JACQUES CŒUR ET CHARLES VII - OU LA FRANCE AU XVe SIÈCLE

TOME SECOND

 

CHAPITRE XI.

 

 

La conquête de Guyenne est opérée grâce aux avances faites au roi par Jacques Cœur et aux prélèvements effectués sur ses biens. — Emprunt forcé sur les villes. — Élévation de l'impôt sur les vins. — Révolte à Bordeaux et dans la Gascogne au sujet de l'augmentation des impôts. — Nouvelle et définitive soumission de la Gascogne. — Belles médailles frappées à ce sujet. — Lois sur l'adultère au quinzième siècle. — La dame de Villequier et les nouvelles maîtresses du roi. — Dons à des astrologues, à des Sorciers et à divers. — Lettres de grâce accordées à Jean de Village, complice de l'évasion de Jacques Cœur. — Restitution de biens à Ravaut et à Geoffroy Cœur ainsi qu'à Guillaume de Varye. — Disgrâce d'Otto Castellani et de Guillaume Gouffier. — Détails à ce sujet. — Charles VII et ses favoris. — Le Dauphin et son père. — Causes de l'antipathie de Charles VII contre la ville et le séjour de Paris. — Description du château de Mehun-sur-Yèvre : Le château du Bois-sir-Amé. — Tristesse de Charles VII par suite de l'obstination du Dauphin à ne pas retourner auprès de lui. — Il craint d'être empoisonné, refuse de manger, et tombe mortellement malade. — Ses derniers moments. — Diversité des jugements sur ce prince. Son caractère, ses défauts, ses qualités. — Détails sur ses obsèques. — Louis XI est proclamé roi de France. — Épitaphe de Charles VII.

 

Cependant, grâce aux sommes considérables que Jacques Cœur avait avancées à Charles VII pour la campagne de Guyenne, la guerre, vivement conduite, avait été marquée par des succès inespérés, et, dès le mois d'août 1451, les Anglais ne conservaient plus en France d'autre place que celles de Guines et de Calais. Les cent mille écus que Charles VII s'était empressé de prélever sur les biens de Jacques Cœur, immédiatement après son arrestation, consolidèrent ces heureux résultats. Le 23 juin, la ville de Bordeaux avait capitulé, mais sous diverses réserves, et notamment à la condition qu'aucun nouvel impôt, taille, gabelle ou autre, ne pourrait être établi dans le pays. La Gascogne avait formé depuis longtemps des relations commerciales très-suivies et fort avantageuses avec l'Angleterre, à laquelle elle vendait une grande partie de ses vins. Par suite, elle s'était habituée à la domination anglaise. Il y avait dans tous les cas, soit à Bordeaux, soit dans la province, un parti anglais considérable. Il eût donc été à désirer, sous tous les rapports, que les engagements qui avaient -été pris avec les habitants de Bordeaux eussent été tenus ; il n'en fut pas ainsi. Bientôt, Charles VII établit en Gascogne les mêmes impôts que dans les autres provinces ; mais les esprits n'étant pas préparés à cette mesure, elle fut regardée comme un manque de foi, et les mécontentements ne tardèrent pas à éclater.

La mission de Charles VII, la plus grande qui puisse échoir à un roi, consistait à chasser l'étranger du territoire, quelques sacrifices qu'il dût en coûter. Cette mission, il l'accomplit, quoi qu'on en ait dit, honorablement. Il faut, à la vérité, retrancher en quelque sorte de son règne les dix premières années qui furent marquées par des faiblesses funestes. Mais on doit reconnaître que, pendant près de vingt ans, il marcha lentement et avec prudence, afin de ne pas le compromettre, vers le noble but qu'il s'était posé, sans jamais s'en laisser détourner un instant. Mais ce but lui imposait de dures nécessités. Il lui fallait notamment frapper sans cesse le royaume de nouvelles contributions au-dessus de ses forces. Lorsque, en 1450, il avait voulu compléter la conquête de la Normandie, il décida que les droits qui se levaient dans toutes les villes du royaume lui seraient attribués. La plupart des villes réclamèrent sous prétexte, les unes que les droits n'étaient pas rentrés, les autres qu'ils avaient été dépensés. Mettant au-dessus de tout la délivrance de la France, Charles VII décréta un emprunt forcé sur les gens les plus aisés des villes. Considéré, disent les Lettres qu'il adressa à ce sujet aux maires et consuls, l'inconvénient qui pourroit advenir à nous et à tout nostre royaume se, par faute d'argent, convenoit, que Dieu ne veuille ! nostre dite armée rompre ou désemparer, vous mandons expressément que, incontinent vues les présentes Lettres, cueillez et levez par emprunt, sur les plus puissants et aisez d'iceluy pays que verrez le povoir mieux promptement prester, et ce par prise de corps et de biens et par toutes les manières accoutumées[1]...

Un des impôts que Charles VII fut dans l'obligation d'augmenter et qui pesait le plus sur les populations était celui auquel était soumise la vente du vin au détail. Iceluy roy Charles, dit un chroniqueur du temps[2], remit sus et fist courir le quatriesme, en son royaulme, des vins vendus à détail, qui moult grevoit au digit royaulme. Cestuy quatriesme feust venu de cent à quatre ; car quand, anciennement, il feust permis sus, on meit au centiesme et du centiesme au cinquantiesme, puis au vingtiesme, puis au huitiesme et puis au quatriesme. Toutes ces choses et subsides couroient en France, sans les gabelles de sel qui y couroient, et quelques impositions et autres débites, dont le peuple estoit mangié...

Pendant la première année qui suivit leur soumission, les habitants de Bordeaux et de la Gascogne n'avaient pas vu augmenter leurs impositions. Cette époque expirée, le Gouvernement jugea sans doute que le moment était venu de soumettre cette province à la règle commune. Il est aisé de se figurer l'émotion que l'impôt du quart de la valeur sur les vins dut causer parmi ces populations. Un historien contemporain en a fait la description dans un récit où on voit en quelque sorte revivre toutes les passions du temps.

Après la rentrée volontaire de l'Aquitaine sous la domination de la France, les peuples demeurèrent, pendant un an, ainsi qu'on le leur avoit promis, exempts des tailles, collectes et autres exactions, qui, malheureusement, opprimoient le reste du royaume depuis bien des années. Mais les tyrans spoliateurs des autres parties de la France, envieux de la félicité et de la liberté de ces nouveaux sujets, levèrent bientôt sur eux des tributs, des collectes et des tailles, dont l'imposition se coloroit des prétextes les plus spécieux... — Ils disoient, entre autres, que Charles n'avoit d'autre but que d'assurer le repos de l'Aquitaine, et que l'impôt ne devoit paraître ni lourd ni fâcheux, étoit dépensé par les troupes mêmes chez ceux qui le payoient, et rentroit, pour ainsi dire, dans la bourse d'où il étoit sorti. Il falloit, d'ailleurs, s'opposer par tous les moyens aux manœuvres de l'Angleterre. En effet, c'étoit de l'Aquitaine qu'elle tiroit les vins dont elle étoit dépourvue ; c'étoit en Aquitaine que, pour les draps et les marchandises dont leur royaume abonde, les Anglois trouvoient un débouché sûr, avec la facilité de les faire passer de là en Espagne et dans les autres pays circonvoisins, au grand avantage de leur nation, plutôt que des Bordelois et des habitants de la Provence...

C'étoit par ces discours et ces prétextes ordinaires aux gens de finance, quand ils veulent étouffer les plaintes et les murmures des provinces de la France dont ils dévorent la substance, qu'on cherchoit à faire supporter aux Bordelois et aux Gascons le fardeau des impositions. Ces peuples résistoient toujours. Ils envoyèrent au roi une députation. — Les concessions qui leur avoient été faites de la part du prince devoient être respectées. Du temps des Anglais, ils avoient toujours été libres de l'incommodité des garnisons, des impositions et des tailles ; ce seroit mal pourvoir à leur véritable avantage, si, par une crainte peu fondée de malheurs incertains et invraisemblables, on les assujettissait à un esclavage présent et éternel. — La députation fut reçue par le roi à Bourges, et n'en fut pas écoutée. Indignée de ce refus, la province comprit qu'on étoit résolu à la traiter comme les autres provinces de la France où les sangsues de l'État avancent hardiment, comme une maxime fondamentale de gouverner, que le Roi a le droit de rendre tous ses sujets taillables, comme et quand il lui plaît. Dans cette position, les peuples de l'Aquitaine, surtout les habitants de Bordeaux, effrayés et consternés, de plus, excités par une partie de la noblesse, s'occupèrent secrètement à chercher le moyen de recouvrer leur ancienne liberté, et comme ils avoient beaucoup de rapports d'amitié et de relations d'intérêt avec plusieurs Anglais, ils traitèrent avec eux[3]...

Le 20 octobre 1452, un homme qui, depuis quarante ans, commandait les Anglais dans toutes les grandes batailles qu'ils avaient livrées et dont le nom seul était un objet d'effroi dans les provinces françaises du littoral, Talbot débarqua en Guyenne avec cinq mille combattants, bientôt suivis de quatre mille autres. Il n'avait pas moins de quatre-vingts ans et pouvait à peine marcher, disent les chroniques, tant il estoit vieil homme et usé. A son approche, Bordeaux s'agita ; presque aussitôt la ville lui ouvrit ses portes ; ceux-là même qui voulaient rester fidèles au roi de France n'eurent pas le temps de se retirer, et demeurèrent prisonniers. Charles VII était alors dans le Forez, préoccupé de nouveaux embarras que le Dauphin, fidèle à ses habitudes, trouvait toujours moyen de lui susciter. Il se hâta de conclure un' arrangement et se porta en toute hâte sur la Guyenne ; mais l'hiver était arrivé et les opérations furent suspendues. L'année suivante, les deux partis se trouvèrent encore une fois aux prises. Cependant, la position devenait de jour en jour plus critique pour Talbot, car les populations des campagnes, sans l'appui desquelles la lutte qu'il soutenait ne pouvait être de longue durée, se montraient peu sûres. Cette circonstance importante est attestée par la lettre suivante que Talbot lui-même adressa au châtelain de La Motte Seurin, en Saintonge.

Chastelain de La Mothe, ung vigneron que l'en dit Fabre, du bourg de La Haye, se est venu conplaindre devers moy que en une chevauchée des genz de votre forteresce il a perdu son charroy et beufz avec lesquels menoit une queue de vin et ne s'en est eschappé qu'a grant poyne, ayant eu grant menasses d'estre rigoureusement traictié, et mesmement d'estre enprisoner,- et a esté mnçoné à la some de IIIj pièces d'or, et sa dicte queue de vin a esté prinse et pillée par vos dictes genz en la dicte course, de quoy le dit Fabre est bien dolent, et en suis-je mesmement aussi des-plaisant ; car n'est tant seur le païs que le faille ainsi mollester et travailier chascun jour, et n'est toutes voyes profit de recogner ceulz qui nous puevent pourveoir des municion et vivres nécessaires. Et vous (veux) bien prier de vous donner de garde que encores en soit fait autres plaintes de semblables cas sur tant que ne voulez encorir mon desplaisir. Escript de Xaintes ce XXIII jour de may. TALBOT[4].

Ces sages recommandations, témoignage irrécusable de la vigilance et de la prudence de Talbot, n'eurent pas, heureusement pour la France, les résultats qu'il souhaitait. Le 17 juillet suivant, la journée de Castillon, où les Anglais perdirent plus de quatre mille hommes, et où Talbot lui-même fut tué, décida du sort de la campagne. Après un siège de près de deux mois, Bordeaux proposa de se rendre sous conditions. Le grand maître de l'artillerie offrait, dit-on, au roi de réduire la ville en cendres, si elle ne voulait pas se soumettre purement et simplement. Une pareille punition n'entrait pas dans les idées de Charles VII. Il admit la ville à composition, stipula que deux châteaux forts y seraient construits et se contenta d'une amende de trente mille écus d'or. Enfin, les droits sur les vins, cause première de la révolte, furent remplacés en Guyenne par un droit de 25 sous tournois sur chaque tonneau exporté ; un droit de 12 deniers pour livres fut en outre établi sur les autres marchandises tant importées qu'exportées[5].

Une médaille à jamais mémorable par la grandeur des souvenirs qu'elle rappelle et par la simplicité sublime des légendes qui furent adoptées consacra l'accomplissement de l'œuvre nationale que la Providence avait réservée à Charles VII. D'un côté, ce prince était représent6 assis sur son trône, le glaive de la justice à la main, ayant un ange ailé à sa droite et un autre à sa gauche, avec cette légende : DEUS JUDICIUM TUUM REGINA ET JUSTITIAM TUAM FILIO REGIS. Sur l'autre effigie de la médaille, un cheval lancé au galop emportait Charles VII, une épée nue à la main. La légende se composait de ces mots : DEUS ! KAROLUS MAXIMUS. AQUITANIORUM DUX. FRANCORUM FILIUS[6].

On a vu, à l'occasion de la mort d'Agnès Sorel, que la place de la favorite n'avait pas tardé à être occupée et que sa propre nièce, Antoinette de Maignelais, lui avait succédé. La conduite privée de Charles VII continuait d'être pour ses peuples un sujet de scandale. On ne sait pour quel motif il avait permis qu'Antoinette de Maignelais épousât le seigneur de Villequier ; peut-être celui-ci avait-il sollicité l'honneur de cette alliance qui lui valut une partie des dépouilles de Jacques Cœur[7]. Dans tous les cas, la nouvelle favorite n'en continua pas moins de suivre la cour. Or, à l'époque même où cela se passait l'adultère était puni des peines les phis sévères. Dans certaines provinces, l'homme et la femme surpris en flagrant délit d'adultère étaient promenés nus par la ville, à moins qu'ils ne payassent ou que quelqu'un ne payât pour eux soixante sous au seigneur ou au bailli[8]. Le mauvais exemple donné par le roi ne pouvait dope qu'affaiblir l'autorité. de la loi et corrompre les mœurs. La dame de Villequier avait d'ailleurs des rivales nombreuses. Après la belle Agnès et ceste-là, raconte un chroniqueur, en venist sus une tierche qu'on appeloit madame la Régente, prude femme, toutes voies, ce disoit-on, de son corps. Et puis, pour la quatriesme mist sus un.e fille de pastissier, laquelle fust appelée madame des Chaperons, pour ce qu'entre toutes aultres femmes du monde c'estoit elle qui mieux s'habilloit d'ung chaperon[9]. Les chroniqueurs contemporains étaient d'ailleurs bien loin de connaître toutes les femmes qui furent, plus ou moins longtemps, les maîtresses du roi. Un état de répartition d'une partie des aides de l'armée 1454 révèle les faits suivants qu'ils ignoraient[10] :

A madamoiselle de Villequier, pour luy aider à entretenir son estat[11], 2.000 liv.

A elle, pour don 260 liv. 10 s.

A Marguerite de Salignac, damoiselle, pour don à elle faict par le Roy pour luy aider à avoir une chambre pour sa gésine[12], 192 liv. 10-s.

A Jehan, simple archer du corps, pour l'occasion de son mariage[13], 700 liv.

A madame de Montsoreau, pour don, 300 liv.

Le même état de répartition contenait les allocations suivantes :

A maistre Loys d'Angoule, astrologien, pour don, 68 liv. 1 s.

A Colas le sourcier, pour don, 137 liv. 10 s.

A la nourrice de monsieur le Dauphin[14], 100 liv.

Au maistre d'escolle de monseigneur Charles, pour sa pension de la présente année, 300

A luy, pour don, 100 liv.

Au trésorier de la Royne, pour le payement des livres de monseigneur Charles, 200 liv.

Pour les gaiges des chappelains du Roy, 3.004 liv.

Au surplus, Charles VII ne se montrait pas seulement généreux envers ses maîtresses, il donnait aussi à la reine plus de quinze mille livres pour l'entretien de sa maison. Le reproche qu'on lui a fait de souffrir que ses maîtresses eussent un plus grand état de maison que la reine ne serait, donc pas fondé ou concernerait une époque antérieure. Le temps était loin où Marie d'Anjou se trouvait forcée d'expédier du vin dans les Flandres pour l'échanger contre de la toile et d'autres objets que l'état des finances ne lui permettait pas d'acheter dans le royaume. Enfin, le roi de Sicile, le duc de Bourbon, le comte du Maine, le duc d'Angoulême, Dunois et Xaintrailles figuraient aussi sur l'état de répartition de 1454 pour des sommes considérables.

Pendant les premières années qui suivirent la disgrâce die Jacques Cœur, Charles VII s'était, il faut le dire, montré sans pitié pour sou ancien favori et pour ses enfants. L'exécution de l'arrêt de condamnation fut d'abord poursuivie avec une grande rigueur. Les biens de son frère et de sa femme, englobés dans la confiscation, avaient, on l'a vu, échappé à ses enfants. Deux de ceux-ci avaient, eu outre, été condamnés à la prison et à faire amende honorable, pour avoir protesté contre le jugement qui avait frappé leur père. Cette rigueur ne se relâcha qu'après sa mort. Il fallut que la tombe se fût fermée sur lui pour que les ressentiments et les craintes qu'il avait excités fissent place à quelques sentiments de commisération envers sa famille et ses anciens serviteurs. Le premier de ceux-ci qui eut recours à la clémence du roi fut Jean de Village. Il avait, comme on sait, enlevé à main armée Jacques Cœur dans le couvent des Cordeliers de Beaucaire et facilité son évasion. Jean de Village avait joui jusqu'alors auprès du roi René d'une grande faveur, et celui-ci lui en avait donné une preuve significative en refusant, deux ans auparavant, de le livrer au procureur général du roi qui s'était rendu à Aix pour cet objet. Après la violation de territoire dont Jean de Village s'était rendu coupable, René fut obligé de le sacrifier. Ses biens furent confisqués ; on jeta sa femme et ses enfants en prison, et il aurait été sans doute plus durement traité lui-même s'il n'avait eu la précaution de se sauver. A peine Jacques Cœur était-il mort que les dispositions à l'égard de tous les siens et de ceux qui lui étaient restés fidèles changèrent. Jean de Village sollicita sa grâce et l'obtint pleine et entière. Par Lettres du mois de février 1456[15] Charles VII le remit en sa bonne fame et renommée et lui rendit tous ceux de ses biens dont il n'avait pas été disposé. Au mois d'août suivant, cieux des enfants de Jacques Cœur, Ravant et Geoffroy, furent mis en possession de la grande maison que leur père avait fait faire à Bourges, avec ses appartenances et dépendances, ensemble le mesnage et ustensiles qui estoient dedans, tant de bois que de cuisine. Jean et Henri Cœur, qui occupaient tous les deux de hautes positions dans l'Église, avaient sans doute renoncé en faveur de leurs frères, à toute réclamation personnelle. Ceux-ci obtinrent en outre la restitution de toutes autres maisons, places, jardins, et rentes assises en la dite ville de Bourges, vignes, terres, prez et autres héritages assis à l'entour de la dite ville et généralement au pays de Berry qui n'avoient esté adjugées par décret et délivrées à ceux qui les avoient mis à prix. Deux maisons situées à Lyon, ainsi que les mines d'argent, de plomb et de cuivre que Jacques Cœur possédait dans le Lyonnais furent également rendues à ses enfants. En même temps, Ravant et Geoffroy Cœur furent autorisés à se partager par tiers, avec Guillaume de Varye, l'un des principaux associés de Jacques Cœur, toutes les créances de ce dernier, à l'exception de celles sur un certain nombre de courtisans, de seigneurs, de prélats dont les Lettres de restitution donnent la nomenclature avec le chiffre des sommes qu'ils devaient. à Jacques Cœur et que Charles VII leur remettait[16]. Moyennant cette restitution, les enfants de Jacques Cœur renoncèrent à élever des réclamations sur les autres biens de leur père. Enfin, des Lettres du mois de mai 1459 les autorisèrent, ainsi que Guillaume de Varye à se faire rendre compte des biens et de marchandises ayant appartenu à Jacques Cœur et que quelques personnes persistaient à retenir[17].

Vers l'époque où les enfants de Jacques Cœur rentraient ainsi dans une partie de ses biens, deux de ses jugés, dont l'un lui avait été principalement hostile, étaient arrêtés à leur tour ; c'étaient le trésorier Otto Castellani et Guillaume Cormier, premier chambellan du roi. Ou à vu quelle passion le Florentin Castellani avait, de concert avec Antoine de Chabannes, apportée .dans la direction et l'instruction du procès de Jacques Cœur. La faveur de Castellani ne fut pas de longue durée. Une scène qui s'était passée le 22 novembre 1453, dans l'auberge des Trois Rois, à Bourges, avait dû l'avertir, d'ailleurs, que, malgré son zèle, le terrain de la Cour n'était pas sûr pour lui. Ce jour-là, en effet, le procureur général Jean Dauvet s'était présenté chez Otto Castellani, et là, en présence de nombreux témoins, il l'avait sommé, au nom du roi, de payer une somme de deux mille écus, montant de divers objets que Jacques Cœur avait délivrés, dans le temps, à Guillaume Gouffier, dont Castellani s'était alors porté caution. Celui-ci avait vainement objecté qu'il était loin de chez lui, qu'il n'avait pas les deux mille écus, que Jacques Cœur lui devait, au surplus, une somme bien supérieure. Le procureur général lui répondit qu'il avait des ordres formels, le déclara prisonnier et fit arrêter ses chevaux et bagages. Dans cette extrémité, Otto Castellani s'adressa à quelques amis qu'il avait à Bourges et paya la somme de deux mille écus qu'il eut la douleur de voir aussitôt passer entre les mains d'un domestique de Guillaume Gouffier dont l'étoile était en ce moment dans tout son éclat et à qui le roi en avait fait présent[18].

La disgrâce d'Otto Castellani eut lieu deux ans après. Accusé d'avoir fait faire et de porter sur lui, dit un historien contemporain, certaines images, au moyen desquelles, par art diabolique, il devoit avoir le gouvernement du Roy, il fut arrêté Lyon, pour crime de magie, en même temps que Guillaume Gouffier, dont l'influence avait aussi très-peu duré, et qu'on lui donna pour complice. Leur procès traîna pendant plusieurs années. Ce fut leur tour d'être transférés de cachot en cachot, à la suite de leurs juges. Ils purent réfléchir alors aux chances diverses de la vie des Cours, et peut-être ce changement de fortune leur parut-il un juste châtiment de l'animosité dont ils avaient fait preuve à l'égard de Jacques Cœur. Après deux ans de prison, Guillaume Gouffier fut condamné à la perte de tous ses biens et au bannissement ; mais Charles VII commua la peine et se borna à le priver de tous ses emplois, indépendamment d'une amende de mille écus pour les frais du procès. Il lui fut, en outre, ordonné de se tenir à trente lieues de la personne du roi. Otto Castellani avait été conduit à Toulouse pour y être jugé par le parlement. Le dessus dit Otho, fait remarquer l'historiographe de Charles VII, avoit commis, en outre, le détestable péché de sodomie, pourquoy il fut depuis remené à Tours, en 1457, pour estre sententié, puis à Paris ès-prisons du palais, pour ce que plusieurs disoient qu'il avoit appelé en Parlement. Quant au regard de la conclusion de tout ce procès, elle m'a esté inouye et inconnue, pour ce qu'il a esté de la sorte transporté de prison en prison[19].

Ainsi tombaient tour à tour les favoris plus ou moins intimes de Charles VII. Dans l'es premières années de son règne, il avait laissé assassiner pour ainsi dire à ses côtés, sans les Venger, Pierre de Giac et Lecamus de Beaulieu, bien plus, les assassins eux-mêmes lui avaient désigné celui auquel ils entendaient qu'il accordât sa confiance, et il leur avait obéi, notamment en ce qui regarde La Trémouille. Les favoris des dernières années tombèrent, il est vrai, d'une manière moins violente. Ceux qui entreprirent de les renverser n'eurent pas, au moins, de sang à répandre. Si grossière qu'elle fût, la délation suffisait. Comme on en voulait avant tout à leurs richesses, les commissions extraordinaires se chargeaient du soin de les dépouiller par des arrêts en forme. Sous ce rapport, il y avait progrès. L'accusation d'empoisonnement qui fut d'abord portée contre Jacques Cœur par une femme à laquelle il avait prêté de l'argent, cette accusation si absurde qu'il fallut l'abandonner au premier examen, donne l'idée des passions qui grondaient autour de lui, des haines et des jalousies que sa grande fortune, sa vanité peut-être, avaient excitées. Il était facile de voir, au début de l'affaire, qu'on voulait le perdre et qu'il succomberait dans la lutte. Il était trop riche pour être absous, alors surtout que les plus influents de ses juges héritaient de ses vastes domaines, de ses châteaux. On a vu qu'avant lui, un autre financier, Jean Xaincoins, avait aussi été emprisonné, dépouillé de tous ses biens, et qu'une magnifique Maison qu'il possédait à Tours avait été donnée à Dunois. Qui sait ? Jean Xaincoins n'était peut-être pas plus coupable que Jacques Cœur. Enfin, le mystère qui enveloppe les accusations dont Otto Castellani et Guillaume Gouffier furent l'objet n'autorise-t-il pas à croire qu'ils succombèrent, eux aussi, comme Xaincoins et Jacques Cœur, sous des intrigues de Cour ?

Cinq années s'étaient écoulées depuis la mort de ce dernier. Dès 1456, la mésintelligence qui existait depuis longtemps entre le dauphin et Charles VII avait pris un caractère dont celui-ci n'avait pas eu moins à souffrir comme père que comme roi. Malgré les plus vives instances, le dauphin ne voulait pas revenir à la Cour et il ne cachait pas qu'il craignait de ne pas y être en sûreté. — Eh quoi ! s'écriait Charles VII avec colère, mes ennemis se fient à moi et mon fils ne veut pas le faire. Il y avait déjà près de neuf ans que le roi n'avait pas vu le dauphin. D'un autre côté, la ville de sou royaume où Charles VII avait séjourné le moins de temps était Paris. L'esprit révolutionnaire de cette capitale, les scènes de carnage et de terreur qui s'y étaient passées sous ses yeux, dans sa jeunesse, avaient fait sur son esprit une impression qui ne s'en effaça jamais[20]. Constamment en guerre depuis le commencement de son règne jusqu'à la conquête définitive de la Guyenne, il habitait, dans les intervalles d'une campagne à l'autre, Bourges, Loches, Chinon, ou quelque château sur les bords de la Loire. Il avait, en outre, fait réparer somptueusement une ancienne résidence royale située à Mehun-sur-Yèvre, à quelques lieues de Bourges. Grâce aux accroissements et aux embellissements qu'il avait reçus, le château de Mehun était, au quinzième siècle, l'un des plus beaux de la province et même du royaume. Les pierres qui avaient servi à sa construction étaient d'une blancheur presque égale à celle du marbre[21]. Du plateau sur lequel il était bâti et auquel conduisait une pente insensible, la vue dominait, de tous les côtés de l'horizon, un pays d'une remarquable fertilité. An pied même de ce plateau, au midi, passe la rivière d'Yèvre arrosant, dans son cours, de grasses prairies dont les pelouses se déroulent au loin, coupées de distance en distance par des rideaux de peupliers. Vu des tours du château, par une belle soirée, ce paysage devait paraître admirable. L'une de ces tours, celle du nord, avait une hauteur prodigieuse et sa plate-forme, d'une circonférence considérable, était en outre surmontée d'un belvédère percé de longues fenêtres en ogives couronnées de sculptures délicates. De lit, l'œil pouvait découvrir un horizon immense : d'un côté, c'était Vierzon où l'Yèvre et le Cher se mêlent au milieu des vignes et des vergers. En se rapprochant de Mehun, les communes de la Chapelle-Saint-Ursin, de Foëcy, de Marmagne, de Saint-Laurent, se trahissaient, au milieu des arbres, par la flèche hardie de leurs clochers. La chapelle du roi, située au-dessus de la porte d'entrée du château de Mehun, était remarquable par l'élégance et la richesse de ses sculptures, œuvre des plus habiles ouvriers du temps. Cette chapelle était adossée à la tour du Nord. D'autres tours avaient aussi leur dom particulier ; c'étaient la tour du Cabinet de la Reine, la tour de l'Observatoire, la tour des Princes. Ces deux dernières étaient reliées par un corps de bâtiment dont un des étages portait le nom de Salle du Conseil. Sur le niveau même et à côté de l'étage supérieur de la Tour des Princes était une pièce à laquelle la tradition 'conserva le nom de Chambre d'Agnès[22].

C'est au château de Mehun, à quelques lieues de la ville et dans la province qui lui avait donné le plus de preuves de dévouement, que Charles VII résidait principalement depuis quelques années. Un autre motif justifiait peut-être aussi sa prédilection pour cette résidence. Des tours mêmes du château, la vue en découvrait un autre situé à une lieue de là, dans la direction du nord-est ; c'était le château de Dames, qui relevait de celui de Mehun, auquel il payait chaque année, pour droit de rachat, deux éperons d'argent et douze pains pour les chiens. De construction ancienne, le château de Dames avait été rebâti en partie vers la fin du quatorzième siècle. Son enceinte, fort étroite d'ailleurs, était entourée de grands fossés et défendue par un ensemble de tours rondes et carrées. : Agnès Sorel y avait, suivant la tradition, demeuré longtemps, et l'on ajoute que Charles VII prétextait souvent des parties de chasse dans les forêts voisines pour avoir occasion d'aller au château de Dames[23].

Enfin, dans une direction opposée, et à quelques lieues de Mehun, un autre château fut aussi très-fréquemment le but des promenades de Charles VII. Soit que celui de Dames eût fini par paraître trop exigu à la favorite, soit que la reine eût réclamé contre un voisinage aussi scandaleux, Agnès Sorel, et plus tard sa nièce, lorsque celle-ci lui eut succédé, habitèrent un château plus éloigné de Mehun, plus vaste ; qui devint célèbre dans la contrée, et auquel, par suite des visites fréquentes qu'y faisait sans doute Charles VII, les habitants du pays donnèrent le nom significatif de château du Bois-sir-Amé[24]. Plusieurs Lettres patentes y furent signées par le roi[25] après la mort d'Agnès Sorel. Sans doute, la nouvelle favorite y avait remplacé sa tante. Il est permis de croire, en outre, si l'on se rappelle à quels honteux moyens les chroniqueurs les moins hostiles à Charles VII affirment que la dame de Villequier avait recours pour conserver son influence sur ce prince, qu'elle n'habitait pas seule le château du Bois-sir-Amé.

Mais, depuis l'insuccès d'une dernière tentative qu'il avait chargé l'évêque de Coutances de faire près du dauphin : pour le presser de revenir auprès de lui, Charles VII dépérissait visiblement. A une violente colère causée par tant d'ingratitude avait succédé un découragement profond. — Ah ! s'écriait le vieux roi, s'il m'avait une fois parlé, il connaîtrait bien qu'il ne doit avoir ni doutes ni crainte. Sur ma parole de roi, s'il veut venir vers moi, quand il m'aura déclaré sa pensée et aura connu mes intentions, il pourra s'en retourner où bon lui semblera[26].

Pourquoi, au surplus, le dauphin aurait-il déféré aux supplications du roi ? Il avait pour principe de ne rien faire dont il ne dût retirer quelque utilité. Or, la démarche qu'on lui demandait ne pouvait lui servir à rien. Il savait, en effet, que la vie de son père, usé tout à la fois par la tristesse et par des excès qui n'étaient plus de son âge, ne serait plus de longue durée. D'autre part, il prétendait avoir auprès du roi des ennemis qu'un crime n'eût pas arrêtés. Il préféra donc attendre dans son exil volontaire cette couronne si ardemment désirée. On connaît les circonstances de la mort de Charles VII. Un jour, au commencement du mois de juillet 1461, un de ses capitaines lui dit, on ne sait sur quel soupçon, qu'on cherchait à l'empoisonner. Ces paroles causèrent ou précipitèrent sa mort. Sa tête se troubla ; il crut que son premier médecin, Adam Fumée, était vendu au dauphin, et il le fit enfermer dans la Grosse Tour de Bourges. Peu rassuré par ce qu'il voyait, un de ses chirurgiens s'enfuit à Valenciennes. L'un et l'autre furent plus tard comblés de faveurs par Louis XI[27]. Dès ce moment, le roi, dont cette fuite avait redoublé les soupçons, refusa toute nourriture. Vainement, son jeune fils Charles goûtait, en sa présence, les mets qu'on lui présentait. Lorsque, Vaincu enfin par les instances de tous ceux qui l'entouraient, il essaya de manger, il était trop tard. Alors, dit son historiographe[28], il se confessa et ordonna comme un bon catholique, fit ses dernières ordonnances et legs tels que bon luy sembla et, dit qu'il vouloit être enterré à Sainct-Denys en France, dans la même chapelle que son père et son grand-père. Cependant, l'heure de l'agonie était arrivée. Dans une chambre du château de Mehun, la reine, son fils Charles, les capitaines, les conseillers et les ministres qui étaient le plus dévoués au roi, et qui étaient accourus à la nouvelle de sa maladie, se pressaient autour de son lit de mort. Les chanoines de sa chapelle étaient là et l'un d'eux lisait la passion de saint Jean l'évangéliste. Par intervalles, le roi faisait signe qu'il voulait parler et prononçait, dit un chroniqueur, quelques bonnes paroles. Lorsque le chanoine qui récitait la passion arriva à ce passage, inclinato capite emisit spiritum, Charles VII s'éteignit[29]. Celui qui avait eu l'insigne gloire de terminer la guerre nationale avec l'Angleterre ; qui avait réformé la justice[30], organisé l'armée, publié d'excellents règlements sur les finances, rétabli l'ordre dans les monnaies, fondé l'administration et porté le premier coup à la féodalité, venait de se laisser mourir de faim, de peur d'être empoisonné par son fils !

Peu de princes ont été jugés d'une manière plus différente et plus contradictoire que Charles VII. Frappés uniquement de ses défauts, la plupart des historiens lui ont refusé tout mérite personnel. Pourtant, l'un d'eux a fait observer avec raison qu'un prince, chassé de son trône, dépouillé de la meilleure partie de ses États, traversé à tous moments par les factions des grands de sa Cour, sans argent ; sans ressources pour en avoir, parvient difficilement au point de grandeur et de puissance où Charles VII arriva, si son habileté et son application ne suppléent aux autres moyens pour surmonter tant d'obstacles ; qu'on ne pouvait, au moins, lui contester un grand discernement pour bien choisir les personnes qui le servaient[31]. — Le premier, s'il faut en croire le plus illustre chroniqueur du siècle, il gaigna ce point d'imposer tailles à son plaisir, sans le consentement des Estatz de son Royaulme[32]. Or, cette conquête, utile alors à la nation elle-même et féconde en grands résultats, car sans elle peut-être Charles VII n'aurait pas pu parvenir à chasser les Anglais de la Normandie et de. la Guyenne, dénote, à coup sûr, une grande habileté. Malheureusement pour Charles VII, on le juge d'ordinaire d'après les premières années de son règne, celles où il laissait assassiner ses favoris à ses côtés, où Jeanne Darc fut prise, vendue, condamnée et brûlée, sans qu'il ait rien tenté en faveur de l'héroïne qui lui avait rendu une partie de son royaume : Par bonheur pour la France, il devint meilleur et régnant[33]. Il était d'ailleurs en même temps très-défiant de lui-même et timide à l'excès. Vous voulez toujours, lui écrivait un jour un de ses conseillers, être caché en châteaux, méchantes places et manières de petites chambrettes, sans vous montrer et ouïr les plaintes de votre pauvre peuple[34]. A la vérité, ces faiblesses disparurent avec les années. Plus tard, Charles VII se montra à ses peuples, à ses armées, aux ennemis de la France ; mais les défauts de caractère restèrent, principalement, comme l'a fait observer un chroniqueur bourguignon dans cette impartiale appréciation que l'on a déjà vue : Muableté, diffidence, et au plus dur envye[35]. Il faut ajouter à ces défauts celui de croire aveuglément aux dénonciations de ses favoris, toutes les fois qu'ils avaient l'art d'Y intéresser quelqu'une de ses maîtresses. — Lorsqu'un de ces chiens de palais, a dit un prélat contemporain, voulait perdre un honnête homme, il n'avait qu'à l'accuser auprès du roi d'avoir mal parlé de la belle Agnès[36].

Muableté, diffidence, envye, ces dispositions expliquent suffisamment l'abandon dans lequel fut laissée Jeanne Darc et la disgrâce de Jacques Cœur. Mais si, dans ces deux circonstances à jamais déplorables pour sa gloire et pour l'honneur de la Couronne ; Charles VU faillit ainsi à son devoir, on doit reconnaître que, dans maintes occasions, il donna des preuves incontestables d'énergie et d'un remarquable esprit de justice. On se souvient de l'exemple terrible qu'il fit sur ce bâtard de Bourbon qui volait les malheureux paysans et que ses violences avaient rendu un objet de terreur parmi les populations. Malgré ses anciens services, malgré les liens qui le rattachaient à la famille royale, le bâtard' de Bourbon fut, avec l'agrément du roi, pris, enfermé dans un sac et jeté à la rivière. Dans la guerre de la Praguerie, dans cette guerre impie d'un fils rebelle contre son père, Charles VII déploya une activité et une fermeté dignes d'un grand roi. La lutte finie, le dauphin demandait, avec sa grâce, celle de quelques-uns de ses conseillers qui s'étaient le plus compromis, menaçant de se retirer s'ils n'étaient rappelés. Vous le pouvez, si vous le voulez, répondit Charles VII avec une noble hauteur ; la porte de la ville est ouverte, et si elle n'est pas assez grande, je ferai abattre vingt toises de la muraille pour faciliter votre sortie[37]. Lorsque la Guyenne eut été reconquise, le parti anglais s'agita pendant quelque temps et noua des conspirations qui entretenaient le trouble dans la contrée. Un personnage considérable du pays, le sire de Lesparre, était, en 145e, à là tête d'une de ces conspirations. Justement irrité, Charles VII lui fit faire son procès, et le sire de Lesparre fut décapité. Quatre ans plus tard, le parrain du dauphin, le duc d'Alençon lui-même, eut à rendre compte d'un complot semblable, et les influences les plus puissantes parvinrent à grand'peine à lui sauver la vie. Vers la même époque enfin, Charles VII envoyait une expédition contre le sire d'Armagnac, dont les relations incestueuses scandalisaient l'Europe.

Une telle ligne de conduite constamment suivie, ces justes châtiments qui atteignaient les plus grands comme les plus petits, portèrent leurs fruits. A partir de 144.5, époque de la réorganisation des gens de guerre, le royaume se remit visiblement de ses misères passées. Sans doute, la versatilité du roi, à l'égard de quelques hommes qui lui avaient rendu de grands services, est une tache dans son caractère ; mais les peuples ne souffraient pas de la disgrâce et de la ruine de ces hommes, tandis qu'ils recueillaient des avantages considérables du retour de l'ordre, de la paix, de la sécurité. Le susdict roy Charles, a dit un chroniqueur bourguignon non suspect de partialité, fust moult aimé par tout son royaulme et le gouverna moult haultement, noblement et sagement, et n'estoit pas vindicatif, ains voulloit bien justice estre faicte, et forte justice régner après ses conquestes, tellement que tout marchand et aultres gents alloient seurement parmi son royaulme[38]. Un historien anglais a dit aussi, et cette appréciation de la part d'un écrivain de ce pays mérite d'être remarquée : Charles VII fut la gloire des Français, l'ornement et le restaurateur de la France[39].

Ses obsèques se firent avec la plus grande magnificence. Le dauphin eut le bon goût de ne pas y assister. Si fourbe et si dissimulé qu'il fût, il dut craindre de laisser éclater sa joie devant les Parisiens. C'est à Avesnes, dans le Hainaut, qu'il recommanda l'âme du feu roi son père à Notre-Dame de Cléri et à Notre-Dame d'Embrun. Tanneguy Duchastel, qui fut chargé de diriger la cérémonie, n'épargna rien pour lui donner un air de grandeur digne de celui que la France venait de perdre. Elle coûta, dit-on, 18,300 livres du temps. On avait fait, suivant l'usage, une sorte de mannequin en cuir dont le visage rappelait les traits de Charles VII[40] ; on l'habilla comme celui-ci s'habillait dans les jours d'apparat et on le plaça sur un chariot recouvert de velours noir et surmonté d'une grande croix et de sept écussons de fleurs de lis d'or. Le cortège se mit en marche pour Paris. Parmi les personnages de distinction qui accompagnaient le corps, on remarquait le duc d'Orléans, le comte d'Angoulême, son frère, le seigneur de Châteaubriand et l'archevêque de Bourges, Jean Cœur. De tous les côtés de la route, les populations accouraient en foulé et mêlaient leurs lamentations à celles des gens du roi. Le 5 du mois d'août le cortège arriva au faubourg de Notre-Dame-des-Champs à Paris. Le corps passa la nuit dans l'église du faubourg. Le lendemain matin, pour éviter les accidents, on défendit de laisser sortir de Paris. A onze heures, vingt-quatre crieurs vêtus de robes et chaperons de deuil, portant devant et derrière un écusson armoirié de fleurs de lis, parcoururent la ville en criant dans les places et carrefours : Dites vos patenostres pour le très-haut et très-excellent prince le roy Charles VIIe de ce nom, et à heure de trois heures, venez à Vigiles, en l'église Notre-Dame de Paris. A trois heures, les princes du sang et les grands dignitaires, les conseillers et avocats du Châtelet, la Cour et les avocats du parlement, tous vêtus d'écarlate, les échevins de la ville avec leurs robes mi-parties, précédés de leurs sergents portant chacun sur la poitrine un écusson aux armes de Paris, les conseillers de la Chambre des comptes vêtus de noir ainsi que leurs huissiers et sergents, allèrent au devant du corps. Ils étaient suivis des gens de l'Hôtel-Dieu qu'accompagnaient deux cents pauvres en robes de. deuil, ayant chacun une torche de trois à quatre livres, de dix-huit aveugles des Quinze-Vingts, des vingt-quatre crieurs, portant chacun leur cloche. A quatre heures on vit arriver les Cordeliers, les Jacobins, les Augustins, les Carmes, les Bernardins, les Sainte-Croix, les Mathurins, les ordres mendiants ; ils marchaient avec ordre deux par deux. Le clergé venait ensuite ; treize évêques ou archevêques figuraient dans, ses rangs. On voyait s'avancer sur deux longues files les gens d'Église et ceux de l'Université. L'archevêque de Bordeaux marchait le dernier dans le rang de droite, à la suite des gens d'Église ; le recteur de l'Université, ses bedeaux avec leurs masses et un nombre prodigieux d'écoliers occupaient la gauche.

Lorsque cinq heures sonnèrent, la procession se mit en route pour Notre-Dame. En ce moment, toutes les cloches de Paris furent mises en branle, les crieurs agitèrent-leurs clochettes, les gens d'Église entonnèrent leurs chants. Soixante hommes vêtus de noir étaient chargés de porter le corps ; ils étaient précédés par quatre hérauts d'armes à pied et suivis du parlement et de la Chambre des comptes. Sur le drap d'or et de velours bleu qui recouvrait la bière, on voyait l'effigie du roi en relief. — Et estoit la dite figure faite de cuir. Elle avoit une couronne en la teste, posée sur un bonnet qui luy touchoit les oreilles, et ensemble un peu des joues, et avoit un pourpoint de damas violet, ensemble des manches faites à l'ancienne, d'une façon bien large, une robe par dessus assez juste de velours bleu toute semée de flenrs de lys, tout au long de la jambe, et dessous le pied ; outre quoi, il avoit une grande robe de velours bleu, faite en grand habit. royal, fourrée d'hermines, toute semée de fleurs de lys, et avoit des gands tout neufs ès mains, et tenoit en sa main dextre le sceptre royal, et dans l'autre main un baston, où il y avait une main de justice au bout. Dessous sa teste, il y avoit un grand carreau de velours violet ; et en cette façon, ou' le portoit parmi la ville.

Le vendredi, 7 août, à huit heures du matin, eut lieu, dans l'église Notre-Dame, la messe solennelle des morts. L'assistance était la même que la veille. Toute l'église était tendue de toile bleue, semée de fleurs de lis. Après l'offrande, maître Jean de Châteaufort[41] prononça le panégyrique du roi défunt. Il avait -pris, pour texte de son sermon, ces mots : Memento judicii mei, Domine. Lorsque, avant de finir, il raconta les derniers moments de Charles VII, sa confession, son repentir, la dévotion avec laquelle il avait reçu les sacrements, les bonnes paroles qu'il avait prononcées, les sanglots éclatèrent : Et là furent les pleurs, dit un contemporain[42]. La messe des morts terminée, les crieurs se placèrent devant l'Hôtel-Dieu et firent l'appel suivant à la foule rassemblée sur le parvis : Priez pour l'âme du très-haut, très-puissant et très-excellent prince, le Roy Charles VIIe de ce nom, et venez en la grande église Nostre-Dame de Paris, à une heure, pour accompagner le corps jusques à Saint-Denys en France. A l'heure fixée, le cortège se mit en marche pour Saint-Denis. Sur le Pont-au-Change, vingt-quatre officiers des gabelles, appelés Henouars, reçurent le corps[43]. Au village de la Chapelle, les religieux de Saint-Denis voulurent les remplacer, mais les Henouars s'y refusèrent. Une altercation s'en étant suivie, la marche du cortège fut interrompue. Et demeura le corps, à ce sujet, assez long espace de temps sur le chemin sans advanccr, tellement que les bourgeois et gens de la dite ville de Saint-Denys voyant cela, prirent la bière ainsy comme elle estoit, et voulurent porter le dit corps. On promit enfin aux Henouars dix livres parisis qu'ils réclamaient, et le cortège se remit en marche ; mais cet incident et d'autres différends qui eurent lieu entre les écuyers du roi et les religieux de Saint-Denis ayant fait perdre du temps, on n'arriva dans cette ville qu'à huit heures du soir.

Le chœur de l'église était tendu de velours noir. On y avait, en outre, dressé une chapelle ardente au-dessus de laquelle le corps du roi, enfermé dans trois bières, l'une de cyprès, l'autre de plomb, la troisième de bois blanc, avait été placé. L'effigie de Charles VII était posée au-dessus. Au milieu de la messe, qui fut célébrée le lendemain, maître Thomas de Courcelles[44] monta en chaire, et, devant un auditoire immense, prononça l'oraison funèbre de Charles VIL La messe finie, le corps du roi fut descendu dans les caveaux et mis en unes fosse dans laquelle les huissiers et sergents lancèrent leurs verges. Au même instant, un héraut d'armes s'avança, dit à haute voix : Dieu ait l'âme du Roy Charles VIIe très-victorieux ! prit sa masse et la jeta aussi dans la fosse, tandis que la plupart des assistants pleuraient ou priaient. Bientôt après, le même héraut d'armes retira sa masse, les armes en haut, en s'écriant : Vive le Roi Loys ! Cependant., le vieux duc Charles d'Orléans, s'étant agenouillé sur deux ais dont on avait recouvert à la hâte la fosse de Charles VII, fit une fervente prière, se leva et s'inclina deux fois profondément. Les autres personnes présentes défilèrent à leur tour devant la fosse en s'inclinant une seule fois. Puis, on reprit le chemin de la nef ; la cérémonie était terminée[45].

Rien ne manquait donc plus au bonheur du Dauphin. Le roi son père était mort ; il allait régner à son tour.

Sur la tombe du roi défunt fut gravée l'épitaphe suivante, qui a disparu depuis avec tant d'autres :

Cy gist le Roy Charles VIIe, très glorieux, Victorieux

et Bien-Servy, fils du bon Charles VIe, qui régna trente-

neuf ans, neuf mois et un jour, et trespassa le jour de la

Magdeleine, XXIIe jour de Juillet, l'an M CCCC LXI.

PRIEZ DIEU POUR LUY.

 

 

 



[1] Bibl. Nat. Mss. ; Portefeuille-Fontanieu, 121-122.

[2] Mémoires de Jacques Du Clerc, édition du Panthéon littéraire, p 175. — On verra, un peu plus loin, que ce chroniqueur n'était nullement hostile à Charles VII.

[3] Amelgard, liv. V, chap. IV. — Passage traduit dans un article de M. Du Theil, inséré dans le t. I, p. 403 des Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi.

[4] L'authenticité de cette lettre, si intéressante pour l'histoire et de plus unique, car jusqu'à présent on n'en connaît pas d'autre, du moins en France, ayant été contestée, M. le baron de Trémont soumit la question à un juge des plus compétents, M. A. Teulet, archiviste paléographe de l'école des Chartes, qui lui adressa, à ce sujet, la lettre suivante dont il importe que le lecteur ait connaissance, et que je reproduis textuellement :

Monsieur le baron, j'ai comparé la signature de la lettre de Talbot à la signature apposée par le même personnage sur une pièce conservée à la Bibliothèque du Roy, et qui a été reproduite dans l'Isographie *. J'ai reconnu entre les deux signatures une conformité parfaite, et comme il n'est pas douteux que, dans la lettre qui vous appartient, la même main a tracé le corps de la lettre et la signature, j'en conclus que cette lettre est écrite fout entière de la main de Talbot.

Pour attaquer l'authenticité de celte pièce, on a dit qu'il est fort extraordinaire qu'un général en chef ait pris la peine d'écrire lui-même pour un objet d'aussi mince importance, et de plus, on a avancé, on a osé imprimer que cette pièce était impossible parce que Talbot ne savait pas le français.

A la première de ces deux objections on peut répondre que l'affaire pour laquelle cette lettre a été écrite est, au contraire, fort importante. Ainsi que Talbot le déclare lui-même, le pays était fort mal disposé pour les Anglais ; il est donc bien naturel que cet habile général ait écrit de sa main pour réprimer des brigandages qui ne pouvaient que lui être nuisibles en empêchant l'approvisionnement de son armée et en soulevant le peuple contre lui.

Quant à la seconde objection, elle est tellement absurde qu'on ne devrait pas avoir besoin de la réfuter. Ceux qui l'ont faite ignoraient sans doute que Talbot, qui a vécu près de quatre-vingts ans, a passé en France presque toute sa vie ; et ils  ignoraient également que toutes les pièces émanées des autorités anglaises pour l'administration de la Normandie, de la Guienne et des autres provinces que les Anglais ont occupées en France pendant le quinzième siècle, documents conservés par milliers dans les archives du royaume et dans d'autres dépôts publics, sont tous écrits en français.

Cette lettre de Talbot ne renferme aucun élément qui puisse servir à en fixer la date d'une manière précise ; on ne peut donc que former des conjectures à cet égard. Cependant, comme elle est datée de Saintes, je serais assez porté à croire que Talbot l'écrivit vers la fin de 1452, lorsqu'il se trouvait dans cette partie de la France, après avoir fait la conquête de la Guienne, conquête qu'il ne conserva pas longtemps. J'ai l'honneur, etc., A. TEULET.

— Talbot n'avait daté sa lettre que du quantième du mois. M Teulet, qui le regrette avec raison, a omis, dans la sienne, l'indication de l'année, du mois et du quantième. Je crois rependant que cette lettre est de l'année 1847 : j'ajouterai que celle de Talbot me paraît devoir être du mois de mai 1453, attendu qu'il avait mis à la voile d'Angleterre pour la Guyenne le 17 octobre 1452, et que la bataille de Castillon, où il perdit la vie, se donna le 17 juillet suivant.

* Isographie des hommes célèbres, collection de fac-simile, de lettres autographes, de signatures, etc., par MM. Bérard, Châteaugiron, Duchesne, etc. 4 vol. in-4°. — Je dois à ce sujet faire une observation importante. Quelque soin qu'aient pris les auteurs de l'Isographie pour ne tonner dans ce recueil que des fac-simile de pièces authentiques, je suis obligé de constater que celui qu'ils ont reproduit de Jacques Cœur n'est nullement semblable ni à l'écriture de Jacques Cœur l'argentier dont parle M. Leber (voir t. I, p. 164, note 2), ni à celle des deux lettres autographes que j'al reproduites (voir dans le chapitre précédent), ni enfin aux nombreux autographes, parfaitement incontestés, que possède la Bibliothèque Nationale. Je suis donc convaincu que la signature attribuée par l'Isographie à huilas Cœur l'argentier, d'après un autographe qui faisait partie d'une collection particulière, n'est pas la sienne. Il pourrait d'ailleurs se faire que cette signature fût celle d'un petit-fils de Jacques Cœur, qui portait le même prénom que son grand-père, et qui mourut sans postérité. Ce qui rend cette supposition probable, c'est le texte même reproduit par l'Isographie, texte ainsi conçu : Votre très-humble et obéissant serviteur, Jacques Cuer. Or, cette formule n'est pas du tout celle généralement usitée dans la première moitié du quinzième siècle. Je n'oserais pas dire qu'elle fût sans exemple à cette époque, mais je ne l'ai vue sur aucune des nombreuses pièces qui me sont passées sous les yeux, et elle ne date, je crois, que du commencement du seizième siècle.

[5] Le P. Daniel, Histoire de France, t. VII, p. 401 à 411.

[6] M. Henri Martin, Histoire de la milice française, t. I, p. 404. — Le P. Daniel pense qu'on donna à Charles VII le titre de fils des Francs à raison du dévouement que lui témoignèrent quelques provinces du royaume, dans sa lutte de trente ans avec l'Angleterre.

[7] Le mariage eut lieu au mois d'octobre 1450. A cette occasion, Charles VII fit don à la dame de Villequier des îles, terres et seigneuries d'Oleron, de Marans, d'Arves, etc. L'année suivante, il y ajoutait encore d'autres terres et seigneuries (voir Femmes célèbres de l'ancienne France, par M. Leroux de Lincy, p. 441, note). Les autres terres dont il s'agit avaient été confisquées à Jacques Cœur. Du reste, s'il faut en croire les chroniqueurs, la dame de Villequier se montrait fort reconnaissante de ces faveurs. M. Leroux de Lincy cite, d'après Jacques Du Clercq (édit. du Panthéon littéraire, p. 91), une anecdote des plus significatives. La fille d'un écuyer de la ville d'Arras, nommé Antoine de Rebreuves, vint à la Cour de France, en compagnie de la dame de Genlis. Celte jeune fille, qui s'appeloit Blanche, étoit bien la plus belle qu'on pût voir. La dame de Villequier l'ayant rencontrée, pria la dame de Genlis de la lui confier ; mais celle-ci refusa, disant qu'elle ne pouvoit ainsi disposer de cette enfant sans la permission de son père. Elle la reconduisit chez ses parents. Ceux-ci, c'est-à-dire son oncle et son père, ayant eu connaissance du désir manifesté par la favorite, s'empressèrent d'y acquiescer. Jacques de Rebreuves, jeune et bel écuyer, âgé de vingt-sept ans environ, mena sa sœur Blanche, qui n'étoit âgée que de dix-huit, à la Cour du roi de France pour demeurer avec la dame de Villequier. Jacques fut engagé comme écuyer tranchant de cette dame. Blanche ne vouloit pas quitter Arras ; elle pleuroit beaucoup, et disoit aimoit mieux demeurer, et manger toute sa vie du pain et boire de l'eau. Le père, riche mais avare, étoit bien aise de n'avoir plus à sa charge ses deux enfants.... Peu de temps après l'arrivée de Blanche à la Cour, elle étoit aussi bien avec le roi que la dame de Villequier.

[8] Ordonnances des rois de France, t. XIV. — Coutumes et privilèges accordés à la ville de Clermont-Ferrand le 29 octobre 1291, et confirmés par Charles VII en niai 1452. — A la vérité, si la femme était de mauvaise vie, et que l'homme ne fût pas marié, il pouvait, bien que la femme fût mariée, se justifier en affirmant par serment qu'il ignorait qu'elle le fût.

[9] Mémoires de Georges Chastelain, édit. du Panthéon littéraire, p. 255.

[10] Bibl. Nat., Mss. Fonds de Béthune, n° 8,442 ; État des aides ordonnez pour le faict de la guerre, etc. Voir, pièces justificatives, n° 23. — Il est à remarquer que l'état de répartition auquel j'emprunte ces détails ne s'élevait qu'à 240.000 livres, et que la somme totale des aides sous Charles VII a été évaluée à 1.800.000 livres. Il est donc probable que d'autres dons, de la nature de ceux dont il s'agit ici, figuraient sur les états de répartition des autres fonds.

[11] La même somme lui avait été allouée en 1451, voir Les femmes célèbres, etc., p. 441, note.

[12] Il s'agissait sans doute d'un accouchement clandestin.

[13] Était-ce un don accordé à cause de la femme ou à cause du mari ? Il y a, dans l'état de répartition, une autre somme de 1.000 livres pour le mariaige des Escoz (Écossais). Le don de 700 livres à un simple archer semblerait indiquer une faveur toute particulière.

[14] Elle s'appelait Jeanne Pourponne. Sa pension n'était, en 1430, que de 50 livres.

[15] 1457, nouveau style, Procès, etc., p. 929 à 949. — Voir les Lettres d'abolition en faveur de Jean de Village, aux pièces justificatives, n° 15.

[16] Procès, etc., p. 951 à 993. Voir les Lettres, aux pièces justificatives, n° 18.

[17] Bibl. Nat., Mss. Portefeuille Fontanieu, n° 123-124 ; Abolitio pro illis, etc. Voir aux pièces justificatives, n° 19.

[18] Arch. Nat. Voir pièces justificatives, n° 3, extrait J.

[19] Jean Chartier, Histoire de Charles VII, dans Godefroy, p. 286.

[20] M. Quicherat, Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, p. 104.

[21] L'abbé Expilly, Dictionnaire géographique et historique, t. IV, Mehun-sur-Yèvre. — Malgré leur vétusté, les ruines du château de Mehun présentent encore le même aspect.

[22] Le plan de l'ancien château de Mehun se trouve dans le volume de M. Labouvrie de Bourges, Relation de la monstre, etc. (voir t. I, p. 2, note 1). — M. Labouvrie n'indique pas d'ailleurs où il a fait copier ce plan. Le château de Mehun a été détruit en partie, dit-on, par le feu du ciel ; les niveleurs de 1793 l'ont le peu près achevé. On voit encore aujourd'hui les restes de deux de ses tours dont les ruines font, au milieu du paysage, toujours magnifique, un effet des plus pittoresques. L'une des deux tours, la mieux conservée, sert, le l'occasion, de prison aux vagabonds.

[23] Ces souvenirs sont encore tout vivants à Mehun-sur-Yèvre, où je les ai recueillis. Je n'ai pu, à mon grand regret, aller visiter le château de Dames. Je n'ai su, d'ailleurs, que plus tard quelques particularités intéressantes qui s'y rattachent. Ainsi ; on lit dans un Mémoire historique sur le Berry, par M. Bengy-Puyvallée (Annuaire du Berry pour 1843, p. 57), que le propriétaire actuel de la terre de Dames conserve encore, dans un des appartements du château, le portrait de Charles VII, peint en Hercule, couvert d'une peau de lion, le portrait de la belle Agnès, son armoire, sa toilette, ses chenets, son fauteuil et sa table. Ces meubles, ajoute M. de Bengy-Puyvallée, qui en parle sciemment, attendu qu'ils appartenaient, à son fils, sont plus curieux par leur ancienneté que par la beauté de l'ouvrage. Une chose remarquable, c'est que, sur les parois intérieures de la toilette, est représentée la passion de Notre Seigneur.

D'un autre côté, je vois dans l'ouvrage sur Jacques Cœur de miss Çostello, p. 176, que ces objets, dont elle fait une description beaucoup plus flatteuse que M. Bengy-Puyvallée, sont maintenant déposés au Musée de Bourges. L'encombrement de ce Musée et l'absence d'un catalogue auront été cause que je ne les aurai pas remarqués.

[24] Ce château, situé dans la commune de Vorly, canton de Level, (Cher), appartenait, au quatorzième siècle, à Louis de Chavenon, seigneur du Bois, et il s'appelait le château du Bois. Un siècle après, il fut acheté par Jacquelin Trousseau, dont le petit-fils épousa la fille de Jacques Cœur ; il se nomma alors le château du Bois-Trousseau. Artault Trousseau, père de Jacquelin, l'ayant loué ou prêté à Charles VII, celui-ci chargea une fois Jacques Cœur de compter à Artault Trousseau une somme de mille écus d'or, valant alors 1.375 livres tournois. C'est à cette époque que les habitants du pays lui donnèrent le nom de château du Bois-sir-Amé. Ce château a eu successivement pour propriétaires les Châteauneuf, Jean Baptiste Colbert, le comte de Pontchartrain, un descendant de L'Hospital, et, dans les temps modernes, les maréchaux Mac-Donald et Beurnonville, le duc de Massa, le comte Perregaux. Il appartient aujourd'hui à un ancien commerçant, M. Aubertot. Des ruines encore imposantes donnent une idée de la grandeur et de l'importance des anciennes constructions. (Annuaire du Berry, 1843 ; note sur le château du Bois-sir-Amé, article de M. Louis Raynal.)

[25] Au mois d'août 1452, Ordonnances sur les élus et sur les enfants de chœur de l'église d'Avranches ; au mois de mai, Lettres en faveur de l'abbaye de Saint-Laurent à Bourges ; enfin, le 14 juillet de la même année, Lettres portant que le Grand-Conseil connaîtrait seul de l'opposition formée par les enfants de Jacques Cœur à la vente des biens confisqués à leur père. (M. Raynal, Annuaire du Berry pour 1843, p. 76.)

[26] Ce furent les propres paroles de Charles VII à un agent, du nom de Honaste Hérault, que le dauphin lui avait envoyé dans le but de lui donner des explications sur sa conduite, et sur les raisons pour lesquelles il persistait à ne pas revenir en France. La réponse de Charles VII, qui a été conservée en entier, montre l'amertume dont son cœur était plein, et le chagrin que lui causait la défiance de son fils. Charles VII se plaignit d'abord que le dauphin fit courir le bruit que s'il restait hors du royaume, c'était son père qui le voulait ainsi, et il ajouta : Je suis père et il est fils, et chacun scait que l'obéissance doit venir de luy ; et ce néanmoins pour le désir que j'ay que cette matière soit redressée à son bien, je fais ce qu'il devroit faire ; car il me devroit requérir de venir devers moy, et je le ammoneste pour qu'il vienne ; afin qu'il me déclare franchement son cas, comme le fils doit à son seigneur et père ; aussi que je luy die et déclare mon intention, et le vouloir que j'ay envers luy. Et pour ce vous luy direz que je désire et veux qu'il vienne devers moy, car j'ay intention de luy dire chose pour son. bien et la chose publique du royaume que je ne voudrois luy escrire ne dire à autre. Et me semble que quand il aura parlé à moy, il connaîtra bien qu'il ne doit point avoir les doutes et craintes qu'il dit avoir. Afin qu'il n'ait cause de y faire aucun doute, je promets icy en parole de Roy en la présence de ceux de mon Conseil qui ici sont, que si veut venir devers moy, luy et ceux de son hôtel qu'il voudra amener avec luy, y pourront venir et être seurement. Et quand il aura connu mon courage (mon cœur), et je luy aurai déclaré mon intention, s'il s'en veut retourner là où il est, ou ailleurs là où bon luy semblera, il le pourra faire seurement, luy et ceux de sa compagnie, ou demourer si c'est sa volonté ; mais j'ai bien espérance que quand il connaîtra mon vouloir, il sera plus joyeux ou content de demourer que d'aller ailleurs ; et suis bien joyeux que vous, Honaste, qui êtes bien privé de luy, soyez venu de par deçà, afin que lui puissiez mieux acertener et raporter les choses dessus dites. (Recueil général des anciennes lois françaises, etc., t. IX, p. 375.)

[27] Annales Flandriœ, de Meyer, p. 394 v°, cité par M. Raynal, p. 48, ubi supra.

[28] Jean Chartier, dans Godefroy, p. 316.

[29] Mathieu de Coucy, dans Godefroy, p. 736.

[30] J'ai parlé plus haut, t. I, chap. III, des ordonnances rendues en 1446 par Charles VII pour la réformation de la justice. Une nouvelle ordonnance, qui embrassait toutes les parties de la procédure, fut promulguée au mois d'avril 1453, avant Pâques. Cette ordonnance, qui ne comptait pas moins de 125 articles, a été considérée par Henrion de Pansey comme un monument très-précieux de la sagesse de nos pères. C'est, ajoute l'illustre magistrat, notre premier code de procédure.

[31] Le P. Daniel, Histoire de France, t. VII, année 1460.

[32] Mémoires de Commines, liv. VI, chap. VI. — Voici le passage textuel : Le Roy Charles septiesme fut le premier (par le moyen de plusieurs saiges et bons chevaliers qu'il avoit, qui luy avoient aydé et servy en sa conqueste de Normandie et de Guyenne que les Anglois tenoient) qui gaigna ce point d'imposer tailles à son plaisir, sans le consentement des Estats de son royaulme. Et pour lors y avoit grands matières, tant pour garnir le pays conquis que pour despartir les gens des compagnies qui pilloient le royaulme, et à cecy se consentirent lés seigneurs de France, pour certaines pensions qui leur furent promises pour les deniers qu'un levoit en leurs terres. — L'arrangement dont parle Commines eut-il véritablement lieu ? A quelle époque se rapporte-t-il ? C'est ce qu'il est difficile de dire. Ce qui est certain, officiel, c'est qu'une assemblée, composée de nobles seulement, qui se tint à Nevers en 1441 et qui adressa à Charles VII des doléances sur la nécessité de la paix avec les Anglais et sur la réforme des abus, demanda entre autres choses que les tailles et impositions ne fussent mises sus et imposées, sans appeller les seigneurs et Estats du royaume. Voici maintenant la réponse que Charles VII fit à ce vœu :

Les aydes * ont été mises sur les seigneurs de leur consentement ; et quant aux tailles, le Roy, quant il a été au lieu, les a appellèz ou fait savoir combien que de son autorité royalle, veu les grans affaires de son royaume ; si urgent, comme chacun scet, et mesmement ses ennemis en occupant une grande partie, et détruisant le surplus, les peut mettre sus, ce qu'autre que lui ne peut faire sans congé. Et n'est-jà nul besoin d'assembler les trois Estats, pour mettre sus lesdites tailles ; car ce n'est que charges et dépense au pauvre peuple, qui a à payer les charges de ceux qui y viennent. Et ont requis plusieurs notables seigneurs du pays qu'on cessdt de telle convocation faire, et pour cette cause sont contens qu'on envoye la Commission aux Esleuz selon le bon plaisir du Roy.... (Recueil général des anciennes lois françaises, etc., t. IX, p. 108.) — J'ajouterai que cette difficulté de réunir les États sur laquelle s'appuyait Charles VII n'était pas une invention de sa part. Voici eu effet ce qu'on lit dans les procès-verbaux des États-Généraux qui s'étaient réunis à Mehun-sur-Yèvre en 1426. Outre plus, ont conclu les dits États que si le duc de Bretagne ou autres, faisoient guerre au Roy, iceux des États ont accordé et consenti que le Roy, sans attendre autre assemblée ne congrégation des États, pour que aisément ils ne se peuvent pas assembler, y puisse faire ce que ordre de justice le porte... Et ils luy offrent, c'est à scavoir, Messieurs de l'Église, prières et oraisons, et tout ce qu'ils pourront faire touchant le service divin ; et en après, tous les autres ensemble, tant MM. du sang, MM. les nobles, MM. d'Église, et gens des cités et bonnes villes, offrent pour eux et pour tous les autres absens et habitans de ce royaume, leurs corps, leurs biens, et tout ce qu'ils pourront finer (trouver) d'argent, et de le servir et obéir envers tous et contre tous, sans nul excepter, jusqu'à la mort inclusivement.... (Recueil général, etc., t. VIII, p. 731.)

* On sait que les aides étaient une imposition levée sur les denrées et marchandises. Abolies par Charles, encore dauphin, en 1418, elles furent rétablies par lui le 28 février 1435. Quant à la taille, elle se levait sur les, personnes à raison de leurs biens. Le nom de gabelle, d'abord employé pour signifier toute imposition sur les marchandises ou denrées, fut, par la suite, uniquement affecté à l'impôt sur le sel. Mais an quinzième siècle il se confondait encore avec le mot aide. (Recueil général des anciennes lois françaises, t. VIII, p. 834, note de M. Decrusy.)

[33] M. Quicherat, Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, p. 24.

[34] Épître de Jean Jouvenel des Ursins à Charles VII, Bibl. Nat. Mss. Fonds Saint-Germain, n° 352, folio 74, citée par. M. Quicherat.

[35] Georges Chastelain, fragment publié et cité par M. Quicherat, ubi supra.

[36] Amelgard ; voici le passage : Sed et cum alicui bono et honesto homini aliquis canum palatinorum invidiam conflare vellet atque in eum, regiam indignationem excitare, illud sibi pro crimine capitali impingebatur, quod de pulchra Agnete locutus fuisset. Voir aux pièces justificatives, n° 1, extrait F.

[37] Le P. Daniel, Histoire de France, année 1440.

[38] Mémoires de Jacques Du Clercq, édition du Panthéon littéraire, p. 175. —Voir aussi aux pièces justificatives, n° 11, Le chant des laboureurs, dans les Vigilles de Charles VII.

[39] Polydorus Virgilius, cité par le P. Daniel, t. VII, année 1461.

[40] Pendant longtemps on s'était servi, pour représenter le mort, dans les obsèques d'apparat, d'un personnage vivant qu'on habillait comme le défunt. On lit dans l'Histoire du Languedoc, de dont Vaissette, qu'une somme de cinq sous fut donnée, l'an 1300, à un nommé Blaise pour avoir fait le mort aux funérailles de Jean de Polignac. Peu à peu, dit M. le comte de Laborde, à qui j'emprunte ce fait, on devint plus exigeant. Louis d'Orléans disait, quatre ans avant sa tragique mort, dans son testament : Je vueil et ordonne que je soye mis en habit des religieux Célestins sur une cloye, à la pure terre, sans aucune chose mettre sur ladicte cloye, ayant mon visaige et mes mains descouvers. Toutevoies, se mon corps ne se povoit garder sans trop puer, si en soit fait une représentation. —Après la mort de François Ier, François Clouet, peintre de la cour, reçut 176 livres 18 sous tournois, pour dépenses de son mestier, par luy faictes pour l'effigie du dict feu roy. La renaissance des arts à la cour de France, t. I, p. 48 et 82.

[41] Il y avait encore à Bourges, en 1476, un chanoine de ce nom (M. Raynal, loc. cit., p. 126). C'était probablement le même que le prédicateur dont il est ici question.

[42] Mathieu de Coucy, dans Godefroy.

[43] Ces officiers étaient, de temps immémorial, en possession de porter les corps des rois morts. Cela signifiait que, comme le sel, lit mémoire des rois se conserve toujours.

[44] C'était un des théologiens les plus distingués de l'Université de Paris. il avait été l'un des juges de Jeanne Darc, et peut-être celui de tous qui, à raison de ses lumières, de son éloquence, de l'austérité de son caractère, avait le plus contribué à la condamnation de la Pucelle. Malgré cela, il continua à jouir de la faveur du roi Charles VII jusqu'à sa mort. Il faut voir dans les curieux aperçus de M. Quicherat sur l'Histoire de Jeanne d'Arc, p. 95 et suivantes, les explications donne au sujet des principaux juges de Jeanne Darc. L'un d'eux, Guillaume Érard, était traité par le confesseur de Charles VII, de vir clarissimœ virtutis et cœlestis sapientiœ. Quant à Thomas de Courcelles, M. Quicherat dit qu'il faut reconnaître en lui le père des libertés gallicanes. Thomas de Courcelles fit, en effet, partie avec Jacques Cœur de l'ambassade que Charles VII envoya à Rome en 1448 (voir t. I, p. 173), et qui, en même temps qu'elle fit accepter par le pape la pragmatique sanction, termina définitivement le schisme qui désolait l'Église depuis si longtemps. — Il résulte de l'appréciation de M. Quicherat que la condamnation de Jeanne Darc aurait été tout autant le résultat de l'erreur que de la passion, et que l'opinion des contemporains ne se prononça pas d'une manière bien énergique, même après le procès de réhabilitation, contre les juges de la malheureuse héroïne de Domrémy.

[45] Voyez dans Godefroy, Histoire de Charles VII, Jean Chartier, p. 316 à 320 ; Jacques Doublet, p. 321 ; Mathieu de Coucy, p. 732 à 738.