JACQUES CŒUR ET CHARLES VII - OU LA FRANCE AU XVe SIÈCLE

TOME SECOND

 

CHAPITRE VIII.

 

 

Causes de la popularité d'Agnès Sorel. — Quatrain de François Ier et conte de Brantôme. — Confiance que l'on doit accorder à ces deux autorités. — Famille d'Agnès Sorel. — L'époque de sa naissance -est incertaine. — Elle est attachée à la maison d'Isabeau de Lorraine, femme de René d'Anjou. — Gages qu'elle y avait en 1444. Sa liaison avec Charles VII parait remonter à 1432. — Elle en a une fille vers 1434. — Vient à la cour de France en 1444. — Changement dans la conduite privée de Charles VII. — Il donne à Agnès plusieurs châteaux et une pension de 3.000 livres. — Troubles causés dans la famille royale par la faveur d'Agnès Sorel. — La reine en témoigne un grand déplaisir. — Singulière délibération des gens du conseil du roi à ce sujet. — Explication non moins étrange de la conduite privée de Charles VII par un contemporain. — Doléances réciproques de la duchesse de Bourgogne et de la reine. — Agnès Sorel protège des jeunes gens d'armes et gentils compaignons. — Détails sur sa vie et ses mœurs. — Elle fait une visite aux Parisiens en 1448 et n'en est pas bien reçue. —Agnès Sorel jugée par l'historiographe de Charles VII. — Elle fait des donations considérables à diverses églises. — Lettres qu'elle écrit à mademoiselle de Belleville, au sire de La Varenne et au prévôt de la Chesnaye. —De la toilette des femmes au quinzième siècle. — Agnès Sorel porta les premiers diamants taillés. — Influence fâcheuse qu'elle exerce sur les mœurs. — Elle fait nommer un de ses parents évêque de Mmes. — Elle se rend à Jumièges pour y faire ses couches et tombe gravement malade. — Elle fait ses dispositions testamentaires et laisse presque toute sa fortune aux églises. Ses derniers moments. — On lui élève un mausolée à Jumièges et un autre à-Loches. — Épitaphes françaises et latines. — Charles VII achète ses bagues et joyaux. —Antoinette de Maignelais, nièce d'Agnès Sorel, la remplace auprès du roi. — Plusieurs demoiselles, des plus belles du royaume, suivent Charles VII dans tous ses voyages. — Le dauphin est soupçonné d'avoir fait empoisonner Agnès Sorel. — Sourdes rumeurs, contre Jacques Cœur. — Sa confiance. — Il reçoit une gratification du roi qui le fait arrêter quelques jours après.

 

La duchesse d'Étampes, Diane de Poitiers, Gabrielle d'Estrées, mademoiselle de La Vallière, madame de Montespan, madame de Pompadour et beaucoup d'autres maîtresses des rois de France ont laissé un nom célèbre. Aucun de ces noms, il faut le dire, n'est devenu aussi populaire que celui d'Agnès Sorel[1]. Un joli quatrain de François Ier[2], une historiette de Brantôme, tels sont les titres sur lesquels cette popularité repose. On connaît l'historiette de Brantôme. Ce libre causeur rapporte que Charles VII, absorbé par son amour, négligeait les affaires du royaume pour ne s'occuper que d'Agnès Sorel. Un jour, celle-ci lui aurait dit qu'étant encore jeune fille un astrologue lui prédit qu'elle serait aimée par l'un des rois les plus vaillants et les plus courageux de la chrétienté ; qu'elle avait d'abord cru que cette prédiction était réalisée, mais qu'elle s'apercevait qu'il n'en était rien, et qu'il était sans doute question dans la prédiction du roi d'Angleterre qui faisoit de si belles armes et prenoit tant de belles villes à la barbe du Roy ; dont, lui dit elle, je m'en vais le trouver, car c'est celuy duquel entendoit l'astrologue. Ces paroles, ajoute Brantôme, picquèrent si fort le cœur du Roy qu'il se mit à plorer, et de là en avant, prenant courage, et quittant sa chasse et ses jardins, prit le frein aux dents, si bien que, par son bonheur et vaillance, chassa les Anglais de son royaume[3].

Malheureusement pour Agnès Sorel, ce récit d'un écrivain qui vivait environ un siècle après l'événement qu'il raconte[4] ne repose sur aucune donnée authentique. On ne trouve, en effet, dans aucun historien du temps, ni même du siècle suivant, le moindre indice de l'influence heureuse que l'on a attribuée à la maîtresse de Charles VII. L'histoire apprend, au contraire, que ce prince n'eut, pas seulement quelques accès dé courage, mais qu'il partagea, dans un grand nombre de sièges, les dangers de ses compagnons d'armes. Naturellement pacifique, il est vrai, il lutta toute sa vie contre ses goûts, car il fit la guerre pendant trente ans ; mais le quatrain de François Ier et le conte de Brantôme, sont depuis plusieurs siècles dans toutes les mémoires. Ce quatrain et ce conte ont, d'ailleurs, un côté poétique par lequel les romanciers, les peintres, ainsi que la plupart des historiens eux-mêmes ont été séduits, et pendant des siècles encore, toujours peut-être, on répétera que c'est grâce aux mâles inspirations et aux nobles reproches d'Agnès Sorel que Charles VII sortit de sa torpeur pour délivrer la France de la présence des Anglais.

L'époque de la naissante d'Agnès Sorel n'a pas été constatée d'une manière précise ; on suppose toutefois qu'elle vint au monde en 1409. Son père, Jean Soreau, écuyer, seigneur de Saint-Géras et de Coudun, et sa mère, Catherine de Maignelais, habitaient alors le village de Fromenteau, près de Loches, en Touraine. Entrée de bonne heure au service d'Isabeau de Lorraine, femme de René d'Anjou, Agnès Sorel était encore attachée à cette princesse en 1444 et recevait, à ce titre, seulement vingt livres par an, alors que deux autres dames d'honneur, madame Marie de Maillé et madame de Manonville, damoiselle de Beauveau, en recevaient cent vingt[5]. Des historiens ont raconté qu'Isabeau de Lorraine, dans un voyage qu'elle avait fait à la cour de France en 1431, y avait amené Agnès Sorel, dont Charles VII s'était épris et qu'elle ne l'avait plus quitté depuis[6]. Cependant, il est constaté qu'Isabeau de Lorraine ne vint pas à la cour de France avant 1444[7]. Or, les relations qui s'établirent entre Charles VII et Agnès Sorel avaient commencé bien longtemps avant cette dernière époque. Des lettres de donation de Charles VII et de Louis XI constatent, en effet, d'une manière officielle, que, sur quatre des filles de Charles VII et d'Agnès Sorel, la première naquit vers 1434, et la seconde environ deux ans après[8].

Agnès Sorel resta donc officiellement attachée à la maison d'Isabeau de Lorraine bien des années après être devenue la maîtresse de Charles VII. Vers 1444, un peu avant peut-être, celui-ci cédant sans doute à de longues obsessions lui permit de venir s'établir à la cour. L'empire de l'habitude l'emportait. Le voile qui avait, pendant plus de dix ans, enveloppé leur intimité tomba dès lors empiétement. Aux mystérieuses et discrètes amours de la jeunesse avaient succédé les passions moins contenues de l'âge mûr. Agnès Sorel devint la maîtresse en titre du roi. Fière du triomphe qu'elle venait d'obtenir, elle ne négligea rien pour le rendre aussi public que possible. En peu de temps, grâce à l'éclat de Sa maison, ail luxe et aux hardiesses de sa toilette, à la hauteur de ses manières envers la reine ; le scandale fut aussi grand qu'il pouvait l'être.

Le changement qui s'opéra vers cette époque dans les mœurs de Charles VII a été signalé par les chroniqueurs contemporains. Iceluy roy Charles, a dit l'un d'eux, ains (avant) qu'il euist paix au duc de Bourgoigne, tnenoit moult saincte vie et disoit ses heures canonniaulx, mais depuis la paix faite au dit duc, jà-soit ce qu'il continuast au service de Dieu, il s'accointa d'une josne femme, venue de petit lieu d'envers Thours, nommée Agnès, laquelle depuis feust appelée la belle Agnès ; laquelle belle Agnès menoit plus grand estat que la royne de France. Et se tenoit peu ou néant la dite royne Marie avec le dict Roy Charles, combien qu'elle feust moult bonne et très-humble dame ; et, comme on disoit, moult estoit saincte femme. Icelle belle Agnès estoit, sy comme on disoit, une des belles femmes du royaulme...[9]

Les témoignages de la faveur dont jouissait Agnès Sorel ne se firent pas attendre. La Couronne possédait, dans les environs de Paris, sur la rivière de la Marne, un joli château, appelé Beaulté ; Charles VII en fit donation à sa maîtresse. — Afin qu'elle oust aucun filtre, a dit un historien du temps[10], le Roy lui donna, sa vie durant, la place et Chastel de Beaulté, près le bois de Vincennes. — Et, comme entre les belles, observe un autre historien, elle estoit tenue la plus belle, elle fut appelée madamoyselle de Beaulté, tant pour ceste cause, comme pour ce que le Roy luy avoit donné le chastel de Beauté-lez-Paris[11]. Dans les années qui suivirent, Charles VII fit également donation à Agnès Sorel de la châtellenie de la Roquecesière en Rouergue, d'une terre à Issoudun, d'une autre terre à Vernon-sur-Seine, de la seigneurie d'Anneville, située sur la Seine, à peu de distance de l'abbaye de Jumièges. Enfin, d'anciens registres de la Chambre des comptes constatent en ces termes un don fait à Agnès Sorel : A madame de Beaulté, baillé 3.000 livres que le Roy lui a ordonnées pour sa pension de l'an mil CCCC, XLVII[12].

Cependant, ces marques si publiques de l'attachement de Charles VII pour Agnès Sorel avaient de nouveau jeté le trouble dans la famille royale déjà si profondément divisée depuis longtemps par les démêlés du dauphin avec son père. Le dauphin avait, dit-on, témoigné de tout temps à Marie d'Anjou, sa mère, une affection sincère, en reconnaissance des soins particuliers qu'elle avait eus pour son enfance. On a la preuve, à la vérité, qu'il donna, vers 1444, à Agnès Sorel diverses tapisseries qu'il avait rapportées d'une expédition contre le comte d'Armagnac[13]. Mais cette bonne entente n'avait pas été de longue durée, et des scènes violentes y avaient succédé. Un jour, outré de colère contre Agnès, à cause de quelques propos qu'elle avait tenus contre la reine, le dauphin avait, dit-on, frappé la favorite. De son côté, Marie d'Anjou, malgré sa résignation et sa douceur, ne pouvait supporter les airs triomphants et le luxe d'Agnès. Ces discussions préoccupèrent vivement Charles VII. Alors, dit un annaliste du règne suivant, parce que l'on voyoit que le Roy estoit fort pensif et peu joyeulx, et qu'il estoit expédient de l'esjouir, par la délibération du Conseil, fust digit à la Royne qu'il estoit expédient que le dict seigneur fist bonne chiére à la dicte datnoiselle (Agnès Sorel), et qu'elle (la reine) ne montrast aucun semblant d'en estre mal contente, ce que la femme fist et dissimula, combien qu'il luy grevast beaucoup[14].

Au plus fort de ses chagrins domestiques, Marie d'Anjou reçut la visite de la duchesse de Bourgogne. Celle-ci reprochait, non sans raison, à son mari, les mêmes désordres dont Charles VII ménageait si peu le spectacle à la reine. Les deux princesses confondirent leurs douleurs et se lièrent de grande amitié. Le chroniqueur bourguignon qui raconte ces détails ajoute, en ce qui concerne Marie d'Anjou, qu'elle avait bien raison de se plaindre. Le roi, ajoute-t-il, avoit nouvellement élevé une pauvre damoiselle, gentil femme, nommée Agnès du Soret, et mis en tel triomphe et tel pouvoir que son estat estoit à comparer aux grandes princesses du royaume : et certes, c'estoit une des plus belles femmes que je vey oncques, et fit, en sa qualité, beaucoup de bien au royaume de France ; elle avançoit devers le Roy jeunes gens d'armes et gentils compaignons dont le Roy fut depuis bien servy[15].

Des accusations plus formelles furent dirigées contre Agnès Sorel, et elles trouvèrent un écho dans un évêque français contemporain, auteur d'une histoire de Charles VII. A la vérité, cet évêque écrivit dans l'exil[16]. Suivant lui, Charles VII et sa maîtresse se trahissaient réciproquement. De leur côté, les chroniqueurs bourguignons sont unanimes pour blâmer le scandale dont Charles VII était la cause. Comparant la situation de la reine avec celle d'Agnès Sorel, l'un d'eux dit que la dernière avoit son quartier de maison à l'ostel du roy, mieulx ordonné et appointé que celuy de la reine ; plus beaux parements de lit, meilleure tapisserie, meilleur linge et couvertures, meilleure vaisselle, meilleures bagues et joyaulx, meilleure cuisine et meilleur tout. Il ajoute que les seigneurs et le roi faisaient assidûment leur cour à la favorite, qu'elle avait des robes plus longues et plus coûteuses qu'aucunes de celles des princesses du royaume, qu'elle passait sa vie à inventer des habillements ruineux, et qu'elle portait les épaules et la gorge découvertes[17].

Enfin, l'auteur du Journal d'un bourgeois de Paris, Bourguignon exalté, dont la paix d'Arras elle-même et le rétablissement de l'ordre dans le royaume n'avaient pas calmé les vieilles rancunes, rend compte comme il suit d'une visite qu'Agnès Sorel fit aux Parisiens. La darraine sepmaine 1448 vint à Paris une damoiselle, laquelle on disoit estre aimée publiquement du Roy de France, sans foi et sans loi, et sans vérité à la bonne royne qu'il avoit espousée ; et bien y apparoist qu'elle menoit aussi grand estat comme une comtesse ou duchesse ; et alloit et venoit bien souvent avecques la bonne royne de France, sans ce qu'elle eust point honte de son peschié. Dont la royne avoit moult de douleur à son cueur ; mais à souffrir lui convenoit pour lors. Et le Roy pour plus monstrer et manifester sou grant peschié et sa grant honte et d'elle aussi, lui donna le chastel de Beauté, le plus bel chastel et joli, et le mieux assis qui fust en toute,l'Isle de France. Et se nommoit et faisoit nommer la belle Agnez ; et pour ce que le peuple de Paris ne luy fist une telle révérence comme son grant orgueil demandoit, que elle ne pot celler, elle dist au despartir que ce n'estoient que villains, et que si eust cuidé que on ne luy eust faiz plus grant honneur, elle n'y eust jà entré ne mis le piè, qui eust été dommaige ; mais il eust esté petit. Ainsi s'en alla la belle Agnez, le dixième jour de may ensuivant, à son peschié comme devant. Hélas ! quelle pitié quant le chef du royaume donne si malle exemple à son peuple ![18]

Naturellement, les chroniqueurs français contemporains n'osaient pas aborder un pareil sujet[19]. Un d'entre eux, religieux de l'abbaye de Saint-Denis et historiographe de Charles VII, se crut néanmoins obligé, à raison même de ses fonctions, de démentir les bruits auxquels le luxe et les dépenses d'Agnès Sorel donnaient lieu. Dans sa bonhomie, il ouvrit une véritable enquête, il interrogea, sous serment, les chevaliers, conseillers, écuyers, médecins et chirurgiens du roi, qui lui répondirent que tous ces bruits étaient calomnieux et devaient être attribués à la méchanceté du peuple plus enclin, dit-il, aujourd'huy à penser et dire mal que bien. L'historiographe du roi reconnaissait d'ailleurs que, depuis qu'elle était au service de la reine, Agnès Sorel avoit eu toutes sortes de plaisances mondaines et tous les passetemps et joyes du monde, c'est à savoir de porter grands et excessifs atours de robes, fourrures, colliers d'or et de pierreries, et avoir eu tous ses autres plaisirs et désirs comme estant jeune et jolie. Quant à Charles VII, pendant les cinq ans que la dite damoiselle demeura avec la reyne, oncques ne délaissa de coucher avec sa femme dont il a eu quantité de beaux énfans. Mesmes que c'estait souvent contre sa volonté que la dite Agnès portoit si grand estat, mais pour ce que c'estoit le bon plaisir d'icelle reyne, il temporisoit au mieux pouvoit, combien qu'il connoissoit et apercevoit bien que la chose luy redondoit et tournoit à opprobre. Et dirent en outre les interrogez sur cette matière, que quand le Roy alloit voir les dames et damoiselles, mesmement en l'absence de la reyne, ou qu'icelle Agnès le vênoit voir, il y avoit toujours grande quantité de gens présens qui oncques ne la virent toucher par le Roy au dessous du menton, mais s'en retournoit après les esbatemens licites et honéstes faits, comme à Roy appartient, chacun en son logis, par chacun soir, et pareillement la dite Agnès au sien ; et que l'amour que le Roy avoit en son endroit, comme chacun disoit, estoit pour les folies de jeunesse, esbatemens, joyeusetés avec langage honneste et bien joly qui estoient en elle et aussi qu'entre les belles, c'estoit la plus jeune et la plus belle du monde ; car pour telle estoit-elle tenue.

Satisfait de ces explications, le bon religieux de Saint-Denis veut bien convenir qu'Agnès Sorel eut une fille qu'elle disoit être du roi ; comme du plus apparent. Mais, selon lui, Charles VII s'en était toujours défendu. Il ajoute qu'il y avait, à la cour de la reine, de bien grands seigneurs, et que cette Agnès pouvoit bien avoir emprunté et gagné ladite fille d'ailleurs[20].

Tels furent les résultats de l'enquête à laquelle se livra, sur ce point délicat, l'historiographe de Charles VII. En même temps, d'ailleurs, qu'elle étalait un luxe de toilette et d'ameublement inconnu jusqu'alors, Agnès Sorel distribuait d'abondantes aumônes aux pauvres, aux mendiants, et faisait aux églises des donations considérables. L'église collégiale de Loches, non loin de laquelle elle avait une résidence que l'on nommait dans le pays la maison de la petite reine[21], eut principalement part à ses largesses. De son côté, Charles VII portait une dévotion particulière à cette église située dans l'enceinte du château royal qu'il avait fait reconstruire et où sa maîtresse avait, suivant l'expression d'un chroniqueur bourguignon, un quartier de maison qu'on appelle encore aujourd'hui le logis de la belle Agnès[22]. C'est à Loches que Charles VII et Agnès Sorel résidaient habituellement. En 1444, celle-ci fit don au chapitre de l'église collégiale d'une croix d'or destinée à enchâsser un morceau de la vraie croix. Elle offrit, en outre, à la même église une petite statue d'argent doré représentant sainte Marie-Madeleine, et renfermant de précieuses reliques. La statue portait cette inscription : En l'honneur et révérence de sainte Marie-Madeleine, noble damoiselle mademoiselle de Beaulté a donné cette image en cette église du château de Loches ; auquel image est enfermée une coste et des cheveux de la dite sainte ; et fust l'an mil CCCC quarante et quatre. D'autres joyaux, des ornements divers, de magnifiques tapisseries furent aussi donnés par Agnès Sorel à l'église collégiale de Loches. Parmi ces tapisseries, on admirait principalement, aux jours de grandes fêtes, dans le chœur et la nef, un sujet se composant de six pièces et représentant l'histoire de la chaste Suzanne[23].

Quelques lettres d'Agnès Sorel, heureusement parvenues jusqu'à nous, donnent sur son caractère de précieuses indications[24]. D'après les détails qu'elles contiennent, Agnès Sorel devait affectionner les promenades, les distractions bruyantes, et particulièrement la chasse. L'une de ces lettres, adressée au sire de La Varenne, son compère, explique, en outre, les libéralités qu'elle faisait aux églises. Enfin, celle pour le prévôt de La Chesnaye donne de son caractère une idée très-différente de l'impression laissée par le Journal d'un Bourgeois de Paris. Les deux premières lettres sont adressées à mademoiselle de Belleville et portent pour suscription ces mots : A mademoiselle de Belleville, ma bonne amye[25] :

Madamoiselle ma bonne amye, ge me recommande de bon tuer à vous. Ge vous pri volloyr bailler à se porteur Christofle ina robbe de gris doblée de blanchet et toutes paires de gans que trouverés en demourer, aiant led. Cristofle perdu mon coffre où en avois prins nombre. Vous pléra oultre recepvoir de luy mon levryer. Carpet, que vouldrez norrir de vous costé et ne lairré aler à chasse avesques nuz ; cuar n'obéyt-il à sillet ne apel, qui me faict cause de le renvéer, et seroit aultant dyre perdeu ; que me seroit à Brant poine et l'aiez byen recommandé, ma bonne amye, et me ferés plésir. Priant Dieu vous donner sa grasse. De Razillé, ce VIIIme jour de septambre. La toute votre bonne amye, AGNÈS.

Madamoiselle ma lionne amye, de bien bon cuer me recommande à vous. Plèse vous savoir que je m'esmerveille du raport que m'avés fait par le jeune Dampere et le vous rentourne pour aydier à vous mettre hors de cecy quy vous a den estre de grant ennuy. Plèse vous savoir que nous esjoissons tant du mielx que povons en ces cartyers et y debvez sytost venir que serez hors dudit ennuy qui sera tant tort, comme bien espère. Attendant, avons faict chace hyer à ung pore sangler ; et s'est tournée mal la dicte cliace au préjudice dud. petit Robin, aiant esté frappé d'ung talion que ung des veneurs cuidoit tirer audit sangler en ung buisson, et luy en est assez grefve navreure, mais bien espere qu'en garira, par prompte voie et le feray bien governer. Au demourant, s'il est aultre que pour vous faire puisse attendant votre veneue, faictes le moy savoir et le feray de très bon tuer ; et à Dieu, mademoiselle ma bonne amye, qui vous doint ce que désirez. De Candé, ce venredy après la Saint-Michil. La toute votre bonne amye, AGNÈS.

La première des lettres adressées par Agnès Sorel au sire de La Varenne[26], offre un intérêt particulier à raison de l'événement qu'elle y raconte, de la Cause attribuée par elle à la chute du voleur de ses diamants et des termes mêmes du récit. La seconde lettre témoigne de l'obligeance d'Agnès à l'égard de ceux qui recouraient à elle.

Monsieur mon très chier amyt et bon conpère, ge me recommande à vous tant comme ge puys. Ge vous envoye les lettres de respit touchant l'ommaige de La Fresnoye, vous priant conjointtement en voulloyr adviser et me fère se servisse de le mectre à bien, ne povant de dessa partyr, et pour pryères que luy en ay sceu fère, ne se veult cesser d'y demourer, où nous debvrez donques revenir à serchier, rapportant response du dessus-dit. Pour le seurplus, continue estre en bon estat et vaz chacun jour au long de la grève de Loyr. Monsieur mon conpère, nous est advenu adventeure d'ung homme que l'en a dyt estoit rufien et maqueriau et accoinctoit une des femmes, et est entré de nuict en l'ostel, ouquel a prins à forsse de ferremenz, en une arche des joyaulz et relyquayres que à la dicte femme estoit lessez en guarde. Et se sauvant, est cheu au saillyr d'ung foussé, où a esté reprins ; et sy dyt-on qu'est ce du fayt de ces relyquayres se ainsy a esté reprins. Monsieur mon congère, ge me recommande à vous tant comme ge puys, et à Dieu qui vous doint vos dessirz. Escript à Anboize ce disuitiesme jour d'aoust. La toute votre bonne amye et commère ; AGNÈS.

Monsieur mon congère, ge me recommande à vous tant espécialement que je puys. Comme ung nommé Mathelin Tierry, le quel est père d'une des filles de mon ostel, me a fayt remoustrer que une rente qu'il souloit prendre sur ung estail de bouchier de la ville de Chynon, et que estoit de vingt-deuz sols est naguières amendry à l'occasion des guerres et ne vault présentement que seize sols, des quelz joint au pou que luy demoure, ne luy est loisyble de vivre et est tumbié en grant povreté ; suppliant le dit Mathelin que luy veillez bien acorder et condescendre à donner ung ofysse qui luy a esté promis de vostre escuier Guionnet, le quel luy viendroit bien à point pour son entretenement ; cy donques vous le veuz pryer acorder et y condescendre, quy ynsy viendroit au dit Mathelin à indemnité d'avoyr esté rigoureusement traytié en sa dite rente et me ferez bon plésir de le despéchier ; comme prie à Dieu, monsieur mon conpère, que vous doint ce que désirez. De Cucé, le pénultième jour d'apvril. La toute votre servante et commère, AGNÈS[27].

Enfin, la lettre suivante pour prévôt de la Chesnaye prouve que les malheureux n'imploraient pas en vain la miséricorde d'Agnès Sorel.

Monsieur le prévost, j'ay entendu que quelques uns de la Nroisse de la Chesnaye ont esté par vous adjornez sur le suspeçon d'avoir prins certains boys de la forest du dit lieu ; et à eulz ont esté unes journées sur ce assignées pour entendre une informacion faicte sur leur inocence. Sur quoy, ayant sceu qu'aucunes des dictes gens sont povres misérables personnes et que ilz aient grant misère à gaigner leur vie et gouvernement d'eulx, leurs femmes et enfans, ne yens en rien qu'il soit suivy oultre à la dicte information et journées et que les dictes gens soient empeschiez aulcunement en corps ne en leurs biens, s mais por eulx au contraire soit mise la dicte afère à nient ; et en ce faisant sans délay me ferez service aggréable. Priant Dieu, monsieur le prévost, qu'il vous doint bonne vie et vous tienne en sa garde. Du Plessis, ce VIIIe jour de juing. Vostre bonne mestresse, AGNÈS.

Cependant, la faveur dont jouissait Agnès Sorel durait depuis environ dix-huit ans sans avoir éprouvé d'interruption sensible. Durant cette période, une révolution à laquelle elle avait principalement contribué s'était en quelque sorte opérée dans la toilette. Le préambule d'une ordonnance du temps constate que, de toutes les nations de la terre habitable, il n'y en avoit point de si difformée, variable, outrageuse, excessive, inconstante en vestemens et habits que la nation françoise, et que, par le moyen des habits, on ne cognoissoit l'estat et vacation des gens, soit princes, nobles hommes, bourgeois, marchands ou gens de mestier, parce qu'on tolérait à un chascun se vestir et habiller à son plaisir, fust homme ou femme, soit de drap d'or ou d'augent, de soye ou de laine[28]. La toilette des femmes était sans doute pour beaucoup dans cet anathème lancé contre le luxe et l'inconstance des modes. Les dentelles n'avaient pas, il est vrai, encore pénétré en France. D'un autre côté, les chemises des plus grandes dames étaient de serge, et l'on a remarqué, comme une singularité, sur un inventaire d'objets ayant appartenu à la reine Marie d'Anjou, qu'elle avait deux chemises de toile[29]. Mais les draps d'or ou de soie, les tapisseries, les bijoux suffisaient pour ruiner les familles. On a vu, par le récit d'un chroniqueur bourguignon, le luxe qu'Agnès Sorel portait dans ses ornements de lit, ses tapisseries, son linge, sa vaisselle, ses bagues et joyaux, sa cuisine. Une innovation importante lui était, de plus, réservée. On ne connaissait pas encore, à cette époque, l'art de tailler les diamants qu'on employait, à la vérité, pour orner les couronnes des rois et les reliquaires, mais bruts et à peine dégrossis. C'est Agnès Sorel qui les porta, dit-on, la première dans tout leur éclat[30].

Forte du long attachement de Charles VII, Agnès Sorel voyait sa fortune s'augmenter chaque année, et elle éclipsait par son faste la reine, les princesses et les duchesses dont la plupart se ruinaient sans pouvoir l'égaler. N'estudioit qu'en vanité jour et nuit, a dit un chroniqueur, pour desvoier gens et pour faire et donner exemple aux preudes femmes de perdition d'onneur, de vergoigne et de bonnes mœurs, dont ce fut pitié que la plupart de France et des marches adjacentes, tout le souverain sexe s'en trouva beaucoup ensouillé. Et fit pareillement la noblesse du royaulme, qui, toute quasi donnée à vanité par son exhort et par son exemple, se desvoia[31]. En même temps, Agnès Sorel profitait de son influence pour avancer sa famille. En 1447, l'abbaye de Saint-Crépin-le-Grand de Soissons étant devenue vacante, des compétiteurs nombreux se présentèrent ; Agnès la fit donner à Geoffroy Soreau, son parent, et, suivant toutes les apparences, son cousin, car il ne mourut qu'en 1503. Au mois de janvier 1450, Geoffroy Soreau fut appelé à l'évêché de Nîmes[32]. Cette nomination parut-elle bien justifiée ? Il est permis d'en douter sur le témoignage d'un grave annaliste contemporain, d'après lequel l'élévation subite de quelques-uns des parents d'Agnès à de hautes fonctions ecclésiastiques aurait principalement confirmé les soupçons que l'on avait déjà de ses relations avec Charles VII[33].

Telle était la faveur d'Agnès Sorel vers l'année 1449. Jamais, sans doute, elle n'avait été plus grande. Si l'on en peut juger par le portrait allégorique qui fut fait d'elle vers cette époque et qui la représente le sein gauche entièrement découvert, les yeux baissés, d'abondants cheveux ondoyant sur des épaules un peu fortes, sa beauté devait être alors dans tout l'éclat de la maturité. Trois filles qu'elle avait de Charles VII lui étaient, d'ailleurs, autant de garanties de la stabilité de son influence. De nouveau enceinte, elle vint, au mois de janvier 1449, à son château d'Anneville, voisin de l'abbaye de Jumièges en Normandie, pour y faire ses couches et se rapprocher du roi qui disputait courageusement cette province aux Anglais, assistant à tous les sièges, dirigeant lui-même les opérations. L'accouchement terminé, une maladie grave se déclara. Bientôt, le danger devint imminent. Alors, dit l'historiographe de la cour qui tenait ces détails du confesseur même d'Agnès Sorel et auquel on doit toute confiance sur ce point, elle eut une fort belle contrition et repentance de ses péchez, luy souvenant de Marie-Madeleine, qui fut grande pécheresse au péché de la chair. Elle avait, avant de tomber malade, écrit sur ses heures des vers de saint Bernard ; elle les demanda pour les réciter, invoqua Dieu, la Vierge, et reçut les sacrements[34]. Elle s'occupa ensuite de dicter ses dernières volontés. Elle laissa à l'abbaye de Jumièges, d'après un acte authentique contemporain, 800 saluz d'or de 60 au marc, pour convertir et employer à l'achapt de 60 livres tournois de rente, à la condition par les religieux de dire et célébrer perpétuellement et à toujours, c'est à sçavoir : par chacun jour, une messe basse de requiem, et, par chacun an, au jour que la dite défunte alla de vie à trespas, ung obit solennel à diacre et soubs diacre, avec vigile de mort le jour précédent[35]. L'église collégiale de Loches, à laquelle Agnès Sorel avait autrefois donné une croix d'or, une petite statue de la Madeleine en argent doré, divers joyaux, de magnifiques tapisseries, obtint en outre, par testament, deux mille écus d'or qui furent affectés à l'acquisition de plusieurs terres voisines de Frementeau, ainsi qu'à la construction des stalles du chœur. D'autres églises, au nombre desquelles figuraient la collégiale de Saint-Martin de Léré dans le diocèse de Bourges et l'abbaye de Saint-Martin de Tours, eurent également part aux libéralités d'Agnès Sorel[36]. D'un autre côté, elle ne légua que cinq cents écus, pour son avancement, à André Soreau, son frère, alors âgé de seize ans. Or, l'ensemble des sommes qu'elle laissa, dit l'historiographe de Charles VII, tant pour aumosnes, due pour payer ses serviteurs, fut estimé à soixante mille écus. Elle désigna, en même temps, ses exécuteurs testamentaires qui furent, après le roi, Jacques Cœur, Etienne Chevalier et Robert Poitevin, médecin de Charles VII.

Les derniers moments d'Agnès Sorel furent pleins de regrets et d'angoisses. On raconte que, voyant sa fin approcher, elle dit aux personnes qui l'entouraient, que c'estoit peu de chose, et orde et vile de nostre fragilité. Ses souffrances augmentant, elle demanda à son confesseur de l'absoudre de toute peine, en vertu d'une indulgence qu'elle avait à Loches ; le confesseur la crut sur parole et fit ce qu'elle désirait. Puis, après qu'elle eut fait un fort haut cry, en appelant Dieu, et invoquant la benoiste vierge Marie, son ame se sépara de son corps, le lundy neufiesme jour de février, l'an mil quatre cent quarante neuf, environ sur les six heures après midi[37].

Conformément aux dernières volontés d'Agnès Sorel, sou cœur et ses entrailles furent déposés à l'abbaye de Jumièges, dans la chapelle même de la Vierge où on lui éleva un mausolée en marbre noir, haut d'environ trois pieds, surmonté d'une statue en marbre blanc. Elle y était représentée à genoux, tenant entre les mains un cœur qu'elle offrait à la Vierge, comme pour la supplier de la réconcilier avec Dieu. Au pied du tombeau était un autre cœur également en marbre blanc. Ce mausolée, qui a été détruit dans les guerres religieuses du seizième siècle, portait l'épitaphe suivante :

Ci git Agnès Surelle, noble damoiselle, en son vivant dame de Roqueferrière, de Beaulté, d'Issoudun et de Vernon-sur-Seine ; piteuse entre toutes gens, qui de ses biens donnoit largement aux églises et aux pauvres ; qui trespassa le neuvième jour de février de l'an de grâce 1449. Priez Dieu pour elle.

Deux épitaphes latines furent gravées plus tard sur le mausolée de Jumièges. Agnès Sorel y était qualifiée de duchesse, et comparée à une colombe ; les religieux de Jumièges y parlaient de ses vertus en termes qui, s'ils témoignaient hautement de leur reconnaissance pour les bienfaits qu'ils en avaient reçus, s'accordaient assez mal avec la vérité. L'une ces épitaphes qui ne domptait pas moins de vingt-deux vers, commençait ainsi :

Hic jacet in tumba mitis simplexque Columba,

Candidior cignis, flamma rubicundior ignis....

L'autre épitaphe, composée de -vingt vers, renfermait, entre autres louanges, celle qu'on va lire :

Occubuere simul sensus, species et honestas,

Dion decor Agnelis occubuisse datur.

Solas virtutes, meritum, famamque retinquens,

Corpus cum specie mors iniseranda rapit[38].

Le corps d'Agnès Sorel fut transporté à Loches, où le chapitre de l'église collégiale qu'elle avait comblée de dons lui éleva un magnifique mausolée[39].

Environ dix mois après, ses bagues et ses joyaux furent vendus, et Charles VII les racheta au prix de vingt mille six cents écus dont Jacques Cœur, qui en avait fait l'avance à la succession, fut remboursé, au mois de décembre 1450, au moyen d'une délégation sur les recettes des greniers à sel et de l'équivalent du Languedoc[40].

Ainsi, Charles VII put utiliser de nouveau les bagues et les joyaux qu'il avait autrefois donnés à Agnès Sorel. Charles VII avait alors quarante-huit ana. Si la reine, qui était née vers les premières années du quinzième siècle et dont il avait eu déjà douze enfants[41], s'était flattée qu'il ne formerait plus de liens semblables à ceux que la mort venait de briser, cette illusion dut être de courte durée. Bientôt, le souvenir de son ancienne maîtresse se trouva complètement effacé dans le cœur de Charles VII, et ce ne fut un mystère pour personne qu'une des nièces d'Agnès Sorel, Antoinette de Maignelais, l'avait presque immédiatement remplacée. Après la belle Agnès Sorel morte, dit à ce sujet un chroniqueur contemporain, le Roy Charles accointa en son lieu la niepce de la dicte belle Agnès, laquelle estoit femme mariée au seigneur de Villequier ; et se tenoit son mary avec elle ; et elle estoit bien aussy belle que sa tante, et avoit aussi cinq ou six damoiselles des plus belles du royaulme, de petit lieu, lesquelles suivoient lediet Roy Charles partout où il alloit ; et estoient vestues et babillées le plus richement qu'on pooit, comme roynes ; et tenoient moult grand et dissolu estat, et le tout aux despens du Roy, et le plus grand estat qu'une royne ne feroit ; et ne se tenoit peu ou néant la royne avec son mary. Revenant sur le scandale que causaient ces honteuses  faiblesses de Charles VII, et les belles damoiselles qui le suivoient toujours où qu'il allast, se logeant une lieue au moins près de lui, le même chroniqueur dit que : le daulphin avoit esté et estoit moult desplaisant de ce gouvernement[42].

On a vu que, d'après un évêque contemporain, Charles VII traînait sans cesse après lui, même du vivant d'Agnès Sorel, un troupeau assez nombreux de jeunes femmes, adonnées à toutes sortes de vanités[43]. Un autre écrivain du quinzième siècle a expliqué d'une manière tout au moins singulière la conduite privée de Charles VII. A cause, dit-il, des nombreux travaux que le roi avoit accomplis pour reconquérir la plus grande partie de son royaume, il fut décidé qu'on lui donneroit les plus belles filles que l'on pourroit trouver. Nonobstant cela, sa vertu étoit encore plus grande sans comparaison que son vice[44].

Il s'en faut d'ailleurs que de semblables justifications aient été prises au sérieux. Le roy Charles VII, dit un historien qui écrivait vers la fin du quinzième siècle[45], après qu'il eût chassé ses ennemis et pacifié son royaume, ne fut pas exempt de plusieurs malheuretez : car, il vesquit en sa vieillesse assez luxurieusement, et trop charnellement entre femmes mal renommées et mal vivantes, dont sa maison estoit pleine. Et ses barons et serviteurs, à l'exemple de luy, consumoient leur temps en voluptez, danses, mommeries et folz amours.

Cependant, la mort si imprévue et en quelque sorte soudaine d'Agnès Sorel avait produit, du moins à la cour, une grande sensation. Attribuée par l'historiographe de Charles VII à un flux de ventre, par d'autres écrivains à une suite de couches, cette mort éveilla des soupçons et des bruits d'empoisonnement circulèrent. Les chroniqueurs français contemporains se gardèrent bien de les propager, mais les annalistes bourguignons s'en firent l'écho. Elle ne dura guères et mourut, remarque l'un d'eux à propos d'Agnès Sorel ; et disoit-on qu'elle fust empoisonnée. Les soupçons ne restèrent pas d'ailleurs longtemps dans ce vague, et un nom, celui du dauphin lui-même, fut prononcé. Et volloient aulcuns dire aussi, observe le même chroniqueur, que ledict daulphin avoit jà piéça fait mourir une damoiselle nommée la belle Agnès, laquelle estoit la plus belle femme du royaulme et totalement en l'amour du Roy son père[46]. Un autre chroniqueur bourguignon n'est pas moins explicite : La hayne de Charles VII,contre Louis XI venoit, dit-il, de ce que ce prince avoit plusieurs fois blasmé et murmuré contre son père, pour la belle Agnez, qui estoit en la grâce du Roy beaucoup plus que n'estoit la royne qui estoit moult bonne dame et honorable, dont le daulphin avoit grain despit, et, par despit, il lui fit la mort avancer[47].

Mais ce n'étaient encore là que des rumeurs, et, en admettant qu'elles eussent pris un corps, nul n'eût osé, comme on le pense bien, se porter l'accusateur du dauphin. Déjà, près de dix-huit mois s'étaient passés depuis la mort d'Agnès Sorel, lorsque les bruits d'empoisonnement coururent de nouveau ; mais, cette fois, il ne s'agissait plus de l'héritier de la couronne. Une dame de la cour, qui devait de l'argent à Jacques Cœur, Jeanne de Vendôme, femme de François de Montberon, seigneur de Mortagne sur Gironde, et un Italien, établi en France, Jacques Colonna[48], déposèrent sous serment que l'un des trois exécuteurs testamentaires qu'Agnès Sorel avait désignés sur son lit de mort l'avait empoisonnée, et ils accusèrent formellement Jacques Cœur d'être l'auteur de ce crime.

Depuis la conquête de la Normandie, on n'attendait plus qu'un prétexte pour abattre cette grande existence qui faisait ombrage aux plus hautes positions, sans excepter la royauté elle-même. L'occasion qui se présentait et qu'une intrigue de cour avait évidemment provoquée, fut saisie avec empressement. Au mois de juillet 1451, Jacques Cœur s'était rendu à Taillebourg où se trouvait le roi[49]. Il était plein de confiance dans sa fortune et méprisait les bruits que ses hayneux et malveillants répandaient contre lui. Le 22 juillet ; Charles VII accorda à son argentier une somme de sept cent soixante-douze livres tournois, pour l'aider à maintenir son estat et estre plus honorablement à son service, ainsi que le constate le reçu suivant : Je Jacques Cuer, conseiller et argentier du Roy nostre sire, confesse avoir receu de maistre Estienne Petit, tresorier et receveur general de Languedoc, la somme de sept cens soixante deux livres tournois à moy données par le Roy nostre dit Seigneur par ung role de la distribution de ses finances, donné à Taillebourg le XIIe jour de ce present moys de juillet, pour me aider à maintenir mon estat et estre plus honorablement en son service, ainsi que par le dit role peut plus amplement apparoir, de laquelle somme de VIIc LXII livres tournois je suis content et en quitte le dit receveur general et tous autres à qui quittance en peut et doit appartenir, tesmoing mon seing manuel cy mis le XXVIe jour de juillet l'an mil CCCC cinquante et ung[50]. Rassuré par ce nouveau témoignage de faveur que lui accordait le roi, Jacques Cœur écrivit de Taillebourg à sa femme que son fait estoit aussi bon et qu'il estoit aussi bien envers le Roy que il avoit jamais esté, quelque chose que on en dist[51]. Les événements ne tardèrent pas à lui prouver combien il se trompait. Charles VII était alors en guerre avec les Anglais, toujours maîtres de la Guyenne. Le 31 juillet 1451, il donna l'ordre d'arrêter Jacques Cœur et de se saisir de ses biens, sur lesquels il préleva tout d'abord cent mille écus pour la guerre. En pareille circonstance, une fois le premier coup frappé, les résolutions les plus extrêmes ne coûtent rien. Jacques Cœur en fit l'épreuve. Non content de le dépouiller d'avance de ses biens pour les distribuer aux favoris et à la maîtresse du jour, Charles VII choisit dans le sein du Grand Conseil des commissaires extraordinaires pour juger son argentier. Bien plus, il chargea de la direction même de l'affaire les ennemis déclarés de Jacques Cœur, ceux-là mêmes qui profitaient le plus de ses dépouilles. Cela indiquait clairement le sort qui l'attendait. Quoi qu'il en soit, des témoins furent assignés, entendus, et le procès commença immédiatement.

 

 

 



[1] On écrivait, au quinzième siècle, Seurelle ou plus souvent Sorelle, bien que le nom de famille fût Soreau. Cette habitude de modifier le nom des femmes était commune au moyen âge. On lit dans les Mémoires de Duclercq (année 4465) : Au dit an, le 21e jour de juing, en la ville d'Arras, une femme mariée, nommée Jahanne Lenglesse, femme de Jehan Lenglé.... Le même usage existe encore dans les campagnes, notamment en Provence.

[2] Voici ce quatrain :

Gentille Agnès, à bon droit plus mérite,

La cause estant de France recouvrer,

Que ce que peut dedans un cloistre ouvrer,

Close nonain ou bien dévot hermite.

[3] Brantôme, Vies des dames galantes, discours VI. — On trouve dans une Histoire des favorites, imprimée sous la rubrique, Constantinople, cette année présente, et attribuée à mademoiselle de La Rocheguillon, une sorte de notice sur Agnès Sorel ; c'est un véritable roman où l'imagination de l'auteur joue le plus grand rôle, et où l'on remarque en outre beaucoup de faits faux. — L'Essai critique sur l'histoire de Charles VII, d'Agnès Sorelle et de Jeanne d'Arc, par M. J. Delort, renferme sur Agnès Sorel et Charles VII un très-petit nombre d'indications, qui sont d'ailleurs sans importance historique. Il existe également un volume intitulé : Chinon et Agnès Sorel, par M. Cohen ; mais les faits y sont présentés d'une manière tout à fait romanesque.

[4] Brantôme était né en 1527 ; il mourut en 1614.

[5] Gages des dames et officiers de l'hostel de la Reyne de Sicille, Isabelle de Lorraine, femme de René d'Anjou, Roy de Sicille, pour six mois, finis en juillet 1444. — Pièce citée par M. Vallet de Viriville dans un excellent travail publié par la Bibliothèque de l'École des Chartes, 3e série, t. I, p. 297 et suivantes, sous le titre : Recherches historiques sur Agnès Sorel. — M. Vallet de Viriville a réuni, dans la partie qu'il a jusqu'à présent publiée de ce travail, un grand nombre de quittances, lettres de donation ou de fondation et autres pièces, pour la plupart inédites, concernant Agnès Sorel ou sa famille.

[6] Ordonnances des rois de France, t. XIII, préface, p. XII.

[7] Œuvres du roy René, publiées par M. le comte de Quatrebarbes, t. I, p. LXVII, citées par M. Leroux de Lincy, Femmes célèbres de l'ancienne France, Agnès Sorel, t. I, p. 436.

[8] M. Vallet de Viriville, loc. cit., p. 475 et suivantes.

[9] Mémoires de Jacques Du Clercq, collection du Panthéon littéraire, p. 175. — On fait observer que Jacques Du Clercq, écrivain bourguignon, est assez peu bienveillant à l'égard de Charles VII, et qu'il en est de même de Georges Chastelain, d'Olivier de la Marche, de Monstrelet et de l'auteur du Journal d'un bourgeois de Paris, que nous aurons à citer plus loin. Sans défendre, sur tous les points, l'impartialité de ces chroniqueurs, je montrerai que l'appréciation qu'ils font de la conduite privée de Charles VII est complètement conforme à ce qu'en disent les chroniqueurs et les anciens historiens français.

[10] Chroniques et annales de France, par Nicolle Gilles, secrétaire du roy ; Paris, 1513 ; citées par M. Vallet de Viriville, ubi supra, p. 312.

[11] Chronique de Monstrelet, etc., ubi supra.

[12] M. Vallet de Viriville, loc. cit., p. 312 et suivantes. — On a deux reçus d'Agnès Sorel des revenus de sa terre de la Roquecesière, laquelle lui rapportait près de 300 livres. Voici l'un de ces reçus : Nous Agnès Sorelle, dame de Beaulté et de Roquecesière, confessons avoir eu et réaniment receu de maistre Jean le Tainturier, notaire et secrétaire du Roy nostre Sire et son trésorier de Rouergue, la somme de deux cens soixante-quinze livres tournois, sur ce qu'il nous puet et pourra devoir à cause de la recepte de la revenue dudit Rocquecesière, de la quelle somme de ijc LXXV l. t. sommes contente et en quittons ledit trésorier et voulons estre tenu quitte partout où il appartiendra. En tesmoing de ce, nous avons signé ceste présente quittance de nostre seing manuel et icelle fait escrire et signer par Pierre d'Ardaine, notaire royal en la seneschaussée de Rouergue, le xxiije jour l'an mil CCCC quarante huit ; AGNÈS. — P. d'Ardaine.

[13] Lettre de Louis XI, alors dauphin, du 8 juillet 1442, concernant certaines tapisseries prises par lui ait château de l'Isle-Jourdain, sur le comte d'Armagnac, et par lui offertes à Agnès Sorel. M. Vallet de Viriville, loc. cit., p. 307.

[14] Les chroniques et annales de France, par Nicole Gilles, année 1445, citées par M. Vallet de Viriville, ubi supra.

[15] Olivier de La Marche, collection du Panthéon littéraire, p 406 et 407.

[16] Amelgard (Thomas Basin, évêque de Lisieux). Unde tempore treugarum (au temps des trêves avec l'Angleterre, correspondant à l'année 1444), habuit in delitiis unam precipuam satis formosam mulierculam guam vulgo pulchram Agnetem appellabant. Nec eam quippe solarn, NEC IPSA EUM SOLUM, sed cum ipso etiam satis copiosum gregem muliercularuem, omni vanitatis generi deditarum. Voir, pièces justificatives, n° 1, extrait F.

[17] Chroniques de Georges Chastelain, collection du Panthéon littéraire, p. 255. — Descouvrait les espaules et seing devant, jusques aux tettins. — La vérité est que le seul portrait du temps que l'on ait d'Agnès Sorel la montre avec une moitié de la gorge entièrement nue. C'est dans ce portrait, dont j'ai parlé dans le chapitre précédent et qui avait été offert en 1450 à l'église Notre-Dame de Melun par Étienne Chevalier, conseiller du roi, qu'Agnès Sorel est représentée en vierge, entourée d'anges et d'enfants. D'après Sauvai et Dreux du Radier, Étienne Chevalier aurait été un des amants d'Agnès Sorel ; mais les présomptions sur lesquelles ils se fondent n'ont aucune portée, et le tableau même dont il s'agit prouve le contraire de leur assertion. Le dessin de ce tableau se trouve : 1° dans un opuscule publié par M. Eugène Grésy et intitulé : Recherches sur les sépultures récemment découvertes en l'église Notre-Dame de Melun, suivies d'une dissertation sur les prétendues amours d'Agnès Sorel et d'Étienne Chevalier, Melunois ; Melun, 1845 ; 2° dans Le moyen âge et la renaissance, en chromolithographie, d'après une copie fournie par M. Vallet de Viriville.

[18] Journal d'un bourgeois de Paris, collection Petitot, p. 549.

[19] Ni Mathieu de Coucy, ni Jacques Le Bouvier, dit Berry, héraut d'armes de Charles VII, ni Guillaume Gruel ne parlent d'Agnès Sorel. Martial d'Auvergne, qui vivait vers la fin du quinzième siècle, et qui mit en vers, dans les Vigiles de Charles VII, la vie de ce prince, ne prononce pas non plus le nom de la célèbre favorite. Leur silence absolu sur ce point est la preuve irrécusable de la désapprobation éclatante qu'avait soulevée la conduite privée de Charles VII.

[20] Jean Chartier, Histoire de Charles VII,  roy de France, dans Godefroy, p. 499 et 191.

[21] Environ deux siècles et demi plus tard, les populations étonnées donnaient la même qualification à madame de Montespan, lorsqu'elles la voyaient passer avec la reine dans les carrosses de Louis XIV.

[22] M. A. de Pierres, Tablettes de Loches, citées par M. Vallet de Viriville, ubi supra.

[23] M. Vallet de Viriville, loc. cit., p. 318 et 319.

[24] Toutes ces lettres, au nombre de cinq, sont inédites. Deux d'entre elles, la première et la quatrième, dans l'ordre où je les reproduis, font partie de la riche et curieuse collection de M. Chambry, ancien maire du 3e arrondissement, qui a bien voulu mettre ces deux pièces à ma disposition, avec une bienveillance dont je ne saurais trop le remercier. Le texte de la seconde des deux lettres adressées au sire de la Varenne m'a été communiqué, avec une extrême obligeance, par M. Win de Viriville. Enfin, les deux autres appartenaient à M. le baron de Trémont.

Quatre de ces lettres sont en entier de la main d'Agnès Sorel. Le corps de l'une d'elles, celle adressée de Candé à mademoiselle de Belleville (n° 2), et dans laquelle il est question de l'accident arrivé au petit Robin, n'est pas de l'écriture d'Agnès, qui a seulement écrit de sa main ces mots : la toute votre bonne amye, et signé.

L'authenticité de ces pièces avait été mise en doute, mais elle a été constatée d'une manière formelle, en 1846 et 1847, par M. Teulet, archiviste paléographe de l'Ecole des chartes, comparaison faite avec l'écriture d'Agnès Sorel, que l'on possède à la Bibliothèque nationale.

[25] Mademoiselle de Belleville était une fille naturelle de Charles VI et d'Odette de Champdivers. Elle fut légitimée sous le nom de Marguerite de Valois, par lettres de Charles VII, datées de Montrichard, au mois de janvier 1427. (Voir Recueil général des anciennes lois, etc., t. VIII, p. 741.) Mariée plus tard au seigneur de Belleville, elle devint, à ce qu'il paraît, l'amie intime d'Agnès.

[26] Pierre de Brézé, seigneur de La Varenne. D'après Delarue (Essai sur les trouvères, t. III, p. 327), Pierre de Brézé aurait été le personnage le plus complet de son siècle. Tout à la fois homme de conseil et bon capitaine, c'est à lui que reviendrait la gloire de la réforme militaire et de la plupart des actes importants du règne. Bien, je dois l'avouer, ne prouve que Pierre de Brézé ait exercé une si grande influence sur les événements de son temps. L'abbé Legrand (Histoire de Louis XI, liv. I, p. 404 ; II, p. 405 ; Mss.) reconnaît d'ailleurs que Brézé estoit un homme de teste et de main, et qu'il gouvernait son maistre sans lui plaire. — Brézé, ajoute-t-il, avoit l'administration des finances, employ où il n'est pas aisé de contenter tout le monde. Sa trop grande liberté de parler luy faisait beaucoup d'ennemis ; il n'épargnoit pas le Roy. — Tel était le compère de la belle Agnès. Ajoutons qu'à son avènement au trône, Louis XI le fit mettre en prison et qu'il n'en sortit, dit-on, qu'à la condition que son fils, Jacques de Brézé, épouserait Charlotte, une des filles naturelles d'Agnès Sorel et de Charles VII. Le mariage eut lieu ; mais il eut des suites tragiques. A quelque temps de là, Jacques de Brézé surprit sa femme en adultère et la poignarda. Il obtint d'ailleurs plus tard de Charles VIII des lettres de rémission à ce sujet.

[27] La suscription est celle ci : A mon très-honoré sr et conpère, monsr de la Varenne, chambelant du roy.

[28] Ordonnance citée par M. Leber, Essai sur la fortune privée au moyen âge, p. 297.

[29] Art de vérifier les dates, édition Saint-Allais, t. VI, p. 400. — On voit pourtant dans l'inventaire des joyaux d'or et d'argent de Philippe le Bon, du duc de Bourgogne, inventaire daté de Dijon le 12juillet 1420, qu'il y avait dans une chambre deux paires de draps de lit, l'une de fine toile de Rains, l'autre de bonne toile bourgeoise. L'inventaire mentionne, en outre, une pièce entière de fine toile de lin, faicte à Troyes, et des nappes neuves, de l'œuvre de Damas, ainsi que onze grosses serviettes de chanvre, appelées chanveraz. (M. le comte de Laborde, les ducs de Bourgogne. Preuves, t. II, p. 258.)

[30] L'art de vérifier, etc., loc. cit., p. 400.

[31] Georges Chastelain, collect. du Panthéon littéraire, p. 255.

[32] Gallia christiana, citée par M. Vallet de Viriville, ubi supra, p. 298.

[33] Robertie Gaguini Annales, lib. X, fol. 230 verso. Voici le passage : Accessit ad stupri suspicionem propinquorum Agnetis ad dignitates ecclesiasticas repentina promocio.

[34] Jean Chartier, dans Godefroy, p. 192.

[35] Archives de Jumièges, lettres des exécuteurs testamentaires, citées par M. Vallet de Viriville, ubi supra, p. 322.

[36] Obituaire et pièces diverses, cités par M. Vallot de Viriville, ubi supra, p. 325 et 326.

[37] Jean Chartier, dans Godefroy, p. 192. — Cette date correspond au 9 février 1450, nouveau style. On voit dans une autre pièce (Lettres des exécuteurs testamentaires, citées plus haut) qu'Agnès Sorel était morte le 10 février. Bien que cette date ait un certain caractère d'authenticité, c'est l'autre qui a prévalu.

[38] Documents historiques inédits, publiés par M. Champollion-Figeac, t. I, p. 420 et suivantes. — La Thaumassière avait reproduit, dans son Histoire du Berry, p. 91, les deux épitaphes latines qui ont été transmises à M. Champollion-Figeac comme inédites.

[39] Ce mausolée ayant été détruit pendant la révolution, le général Pommereul, préfet d'Indre-et-Loire en 1806, en ordonna la restauration par un arrêté, réglant, en outre, les nouvelles inscriptions à substituer aux anciennes, qui parurent sans doute trop gothiques. Une des nouvelles inscriptions était ainsi conçue : Des hommes sensibles recueillirent les restes d'Agnès, et le général de Pommereul, préfet d'Indre-et-Loire, releva le mausolée de la seule maîtresse de nos rois qui ait bien mérité de la patrie, en mettant pour prix à ses faveurs l'expulsion des Anglais hors de la France. On grava en outre ces mots dans le tympan du fronton de la porte d'entrée du mausolée :

Je suis Agnès ; vive France et l'Amour !

M. J. Delort, qui cite ces inscriptions dans son Essai critique sur l'histoire de Charles VII, d'Agnès Sorel et de Jeanne d'Arc, les qualifie, avec quelque raison, ce me semble, d'inconvenantes et de mauvais goût.

[40] Pièce authentique trouvée dans les papiers de Jacques Cœur, et citée par M. Vallet de Viriville, ubi supra, p. 306.

[41] Hénault, Abrégé de l'histoire de France, règne de Charles VII.

[42] Mémoires de Jacques Du Clercq, collect. du Panthéon littéraire, p. 95 et 175.

[43] Voir, pièces justificatives, n° 1, extrait F.

[44] Chroniques rnartiniennes, folio 302, citées par M. Leroux de Lincy, Femmes célèbres de l'ancienne France, p. 442.

[45] Claude de Seissel, Histoire du roy Loys douziesme, p. 35.

[46] Jacques Du Clercq, édit. du Panthéon littéraire, p. 95.

[47] Chroniques de Monstrelet.

[48] D'après Jean Chartier (voir dans Godefroy, p. 282), la dame de Mortagne avait en même temps accusé les nommés Jacques Colonna et Martin Prandoux, envers lesquels elle aurait été obligée plus tard de faire amende honorable. Cette version est diamétralement contraire à une assertion contenue dans un Mémoire des enfants de Jacques Cœur, qui parlent de Jacques Colonna comme ayant dénoncé leur père, de concert avec la dame de Mortagne. — Voir le Mémoire à consulter, aux pièces justificatives, pièce n° 16.

[49] Tailleboug, à trois lieues de Saintes, Célèbre par la victoire que saint Louis y remporta sur les Anglais en 4242. Il y avait à Taillebourg un château très-fort, qui a longtemps appartenu à la famille La Trémouille. (Corneille, Dict. de géogr., t. III ; Bruzen de Martinière, Dict. univers., t. VIII) — C'est sans doute chez son ancien favori, Georges de La Trémouille, rentré depuis peu en faveur, que Charles VII se trouvait alors.

[50] Bibl. Nat., Mss., Cabinet des titres ; Portefeuille Jacques Cœur.

[51] Arch. nat., Mss. Vente des biens de Jacques Cœur. — Déposition de Guillot Trépant, l'un de ses serviteurs, folios 122 et suivants. Voir aux pièces justificatives, pièce n° 3 ; extrait K.

Remarquons, en passant, que l'arrestation de Fouquet, dont la destinée offre divers points de ressemblance avec celle de Jacques Cœur, eut lieu dans des circonstances tout à fait identiques. Si le fastueux surintendant, qui entretenait des ambassadeurs particuliers à l'étranger, et qui n'hésitait pas à satisfaire un caprice, même au prix de cinquante mille écus, avait eu l'idée de donner quelques centaines de livres pour se faire écrire l'histoire de Jacques Cœur, il y aurait vu le sort qui l'attendait, et il se serait peut-être conduit de manière à l'éviter.