JACQUES CŒUR ET CHARLES VII - OU LA FRANCE AU XVe SIÈCLE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE III.

 

 

Rentrée des Français à Paris. — Le connétable de Richemont préserve la ville du pillage. — Charles VII vient visiter Paris après une absence de dix-neuf ans. — Fêtes à cette occasion. — Paris en 1438. — Une famine y fait mourir cinquante mille habitants. — Doléances des Parisiens. —Jacques Cœur est nommé maitre des monnaies à Bourges et à Paris. — Variations dans la valeur des monnaies au quinzième siècle. —Leurs résultats. — Nouvelles ordonnances concernant les monnaies. — Organisation des impôts sous Charles VII. — Produits du domaine, des aides et gabelles, des tailles. — Ordonnances sur les tailles, la comptabilité, le domaine. — L'université de Paris est en lutte avec le parlement, et menace de suspendre ses leçons. — Une ordonnance tranche la question contre elle. — Ordonnances de Henri VI et de Charles VII pour la réformation de la justice.

 

La lutte de Charles VII contre l'Angleterre avait, depuis le traité d'Arras, été marquée par divers succès ; aussi, les populations supportaient chaque jour plus impatiemment le joug de la domination étrangère. Après bien des conspirations découvertes et punies, Paris en tenta une nouvelle qui eut un meilleur résultat. En 1436, la ville se livra au connétable de Richemont, sous la réserve que tous les événements antérieurs seraient oubliés. Le connétable, qui était muni de pleins pouvoirs, n'eut garde de se faire prier, et il fut introduit avec quelques troupes d'élite dans la capitale du royaume, soumise depuis quatorze ans à la domination anglaise. Les compagnies de routiers et d'écorcheurs qui composaient le gros de l'armée française se nattaient que les choses se passeraient comme à l'ordinaire. Les charretiers et fournisseurs qui la suivaient comptaient eux-mêmes sur les bénéfices d'une prise d'assaut. On pillera Paris, disaient-ils, et quand nous aurons vendu nostre victuaille à ces vilains, nous chargerons nos charrettes du pillage, et remporterons or et argent et mesnages, dont nous serons riches toutes nos vies. Ces espérances furent heureusement trompées. A peine entré dans la ville, le connétable y fit crier à son de trompe que nul ne fust si hardy, sur peine d'estre pendu par la gorge, de soi loger en l'ostel des bourgeois, ne des mesnaigers, outre sa voulenté, ne de reprocher, ne de faire quelque desplaisir, ou piller personne de quelque estat, s'il n'estoit natif d'Angleterre ou souldoyers. Cette recommandation, que nul dans l'armée n'osa enfreindre, car on connaissait la justice expéditive du connétable, le rendit, pour peu de temps, il est vrai, l'idole des Parisiens qui le prirent en si grant amour que, avant qu'il fust lendemain, n'y avoit celuy qui n'eust mis son  corps et sa chevance pour destruire les Anglois[1].

L'année suivante, après divers avantages remportés sur les Anglais, après le siège et l'enlèvement de la forteresse de Montereau, où il avait risqué sa vie comme l'eût fait le plus brave de ses capitaines, Charles VII résolut de visiter Paris. Il en était sorti en 1418, dans cette nuit fatale où la ville ayant été surprise par les Bourguignons, environ quatre mille Armagnacs y avaient été massacrés. Depuis cette époque, Charles VII n'y était pas revenu. Les Parisiens lui firent une réception des plus brillantes. L'Université, le Clergé, les magistrats de la ville allèrent le recevoir à la Chapelle-Saint-Denis. Sur son passage, toutes les rues furent richement tendues ; des fontaines versèrent le vin à profusion, et l'on représenta les plus beaux mystères du temps, à l'entrée de divers carrefours. A la vérité, le même cérémonial avait été observé six ans auparavant, pour l'entrée de Henri VI, roi de France et d'Angleterre. Arrivé à la Porte-Saint-Denis, Charles VII vit au-dessus de sa tête un jeune enfant habillé en ange, qui paraissait descendre du ciel et tenait un écu d'azur à trois fleurs de lis d'or. En même temps, des voix accompagnées d'instruments firent entendre ces quatre vers :

Très-excellent roi et seigneur,

Les manans de vostre cité

Vous reçoivent en tout honneur

Et en très-grant humilité[2].

Lorsque les cérémonies de l'entrée royale furent terminées et que les choses eurent repris leur cours ordinaire, Paris se montra à Charles VII tel qu'il était réellement. Cette ville offrait alors et présenta pendant plusieurs années encore un aspect des plus tristes. En proie depuis vingt ans à toutes les violences, à toutes les misères des guerres civiles, elle avait vu sa population diminuer peu à peu, ses riches habitations successivement abandonnées et des rues entières devenir désertes. Diverses ordonnances rendues de 1423 à 1436 constatent cette profonde détresse. Forcés par l'augmentation des impôts d'exiger des loyers hors de proportion avec les ressources de la population qui n'avait pas émigré, les propriétaires de Paris no trouvaient plus de locataires pour leurs maisons, et n'avaient phis, par conséquent, d'intérêt à les entretenir. Aussi, après avoir inutilement cherché à les vendre, ils en faisaient enlever les fenêtrés, lés portes, tout ce qui aurait pu être volé, et attendaient des temps meilleurs. L'arrivée de Charles VII à Paris avait donné à ses habitants quelque espoir de voir reparaître l'ordre, les transactions, la sécurité, ce qui constitue l'état des peuples civilisés, mais cet espoir n'avait pas été de longue durée. Le mal était trop profond, les environs mêmes de Paris étaient trop inquiétés par les Anglais pour que la situation pût s'améliorer en aussi peu de temps ; bientôt même, elle empira encore. En 1438, une famine terrible emporta, dans Paris seulement, cinquante mille personnes, s'il faut en croire un de ses habitants dont le journal, bien que très-passionné et souvent entaché d'exagération, est resté comme une des peintures les plus curieuses de l'époque. A Rouen, dans la même année, le blé avait décuplé de valeur et la misère y était si horrible que l'on trouvait, tous les jours, au milieu des rues, dit le même chroniqueur, de petits enfants morts que les chiens mangeaient ou les porcs. Abattus, exténués par la faim et par les privations de toutes sortes, les Parisiens n'avaient même plus la force de se défendre contre les loups qui venaient les attaquer jusque dans leurs murs. Dans la dernière semaine de septembre, entre Montmartre et la Porte-Saint-Antoine, ces animaux étranglèrent quatorze personnes ; le 16 décembre, quatre femmes eurent le même sort ; quelques jours après, ils mordirent dix-sept personnes, dont onze succombèrent. Quant aux environs mêmes de la ville, on compta que près de quatre-vingts personnes y avaient été dévorées par les loups. Vers la même époque, le gouvernement fut obligé, pour avoir le moyen de se défendre, de lever de nouveaux impôts qui occasionnèrent une vive irritation.

En celuy mois d'aoust 1438, dit à ce sujet le Journal d'un bourgeois de Paris, on leva une taille, la plus estrange qui oncques mais eust esté faite, car nul, en tout Paris, n'en fust exempté, de quelque estat fust...

Et fut premièrement fait une grosse taille sur les gens de l'Église, et après sur les gros marchands. Et payaient., l'un 4.000 francs, l'autre 3.000 ou 2.000... Et autres plus petits, nul ne passait 100 sols, ne moins de 40 sols parisis... Après cette douloureuse taille, firent une autre très-déshonneste, car les gouvernans prindrent ès-églises les joyaux d'argent ; comme encensiers, plats, burettes, chandeliers, etc.[3]

Enfin, comme si ce n'eût pas été assez de tant de misère, les environs même de la capitale étaient infestés de voleurs qui pillaient et rançonnaient sans pitié tous ceux qu'ils rencontraient. Jusqu'à six ou huit lieues, dit le chroniqueur que nous venons de citer, nul n'osait aller aux champs ou venir à la ville, fust moine, prestre, nonnain, femme ou enfant, qui ne fust en grand péril de sa vie, et si on ne lui ostoit la vie, il estoit déspouillé tout nu. Les Parisiens auraient voulu qua Charles VII se fût d'abord occupé de faire cesser ces brigandages. Au lieu de cela, disait-on, le roy va en Lorraine, et le dalphin, son fils, en Allemagne, guerroyer ceux qui rien ne leur demandaient. Aussi les plaintes étaient amères, surtout de la part des anciens Bourguignons. Et en ce temps, disait celui d'entre eux qui nous a laissé l'expression de leurs doléances, il n'avoit ne roy ne évesque qui tenoit compte de la cité de Paris ; et se tenoit le roy toujours en Berry ; ne il ne tenoit compte de l'Isle de France, ne de la guerre, ne de son peuple, que s'il fust prinsonnier aux Sarrasins[4].

On a vu plus haut que Jacques Cœur avait, en 1432, visité les échelles du Levant. Sans doute, le commerce qu'il entreprit au retour de ce voyage ne tarda pas à prospérer, car, trois ans après, en 1435, malgré l'amende qu'il avait eu à payer quelques années auparavant pour sa participation à la fabrication d'espèces faibles frappées à Bourges, nous le retrouvons maître des monnaies dans cette ville. Un an plus tard, aussitôt après la reddition de Paris, Charles Vil y rétablit un hôtel des monnaies, et c'est à Jacques Cœur qu'il en donna la direction[5]. Or, à cette époque, et après les bouleversements qu'avaient subis les monnaies depuis près d'un demi-siècle, les fonctions confiées à Jacques Cœur avaient une très-grande importance, et celui qui en était investi pouvait, suivant le système de fabrication qui prévaudrait, exercer la plus grande influence sur les transactions, et, par suite, sur la situation générale du royaume.

Il est difficile, en effet, de se figurer le trouble qui s'était introduit dans cette partie si essentielle de l'administration publique, et il importe, pour en donner une idée, d'exposer rapidement les causes et les résultats de cette perturbation.

Les nombreux changements que Philippe le Bel avait décrétés dans la valeur courante des monnaies lui valurent, comme on sait, la qualification, par malheur exacte, de faux-monnayeur. Un de -ses successeurs, le sage et habile Charles V, suivit un système tout opposé. Afin de se créer les ressources nécessaires pour résister, comme il le disait d'ailleurs dans une ordonnance du 7 mars 1418, à son adversaire d'Angleterre, et obvier à sa damnable entreprise, Charles VI eut, lui aussi, vers 1415, la funeste idée d'affaiblir la valeur des monnaies. En peu d'années, cet affaiblissement se trouva porté à un tel point que toutes les fortunes en furent profondément troublées. Cela étoit fort au préjudice des seigneurs, dit un auteur contemporain, car les censiers qui leur devoient argent vendoient un septier de bled dix ou douze francs[6], et pouvoient ainsi payer une grande cense par le moyen et la vente de huit ou dix septiers de bled seulement, de quoy plusieurs seigneurs et pauvres gentilshommes reçurent de grands dommages et pertes. Cette tribulation dura depuis l'an 1415 jusques à l'an 1421, que les choses furent l'enlises à plus juste point, ce qui fit naistre quantité de procès et de dissensions entre plusieurs habitants du royaume, à cause des marchés qui avoient esté lias dans le temps de la foible monnoye[7].

Pendant l'espace de quatorze ans qu'ils furent les maîtres de l'avis, les Anglais firent frapper diverses monnaies d'un titre élevé, dans l'espoir de décréditer ainsi celles de Charles VII, qui, réduit aux expédients, fut, en effet, obligé de donner aux siennes, du moins pendant plusieurs années, une valeur fictive bien supérieure au prix vénal des métaux précieux[8]. Cette différence dans la valeur des monnaies d'un pays où, malgré, la guerre, les intérêts du nord et du midi étaient si étroitement liés, tournait néanmoins contre les Anglais, dont les. monnaies étaient incessamment transportées à Bourges pour y être refondues. Cela donnait donc lieu à un commerce fort désavantageux pour leur gouvernement, mais très-favorable aux particuliers, et que les Anglais cherchaient vainement à empocher. Dans quelques-unes des ordonnances qu'ils rendirent à ce sujet, ils accusaient Charles VII de fraudes, mauvesties et déceptions dans le but d'attirer à luy les monnoies du véritable roy de France en fabriquant des gros et des deniers de moindre poids et aloy. Enfin, ils décrièrent, comme on disait alors, ses monnaies, et en proscrivirent la circulation sur toutes les parties du territoire qui leur appartenaient. D'ailleurs, les Anglais n'agissaient pas ainsi par principe, et ils se réglaient uniquement sur leur intérêt, car, à Rouen, où probablement cet intérêt n'était pas le même, ils altérèrent tellement les monnaies que la livre tournois tomba pendant quelque temps de vingt-cinq à quatre sous[9].

Ces variations incessantes dans la valeur des monnaies n'étaient pas, au surplus, moins fâcheuses pour les pays qui reconnaissaient la domination de Charles VII, à cause des brusques secousses qu'elles imprimaient à la valeur de toutes choses et de l'incertitude de toutes les fortunes. D'un autre côté, le public avait, depuis longtemps, pris l'habitude de stipuler généralement en marcs d'or ou d'argent dans tous les contrats qui comportaient soit une constitution de rente, soit un remboursement. Ainsi l'on ne prêtait pas mille livres, mais tant de marcs d'or ou d'argent remboursables en nature[10]. Frappé de tous ces abus, Charles VII s'empressa, dès l'année même de son avènement, de proportionner la valeur nominale des monnaies à leur valeur intrinsèque. Par suite, quelques pièces d'or furent réduites au quarantième de la valeur que les ordonnances leur avaient attribuée. Si, plus tard, dans quelques circonstances critiques, il se trouva obligé d'élever encore le prix des monnaies, ces augmentations furent momentanées et n'eurent, d'ailleurs, relativement aux précédentes, qu'une très-faible importance. Charles Vil fit, en outre, fermer un certain nombre d'ateliers de monnaies où, profitant du désordre des guerres, divers seigneurs avaient fait fabriquer des pièces d'or et d'argent, à son nom et à ses armes, de la même forme que les siennes, mais de moindre valeur.

Jacques Cœur avait vu de trop près les funestes effets de la variation des monnaies sur le commerce pour ne pas encourager Charles VII à persister dans le nouveau système qu'il avait adopté. C'est lui, dit un historien des plus compétents[11], qui rétablit en quelque façon les monnaies, en les faisant fabriquer sur le fin. A peine nommé maître de la monnaie de Paris, il fit faire des écus d'or à la couronne en or fin. Parmi les pièces frappées de son temps à Bourges, on a remarqué des gros d'argent où se trouve le nom de cette ville, particularité unique depuis le commencement de la troisième race. Ces pièces portaient, d'un côté, trois fleurs de lis surmontées d'une couronne, avec cette légende : KAROLVS. FRANCORVM REX. BITVR. ; de l'autre, autour d'une croix fleurdelisée, ayant deux couronnes dans les angles opposés, ces mots : SIT NOMEN DOMINI BENEDICTVM. Cette monnaie ne fut-elle pas la cause de la qualification de roi de Bourges, que les Anglais donnèrent par dérision à Charles VII[12] ? Parmi les pièces qui furent frappées sous son règne, huit étaient en or, neuf en argent et quarante-trois en monnaie de billon. Enfin, chacune de ces pièces avait une effigie différente, et c'est par là qu'on distinguait la valeur de plusieurs d'entre elles.

La plupart des ordonnances sur les monnaies, promulguées de 1435 à 1451, furent, tout porte à le croire, inspirées et préparées par Jacques Cœur. En 1438, le gouvernement interdit, sous peine d'amende, les opérations du change à toute personne non autorisée. Cette prescription avait sans doute pour but d'empêcher qu'au milieu de cette multitude de monnaies, tant françaises qu'étrangères, qui circulaient dans le royaume, le public ne fût trompé par des changeurs sur lesquels l'administration n'aurait eu aucun pouvoir. La même ordonnance fixait, en outre, la remise des changeurs. En même temps, elle défendait aux habitants de la vicomté de Paris de transporter l'or et l'argent hors de cette circonscription, sous peine de confiscation et d'amende. Il est inutile d'ajouter que l'exportation des matières d'or et d'argent était déjà sévèrement défendue. Une ordonnance de Philippe le Bel avait prescrit à ce sujet les dispositions les plus formelles. Et cormnandons à tous, souz paine de cors et d'avoir, que nuls ne porte, ne ne face porter or, ne argent, ne billon hors dou roiaume[13]. Mais les ordonnances concernant le change et l'exportation des monnaies étaient sans doute mal exécutées. Dans le but de les remettre en vigueur, le gouvernement nomma, en 1441, Pierre Delaudes et Gaucher Vivien réformateurs généraux par tout le royaume sur le fait des monnaies. Ces commissaires furent armés des pouvoirs les plus étendus. Ils étaient autorisés à saisir au besoin les monnaies, soit en circulation, soit dans la bourse des particuliers ; à s'informer du nom de ceux qui étaient soupçonnés d'en exporter hors du royaume, à les faire arrêter, à les juger ou faire juger par des délégués, et à les punir corporellement ou criminellement, disait l'ordonnance, en les frappant d'une amende proportionnée au délit. En 1443, le nombre des maîtres des monnaies fut réduit à sept, par le motif qu'ils avaient été multipliés légèrement et par importunité des requérants. Parmi ceux qui furent maintenus se trouvait ce Ravaut le Danois qui avait, dans le temps, affermé à Jacques Cœur l'exploitation de la monnaie de Bourges. Une autre ordonnance de 1443 renouvela l'interdiction de se mêler de change sans autorisation, d'exporter aucunes monnaies défendues, françaises ou étrangères ; de faire des contrats ou marchés en stipulant par marcs d'or ou d'argent, et prononça une amende contre les notaires ou tabellions qui se serviraient de termes autres que sols et livres, à moins qu'il ne s'agît de prêt, dépôt, contrat de mariage, vente ou rachat d'héritages[14]. En proscrivant sagement une forme de stipulations qui rappelait des époques où les valeurs monétaires avaient été violemment surhaussées, le gouvernement témoignait de l'intention où il était de s'en tenir désormais sur ce point au système loyal et régulier qu'il avait adopté.

En même temps qu'il avisait aux moyens de rétablir l'ordre dans cette partie tout à la fois si délicate et si importante du service public, lé Conseil de Charles VII proposait et faisait adopter successivement diverses ordonnances, la plupart très-remarquables, sur l'assiette et la perception de l'impôt, sur l'Université et sur l'administration de la justice. Un chroniqueur contemporain a remarqué que Charles VII voyoit chacun an, et plus souvent, tout le fait de ses finances, et le faisoit calculer en sa présence, car il l'en tendoit bien ; signoit de sa main les rôles des receveurs généraux, les états et acquits de ses finances, et tellement s'en prenoit garde, qu'il apercevoit et concevoit tout ce qu'on y pouvoit faire[15]. Les nombreuses ordonnances qu'il rendit relativement à l'impôt et à sa perception témoignent de ces préoccupations. Le revenu dé la France s'éleva, sous son règne, à 2.300.000 livres du temps[16], indépendamment des profits que pouvaient donner l'alliage légal et le droit de seigneuriage des monnaies. Ce revenu avait trois sources : le Domaine, les Aides et gabelles, les Tailles. Le produit du Domaine et des Aides et gabelles a été évalué, pour ce règne, à 500.000 livres ; les tailles s'élevèrent, d'après les auteurs contemporains, à 1.800.000 livres. Pendant longtemps, le revenu du Domaine avait, dans les circonstances ordinaires, suffi aux besoins de la couronne ; ensuite on y ajouta les Aides et gabelles ; enfin on eut recours aux Tailles qui, établies d'abord à (les intervalles éloignés, pour faire face à des situations critiques, devinrent perpétuelles à partir du règne de Charles VII[17].

Les revenus du Domaine consistaient en rentes et censives provenant des terres et seigneuries qui appartenaient à la couronne, en droits féodaux dont jouissaient ces mêmes terres et seigneuries et en droits domaniaux, tels que ceux dits de franc-fief, d'amortissement, de banalité, d'aubaine, de bâtardise, etc., attachés à la souveraineté[18].

Les Aides étaient une imposition sur les denrées et les marchandises. Accordées par le consentement exprès des Etats pour un temps déterriiiné, elles devaient être renouvelées, si les circonstances l'exigeaient. Elles étaient perçues sur la marchandise d'après le prix payé par l'acheteur. Les Nobles, sans fraude, vivant noblement et poursuivant armes ou qui, par ancienneté, ne les pouvaient poursuivre, en étaient seuls exempts. D'ordinaire, on les donnait à bail ; mais, lorsque les offres des soumissionnaires ne paraissaient pas assez élevées, on les faisait régir par des commissaires pour le compte de la couronne.

La Taille proprement dite se levait sur les personnes à raison de leurs biens ou de leur fortune présumée[19]. Une ordonnance du mois de juin 1445 porte que tous les subjects, tant marchans, mécaniques, laboureurs, procureurs, praticiens, officiers, tabellions, notaires comme autres de quelque estat qu'ils fussent, estoient tenus d'y contribuer. Les nobles, les officiers de la couronne, les Maîtres des monnaies, la plupart de ceux qui remplissaient des charges publiques, les écoliers de l'Université eux-mêmes n'étaient pas soumis à cette contribution dont le poids retombait ainsi, en grande partie, sur le commerce et sur les petits propriétaires. La même ordonnance défendait aux tribunaux ecclésiastiques d'évoquer les réclamations auxquelles donnait lieu l'assiette de la Taille, ces affaires étant expressément réservées à la juridiction spéciale des élus en premier ressort, et des généraux de l'Élection, en cas d'appel. On peut juger, par ces dispositions, de la vivacité de la lutte qui exista, notamment pendant la dernière période du moyen âge, entre les deux juridictions. L'ordonnance constate en outre que des officiers, fermiers, collecteurs et receveurs, avaient été frappés d'excommunication ou d'autres censures ecclésiastiques qu'elle déclarait d'ailleurs abusives et mettait à néant.

Plusieurs ordonnances spécialement relatives à la comptabilité, au maniement et à la rentrée des deniers publics furent rendues de 1443 à 1445. La première signalait de grandes diminutions dans les revenus du Domaine, objet constant des convoitises de tous ceux qui pouvaient alléguer quelque service rendu, et elle prescrivait diverses mesures pour remédier à cet abus. En même temps, elle imposait à tous les agents du fisc, quelle que fût l'importance de leur charge, l'obligation d'adresser tous les ans à un receveur général siégeant à Paris la situation exacte de leurs recettes, sous peine, en cas de fraude, de destitution et d'amende arbitraire. Quelques grands fonctionnaires attachés à la cour, tels que l'Argentier du roi, le Grand écuyer, le Trésorier des guerres et les Maîtres de l'artillerie étaient même obligés de produire un pareil état tous les mois, s'ils en étaient requis. Bien plus, afin de pouvoir surveiller même à toute heure la situation du trésor royal, Charles VII fit tenir par les gens de son Conseil des finances un registre de toutes ses recettes et dépenses. L'ordonnance de 1443 disait à ce sujet : Et pour que, toutes et quantes fois que bon nous semblera, puissions voir clairement au vray l'estat et dépense de nos dictes finances, sans qu'il soit besoin audit receveur général de rapporter par devers nous lesdits roolles et acquits, voulions et ordonnons que doresnavant soit faict par nos dits gens de finances un registre ou papier auquel ils seront tenez d'enregistrer tout ce que par nous aura esté ainsy commandé et par eux expédié touchant le service de nos finances, lequel papier ou registre demeurera toujours près de nous[20].

Un an après, Charles VII porta, dans de nouvelles lettres patentes sur le fait et gouvernement des finances, le premier coup au régime féodal, et ouvrit ouvertement contre lui cette campagne que Louis XI continua par tous les moyens, et que Richelieu eut la gloire de terminer, il s'agissait d'obliger les seigneurs et barons qui avaient reçu du roi des châtellenies ou d'autres terres du Domaine à contribuer aux charges de l'État. Il fut décidé que, sur leur refus, ces châtellenies, terres et seigneuries reviendraient au Domaine. En même temps, on ordonna aux Trésoriers de France ainsi qu'à des agents désignés sous le titre de Généraux, et qui remplissaient sans doute les fonctions de missi, d'inspecteurs extraordinaires, de suspendre et remplacer les officiers du Domaine et ceux des finances qui, par leur petit gouvernement et insuffisance, seraient reconnus être cause que les finances de leur ressort ne rapportaient pas tout ce que le roi devait en attendre. Enfin, de nouveaux pouvoirs furent conférés en 1445 aux trois Trésoriers de France, au nombre desquels figurait alors Jean Bureau. Ces trésoriers avaient, entre autres obligations, celle de vérifier tous les titres des anciens biens domaniaux et de remettre entre les mains du roi les villes, villages, châteaux, rentes, maisons, vigiles, prés et autres propriétés qui auraient été usurpés ; ils devaient en outre interdire aux receveurs de payer les gages des fonctionnaires absents, à moins que ceux-ci n'eussent une légitime excuse pour ne pas résider ; informer contre les particuliers qui auraient transporté de la monnaie hors du royaume, punir les usuriers, contraindre toutes gens non nobles ou non vivant noblement à vider tous fiefs nobles qu'ils auraient eus par succession, acquêt ou autrement, les leur laisser moyennant finance ; maintenir enfin, de la même manière, certaines lettres de noblesse ainsi que des affranchissements d'impôt, et des exemptions de poursuites qu'auraient pu motiver des contrats et des faits usuraires[21]. Ainsi se posaient les premières règles de l'administration financière. Quelques-unes d'entre elles ressemblaient beaucoup, il est vrai, ù des expédients. Mais on ne saurait trop louer celles qui avaient pour but de réprimer les usurpations du Domaine, et de contraindre les officiers publics à la résidence, cette obligation qu'une certaine catégorie de fonctionnaires a pendant longtemps trouvée si pénible, et qui, après- quatre cents ans et des règlements sans cesse renouvelés, est à peine entrée, de fait, dans les mœurs administratives du pays.

Des ordonnances importantes sur l'université de Paris et sur l'administration de la justice parurent vers le même temps et témoignent de l'activité du. Conseil de Charles VII, principalement pendant la période de 1440 à 1450. Chaque partie de l'administration publique était ainsi successivement remaniée et améliorée. Pour quiconque examine attentivement l'ensemble des travaux de cette époque, il est constant que là se trouve le véritable point de départ de la société nouvelle. Vers 1445, les luttes du parlement et de l'université de Paris, le résultat dont elles furent suivies, préoccupèrent vivement les esprits. Cette université, composée alors en grande partie' de clercs et de docteurs en théologie, venait de traverser des circonstances critiques, et le rôle fâcheux qu'elle avait joué pendant l'occupation de Paris par les Anglais pesait sur elle. On sait avec quelle passion elle avait épousé le parti du duc de Bourgogne et de Henri VI contre le dauphin, et l'avis funeste qu'elle avait émis, en 1431, au sujet de Jeanne Darc qu'elle aurait peut-être pu sauver. Pour la récompenser, Henri VI avait, dans la même année, accordé à l'université de Paris une exemption totale de tailles, aides et subsides. D'un autre côté, elle s'était opposée de toutes ses forces à l'établissement d'une université à Caen, et l'on savait que son opposition était surtout fondée sur ce que cette création diminuerait le nombre de ses écoliers. Ainsi, au lieu de faciliter l'enseignement, elle y mettait obstacle, et cela par les motifs les moins avouables. A la vérité, Henri VI avait passé outre en créant l'université de Caen, qui fut plus lard confirmée par Charles VII. Cependant, comme l'université de Paris avait seule alors la science et le renom, sa puissance sur l'opinion était grande et ses quatre mille écoliers lui formaient un cortège d'approbateurs, sinon très-raisonnables, du moins fort bruyants et avec lesquels le gouvernement lui-même était obligé de compter.

Un des principaux privilèges de l'université de Paris était d'être jugée par le roi sans être assujettie à la procédure ordinaire. En 1445, le prévôt de Paris ayant fait arrêter quelques écoliers et les ayant remis au parlement, le recteur et quelques députés de l'université les réclamèrent d'une manière assez irrévérencieuse, en menaçant, suivant leur habitude, de suspendre les leçons, s'ils n'obtenaient satisfaction. Le parlement ajourna la cause au lendemain en enjoignant à l'université de continuer les leçons et faits d'étude sous peine de méfaire envers le roi. Alors, elle allégua qu'elle n'était en rien sujette au parlement, que le roi seul pouvait connaître de ses causes, et elle interrompit ses leçons, espérant sans doute que la crainte de ses quatre mille écoliers tiendrait le gouvernement en respect. Mais celui-ci s'était peu à peu affermi, et il eut le bon esprit de ne pas s'effrayer de cette menace. Le procureur général du parlement représenta d'ailleurs au roi que c'était pour le peuple un véritable scandale de voir cesser, à tout instant, pour des intérêts particuliers, l'instruction publique et religieuse ; il insista notamment sur les inconvénients qu'il pouvait y avoir à admettre le recours au roi pour chaque cause de l'université, alors surtout qu'il était obligé de se transporter d'un bout du royaume à l'autre, pour des affaires bien autrement importantes. Ces raisons déterminèrent Charles VII à faire un coup d'autorité ; le 26 mars 1445, il ordonna que doresnavant le parlement, qui estoit sa Cour souveraine et capitale de tout le royaume, à laquelle répondaient et obéissaient les princes du sang, pairs, ducs, comtes et autres grands seigneurs, connaîtrait des causes de l'université çt de ses suppôts. En même temps, il fit informer contre les principaux auteurs de la dernière interruption des leçons. Le prévôt de Paris ayant prétendu, de son côté, que les causes de l'université seules devaient être portées au parlement, elle eut la mortification de voir celles concernant ses suppôts, sans doute les écoliers et le personnel attaché à ses établissements, déférées à la juridiction beaucoup plus modeste du Châtelet[22].

Dans cette révision générale des anciennes ordonnances, celles concernant la justice ne furent pas oubliées. En 1425, les Anglais, maîtres de Paris, avaient, par une ordonnance qui mérite d'être remarquée, déterminé les attributions et obligations du prévôt de cette ville et de ses lieutenants, ainsi que des auditeurs, avocats, procureurs, notaires et geôliers du Châtelet. Cette ordonnance, qui contenait cent quatre-vingt-cinq articles, devait être lue deux fois par an, en séance publique, le lendemain du dimanche de Quasimodo et le premier jour de plaidoirie après les vendanges. Elle obligeait le prévôt de Paris à se trouver au Châtelet à sept heures du matin, pour y besoigner et entendre au fait de son office toutes les fois que le parlement siégeait, à visiter les prisons et à interroger les prisonniers tous les lundis. En même temps, il lui était défendu d'exiger des sergents et autres officiers sous ses ordres, de l'or, de l'argent, des présents, ainsi que de prendre pour les appliquer à son prouffit, les ceintures, joyaulx, habitz, vestemens ou autres paremens deffendus aux fillettes[23] et femmes amoureuses ou dissolue. Les avocats et procureurs étaient également tenus de se trouver en toute saison au Châtelet à sept heures du matin. Le salaire le plus élevé qu'il fût permis aux avocats d'exiger était fixé à seize livres, et s'il s'agissoit de petites causes et pauvres gens, ils devoient s'en payer modérément et courtoisement. Quant aux notaires, il leur était expressément enjoint, sous peine d'amende arbitraire, d'éviter longues escriptures avec grande multiplication de termes synonymes, qui n'avaient d'autre but que d'augmenter les frais. Une des premières obligations des geôliers était de s'assurer si les prisonniers qu'on leur amenait étaient clercs ou laïques ; pour cela, ils devaient décrire leurs habits. A moins d'être dans un état de pauvreté constatée et de n'avoir de quoi vivre, les prisonniers devaient payer aux geôliers un droit nommé d'entrée et d'issue qui était fixé comme il suit : Pour un comte ou une comtesse, dix livres parisis ; pour un chevalier banneret ou une dame bannerette, vingt sols ; pour un simple chevalier ou une simple dame, cinq sols ; pour un écuyer ou une simple demoiselle noble, douze deniers ; pour un juif ou une juive, onze sols ; pour un lombard Ou une lombarde, douze deniers ; pour tous autres prisonniers, huit deniers.

Seuls, les prisonniers pour dettes n'avaient pas de droit de geôle à payer ; ceux qui les faisaient incarcérer étaient tenus de fournir à leur entretien. Enfin, l'article 177 de l'ordonnance de 1425 disposait que la quarte de vin de bienvenue, le parler dessoubz la ceinture, le voler de moine, le parler latin[24] et telles truffes étoient deffendus, les prisonniers étant assez chargiez de payer les dépenses nécessaires.

Telles étaient les principales dispositions de l'ordonnance de 1425 pour la réformation de la justice.

Le 28 octobre 1446, Charles VII rendit à son tour, sur le même objet, une ordonnance.qui constituait un nouveau et très-remarquable progrès. Elle portait notamment qu'à l'avenir, en cas de vacance dans le parlement, toutes les Chambres assemblées feraient choix de deux ou trois candidats, en ayant soin d'indiquer le plus capable ; que tous les membres de la Cour seraient obligés de résider, sous peine d'être privés de leurs émoluments a pour tout le parlement où ils auroient fait faulte de résider, et pour tout le parlement ensuivant ; qu'il leur étoit défendu de recevoir pension d'une autre personne que du roi, sous peine de destitution, tout comme d'accepter des invitations des parties, des avocats et procureurs, ne boire ne mangier. En même temps, il leur était ordonné d'être au palais à six heures un quart du matin, au plus tard, sous peine de privation du salaire pour le jour où ils y auraient manqué. Enfin, comme corollaire de l'injonction faite aux notaires par l'ordonnance de 1425, de s'abstenir des écritures superflues et des multiplications de synonymes, celle de 1446 prescrivit, à l'égard de certains avocats, des mesures analogues. L'article 25 qui les mentionne mérite d'être rapporté. Pour ce que les advocats de nostre dicte court, en plaidant leurs causes souventes fois sont trop longs et prolixes en préfaces, réitérations de langages, accumulations de faits et de raisons sans cause, et aussi en répliquant et dupliquant, voulons et ordonnons par nostre dicte court leur estre enjoint, sur leur serment, que doresnavant, ils soient briefs le plus que faire se pourra, et s'ils y font faulte, amende arbitraire.

Ainsi, le pouvoir royal, dans sa sollicitude pour le peuple, s'efforçait, il y a plus de quatre siècles, de détruire des abus que les générations contemporaines n'ont pas encore tous vu disparaître et qui seront peut-être de tous les temps. Il appartient d'ailleurs aux magistrats du dix-neuvième siècle de décider si les injonctions que s'attiraient les avocats du quinzième sont devenues inutiles. D'un autre côté, les règlements n'exigent plus, avec raison d'ailleurs, que les juges soient sur leurs sièges à six heures un quart du matin. Mais la magistrature n'a-t-elle pas par suite un peu perdu de sa dignité en se mêlant à la vie et aux agitations du monde ? les affaires sont-elles aussi promptement expédiées qu'autrefois[25] ? les prévenus n'attendent-ils pas plus longtemps l'arrêt qui doit décider de leur sort ? Ce sont là autant de questions intéressantes dont l'examen exigerait une étude spéciale et sur lesquelles il serait peut-être difficile de porter un jugement basé sur des faits suffisamment établis.

 

 

 



[1] Journal d'un bourgeois de Paris, édition Petitot, p. 474.

[2] Le P. Daniel, Histoire de France, année 1437.

[3] Journal d'un bourgeois de Paris ; passim.

[4] Journal d'un bourgeois de Paris. — Vie de Charles VII, dans Godefroy, p. 99 ; Ordonnances des rois de France, t. XIII, préface, p. VIII et suivantes.

[5] Le Blanc, Traité historique des monnoyes de France, p. 300.

[6] La valeur du setier de blé monta, en 1490, jusqu'à trente-deux francs, précisément à cause de l'élévation de la valeur des monnaies, compliquée d'une disette. — Contenance du setier : 1,56 hectolitres.

[7] Le Blanc, loc. cit., p. 290. — On voit, par ce passage, que Le Blanc s'appuie sur un auteur contemporain qu'au surplus il ne désigne pas.

[8] On en jugera par les faits suivants. Le marc d'argent de huit onces, qui ne valait en 1418 que neuf livres, fut, en 1422, porté à quatre-vingt-dix livres dans les États de Charles VII. Converti en monnaie, il lui rapportait trois cent soixante-une livres dix sols. De même, le marc d'or, qui était payé trois cent vingt livres aux hôtels des monnaies, représentait une valeur monétaire de deux mille huit cent quarante-sept livres. Cela constituait donc, au profit du roi, un bénéfice de deux cent soixante-dix livres sur le marc d'argent, el de deux mille cinq cent vingt-sept livres sur le marc d'or.

[9] M. A. Chéruel, Histoire de Rouen sous la domination anglaise, au quinzième siècle, p. 82.

[10] Secousse, préface du t. III des Ordonnances des rois de France, cité par M. Leber, dans son Essai sur la fortune privée au moyen âge, p. 331.

[11] Leblanc, loc. cit., p. 300

[12] M. Raynal, loc. cit., p. 59.

[13] Ordonnances des rois de France, t. I, p. 324, édition du Louvre, dans M. Leber, loc. cit., p. 292.

[14] Ordonnances des rois de France, t. XIII, p. 263, 358, 371 et 386.

[15] Godefroy, Vie de Charles VII, Eloge de Charles VII, par un anonyme, au commencement, du volume.

[16] M. Leber, loc. cit., p. 57, note.

[17] Ordonnances des rois de France, t. XIII, préface, p. 82 et suivantes.

[18] Le droit d'amortissement était un droit que les gens de mainmorte payaient au roi pour devenir propriétaires de quelque immeuble, soit par héritage, soit par acquisition ou autrement.

Le droit de banalité était celui que le roi avait dans les terres du domaine, comme les seigneurs dans leurs terres, d'obliger les habitants de ces terres de faire cuire le pain, moudre le grain ou pressurer le vin au four, moulin ou pressoir du domaine ou de la terre, et d'empêcher ces habitants de cuire, moudre ou faire pressurer ailleurs. Burgenses debent de ferre bladum suum ad molinum domini, et ibi debent expectare per unam diem et noctem ; et si, infra dictum terminum, non possint incipere expediri, possunt tunc deferre blaclum alibi sine pœna (Charte d'affranchissement des habitants de Châtel-Blanc, du 2 mai 1303, citée par M. Leber dans son Histoire critique du pouvoir municipal, p. 397.) Voir aussi sur l'établissement des banalités et sur les origines des institutions féodales en général, le remarquable ouvrage de M. Cham-pionnière, intitulé : De la propriété des eaux courantes, des droits des riverains et de la valeur actuelle des concessions féodales, ouvrage contenant l'exposé complet des institutions seigneuriales et le principe de toutes les solutions de droit qui se rattachent aux lois abolitives de la féodalité. Le droit de faire des règlements qui, sous la domination romaine, appartenait aux gouverneurs des provinces et qui devint, par la suite, un des attributs les plus considérables du pouvoir seigneurial, fut appelé bannus, bannum. Il y avait les bans du roi, les bans du comte, les bans de l'évêque. De là, défense au propriétaire de chasser sur ses terres, de pêcher dans ses eaux, de moudre à son moulin, de cuire à son four, de fouler ses draps à son usine, d'aiguiser ses outils à sa meule, de faire son vin, son huile, son cidre à son pressoir, de vendre ses denrées au marché public, d'avoir étalon pour ses troupeaux, ou lapins dans son clapier. (Championnière, p. 552 et suivantes.)

Le droit d'aubaine était un droit régalien en vertu duquel le roi succédait aux biens situés dans le royaume, appartenant à des étrangers qui décédaient sans enfants légitimes nés dans le royaume.

On a vu plus haut qu'on entendait communément par le droit de franc-fief une taxe que les roturiers, possesseurs de fiefs, payaient an roi tous les vingt ans, et à chaque mutation de vassal, pour la permission de conserver leurs fiefs. (Denisart, Collection de décisions nouvelles, etc.)

Quant au droit de bâtardise, il consistait dans l'héritage des bâtards qui, au quinzième siècle, ne pouvaient tester au delà de cinq sols. A cette époque, les bâtards étaient regardés comme véritablement serfs du roi et assujettis aux mômes règles que les étrangers. Ils étaient obligés de payer une taxe annuelle de douze sols parisis, et ils ne pouvaient contracter mariage avec des personnes d'une condition différente de la leur, sans en demander au Mi une permission, appelée formariage, pour laquelle ils étaient tenus de donner la moitié de leurs biens. La législation concernant les bâtards ne se relâcha de cette rigueur que vers le milieu du seizième siècle, sous le règne de François Ier. (Mémoires sur les matières domaniales, ou Traité du Domaine, par Lefebvre de La Planche, t. II, p. 278 et suivantes.)

[19] Un subside ayant été accordé au roi Jean, en 1355, par les États réunis à Paris, les commissaires députés pour la levée du subside, dans la ville el diocèse de Paris, reçurent les instructions suivantes : Les commis devaient se transporter dans chaque paroisse, choisir, avec le conseil de curé, trois ou quatre notables, aller avec eux dans toutes les maisons, requérir tons leurs habitants, de quelque état et condition qu'ils fussent, clercs, gens d'église, religieux ou religieuses, exempts ou non exempts, nobles et autres quelconques, de déclarer leur état et facultés. Les commis devaient, de leur côté, se procurer tous les renseignements nécessaires pour contrôler ces déclarations, et faire un registre du tout. Si les contribuables refusaient de payer la somme à laquelle ils avaient été taxés, les commis étaient autorisés à mettre chez ceux d'entre eux qui étaient riches et solvables un ou plusieurs sergents. (Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les impositions et droits, t. III, p. 297.

[20] Ordonnances des rois de France, t. XIII, p. 372 ; ordonnance du 25 septembre 1443.

[21] Ordonnances des 10 février 1414 et 12 août 1443. — Un financier du dix-huitième siècle a apprécié comme il suit ces réformes : Cette ordonnance (10 février 1444) et la précédente doivent être considérées comme la base de tout ce qui a été depuis statué pour le gouvernement, l'ordre et la forme de l'administration et du maniement des finances, et singulièrement du trésor royal. Mss. anonyme, relié aux armes de France, appartenant à M. Paulin Paris, qui a bien voulu me le communiquer, et intitulé : Mémoire concernant le trésor royal.

[22] Ordonnances des rois de France, t. XIII, préface, p. LII et suivantes.

[23] Un chroniqueur du temps raconte que Jeanne Darc, choquée de la licence des troupes, avait exigé des capitaines qu'ils renvoyassent les fillettes, et qu'ils lui avaient obéi.

[24] C'étaient sans doute autant de contributions imposées sur les prisonniers. Il serait difficile aujourd'hui d'expliquer en quoi consistaient le voler de moine, le parler dessoubz la ceinture, etc.

[25] Il faut reconnaître d'ailleurs que déjà, à cette époque, l'on se plaignait de la durée des procès. Un vœu ayant été émis à ce sujet par une assemblée de nobles dont la réunion eut lieu à Nevers en 1441, Charles VII répondit qu'il n'avait jamais eu plainte desdites choses, qu'il désirait de tout son pouvoir la bonne administration de la justice et l'abréviation des procès, qu'il punirait ceux qui agiraient contrairement à ses vues et qu'il écrirait pour cet objet à sa Cour du parlement et à ses antres Cours de justice. Recueil général des anciennes lois françaises, par M. Isambert, t. IX, p. 106.