LA POLICE SOUS LOUIS XIV

 

CHAPITRE PREMIER. — PROCÈS DE FOUQUET.

 

 

Culpabilité de l'accusé ; ménagements commandés par la mémoire de Mazarin. — Papiers secrets ; correspondance scandaleuse. — Anciennes relations avec Colbert ; mémoire de celui-ci à Mazarin ; rivalité ; réconciliation apparente. — Mémoire de Fouquet à la reine pour gagner son appui ; imprudences de toutes sortes ; arrestation ; formation d'une chambre de justice. — Surprise et plaintes de Fouquet ; principaux chefs de l'accusation ; texte du plan de révolte et des engagements découverts à Saint-Mandé. — Ardeur et fautes de la poursuite ; l'accusé en profite et lutte contre l'évidence des preuves. — Lenteurs de la procédure ; impatience et menaces de la cour. — Les dévots cabalent, l'opinion publique tourne et la chambre se pariage. — Conclusions du procureur général ; interrogatoire et défense de Fouquet ; rapports d'Olivier d'Ormesson et de Sainte-Hélène ; votes motivés. Sentence de bannissement aggravée par le roi ; juges disgraciés ; dissolution de la chambre de justice.

 

L'histoire de la police sous le règne de Louis XIV ne serait pas complète sans le procès de Fouquet. On peut même dire qu'il en fut un des principaux épisodes, quoiqu'il ait précédé de quelques années la réorganisation de cette branche importante de l'administration publique. Si grand qu'ait été le retentissement du crédit et de la fastueuse existence du surintendant, on se représente difficilement la commotion que causa sa chute. Dans nos idées actuelles, nous dirions que son arrestation fut un véritable coup d'État. Bien qu'elle rentrât, par sa nature, dans les attributions du président du parlement ou du lieutenant civil, ce modeste précurseur du lieutenant général de police, elle fut l'œuvre de Louis XIV, de Colbert, et du cauteleux Le Tellier. Pendant plusieurs mois, ils furent surtout occupés à combiner, dans le secret le plus absolu, les mesures qui devaient assurer la réussite de cette grande affaire. Vingt notes manuscrites de Colbert, retrouvées d'hier[1], modifiaient chaque jour le plan de la veille, preuve irrécusable de l'ardeur avec laquelle il servait tout à la fois l'intérêt public, ses rancunes personnelles et celles non moins vives du jeune roi. Un voyage de la cour à Nantes fut même jugé nécessaire, et ce n'est qu'au moment où l'on s'emparait de Belle-Ile et de quelques autres places gardées par des agents vendus au surintendant, qu'on osa enfin frapper le grand coup.

Indépendamment de ce procès, trois affaires criminelles, celles du chevalier de Rohan, de la marquise de Brinvilliers et de la Voisin préoccupèrent sous Louis XIV, non-seulement la France, mais l'Europe entière, et sont restées des événements historiques. Elles auront leur place dans le récit à mesure que les faits se dérouleront. Le premier en date et en importance, le procès de Fouquet mérite un cadre à part. Malgré les passions de toute sorte qui s'y mêlèrent, il eut un caractère essentiellement politique, et il en fut de même au surplus, mais à un moindre degré, de celui du chevalier de Rohan, dont La Reynie dirigea les débats. Grâce à quelques sympathies illustres, on a longtemps considéré le surintendant comme la victime d'une intrigue de cour, et l'opinion que, chez Louis XIV, l'amant froissé était derrière le roi, résiste encore à l'évidence des faits. Que Fouquet eût été un effronté concussionnaire ; qu'il eût puisé sans compter dans les coffres de l'État, entraîné par la passion des constructions et par ses ruineux caprices pour les belles dames de la cour et les filles d'honneur de la reine ; qu'il se fût audacieusement joué de Louis XIV dont le premier mouvement avait été, en prenant possession de la royauté, de lui pardonner ses dilapidations passées ; qu'antérieurement enfin il eût formé le dessein d'armer ses amis et de se mettre en rébellion ouverte dans le cas où le cardinal Mazarin l'aurait fait arrêter, rien n'est plus certain, plus avéré. Sa condamnation à la peine de mort eût donc été une condamnation sévère et cruelle, si l'on  veut, mais légale, et la vérité est qu'elle eût paru toute naturelle, dans les commencements. Plus tard, la politique et l'opposition se mettant de la partie, l'opinion changea si bien que les vœux pour un complet acquittement furent unanimes, et que, de tous côtés, on fit des sollicitations, des prières, et jusqu'à des neuvaines pour l'accusé.

Si l'on se reporte au début de ce procès célèbre, on voit la société parisienne livrée à des inquiétudes, à des anxiétés, dont rien aujourd'hui ne saurait donner une idée. L'éclat de la catastrophe durait encore quand deux incidents d'une gravité singulière vinrent ajouter à l'émotion du public. Peu de jours après l'arrestation du surintendant, le bruit se répandit qu'on avait trouvé derrière une glace, dans sa maison de Saint-Mandé, un écrit de sa main, corrigé à plusieurs reprises. Toutes les personnes sur le dévouement desquelles il croyait pouvoir compter, soit parce qu'il leur payait une pension, soit pour leur avoir donné de l'argent ou rendu quelque service considérable, y étaient, disait-on, nominativement désignées, et il y détaillait ce qu'elles auraient à faire, s'il était jamais privé de sa liberté. On découvrit, en outre, une cassette pleine de la correspondance la plus mystérieuse avec les femmes dont il avait acheté les faveurs ou qui lui servaient tantôt d'intermédiaires, tantôt d'espions à la cour ; et cette cassette, que les commissaires chargés de l'inventaire des papiers n'avaient fouillée qu'en tremblant, à cause des révélations de toutes sortes qu'elle contenait, venait d'être envoyée au roi. Les imputations les plus scandaleuses défrayèrent à cette occasion la malignité publique. Un grand nombre des lettres trouvées dans la cassette furent remises par le roi à Colbert qui, pour suprême vengeance, les conserva dans ses papiers, et elles fournissent aujourd'hui une ample pâture aux curieux[2]. Quelques-unes d'entre elles, imparfaitement reproduites, mais dont le fond était vrai, coururent les salons. Les désœuvrés en fabriquèrent d'autres, très-grossières, qu'ils donnèrent pour authentiques, et que les collectionneurs du temps ont recueillies. Un des rapporteurs de la chambre de justice qui jugea le surintendant constate que le chancelier Séguier crut devoir, dans l'intérêt de l'accusé, prévenir la chambre, qu'il s'étoit plaint avec raison des lettres infâmes qui avoient couru lors de sa capture, qu'elles étoient supposées, et que l'on n'en avoit publié aucune, le roi n'ayant pas voulu commettre la réputation de dames de qualité[3]. Beaucoup de ces lettres furent brûlées par égard pour d'illustres familles. On sait que madame de Sévigné avait été en correspondance avec le spirituel surintendant, au sujet de qui elle écrivait, le 19 juillet 1655, à Bussy-Rabutin : J'ai toujours avec lui les mêmes précautions et les mêmes craintes, de sorte que cela retarde notablement les progrès qu'il voudroit faire. Je crois qu'il se lassera de vouloir recommencer toujours inutilement la même chose. Effectivement, l'amoureux s'était lassé et avait fini sans doute par se résigner au rôle d'ami. Madame de Sévigné n'en éprouva pas moins un vif chagrin en apprenant que ses lettres avaient été trouvées dans la terrible cassette. Elle passa avec mesdames du Plessis -Bellière, Scarron, de Valentinois, d'Huxelles, la marquise de La Baume et tant d'autres, pour en avoir écrit de très-compromettantes, et le soin, malheureux pour elle, qu'on prit de les détruire, nuit aujourd'hui à sa justification[4].

Si étrangères qu'elles soient au procès de Fouquet, les lettres trouvées dans la célèbre cassette ont acquis

une importance historique ; nous en reproduirons fidèlement quelques extraits, moins l'orthographe. Rien ne vaut ces témoignages originaux pour faire connaître l'homme et son.temps. Livrées ainsi à elles-mêmes et prises sur le fait de leurs emportements, les passions humaines ont des enseignements que l'histoire ne doit pas négliger. Une des filles d'honneur de la reine-mère, mademoiselle de Menneville, à laquelle le surintendant avait fait une promesse de cinquante mille écus, et dont on a maintes lettres, lui écrivait un jour :

Vous ne pouvez pas douter de mon amitié sans m'offenser furieusement, après les marques que je vous en ai données. Je trouve le temps aussi long que vous de ne vous point voir, et, si j'avois pu apporter quelque remède, je n'y aurois pas manqué. Je n'ose pas essayer jusques à cette heure. Si je vouloir croire le bruit du monde, je serois persuadée que vous y avez moins de peine que moi. Je fais tout ce qui se peut pour n'en rien croire. Cela seroit fort vilain à vous de n'agir pas d'aussi bonne foi que moi. L'on vous dira les moyens que je cherche pour vous voir. Adieu, je suis à vous sans réserve.

Et une autre fois :

Je pars à la fin, demain, assez incommodée, mais ne sentant point mon mal dans la joie que j'ai à la pensée de vous voir bientôt ; je vous en prie, que le jour de mon arrivée j'aie cette satisfaction. Je ne vous puis exprimer l'impatience où j'en suis, et moi-même je ne la puis pas trop bien comprendre, mais je sens qu'il ne seroit pas bon que je vous visse la première fois en cérémonie, parce que ma joie seroit trop visible. Adieu, mon cher, je t'aime plus que ma vie.

Une autre fille d'honneur de la reine, mademoiselle Bénigne du Fouilloux — elle épousa plus tard le marquis d'Alluye, et Saint-Simon nous apprend qu'elle fit grande figure jusqu'à la fin de ses jours —, était aussi la maîtresse de Fouquet à qui elle écrivait fréquemment. Mais une de ses correspondantes les plus actives était une dame Laloy, tout à la fois femme d'affaires, espion, entremetteuse, en relations suivies avec les filles d'honneur de la reine, et qui le tenait au courant des bruits de la ville et de la cour.

La personne que vous savez, écrit-elle, me vient d'envoyer prier, au nom de Dieu, de lui envoyer tout présentement deux cents pistoles ou cent, si je n'en pou vois trouver davantage, outre les cinquante que je lui donnai. Comme j'ai vu cela, je lui ai dit que je n'en avois pas tant, et je me suis contentée de lui en envoyer quatre-vingts. C'est pour donner à cet homme[5]. Vous pouvez voir déjà combien en voilà que je lui donne ; et, de plus, je suis assurée qu'elle a une bague et une table de bracelet, qui vont à quatre-vingts pistoles, dont je ne recevrai jamais un sou. Elle est prompte furieusement. Je lui dis que vous lui conseilliez de dire à la reine l'argent qu'elle lui pré-toit ; elle nie dit tout franc qu'elle ne le pourroit faire. Assurément cet homme-là se moque d'elle. Pour moi, je suis au désespoir de toutes ces choses.

  2 avril 1684  — Je n'ai rien su du cordelier depuis ma dernière lettre ; mais j'appris hier au soir, de la personne qui connoît le père Annat[6], que la reine mère et la reine l'avoient envoyé chercher pour tâcher à détourner le roi de l'inclination qu'il a pour mademoiselle Marie Mancini, comme d'une chose mauvaise ; qu'il en a parlé au roi, qui promit de suivre son conseil, et qui, depuis, à ce qu'on m'a assuré, n'avoit pas paru si ardent pour elle ; car, sur plusieurs petites grâces qu'elle lui avoit demandées, il avoit remis à lui répondre dans quelques jours ; ce qui fit paroitre que, n'ayant osé la refuser tout à fait, il a pris un milieu, et a été, du moins apparemment, retenu par ce qui lui en avoit été dit.

— Un valet de chambre du duc de Bournonville, lequel veut quitter son maitre, m'a dit qu'il entroit valet de chambre de M. Colbert, et m'a promis de me dire tout ce qui s'y passera. C'est un M. du May[7], commis de Colbert, qui le fait entrer, et lui a dit qu'il falloit préférer la condition de M. Colbert à quelle condition que ce soit, parce que, présentement, il étoit assuré d'être surintendant des finances, conjointement avec vous, Monseigneur, et peut-être qu'il sera surintendant tout seul. Ce sont les discours dudit du May au valet de chambre.

— J'envoie savoir si je pourrai sur les trois heures vous porter plusieurs papiers qu'il est bon que vous voyiez avant que l'on soit obligé de les rendre. Je serois bien aise aussi de profiter de cette occasion pour vous dire un mot d'une autre affaire qui regarde le marc d'or et vous assure que je suis entièrement à vous[8].

— Mademoiselle de Fouilloux se mit à me parler de mademoiselle de La Vallière, et, pour vous dire le vrai, je vis fort qu'elle enrageoit de n'être point en sa confidence. Elle croit que le roi ne fait rien que causer avec Madame[9], et que lui-même est le premier à en faire des plaisanteries. Je vous dirai pourtant que bien d'autres, qui disent bien le savoir, en parlent d'une autre manière. Elle déclama fort contre mademoiselle de La Vallière, disant que ce n'étoit pas ici son coup d'essai, et qu'elle en avoit fait bien d'autres, et par tout ce qu'elle me dit, je vis bien qu'elle en vouloit faire dire quelque méchant discours au roi, afin que cela l'en dégoûte. Elle ne me dit pas cela clairement, mais elle m'en dit assez pour la comprendre. Elle dit qu'il n'y avoit rien qu'elle n'eût mis en pratique pour que le roi en fût amoureux, et que si d'autres avoient voulu faire la moitié des avances, elle ne l'auroit pas eu. L'on ne sait ce qu'elle entend par là, mais pourtant elle me dit toujours que le roi n'en étoit point amoureux, qu'elle croyoit bien que s'il en pouvoit faire quelque chose, il le feroit comme bien d'autres.

— J'ai vu mademoiselle de Fouilloux qui m'a dit que mardi le roi s'enferma avec Madame, madame la comtesse — de Soissons —, madame de Valentinois et les filles de Madame, et ne voulut qu'aucun homme ni d'autres personnes y fussent. Elle dit qu'ils firent cent folies, jusqu'à se jeter du vin les uns aux autres, que le roi lui parla fort et lui témoigna mille bontés ; elle vous assure que ce n'est rien que La Vallière et que tout le tendre va à Madame...

— Madame d'Apremont a dit qu'elle vous a vu ce matin à la messe du roi et que vous aviez fait cent agrémens à mademoiselle de La Vallière... Mademoiselle de Fouilloux m'a voulu faire connoitre que madame la comtesse et même Madame seroient fâchées si elles s'apercevoient que vous faites tant d'amitiés à mademoiselle de La Vallière ; mais elle m'a dit de ne vous rien dire encore...

Enfin, un correspondant anonyme, mieux informé qu'il ne croyait, écrivait au surintendant :

Madame de Chevreuse a été ici, et l'on m'a promis de m'apprendre des choses qui vous sont de la dernière conséquence sur cela, sur le voyage de Bretagne, sur certaines résolutions très-secrètes du roi, et sur des mesures prises contre vous[10]...

Les relations de Colbert avec Fouquet dataient de loin et avaient été longtemps des plus intimes[11]. Comment avaient-elles fait place à une haine irréconciliable ? Rien ne l'indique, mais on peut croire que la jalousie fut la cause principale de leur inimitié. Dès le mois d'août 1659, Colbert écrivait à Mazarin qu'il avait eu beaucoup d'amitié pour Fouquet, tant qu'il l'avait cru honnête et dévoué au bien de l'État, mais que s'étant aperçu de ses dissipations qui dépassaient toute croyance, et désespérant d'exercer aucun empire sur ses passions, il ne voulait plus avoir de commerce avec lui que sur les ordres exprès qu'il en recevrait. De son côté, Fouquet reconnaissait que Colbert lui avait donné dans le temps d'excellents avis qu'il s'était empressé de suivre ; il ne demandait pas mieux que de continuer et de bien vivre avec lui ; mais, au fond, il était persuadé que Colbert et ses amis voulaient le renverser à tout prix, et qu'il avait en lui un détracteur acharné, d'autant plus à craindre qu'il jouissait, à n'en pouvoir douter, de la confiance absolue de Mazarin.

Les choses en étaient là quand, le 1er octobre 1659, Colbert adressa au cardinal un long mémoire dans lequel il exposait que les peuples payaient 90 millions d'impôt, dont le roi ne touchait pas la moitié, les rentes et les traitements absorbant le surplus. Les frais de contrainte et diverses concussions enlevaient encore 12 à 15 millions aux contribuables. D'un autre côté, le trésorier de l'Épargne s'entendait avec les receveurs qui lui avançaient, en billets souscrits par eux, une année ou deux des impositions ; mais ces billets étant payés très-irrégulièrement, il arrivait que des dépenses privilégiées et urgentes étaient assignées sur des fonds imaginaires. En dédommagement de ces prétendues avances, les receveurs stipulaient qu'on leur laisserait en réserve ou non-valeurs un sixième des impositions ; on permettait même qu'ils employassent ce fonds au payement de vieux billets de l'Épargne rachetés à vil prix. C'est ainsi, disait Colbert, qu'on avait fait revivre et admettre dans les ordonnances de comptant, soustraites, comme on sait, aux vérifications de la chambre des comptes, toutes les vieilles quittances de l'Épargne depuis 1620, et même de plus anciennes achetées à 3 et 4 pour cent de la somme mise à la charge du Trésor. Ce sont là, disait-il, les moyens par lesquels on est parvenu à l'entière dissipation des finances du roi. Pour ce qui est des avantages, c'est une chose publique et connue de tout le monde, que non-seulement le surintendant a fait de grands établissements pour lui, pour ses frères, pour tous ses parents et amis, pour tous les commis qui l'ont approché, mais encore pour toutes les personnes de qualité du royaume qu'il a voulu acquérir, soit pour se conserver, soit pour s'agrandir, et beaucoup de personnes croient que le seul Delorme[12] a fait pour plus de quatre millions de gratifications en argent ou revenus de pareille valeur, pendant dix-huit ou vingt mois qu'il a été commis du surintendant. L'on ne parle pas des gains épouvantables que les gens d'affaires ont faits et de leur insolence qui est montée à un tel point qu'elle seroit incroyable si on ne la voyoit tous les jours. Résumant les ordonnances de Charles VIII, Louis XII, François Ier et Henri II pour empêcher la déprédation des finances, Colbert ajoutait : La minorité de Louis XIII, les guerres civiles qui ont duré pendant son règne, le peu d'application que M. le cardinal de Richelieu a eu en cette nature d'affaires, son esprit étant occupé de plus grandes et de plus importantes pour la gloire du roi et de son État, la minorité du roi à présent régnant et les guerres civiles et étrangères ont non-seulement empêché jusqu'à présent l'exécution de ces ordonnances, mais même ont été cause, particulièrement depuis trente à quarante ans, que ceux qui ont manié les finances du roi ont établi pour maxime indubitable que cet État ne pouvoit subsister que dans la confusion, qu'il étoit inutile de penser à l'avenir, qu'il falloit seulement aller au prêt, et qu'à force de faire des recettes et dépenses de toute nature et de plusieurs années, la recette s'augmentoit et donnoit aussi moyen d'augmenter la dépense ; qu'il falloit donner à gagner gros aux gens d'affaires, afin d'établir un grand crédit parmi eux et que l'on pût trouver moyen de tirer d'eux huit ou dix millions de livres en peu de jours ; que ce grand crédit étoit la sûreté de l'État et ce qui établissoit sa réputation dans les pays étrangers, et, après tout, que s'ils gagnoient de grands biens, l'on trouveroit toujours moyen de faire des taxes sur eux pour leur en faire rendre une bonne partie ; en un mot, que la seule et véritable manière d'administrer les finances étoit de faire et défaire incessamment.

Pour couper court à ces abus, Colbert proposait d'établir une chambre de justice composée d'honnêtes gens, et il conseillait avant toutes choses de mettre le roi en possession directe de ses revenus, ce qui augmenterait immédiatement, en France et à l'étranger, la terreur et le respect de son nom et de celui de son grand ministre. Suivant lui, le malaise des peuples venait principalement du grand nombre de nouveaux anoblis et officiers de finances qui étaient exempts des tailles, de l'exagération des frais de contrainte, de la partialité des rôles que les seigneurs faisaient faire en leur présence, déchargeant les riches qui leur donnaient et surchargeant les pauvres, enfin des gentilshommes et principaux ecclésiastiques qui ne pensaient qu'à soulager les paroisses leur appartenant ou à les empêcher de payer. Toutes ces questions, disait Colbert, devraient être examinées dans le conseil du roi où il seroit absolument nécessaire que Son Éminence eût une ou deux personnes de confiance pour procéder aux réformes devenues indispensables. Il insistait sur la nécessité de mettre un terme aux remises ordinaires et extraordinaires et de supprimer successivement, malgré l'opposition qu'y apporteraient grands seigneurs, cours souveraines et bourgeois, les rentes aliénées sur l'hôtel de ville de Paris depuis 1630, en remboursant aux acquéreurs ce qu'elles leur avoient réellement coûté, plus l'intérêt à 5 ½ pour cent jusqu'au jour du remboursement, déduction faite des arrérages touchés.

Le crédit prétendu, disait Colbert en terminant, est absolument faux. Ce qui s'appelle crédit n'est autre chose que facilité à trouver de l'argent en donnant peu d'intérêt ; et celui qui donne moins d'intérêt est celui qui a plus de crédit...

Je ne prétends pas que l'on fasse banqueroute, quoiqu'il n'y eût pas un grand inconvénient ; mais, pendant cet hiver et jusqu'au retour de Son Éminence, le surintendant pourroit facilement pourvoir aux dépenses, en lui ordonnant de traiter avec les gens d'affaires, lui permettant de faire quelques affaires extraordinaires du nombre de celles qu'il proposera, et le caressant fort, ce qui l'obligera de s'engager en son nom pour toutes les dépenses qui seront à faire, au cas que les fonds ci-dessus ne suffisent pas... Surtout, si le surintendant soutient d'avoir fait de grandes avances, il faut, par toutes sortes de moyens et de caresses, l'obliger d'attendre jusqu'au retour de Son Éminence, parce que ce sera un moyen de retenir son esprit naturellement actif, inquiet et intrigant. Par tout ce discours, je prétends prouver que le roi aura, dès la première année 1660, plus de 40 millions de livres de revenus, qu'il augmentera de Me. de 10 millions en 1661, et que, les deux autres années suivantes, il augmentera encore de 10 millions de livres, en faisant justice à tout le monde, et qu'en ce faisant, Son Éminence remettra chaque chose dans l'état qu'elle doit être. Les intrigues et les cabales de cour, qui ont pour principes les grâces reçues ou espérées sans la participation du roi, cesseront ; l'on ne verra plus les grandes fortunes des personnes de finance et partisans qui donnent de l'envie et de la jalousie à tout le monde, et qui sont cause d'une prodigieuse augmentation de luxe. Les gens de justice reprendront leur première modestie, faute d'avoir de quoi soutenir leur insolente vanité, par le retranchement d'une infinité de droits sur le roi, dont ils se sont gorgés ; l'on ne reconnoitra de grâces, de gratifications et de fortunes que celles qui viendront de la main du roi, par l'entremise de Son Éminence. De plus, Son Éminence étant maitresse d'un grand revenu, pourra, avec beaucoup de facilité, par son économie, entretenir un grand nombre de troupes, de grandes garnisons dans toutes les places avancées, en Allemagne, Flandre, Italie, Espagne, revêtir toutes ces places et les bien fortifier, rétablir la gloire et l'honneur du royaume sur la mer aussi bien que sur la terre, en remettant en mer un nombre considérable de galères et de vaisseaux, afin de porter la gloire et la terreur de son nom jusque dans l'Asie, après l'avoir si fortement et si puissamment établi dans toutes les contrées de l'Europe. Et, outre toutes ces dépenses, je ne doute point que Son Éminence ne puisse encore mettre en réserve une somme considérable tous les ans.

Après avoir exécuté toutes ces grandes choses, il n'en resteroit plus que deux à faire, qui ne seroient pas moins glorieuses pour Son Éminence : l'une, d'établir le commerce dans le royaume et les voyages de long cours ; et l'autre, de travailler au retranchement de la multiplicité des officiers des justices souveraines et subalternes, des abus qui se commettent en la justice, et de la faire rendre aux peuples plus promptement et à moins de frais, étant certain que les officiers de justice tirent des peuples du royaume tous les ans, par une infinité de moyens, plus de 20 millions de livres, dont il y auroit beaucoup de justice d'en retrancher plus des trois quarts, ce qui rendroit les peuples plus accommodés et leur laisseroit plus de moyens de fournir aux dépenses de l'État. Et davantage, y ayant plus de 30.000 hommes qui vivent de la justice dans toute l'étendue du royaume, si elle étoit réduite au point où elle doit être, sept ou huit mille au plus suffiroient, et le reste seroit obligé de s'employer au trafic, à l'agriculture ou à la guerre, et travailleroit par conséquent à l'avantage et au bien du royaume, au lieu qu'ils ne travaillent qu'à sa destruction...

J'espère que Votre Éminence, avec sa bonté ordinaire, verra ces mémoires pour les rejeter entièrement, ou telle partie qu'il lui plaira, et qu'elle les recevra, s'il lui plaît, comme une marque de l'ardent désir que j'ai de pouvoir contribuer en quelque chose à sa gloire et à sa satisfaction, et de lui donner des marques éternelles de ma reconnoissance de ses bienfaits[13].

Si fondés que fussent les griefs développés par Colbert, la dénonciation n'en était pas moins formelle. La lutte, une lutte à outrance, était donc engagée. Un incident singulier, qui peint à merveille un côté des mœurs du temps, en marqua les débuts.

Fouquet avait des espions et des intelligences partout. Le surintendant des postes, un M. de Nouveau, était notamment au nombre de ses créatures et lui rendait des services payés sans doute fort cher. Le mémoire à Mazarin fut arrêté à la poste de Paris, copié par les agents de M. de Nouveau, et envoyé à Fouquet parle même ordinaire qui portait la lettre de Colbert. Allant droit au but, Fouquet osa se plaindre à Mazarin, que tant d'audace étonna. Engagé en ce moment dans les négociations relatives à la paix des Pyrénées, le cardinal ne voulait à aucun prix compliquer ses embarras d'une modification ministérielle ; il donna le change à Fouquet et crut avoir obtenu un point important en lui faisant promettre de l'informer, même en son absence, des plus petits détails. L'orage semblait donc conjuré. Le 21 octobre 1659, le cardinal avait écrit à Colbert, après avoir lu son mémoire : J'ai été bien aise des lumières que j'en ai tirées, et j'en profiterai autant que la constitution des affaires présentes le peut permettre. Le lendemain, il lui écrivit encore : Je vous prie de voir le surintendant lorsqu'il arrivera à Paris et de faire ce qui pourra dépendre de vous afin qu'il connoisse que rien n'est capable de vous empêcher de vivre avec lui avec une sincère amitié, puisque, outre l'estime que vous faites de lui, vous savez que je le désire ainsi et que j'ai toute confiance en sa personne. Je vous prie de vous bien acquitter de tout ceci, car il importe au service, et vous me ferez plaisir. Deux lettres de Fouquet du mois de janvier 4660 prouvent que Colbert se conforma à cet ordre. Après avoir prévenu le cardinal que ce dernier l'était venu voir, il ajoutait : Je lui ai dit que j'avois cru devoir être obligé de me défendre auprès de Votre Éminence de beaucoup de choses que j'avois connoissance qu'il m'imputoit, et que je suis assuré qu'à ma place il n'auroit pas moins pu faire... Il m'a parlé fort amicalement, et j'espère que Votre Éminence sera satisfaite de ma conduite. Dans une lettre du 19 janvier, il disait au sujet d'une autre visite de Colbert : M. Colbert est parti content de moi. J'ose supplier Votre Éminence, puisqu'il y va de son service, de ne lui rien renouveler des petites plaintes passées qui puisse altérer ce sentiment[14].

Le surintendant se faisait-il réellement illusion et croyait-il à la sincérité de Colbert ? Qu'il y crût ou non, il ne négligea rien pour se créer de nouveaux appuis capables de contrecarrer les menées de ses ennemis. Il avait mis dans ses intérêts, grâce à ses largesses inépuisables, le fastueux et prodigue de Lionne, et il croyait également pouvoir disposer du marquis de Charost, son gendre, du marquis de Créqui, du maréchal Fabert, du comte d'Estrades, du marquis de Feuquières, du duc de Bournonville, du président de Lamoignon lui-même et d'un grand nombre de courtisans des plus en faveur. Ce n'était pas encore assez ; il chercha à se faire une protectrice de la reine mère. Les preuves de ses tentatives à cet égard ont été retrouvées écrites de sa main, dans ses papiers. Une première fois, il avait conjuré Anne d'Autriche de lui accorder sa confiance et de lui indiquer les affaires qu'elle voudrait faire réussir. En même temps, il signalait l'ambition du prince de Condé, exprimait la crainte que le cardinal ne se laissât prendre à ses flatteries, et recommandait le secret pour tout le monde sans exception. Il finissait en décochant un trait à Le Tellier, vivant fort honnêtement en apparence, mais jaloux et pouvant craindre que la faveur n'allât d'un autre côté. Si la reine trouve bon qu'on lui rende compte de ce qu'on apprend, ajoutait Fouquet, ou s'il y a quelque chose dont elle désire savoir la vérité, en s'ouvrant un peu, on tâchera de la satisfaire[15]. Anne d'Autriche exprima-t-elle ce désir ? Il est certain qu'elle reçut bientôt après les offres de service les plus explicites.

Dans un mémoire qu'il dut lui remettre directement, le surintendant exposa tout ce qu'il avait fait pour relever les finances depuis son retour des Pyrénées — derniers jours de décembre 1659 -. La situation était en effet des plus critiques, par suite, disait-il, du discrédit où ses ennemis avaient fait croire qu'il était tombé ; mais, le cardinal lui ayant donné publiquement quelques marques de confiance, il avait bientôt relevé les affaires. J'ai fait gagner plus de six millions au roi en un jour, dans un renouvellement des fermes, en quoi je puis dire sans vanité qu'il a fallu de l'audace et de la vigueur. Son Éminence ne s'attendoit qu'à deux millions. J'eusse pu y profiter beaucoup de millions pour moi, mais je ne l'ai pas voulu, et hors les 100.000 écus que j'ai envoyés en argent comptant à Son Éminence pour en donner au roi, à la reine, à Monsieur, ou en disposer comme il lui plairoit, et 100.000 francs que j'ai ménagés pour d'autres dépenses nécessaires, je n'ai pas voulu recevoir un sol, pour fermer la bouche à tout le monde et ne point donner prise à ceux qui en voudroient avoir. Fort de son expérience, il assurait la reine qu'il était sûr de réussir dans tout ce qu'on voudrait tenter, à la condition pourtant d'être appuyé. Mais les envieux, ceux dont il repoussait les exigences, lui suscitaient des ennemis contre lesquels il était obligé de se défendre et qui absorbaient son temps. Toute médisance, disait-il, toute plainte est accueillie, et dès qu'il arrive la moindre émotion, on sacrifie celui qui devroit être soutenu, ce qui cause que chacun est plus hardi à entreprendre ; au lieu qu'aucun n'oseroit avoir parlé, ni pensé à mal faire, s'il étoit bien persuadé que chaque grande affaire est celle du roi, qu'elle a été entreprise et sera soutenue par son autorité, laquelle y sera employée tout entière. Arrivant à une opération nouvelle, qu'il projetait et qui fut depuis réalisée par Colbert, il prétendait être en mesure d'économiser trois millions par le retranchement des rentes, des gages et autres droits aliénés pendant la guerre et la minorité. Le cardinal, à qui il s'en était ouvert, l'avait approuvé ; mais l'ayant, par malheur, ébruitée, tous ceux qu'elle devait léser, notamment les membres du parlement, s'étaient déchaînés contre une mesure devenue nécessaire.

Quoique M. le cardinal, poursuivait Fouquet, ne parle pas publiquement contre moi, néanmoins il craint que l'envie ne retombe sur lui, et, dans l'appréhension de l'événement de cette affaire, qui paroît plus grande qu'elle n'est, il dit tant de choses aux personnes qui l'approchent, lesquelles en écrivent ici à leurs parents et amis, que bientôt tout est publié, au lieu qu'en disant en peu de mots : Le roi le veut et se fera obéir, tout seroit fait.

Ce qui cause de l'embarras dans ma conduite, est ce que je viens d'expliquer. Si je choque bien du monde, on se plaint, et Son Éminence me blâme aussitôt de lui attirer des affaires. Si j'évite le bruit et que je ne veuille pas choquer tout le monde, Son Éminence dit que je veux tout ménager ; d'où il arrive qu'on n'agit pas avec toute la vigueur et la force dont on seroit capable, parce qu'on n'a pas l'assurance et la protection qu'on devroit avoir.

Je ferai néanmoins, avec le plus de prudence qu'il me sera possible, quelques efforts pour rendre au roi un service aussi important que celui-là, et je pourrois répondre d'en venir à bout, même de choses plus considérables, si je n'avois peur de déplaire à ce qui est au-dessus de moi, n'en ayant point de tout ce qui est au-dessous.

Je fais ce que je puis pour ramener Colbert à moi. Je lui ai rendu des services en son particulier très-importants il a toujours eu de l'estime et de l'inclination pour moi ; il m'a confié de grands secrets, il a reçu des bienfaits de moi ; mais, après tout, s'il a dessein sur mon emploi et que son but soit de me déposséder pour faire les finances de son chef ou sous les ordres de Son Éminence, je ne puis le regagner ni le radoucir.

M. Le Tellier aime mieux que je sois dans les finances qu'il n'y aimeroit Colbert. Il a témoigné aussi de l'estime pour moi et s'y accommode fort bien, mais de temps en temps me rend de mauvais offices, soit pour flatter les sentiments de Son Éminence quand elle n'est pas satisfaite, soit pour empêcher que Son Éminence ne prenne plus de confiance en moi que ledit sieur Le Tellier ne voudroit, et que je ne m'élève trop au-dessus de lui, comme il m'a paru mille fois.

M. de Lionne voudroit peut-être bien ma place, mais il n'oseroit jamais me pousser ouvertement, ni me désobliger. Il est timide et ne s'exposera pas au juste ressentiment que j'aurois de son ingratitude et aux reproches que je lui pourrois faire.

M. de Fréjus[16] m'est tout à fait contraire, et comme il est intéressé et fort avide de biens, il croit que si Son Éminence prenoit l'administration des finances et m'avoit éloigné, il auroit quelque fonction et que les gens d'affaires s'adressant à lui, pour ce que les accès ne seroient pas faciles, il en profiteroit notablement.

Après avoir constaté que son frère l'abbé, et Delorme, son ancien commis, étaient devenus ses plus dangereux ennemis, Fouquet prévient la reine, avec une franchise audacieuse, qu'ayant avancé plusieurs choses à son propre avantage, il veut aussi avouer ses défauts et faire sa confession tout entière.

Il est vrai que mon esprit est porté aux choses grandes et au-dessus de ma condition plutôt qu'aux médiocres. Je suis ravi de faire plaisir aux personnes d'un mérite extraordinaire, de me les acquérir pour amis, à quoi je ne réussis pas mal parce que naturellement je suis libéral, et que j'aime à faire de bonne grâce ce que je veux faire. Je fais un peu trop de dépenses, et quoique j'en aie beaucoup retranché de table, de jeu et d'autres choses semblables, il est pourtant véritable que le bâtiment et les jardins de Vaux ont coûté et que j'eusse fait plus sagement de ne m'y pas engager. J'ai offert à M. le cardinal de lui en faire un présent et j'aurois eu une extrême joie qu'il l'eût accepté, parce que donner une chose de cette nature est une action plus grande et plus extraordinaire que. de l'avoir faite.

Je sais bien que Vaux et Belle-Île sont de trop grand éclat pour moi ; mais, en vérité, après de longs services, travaillant comme je fais sans relâche et hasardant avec plaisir, dans toutes les grandes occasions, mon bien et celui de mes amis pour servir le roi ; m'étant vu, depuis trois mois, réduit en un état que je n'ai jamais moins dû de cinq à six millions, il faut bien pouvoir un peu se distinguer des autres hommes. Car, de mettre de l'argent à profit et entasser inutilement des sommes dans des coffres, ce seroit pour moi une condition assez misérable et peu conforme à mon humeur qui a toujours été égale, ayant vécu libéralement et avec dépense dans tous mes emplois avant d'être surintendant...

J'ai eu du bien de mon chef ; j'en ai eu davantage de ma femme. Les revenus ont produit de quoi faire de la dépense, avec ce que la surintendance fournit, outre que le grand maniement d'argent fait que l'on n'est pas si réservé. Il est donc vrai que dans la position incertaine où je suis, et qui peut m'être ôtée d'heure à autre, pour m'y être fait des ennemis, j'ai été bien aise de me voir une retraite, avec espérance, s je me trouve hors d'emploi, d'y aller finir mes jours en assurance et y servir Dieu, éloigné de tout le monde, avec d'autant plus de satisfaction que c'est dans le gouvernement de la reine, à laquelle on pourroit rendre par égards quelques petits services et en recevoir une agréable et piissante protection.

Il faut bien toucher deux mots de M. le Prince, lequel a des desseins sans doute qui pourroient éclore en leur temps, quelque soumission qu'il fasse paroitre auprès de Son Éminence...

Je ne puis m'empêcher de répéter encore une fois que j'aurois bien de la joie de rendre quelques services importants à la personne qui verra ce mémoire, à laquelle je demande très-humblement pardon de ma témérité ; mais je ne puis mieux exprimer mon dévouement qu'en rendant un compte exact de ma conduite pour y réformer tout ce qui y déplaira et me mettre en un état qui puisse être agréable, si on me fait la grâce de me le faire savoir[17].

Certes, la proposition était assez claire et le projet de marché on ne peut mieux indiqué. La somme seule restait à fixer. Si la reine mère n'avait vu Fouquet à l'œuvre depuis dix ans, ce mémoire lui aurait appris à le connaître. On assure qu'elle lui promit sa protection, moyennant une pension annuelle de 500.000 livres. Le pacte, cependant, ne dura guère, et bientôt la duchesse de Chevreuse, gagnée par Colbert, détacha a reine des intérêts du surintendant. Quant au cardinal, depuis son retour des Pyrénées, il semblait l'abandonner et ne le ménageait plus. Un des espions de Fouquet auprès d'Anne d'Autriche, car il en avait même auprès de ses amis, lui écrivait, à une date inconnue, mais probablement vers la fin de 1660 : La reine mère dit dimanche dernier sur vous, que M. le cardinal avoit dit au roi que si l'on pouvoit vous ôter les bâtimens et les femmes de la tête, vous seriez capable des [plus] grandes choses ; mais que surtout il falloit prendre garde à votre ambition, et c'est par là qu'on prétend vous nuire[18].

La fête de Vaux fit voir jusqu'où pouvaient aller les imprudences de Fouquet. Le 17 août 1661, des milliers de carrosses armoriés encombraient la route de Paris à Melun. Situé à une faible distance de cette ville, Vaux-le-Vicomte appartenait depuis quelques années au surintendant qui y avait dépensé, disait-on, neuf millions. Six mille invitations avaient été distribuées, non-seulement dans la France entière, mais en Europe, et l'on s'y était rendu avec un empressement qu'expliquaient et justifiaient la magnificence bien connue de Fouquet, les merveilles de Vaux, et le bruit partout répandu que le roi devait assister à cette fête, honneur insigne où l'on voyait le gage de la nomination du surintendant au poste de premier ministre. A aucune époque, en France, la passion pour les constructions monumentales n'a été poussée aussi loin qu'au dix-septième siècle, et cette passion dont Louis XIV emprunta le goût à Fouquet, celui-ci en était possédé à un degré qui, chez un particulier, touchait à la folie. Trois villages démolis et rasés pour arrondir le domaine et le rendre digne des bâtiments de Le Vau, des jardins de Le Nôtre, des peintures de Le Brun, disent assez quelle devait être son importance. Pendant que les palais royaux étaient à peine meublés et qu'il n'y avait pas même alors, d'après le témoignage de Colbert[19], une paire de chenets d'argent dans la chambre du roi, le surintendant étala, outre cent merveilles en bronze, en marbre, en tableaux, sans parler de la beauté des jardins et des bâtiments, trente-six douzaines d'assiettes d'or massif, et un service également en or. On juge de l'effet que dut produire sur le roi ce faste insolent. Cédant à de perfides conseils, Fouquet venait de vendre 1.400.000 livres à Achille de Harlay, sa charge de procureur général au parlement, et il avait fait porter à Vincennes, pour les dépenses secrètes du roi, un million payé comptant[20]. Espérait-il, comme l'a dit Colbert, que Louis XIV le nommerait chancelier, ce qui était impossible tant qu'il conserverait sa charge ? Quoi qu'il en soit, inquiet, préoccupé des dispositions du roi, recevant de tous côtés des avis sur le danger qu'il courait d'être arrêté, il crut désarmer les mauvais vouloirs par cet acte de confiance et de générosité. Ce fut le contraire. Peu de jours après, le 5 septembre 1661, il était arrêté à Nantes, où Louis XIV avait désiré tenir les États de Bretagne, pour se trouver plus près de Belle-He et de sa citadelle, qui ne fit d'ailleurs aucune résistance. Au même instant, des instructions partaient pour Paris, avec ordre de faire mettre les scellés à toutes ses maisons.

Cette arrestation présentait-elle des difficultés qui nous échappent, ou bien les adversaires de Fouquet avaient-ils exagéré à dessein pour le faire croire plus dangereux ? Ce fut, nous l'avons dit, un véritable coup d'État, et rien ne le prouve mieux que les précautions prises dans la crainte que le secret ne fût pas assez bien gardé. Les notes autographes dont nous avons parlé témoignent de l'inquiétude de Colbert. Celle qui suit concernait Belle-Ile : L'on suppose que, quelques jours auparavant, sous prétexte d'une promenade sur l'eau, on aura donné ordre d'avoir des vaisseaux qui seront disposés à mesure. Il sera bon d'examiner sur les lieux s'il ne seroit pas à propos de faire venir le sieur Du Quesne pour disposer lui-même toutes choses et prendre le soin du trajet. Une autre, également de la main de Colbert, intitulée : Pour l'exécution, contenait les propositions suivantes :

Le jour qui sera choisi, sous prétexte de la chasse, il faut donner ordre que les mousquetaires soient à cheval et les carrosses prêts. — Il faut prendre l'un des jours qu'il a accoutumé de venir. — Les après-diners, afin que cela se fasse plus naturellement et plus facilement. — D'une autre écriture, en marge : Le matin, au sortir du contrôle. — Dans le temps qu'il parlera, le roi, sous prétexte de dire quelque chose à d'Artagnan, le peut faire venir dans le lieu le plus proche de celui où il travaillera, et lui donnera l'ordre verbal et en même temps deux ordres par écrit : l'un pour arrêter et conduire au château d'Angoulême avec cent mousquetaires et deux officiers des plus fidèles, et de le garder dans le château jusqu'à nouvel ordre ; l'autre ordre à M. le marquis de Montausier ou à celui qui commande en son absence dans ledit château, de le remettre entre les mains dudit sieur d'Artagnan et d'en faire sortir toute la garnison. — Il faudra aviser quel valet on lui enverra pour le servir. — Il faudra envoyer aussi les habits et le linge qui seront nécessaires... — Ordre à six mousquetaires, commandés par un fidèle, de s'en aller à dix ou douze lieues sur la route de la Loire occuper trois ou quatre postes et empêcher qu'aucune personne ne passe sans un ordre exprès du roi... — Ordre à M. d'Artagnan de ne déclarer sa marche ni le lieu où il va à qui que ce soit. — De ne pas loger dans les grandes villes... — Il faudra marquer le lieu où il ira coucher en partant. — Il sera nécessaire que le roi ait ces deux ordres dans sa pochette, avec une instruction de tout ce que ledit sieur d'Artagnan aura à faire, pour lui donner, en même temps qu'il lui donnera l'ordre verbal.-L'ordre verbal sera d'arrêter lorsqu'il sera descendu dans la cour du château, de le mettre dans le carrosse du roi, qui sera préparé dans ladite cour ; et de le mener en un tel lieu qui sera le premier logement, qu'il se fasse suivre par cent mousquetaires et deux officiers, et qu'il laisse le surplus... — D'une autre écriture, en marge : Penser et une voiture pour le bagage. — Lui envoyer mille pistoles pour les dépenses du voyage, et lui donner l'ordre de donner à manger... — Établir un exempt avec quatre gardes du corps pour empêcher toutes visites et toutes conférences ; joindre à cet exempt un maitre des requêtes pour sceller les cassettes et les mettre en sûreté, comme aussi faire recherche exacte de tous les papiers qui se trouveront dans la maison pour les saisir... — Tous ces ordres étant donnés et exécutés, il faut travailler à dépêcher les courriers.

Telles étaient les mesures longuement préméditées et mûries. Si quelques modifications y furent apportées dans l'exécution, elles n'avaient pas d'importance. On se borna à substituer au château d'Angoulême celui d'Angers, à cause de sa proximité de Nantes. Le rôle de Louis XIV était, on vient de le voir, noté dans les moindres détails. Il devait feindre jusqu'au bout.

Le projet d'organiser une chambre de justice qui fit rendre gorge aux financiers, germait depuis longtemps chez Colbert. Sa première pensée, après l'arrestation du surintendant, fut de le réaliser. Instituée par un édit du mois de décembre 1661, la chambre fut composée du chancelier Pierre Séguier, du premier président de Lamoignon, et de vingt-six membres choisis soit dans le conseil d'État, soit parmi les maîtres des requêtes, soit dans les divers parlements du royaume, d'après les notes secrètes des présidents[21]. C'est cette chambre, formée des hommes dont la capacité et le dévouement inspiraient le plus de confiance, qui se montra depuis si indépendante. Le président de Lamoignon, qui en fit l'ouverture, constata la déplorable situation à laquelle les traitants et partisans avaient réduit le royaume. Deux jours avant l'arrestation de Fouquet, Guy Patin écrivait : On minute de nouveaux impôts ; les pauvres gens meurent par toute la France de maladie, de misère, d'oppression, de pauvreté et de désespoir. Ce tableau n'était point trop chargé, et représentait l'état général du pays. Dans la plupart des provinces en effet, les paysans mouraient littéralement de faim, et, sur beaucoup de points, les champs restaient en friche, les travaux étaient interrompus, à cause des grandes impositions aggravées par deux mauvaises récoltes. Le président de Lamoignon n'eut donc pas besoin d'exagérer pour émouvoir. Les peuples, dit-il, gémissoient dans toutes les provinces sous la main de l'exacteur, et il sembloit que toute leur substance et leur propre sang même ne pouvoient suffire à la soif ardente des partisans. La misère de ces pauvres gens est presque dans la dernière extrémité, tant par la continuation des maux qu'ils ont soufferts depuis si longtemps que par la cherté et la disette presque inouïes des deux dernières années[22].

Persuadé que ses amis auraient pu soustraire aux recherches de la justice une partie de ses papiers et croyant avoir brûlé lui-même les plus dangereux, Fouquet, bien que son arrestation l'eût d'abord jeté dans un grand trouble, n'avait pas tardé à reprendre courage. A peine arrivé à Angers, où il avait été conduit en toute hâte à travers des populations difficiles à contenir, tant l'animosité contre lui était vive et générale, il avait écrit à Le Tellier, qu'il croyait bienveillant à son égard, pour le supplier, à cause de sa mauvaise santé et sujet comme il l'était à des fièvres quartes dont les accès duraient soixante-douze heures, de lui faire accorder un confesseur. Je ne puis, disait-il, avoir l'esprit en repos que je n'aie fait ce que j'aurai pu pour me mettre bien avec Dieu. Et comme j'ai de grands comptes à lui rendre, que j'ai eu plusieurs affaires délicates et de grandes administrations pendant des temps fâcheux, j'ai besoin d'un homme très-capable avec lequel j'ai beaucoup de consultations à faire et de questions à résoudre. Il ne voulait, ajoutait-il, ni un ignorant, ni un janséniste, mais un prêtre au courant des affaires du monde, et il indiquait M. Joly, curé de Saint-Nicolas-des-Champs, qui avait assisté Mazarin.

Cette première lettre à Le Tellier étant restée sans effet, Fouquet lui en adressa bientôt une nouvelle. L'aveuglement qui, malgré tous les avis, l'avait perdu, le berçait encore, au fond même de sa prison, des plus étranges illusions. Après avoir exprimé son étonnement de ce que tant de gens qu'il avait eu à combattre pendant la Fronde étaient au comble des honneurs et les premiers de l'État, il rappelait qu'en 1654, au moment où tout allait manquer faute d'argent et de crédit, il avait rétabli les affaires en obtenant des avances importantes sur sa garantie et celle de ses amis. Ayant gouverné la barque seul dans la tempête, que n'aurait-il pas fait au milieu d'une paix profonde, si l'on n'avait profité de ce temps pour le renverser ? Sans doute, il avait commis des fautes, mais était-il besoin de s'en excuser, puisqu'elles avaient été indispensables pour soutenir les affaires ? D'un autre côté, le cardinal ne donnait jamais d'ordre précis ; il commençait par blâmer ; puis, quand on l'avait convaincu de l'impossibilité de faire autrement, il approuvait tout. On ne pouvait donc avoir avec lui ni principes, ni règles. Enfin, après la mort de Mazarin, Fouquet avait dit au roi que si sa conduite lui avait déplu, quoiqu'il l'eût toujours bien servi, il le suppliait de lui pardonner. Voilà que, malgré la parole donnée, il était emprisonné, poursuivi, et non-seulement on l'avait arrêté malade, mais on lui avait, la veille encore, pris son argent[23]. — Je ne puis pas bien comprendre, ajoutait-il, pourquoi, les affaires allant si bien, ce changement étoit nécessaire. J'ose même dire que ma passion de plaire m'avoit fait méditer des choses grandes et avantageuses, et que mon expérience eût pu servir. Je n'affectois pas de demeurer surintendant ; au moindre mot que j'eusse pu comprendre, j'eusse remis tout sans qu'il eût été besoin des extrémités où l'on m'a mis. — Craignait-on qu'il ne s'opposât aux nouveaux établissements en matière de finances, et que ses amis, reprenant espoir, ne fissent des cabales ? S'il en était ainsi, il avait, au fond de la Bretagne, une méchante chaumière dont il devait encore le prix. Qu'on l'y exilât, après lui avoir fait signer un écrit où il s'engagerait, sous peine de la vie, de ne se mêler que de ses affaires domestiques, de sa santé, de sa conscience. N'était-ce pas assez, si le roi le croyait coupable, de l'avoir dépouillé de la surintendance et de sa charge de procureur général, éloigné de la cour, de Paris, de ses maisons, de ses parents et amis, ruiné enfin sans espérance de ressource ? — Je supplie encore une fois M. Le Tellier, disait Fouquet en terminant, de vouloir me faire la grâce de lire, à une heure de loisir, tout ce gros volume au roil'affaire est plus importante que beaucoup d'autres où il donne plus de temps —, de faire faire réflexion à Sa Majesté sur plusieurs choses qui y sont considérables, et de lui dire que je la conjure de me faire la même miséricorde qu'elle désire que Dieu lui fasse un jour[24].

Parmi les qualités qui distinguaient le secrétaire d'État de la guerre, la prudence avait toujours tenu la première place, et il était bien connu pour n'avoir de sa vie risqué une démarche compromettante par dévouement à qui que ce fût. Fouquet d'ailleurs, c'est lui-même qui va se charger d'en fournir la preuve, n'avait jamais été de ses amis. Jugea-t-il à propos de mettre sous les yeux du roi sa supplique si imprudente et si présomptueuse ? II est permis d'en douter. Dans tous les cas, la volonté de Louis XIV n'en fut pas ébranlée, car l'exécution de l'édit du mois de décembre 1661 instituant une chambre de justice ne souffrit aucun délai, et l'affaire dont elle s'occupa tout d'abord fut celle du surintendant.

Œuvre manifeste de Colbert, le préambule de l'édit est plein des passions du moment dont on croirait entendre, en le lisant, le frémissement lointain. Les abus dans l'administration des finances, y était-il dit, avoient été poussés si loin que le roi s'étoit décidé à prendre personnellement connoissance du détail de toutes les recettes et dépenses du royaume, afin d'empêcher quelques particuliers d'élever subitement, par des voies illégitimes, des fortunes prodigieuses, et de donner le scandaleux exemple d'un luxe capable de corrompre les mœurs et toutes les maximes de l'honnêteté publique. Peu de jours après, un avertissement ou monitoire fut lu dans toutes les églises du royaume pour provoquer des dénonciations contre les financiers, et un arrêt de la chambre défendit à tous trésoriers, receveurs, traitants, partisans ou intéressés dans les finances du roi, de sortir sans autorisation de la ville où ils se trouvaient, sous peine d'être déclarés convaincus du crime de péculat. Et, d'après les lois du temps, le péculat était puni de mort.

Les accusations contre Fouquet, d'abord vagues et indécises, finirent par prendre corps et formèrent un ensemble de griefs sous lequel il paraissait devoir être écrasé.

On lui imputait :

1° D'avoir tracé de sa main un véritable plan de guerre civile pour le cas, disait-il, où on voudrait l'opprimer, et de s'être fait donner par diverses personnes des engagements de se dévouer aveuglément à ses intérêts, de préférence à tout autre, sans en excepter personne au monde ;

2° D'avoir fait au roi des prêts supposés, afin de se créer un titre apparent à des intérêts qui ne lui étaient pas dus ;

3° D'avoir confondu les deniers du roi avec les siens propres et de les avoir employés avec une profusion insolente à ses affaires domestiques ;

4° De s'être fait donner par les traitants des pensions évaluées à 362.000 livres, à condition de fermer les yeux sur leurs exactions ;

5° D'avoir pris pour lui-même, sous d'autres noms, la ferme de divers impôts ;

6° D'avoir fait revivre des billets surannés, achetés à vil prix, et de les avoir employés pour leur somme totale dans des ordonnances de comptant.

Il est impossible aujourd'hui de nier la vérité de ces accusations. Le plan de guerre civile follement préparé par Fouquet existe ; il fut distribué à tous les juges, avec ses ratures et corrections indiquant qu'il y avait travaillé à plusieurs reprises, et que ce n'était pas l'œuvre d'un moment d'aberration. Fouquet prétendit se disculper en disant — et ses amis l'ont répété après lui — que c'était là un projet informe, qu'il n'avait pas même reçu un commencement d'exécution, n'ayant été écrit que dans la prévision où l'on aurait voulu lui faire injustement son procès. Mais il faut voir cette pièce capitale[25], témoignage insigne de la présomption, de la vanité, de l'inqualifiable légèreté, et enfin de l'audace extraordinaire de l'homme que le président de Lamoignon appelait le plus vigoureux acteur qui fût à la cour[26].

L'esprit de Son Éminence, disait Fouquet en commençant, susceptible naturellement de toute mauvaise impression contre qui que ce soit, et particulièrement contre ceux qui sont en un poste considérable et en ceigne estime dans le monde, son naturel défiant et jaloux, les dissensions et inimitiés qu'il a semées avec un soin et un artifice incroyables dans l'esprit de tous ceux qui ont quelque part dans les affaires de l'État, et le peu de reconnoissance qu'il a des services reçus quand il ne croit plus avoir besoin de ceux qui les lui ont rendus, donne lieu à chacun de l'appréhender. A quoi ont donné plus de lieu en mon particulier, et le plaisir qu'il témoigne trop souvent et trop ouvertement prendre à écouter ceux qui lui ont parlé contre moi, auxquels il donne tout accès et toute créance, sans considérer la qualité des gens, l'intérêt qui les pousse et le tort qu'il se fait à lui-même, de décréditer un surintendant qui a toujours une infinité d'ennemis que lui attire inévitablement un emploi, lequel ne consiste qu'à prendre le bien des particuliers pour le service du roi, outre la haine et l'envie qui suivent ordinairement les finances.

Ces choses, dis-je, et les connoissances particulières qu'il a données à un grand nombre de personnes de sa mauvaise volonté, m'en faisant craindre avec raison les effets, puisque le pouvoir absolu qu'il a sur le roi et la reine lui rendent facile tout ce qu'il veut entreprendre ; et considérant que la timidité naturelle qui prédomine en lui ne lui permettra jamais d'entreprendre de m'éloigner simplement, ce qu'il auroit exécuté déjà s'il n'avoit pas été retenu par l'appréhension de quelque vigueur en mon frère l'abbé[27] et en moi, un bon nombre d'amis que l'on a servis en toutes occasions, quelque intelligence que l'expérience m'a donnée dans les affaires, une charge considérable dans le parlement, des places fortes, occupées par nous ou nos proches, et des alliances assez avantageuses, outre la dignité de mes deux frères dans l'Église. Ces considérations qui paroissent fortes d'un côté à me retenir dans le poste où je suis, d'un autre ne peuvent permettre que j'en sorte sans que l'on tente-tout d'un coup de nous accabler et de nous perdre ; parce que, par la connoissance que j'ai de ses pensées et dont je l'ai ouï parler en d'autres occasions, il ne se résoudra jamais de nous pousser s'il peut croire que nous en reviendrons et qu'il pourroit être exposé au ressentiment de gens qu'il estime hardis et courageux.

Il faut donc craindre tout et le prévoir, afin que si je me trouvois hors de la liberté de m'en pouvoir expliquer, on eût recours à ce papier pour y chercher les remèdes qu'on ne pourroit trouver ailleurs, et que ceux de mes amis qui auront été avertis d'y avoir recours sachent qui sont ceux auxquels ils peuvent prendre confiance.

Premièrement, si j'étois mis en prison et que mon frère l'abbé n'y fùt pas, il faudroit suivre son avis et le laisser faire, s'il étoit en état d'agir et qu'il conservât pour moi l'amitié qu'il est obligé, et dont je ne puis douter[28]. Si nous étions tous deux prisonniers, et que l'on eût la liberté de nous parler, nous donnerons encore les ordres de là[29], tels qu'il les faudroit suivre, et ainsi cette instruction demeureroit inutile, et ne pourroit servir qu'en cas que je fusse resserré, et ne pusse avoir commerce avec mes véritables amis.

La première chose donc faudroit tenter seroit que ma mère, ma femme, ceux de mes frères qui seroient en liberté, le marquis de Charost — son gendre — et mes autres parents proches, fissent par prières et sollicitations tout ce qu'ils pourroient, premièrement pour me faire avoir un valet avec moi, et ce valet, s'ils en avoient le choix, seroit Vatel ; si on ne pouvoit l'obtenir, on tenteroit pour Longchamps, sinon pour Courtois ou La Vallée.

Quelques jours après l'avoir obtenu, on feroit instances pour mon cuisinier, et on laisseroit entendre que je ne mange pas, et que l'on ne doit pas refuser cette satisfaction à moins d'avoir quelque mauvais dessein.

Ensuite on demanderoit des livres, permission de me parler de mes affaires domestiques qui dépérissent, et dont j'a seul connoissance. On tâcheroit de m'envoyer Bruant — un de ses commis —. Peu de temps après, on diroit que je suis malade, et on tâcheroit d'obtenir que Pecquet, mon médecin ordinaire, vint demeurer avec moi et s'enfermer dans la prison.

On feroit tous les efforts d'avoir commerce par le moyen des autres prisonniers, s'il y en avait au même lieu, ou en gagnant les gardes ; ce qui se fait toujours avec un peu de temps, d'argent et d'application.

Il faudroit laisser passer deux ou trois mois dans ces premières poursuites, sans qu'il parût autre chose que des sollicitations de parents proches, et sans qu'aucun autre de nos amis fit paroitre de mécontentement qui pût avoir des suites, si on se contentoit de nous tenir resserrés, sans faire autre persécution.

Cependant, il faudroit voir tous ceux que l'alliance, l'amitié et la reconnoissance obligent d'être dans nos intérêts, pour s'en assurer et les engager de plus en plus et savoir d'eux jusqu'où ils voudroient aller.

Madame du Plessis-Bellière, à qui je me fie de tout, et pour qui je n'ai jamais eu aucun secret ni aucune réserve, seroit celle qu'il faudrait consulter sur toutes choses, et suivre vre ses ordres si elle étoit en liberté, et même la prier de se mettre en lieu sûr.

Elle connoît mes véritables amis, et peut-être qu'il y en a qui auroient honte de manquer aux choses qui seroient proposées pour moi de sa part.

Quand on auroit bien pris ses mesures, qu'il se fût passé environ ce temps de trois mois à obtenir de petits soulagements dans ma prison, le premier pas seroit de faire que M. le comte de Charost allât à Calais ; qu'il mit sa garnison en bon état ; qu'il fit travailler à réparer sa place et s'y tint sans en partir pour quoi que ce fût. Si le marquis de Charost n'étoit point en quartier de sa charge de capitaine des gardes, il se retireroit aussi à Calais avec M. son père, et y mèneroit ma fille, laquelle il faudroit que madame du Plessia fit souvenir en cette occasion de toutes les obligations qu'elle m'a, de l'honneur qu'elle peut acquérir en tenant par ses caresses, par ses prières et sa conduite son beau-père et son mari dans mes intérêts, sans qu'ils entrassent en aucun tempérament là-dessus.

Si M. de Bar, qui est homme de grand mérite, qui a beaucoup d'honneur et de fidélité, qui a eu la même protection autrefois que nous et qui m'a donné des paroles formelles de son amitié, vouloit aussi se tenir dans la citadelle d'Amiens, et y mettre un peu de monde extraordinaire et de munitions, sans rien faire néanmoins que. de confirmer M. le comte de Charost et s'assurer encore de ses amis et du crédit qu'il m'a dit avoir sur M. de Bellebrune, gouverneur de Hesdin et sur M. de Mondejeu, gouverneur d'Arras !...

M. le marquis de Créquy pourroit faire souvenir M. de Fabert des paroles formelles qu'il m'a données et à lui par écrit d'être dans mes intérêts, et la marque qu'il faudroit lui en demander, s'il persistoit en cette volonté, seroit que lui et M. de Fabert écrivissent à Son Éminence en ma faveur fort pressamment pour obtenir ma liberté, qu'il promît d'être ma caution de ne rien entreprendre, et, s'il ne pouvoit rien obtenir, qu'il insinuât que tous les gouverneurs ci-dessus nommés donneroient aussi leur parole pour moi. Et en cas que M. de Fabert ne voulût pas pousser l'affaire et s'engager si avant, M. le marquis de Créquy pourroit agir et faire des ef forts en son nom et de tous lesdits gouverneurs, par lettres et se tenant dans leurs places...

Je n'ai point dit ci-dessus la première chose de toutes par où il faudroit commencer, mais fort secrètement, qui seroit d'envoyer, au moment de notre détention, les gentilshommes de nos amis et qui sont assurés, comme du Fresne, La Garde, Devaux, Bellegarde et ceux dont ils voudroient répondre, pour se jeter sans éclat dans Ham.

M. le chevalier de Maupeou pourroit donner des sergents assurés et y faire filer quelques soldats tant de sa compagnie que de celles de ses amis.

Et comme il y a grande apparence que le premier effort seroit contre Ham, que l'on tâcheroit de surprendre, et que M. le marquis d'Hocquincourt même, qui est voisin, pourroit observer ce qui s'y passe pour en donner avis à la cotir, il faudroit dès les premiers moments que M. le marquis de Créquy envoyât des hommes le plus qu'il pourroit, sans faire néanmoins rien mal à propos.

Que Devaux y mît des cavaliers, et en un mot que la place fût munie de tout.

Il faudroit paur cet effet envoyer un homme en diligence à Concarneau trouver Deslandes[30], dont je connois le cœur, l'expérience et la fidélité, pour lui donner avis de mon emprisonnement et ordre de ne rien faire d'éclat en sa province, ne point parler et se tenir en repos, crainte que d'en user autrement ne donnât occasion de nous faire notre procès et nous pousser ; mais il pourroit, sans dire mot, fortifier sa place d'hommes, de munitions de toutes sortes, retirer les vaisseaux qu'il auroit à la mer, et tenir toutes les affaires en bon état, acheter des chevaux et autres choses, pour s'en servir quand il seroit temps...

Prendre garde surtout à ne point écrire aucune chose importante par la poste, mais envoyer partout des hommes exprès, soit cavaliers ou gens de pied, ou religieux.

Le père de Champneuf n'a pas tout le secret et toute la discrétion nécessaire, mais je suis tout à fait certain de son affection, et il pourroit être employé à quelque chose de ce commerce de lettres par des jésuites, de maison en maison.

Ceux du conseil desquels il se faudroit servir sur tous les autres, ce seroient MM. de Brancas, de Langlade et de Gour-ville, lesquels assurément m'ayant beaucoup d'obligation, et ayant éprouvé leur conduite et leur fidélité en divers rencontres, et leur ayant confié le secret de toutes mes affaires, sont plus capables d'agir que d'autres, et de s'assurer des amis qu'ils connoissent obligés à ne me pas abandonner.

J'ai beaucoup de confiance en M. le duc de La Rochefoucauld et en sa capacité ; il m'a donné des paroles si précises d'être dans mes intérêts en bonne ou mauvaise fortune, envers et contre tous, que comme il est homme d'honneur et reconnoissant la manière dont j'ai vécu avec lui et les services que j'ai eu l'intention de lui rendre, je suis persuadé que lui et M. de Marsillac ne me manqueroient jamais...

Je ne serois pas d'avis néanmoins que le parlement s'assemblât pour me redemander avec trop de chaleur, mais tout au plus une fois ou deux par bienséance, pour dire qu'il en faut supplier le roi ; et il seroit très-important que de cela mes amis en fussent avertis au plus tôt, particulièrement M. de Harlay, que j'estime un des plus fidèles et des meilleurs amis que j'aie, et MM. de Maupeou, Miron et Jannart, de crainte que l'on ne prit le parti de dire que le roi veut me faire mon procès, et que cela ne mît l'affaire en pires termes...

Une des choses les plus nécessaires à observer est que M. Langlade et M. de Gourville sortent de Paris, se mettent en sûreté, fassent savoir de leurs nouvelles à madame du Plessis, au marquis de Créquy, à M. de Brancas et autres, et qu'ils laissent à Paris quelque homme de leur connoissance capable d'exécuter quelque entreprise considérable, s'il en étoit besoin.

ADDITIONS FAITES EN 1658, APRÈS L'ACQUISITION DE BELLE-ILE.

Il est bon que mes amis soient avertis que M. le commandeur de Neuchèse me doit le rétablissement de sa fortune, que sa charge de vice-amiral a été payée des deniers que je lui ai donnés par les mains de madame du Plessis, et que jamais un homme n'a donné des paroles plus formelles que lui d'être dans mes intérêts en tout temps, sans distinction et sans réserve, envers et contre tous...

M. d'Agde[31], par sous-main, conduira de grandes négociations dans le parlement, sur d'autres sujets que le mien, et même par mes amis assurés dans les autres parlements, où on ne manque jamais de matière, à l'occasion des levées — Impôts —, de donner des arrêts et troubler les recettes ; ce qui fait que l'on n'est pas si hardi dans ces temps-là à pousser une violence, et on ne veut pas tant d'affaires à la fois.

Le clergé peut encore par son moyen, et de M. de Narbonne[32], fournir des occasions d'affaires en si grand nombre que l'on voudra, en demandant les États généraux avec la noblesse, ou des conciles nationaux, qu'ils pourroient convoquer d'euxmèmes en lieux éloignés des troupes et y proposer mille matières délicates...

Voilà l'état où il faudroit mettre les choses, sans faire d'autres pas, si on se contentoit de me tenir prisonnier ; mais si on passoit outre et que l'on voulût faire mon procès, il faudroit faire d'autres pas. Et après que tous les gouverneurs auroient écrit à Son Éminence pour demander ma liberté, avec termes pressants comme mes amis, s'ils n'obtenoient promptement l'effet de leur demande et que l'on continuât à faire la moindre procédure, il faudroit en ce cas montrer leur bonne volonté et commencer tout d'un coup, sous divers prétextes de ce qui leur seroit dû, à arrêter tous les deniers des recettes, non-seulement de leurs places, mais des lieux où leurs garnisons pourroient courre, faire faire nouveau serment à tous leurs officiers et soldats, mettre dehors tous les habitants ou soldats suspects peu à peu, et publier un manifeste contre l'oppression et la violence du gouvernement...

Il est impossible, ces choses étant bien conduites, se joignant à tous les malcontents par d'autres intérêts, que l'on ne fit une affaire assez forte pour tenir les choses longtemps en balance et en venir à une bonne composition, d'autant plus qu'on ne demanderoit que la liberté d'un homme qui donneroit des cautions de ne faire aucun mal.

Je ne dis point qu'il faudroit ôter tous mes papiers, mon argent, ma vaisselle et les meubles plus considérables de mes maisons de Paris, de Saint-Mandé, de chez M. Bruant, et les mettre dès le premier jour à couvert dans une ou plusieurs maisons religieuses, et s'assurer d'un procureur au parlement, fidèle et zélé, qui pourroit être donné par M. de Meaupou, le président de la première...

Une chose qu'il ne faudroit pas manquer de tenter seroit d'enlever des plus considérables hommes du conseil, au même moment de la rupture, comme M. Le Tellier ou quelques autres de nos ennemis plus considérables, et bien faire sa partie pour la retraite ; ce qui n'est pas impossible.

Si on avoit des gens dans Paris assez hardis pour un coup considérable et quelqu'un de tète à les conduire, si les choses venoient à l'extrémité et que le procès fût bien avancé, ce seroit un coup embarrassant de prendre de force le rapporteur et les papiers ; ce que M. Jannart[33] ou autre de cette qualité pourroit bien indiquer, par le moyen de petits greffiers que l'on peut gagner ; et c'est une chose qui a pu être pratiquée au procès de M. de Chenailles le plus aisément du monde, où, si les minutes eussent été prises, il n'y avoit plus de preuves de rien.

M. Pellisson est un homme d'esprit et de fidélité auquel on pourroit prendre créance et qui pourroit servir utilement à composer les manifestes et autres ouvrages dont on auroit besoin, et porter des paroles secrètes des uns aux autres.

Pour cet effet encore, mettre des imprimeurs en lieu sûr ; il y en aura un à Belle-Île.

M. le premier président de Lamoignon, qui m'a l'obligation tout entière du poste qu'il occupe, auquel il ne seroit jamais parvenu, quelque mérite qu'il ait, si je ne lui en avois donné le dessein, si je ne l'avois cultivé et pris la conduite de tout avec des soins et applications incroyables, m'a donné tant de paroles de reconnoissance et de mérite, répétées si souvent à M. Chanut, à M. de Langlade et à madame du PlessisGuénégaud et autres, que je ne puis douter qu'il ne fit les derniers efforts pour moi. ; ce qu'il peut faire en plusieurs façons, en demandant lui-même personnellement ma liberté, en se rendant caution, en faisant connoitre qu'il ne cessera point d'en parler tous les jours qu'il ne l'ait obtenue ; que c'est son affaire ; qu'il quitteroit plutôt sa charge que se départir de cette sollicitation ; et faisant avec amitié et avec courage tout ce qu'il faut. Il est assuré qu'il n'y a rien de si facile à lui que d'en venir à bout, pourvu qu'il ne se rebute pas, et que l'on puisse être persuadé qu'il aura le dernier mécontentement si on le refuse, qu'il parle tous les jours sans relâche, et qu'il agisse comme je ferois pour un de mes amis en pareille occasion et dans une place aussi importante et aussi assurée[34]...

Tel était ce plan de guerre civile que Fouquet croyait avoir brûlé, et dont la découverte consterna ses amis. Malheureusement pour lui, tout n'était pas là. On trouva aussi dans ses papiers deux engagements plus que singuliers, dont les signataires, le capitaine Deslandes, mentionné dans le projet, et un président au parlement de Bretagne, du nom de Maridor, juraient de lui être fidèles et d'exécuter ses ordres, de préférence à ceux de qui que ce fût, sans réserve ni distinction. Ces engagements, dont les temps féodaux offrent de fréquents exemples[35], étaient caractéristiques. Voici d'abord celui du capitaine Deslandes :

Je promets et donne ma foi à Monseigneur le procureur général, surintendant des finances et ministre d'État, de n'être jamais à autre personne qu'à lui, auquel je me donne et m'attache du dernier attachement que je puis avoir, et je lui promets de le servir généralement contre toute personne sans exception, et de n'obéir à personne qu'à lui, ni même d'avoir aucun commerce avec ceux qu'il me défendra, et de lui remettre la place de Concarneau qu'il m'a confiée toutes les fois qu'il l'ordonnera. Je lui promets de sacrifier ma vie contre tous ceux qu'il lui plaira, de quelque qualité et condition qu'ils puissent être, sans en excepter dans le monde un seul. Pour assurance de quoi, je donne le présent billet écrit et signé de ma main, de ma propre volonté, sans qu'il l'ait même désire, ayant la bonté de se fier à ma parole qui lui est assurée, comme le doit un bon serviteur à son maitre.

Fait à Paris, le 2 juin 1658.

DESLANDES.

L'engagement du président Maridor était conçu dans les termes suivants :

Je promets à Monseigneur le procureur général, quoi qu'il puisse arriver, de demeurer en tout temps parfaitement attaché à ses intérèts, sans aucune réserve ni distinction de personne, de quelque qualité et condition qu'elles puissent être, étant dans la résolution d'exécuter aveuglément ses ordres dans toutes les affaires qui se présenteront et le concerneront personnellement.

Fait ce vingtième octobre 1658.

MARIDOR.

A la nouvelle du projet de guerre civile et des deux engagements qu'on vient de lire, les amis de Fouquet le crurent perdu, et il l'était en effet si l'accusation avait su se borner. On sait le mot de Turenne : Ses ennemis, aurait-il dit, avoient fait la corde si grosse, qu'elle le fut trop pour l'étrangler. Un agent de Colbert, nommé Berryer[36], qui avait une grande part dans la direction du procès, lui donna par bonheur, pour accroître sa propre importance, un développement excessif, sauvant ainsi le surintendant d'une mort certaine. Multipliés sans mesure, les griefs de péculat occasionnèrent des vérifications de pièces et de registres qui furent suivies de discussions interminables. Pendant ce temps, l'opposition s'était formée et comptée. Si, d'un côté, l'avocat général Talon, qui avait de longue date voué à Fouquet une haine violente, stigmatisait sa vie et ses opérations dans d'éloquents réquisitoires, celui-ci, adroit à susciter des délais sans cesse renaissants, composait ses défenses plus éloquentes encore, et sa famille les faisait imprimer clandestinement en volumes dont le petit format favorisait la distribution. Une chose frappe surtout d'étonnement en lisant ces remarquables plaidoiries, c'est de voir que Fouquet a réponse à tout et ne passe jamais condamnation. A l'entendre, le cardinal Mazarin s'était enrichi de cinquante millions ; Colbert, son domestique, qui avait sa bourse et son cœur, Berryer et Foucault, créatures de Colbert, ne s'étaient pas oubliés et possédaient de grands biens. Seul, il n'avait pas abusé de sa charge, ni pour son compte, ni pour ses amis, pas même en faveur de Gourville, dans les Mémoires duquel on lit pourtant, au sujet de certaines opérations financières du surintendant qu'ayant sous les yeux des exemples de beaucoup de personnes qui étoient devenues extrêmement riches, il avoit beaucoup profité. Sans doute, il avait quelquefois négligé les formalités ; mais fallait-il compromettre le succès des armes royales ? Ces irrégularités, d'ailleurs, étaient depuis longtemps connues du roi qui les lui avait pardonnées. On n'était donc plus en droit de les lui opposer. Vainement Talon, précisant les faits, lui objectait qu'il avait donné en dix mois à Vatel, son maitre d'hôtel, 336.000 livres, et que la dépense de son domestique s'était élevée, pour 1660 seulement, à 371.000 livres[37]. Il répondait que les appointements de sa charge, le bien de sa femme, ses dettes présentes, qui n'étaient pas moindres de 12 millions, expliquaient sa dépense, fort exagérée par ses accusateurs. Il était beaucoup plus embarrassé pour répondre aux griefs tirés du projet de guerre civile et de ses propres lettres concernant les constructions de Vaux, dont les frais avaient atteint un tel chiffre, qu'une de ses préoccupations, dans les derniers temps, était d'en dérober la connaissance à Louis XIV, à Mazarin, à Colbert. On a vu le projet et les engagements ; les lettres n'étaient ni moins précises, ni moins accablantes.

— Le roi doit aller dans peu à Fontainebleau, écrivait-il le 8 juin 1659 à un de ses serviteurs ; j'aurai grande compagnie à Vaux, mais il n'en faut point parler, et débarrasser pendant ce temps toutes choses, pour qu'il y paroisse le moins qu'il se pourra d'ouvrages à faire.

Du 21 novembre 1660. — J'ai appris que le roi doit aller, et toute la cour, à Fontainebleau, dès le printemps, et comme dans ce temps-là le grand nombre d'ouvriers et les gros ouvrages du transport des terres ne peuvent pas paroitre sans me faire bien de la peine, je veux maintenant les finir. Je vous prie, en cette saison que peu de gens vont à Vaux, de doubler le nombre de vos ouvriers. Je vous enverrai autant d'argent qu'il en faudra.

Enfin, Vatel écrivait un jour à un agent de Fouquet :

J'oubliois à vous mander que Monseigneur a témoigné qu'il seroit bien aise de savoir quand M. Colbert a été à Vaux, qui fut un jour ou deux après qu'il en fut parti, en quels endroits il a été et qui l'a accompagné et entretenu pendant sa promenade, el même ce qu'il a dit ; ce qu'il faut tâcher de savoir sans affectation, et même les personnes à qui il a parlé[38].

La chambre de justice avait tenu sa première séance le 16 décembre 1661. On pense bien que tous les yeux étaient fixés sur elle. Le président de Lamoignon raconte qu'étant allé à Fontainebleau quelque temps auparavant, à l'occasion de la naissance du dauphin, pour complimenter le roi, il l'avait trouvé tout préoccupé de Fouquet. Il vouloit se faire duc de Bretagne et roi des îles adjacentes, disait Louis XIV ; il gagnoit tout le monde par ses profusions ; je n'avois plus personne en qui je pusse prendre confiance[39]. Malgré le soin mis à la composer, la chambre de justice éleva bientôt des difficultés inattendues qui obligèrent le roi et ses ministres, c'est Colbert lui-même qui nous l'apprend, à agir fortement pour dissiper ce qu'il appelle la cabale des dévots, à la tête de laquelle il met Lamoignon, mécontent de n'avoir aucune part aux affaires. Pour le même motif, Turenne, qui aurait désiré jouer un grand rôle dans le conseil, et Boucherat, plus tard chancelier, qui convoitait déjà cette haute position, firent, dit-il, cause commune avec les dévots que la mère de Fouquet, sainte et digne femme, depuis longtemps désireuse de sa conversion, même au prix d'une disgrâce, avait trouvé le moyen d'intéresser à sa cause[40]. Et cet aveu n'est pas isolé dans la correspondance du ministre ; plusieurs lettres montrent la part beaucoup trop active qu'il prit à la direction du procès. Un conseiller au parlement, Le Camus, lui écrivait au mois d'août 1663 : On a su dans la Compagnie que j'avois eu l'honneur de voir le roi. Je n'ai pas pu m'empêcher de dire à quelques-uns de ces Messieurs la manière dont le roi m'avoit parlé et le mécontentement qu'il m'avoit témoigné de la conduite de la Compagnie ; que je l'avois justifiée autant qu'il m'avoit été possible, mais qu'il étoit important d'ôter au roi les mauvaises impressions dont je l'avois trouvé prévenu. Cela a touché, et j'espère que Sa Majesté, dans la suite, n'aura pas sujet de se plaindre.

Le conseiller Le Camus se trompait, et la Compagnie continua de donner au roi et à Colbert de vifs sujets de mécontentement. Il y avait deux ans passés que le procès durait, et le résultat en devenait de plus en plus incertain. Parmi les commissaires que le public croyait favorables à l'accusé, parce que, se préoccupant extrêmement des formes de la procédure, ils résistaient avec fermeté aux impatiences de la cour, figurait en première ligne Olivier Lefèvre d'Ormesson, l'un des deux rapporteurs, ami de Lamoignon, qui l'avait fait entrer dans la chambre de justice, et auteur d'un précieux journal contenant sur les affaires du temps, notamment sur le procès de Fouquet, d'intéressants détails. On essaya d'abord de le gagner par son père, mais toutes les avances furent infructueuses. Il était intendant du Soissonnais et de la Picardie ; Colbert le destitua et lui fit dire que, s'il ne changeait pas de conduite, il n'aurait jamais plus d'emploi. D'Ormesson restant inébranlable, le ministre alla, de la part du roi, se plaindre à son père de ce qu'il éternisait le procès. La chambre de justice, aurait-il dit, ruine toutes les affaires, et il est fort extraordinaire qu'un grand roi, craint de toute l'Europe, ne puisse pas faire achever le procès d'un de ses sujets. Cette démarche fut encore sans résultat ; elle nuisit même à Colbert, contre lequel l'opinion était en ce moment très-surexcitée, à cause de ses opérations sur les rentes. De son côté, Le Tellier intervint auprès de plusieurs juges. Enfin, le 8 juillet 1664, le roi lui-même manda les deux rapporteurs, qu'il entretint longtemps en présence de Colbert et de Lionne, l'ancien ami du surintendant. Lorsque je trouvai bon, leur dit Louis XIV, que Fouquet eût un conseil libre, j'ai cru que son procès dureroit peu de temps ; mais il y a deux ans qu'il est commencé[41], et je souhaite ardemment qu'il finisse. Il y va de ma réputation. Ce n'est pas que ce soit une affaire de grande conséquence ; au contraire, je la considère comme une affaire de rien. Mais, dans les pays étrangers, où j'ai intérêt que ma puissance soit bien établie, l'on croiroit qu'elle n'est pas grande si je ne pouvois venir à bout de faire terminer une affaire de cette qualité contre un misérable. Je ne veux néanmoins que la justice ; mais je souhaite voir la fin de cette affaire, de quelque manière que ce soit[42]... Une pareille animosité contre un accusé, si coupable qu'il fût, était-elle digne d'un souverain parlant à des juges ? Il y eut cependant encore d'autres démarches. Quinze jours après, le 24 juillet, le greffier de la chambre de justice, Joseph Foucault, adressait au chancelier Séguier, qui la présidait, la lettre suivante, preuve authentique des manœuvres de la cour.

Monseigneur, votre prévoyance est immanquable ; M. Poncet — c'était un des juges qui votèrent la mort de Fouquet — a trouvé si peu de vraisemblance dans tout ce que lui a dit ce malheureux, qu'après l'avoir examiné tout le jour avec toute l'application et l'habileté dont vous savez qu'il est capable, il a jugé qu'il étoit plus à propos de n'en rien rédiger par écrit, que de donner matière à de nouvelles longueurs si préjudiciables aux affaires. L'on vous rendra, Monseigneur, compte de tout, et si la conduite qu'on a tenue n'est pas de votre approbation, les choses sont encore entières et en état d'être réglées par vos ordres[43]...

Les nombreux incidents suscités par Fouquet menaçaient de se succéder sans fin. Sachant que l'opinion publique lui devenait chaque jour plus propice, comptant sur elle pour contrebalancer l'influence des ministres et forcer la main à ses juges, il ne cherchait qu'à gagner du temps. Il avait demandé et obtenu communication des pièces du procès, et, d'après un des rapporteurs, il y en avait plus de soixante mille. Il voulut ensuite récuser le procureur général Talon et deux commissaires, dont l'un, le conseiller d'État Pussort, était oncle de Colbert, qu'il appelait obstinément sa partie ; mais la récusation ne fut pas admise. C'est ce Pussort dont le président de Lamoignon disait que c'étoit un homme de beaucoup d'intégrité et de capacité, mais féroce, d'un naturel peu sociable, emporté dans ses préventions, éloigné de l'honnêteté et de la déférence qu'on doit avoir dans une Compagnie, prévenu d'ailleurs de son bon sens et persuadé qu'il n'y avoit que lui seul qui eût bonne intention[44]. Plus tard enfin, Pussort fut censuré par la chambre de justice elle — même pour avoir signé un procès-verbal dressé par Berryer et contenant, contre l'accusé, des faits-qui furent reconnus faux.

Ces diverses circonstances étaient habilement exploitées par la famille et les amis de Fouquet, et par tous ceux qu'atteignaient les réductions de gages et de traitements, les remboursements et réductions de rentes, et les autres réformes opérées ou projetées par le contrôleur général. Peu à peu, le procès du surintendant était devenu un prétexte d'opposition contre le gouvernement ; la preuve en est dans l'appui que donnait alors à l'accusé cette cabale des dévots et des amis du cardinal de Retz, dont les intrigues avaient, même après la Fronde, exercé la patience de Mazarin. Les dévots, disait Olivier d'Ormesson[45], sont pour M. Fouquet. Tandis que le curé de Saint-Nicolas-des-Champs sollicitait pour lui, les religieuses de la Visitation[46] cherchaient à influencer le chancelier Séguier, qui, malgré sa piété, resta inflexible. Claude Joly et ces religieuses n'avaient nulle sympathie pour l'accusé ; mais on parlait en ce moment de supprimer un certain nombre de fêtes que Colbert jugeait inutiles, de reculer l'âge des vœux et d'empêcher les religieuses de recevoir des dots ou des pensions[47]. Il n'en fallait pas tant pour motiver l'opposition de la cabale. Ajoutons que, grâce à la complicité chaque jour plus irrésistible de l'opinion, les émouvantes plaidoiries de Pellisson pénétraient dans toutes les maisons, étaient dans toutes les mains, touchaient tous les cœurs. Éludant adroitement les points vulnérables, Pellisson exagérait les services rendus par Fouquet, attribuait les fautes aux nécessités du temps, et persuadait de son entière innocence ceux-là mêmes qui, après son arrestation, l'auraient sans pitié envoyé au gibet.

D'incidents en incidents, on était arrivé au mois de juillet 1664, c'est-à-dire que le procès durait depuis deux ans et demi, et l'accusé n'avait pas encore comparu devant la chambre de justice. Cette chambre eut, vers la même époque, une recrudescence de sévérité qui jeta la consternation parmi les amis de Fouquet. Dans l'espace de quelques mois, plusieurs sergents des tailles furent envoyés aux galères ou bannis, et leurs charges confisquées ; deux autres furent pendus. Un financier, nommé Dumont, en faveur de qui on s'était beaucoup agité, fut condamné à mort pour cause de péculat, et exécuté. De son côté, Gourville avait été condamné à la même peine par contumace pour crime d'abus, malversations et vols par lui commis ès finances du roi ; sans compter, disait l'arrêt, les violentes présomptions de lèse-majesté, pour sa participation à cet écrit fameux qui contient un projet de moyens pour rallumer la sédition dans le royaume. Sur ces entrefaites, le président de Lamoignon, que la cour ne croyait plus assez dévoué parce qu'il paraissait incliner à la clémence, avait été invité à cesser de s'occuper du procès de Fouquet, que le chancelier Séguier dirigea depuis lors exclusivement ; et Denis Talon, si zélé au début, mais dont l'ardeur ne s'était pas soutenue, avait fait place, comme procureur général, à M. de Chamillart[48].

Enfin, le 14 novembre 1664, la chambre de justice, réunie à l'Arsenal, entendit les conclusions du nouveau procureur général. Elles étaient prévues et portaient ce qui suit : Je requiers pour le Roi, Nicolas Fouquet, être déclaré atteint et convaincu du crime de péculat et autres cas mentionnés au procès, et, pour réparation, condamné à être pendu et étranglé jusqu'à ce que mort s'ensuive, en une potence qui, pour cet effet, sera dressée en la cour du palais, et à rendre et restituer au profit du Seigneur Roi toutes les sommes qui se trouveroient avoir été diverties par ledit Fouquet ou par ses commis, pendant le temps de son administration. Le procureur général requérait en outre la confiscation de tous les biens de l'accusé, prélèvement fait de la somme de 80.000 livres parisis d'amende envers le roi.

Appelé, le même jour, à comparaître devant la chambre de justice, Fouquet débuta par décliner la compétence de ses juges ; mais le président lui ayant déclaré qu'on lui ferait son procès comme à un muet, il consentit à répondre, tout en renouvelant ses protestations à chaque séance.

Nous n'entrerons pas dans les détails très-confus du procès de péculat ; il importe cependant de rappeler quel était à cette époque le mécanisme administratif du trésor royal. Le surintendant des finances n'était pas, comme on pourrait le supposer, un fonctionnaire comptable recevant et dépensant les deniers de l'État ; il était seulement agent ordonnateur pour la recette et la dépense. Celles-ci se faisaient chez les trésoriers de l'Épargne, seuls agents comptables, seuls justiciables de la chambre des comptes. Le surintendant n'était justiciable que du roi. C'est ce que Fouquet rappelle souvent dans ses défenses, citant à ce sujet ses lettres de nomination où il est dit textuellement qu'il ne sera tenu de rendre raison en la chambre des comptes, ni ailleurs qu'à la personne du roi, dont celui-ci l'a de sa grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, relevé et dispensé. Les finances du royaume et la gestion du surintendant n'étaient pas au surplus exemptes de contrôle. D'abord, aucune somme ne pouvait être reçue ou payée sans être ordonnancée par le surintendant et portée sur les registres de l'Épargne. En même temps, le trésorier en exercice — il y en avait trois exerçant à tour de rôle  — tenait un autre registre, dit registre des fonds, sur lequel étaient inscrites jour par jour toutes les sommes versée à l'Épargne ou payées par elle, avec l'origine et les motifs de la recette et de la dépense, et les noms des parties. Le registre des fonds n'était pas produit à la chambre des comptes ; il demeurait secret entre le surintendant et le roi. Ajoutons que l'agent qui le tenait et les trésoriers de l'Épargne, étant nommés par le roi, étaient tout à fait indépendants du surintendant.

Cette organisation, qui semblait de nature à prévenir tous les abus, en couvrait pourtant de monstrueux. Les ordonnances de payement délivrées par le surintendant devaient indiquer le fonds spécial destiné à les acquitter, et le trésorier de l'Épargne ne pouvait payer qu'autant qu'il avait des valeurs appartenant à ce fonds. N'en ayant presque jamais, vu la pénurie ordinaire du trésor, il donnait en échange un billet dit de l'Épargne sur le fermier de l'impôt désigné dans l'ordonnance de payement. Or il y avait des fonds excellents, et d'autres plus que douteux. De là des différences considérables dans la valeur des billets de l'Épargne. Fouquet et Pellisson conviennent, en outre, qu'on délivrait souvent, par erreur ou sciemment, des ordonnances trois ou quatre fois supérieures au fonds qui devait les acquitter. On faisait alors ce qui s'appelait une réassignation, c'est-à-dire un nouvel ordre de payement sur un autre fonds, et quelquefois sur un autre exercice. La même opération se pratiquait pour tous les billets d'une date un peu ancienne qui n'avaient pu être payés sur les fonds primitivement désignés ; car plus un billet était vieux, plus il était difficile d'en obtenir le payement, et il y en avait qui étaient ainsi réassignés cinq à six fois, sur de mauvais fonds. Il va sans dire que les personnages en faveur trouvaient toujours le secret de se les faire payer. De leur côté, les traitants, les partisans, les fermiers, ceux qui pouvaient faire de grandes avances, stipulaient que leurs anciens billets seraient réassignés sur de bons fonds, et l'on acceptait même au pair, dans leurs versements, des quantités considérables de ces billets qu'ils s'étaient procurés à vil prix.

Un autre abus, plus grave encore, fut signalé dans le procès de Fouquet. Les lois du royaume ne permettant pas d'emprunter au-dessus du denier 18 — 5,55 pour 100 —, la chambre des comptes ne pouvait admettre ostensiblement un intérêt plus élevé. Cependant, des emprunts avaient été faits fréquemment au taux énorme de 15 à18 pour 100, souvent davantage. Il fallait alors, pour légaliser l'opération, augmenter artificiellement le chiffre de l'émission et délivrer, sous des noms en blanc, des ordonnances de remboursement qui ne devaient pas être payées. Or il fut constaté qu'une ordonnance de payement pour un prêt de 6 millions, qui en définitive n'avait pas eu lieu, le prêt ayant été annulé, fut payée comme si l'État en avait reçu les fonds. Un trait de l'époque, c'est que les financiers voulaient bien avancer de l'argent à Fouquet, mais non à Mazarin, au gouvernement. L'homme privé inspirait plus de confiance que le premier ministre, que l'État. Que faisait dans ce cas le surintendant ? Il prêtait à l'État des sommes empruntées par lui aux particuliers, et on lui fit un grief, dans son procès, d'avoir retiré de ces prêts qu'il avouait, dont il se glorifiait, des intérêts usuraires. Il se délivrait ensuite des ordonnances de remboursement qui étaient payées au moyen de billets de l'Épargne, au fur et à mesure de la rentrée des impôts. Il avait même imaginé, pour simplifier ses opérations et éviter les retards, de faire verser le produit des impôts dans sa caisse, de sorte que l'Épargne se faisait chez lui. Ainsi, les deniers de l'État étaient confondus avec ses propres deniers, et il était tout à la fois ordonnateur, receveur et payeur.

Sommé de s'expliquer sur trois pensions de cent dix, cent vingt et cent quarante mille livres qu'il recevait des fermiers, Fouquet ne put nier, et se contenta de se justifier, tantôt par le motif que le cardinal Mazarin y avait consenti pour le rembourser de ses avances, tantôt par des subtilités débitées d'une manière insinuante et avec une faconde imperturbable qui étonnait ses juges. Une seule fois il s'emporta, mais ses amis l'en ayant blâmé, il se ravisa le lendemain. Heureusement pour lui, le chancelier ne connaissait pas les questions de finances, et, loin de le pousser sur ce point, il était lui-même souvent embarrassé. Le conseiller Pussort venait alors à son aide avec une violence qui servait l'accusé. Vive, colorée, intarissable, la parole de celui-ci fatiguait le chancelier, qui cherchait vainement à l'arrêter dans ses explications. Monsieur, lui dit-il un jour, je vous supplie de me donner le loisir de répondre. Vous m'interrogez, et il semble que vous ne vouliez pas écouter ma réponse. Il m'est important que je parle : il y a plusieurs articles qu'il faut que j'éclaircisse, et il est juste que je réponde sur tous ceux qui sont dans mon procès.

L'interrogatoire relatif au projet de révolte dans le cas où il aurait été arrêté, présenta un intérêt particulier. Visiblement confus et embarrassé d'être obligé de subir la lecture de cet écrit, Fouquet s'excusa en disant que ce n'était qu'une pensée extravagante, ridicule, qu'il avait depuis complètement oubliée, et qui ne pouvait constituer un chef d'accusation sérieux. Sur ce point essentiel, la situation du chancelier Séguier était particulièrement délicate. Son rôle, pendant la Fronde, avait été plus qu'équivoque, et le duc de Sully, son gendre, avait, en 1652, livré le pont de Mantes à l'armée espagnole. Quel que fût son embarras, il ne pouvait s'empêcher de qualifier de crime d'État le projet de Fouquet. Celui-ci, qui semblait l'attendre à ce mot, répliqua avec feu que ceux-là étoient coupables de crime d'État qui, remplissant des fonctions considérables et connoissant les secrets du prince, passoient tout à coup avec leur famille du côté de ses ennemis et introduisoient une armée étrangère dans le royaume. Quant à lui, son projet, dont il ne pouvoit d'ailleurs que rougir, étoit une extravagance et rien de plus. Troublé, déconcerté, le chancelier Séguier laissa parler Fouquet sur ce ton tant qu'il voulut, au grand mécontentement de Pussort. On ne s'entretint le lendemain dans Paris que de cette scène de la chambre de justice et de la pauvre figure qu'y avait faite le chancelier.

Les rapporteurs du procès prirent enfin la parole. Les amis de Fouquet avaient placé toutes leurs espérances dans Olivier d'Ormesson. Il parla le premier, pendant cinq jours, et conclut au bannissement et à la confiscation de tous les biens. On fut satisfait de moi, et j'en remercie Dieu, écrivait-il le soir même dans son journal. Jamais il ne s'est fait tant de prières que pour cette affaire. La conjoncture des rentes et autres affaires publiques où tout le monde s'est trouvé blessé, fait qu'il n'y a personne qui ne souhaite le salut de M. Fouquet, autant par haine pour ses ennemis que par amitié pour lui. Parmi les prières dont parle d'Ormesson, celles de madame de Sévigné, sa parente, du président de Lamoignon, de Turenne, ne durent pas nuire à Fouquet. Le second rapporteur, Le Cormier de Sainte-Hélène, du parlement de Rouen, parla languidement et sans effet, dit d'Ormesson, et conclut à la peine de mort. Après eux, chacun des juges dut motiver son opinion. Quoique bien connue d'avance, celle du conseiller Pussort était impatiemment attendue, parce que, derrière lui, le public s'obstinait à voir Colbert. Comme le rapporteur Sainte-Hélène, il vota la mort, après un discours véhément qui dura cinq heures. Seulement, par égard pour les charges que l'accusé avait exercées, et bien qu'il eût mérité la corde et le gibet, Pussort conclut à la décapitation. On reconnut là ce naturel féroce que lui reprochait Lamoignon ; et madame de Sévigné de dire, non sans raison : Je saute aux nues, quand je pense à cette infamie. Un juge nommé Massenau, du parlement de Toulouse, succéda à Pussort et donna un spectacle différent. Il s'était fait transporter à la chambre de justice, malgré l'avis des médecins. Surpris par d'atroces douleurs, il sortit un instant, rendit deux pierres d'une grosseur si considérable, observe madame de Sévigné, qu'en vérité cela pourroit passer pour un miracle, et revint voter comme d'Ormesson, en disant : Il faut mourir ici. Le président de Pontchartrain, qui avait résisté aux tentations de places et d'argent les plus séduisantes, vota de même et brisa sa carrière. Commencé le 13 décembre, le vote ne finit que le 20. On se figure l'impatience, les terreurs, les vœux et les souhaits des uns et des autres, pendant ces longues journées. Quand vint, après tous les autres, le tour du chancelier, il vota pour la mort, bien que treize voix sur vingt-deux eussent déjà assuré la vie de Fouquet.

Répandue immédiatement dans Paris, cette nouvelle y causa, raconte d'Ormesson, une joie extrême, même chez les plus petites gens. Chacun, ajoute-t-il, avec une passion d'ailleurs évidente, donnoit mille bénédictions à mon nom sans me connoître. Ainsi, M. Fouquet qui avait été en horreur lors de son emprisonnement, et que tout Paris eût vu exécuter avec joie incontinent après son procès commencé, est devenu le sujet de la douleur et de la commisération publique par la haine que tout le monde a dans le cœur contre le gouvernement présent, et c'est la véritable cause de l'applaudissement général pour mon avis... Les fautes importantes dans les inventaires, les coups de haine et d'autorité, les faussetés de Berryer, et le mauvais traitement que tout le mande et même les juges recevoient dans leur fortune particulière, ont été de grands motifs pour sauver M. Fouquet de la peine capitale[49].

On a, dans ces aveux naïfs, l'explication de la douceur avec laquelle la chambre de justice traita Fouquet. Au moment où la sentence fut rendue, l'accusé avait en quelque sorte disparu, et il ne s'agissait plus, pour la majorité des juges, que de donner une leçon au gouvernement, ou plutôt à Colbert. Tel fut, au début de son ministère, l'effet des réformes qu'il exécutait avec un empressement généreux et qui ont rendu son nom immortel. On sait les sollicitations ardentes de quelques amis illustres et dévoués. Le tort de Colbert fut d'opposer l'intrigue à l'intrigue, en y ajoutant, ce que ne pouvaient faire ses adversaires, le poids des promesses et des menaces du pouvoir le plus absolu qui fut jamais. Sans ces manœuvres, qu'on ne saurait trop réprouver et qui allèrent contre le but tant souhaité, la chambre de justice, prenant un moyen terme entre l'arrêt qui fut adopté et les désirs de la cour, aurait probablement condamné Fouquet à la détention perpétuelle et à la confiscation. Louis XIV avait annoncé, quelques jours avant l'arrêt, son intention de le laisser exécuter dans toute sa rigueur s'il portait la peine de mort[50]. Heureusement, la chambre de justice épargna cette tache à son règne. C'est trop déjà pour sa mémoire que, modifiant arbitrairement un jugement rendu par des commissaires qu'il avait lui-même choisis, il ait remplacé le bannissement par la prison perpétuelle. On a dit, pour sa justification et pour celle de Colbert, que cette aggravation de peine était commandée par la raison d'État. Fouquet connaissait-il d'importants secrets qu'on aurait craint de lui voir divulguer ? Savait-il, entre autres, celui du Masque de fer, en admettant que l'homme au masque de fer ait réellement existé ? Autant d'énigmes historiques dont on n'aura sans doute jamais le mot.

Outré de ce qui lui semblait, dans les juges de Fouquet, un excès de partialité ou une connivence coupable avec les ennemis de l'État, irrité des marques d'intérêt qu'ils recevaient du public, le gouvernement ou plutôt Colbert — car la faveur dont il jouissait était alors sans contrepoids  — perdit toute mesure. On a vu d'Ormesson dépouillé de son intendance ; il était encore conseiller d'État, on le destitua. Un conseiller du parlement de Provence, nommé Roquesante, qui avait voté le bannissement et que, vingt ans après, madame de Sévigné appelait encore le divin Roquesante, fut relégué à Quimper-Corentin, pour avoir, disait-on, sollicité des fermiers des gabelles une pension destinée à une dame ; mais le public vit là un acte de colère, et Guy Patin écrivit : Un commissaire exilé ! voilà ce qui ne s'est jamais vu. Un avocat général au Grand Conseil fut aussi banni pour avoir dit à l'un des juges qu'il se déshonorerait s'il suivait l'exemple de Chamillart et de Pussort. On sait enfin que le président de Pontchartrain, l'un des juges de Fouquet, et son fils[51], payèrent d'une longue disgrâce leur bienveillance pour le surintendant et le respect gardé pour les formes au détriment de la stricte justice.

Quoi qu'il en soit, cette affaire à jamais célèbre, qui avait failli compromettre la fortune de Colbert, et qui, à deux siècles de distance, divise et passionne encore les historiens, était terminée. Cependant la chambre de justice ne fut dissoute qu'en 1669 ; mais, à cette époque, elle avait fini ses opérations depuis plusieurs années. On calcula, quand elles furent définitivement closes, que les amendes, restitutions et confiscations prononcées ne s'étaient pas élevées à moins de cent dix millions et avaient frappé plus de cinq cents individus, dont quelques-uns eurent à payer jusqu'à deux et trois millions. Sans parler de plusieurs condamnations à mort, la réaction contre les traitants et les financiers avait, comme toujours, dépassé le but. Pouvait-il en être autrement après le récent scandale de certaines fortunes contrastant avec la longue détresse du trésor royal et les besoins de chaque jour pour une multitude d'œuvres glorieuses ou utiles ? Les financiers furent donc largement mis à contribution, et la chambre de justice les traita sans pitié. Ce que la France y gagna de plus clair, ce fut la certitude que le temps des dilapidations et des liches connivences était passé, et que les finances allaient, par les soins de Colbert, être régénérées.

Il n'avait pas attendu la condamnation de Fouquet pour se mettre à l'œuvre. Emporté, dès le début de sa carrière, par cette passion des réformes, besoin de sa Nature, il s'y était livré d'abord avec une ardeur compromettante. L'obstacle des premiers temps une fois franchi, l'adversaire enfin vaincu et abattu de manière à ne plus se relever, Colbert, libre désormais de toute préoccupation et jouissant de l'entière faveur du roi, mais mûri aux affaires et rendu plus prudent par l'expérience, porta son esprit investigateur sur les diverses parties de l'administration publique, imprima à tous ses rouages une activité féconde et fit aux abus de toute sorte une guerre incessante, qui, à défaut des services rendus comme contrôleur général et comme ministre de la marine, devrait protéger son nom contre les attaques passionnées que les détracteurs systématiques d'un passé souvent glorieux ne lui épargnent pas.

 

 

 



[1] J'en ai trouvé les minutes au château de Dampierre, parmi les précieux manuscrits que M. le duc de Luynes a bien voulu mettre à ma disposition pour la publication des Lettres de Colbert.

[2] La Bibliothèque impériale possède ces lettres, reliées en deux volumes in-4°, de 246 et 334 pages. Elles font partie du fonds Baluze. M. Chéruel en a donné le sommaire et des extraits dans l'Appendice du tome second de ses curieux Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet.

[3] Journal d'Olivier d'Ormesson, publié par M. Chéruel dans la collection des Documents inédits sur l'Histoire de France ; t. II, p. 240. Le procès-verbal officiel de la chambre de justice confirme cette assertion.

[4] Une seule des lettres conservées parait contenir une allusion à madame de Sévigné ; elle est écrite par une femme. En voici quelques extraits : ... La dame que vous vîtes l'autre jour m'a paru fort satisfaite de vous ; elle vouloit retourner demain vous parler de son affaire ; mais je lui ai fait conseiller d'en donner la commission à quelqu'un de ses amis, ne croyant pas que des visites si fréquentes vous plussent fort, par les conséquences qu'on en pourroit tirer. Elle donnera cet emploi à Pomponne où à d'Hacqueville ; ni l'un ni l'autre ne savent que j'ai l'honneur de vous écrire... Brûlez ce billet, s'il vous plaît, et croyez que je ne vous demanderai jamais de précaution [que] quand cela sera bon à quelque chose. — M. Chéruel, Mémoires sur la vie de Fouquet, t. II, 294. — On connaît la vive amitié de madame de Sévigné pour Pomponne et pour d'Hacqueville. Ne serait-ce pas d'elle qu'il s'agit ici ? Quant à l'affaire mentionnée dans cette lettre, madame de Sévigné a expliqué que sa correspondance avec Fouquet avait pour objet une grâce qu'elle sollicitait pour M. de La Trousse, son parent.

[5] Il s'agit probablement de mademoiselle de Menneville et du duc de Damville qui, en attendant de réaliser la promesse qu'il lui avait faite de l'épouser, en tirait tout l'argent qu'il pouvait. Gréco à la chute de Fouquet, le duc de Damville eut un prétexte honnête de ne pas épouser mademoiselle de Menneville, qui s'enferma dans un couvent.

[6] Jésuite, confesseur de la reine-mère.

[7] On voit, plus tard, un sieur du Metz, garde du trésor royal ; c'est sans doute le même.

[8] Mémoires sur la vie de Fouquet, t. II.

[9] Henriette d'Angleterre.

[10] J'emprunte ces dernières citations à la biographie de la duchesse de La Vallière, précédant la nouvelle édition que j'ai donnée de ses Réflexions sur la miséricorde de Dieu. — Paris, Techener, 1860.

[11] En recommandant, le 9 août 1650, à Le Tellier, secrétaire d'État de la guerre le conseiller Fouquet, homme de naissance, de mérite et en état d'entrer un jour dans quelque charge considérable, Colbert ajoutait : Je ne croirois pas pouvoir payer en meilleure monnoie une partie de tout ce que je vous dois qu'en vous acquérant une centaine d'amis de cette sorte, si j'étois assez honnête homme pour cela.

[12] Commis de Fouquet, renvoyé par lui avant sa disgrâce.

[13] Bibl. imp. Mss. Mélanges Colbert, t. XXXII. — Copie fort ancienne et probablement de l'époque. Le mémoire original a échappé, si d'ailleurs il existe encore, à toutes mes recherches.

[14] Lettres de Colbert, t. I, Appendice, p. 514 et suivantes.

[15] Journal d'Olivier Lefèvre d'Ormesson, t. II, Introduction, p. LIII.

[16] Giuseppe Zongo Ondedei, l'un des confidents et des agents les plus actifs de Mazarin. Nommé en 1654 à l'évêché de Fréjus, il résida à la cour jusqu'à la mort du cardinal. Il mourut le 23 juillet 1674.

[17] Bibl. Imp. Mss. Fonds de l'Oratoire, 98, pièce 36. J'ai publié cette curieuse pièce en entier dans l'introduction du tome II des Lettres de Colbert.

[18] Bibl. Imp. Mss. Fonds Baluze, Lettres adressées à Fouquet. — C'est la lettre originale. Elle est citée par M. Chéruel.

[19] Mémoires pour servir à l'histoire des finances. — Lettres de Colbert, t. II, p. 66.

[20] L'abbé de Choisy prétend que c'est Colbert qui avait suggéré à Fouquet l'idée de vendre sa charge et d'en offrir le prix au roi.

[21] Les rapports sur le personnel de ces compagnies figurent dans la Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, publiée par Depping, t. II, 33.

[22] Journal d'Olivier d'Ormesson, II, Introduction, p. LIX et suivantes. Dans un livre plein d'intérêt : La misère au temps de la Fronde, M. Feillet a tracé récemment, d'après des documents contemporains inédits ou peu connus, un tableau animé de la détresse dei provinces dans ces temps malheureux.

[23] Fouquet faisait-il allusion au million provenant de sa charge et déposé à Vincennes, sur l'insinuation de Colbert, ou bien à une somme de 30.000 écus pour la marine que Louis XIV voulut tirer de lui avant son arrestation ? — Lettre du roi à la reine mère, du 5 septembre 1661.

[24] Causeries d'un curieux, par M. Feuillet de Couches, t. II, 532 ; d'après la pièce originale.

[25] Je l'ai publiée le premier, il y a longtemps, presque intégralement, dans la notice sur Fouquet placée en tête de mon Histoire de Colbert. Je n'en reproduis ici que les passages principaux. On la trouvera en entier dans l'introduction du tome II des Lettres de Colbert.

[26] Arrêtés de M. le président de Lamoignon, t. I ; Vie de M. de Lamoignon, par Gaillard.

[27] Quelques modifications avaient été faites à ce projet postérieurement à la rédaction première. Je les ai indiquées dans la reproduction complète.

[28] Phrase remplacée par celle-ci : Et que mon frère l'abbé, qui s'est divisé dans les derniers temps d'avec moy mal à propos, n'y fust pas et qu'on le laissast en liberté, il faudroit douter — redouter — qu'il eust esté gagné contre moy, et il seroit plus à craindre en cela qu'aucun autre. C'est pourquoy le premier ordre seroit d'en avertir un chacun, estre sur ses gardes et observer sa conduite.

[29] Cette phrase a été remplacée par la suivante : Si j'estois prisonnier et que l'on eust la liberté de me parler, je donneray les ordres de là, etc.

[30] Voir plus haut, son engagement.

[31] Louis Fouquet, son frère, alors coadjuteur de l'évêque d'Agde, était en même temps conseiller du parlement de Paris.

[32] François Fouquet, coadjuteur de l'archevêque de Narbonne.

[33] Substitut du procureur général au parlement. Un des plus agissans et capables hommes que je connoisse en affaires de palais, disait Fouquet.

[34] A la suite de la transcription du projet, sur le Procès-verbal officiel de la chambre de justice de 1661, Procès de Fouquet — Bibl. imp. Mss. —, on lit :

Et aurions interpellé le répondant de déclarer si lesdites six dernières feuilles et demie sont écrites entièrement de sa main, même les ratures et corrections étant en icelles ; à quoi le répondant, après avoir vu, lu et tenu à loisir chacune desdites six feuilles et demie et tout autant que bon lui a semblé, a dit et déclaré, l'écriture étant en icelles, même les ratures et corrections étant pareillement sur icelles, être entièrement de sa main et les avoir écrites de l'écriture dont il se sert ordinairement.

[35] J'en ai cité plusieurs dans Jacques Cœur et Charles VII, chap. IV.

[36] Louis Berryer, d'abord secrétaire du conseil, puis des commandements de Marie-Thérèse, procureur syndic perpétuel des secrétaires du roi, etc., devait sa fortune à Colbert, dont il fut jusqu'à la fin l'agent le plus dévoué. Peu ménagé par madame de Sévigné, dans ses lettres sur le procès de Fouquet. A la mort de Colbert, on le dénonça comme concussionnaire. Une commission avait été nommée pour vérifier ses comptes, quand sa mort fit cesser les poursuites commencées.

[37] Le chancelier Séguier alla plus loin et lui reprocha d'avoir porté cette dépense à 400.000 livres par mois, à quoi Fouquet répondit qu'on faisoit monter les dépenses à des sommes fortes, d'autant qu'elles étoient comptées deux et trois fois. Bibl. imp. Mss. Procès-verbal de la chambre de justice, t. X, fol. 128.

[38] Bibl. imp. Mss. S. F. 3,184. — Le manuscrit est intitulé : Procez-verbal de la levée du scellé apposé... sur un coffre trouvé dans la maison de Vaux... C'est le procès-verbal original.

[39] Arrêtés, etc., t. I. Vie de M. de Lamoignon.

[40] Lettres de Colbert, t. II, p. 54 et suivantes. Mémoires de Colbert pour servir à l'histoire des finances.

[41] Il y avait alors plus de trente mois que la chambre de justice siégeait.

[42] Journal d'Olivier d'Ormesson, t. II, p. 174.

[43] Bibl. imp. Mss. S. G. F. 709. Papiers de Séguier, vol. 39, fol. 13 ; lettre originale.

[44] Arrêtés, etc. De son côté, Saint-Simon a fait de Pussort le portrait suivant : Il étoit frère de la mère de M. Colbert, et fut toute sa vie le dictateur, l'arbitre et le maitre de toute cette famille si unie... Fort riche et fort avare, chagrin, difficile, glorieux, avec une mine de chat fâché qui annonçoit tout ce qu'il étoit et dont l'austérité faisoit peur et souvent beaucoup de mal, avec une malignité qui lui étoit naturelle. Parmi tout cela, beaucoup de probité, une grande capacité, extrêmement laborieux et toujours à la tète de toutes les grandes commissions du conseil et de toutes les affaires importantes. C'étoit un grand homme sec, d'aucune société, de dur et difficile accès, un fagot d'épines, sans amusement et sans délassement aucun, qui vouloit être maître partout, et qui l'émit parce qu'il se faisoit craindre ; qui étoit dangereux, insolent, et qui fut fort peu regretté... — Mémoires, II, 258.

[45] Journal, t. II, 117.

[46] Leur couvent, dit de Sainte-Marie-du-Faubourg, était situé rue Saint-Antoine ; il avait été fondé en 1628 par madame de Chantal.

[47] Mémoire de Colbert sur la réforme de la justice. — Revue rétrospective, 2e série, t. IV, 258.

[48] Père de celui qui fut dans la suite tout à la fois contrôleur général et secrétaire d'État de la guerre.

[49] Journal, t. II, p. 270 et suivantes.

[50] Racine, Fragments historiques.

[51] Celui-ci, déjà conseiller au parlement lors du procès, avait menacé son père de quitter la robe s'il voulait la mort de Fouquet. Il fut plus tard contrôleur général, secrétaire d'État à la marine, et enfin chancelier.