LA POLICE SOUS LOUIS XIV

 

CHAPITRE VII. — LA CHAMBRE DES POISONS.

 

 

Utilité historique des annales judiciaires. — Effet produit par le procès de la Brinvilliers. — Un billet anonyme dénonce un projet d'empoisonnement du roi et du dauphin. — Arrestation de plusieurs personnes, notamment de la Voisin. — Personnages de la cour compromis et arrêtés. — Ordres sévères du roi de ne ménager qui que ce soit. — La Reynie, chargé de la direction du procès, s'y conforme consciencieusement. — La duchesse de Vivonne et madame de Montespan dénoncées par plusieurs accusés. — Premières impressions de Colbert. — La Fontaine et La Reynie. — Aveux de la Voisin. — Elle est brûlée vive. — Aveux de sa fille et d'autres accusés. — Messes sacrilèges. — Des aveux qui compromettaient madame de Montespan sont rétractés. — Lettres de Louvois. — Lettres du marquis de Feuquières. — Accusations de ce dernier contre La Reynie. — Embarras de Colbert. — Singulier rôle d'une demoiselle Désœillets, femme de chambre de madame de Montespan. — La duchesse de Fontanges a-t-elle été empoisonnée ? — Lettre de Louis XIV au duc de Noailles sur sa mort. — La comtesse de Soissons. — Hésitation de La Reynie. — Colbert et l'avocat Duplessis. — Mémoire de ce dernier sur la conduite du procès. — Il justifie mesdames de Montespan et de Vivonne. — Ses doutes. — Il conseille, pour en finir, de juger les principaux accusés, de renfermer les autres arbitrairement, et de brûler toute la procédure. — On adopte ce parti. — Des accusés, non jugés, étaient encore dans les cachots douze ans après.

 

Les annales judiciaires des peuples contiennent souvent des enseignements que l'histoire aurait tort de dédaigner. Alors même qu'il s'agit de personnalités exceptionnelles et de crimes dont l'étrangeté repousse toute conclusion systématique, les révélations de certains procès permettent de saisir en quelque sorte sur le fait des tendances, des mœurs, des passions, qui, sans les circonstances violentes où elles sont amenées sur la scène, resteraient à peu près inconnues. Grâce aux enquêtes, aux informations de la justice, et surtout aux dénonciations des accusés, la lumière, une lumière éclatante et parfois effrayante, se fait tout à coup. Chaque pays est sujet, en proportion de la vitalité et des passions qui lui sont propres, à ces secousses qui, dans l'ordre moral, rappellent l'action des tremblements de terre dans le monde physique. Nous avons raconté les crimes de la marquise de Brinvilliers et les procès de lèse-majesté qui précédèrent ou qui suivirent. L'affaire de la marquise de Brinvilliers occupa pour le moins autant qu'avait fait dans les premiers temps du règne celle de Fouquet l'opinion publique, qui en recueillit les détails avec une avidité fiévreuse. Ces empoisonnements successifs, par une femme appartenant aux premiers rangs de la société, d'un père chargé de la police parisienne et de deux frères, ces tentatives sur un mari et sur une sœur, ces essais de poisons faits, disait-on, jusque dans les salles des hôpitaux avec un calme infernal, tout cela avait soulevé non-seulement à Paris, mais en France et à l'étranger, une rumeur immense. On eût dit que tout le monde était intéressé au procès, et il n'était question que des poudres de succession. L'acquittement du receveur général du clergé, Reich de Penautier, attribué à des influences de toute sorte, n'avait fait qu'ajouter au scandale. On croyait enfin qu'il y avait dans Paris des officines de poisons à la disposition des fils de famille ruinés, des ménages troublés, des ambitieux impatients. Les juges mêmes qui avaient condamné la marquise de Brinvilliers partageaient ces appréhensions, et le premier président de Lamoignon, en donnant ses instructions au prêtre qui devait la préparer à la mort, lui avait dit : Nous avons intérêt, pour le public, que ses crimes meurent avec elle, et qu'elle prévienne, par une déclaration de ce qu'elle sait, toutes les suites qu'ils pourroient avoir ; mais la marquise de Brinvilliers s'était bornée à confesser ses monstrueux empoisonnements, et n'avait donné aucune des indications que la justice espérait d'elle, laissant ainsi planer sur tous la menace d'un danger d'autant plus redoutable que, d'après l'opinion commune, les nouveaux poisons, œuvre raffinée des Italiens, causaient la mort par leurs seules émanations, sans occasionner une lésion apparente. Le crime devenait ainsi également impossible à prévenir et à constater.

La marquise de Brinvilliers avait été exécutée le 16 juillet 1676. Environ un an après, le 21 septembre 1677, un billet sans signature, trouvé dans un confessionnal de l'église des jésuites de la rue Saint-Antoine, et portant qu'il existait un projet d'empoisonner le roi et le dauphin, excita au plus haut degré les inquiétudes du lieutenant général de police. Après quelques mois de recherches, on mit la main sur deux individus, Louis Vanens et Robert de La Mirée, seigneur de Bachimont en Artois, dont la conduite parut plus que suspecte, sans justifier toutefois, par des faits précis, l'accusation qui pesait sur eux. Le premier ne se contentait pas de chercher le grand œuvre ; il fabriquait aussi des philtres, qu'il vendait à des entremetteuses, à des sages-femmes, et il fut soupçonné d'avoir, quelques années auparavant, empoisonné le duc de Savoie. Bachimont, qui le chargea beaucoup par ses aveux, était un de ses agents et vivait du même métier. Avec ce fil conducteur, La Reynie remonta par induction à un certain nombre de personnes plus ou moins compromises qu'il fit arrêter : c'étaient une femme La Bosse, veuve d'un marchand de chevaux, la Vigoureux, mariée à un tailleur d'habits de femme — notre siècle de progrès ne saurait donc revendiquer l'honneur de cette délicate invention —, un nommé Nail et une femme Lagrange. Reconnus coupables d'avoir préparé des poisons, ces deux derniers, dont la cause parut pouvoir être jugée à part, furent condamnés à mort par arrêt du parlement et exécutés le 6 février 1679. Cependant un arrêt du conseil du 10 janvier de la même année avait chargé La Reynie d'informer contre les femmes La Bosse, Vigoureux et leurs complices. Le 12 mars, une arrestation qui devait exercer une influence considérable sur le procès, celle de Catherine Deshayes, femme d'Antoine Monvoisin ou Voisin, joaillier, avait lieu, à l'issue de la messe, à l'église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. A partir de ce jour, l'affaire des poisons prit des proportions inattendues. Pour la soustraire à la publicité, le gouvernement institua le 7 avril une chambre royale devant siéger à l'Arsenal, à laquelle le peuple donna les noms de chambre ardente ou chambre des poisons. La Reynie et un autre conseiller d'État, Louis Bazin, seigneur de Bezons, qui avait comme lui pris une part active au procès du chevalier de Rohan, en furent nommés rapporteurs. Bientôt, malgré la discrétion recommandée aux juges, le bruit courut dans Paris que les noms les plus élevés et les plus rapprochés du trône étaient compromis par la Voisin. Un jour enfin, le 23 janvier 1680, on apprit qu'un prince de la maison de Bourbon, le comte de Clermont, la duchesse de Bouillon, la princesse de Tingry, dame du palais de la reine, la marquise d'Alluye, cette ancienne maîtresse de Fouquet, dont on a des lettres si expansives, la comtesse du Roure, madame de Polignac, le duc de Luxembourg et bien d'autres du plus haut rang, étaient décrétés par la chambre ou renfermés à la Bastille. On racontait encore qu'une sœur de la duchesse de Bouillon, la comtesse de Soissons, cette altière nièce du cardinal de Mazarin, qui, après avoir été l'une des premières maîtresses du jeune roi, était devenue surintendante de la reine, avait, grâce à l'indulgence de Louis XIV, quitté Paris en toute hâte pour éviter le même sort.

Que ne dirait-on pas contre la France moderne, si un fait analogue venait à s'y produire ! Que d'indignations et de colères, que de retours vers le passé, que de regrets ! Au dix-septième siècle, les populations étaient tellement familiarisées avec les soupçons d'empoisonnement, qu'il ne parait pas que la mise en accusation de tant de grands personnages ait déterminé la commotion qui aurait lieu de nos jours, et dont nous avons eu un exemple, il y a bientôt vingt ans, à l'occasion d'un assassinat célèbre. Cette satisfaction donnée par Louis XIV à l'opinion doit lui être comptée, et fit sans doute dans le public un excellent effet. A côté et comme correctif de ses instincts despotiques, ce prince avait à un très-haut degré le sentiment de sa mission, et voulait sincèrement que la justice, en ce qui concernait les crimes et délits qui n'avaient pas un caractère politique, fût égale pour tous ses sujets ; il avait de plus le premier mouvement honnête et droit. Il ordonna donc que cette grave affaire fût examinée avec une rigoureuse impartialité, et que les coupables fussent, n'importe leur rang, punis comme ils le méritaient. On trouve dans les papiers de La Reynie, et de son écriture même, un précieux témoignage de ces dispositions généreuses. Le 27 décembre 1679, Louis XIV l'avait mandé à Saint-Germain avec le chancelier Louis Boucherat, le procureur général de la chambre ardente Robert, et de Bezons, second rapporteur. Sa Majesté, dit La Reynie, nous a recommandé la justice et notre devoir en termes extrêmement forts et précis, en nous marquant qu'elle désiroit de nous, pour le bien public, que nous pénétrassions le plus avant qu'il nous seroit possible dans le malheureux commerce du poison, afin d'en couper la racine, s'il étoit possible. Elle nous a recommandé de faire une justice exacte sans aucune distinction de personnes, de condition et de sexe, et Sa Majesté nous l'a dit en des termes si clairs et si vifs, et en même temps avec tant de bonté, qu'il est impossible de douter de ses intentions à cet égard, de ne pas entendre avec quel esprit de justice elle veut que cette recherche soit faite[1].

Enhardi par ces paroles, La Reynie instruisit l'affaire sans ménagements, et Louis XIV, indigné des révélations de chaque jour, autorisa les arrestations dont nous avons parlé. Mais bientôt, quel que fût le scandale auquel on s'était résigné, les prévisions les plus extrêmes furent dépassées, et c'est ici que s'ouvrent pour l'histoire des horizons nouveaux, complètement ignorés des contemporains. Non-seulement des accusés prétendirent que la vie du roi, du dauphin, de Colbert, de mademoiselle de La Vallière, de la duchesse de Fontanges, aurait été successivement en danger, mais ils persuadèrent les juges instructeurs, et la duchesse de Vivonne et madame de Montespan elle-même furent sur le point d'être arrêtées comme ayant trempé dans ces projets. La Reynie, qui avait ordre d'envoyer tous les jours à Colbert et à Louvois le résumé des interrogatoires, raconte que, le 6 février 1680, il se rendit, sur l'ordre de ce dernier, à Saint-Germain au lever du roi, qui lui dit plusieurs choses de conséquence, ajoutant qu'il faudrait aussi faire la guerre à un autre crime, que Sa Majesté n'a pas autrement expliqué. Quels étaient ces nouveaux mystères ? La Reynie ne le dit pas ; mais nous savons par ses papiers que tous les interrogatoires ne devaient pas être montrés indistinctement à tous les juges, pour ne pas divulguer des faits dont la connaissance était réservée au roi, à Louvois, à Colbert. Écrits exceptionnellement sur des feuilles volantes, ces interrogatoires pouvaient être anéantis sans difficulté ; on constituait ainsi une commission dans la commission. Il était entendu en outre que les papiers de la procédure seraient brûlés. Or ces papiers, dont Louis XIV désirait tant faire disparaître la trace, existent encore soit en originaux, soit en copies[2], et permettent de recomposer en quelque sorte le procès célèbre dont le public ne soupçonna pas même la gravité et encore moins les détails. Parmi ceux-ci, il en est que Colbert, embarrassé, caractérisait par ces mots : sacrilèges, profanations, abominations. Choses trop exécrables pour être mises sur le papier, dit-il une autre fois. On ne saurait en effet qualifier différemment certaines pratiques d'une superstition corrompue qu'il faut laisser, de peur de s'y salir, dans les dossiers des procureurs généraux, et pour lesquels le huis-clos est, même aujourd'hui, de toute rigueur ; mais, si la justice historique n'a pas le droit de les livrer à la publicité, elle peut du mois les signaler comme symptômes et signes du temps.

Temps étrange et singulier, bien fait pour expliquer l'amertume d'un La Rochefoucauld et d'un La Bruyère ! Pendant qu'à la surface tout était calme, compassé, solennel — nous parlons surtout ici de l'aspect extérieur de la cour —, des passions ardentes, des ambitions effrénées, couvant çà et là, éclataient par intervalles et surprenaient l'observateur par le contraste des résultats. Cet ancien compagnon des jeux du roi, le chevalier de Rohan, après avoir gaspillé des biens immenses et compromis le nom des plus grandes dames, se vendait pour de l'argent aux Espagnols et payait de la vie ses témérités. Une duchesse de Longueville, une La Vallière, une madame de La Sablière, un Rancé et tant d'autres édifiaient dans des cloîtres, quelquefois même par de longs martyres, le monde qu'ils avaient fait le confident de leurs folles amours. Dans une autre sphère, un homme dont le libre et hardi génie a laissé un sillon de feu, l'auteur de Don Juan et de Tartufe, avait un confesseur attitré et faisait ses pâques tous les ans[3]. C'était aussi l'époque où, retirée dans un couvent qu'elle souillait de ses derniers désordres, la marquise de Brinvilliers, cédant au cri de sa conscience, écrivait une confession de nature à étonner l'imagination la plus dévergondée. En même temps un prince du sang, le propre frère du roi, passait pour être en proie à des habitudes infâmes et remplissait la cour de ses cris, parce qu'un favori que sa jeune femme abhorrait justement lui avait été enlevé. N'oublions pas ce trait caractéristique de la légitimation par Louis XIV d'enfants doublement adultérins, fait monstrueux, qui aurait dû paraître tel sous tous les régimes, qui semble pourtant avoir été accepté comme naturel par les contemporains, excepté par le duc de Saint-Simon, mais on sait pourquoi, et contre lequel une femme d'un sens parfait, d'un esprit juste, madame de Sévigné, n'a pas même protesté par une allusion dans cette immortelle correspondance où le roi et ses maîtresses tiennent une si grande place[4].

Telles étaient donc, sans parlez des rigueurs déjà excessives du pouvoir contre les protestants, l'époque et la société qui allaient voir se dérouler ce procès de la Voisin où les plus grands noms de la cour devaient frapper l'oreille des commissaires, et qui, à remarquer le soin particulier avec lequel Colbert et Louvois en suivirent tous les détails, fut pour Louis XIV un sujet non-seulement de préoccupation, mais d'inquiétude sérieuse. Il ne s'agissait de rien moins en effet que de savoir s'il y avait autour de lui et dans son intimité des personnes ayant réellement conçu le projet de l'empoisonner ou tout au moins de lui donner des philtres capables, à leur insu, de produire le même effet. C'est par là que le procès de la Voisin mérite surtout de fixer l'attention, et c'est à ce point de vue qu'aujourd'hui encore il y a intérêt à l'étudier.

Nous passerons rapidement sur les accusés vulgaires pour arriver immédiatement aux personnages historiques. Notons cependant que deux cent quarante-six individus se virent enveloppés dans l'accusation ; que, dans le nombre, trente-six furent punis de mort après avoir subi la question ordinaire et extraordinaire, et que, parmi ceux qui eurent la vie sauve, les uns furent condamnés à la prison perpétuelle, aux galères, à l'exil, les autres détenus arbitrairement jusqu'à la fin de leurs jours. Les plus coupables étaient condamnés pour le fait d'empoisonnement, de sortilèges, de messes impies avec sacrifice de jeunes enfants. La fable des Devineresses, qui date de cette époque, résume on ne peut mieux le mobile de tous ces crimes :

Perdoit-on un chiffon, avoit-on un amant,

Un mari vivant trop, au gré de son épouse,

Une mère fâcheuse, une femme jalouse :

Chez la devineuse on couroit.

Après le poète, écoutons le principal rapporteur et le véritable directeur de l'affaire, La Reynie. La femme La Bosse — une des accusées qui furent brûlées vives — dit qu'on ne fera jamais mieux que d'exterminer toutes ces sortes de gens qui regardent dans la main, ce qui est la perte de toutes les femmes de qualité et autres, parce qu'on connoit bientôt quel est leur foible, et c'est par là qu'on a accoutumé de les prendre, quand on l'a reconnu.

Celle qui donna son nom au procès, la femme Voisin du Monvoisin, était une ancienne accoucheuse. Trouvant le métier trop peu lucratif, elle avait imaginé de spéculer sur la crédulité publique, en faisant les cartes et tirant des horoscopes. C'était le premier pas vers une profession plus productive, mais plus dangereuse, la vente des philtres et des poisons. La Voisin y fit merveilles. Signalée par un des accusés sur lesquels La Reynie avait fait main basse après la découverte du billet révélateur de l'église des jésuites, elle fut arrêtée la veille d'un jour où elle se proposait de remettre au roi un placet en faveur d'un militaire nommé Blessis, son amant, et ce fut surtout par suite de ses dénonciations qu'eurent lieu les arrestations qui émurent la société parisienne. D'après ses aveux, deux dames de la cour, la comtesse du Roure et madame de Polignac, l'avaient consultée, il y avait déjà plusieurs années, pour obtenir l'amour du roi et se défaire de madame de La Vallière. La Voisin alla plus loin et prétendit que la comtesse de Soissons, désespérée de voir que, malgré tous les sortilèges et enchantements mis en œuvre pour le détacher de sa maîtresse, Louis XIV lui restait fidèle, aurait dit : S'il ne revient pas, et si je ne puis me défaire de cette femme, je pousserai ma vengeance à bout et je me déferai de l'un et de l'autre. Madame de Sévigné, si bien instruite des bruits de cour, avait sans contredit entendu mentionner cette circonstance, car après avoir raconté à sa fille (31 janvier 1680) une visite faite par quelques grandes dames à la Voisin, elle ajoutait : Madame de Soissons demanda si elle ne pourroit point faire revenir un amant qui l'avoit quittée. Cet amant étoit un grand prince, et on assure qu'elle dit que, s'il ne revenoit pas, il s'en repentiroit. Cela s'entend du roi, et tout est considérable sur un tel sujet[5]. La Voisin se faisait d'ailleurs comme un plaisir d'entralner avec elle les supériorités de tout ordre. Dans un interrogatoire du 17 février, elle déclara sur la sellette qu'elle avoit connu la demoiselle Du Parc, comédienne, et l'avoit fréquentée pendant quatorze ans, et que sa belle-mère, nommée de Gordo, lui avoit dit que c'étoit Racine qui l'avoit empoisonnée'[6]. On aime à penser que cette dénonciation par ricochet ne fut pas ramassée, et que Racine n'en eut jamais connaissance. Bien et dûment convaincue d'empoisonnement, la Voisin fut condamnée à mort et exécutée après avoir subi la question ordinaire et extraordinaire. Il est difficile de s'expliquer aujourd'hui pourquoi, dans une affaire complexe, la justice se dessaisissait ainsi du principal accusé, quand ses complices attendaient encore leur arrêt. C'était, il faut en convenir, une singulière manière de simplifier la procédure. La Voisin n'en fut pas moins brûlée vive le 22 février. On ne dit pas encore ce qu'elle a dit, écrivait le lendemain madame de Sévigné, qui était allée la voir passer de l'hôtel Sully ; on croit toujours qu'on verra des choses étranges. Mais la Voisin n'avait rien précisé, et s'était bornée à des accusations générales et vagues qui ne compromirent directement personne. Aux mains de son confesseur, rapporte La Reynie, qui était présent, ladite Voisin a dit qu'elle croit être obligée de nous déclarer, pour la décharge de sa conscience, qu'un grand nombre de personnes de toute sorte de conditions et de qualités se sont adressées à elle pour demander la mort et les moyens de faire mourir beaucoup de personnes, et que c'est la débauche qui est le premier mobile de tous ces désordres.

La mort ayant fait justice de la moderne Locuste sans que la question extraordinaire eût amené de sa part des révélations inattendues, on eût pu croire que l'affaire marcherait désormais vers une prompte solution, et que de nouveaux scandales ne viendraient pas s'ajouter à ceux qui s'étaient produits. Il en fut tout autrement. C'est alors en effet que la fille Voisin et trois autres accusés, une femme Filastre, et deux prêtres nommés Lesage et Guibourg, avouèrent des faits qui, communiqués immédiatement à Louis XIV par Colbert et par Louvois, durent lui causer une impression singulière. Nous entrons ici dans le cœur même du procès, et l'on va voir si l'obscurité dont le gouvernement prit la précaution de l'entourer n'était pas justifiée. Une lettre de Louvois à La Reynie, du 1er octobre 1679, porte qu'il était allé la veille à Vincennes, et qu'il avait promis la vie à Lesage, s'il faisait aveux complets[7]. Ce Lesage, qui était aumônier de la maison de Montmorency, avait pris alors l'engagement de tout dire ; mais il s'était montré depuis fort réservé. Les révélations de la fille Voisin après l'exécution de sa mère le déterminèrent à parler. D'après elle, le but de celle-ci, en cherchant à remettre un placet au roi, était de l'empoisonner au moyen de poudres qu'elle devait glisser dans sa poche et sur son mouchoir. Elle ajoutait, sans en donner pourtant aucune preuve, que, pendant de longues années, sa mère avait été en commerce avec madame de Montespan, et qu'une de ses femmes, la demoiselle Désœillets, qui céloit son nom, mais qu'elle connoissoit bien, était venue maintes fois chez sa mère, à qui elle avait souvent laissé des billets ; que toutes les fois que madame de Montespan craignoit quelque diminution aux bonnes grâces du roi, la Voisin en était informée, faisait dire des messes, et lui donnait des poudres pour l'amour, qu'elle devait faire prendre au roi ; qu'à la fin, fatiguée de l'insuccès de toutes ces pratiques, madame de Montespan avait résolu de porter les choses à l'extrémité, et que deux affidés de sa mère, Romani et Bertrand,  arrêtés tous deux, avaient entrepris de s'introduire chez mademoiselle de Fontanges pour lui vendre des étoffes et des gants empoisonnés. La fille Voisin parla encore d'une messe dite par l'abbé Guibourg en présence d'un seigneur anglais qui avait promis 100.000 livres, si l'on parvenait à empoisonner le roi.

Il y avait dans cette déposition bien des incohérences, mais les révélations conformes de Guibourg, de Lesage et de la femme Filastre fixèrent l'attention de La Reynie, qui, ayant pris au pied de la lettre les recommandations du roi, ne recherchait qu'une chose, la vérité. Ainsi l'abbé Guibourg déclara avoir dit, à l'intention de madame de Montespan, sur le corps d'une femme nue — et cette circonstance abominable était la moins odieuse de celles qu'il avouait —, des messes où, après l'immolation d'un jeune enfant dont le sang était soigneusement recueilli, il avait passé sous le calice l'écrit qu'on va lire : Je demande l'amitié du roi et celle de monseigneur le dauphin, qu'elle me soit continuée, que la reine soit stérile, que le roi quitte son lit et sa table pour moi, que j'obtienne de lui tout ce que je lui demanderai pour moi, mes parens ; que mes serviteurs et domestiques lui soient agréables. Chérie et respectée des grands seigneurs, que je puisse être appelée aux conseils du roi et savoir ce qui s'y passe, et que, cette amitié redoublant plus que par le passé, le roi quitte et ne regarde La Vallière, et que, la reine étant répudiée, je puisse épouser le roi[8]. De son côté, l'abbé Lesage déclara, dans un interrogatoire du 16 novembre 1680, avoir vu chez la Voisin la demoiselle Désœillets avec un étranger. Leur projet était, disait-il, d'empoisonner le roi, afin de partager une grosse somme d'argent que l'étranger leur avait promise, et de quitter la France. Lesage ajouta que, fût-il dans les derniers tourments, il ne saurait dire autre chose, sinon qu'en 1675, au commencement de l'été, madame de Montespan cherchant à se maintenir, la Voisin et la Désœillets travaillaient ou faisaient semblant de travailler pour elle ; mais en réalité, impuissantes à lui conserver par leurs vains sortilèges l'amour du roi, elles l'exploitaient en lui donnant tout simplement des poudres qui, prises à de certaines doses, auraient constitué un véritable poison. A cette fin, des mélanges contenant de l'arsenic  et du sublimé auraient été remis à la Désœillets, et un nommé Vautier, qui était artiste en poisons, en aurait fabriqué d'autres avec du tabac[9]. Les faits énoncés par l'abbé Guibourg confirmèrent les dépositions précédentes, qui avaient d'autant plus de gravité que, sur un point important, les relations entre la Désœillets et la Voisin, celle-ci avait toujours nié formellement qu'elles se fussent connues. Il était donc avéré qu'à cet égard la femme Voisin avait menti.

Les révélations de la femme Filastre pendant la torture furent encore plus compromettantes. Cette femme, digne émule de la Voisin, faisait un véritable commerce de poisons et fut convaincue d'avoir, au milieu de sortilèges et d'iniquités exécrables, sacrifié un de ses enfants pour en avoir le sang. Un témoin prétendit avoir vu un écrit par lequel elle faisait un pacte avec le diable pour faire obtenir tout ce qu'elle voudrait aux personnes de qualité ; que la duchesse de Vivonne, qui visait à remplacer madame de Montespan, sa belle-sœur, dans les faveurs du roi, était nommée dans cet écrit, et qu'il y était aussi question de Fouquet, pour le faire rétablir à la place de Colbert, dont on demandait la mort. Suivant l'abbé Lesage, madame de Vivonne avait en outre signé avec la duchesse d'Angoulême et madame de Vitry un écrit par lequel les trois amies faisaient un pacte pour la mort de madame de Montespan. Mise à la question le 30 septembre 1680, la Filastre déclara, entre autres faits, que l'abbé Guibourg avait dit la messe dans une cave pour le pacte de madame de Montespan et d'un homme de qualité qui poursuivait la mort de Colbert. Au troisième coin de l'extraordinaire — nous citons le procès-verbal de la question —, elle a dit que c'est madame de Montespan qui faisoit donner des poisons à mademoiselle de Fontanges, et des poudres pour l'amour afin de rentrer dans les bonnes grâces du roi... que c'étoit pour madame de Vivonne qu'elle vouloit faire pacte avec le diable... Au quatrième coin de l'extraordinaire, que Guibourg travailloit pour le pacte de madame de Montespan, et que l'homme qui en vouloit à M. Colbert étoit un veuf qui avoit deux enfans. Il faut toutefois reconnaltre qu'avant de mourir, la Filastre déclara à son confesseur que ce qu'elle avoit dit de madame de Montespan n'étoit point véritable, et que ç'avoit été pour se délivrer des douleurs, et de crainte qu'on ne la réappliquât ; que si elle avoit persisté depuis, ç'avoit été par crainte et respect pour les commissaires, et qu'elle n'avoit cherché à entrer chez mademoiselle de Fontanges que pour avancer sa famille. Cette rétractation, parfaitement admissible, n'en laissait pas moins subsister en entier les faits concernant madame de Vivonne et les projets sur Colbert.

Telles étaient les accusations formulées par les complices de la Voisin, et c'est ici qu'il y a lieu de regretter qu'on eût mis tant de hâte à l'exécuter. Malgré l'évidence de l'exagération, on peut se figurer l'effet qu'elles produisirent sur l'esprit du roi. Ignorées jusqu'à ce jour, les preuves de la préoccupation où elles le jetèrent sont cependant nombreuses et authentiques. J'ai là, sous les yeux, un dossier volumineux composé d'extraits, faits par Colbert lui-même, de tous les interrogatoires des accusés, et d'observations d'un célèbre avocat du temps, Claude Duplessis, à qui il communiquait ces interrogatoires pour s'éclairer de ses avis et se reconnaître dans ce dédale. De son côté, Louvois écrivait à Louis XIV et à La Reynie des lettres qui sont pour nous des traits de lumière, et qui, dans tous les cas, reflètent fidèlement les passions du moment.

A LOUIS XIV. — Chaville, 8 octobre 1679. — J'entretins avant-hier M. de La Reynie, qui m'apprit que les crimes des personnes détenues à Vincennes paroissoient tous les jours de plus en plus extraordinaires. Il y auroit treize ou quatorze témoins du crime de madame Le Féron[10]. Il me remit ensuite l'original — de l'interrogatoire — du nommé Lesage qu'il a désiré que je n'aie point envoyé à Votre Majesté, parce que, étant long et mal écrit, il lui avoit donné de la peine à déchiffrer. Je suis convenu avec lui de le garder jusqu'à ce que je puisse avoir l'honneur de le lire à Votre Majesté à Saint-Germain.

Tout ce que Votre Majesté a vu contre M. de Luxembourg et M. de Feuquières n'est rien auprès de la déclaration que contient cet interrogatoire, dans lequel M. de Luxembourg est accusé d'avoir demandé la mort de sa femme, celle de M. le maréchal de Créqui, le mariage de ma fille avec son fils, de rentrer dans le duché de Montmorency, et de faire d'assez belles choses à la guerre pour faire oublier à Votre Majesté la faute qu'il a faite à Philisbourg.

M. de Feuquières y est dépeint comme le plus méchant homme du monde, qui a saisi les occasions de se donner au diable pour faire consentir la demoiselle Voisin à empoisonner l'oncle ou le tuteur d'une fille qu'il vouloit épouser...

Louvois ajoute en terminant qu'il est allé à Vincennes, et qu'il a promis sa grâce à Lesage, à condition de dire tout ce qu'il savait sur MM. de Luxembourg et Feuquières[11]. Les lettres suivantes sont encore plus explicites.

À LA REYNIE. — Chaville, 16 octobre 1679. — J'ai rendu compte au roi de toutes les lettres que vous avez pris la peine de m'écrire depuis sept ou huit jours, dont la dernière est d'hier, et des mémoires et procès-verbaux qui les accompagnoient et que je vous renvoie tous.

Sa Majesté, qui en a entendu la lecture avec horreur, désire qu'on instruise toutes les affaires dont il y est fait mention, et que l'on acquière toutes les preuves possibles contre les gens qui y sont nommés. Sa Majesté est très-persuadée que vous n'oublierez rien de tout ce qui est nécessaire.

AU MÊME. — 3 février 1680. — Le roi a été informé qu'une femme nommée Roannés a entré dans tous les commerces dont madame la comtesse — de Soissons — est soupçonnée, même a contribué à la mort de deux ou trois domestiques, dont on dit qu'elle étoit embarrassée...

A l'égard de la personne à laquelle l'usage dû poison n'est pas inconnu, et que vous croyez qu'il est dangereux de laisser à la cour, le roi a jugé à propos de vous entendre sur cette affaire, quand vous reviendrez. Désignez tel jour de la semaine où nous allons entrer qui vous sera le plus convenable. Il faut que ce soit avant neuf heures du matin ; en vous montrant à la porte du cabinet du roi, lorsqu'il y entrera avant d'avoir prié Dieu, Sa Majesté vous fera entrer et vous entretiendra sur cette affaire.

AU MÊME. — Villers-Cotterêts, le 15 mars 1680. — C'est à Condé en Champagne, à deux heures de Montmirail, et qui appartient à madame la princesse de Carignan, que madame la comtesse — de Soissons — étoit pendant sa disgrâce[12]. Le gentilhomme que l'on prétend y être mort de poison se nommoit Davery, et la femme de chambre que l'on soupçonne avoir eu le même sort se nommoit Gastine ; mais la dame de Rouville vous éclaircira encore mieux que je ne puis faire, puisqu'elle dit qu'il étoit son parent...

Quatre mois après, le 21 juillet 1680, Louvois informait La Reynie qu'il avait lu au roi la déclaration de la fille Voisin, si grave, on s'en souvient, pour madame de Montespan, et que le roi espéroit bien qu'il finiroit par découvrir la vérité. A quelques jours de là, il lui ordonnait de ne pas faire juger les prisonniers de Vincennes en l'absence du roi ; puis, deux mois plus tard, le 25 septembre, il écrivait au procureur général près la chambre de l'Arsenal :

J'ai lu au roi les lettres que vous m'avez écrites hier et aujourd'hui, et les mémoires qui les accompagnoient. Sa Majesté a vu avec déplaisir, par ce qu'ils contiennent, l'apparence qu'il y a que madame de Vivonne a eu un commerce criminel avec la Filastre et autres prisonniers de Vincennes ; mais, comme la preuve n'en est pas encore complète, elle a cru qu'il valoit mieux prendre le parti le plus sûr et ne point venir à une démonstration telle que seroit un décret contre une femme de la qualité de madame de Vivonne, que l'on n'ait l'éclaircissement sur ce qui la regarde et qu'il pare à Sa Majesté que l'on ne peut manquer d'avoir par le procès-verbal de question de la Filastre...

Ainsi, tout ce qu'il y avait de plus élevé à la cour, le roi, la reine, le dauphin, Colbert, la duchesse de La Vallière, la duchesse de Fontanges, avait pu, dans l'opinion de La Reynie et de Louvois, être l'objet de tentatives criminelles dont les auteurs présumés n'étaient rien moins que la comtesse de Soissons, la marquise de Montespan, la duchesse de Vivonne, Fouquet ou ses agents. Madame de Montespan elle-même aurait été menacée par des rivales impatientes. La situation de Colbert surtout était particulière. En effet, des témoins nombreux et parfaitement concordants attestaient qu'on en voulait à sa vie. Une lettre de lui à l'un de ses frères semble confirmer ces déclarations. Comme j'ai l'estomac mauvais, écrivait-il le 19 novembre 1672, j'ai pris depuis quelque temps un régime de vivre fort réglé. Je mange en mon particulier, et je ne mange qu'un seul poulet à diluer avec du potage. Le soir, je prends un morceau de pain et un bouillon, ou choses équivalentes, et le matin un morceau de pain et un bouillon aussi. Ce malaise, cette perturbation réelle dans les fonctions de l'estomac avaient donné à penser à la Reynie, qui conseille, dans un de ses mémoires, de faire attention au temps où M. Colbert avoit été malade, et de rechercher un domestique qui avoit été prévenu et corrompu. D'autre part, une des filles de Colbert avait épousé, le 44 février 1679, le duc de Mortemart, fils de la duchesse de Vivonne, et c'était la marquise de Montespan, sa belle-sœur, qui avait fait le mariage. Le duc de Saint-Simon a tracé de madame de Vivonne ce joli croquis : Elle avoit été de tous les particuliers du roi, qui ne pouvoit s'en passer ; mais il s'en falloit bien qu'il l'eût tant ni quand il vouloit. Elle étoit haute, libre, capricieuse, ne se soncioit de faveur ni de privance, et ne vouloit que son amusement. Madame de Montespan et madame de Thianges la ménageoient, et elle les ménageoit fort peu. C'étoit souvent entre elles des disputes et des scènes excellentes... On comprend maintenant que Louis XIV ait hésité à faire arrêter madame de Vivonne, et que Colbert ait tenté l'impossible pour épargner cette humiliation à la mère et à la tante du duc de Mortemart.

La correspondance de Louvois ne mentionne pas une fois madame de Montespan ; mais il y eut de tout temps, même dans les correspondances les plus secrètes, des sujets réservés et des sous-entendus. Les papiers de la Reynie et de Colbert remplissent d'ailleurs amplement cette lacune, et l'on peut suivre jour par jour, dans les premiers, la trace des préventions et des incertitudes du roi au sujet des accusations dirigées contre la favorite. Nous supprimons le détail de celles que leur monstruosité aurait dû, ce semble, faire écarter de prime abord. Comment croire en effet que madame de Montespan eût joué un rôle actif dans ces messes impies que les Lesage et les Guibourg prétendaient avoir dites pour elle, à minuit, dans d'ignobles bouges, sur le corps de femmes nues ? Mais, si le désir de compromettre des personnes de haut rang pour s'abriter derrière elles inspira quelques-uns des accusés, il est constant que cette femme de chambre de madame de Montespan dont nous avons parlé, la demoiselle Désœillets, avait été en commerce avec la Voisin, morte cependant sans l'avoir avoué. On sait en outre, par les procédures, que la demoiselle Désœillets fut confrontée avec la fille Voisin. Or les nombreux papiers que l'on possède encore sur rd-faire ne parlent pas de son interrogatoire, et tandis que les notes de La Reynie constatent ce qu'on fit de tous les accusés et à quelles peines ils furent condamnés, rien n'apprend le parti qui fut pris à son égard, ni ce qu'elle devint. La dénégation que la Voisin a faite jusqu'à la mort de la connoissance de mademoiselle Désœillets, dit celui-ci dans un mémoire au roi, doit être d'autant plus suspecte qu'elle a été opiniâtrement soutenue, parce qu'il est prouvé à présent qu'elles étoient en commerce. Si mademoiselle Désœillets dénie elle-même ce commerce, il semble que cela même en doit augmenter le soupçon... La Reynie ajoutait que la Filastre qui, d'après son propre aveu, avait voulu entrer chez madame de Fontanges, et la dame Chapelain, son associée, étaient les deux femmes les plus extraordinaires dont on eût encore entendu parler. Il y a plusieurs années, disait-il, qu'elles sont, l'une et l'autre, dans la recherche de toutes sortes de poisons et de maléfices, et il seroit difficile d'imaginer de plus grands crimes que ceux dont elles sont chargées. C'est ce qui fait, qu'eu égard à leur méchanceté, on ne peut se défendre des soupçons qui viennent dans l'esprit. Il peut être encore observé que les poudres qu'elles conviennent avoir eues de Galet, pour l'amour seulement, sont composées avec des cantharides, et les médecins ont jugé, lorsqu'elles leur ont été représentées, qu'étant prises intérieurement, elles pouvoient causer la mort, et que ces poudres étoient un véritable poison. — Ce seroit une témérité dangereuse, poursuit La Reynie, de se laisser aller à aucune prévention sur aucun des faits avancés par les accusés, parce qu'il n'y paroît rien d'assez sincère ni d'assez appuyé. Pour marque de cette vérité, on pourroit présumer — supposé que la déclaration de Galet et de la dame Chapelain fût sincère — que les poudres pour l'amour avoient été demandées par madame de Vivonne pour être aimée du roi, et le poison pour empoisonner madame de Montespan. A quoi on pourroit ajouter le mauvais dessein que trois dames avoient contre madame de Montespan, dont on a dit que madame de Vivonne étoit du nombre — la duchesse d'Angoulême et madame de Vitry étaient les deux autres —. Ce qu'on peut dire presque assurément, c'est qu'il y a du plus ou du moins sur tout cela, et un fond de quelque chose qui n'est pas bon et aux environs duquel toutes ces personnes tournent sans vouloir dire la vérité. Et, supposé qu'il soit expédient qu'elle soit connue, ce ne peut être que par le jugement des accusés. Encore, d'après l'expérience qui en a été faite, n'est-il pas impossible qu'ils déclarent, même après être jugés, des crimes qu'ils ont moins d'horreur de commettre qu'ils n'en ont de les confesser.

Tout en faisant ces réserves sur la véracité des accusés, La Reynie inclinait donc à croire que madame de Montespan avait fait demander à la Voisin et à la Filastre des poudres qui pouvaient sans qu'elle s'en doutât mettre en danger la vie du roi, et que madame de Vivonne n'aurait pas reculé devant l'emploi du poison pour se débarrasser d'une rivale ; il semblait admettre aussi que la duchesse de Fontanges, alors en proie à une maladie qui défiait la médecine, avait été empoisonnée.

Celle-ci, dont la princesse Palatine, chez qui elle était fille d'honneur, a dit qu'elle était décidément rousse, mais belle comme un ange de la tête aux pieds, n'avait que dix-neuf ans quand, au mois de juillet 1680, atteinte d'un mal incurable, elle quitta la cour pour se retirer d'abord à l'abbaye de Chelles, ensuite à celle de Port-Royal, où elle languit près d'un an. Le mémoire de La Reynie que nous venons de citer est postérieur de quelques mois à cette retraite. Madame de Sévigné, qui parle souvent des équipages à huit chevaux de l'éblouissante duchesse, de son luxe, de ses regrets de quitter la vie, attribue la maladie qui l'emporta à des couches malheureuses ; mais il courut des bruits de poison, et la princesse Palatine, qui à la vérité n'approfondit et ne ménage rien, ajoute avec sa rudesse habituelle : La Montespan étoit un diable incarné ; mais la Fontanges étoit bonne et simple, toutes deux étoient fort belles. La dernière est morte, dit-on, parce que la première l'a empoisonnée dans du lait ; je ne sais si c'est vrai, mais ce que je sais bien, c'est que deux des gens de la Fontanges moururent, et on disoit publiquement qu'ils avoient été empoisonnés.

La jeune duchesse était morte le 28 juin 1681. Le duc de Noailles, qui était alors auprès d'elle par ordre du roi, l'en ayant prévenu, reçut de Louis XIV la lettre suivante où l'on cherche vainement un trait, un accent parti du cœur. Les mots que nous soulignons autorisent-ils les soupçons d'empoisonnement dont la princesse Palatine s'est faite l'écho ? Le lecteur en jugera.

Ce samedi, à dix heures.

Quoique j'attendisse, il y a longtemps, la nouvelle que vous m'avez mandée, elle n'a pas laissé de me surprendre et de me fâcher. Je vois par votre lettre que vous avez donné tous les ordres nécessaires pour faire exécuter ce que je vous ai ordonné. Vous n'avez qu'à continuer ce que vous avez commencé. Demeurez tant que votre présence sera nécessaire, et venez ensuite me rendre compte de toutes choses. Vous ne me dites rien du père Bourdaloue. Sur ce que l'on désire de faire ouvrir le corps, si on le peut éviter, je crois que c'est le meilleur parti. Faites un compliment de ma part aux frères et aux sœurs, et les assurez que, dans les occasions, ils me trouveront toujours disposé à leur donner des marques de ma protection. — LOUIS[13].

Le désir exprimé par Louis XIV s'explique naturellement par la crainte de fournir un nouvel aliment au procès. Dans tous les cas, ce désir étant un ordre, on peut assurer que l'autopsie n'eut pas lieu. Un mémoire de La Reynie postérieur au dernier que nous avons cité porte en marge ces mots significatifs : Faits particuliers qui ont été pénibles à entendre, dont il est si fâcheux de rappeler les idées, et qu'il est plus difficile encore de rapporter. Dans ce mémoire, qui parait avoir été écrit vers le temps où la duchesse de Fontanges dut quitter la cour, La Reynie, reprenant toutes les dépositions à la charge de madame de Montespan, insistait particulièrement sur la tentative que deux accusés, déguisés en colporteurs, devaient faire contre la jeune duchesse au moyen d'étoffes de Lyon et de gants de Grenoble, étant presque infaillible, disait le mémoire, qu'elle prendroit au moins des gants, les dames ne manquant guère à cela lorsqu'elles en trouvent de bien faits. La Reynie énumérait en outre les messes sacrilèges qui auraient été dites à diverses reprises dans des masures, tantôt à Montlhéry, tantôt à Saint-Denis, à l'intention et souvent en la présence même de madame de Montespan. Il rappelait enfin, à l'appui des faits plus récents, qu'au commencement de 4668, deux prêtres, Mariette et Lesage, avaient, disaient-ils, été introduits dans l'appartement de madame de Thianges au château de Saint-Germain ; que là, Mariette, ayant son surplis et son étole, avait fait des aspersions d'eau bénite et dit l'évangile des Rois sur la tète de madame de Montespan, pendant qu'elle récitait une conjuration et que Lesage brûlait de l'encens, que le nom du roi était dans cette conjuration, ainsi que celui de madame de La Vallière, dont madame de Montespan demandait alors la mort, et que plusieurs autres messes, dites dans des circonstances identiques, avaient eu le même but. Mais l'invraisemblance de ces détails n'aurait-elle pas dû mettre en garde contre de pareilles dépositions, et comment ne pas s'étonner qu'elles aient été invoquées dans une accusation sérieuse ?

Un incident qui préoccupait La Reynie et Louis XIV s'était produit dans les premiers mois de 1680. L'abbé Lesage avait déclaré, entre autres particularités, qu'il croyait que M. de Lamoignon, qui avait dirigé le procès de la marquise de Brinvilliers, était mort empoisonné. Consulté à ce sujet par La Reynie, le fils du premier président lui répondit qu'en effet son père avait été incommodé pendant le procès de madame de Brinvilliers, qu'il s'était beaucoup occupé de cette affaire, et qu'ayant à cette époque trouvé quelque chose de la comtesse de Soissons, celle-ci en avait témoigné un profond ressentiment ; mais cet incident n'eut pas de suite, et la comtesse de Soissons ne quitta la France que plus tard[14].

Cependant les mois s'écoulaient, et aucune preuve de complicité directe n'étant venue justifier les premiers soupçons contre madame de Montespan, l'embarras de La Reynie devenait extrême. Plus l'affaire traînait en longueur et plus s'effaçaient les impressions défavorables. Hésitant, craignant d'avoir fait fausse route, il conseillait, le 6 octobre 1680, à Louvois, un biais pour éviter de la nommer en attendant de plus grands éclaircissements. Cinq jours après, il lui écrivait de nouveau que, malgré tous ses efforts pour se déterminer uniquement par son devoir, il ne savait à quoi s'arrêter. D'un côté, disait-il, on doit craindre des éclats extraordinaires, dont on ne peut prévoir les suites ; de l'autre, il semble que tant de maux, d'une ancienne et longue suite, venant à être découverts sous le règne d'un grand roi en la main duquel Dieu a mis une grande puissance et une autorité absolue, ils ne peuvent être dissimulés... Mais aussitôt, redoutant de s'être trop avancé, La Reynie ajoutait : Je reconnois que je ne puis percer l'épaisseur des ténèbres dont je suis environné. Je demande du temps pour y penser davantage, et peut-être arrivera-t-il qu'après y avoir bien pensé, je verrai moins que je ne vois à cette heure. Je sais déjà qu'il y a plusieurs inconvéniens en ce que je propose, et qu'il auroit été convenable, autant que la nature de ces malheureuses affaires l'eût permis, d'approcher de la conclusion le plus près qu'on auroit pu ; mais, après avoir tout bien considéré, je n'ai trouvé d'autre parti à proposer que de chercher encore de plus grands éclaircissemens et d'attendre du secours de la Providence, qui a tiré des plus foibles commencemens qu'on sauroit imaginer la connoissance de ce nombre infini de choses étranges qu'il étoit si nécessaire de savoir. Tout ce qui est arrivé jusqu'ici fait espérer, et je l'espère avec beaucoup de confiance, que Dieu achèvera de découvrir cet abîme de crimes, qu'il montrera en même temps les moyens d'en sortir, et enfin qu'il inspirera au roi tout ce qu'il doit faire dans une occasion si importante.

Que devait penser Louvois, cet homme si énergique, si précis, de pareils tâtonnements et de telles espérances ? Était-ce là le langage d'un magistrat, et fallait-il s'endormir dans ces illusions puériles ? Décidément La Reynie, égaré dans le labyrinthe de dénonciations auxquelles il avait eu le tort d'ajouter une importance exagérée, ne savait plus comment en sortir, et le procès menaçait de s'éterniser, si une main vigoureuse ne venait en aide à celui qui en avait la direction. Cela était d'autant plus urgent que la chambre de l'Arsenal était l'objet des conversations de toute l'Europe, avide de nouvelles. Les gazettes étrangères annonçaient, il est vrai, par intervalles, la condamnation et le supplice de quelque accusé vulgaire ; mais c'était tout, et nul détail ne transpirait. Quant à la Gazette de France, journal officiel de la cour, elle gardait le silence le plus absolu ; pour elle, la chambre n'existait pas. Parlant d'ailleurs longuement des moindres fêtes royales, des promenades de la reine, des visites de la dauphine, des cérémonies religieuses, de ce qui se passait dans le royaume de Siam, en Chine, en Turquie, en Moscovie, elle ne s'abstenait que sur un point, celui qui aurait le plus intéressé le public.

Il fallut que Colbert intervînt pour dénouer cette situation, qui ne pouvait se prolonger sans compromettre mesdames de Montespan et de Vivonne, et déconsidérer la royauté elle-même. On a vu que ce ministre, directement intéressé à écarter les soupçons qui planaient sur elles — il y allait de l'honneur de la famille —, avait communiqué les interrogatoires des accusés à l'avocat Duplessis, en le consultant sur la marche de la procédure. Une lettre qu'il lui écrivit le 25 février 1681 indique bien l'état de l'affaire à cette époque. J'ai vu et examiné avec soin, disait-il, le mémoire que vous m'avez envoyé ; j'espère en recevoir un demain sur le second fait, qui n'est pas moins grave que le premier, et dont la preuve est selon moi plus entière et plus parfaite. Colbert faisait ensuite observer à Duplessis que la longue durée de la détention, la multiplicité des interrogatoires et le grand nombre des prévenus, avaient pu leur procurer le moyen de communiquer ensemble et leur suggérer l'idée, pour ajourner leur supplice et peut-être même s'y soustraire, de compromettre avec eux des personnes du rang le plus élevé. Il le priait d'examiner s'il y avait nécessité de faire tant d'interrogatoires, d'établir une chambre extraordinaire pour cette nature de crimes, de prolonger le procès contre l'ordre ordinaire de la justice, et si, dans le cas où l'affaire aurait été remise aux lieutenants criminels, on ne l'aurait pas plus promptement et plus sûrement terminée sans tomber dans tant d'embarras. Il y avait, suivant lui, trois moyens d'en sortir : continuer la procédure, ce qui n'était pas l'avis du roi ; juger quelques accusés des plus coupables, tels que Lesage, Guibourg et la fille Voisin ; enfin transporter sans jugement toutes ces canailles au Canada, à Cayenne, aux Iles d'Amérique et à Saint-Domingue. Il préférait, quant à lui, le second expédient, à la condition d'envoyer, même dans ce cas, une vingtaine des moins coupables dans quelque prison près de Paris, et de mettre le reste au secret le plus rigoureux.

Les mémoires de Duplessis à Colbert existent encore et sont curieux à interroger. Après avoir résumé en quelques pages les dépositions principales contre madame de Montespan, dépositions qu'il qualifie d'exécrables calomnies, Duplessis fait remarquer que c'étaient là de simples allégations n'ayant d'autre but que d'égarer la justice ; que, si madame de Montespan s'était réellement compromise par des pratiques infâmes avec la Voisin, celle-ci n'eût pas hésité à l'avouer quand, sur le point de paraître devant Dieu, elle n'avait plus à penser qu'à son salut ; que les dénonciations de la fille Voisin après la mort de sa mère étaient démenties par plusieurs témoins ; qu'en admettant qu'elle eût dit vrai, ce commerce entre madame de Montespan et la femme Voisin aurait duré de cinq à six ans, pendant lesquels celle-ci aurait fait de fréquents voyages à Clagny et reçu de nombreuses visites de la demoiselle Désœillets. Or, disait l'avocat Duplessis, si madame de Montespan eût été capable d'entreprendre l'exécrable dessein d'empoisonner le roi, pourquoi la Voisin et la Trianon se seroient-elles trouvées en peine d'approcher de sa personne pour lui faire prendre un placet empoisonné de poudres ou pour en jeter dans sa poche ? Comment auroient-elles été en peine de trouver quelqu'un qui leur donnât entrée à la cour et qui fit placer la Voisin ? Le passage du mémoire de Duplessis relatif à cette assertion de la fille Voisin que, pendant cinq ou six ans, toutes les fois que madame de Montespan craignait quelque diminution dans les bonnes grâces du roi, elle aurait eu recours aux poudres magiques, nous montre l'avocat précisant à sa manière la situation intime de madame de Montespan vis-à-vis de Louis XIV dans les années qui précédèrent le procès. Ce temps de cinq à six années, dit-il, remonteroit à 1673, car la Voisin a été arrêtée en 1679. Or Sa Majesté sait que les petites inquiétudes de jalousie que l'affection peut avoir produites dans l'esprit de madame de Montespan n'ont commencé qu'en 1678, et dans quelle tranquillité d'esprit elle a vécu, tant en 1677 qu'auparavant. Et depuis elle sait l'assiduité, l'attache, l'affection que cette dame avoit pour sa personne, l'assurance et la quiétude d'esprit qu'elle a eues dans tous les temps, et que les jalousies qu'elle a eues depuis 1678 n'ont été que des momens d'affliction qui ne l'ont pas tirée de cette affection et de cette attache. Quoi ! concevoir le dessein d'empoisonner son maitre, son bienfaiteur, son roi, une personne que l'on aime plus que sa vie ! Savoir qu'on perdra tout en le perdant et se porter à l'exécution de cette furieuse entreprise ! Et cependant, dans cette affreuse pensée, conserver toute la tranquillité d'âme de l'innocence la plus pure ! Ce sont des choses qui ne se conçoivent pas, et Sa Majesté, qui conne madame de Montespan jusqu'au fond de l'âme, ne se persuadera jamais qu'elle ait été capable de ces abominations.

On croit voir, en lisant ce plaidoyer un peu déclamatoire, madame de Montespan sur la sellette devant la chambre de l'Arsenal. Évidemment Duplessis était fondé à soutenir que sa noble cliente n'avait jamais eu, quelles que fussent les allégations de la fille Voisin, la pensée d'empoisonner le roi. Cela dit, il est constant que, pendant plusieurs mois, Louis XIV crut avec La Reynie et Louvois, qu'elle lui avait fait prendre de ces poudres pour l'amour qui, administrées à trop forte dose, pouvaient être, au dire des médecins, de véritables poisons. Relativement à l'accusation d'avoir attenté aux jours de madame de Fontanges, on a pu voir quels soupçons subsistaient encore dans l'esprit du roi, quand, au mois de juin 1681, la brillante idole de la veille succombait à son mal. Ainsi, pour connaître madame de Montespan jusqu'au fond de l'âme, suivant l'expression de l'avocat Duplessis, Louis XIV n'avait pas en elle une confiance illimitée ; mais il en avait eu huit enfants, dont cinq légitimés en parlement, et, eût-elle été convaincue d'avoir voulu conserver son amour par des moyens coupables, il n'aurait jamais consenti qu'elle fût poursuivie. Dans un autre mémoire, car il y en a plusieurs destinés à défendre la maîtresse du roi, Duplessis semble faire une concession. Y auroit-il eu, dit-il, des personnages réels qui auroient usurpé le nom de madame de Montespan pour mieux couvrir leur jeu et pour faire faire l'ouvrage magique à leur profit sous le nom d'un autre, faut-il qu'elle souffre de ce que l'on se seroit servi de son nom dans ces actes de ténèbres qui ne pouvoient jamais venir à sa connoissance ? Mais cet argument porte à faux ; ceux en effet qui faisaient dire des messes sacrilèges croyaient apparemment à, l'efficacité de ces pratiques étranges, et elles n'en eussent eu aucune à leurs yeux, si on les avait dites à l'intention de personnes autres que celles qui devaient en profiter. Dans le même mémoire, Duplessis examine les charges articulées contre la duchesse de Vivonne, principalement incriminée d'avoir demandé le rétablissement de Fouquet et la mort de Colbert. Ainsi, par un retour de fortune bien singulier, l'homme qui avait jadis poussé, renversé, précipité dans l'abîme le fastueux surintendant, prenait la défense de celle qui aurait voulu le ramener sur la scène et le réhabiliter. Après avoir développé, en arguant surtout de l'indignité des dénonciateurs, les motifs pour lesquels l'accusation contre madame de Vivonne ne lui paraissait mériter aucune confiance, Duplessis ajoutait : Quand on verroit des souhaits et des vœux aussi extravagans, seroit-ce matière à une poursuite criminelle ? Punit-on toutes les aversions injustes, et ne sont-ce pas des choses que l'on renvoie au tribunal secret ? Rien de plus sensé, et il est à regretter que les sacrilèges aient joué un rôle dans les arrêts de la chambre. Des motifs d'indignité étaient également invoqués par Duplessis au sujet de l'accusation dirigée contre la duchesse de Vivonne, mais moins appuyée de preuves, d'avoir fait sacrifier un enfant, conjointement avec la duchesse d'Angoulême et madame de Vitry, pour la mort du roi, et plus tard, l'enchantement n'ayant pas réussi, pour obtenir ses bonnes grâces et l'éloignement de madame de Montespan.

Tels étaient les principaux moyens de Duplessis pour effacer l'impression défavorable des dépositions contre les deux grandes dames qu'il s'agissait alors de dégager du procès. Tout porte à croire que Colbert communiqua ces mémoires à Louis XIV. De son côté, La Reynie adressait à Louvois, le 17 avril 1681, un mémoire également destiné au roi, où on lit : La décharge que la Filastre a faite par sa déclaration à l'égard de madame de Montespan s'applique uniquement au dessein prétendu de l'empoisonnement de madame de Fontanges. Il y a deux autres faits — celui d'une messe sacrilège et celui de poudres pour le roi — où madame de Montespan a été nommée, et les charges sur ces deux faits ont encore été de nouveau confirmées, la Filastre n'ayant rétracté que le premier... On se figure l'embarras de Louis XIV au milieu de ces affirmations contradictoires. Il y avait là évidemment deux opinions qui se combattaient : l'une, s'inspirant de Colbert, devenu l'allié de mesdames de Vivonne et de Montespan, voulait la fin du procès et craignait avant tout le scandale ; l'autre, que représentait La Reynie, et qui semblait prendre le mot de Louvois, attribuait à madame de Montespan, soit directement, soit par la demoiselle Désœillets, ou par une autre de ses femmes nommée Catau, des pratiques avec les principaux accusés. Cependant le défenseur de mesdames de Vivonne et de Montespan ne paraissait pas lui-même bien convaincu de leur complète innocence. Voici en effet ce qu'il écrivait confidentiellement à Colbert, le 26 février 1681, en lui envoyant un second mémoire : Ayez la bonté de voir l'observation générale qui est au commencement, parce qu'elle peut fournir des moyens contre beaucoup de choses qui paroissent assez prouvées.

Il était pourtant devenu indispensable de prendre un parti et d'en finir. Répondant aux questions de Colbert, Duplessis reconnut que la procédure avait été régulière, et que la multiplicité des interrogatoires ne pouvait être un objet de nullité, les juges ayant le droit d'en faire autant qu'ils le croyaient nécessaire. La longueur de l'instruction était à la vérité contraire à l'esprit de l'ordonnance de 1669 ; mais celle-ci ne fixant pas de délai, il n'y avait pas là non plus matière à nullité. Sans doute encore l'on avait eu le tort de confier le jugement à une chambre extraordinaire rien pourtant ne le défendait. Le plus grand inconvénient de la durée de l'affaire était la facilité pour les accusés de communiquer entre eux par mille moyens que la prudence humaine ne pouvait déjouer, et de concerter des bruits calomnieux contre des personnes de qualité pour se faire une égide de leur nom. L'avocat arrivait ensuite aux moyens de terminer le procès. Il y en avait quatre à son avis : le premier, de rompre la chambre, de ne rien juger du tout et d'envoyer toutes ces canailles — le mot de Colbert — sur divers points éloignés ; seulement, en agissant de la sorte, les personnes dénoncées restaient entachées, le procès imparfait, et on ne pouvait pas brûler la procédure pour en abolir la mémoire ; le second, de renvoyer l'affaire devant des juges ordinaires ; mais d'abord ce ne serait pas le plus expéditif, et puis il y avait dans les interrogatoires des noms qu'on ne pouvait même prononcer devant de simples juges. Le troisième était de faire statuer par la chambre sur les plus criminels, et de renfermer le reste sans jugement dans diverses prisons. Enfin le quatrième, vers lequel penchait Duplessis, était de faire juger tous les accusés sommairement et de brûler sur-le-champ la procédure. Un point essentiel, et sur lequel il insistait fortement, c'était de ne plus mettre à la question les condamnés. Si le roi, disait-il, a la bonté de vouloir arrêter ces recherches et cette inquisition pour donner le repos aux familles, il n'y a point d'autre moyen que d'empêcher qu'on donne davantage la question, parce que ce seroit une voie presque certaine par où la chambre seroit perpétuée et l'affaire immortalisée. Un scrupule vint à l'esprit de Duplessis ; il y avait une série d'accusés chargés seulement par des dépositions, mais qui n'avaient rien avoué, et dont la culpabilité était contestable : A leur égard, dit-il, il y a une certaine notoriété résultant de l'air général de l'affaire et de la multiplicité des faits que les autres accusés ont reconnus soit contre ceux-là, soit contre eux-mêmes, et enfin du commerce ouvert qu'ils ont fait dans Paris, et l'on ne peut pas douter qu'ils ne soient coupables, sans qu'il faille d'autres preuves... De la part d'un avocat, la conclusion était au moins singulière. Quant à ceux qui seraient bannis à perpétuité, Duplessis estimait que le roi pourrait les retenir en prison — on l'avait déjà fait pour Fouquet — ou les reléguer aux Iles. Il terminait en disant qu'on ferait bien de garder pour le dernier un des grands criminels qui donnât lieu à ordonner que le procès seroit brûlé à cause des impiétés exécrables et des ordures abominables qui s'y trouvoient, et dont il étoit important que la mémoire ne fût pas conservée.

A l'exception de ces dernières recommandations, car la chambre de l'Arsenal ne jugea pas tous les accusés et les pièces du procès ne furent pas brûlées, les conseils de Duplessis prévalurent, et c'est lui qui donna, on peut le dire, tout en restant dans l'ombre, la solution de cette immense procédure. Nous savons par La Reynie ce que devinrent les prisonniers et à quelles peines ils furent condamnés. Trente-six, parmi lesquels la Voisin, la Filastre, la Vigoureux, une madame de Carada, plusieurs prêtres, un sieur Jean Maillard, auditeur des comptes, furent condamnés à mort et exécutés. Ce Maillard, que l'arrêt de condamnation qualifie de criminel de lèse-majesté, avait été accusé de tentative d'empoisonnement sur le roi et sur Colbert, et l'on supposa que c'était un agent, un séide de Fouquet. Un grand nombre d'autres en furent quittes pour la prison, soit perpétuelle, soit temporaire, ou pour le bannissement ; mais on a vu ce que signifiait ce dernier mot. La Reynie donne en effet la liste de quatre-vingts accusés condamnés au bannissement ou non jugés, qui furent retenus par ordre du roi. Il y avait enfin la catégorie des accusés dont le roi fit surseoir le jugement, et ce n'étaient pas les moins coupables, car on comptait parmi eux la fille Voisin, les prêtres Lesage et Guibourg, une femme Chapelain et plusieurs autres dont les dépositions avaient été accablantes pour mesdames de Vivonne et de Montespan. En ce qui concerne Lesage, c'était la réalisation des promesses que lui avait faites Louvois en personne. Des engagements de même nature avaient sans doute été pris avec tous ceux dont le jugement fut suspendu. Que devinrent ces divers prisonniers ? Les registres de la Bastille et des forteresses d'État l'auraient appris à coup sûr ; on le devine en lisant l'extrait suivant d'un rapport fait à La Reynie, environ douze ans après, sur les prisonniers du fort de Salces, en Roussillon. Parmi les accusés que Louis XIV avait donné ordre de retenir figurait un gendarme nommé La Frace. Voici l'extrait de ce rapport qui le regarde ! Le nommé La Frace dit avoir été lieutenant dans le régiment de Condé et avoir servi ensuite dans les gendarmes. Il est resté prisonnier à Vincennes ou à la Bastille trois ans deux mois, et à Salces neuf ans. Il dit qu'il ne sait pas pourquoi il a été arrêté prisonnier, n'ayant point été interrogé. Ce La Frace, en parlant ainsi, mentait sciemment, car on lit dans l'extrait d'un interrogatoire résumé par Colbert que la femme Filastre était allée le trouver au camp, au mois d'août 1679, pour le prier de la faire entrer au service de mademoiselle de Fontanges. La Frace connaissait donc la Filastre, qui avait été condamnée à mort et exécutée. Envoyé par précaution dans une forteresse du Roussillon, il y avait probablement été oublié.

Il n'était pas le seul. On a vu la lettre de Louvois à Louis XIV au sujet des accusations qui avaient d'abord pesé sur le duc de Luxembourg. Plus tard, ces accusations perdirent beaucoup de leur gravité, la chambre ayant reconnu que le duc de Luxembourg avait été la dupe d'un intendant qui, de son chef, aurait fait à Lesage et à Guibourg des demandes criminelles dans l'intérêt prétendu de son maître. Un arrêt condamna l'intendant aux galères perpétuelles, et Luxembourg fut déchargé de l'accusation. Le secrétaire d'État de la guerre qui était alors à Barèges pour le recouvrement de l'usage de sa jambe, informé par le duc lui-même de ce résultat, lui répondit (28 mai 1680) qu'il avait appris avec beaucoup de plaisir sa justification, mais que sa lettre lui annonçant l'ordre de s'éloigner de la cour l'avait fort affligé. Je vous supplie, ajoutait-il, d'en être bien persuadé et de la part sincère que je prends à ce qui vous touche, étant aussi véritablement tout à vous. Que s'était-il passé depuis la lettre au roi du 8 octobre 1679 ? Louvois avait-il eu la preuve de l'innocence du duc de Luxembourg ? Son affliction et ses protestations de dévouement étaient-elles sincères ? La note suivante, faisant partie, comme celle de La Frace, du procès-verbal d'inspection du fort de Salces et se rattachant à l'affaire des poisons, n'éclaircit pas ce point : Le sieur comte Montemajor m'a dit être gentilhomme et qu'il a servi de volontaire pendant douze années auprès de M. le maréchal de Luxembourg. Il dit avoir été arrêté pour ses intérêts, comme on le peut voir par les informations. Il y a près de douze années qu'il est prisonnier, savoir trois à Vincennes et près de neuf à Salces. Que le duc de Luxembourg n'eût eu à se reprocher qu'une curiosité indiscrète, et que ses subalternes l'eussent imprudemment compromis, cela paraît probable, et l'on comprend sans peine, même en admettant que ses visites à la Voisin n'eussent pas été exemptes de tout appel aux génies malfaisants, qu'il ait été acquitté ; mais alors de quel droit retenir ainsi, la vie entière et sans jugement, un homme dont l'unique faute était, selon toutes les apparences, d'avoir servi d'instrument aux volontés du duc ? car il est évident que s'il avait eu d'autres torts, on l'aurait jugé. Nouvelle et triste preuve de la légèreté odieuse avec laquelle le gouvernement disposait du premier et souverain bien de l'homme, la liberté ! Et cette violation de la loi, pardonnable peut-être aux peuples barbares chez qui le droit c'est la force, l'était d'autant moins en France à cette époque que les mœurs y étaient plus polies, la société plus éclairée, et que d'immortels écrivains, Corneille et Molière, Racine et Bossuet, frappaient, à l'empreinte de leur génie, les maximes les plus élevées, les plus pures, et répandaient sur la première moitié de ce règne privilégié sous tant de rapports un éclat qui ne pâlira jamais.

 

 

 



[1] Bibl. imp., Mss. S. F. 7,608. Procès de la Voisin, p. 56. — C'est le résumé des principaux incidents et interrogatoires de l'affaire, écrit en entier par La Reynie.

[2] Outre le résumé du procès de la Voisin par La Reynie et ses mémoires à Louvois, qui existent à la Bibliothèque impériale, il y a des interrogatoires originaux à la Bibliothèque de l'Arsenal et aux Archives de l'Empire. La bibliothèque du Corps législatif possède aussi un résumé des interrogatoires du procès de la Voisin, fait par un avocat nommé Brunet d'après douze cartons provenant de la bibliothèque de La Reynie. L'auteur du procès de la chambre ardente dans les Causes célèbres, M. Fouquier, a eu connaissance de ce manuscrit ; mais il a fait quelques confusions de nom regrettables.

Enfin M. le duc de Luynes a sur cette affaire et a bien voulu nous communiquer : 1° la minute autographe du résumé fait par Colbert des interrogatoires que lui envoyait La Reynie, résumé qu'il remettait sans doute à Louis XIV pour le tenir au courant de l'affaire ; 2° plusieurs appréciations et réfutations des principaux interrogatoires par un célèbre avocat du temps nommé Claude Duplessis, que Colbert consultait à ce sujet.

[3] Recherches sur Molière, par M. E. Soulié, p. 79 et 261, note.

[4] On hésite et l'esprit se refuse même à voir dans ce silence la confirmation d'un bruit qui avait couru en 1668, et que madame de Montmorency avait mandé à Bussy-Rabutin, qui lui répondit : Je serois tort aise que le roi s'attachât à mademoiselle de Sévigné, car la demoiselle est de mes amies, et il ne pourroit être mieux en maîtresse.

On croit voir là-dessus l'honnête Bussy lâcher la bride à son imagination et rêver biton de maréchal, fortune et faveurs de toutes sortes.

[5] Il était intéressant de contrôler ces assertions des accusés au moyen du procès-verbal de la santé du roi, scrupuleusement tenu par ses médecins pendant toute la durée de son règne. Il est juste de dire que le volume récemment publié sous le titre de Journal de la santé du roi Louis XIV, par M. Leroi, ne fournit aucun indice d'empoisonnement ni de troubles causés par des philtres quelconques. Ajoutons qu'envisagées au point de vue de la science actuelle, les observations contenues dans ce journal dénotent une ignorance, une pauvreté de raisonnement, qui aujourd'hui feraient sourire un frater de village. Qu'on mêle à cela une forte dose de confiance dans les signes astrologiques, et l'on se fera une idée de ce que devait être l'art de la médecine sous Louis XIV.

[6] Bibliothèque de l'Arsenal. Pièces originales du procès, citées par M. Monmerqué. — Lettres de madame de Sévigné, édition Hachette, t. VI, p. 278.

[7] Archives du Dépôt de la guerre. Lettres de Louvois.

[8] Ms. de la bibliothèque du Corps législatif, p. 15.

[9] La nicotine n'est pas, on le voit, une invention moderne.

[10] Femme d'un président du parlement, accusée d'avoir empoisonné son mari ; elle fut bannie du royaume pour dix ans.

[11] Le marquis de Pas de Feuquières a joué en son temps un rôle considérable. Tout en critiquant son humeur difficile, intraitable, Saint-Simon vante extrêmement ses talents militaires. En ce qui concerne l'affaire des poisons, le marquis de Feuquières en parle souvent dans des lettres de famille qu'il est de toute justice de mettre sous les yeux du lecteur. On remarquera ses accusations contre La Reynie.

29 janvier 1680. ... Quelques empoisonneurs et empoisonneuses de profession ont trouvé le moyen d'allonger leur vie en dénonçant de temps en temps un nombre de gens de considération qu'il faut arrêter, et dont il faut instruire les procès, ce qui leur donne du temps....

16 mars. ... Je n'ai jamais vu la Voisin ; les accusations faites contre moi sont des balivernes sans fondement, dont je vous entretiendrai à fond et qui, en vérité, ne valent pas la peine d'être mises en chiffres, outre que cela ne se pourroit pas tout écrire en trois jours. Elles consistent en deux chefs principaux, savoir : par qui j'avois prié une femme, nommée madame Vigoureux, de me marier. Cette femme est morte à la question, il y a près d'un an. Elle étoit une des hardies empoisonneuses. Je ne l'ai jamais vue qu'il y a peut-être deux ans, qu'elle vint chez moi me dire que son mari étoit tailleur pour femmes, qu'il servoit feu ma mère, et que ce me seroit une grande charité si je voulois prendre pour laquais un petit garçon qu'elle avoit avec elle, et qu'elle disoit être son fils et filleul de ma mère. Mais, heureusement pour moi, je le trouvai trop petit et n'en voulus point. Apparemment, comme elle se mêloit aussi de dire la bonne aventure, elle leur aura dit quelque chose qui les a obligés à me faire cet interrogatoire. Vous voyez bien qu'il n'est pas considérable. — L'autre est le récit d'un billet brûlé en la présence de M. de Luxembourg, de feu La Vallière et de moi, dont un homme nommé Le Sage disoit qu'il nous rapporterait la réponse dans trois jours, sans l'avoir vu ; de quoi nous moquant, La Vallière remplit une feuille de sottises, et puis on la brûla ; ce maraud dit qu'il y avoit là des choses de fort grande conséquence, et on me demanda ce que c'étoit...

19 avril 1680. ... Quoique la rage de La Reynie soit extrême contre moi, sans que j'en sache d'autres raisons que celle qu'il est lui-mesme enragé de ne point trouver de criminels dans tout le vacarme qu'il a fait, il aura bien de la peine à faire prendre des résolutions à la Chambre qui me soient contraires. Il a encore, depuis peu de jours, fait tout son possible pour faire décréter contre moi ; mais il n'a pu en venir à bout...

21 juin 1680. ... M. de Luxembourg est pleinement justifié, et cependant il est disgracié ; cela marque que les préoccupations que des gens ont données sont fortes. Ne croyez pas que j'aie eu une fierté nuisible ; je n'ai eu que le procédé d'un homme qui, se sentant fort innocent, reçoit avec hauteur toutes les calomnies et y répond avec force. Tous les juges sont contenu de moi ; il n'y a que les seuls Bezons et La Reynie qui ne le peuvent être, parce que, comme ils sont les rapporteurs et les gens qui vouloient trouver des coupables, ils sont fort fâchés quand, au lieu de cela, ils trouvent des innocens. Ce qui leur a encore déplu en moi, c'est que, quelques insinuations qu'on ait pu me faire, quelques terreurs qu'on ait voulu me donner, on n'a pu me contraindre à m'absenter, ce qui eût été fort nuisible à mes amis et à mon honneur...

1er juillet 1680. ... Quoiqu'on n'ait rien négligé pour me perdre et que l'acharnement de La Reynie ait été outré, il n'a pourtant pas pu venir à bout de me faire du tort dans le monde, et plusieurs gens qui ne me connoissoient que par mes ennemis, ont été détrompés des caractères qu'on me donnoit et qu'on n'a pas trouvés en moi. Je ne sais qui peut vous avoir mandé que ma conduite n'avoit pas été bonne dans ma défense : un homme innocent et calomnié peut avoir une conduite différente de celle d'un coupable suppliant, et, pour moi, j'ai paru devant ces messieurs comme un homme au-dessus de la calomnie, par la netteté et la tranquillité de mon intérieur. Ainsi, quoique je ne doute pas que La Reynie, qui est un fol enragé, ne donné à la moitié de son bien pour que je fusse coupable, il faut le laisser faire et, sans rien dire, ne se guère soucier de ce qu'il pourra faire ; c'est là comme ren.ai usé jusques à cette heure, et souvenez-vous que je vous dis qu'il a par ses noirceurs calomnié et fait pousser trop d'honnêtes gens, pour qu'un jour on ne lui sache pas fort mauvais gré des pas auxquels il a engagé des gens qui ne sont pas à s'en repentir. — Lettres inédites des Feuquières, t. V, passim.

[12] Cette première disgrâce ne fut pas de longue durée ; elle était survenue le 30 mars 1665 à l'occasion d'intrigues auxquelles Louis XIV, Madame, le comte de Guiche et Vardes se trouvaient mêlés. Ce dernier fut exilé à Montpellier.

[13] Bibliothèque du Louvre, Ms. Cote F. 325. — Cette lettre a été publiée dans le Bulletin de la Société de l'Histoire de France, année 1852.

[14] Voir à l'appendice, à sa date, la lettre de M. de Lamoignon à La Reynie, du 30 janvier 1680.