuivait Athènes en attirant les métèques et en leur assurant un sort plus avantageux qu'ailleurs. Or cette marine était le fondement et l'appui le plus solide du gouvernement démocratique : c'est par la démolition des fortifications du Pirée et des arsenaux et par l'incendie de la flotte que Lysandre devait préluder à l'établissement du régime oligarchique à Athènes. Voilà pourquoi ce fut à partir de la fondation de la démocratie que les métèques prirent de plus en plus d'importance à Athènes. La démocratie savait que son sort était lié au sort de ceux qui construisaient et équipaient ses vaisseaux : elle les protégeait donc, et en le faisant, c'est elle-même qu'elle entendait fortifier.

 

CHAPITRE V.LA POLITIQUE : 4. DU QUATRIÈME SIÈCLE A L'ÉPOQUE ROMAINE.

§ 1.

La chute de la puissance militaire d'Athènes amena celle du régime démocratique. Le nouveau gouvernement, installé sous la protection de Lysandre et des troupes Spartiates, après avoir applaudi à l'anéantissement de la flotte et à la démolition des murailles, inaugura contre les métèques une véritable persécution. Pour lui, Athènes, renonçant à l'empire maritime, n'avait plus besoin de marine, ni par conséquent du concours des étrangers. Aussi les métèques s'empressèrent-ils de se ranger du côté de Thrasybule, et l'aidèrent-ils de leur argent et de leurs bras : il n'est pas douteux que la population du Pirée, ruinée par l'anéantissement du commerce maritime, ait pris une grande part à la Restauration. Nous reviendrons ailleurs en détail sur cette période de l'histoire des métèques athéniens ; il nous suffit pour le moment d'indiquer la suite des faits, et de montrer les liens qui unissaient étroitement les métèques au parti démocratique.

Nous n'avons, sauf la proclamation de Thrasybule promettant l'isotélie aux métèques qui s'armeraient en faveur du parti populaire,[108] aucun document qui nous renseigne directement sur la politique suivie vis-à-vis des métèques par les libérateurs d'Athènes : nous pouvons affirmer néanmoins qu'ils reprirent celle des hommes d'Etat du cinquième siècle, et qu'après cette courte période de trouble et de dispersion, les métèques rentrèrent dans les conditions normales de leur existence. De ce que Lysias fut dépouillé du droit de cité que lui avait fait conférer Thrasybule, on aurait tort de conclure à un mauvais vouloir général contre la classe des métèques : nous avons déjà montré le véritable motif de la radiation du nom de Lysias sur les listes civiques. Il en est de même pour la loi d'Aristophon d'Azénia,[109] qui ne faisait que reproduire l'ancienne loi de Périclès sur le droit de cité : au contraire, elle suffirait à elle seule pour nous prouver que le parti démocratique reprit toute l'ancienne politique, avec les restrictions qu'elle comportait. Grâce à cette politique, la classe des métèques se reconstitua rapidement telle qu'elle était avant les révolutions ; nous en avons la preuve dans ce fait que c'est dans le courant du quatrième siècle que s'établirent à Athènes et au Pirée la plupart des cultes étrangers.

Enfin l'inscription de Corésia, si nous l'avons bien comprise, montre que, quelques années avant la Guerre Sociale, les métèques tenaient dans les préoccupations des hommes d'Etat d'Athènes la même place qu'au temps de Périclès, et qu'Athènes veillait sur eux même lorsqu'ils allaient s'établir hors des frontières de l'Attique, pourvu qu'ils continuassent à lui être attachés en lui payant l'impôt.

La chute du second empire maritime fut pour Athènes un désastre dont elle ne devait jamais se relever, et dont les conséquences se firent sentir en toutes choses, Isocrate, dans son discours sur la Paix, écrit l'année même où prit fin la Guerre Sociale, déclare que la paix seule ramènera les marchands étrangers et les métèques, qui ont disparu : οψόμεθα δὲ τὴν πόλιν … μεστν δὲ γιγνομνην μπόρων καὶ ξένων καὶ μετοίκων, ν νν ρμη καθέστηκεν.[110] En même temps Xénophon publiait son traité des Revenus, où il indiquait, d'accord avec Isocrate, les voies à suivre pour relever la cité et ramener l'ancienne prospérité financière : nous avons vu quelle importance il attache au développement, on pourrait dire à la reconstitution de la classe des métèques. Xénophon dans cet ouvrage paraît avoir été l'organe d'Eubule ; mais sur ce point particulier, la protection à accorder aux métèques, il se trouvait que le parti d'Eubule était d'accord avec celui qui allait l'emporter et diriger Athènes dans sa dernière grande lutte, la lutte contre la Macédoine.

A défaut de renseignements précis sur les idées de Démosthène relativement aux métèques, nous savons fort bien quelle était sa politique vis-à-vis des étrangers en général, politique dont le discours contre Leptine est l'expression la plus complète. Loin de consentir à ce qu'on supprime l'atélie, comme le demande Leptine, il veut qu'au contraire Athènes ait tout un système de distribution d'honneurs et de récompenses de toutes sortes pour les étrangers, parce qu'elle a besoin d'eux pour son commerce. Ce doit être là, pour lui, un des plus puissants moyens d'action de la politique athénienne. Ses ennemis lui reprochèrent de prodiguer les honneurs à des étrangers, et l'accusèrent à ce propos de vénalité : la vérité est qu'il avait le sentiment très net des besoins d'Athènes et des moyens à employer pour atteindre le but au mieux des intérêts de la ville.[111] On ne peut donc douter qu'il ait encouragé de tout son pouvoir l'établissement de métèques à Athènes, et usé en leur faveur de son influence.

D'ailleurs, ce que nous entrevoyons seulement pour Démosthène, nous le savons positivement pour le plus illustre de ses collaborateurs, Lycurgue. C'est Lycurgue qui, même après Chéronée, essaya de mettre en pratique quelques-unes au moins des idées émises par Xénophon dans ses Revenus, et de relever une fois encore le commerce et l'industrie d'Athènes si gravement compromis depuis la Guerre Sociale.

Le document le plus curieux qui nous soit parvenu de l'activité de Lycurgue dans ce sens est le décret relatif aux Kitiens et à leur culte d'Astarté que nous avons déjà étudié. Nous avons montré comment Lycurgue, reprenant une politique traditionnelle dans sa famille, avait fait donner par le peuple l'autorisation aux marchands de Kition de construire au Pirée un temple à leur déesse et d'y célébrer régulièrement son culte. On doit en conclure que les Phéniciens de Kition avaient recommencé depuis longtemps déjà à fréquenter le Pirée, et qu'ils y avaient une colonie assez importante pour qu'on dût avoir pour eux toutes sortes d'égards.

Un autre décret, rendu aussi sur la proposition de Lycurgue, témoigne également de sa sollicitude vis-à-vis des étrangers fixés dans la cité : c'est le décret en faveur d'Eudémos de Platées, pour le récompenser d'avoir généreusement contribué autrefois aux frais de la guerre, et, plus récemment, aux frais de la construction du théâtre et du stade panathénaïque.[112] Ces deux textes isolés suffisent pour nous montrer que Lycurgue sut prendre des mesures efficaces pour attirer à Athènes les étrangers, les y retenir, et au besoin les récompenser de leurs services envers la cité.

Ainsi les derniers grands hommes d'Etat de l'Athènes indépendante ont eu sur le rôle et l'importance des métèques dans la cité les mêmes idées absolument que les hommes d'Etat du cinquième siècle.

§ 2.

Malgré la rareté de plus en plus grande des documents à partir de la fin du quatrième siècle, on peut affirmer qu'il ne cessa d'en être ainsi tant qu'Athènes et le Pirée gardèrent quelque semblant d'indépendance et, surtout, quelque importance commerciale.

C'est de l'année même de la mort de Lycurgue (325/4) que date le décret en l'honneur d'Héracleidès de Salamine de Cypre, le grand marchand de blé établi au Pirée, décret qui lui conférait tous les privilèges possibles, sauf le droit de cité.[113] Deux ou trois ans plus tard (322), les Athéniens, en députant auprès d'Antipater le métèque Xénocrate, montraient que les métèques continuaient à occuper dans la cité une place importante et honorable.[114] En même temps, ils exemptaient du metoikion les réfugiés thessaliens qui, après la malheureuse issue de la guerre Lamiaque, avaient été obligés d'abandonner leur patrie : c'était encore là une tradition de l'ancienne politique nationale, à laquelle les Athéniens se montraient fermement attachés.[115] Le décret en l'honneur de Nicandros d'Ilion et de Polyzélos d'Ephèse, daté de 302/1, mentionne aussi les services rendus par ces deux personnages lors de la même guerre.

A partir de cette guerre et pendant tout un demi-siècle, il n'est plus question des métèques dans les textes épigraphiques. Puis, au temps de la guerre de Chrémonide, le décret de 266 invitant les citoyens et les métèques à fournir une epidosis pour le salut de la cité, montre que les métèques ont continué à vivre de la même vie et que la cité continue à compter sur eux dans les jours de danger[116] ; parmi les souscripteurs à l’epidosis figurent certainement plusieurs d'entre eux, et notamment un isotèle, Sosibios.

Trente ans environ plus tard, lorsqu'Aratos eut racheté du phrourarque macédonien Diogène le Pirée et Munychie, on décréta encore une epidosis pour restaurer et fortifier le port de Zéa. C'est à cette occasion qu'on accorda la proxénie et l’ἔγκτησις à un métèque, Apollagoras ou Apollas, qui avait montré une grande générosité.[117] Il est intéressant de constater que, chaque fois que la cité essaie de se relever et de reconquérir son indépendance, les métèques prennent part aux efforts qu'elle tente : rien ne marque mieux leur étroite solidarité avec la cité qui leur avait fait la situation à la fois avantageuse et honorable que nous connaissons.

Le dernier exemple de ce genre est antérieur de cinquante ans seulement à la réduction de la Grèce en province romaine. En 200/199 la guerre avait éclaté entre Athènes et Philippe V de Macédoine, qui avait à deux reprises dévasté le territoire de l'Attique. Le souvenir de cette guerre nous a été conservé seulement par deux passages de Tite-Live et de Polybe, et aussi par le décret rendu en faveur d'Euxénidès de Phasélis : on lui conféra l'isotélie et l’ἔγκτησις, pour lui et ses descendants, pour s'être acquitté régulièrement de toutes les eisphorai imposées aux métèques, et pour avoir fourni lors de la guerre douze matelots et des cordes pour les catapultes.[118]

Tel est le dernier document qui nous fasse saisir sur le fait, et l'activité des métèques athéniens, et la conduite de la cité à leur égard : on voit que cette fois encore citoyens et métèques avaient marché d'un commun accord pour la défense de la cité et de ses institutions, et que la cité avait su reconnaître les services rendus par les uns comme par les autres.

Il est certain que pendant longtemps encore il y eut à Athènes et au Pirée des métèques, et que leur condition dut être à peu près la même que pendant la période précédente. Mais leur nombre et leur importance durent décroître avec la cité elle-même. Tant que le Pirée fut un centre d'affaires, les étrangers y affluèrent. Une inscription de l'an 96 avant notre ère nous montre une colonie de Sidoniens établis au Pirée, et y élevant un temple à leur dieu Baalsidon.[119] Il est donc probable qu'à cette époque beaucoup des colonies étrangères que nous avons signalées existaient encore au Pirée, soit qu'elles ne l'eussent jamais abandonné, soit qu'elles s'y fussent reconstituées à plusieurs reprises, notamment peut-être lorsqu'Athènes avait fondé en 167, grâce à la protection de Rome, un troisième empire colonial.

C'est quelques années après seulement que la prise d'Athènes par Sylla (86) porta un coup terrible au Pirée, qui fut complètement incendié.[120] Déjà bien déchu de son ancienne importance depuis l'époque macédonienne, où le port de Rhodes avait pris tant d'extension, le Pirée allait être maintenant remplacé par Délos, devenu marché international, et intermédiaire entre l'Orient et l'Occident.

Les poètes comiques, entre autres, témoignent de cette décadence progressive du Pirée : le Pirée, dit Philiscos, probablement après la Guerre Sociale, est une noix grosse et creuse.[121] Dans un fragment d'une pièce de Criton, un parasite déclare qu'il veut quitter le Pirée pour Délos, le seul endroit où l'on trouve un marché bien fourni et une foule d'étrangers venus de tous les pays.[122] Et dans la période suivante, Sulpicius, l'ami de Cicéron, voyageant en Grèce, trouvait le Pirée désert.[123]

Athènes, il est vrai, s'était cependant relevée, et avait survécu à la ruine de sa puissance commerciale, comme elle survivait depuis longtemps à la ruine de sa puissance politique et militaire. Devenue le centre intellectuel et littéraire de tout le monde civilisé, les princes étrangers et de riches particuliers l'ornaient à l'envi de monuments somptueux ; et de tous les pays on accourait se mettre à l'école de ses philosophes et de ses rhéteurs. Jamais peut-être l'affluence des étrangers ne fut plus grande à Athènes qu'à la fin de la république romaine et sous l'empire ; et jamais la cité ne leur fut plus largement ouverte : les inscriptions éphébiques le montrent suffisamment, sans parler de l'octroi du droit de cité, devenu alors si fréquent. Beaucoup même de ces étrangers n'étaient point de simples visiteurs, venus pour leur instruction et leur plaisir, mais passaient à Athènes la plus grande partie de leur vie, comme Atticus, ou même s'y établissaient définitivement et sans esprit de retour : c'est ce que prouve le nombre considérable des inscriptions funéraires d'étrangers datant de cette époque.[124]

Mais il n'y avait plus aucun rapport entre ces étrangers, la plupart de condition riche ou tout au moins aisée, et les métèques de l'ancienne Athènes. Maintenant la cité n'avait plus ni services à leur demander, ni charges à leur imposer : leur condition devait donc être toute différente de ce qu'elle avait été. Il est d'ailleurs plus que douteux que le nom même de métèques fût encore usité à cette époque. Lucien parle bien de métèques dans un passage que nous avons déjà cité[125] ; mais il mêle dans cet opuscule des souvenirs du passé aux réalités du présent, de sorte qu'on n'en peut rien conclure. Ce qui est certain, c'est que dans aucune inscription de la période romaine il n'est question de métèques. Comme le pense M. de Wilamowitz,[126] la situation des étrangers à Athènes devait être alors à peu près celle des incolae des municipes romains, et il en fut ainsi jusqu'à ce que le décret de Caracalla, en conférant le droit de cité romaine à tous les hommes libres établis sur le territoire de l'empire, vînt supprimer en réalité toute distinction entre eux.

En résumé, l'histoire de la classe des métèques athéniens conduit aux deux conclusions suivantes.·

D'abord, Athènes a conçu et mis en pratique relativement aux métèques toute une politique, qu'elle a suivie et développée régulièrement depuis Solon jusqu'à la fin de son existence comme cité indépendante. Sur ce point, on ne peut lui reprocher ce manque de suite dans les idées dont elle a trop souvent fait preuve sur d'autres.[127] Non seulement la démocratie athénienne a eu l'intelligence très nette des services que pouvaient lui rendre les métèques ; mais elle a su mettre d'accord pendant plusieurs siècles sa conduite avec ses théories, et témoigner dans toute sa politique vis-à-vis d'eux d'une rare persévérance.

D'autre part, si le régime démocratique a favorisé les métèques, ce n'est pas lui précisément qui les attirait à Athènes. Fort indifférents sans doute à la forme du gouvernement, auquel ils ne demandaient que de leur assurer la sécurité et une existence honorable, les étrangers recherchaient avant tout un centre industriel et commercial où leur activité pût se déployer à l'aise. Or ce centre a été, bien plus qu'Athènes même, le Pirée : aussi la prospérité et la décadence de la classe des métèques nous apparaissent-elles comme liées intimement au sort du Pirée, dont la ruine entraîna sa disparition. Nous constatons ainsi, à propos de cette question particulière de l'histoire de la classe des métèques athéniens, que, comme l'a fort bien montré d'une façon générale M. Guiraud, « les questions économiques avaient, dans les sociétés antiques comme dans les nôtres, une importance prépondérante…, qu'à cet égard les Grecs et les Romains ne différaient en rien de nous, et que même chez eux la politique était généralement conduite par l'économie politique.[128] »

 

 

 



[1] V. 261 :

E τς γ' Άθήνας φασί θεοσεβεστάτας

εἶναι, μόνος δὲ τν κακούμενον ξένον

σώζειν οαστε, καὶ μνας ρχεν χειν.

[2] V. 107 :

Άθεον ἱκεσίαν

μεθεναι πόλει ξένων προστροπάν.

[3] Gren., 456 :

Εσεβ τε διήγομεν

τρόπον περί τε ξένους

καὶ τος διώτας.

[4] Pausanias, VII, 1, 8 : « Ίωνας δὲ ἀφικομένονς ς τν Άττικὴν 'Αθηναοι καὶ βασιλες ατν Μέλανθος… συνοίκους ἐδέξαντο. »

[5] Thucydide, Ι, 2, 6 : « Έκ γρ τς λλης Έλλάδος οἱ πολέμ στάσει ἐκππτοντες πρ' 'Αθηναίους οἱ δυνατώτατοι ς βέβαιον ν νεχώρουν. »

[6] Suidas, Photius, Περιθοῖδαι * « Νόμος δ'ν ν Άθήνησι ξένους εσδέχεσθαι τος βουλομένους τν 'Ελλήνων. »

[7] Pausanias, I, 17, 1 : « Τούτοις δὲ οὐ τ ς φιλανθρωπίαν μόνον καθέστηκεν, λλ καὶ ς θεος εσεβουσιν λλων πλέον. »

[8] Pausanias, VII, 1, 8 : « 'Ισχύος μλλον οἰκείας νεκα, ενοί τ ς τος 'Ίωνας, συνοίκους σφς δέξαντο. »

[9] Plutarque, Agés., 26 : « Άπείρητο γρ ατος τέχνην ργάζεσθαι καὶ μανθάνειν βάναυσον ; » cf. Hérodote, II, 167 ; Polyen, Stratag, II, 1, 7.

[10] Aristote, Pol., III, 3, 4 : «εν θήβαις δὲ νόμος ν τν δέκα τν μ πεσχήμενον τς γορς μ μετέχειν ρχς ; » cf. VI, 4, 5.

[11] Héraclite Pont., Polit., 43 : « Παρ θεσπιεσιν ασχρόν τέχνην μαθεν. »

[12] Hérodote, II, 167 : « κιστα δὲ Κορίνθιοι νονται τος χειροτέχνας. »

[13] Plutarque, Sol., XXII, 1 : « Πρὸς τὰς τέχνας τρεψε τος πολίτας καὶ νόμον γραψεν ι τρέφειν τὸν πατέρα μ διδαξάμενον τέχνην πάναγκες μ εἶναι; » XXII, 3 : « Τας τέχναις ξίωμα περιέθηκε (ce que M. Caillemer traduit d'une façon assez bizarre : « il accorda des distinctions honorifiques à l'industrie. » Daremberg-Saglio, Artifices, p. 442), καὶ τὴν ξ 'Αρείου πάγου βουλν ταξεν πισκοπεν θεν ἕκαστος ἔχει τ πιτήδεια καὶ τος ργος κολάζειν. »

[14] Plutarque, Sol., II, 1.

[15] Démosthène, LVIΙ, 30 : « Τος νόμους οἱ κελεύουσιν νοχον εἶναι τ κακηγορί τὸν τν ργασίαν τὴν ν τ γορ ἢ τῶν πολιτών ἢ τῶν πολιτίδων νειδίζοντά τινι. » M. Caillemer (loc. cit.) attribue aussi cette loi à Solon ; Démosthène ne le dit pourtant pas : la loi qu'il attribue à Solon est celle à laquelle il se réfère un peu plus loin, et qui défendait aux étrangers de trafiquer sur l'agora. Il est possible d'ailleurs qu'il faille faire aussi remonter la première à Solon ; elle doit certainement dater de la période qui a suivi la chute de l'aristocratie, alors que le législateur sentait le besoin de réagir contre les coutumes du temps où les esclaves seuls exerçaient les métiers, ce qui les rendait méprisables.

[16] Diodore, II, 43 : « Καὶ τος μετοίκους καὶ τος τεχνίτας τελες ποισαι. » M. Schenkl (p. 186) veut qu'il y ait là une méprise de Diodore et propose de lire : « Ut eos ex inquitinis, qui artifices essent, tributo… liberarent, » mais il ne dit pas ses motifs, et en vérité on ne voit pas bien quels ils peuvent être ; nous reviendrons d'ailleurs sur ce texte.

[17] Thucydide, II, 40, 1 : « Τ πένεσβαι οχ μολογεν τιν ασχρν, λλ μ διαφεύγειν ργω ασχιον. »

[18] Plutarque, Pér., XII, 2 : « Παντοδαπῆς ργασίας φανείσης καὶ ποικίλων χρειν, α πσαν μν τέχνην γείρουσαι, πσαν δὲ χερα κινοσαι, σχεδν λην ποιοσιν μμισθον τὴν πόλιν ξ ατῆς μα κοσμουμένην καὶ τρεφομένην. »

[19] Daremberg-Saglio, Artifices, 442 et suiv. — Il en est de même de M. Julius Schvarcz, qui, dans son paradoxal ouvrage sur la Démocratie (I, 589), intitule un des paragraphes du chapitre XV « Die Verachtung der Arbeit ; » or, si on se reporte au paragraphe en question, on y lit ces simples mots : « die Arbeit verachtet ; » il est permis de trouver la démonstration insuffisante — On ne lit pas non plus sans étonnement, dans le Marc-Aurèle de M. Renan, cette phrase : « L'erreur de la Grèce, qui avait été le mépris de l'ouvrier et du paysan (!) n'avait point disparu » (p. 599). On a trop confondu les théories des philosophes de l'antiquité avec la réalité des faits et des mœurs : c'est ce qu'a déjà indiqué M. Brants, De la condition du travailleur libre dans l'industrie athénienne (Rev. inst. publ. en Belgique, XXVI, p. 100 et suiv.).

[20] Aristote-Kenyon, 13.

[21] Aristophane, Chev., 44.

[22] Andocide, I, 146.

[23] Andocide, ap. scol. Aristophane, Guêpes, 1007. — Hermann-Blümner (Privatalt., 399) veulent que tous ces personnages aient été en réalité des capitalistes possesseurs de fabriques oh travaillaient des esclaves, comme le père de Démosthène et celui de Lysias ; cela est possible pour quelques-uns d'entre eux, non assurément pour tous. »

[24] Plutarque, Moral., I, 291 : « Όρν τος 'Αθηναίους τό τάριχος ποκηρύττοντας καὶ τ ψον, καὶ τελωνοντας, καὶ πορνοβοσχοντας, καὶ τερα ργα σχήμονα πράττοντας, καὶ μηδν ασχρν γουμένους. »

[25] Voir les exemples réunis par M. P. Girard, Education, p. 74.

[26] Schömann, II, 551.

[27] Aristote, Pol., VIII, 2, 1 : « Βάναυσον δ'ργον εἶναι δε τοτο νομίζειν καὶ τέχνην ταύτην καὶ μάθησιν, σαι πρὸς τὰς χρήσεις καὶ τὰς πράξεις τὰς τῆς ρετῆς χρηστον περγάζονται τ σμα τῶν λευθέρων τν ψυχν τν δινοιαν. Δι τάς τε τοιαύτας τέχνας σαι τ σμα παρασκευζουσι χερον διακεσθαι βάνασους καλομεν, καὶ τάς μισθαρνικάς ργασίας * σχολον γὰρ ποιοσι τν δινοιαν καὶ ταπενην. »

[28] Xénophon, Economiq., IV, 2 : « Καὶ γὰρ α γε βαναυσικα καλούμενοι καὶ πιρρητοί εσι, καὶ εἰκότως μέντοι πάνυ δοξονται πρὸς τῶν πόλεων. Καταλυμαίνονται γὰρ τὰ σώματα τῶν τε ργαζομένων καὶ τῶν πιμελομένων, ναγκάζουσαι καθσθαι καὶ σκιατραφεσθαιΤν δ σωμάτων θηλυνομένων καὶ α ψυχα πολ ρρωστίτεραι γέγνονται. »

[29] Loc. cit., d'après Riedenauer, Handwerk und Handwerker in den homerischen Zeiten, 1873.

[30] Cf. Busolt, Griech. Alterth. (Iwan Müller), 10 et suiv.

[31] Xénophon, Memor., III, 7. 6.

[32] Ibid., II, 7.

[33] Thucydide, II, 10, 2 : « Ένι τε τος ατος οἰκείων άμα καὶ πολιτικῶν πιμλεια καὶ τερα πρὸς ργα τετραμμίνοίς τ πολιτικά μ νδες γνναι. »

[34] Plutarque, Pér., 19 ; nous empruntons la traduction de ce passage à M. Duruy, Histoire des Grecs, II, 234.

[35] Op. cit., 165 et suiv.

[36] Cf. Démosthène, XX, 21. 29 ; — XXII, 21 ; Lycurgue, c. Léocr., 41 ; et Aristophane, Chev., 347, où les deux mots de ξένος et de μτοικος sont accolés.

[37] C. I. Α., Ι, 2.

[38] Pol., III, 1, 10.

[39] Curtius, I, 482, note 1.

[40] Pausanias, I, 38, 4.

[41] Thucydide, II, 15, 2.

[42] Scol. Aristophane, Gren., 416.

[43] Scol. Thucydide, I, 2 : « ο 'Αθηναοι τ παλαιν εθς μετεδιδοσαν πολιτείας, στερον δέ οκέτι, δι τ πλθος. »

[44] Fustel de Coulanges, Cité antique, 121.

[45] Thucydide, I, 2, 6 : « Έκ γὰρ τῆς 'Ελλάδος οἱκπίπτοντες γὰρ' 'Αθηναίους οἱ δυνατώτατοινεχώρουν, καὶ πολται γιγνέμενοι… »

[46] Hérodote, VI, 35.

[47] Cf. Curtius, I, 370 ; Busolt, Griech. Gesch., I, 274 ; Wilamowitz (p. 238) l'admet aussi.

[48] Cf. Wilamowitz, 237, avec lequel nous sommes tout à fait d'accord sur ce point.

[49] Solon, 24 : « Ότι γενέσθαι πολίταις οὐ δίδωσι πλν τος φεύγουσιν ειφυγί τν αυτν πανεστίοις Άθήναζε μετοικιζομένοις ἐπὶ τέχν. »

[50] Op. cit., p. 25.

[51] Hellen. Alterth., 1², 474.

[52] Démosthène, LVII, 31.

[53] Ibid., 32.

[54] Ibid., 34.

[55] Athénée, IV, 49. Alexis est, il est vrai, d'une époque bien postérieure à Solon ; mais ses vers n'en dépeignent pas moins exactement les résultats de la constitution solonienne :

"Eστιν δὲ ποδαπς τ γένος οτος ; — Πλούσιος

τούτους δὲ πάντες φασν εγενεσττους.

Πένητας επατρίδας γρ οδέ ες ρ.

[56] Sol., 22.

[57] Curtius, I, 454.

[58] Aristote-Kenyon, 13.

[59] Op. cit., 248 : « Damals wird bei der Schaffung der Gemeinden auch die Zutheilung der Clienten an die Gemeinden, wird also das neue Metœkenrecht geschaffen sein. »

[60] Pol., III, 1, 10.

[61] Op. cit., 167.

[62] Aristote-Kenyon, 21 : « Πρτον μὲν συνένειμε πάντας εἰς δέκα φυλς ντ τῶν τεττάρων, ναμεξαι βουλωμένος, πως μετάσχωσι πλείους τῆς πολιτείας. »

[63] Ibid. : « Καὶ δημότας ποίησεν λλήλων τος οἰκοντας ν ἑκάστ τῶν δήμων, να μ πατρόθν προσαγορεύοντες ξελεγχωσι τος νεοπολίτας, λλ τῶν δήμων ναγορεωσιν * θεν καὶ καλοσιν 'Αθηναίοι σφς ατος τῶν δήμων. »

[64] Op. cit., ρ. 167.

[65] M. Schenkl croit que c'est de cette époque que date le terme de μίτοιχος, qui aurait remplacé, dans l'usage officiel, ξένος ; c'aurait été là une réforme bien insignifiante ; le mot de μέτοικος devait être aussi ancien que la classe d'hommes qu'il désignait.

[66] Voir notamment Martin, Cavaliers (45 et suiv. ; 57 et suiv.), un des derniers ouvrages où la question est discutée.

[67] Cité antique, 312 et suiv.

[68] Aristote-Kenyon, 6 : « Χρεν ποκοπὰς ποίησε καὶ τν δίων καὶ τν δημασίων, ς σεισάχθειαν καλοσιν. »

[69] Aristote-Kenyon, 2.

[70] Ibid., 5.

[71] Pol., II, 9, 2.

[72] Aristote-Kenyon, 6.

[73] Aristote-Kenyon, 2 : « Ή δὲ πσα γ δι' λίγων νκαλεπώτατον μν ον καὶ πικρότατον ν τος πολλος τν κατὰ τν πολιτείαν τ τῆς γῆς μ κρατεν. » Nous suivons pour ce passage l'édition Herwerden-Leeuwen.

[74] Aristote-Kenyon. 2.

[75] Plutarque, Rom., 13 : « … Πάτρωνας νομάζων, περ στ προστάτας * ἐκείνους δὲ κλιέντας, περ στ πελάτας. »

[76] Aristote-Kenyon, 12 :

O δ'ἐφ' ρκαγασιν λβον, λπίδ' εχον φνεάν,

κἀδόκουν καστος ατν λβον ερήσειν πολύν,

καὶ με κωτίλλοντα λείως τραχν ἐκφανεν νόον.

Χανα μν τότ' φράσαντο, νν δέ μοι χολούμενοι

λοξν φθαλμος ρσι πάντες στε ήιοι,

οὐχρίών *  μὲν γὰρ επα ον θεοσιν νυσα,

λλα δ'οὐ μάτην ερδον, οὐδέ μοι τυραννίδος

νίανεν βίαια λήματ' οὐδέ πιερας χθονός

πατρίδος κακοσιν σθλος σομοιρίαν χειν.

[77] Aristote-Kenyon, 11 : « Ό μν γὰρ δῆμος ετο πάντ'νάδαστα ποιήσειν ατν. » — Cf. Plutarque, Sol., 16.

[78] M. Martin (p. 37, note 1) a raison de ne pas même vouloir discuter cette opinion de M. Landwehr (Forschungen zur ältern altischen Geschichte) que les thètes n'étaient pas réellement des citoyens, et n'étaient que des métèques. Il n'en est pas moins vrai qu'il y avait entre eux cette ressemblance, qu'ils étaient les uns et les autres rattachés à d'autres hommes par des liens personnels.

[79] Isocrate, XV, 232 : « Τν δημοκρατίαν ἐκείνην κατέστησε. »

[80] Op. cit., p. 248.

[81] Diodore, XI, 43 : « Έπεισε δὲ (Thémistocle) τὸν δμον καθ’ ἕκαστον νιαυτὸν πρὸς τας παρχούσαις ναυσν εκοσι τριήρεις προσκατασκευάζειν καὶ τος μετοίκους καὶ τος τεχνίτας τελες ποισαι, πως χλος πολς πανταχόθεν εἰς τὴν πόλιν κατέλθ καὶ πλείους τέχνας κατασκευάσωσιν εχερς. 'Αμφότερα γὰρ τατα χρηοιμώτατα πρὸς ναυτικν δυνάμεων κατασχευς πάρχειν ἔκρινεν. »

[82] Böckh, Ι, 402.

[83] Op. cit., 186.

[84] La République des Athéniens d'Aristote ne fait aucune allusion à ce fait ; elle parle d'ailleurs fort peu de Thémistocle, qu'Aristote semble regarder plutôt comme un homme de guerre que comme un homme politique.

[85] C'est ainsi que le comprend Curtius (II, 357).

[86] Nous voulons parler du § 24.

[87] Aristote-Kenyon, 23.

[88] Op. cit., 249.

[89] Aristote-Kenyon, 26.

[90] Meier-Schömann, I, 95, note 156.

[91] Pol., VII, 4. 8 : « Έτι δὲ ξένοι ; καὶ μετοίκοις ῥάδιον μεταλαμβάνειν τῆς πολιτείας οὐγὰρ χαλεπν τ λανθάνειν δι τν περβολν το πλήθους. »

[92] Scol. Aristophane, Guêpes, 718.

[93] Plutarque, Pér., 37.

[94] Op. cit., 170 ; M. Schenkl conclut avec raison qu'on ne peut rien tirer de ces textes pour calculer le chiffre de la population d'Athènes à cette époque.

[95] Dinarque, fr. 56 et suiv.

[96] II, 552.

[97] Lysias, XII, 4.

[98] Die Demokratie, I, 186.

[99] Cf. p. 189 et suiv.

[100] Thucydide, I, 143, 1.

[101] Thucydide, II, 39, 1.

[102] Platon, Lois, XII, 952 et suiv.

[103] Pol., VII, 4, 4 : « Άναγκαον γὰρ ἐν τας πόλεσιν σως πάρχειν καὶ δούλων ριθμν πολλν καὶ μετοίκων καὶ ξένων. »

[104] Rev., II, 1.

[105] I, 12 : «… Διότι δεται πόλις μετοίκων δι τε τ πλθος τν τεχνν καὶ δι τ ναυτικόν. Δι τοτο ον καὶ τος μετοίκοις εἰκότως τν σηγορίαν ποιήσαμεν. »

[106] Diodore, XI, 43.

[107] Démosthène, XXXV, 51.

[108] Xénophon, Hell, II, 4, 25.

[109] Athénée, Deipnosoph., 577 b.

[110] Isocrate, VIII, 21.

[111] Cf. Monceaux, 116 et suiv.

[112] C. I. Α., II, 176.

[113] Mittheil., VIII, 211.

[114] Plutarque, Phoc, 29.

[115] C. I. A., II, 222.

[116] C. I. Α., II, 334.

[117] C. I. Α., II, 380 ; cf. Plutarque, Arat., 34 ; Pausanias, II, 8. 5.

[118] C. Ι. Α., II, 413 ; cf. Liv., XXXI, 15. 22. Polybe, XVI, 26.

[119] Rev. archéol., 1886, I, 5 et suiv.

[120] Appien, Bell. Mith., 4t.

[121] Frag. poet. com. graec, p. 608 : « Ό Πειραιεὺς κάρυον μέγ'στί καὶ κενν. »— On admet généralement que Philiscos est un des poètes de la comédie moyenne.

[122] Ibid., p. 700 ; Criton appartient à la comédie nouvelle (336-250), et sans doute à sa dernière période.

[123] Cicéron, Epist, ad div., IV, 5, 4.

[124] C. I. Α., III, 2, 2202 à 2959, soit 758 inscriptions, contre 669 inscriptions funéraires de citoyens (nos 1471 à 2139).

[125] Vœu, ou Navire, 24.

[126] Op. cit., 253.

[127] Cf. Foucart, Mém. sur les col. athén., 412.

[128] De l'importance des questions économiques dans l'antiquité (Revue internationale de l'enseign., VIII, 226).