JACQUES CŒUR ET CHARLES VII - OU LA FRANCE AU XVe SIÈCLE

TOME PREMIER

 

NOTICE SUR LA VALEUR RELATIVE DES ANCIENNES MONNAIES FRANÇAISES.

ET PARTICULIÈREMENT DE CELLES DU QUINZIÈME SIÈCLE

 

 

I

L'appréciation de la valeur comparée de l'argent entre des époques différentes, est depuis longtemps l'objet des recherches des économistes et des savants. Ces recherches, est-il nécessaire de le dire, n'ont rien de futile et s'expliquent tout naturellement. La première pensée qui se présente à l'esprit, quand on lit, par exemple, que les gages d'un précepteur de Charles le Bel étaient de 500 livres par an, ou que la rançon du roi Jean s'est élevée à trois millions d'écus d'or, est, en effet, de chercher à se rendre compte de la somme que ces 500 livres ou ces trois millions d'écus d'or représenteraient en monnaie d'aujourd'hui. Pendant de longues années, on avait cru généralement qu'il suffisait de connaître la différence ayant existé entre la valeur du marc (8 onces) d'or ou d'argent, à deux époques données, pour déterminer la valeur relative des espèces métalliques aux mêmes époques. Ainsi, de ce que le marc d'argent, qui valait 5 livres en 1326[1], vaut actuellement, d'après un tarif du 1er juillet 1835[2], 55 francs, c'est-à-dire onze fois plus, on concluait d'après ce système, qu'une valeur énoncée dans une ordonnance ou un acte quelconque se rapportant à l'année 1326 devait être exactement représentée aujourd'hui par une somme onze fois plus considérable. Une étude plus approfondie de la question a démontré depuis qu'elle était bien autrement compliquée, et l'on peut dire aujourd'hui que plus on l'examine attentivement, plus on y trouve de difficultés.

Il ne suffit pas, en effet, pour la décider, d'avoir égard à la dépréciation de l'or et de l'argent, notamment depuis la découverte du nouveau monde ; il faut encore tenir compte :

1° De la diminution progressive, depuis Charlemagne, du poids de monnaies qui ont conservé la même dénomination ;

2° De l'altération que les monnaies ont subie à de certaines époques, et de la différence de l'alliage qui est entré dans leur composition ;

3° Enfin, des progrès de l'industrie, progrès par suite desquels un grand nombre d'objets, soit de première nécessité, soit de luxe, ont pu, à une époque donnée, être achetés avec une quantité moins considérable d'or ou d'argent que dans les siècles antérieurs.

Dans les profondes études auxquelles il s'est livré sur la condition des classes agricoles et la propriété territoriale en Normandie pendant le moyen âge, M. Léopold Delisle a récemment posé le problème de la valeur relative des monnaies en termes très-clairs, très-précis, et qu'il me permettra de lui emprunter. Malheureusement, effrayé en quelque sorte des difficultés de la question, M. Delisle s'est borné à les indiquer. Quoi qu'il en soit, je cite en entier le passage de son livre qui s'y rapporte :

A telle date, dans tel pays, combien telle espèce de monnaie pesait-elle, et dans quelle proportion y entrait l'argent ?

Pour résoudre le problème, il faut trouver combien de pièces de cette monnaie on taillait alors dans un marc d'argent. Le nombre obtenu se prend pour diviseur du prix actuel du marc d'argent, et le quotient de la division donne la valeur intrinsèque de l'espèce de monnaie proposée.

La valeur intrinsèque d'une certaine somme à une certaine époque étant connue, reste à savoir quelle en est la valeur extrinsèque ou relative. On peut poser le problème dans les termes suivants :

A telle date, dans tel pays, dans telles circonstances, que valait une certaine quantité d'argent fin, comparée à la même quantité d'argent fin de nos jours ?

Ou autrement :

Quelle quantité d'argent fin faudrait-il aujourd'hui pour faire ce qui, à une époque donnée, se faisait avec une telle quantité d'argent fin ?

Ce rapport de la valeur de l'or ou de l'argent fin d'une époque à la valeur de l'or ou de l'argent fin d'une autre époque, prise pour terme de comparaison, est ce qu'on appelle le pouvoir de l'argent. Pour le déterminer, il faut comparer l'emploi de l'argent aux deux époques données. Mais sur quels points portera cette comparaison ? S'en tiendra-t-on aux objets de première nécessité ? Fera-t-on entrer en ligne de compte toute espèce de valeur, et notamment les objets.de luxe ? Si l'on adopte le premier système, il faudra, pour rechercher le pouvoir de l'argent à une époque donnée, exprimer en monnaie moderne la valeur intrinsèque des sommes que coûtaient, à cette époque, les denrées de première nécessité, et diviser par le nombre qui exprimera cette valeur, le prix actuel des mêmes denrées : le quotient indiquera le pouvoir de l'argent.

Suivant l'autre système, on doit comparer de la même manière le prix des denrées de première nécessité et des objets de luxe, le loyer des terres et des maisons, le produit des capitaux, les salaires, les traitements. On comprend aisément toutes les incertitudes et les difficultés que présentent ces comparaisons ; il est à peu près inutile d'observer que, suivant la différence des éléments employés dans ces calculs, on arrive trop souvent à des résultats contradictoires et absurdes[3].

 

II

Des économistes éminents, Quesnay, Adam Smith, Jean-Baptiste Say, Rossi, des savants distingués, MM. Guérard, Leber, de Saulcy, ont traité la question des monnaies au point de vue qui vient 'd'être indiqué. Personne ne s'étonnera, en songeant combien cette question est ardue et complexe, que les résultats auxquels ils sont arrivés présentent de graves différences. Je n'ai pas la prétention de répandre, après eux, des lumières nouvelles sur ce sujet. Le seul but que je me propose est d'exposer succinctement leurs idées, sauf à indiquer, parmi les appréciations qu'ils ont données, celle qui me paraît se rapprocher le plus de la réalité, du moins en ce qui concerne le quinzième siècle. Le lecteur pourra ainsi, au moyen de ces notions préliminaires, se figurer, du moins approximativement, l'importance des sommes qu'il rencontrera, à chaque instant, dans les pages de ce livre.

La question de la valeur comparative des monnaies paraît avoir été soulevée pour la première fois, il y a déjà plus de deux siècles. En 1620, un secrétaire de la chambre du roi, Scipion de Gramont, la traita incidemment avec beaucoup de sagacité. A cette époque, l'impôt s'élevait à trente millions de livres, et, comme d'ordinaire, on se plaignait qu'il Mt excessif. Scipion de Gramont entreprit de démontrer, à cette occasion, que le peuple n'avait jamais été moins chargé depuis trois siècles, et prouva que Charles V, par exemple, bien qu'il ne retirât de l'impôt, y compris le revenu du domaine, qu'un million de livres par an, était plus riche que Louis XIII avec ses trente-deux millions. Voici sa démonstration :

En premier lieu, dit-il, la livre de ce temps-là en valoit 4 des nostres, estant le marc d'argent à 5 livres 5 souls, et celuy d'or à 62 livres ; et maintenant, le marc d'argent vaut 20 livres 5 souls 4 deniers, et celuy d'or 240, livres 10 souls. Voilà donc quatre millions de livres en force de monnoye, dont jouissoit le roy Charles V, c'est-à-dire que ce million en valoit quatre des nostres. Mais ce n'est pas tout, car avec ces quatre millions on faisoit autant ou plus que l'on fait maintenant avec trente : ce que je preuve par le prix du bled, du vin, de la chair, du drap (qui sont les choses les plus nécessaires à la vie), le conférant avec celuy d'à présent. Il faut maintenant huict fois plus d'argent pour mesme quantité de bled qu'il ne falloit alors. Pour le regard du vin, nous l'avons veu cy-dessus au Coustumier d'Anjou à 24 souls le muy au temps où ces 24 souls ne sauroient valoir plus de 40 souls de nostre monnoye, qui reviendroient à 10 souls du temps de Charles cinquiesme. Il vaut maintenant, dans le mesme pays, 16 et 18 livres ; on ne donnoit donc pas plus d'argent alors pour huict muys que nous en donnons maintenant pour un seul. Le mouton gras vaut huict fois plus d'argent qu'il ne cous toit. L'aulne enfin du meilleur drap de Paris ne valloit que 15 souls en ce mesme temps, qui peuvent revenir à 24 des nostres et à 6 du roy Charles V ; elle se vend maintenant 9 francs et demy, c'est-à-dire huict fois davantage. Qu'inféré-je donc de ceci ? c'est que les quatre millions du roy Charles revenoient à trente-deux millions, et valloient huict fois plus que ne font quatre millions d'à présent, et que le roi ne faict pas plus avec les trente-deux millions qu'il tire qtee faisoit ce roy là avec son million équivalent à quatre millions en force de monnoye[4].

Dans des observations qu'il publia en 1755 sur l'Histoire de France du père Daniel, le père Griffet calcula que les 400.000 écus d'amende auxquels Jacques Cœur avait été condamné équivalaient à 4.228.360 livres au milieu du dix-huitième siècle. Or, le marc d'argent, qui valait environ 8 livres l'année de la condamnation de Jacques Cœur, était, en 1755, de 54 livres. D'autre part, l'écu représentait, vers 1453, environ 28 sous ; 400.000 écus faisaient donc un peu plus de 500.000 livres qui, eh ayant égard à la seule différence de la valeur du marc d'argent aux deux époques, auraient égalé, en poids, 3.036.000 livres. Le père Griffet n'indique pas, d'ailleurs, d'après quelles données il a fait ses calculs, dont les résultats sont, on le verra mieux encore plus loin, de beaucoup au-dessous de la réalité.

Trois années après, en 1758, le docteur Quesnay signalait, dans son Tableau économique, la différence relative de l'argent à deux époques données. Ayant à se rendre compte du loyer réel des terres, il constatait, au sujet d'une terre située en Bourgogne, qu'à la fin du quinzième siècle, le marc d'argent, qui valait 12 livres, payait 12 setiers de blé. Or, ajoutait Quesnay, cette quantité de blé vaudrait aujourd'hui, sur le pied de 18 livres le setier, 216 livres au lieu de 12 ; le sou d'alors était donc à celui d'aujourd'hui comme un est à dix-huit 2[5]. Cette évaluation, tout incomplète qu'elle était, fut comme un trait de lumière, car l'appréciation, cependant plus exacte, de Scipion de Gramont avait, à ce qu'il paraît, été totalement perdue de vue. C'est de ce moment, en effet, c'est-à-dire de la publication du Tableau économique, que date une série, non interrompue depuis, de recherches ayant pour objet d'établir, à un point de vue général, la valeur comparative des monnaies. Le célèbre économiste avait indiqué la voie ; ses disciples ne tardèrent pas à l'y suivre, et l'un d'eux publia, deux ans après, dans le Journal œconomique, un travail substantiel qu'il importe de reproduire en entier[6].

 

ÉTAT DE LA VALEUR DE LA MONNAIE DE FRANCE

Dans 24 époques différentes de temps, depuis Charlemagne jusqu'à présent.

 

La livre d'or doit sa première institution et ses divisions à Charlemagne. Ce fut lui qui, d'abord, ordonna qu'une livre pesant d'argent serait coupée en 20 pièces appelées sols et chacun de ces sols en 12 autres pièces appelées deniers. Ainsi, sous Charlemagne, la livre était donc réellement une livre pesant d'argent, c'est-à-dire une livre romaine de 12 onces2[7] qui fait environ 10 onces deux tiers de Paris. Mais depuis, la livre, au lieu d'une pesanteur réelle, est devenue simplement une valeur nominale et numéraire. Sa valeur a diminué considérablement, de sorte qu'une livre pesant d'argent contenait ensuite beaucoup de ces livres nominales ou numéraires. La variation et le décroissement progressif de la valeur d'une livre actuelle, argent de France, et les différentes livres des siècles passés, sont expliqués dans le tableau suivant[8] :

On peut aisément, à l'aide de cette table, calculer la valeur de la livre actuelle de France dans les différents temps et les périodes qui s'y sont rapportées. Ainsi, il paraît que la livre actuelle ne vaut que 3 deniers 3/5 du temps de Charlemagne, et qu'un million du temps de Charlemagne valoit 66.200.000 livres de la monnoie actuelle.

La proportion de valeur des livres de différents règnes, les unes avec les autres, se connoît aussi très-aisément par cette table. Ainsi, on trouvera que la livre sous François Ier ne valoit que 7 sols 6 deniers du temps de Charles V, et qu'au contraire, la livre sous Charles V valoit 2 livres 13 sols 4 deniers de la monnoie du temps de François Ier...

En faisant ces évaluations, il faut toujours se rappeler qu'après la découverte de l'Amérique, on apporta, dans le seizième siècle, une si grande quantité d'argent en Europe, que la valeur de l'argent fut réduite au tiers de ce qu'elle était auparavant ; de sorte qu'après 1600, la même quantité de la même espèce de marchandise coûtoit trois fois autant d'argent qu'elle faisoit avant 1500[9]. Cette grande abondance d'argent, jointe à la réduction de la livre numéraire ou de compte, est la cause de la disparité surprenante que l'on remarque entre le prix actuel des denrées et la valeur de ces mêmes denrées dans les siècles passés.

L'illustre auteur des Recherches sur la richesse des nations, Adam Smith, reconnut, en 1776, qu'on ne pouvait apprécier les valeurs réelles de différentes marchandises, d'un siècle à un autre, d'après les quantités d'argent qu'on avait données pour elles. Il fut d'avis, en outre, qu'on ne pouvait, non plus, les apprécier, d'une année à l'autre, d'après les quantités de blé qu'elles avaient coûté, les variations de cette denrée étant quelquefois très-fréquentes et considérables dans un temps fort limité ; mais il lui parut que, d'un siècle à l'autre, le blé était une meilleure mesure que l'argent[10]. Adam Smith constata, de plus, l'augmentation progressive de la valeur de l'argent relativement à celle du blé, et l'expliqua comme il suit : Sur la fin du quinzième siècle, dit-il, et au commencement du seizième, la plus grande partie de l'Europe s'avançait déjà vers une forme de gouvernement plus stable que celle dont elle avait pu jouir depuis plusieurs siècles. Une plus grande sécurité devait naturellement accroître l'industrie et tous les genres d'amélioration, et la demande des métaux précieux, comme celle de tout autre objet de luxe et d'ornement devait naturellement augmenter à mesure de l'augmentation des richesses[11]. Revenant, dans un autre chapitre, à l'idée qu'il avait déjà exprimée au sujet de la faculté qu'il attribue au prix moyen des grains de servir d'étalon pour l'appréciation des valeurs, Adam Smith ajoute que, dans tous les différents degrés de richesse ou d'amélioration de la société, le blé est une mesure de valeur plus exacte que toute autre marchandise[12].

L'auteur d'un mémoire couronné en 1789 par l'Académie des inscriptions et belles-lettres, Cliquot de Blervache, traita incidemment, à propos de la condamnation de Jacques Cœur, la question relative à la valeur intrinsèque des monnaies vers le milieu du quinzième siècle.

Jacques Cœur, dit-il, fut condamné à 100.000 écus d'amende envers les peuples et à 300.000 envers le roi. L'écu d'or était de 70 ½ au marc et le marc d'or valait 97 livres 15 sous. 100.000 écus à 70 ½ au marc font 1.418 marcs 1/3, lesquels, à 97 livres 15 sous, font 138,609 livres de ce temps-là. Les écus dont il s'agit étaient fabriqués avec de l'or à 23 ½, 23 ¾ de karats. L'or, à ce titre, vaudrait à présent environ 800 livres le marc.

Ainsi, 100.000 écus d'or de ce temps-là représenteraient, monnaie d'aujourd'hui. 1.334.400 liv.

Et les 300.000 écus : 3.403.200 liv.

Ensemble : 4.537.600 liv.[13]

On voit, par ce qui précède, que, malgré les démonstrations de Scipion de Gramont, de Quesnay, du Journal œconomique et d'Adam Smith, Cliquot de Blervache, se préoccupant exclusivement du poids et du titre des monnaies, ne tenait aucun compte de la différence du pouvoir de l'argent aux deux époques qui lui servaient de point de comparaison.

Dans une étude estimée sur le Crédit public et les dettes publiques, Dufresne Saint-Léon constate que l'intérêt de l'argent qui était, en 1514, au denier 12, c'est-à-dire à 8 ½ pour cent, est aujourd'hui à 5 pour cent ; et qu'une somme de 144 livres placée en 1514, remboursée aujourd'hui et placée de nouveau à 5 pour cent, rapporterait 7 livres 4 sous de rente, ou à peu près la valeur de 4 boisseaux de blé. Il résulte de là, dit Dufresne Saint-Léon, que l'argent ou les rentes numéraires ont été atténuées depuis 1514 par l'affaiblissement des monnaies, l'augmentation du prix des choses et la diminution de l'intérêt de l'argent en France, dans la proportion de 30 à 1. — Aujourd'hui, la même somme de 144 livres, placée en terre à raison du denier 30, rapporterait environ 3 livres 8 sous, pour lesquels on n'aurait que deux boisseaux de blé, ce qui ne suffirait pas à la consommation d'un mois : avilissement de 40 à 1, y compris l'affaiblissement des monnaies. La méfie somme de 144 livres en poids — c'est-à-dire le poids en argent qu'aurait donné cette somme en 1514 — formant 648 livres en monnaie actuelle, placée en terre à raison du denier 30, produirait environ 19 livres dix sous ou treize boisseaux, ce qui donne environ le rapport de six et demi ou sept à un[14].

Quesnay et Adam Smith avaient, on l'a vu, posé en principe la fixité de la valeur du blé. Le comte germain Garnier embrassa complètement leur doctrine, et la développa en 1819 dans un excellent ouvrage sur la monnaie des peuples anciens. Il établit que le prix moyen du grain avait été, sous les premiers empereurs romains, le même que plus tard, pendant la république, sous Constantin, sous Charlemagne et sous Louis XI, et que le rapport entre le blé et l'argent n'avait été modifié que par suite de la découverte du nouveau monde, laquelle avait procuré les métaux précieux aux nations à un sixième environ de la quantité de travail qu'ils leur coûtaient auparavant. Suivant lui, les mercuriales du prix des grains, tant en France qu'en Angleterre, constatent de la manière la plus authentique, que depuis 250 ans, deux gros d'or ou trente gros d'argent fin sont le prix moyen d'une mesure de blé du poids de 240 à 250 livres. Il ajoutait que, pour s'assurer de la valeur de l'argent à deux époques comparées entre elles, il fallait recourir au prix moyen du blé en argent à chacune de ces époques. Relativement à la valeur comparative des monnaies, le comte Germain Garnier formula ainsi son système : Toute chose échangeable qui, dans les écrits des anciens, et généralement dans tout acte antérieur à l'époque où la circulation du monde commerçant fut desservie par l'or et l'argent de l'Amérique, se trouve évaluée en monnaie du temps, doit être aujourd'hui portée à six fois cette évaluation, lorsque nous voulons connaître quelle était alors la valeur réelle d'une telle chose, quel degré de richesse ou de puissance sur le travail d'autrui elle conférait à celui qui en était le possesseur, quelle privation s'imposait celui qui consentait à s'en dessaisir pour en faire don, enfin, quel était le vrai rapport de cette chose avec les autres valeurs consommables[15].

Comme Quesnay, Smith et le comte Garnier, Jean-Baptiste Say admit que, de toutes les marchandises évaluables, le blé était celle dont la valeur avait le moins varié. Il compara une quantité de blé avec une quantité connue d'or ou d'argent à une époque donnée, et il détermina, du moins approximativement, quelle avait été la dépréciation des métaux depuis les temps anciens jusqu'à ce jour.

D'après ses calculs, la quantité de blé contenue dans un hectolitre avait dû, à diverses époques, s'échanger contre une quantité d'argent fin qui était de :

245

grains

sous Charlemagne.

219

sous Charles VII, vers l'année 1450.

333

en 1514

731

en 1536

1130

en 1610

1280

en 1640

1342

en 1789

1610

en 1820

Dans l'opinion de Jean-Baptiste Say, en corrigeant les unes par les autres les données plus ou moins imparfaites qu'il avait été possible de recueillir sur le prix du blé en argent, antérieurement à la découverte du nouveau monde, on pouvait les réduire à une donnée commune de 268 grains d'argent fin pour un hectolitre de froment. Or, comme il en faut donner actuellement six fois autant, il en concluait, comme le comte Garnier, qui était arrivé au même résultat par des calculs différents, que la valeur propre de l'argent avait décliné dans la proportion de six à un.

D'un autre côté, Dupré de Saint-Maur ayant fait observer dans son Essai sur les monnaies que, depuis le commencement du treizième siècle, la capacité du setier de Paris était toujours restée à peu près la même, Jean-Baptiste Say basa sur ce fait le raisonnement suivant : Le setier, dit-il, approche beaucoup d'un hectolitre et demi. Le prix moyen de l'hectolitre étant de 19 francs, le prix moyen actuel du setier est de 28 francs 50 centimes. On peut donc, quel que soit le prix du setier, à partir du treizième siècle, traduire ce prix par 28 francs 50 centimes d'aujourd'hui. Jean-Baptiste Say calcula, en outre, ce qu'un florin d'or de Florence, dont la valeur approximative était de 60 francs 13 centimes, aurait acheté de blé au quinzième siècle, et, conformément à la règle qu'il avait posée, il évalua à 28.277.000 francs de notre monnaie, la valeur de 470.274 florins d'or qu'avaient laissés à leur mort Cosme et Laurent de Médicis[16].

Jusqu'alors, on l'a vu, le prix du blé seul avait été adopté pour déterminer la relation qui existait entre la valeur des monnaies à deux époques différentes. Un savant illustre, M. de Pastoret, pensa avec raison que la comparaison du prix des blés à ces deux époques ne suffisait pas et qu'il fallait aussi tenir compte de la valeur des objets de consommation, du prix des salaires, etc. Les tables du marc d'argent, dit à ce sujet M. de Pastoret, sont suffisantes lorsqu'on ne veut calculer que la différence des valeurs intrinsèques. Mais si l'on voulait apprécier la différence réelle des monnaies et leurs rapports avec les habitudes privées et la fortune publique, il faudrait y joindre un aperçu du prix des objets de consommation, de celui de la main-d'œuvre, de celui des salaires, de celui des fermages. Cet aperçu serait fort difficile à établir, je le sais, mais il est indispensable pour une appréciation exacte, et fournirait seul des données nécessaires à ceux qui s'occupent de notre histoire[17].

Dans un intéressant travail qu'ils publièrent en 1835, sur un siège que la ville de Metz eut à soutenir, dans l'année 1444, de la part du roi Charles VII et de René d'Anjou, MM. de Saulcy et Huguenin firent un pas dans la voie indiquée par M. de Pastoret. Seulement, ils s'appuyèrent exclusivement sur la valeur comparée d'une journée d'ouvrier terrassier au quinzième et au dix-neuvième siècle. Les recherches auxquelles se sont livrés ce sujet MM. de Saulcy et Huguenin se rapportant à l'époque qui fait plus particulièrement l'objet de cette notice, je reproduis le passage relatif au mode d'évaluation qu'ils ont employé.

En comparant, disent les auteurs de la Relation du siège de Metz, les valeurs relatives du numéraire en circulation dans l'année 1444 et du numéraire en circulation en 1835, nous trouvons que le prix de la journée d'un ouvrier terrassier était à Metz, vers 1444, de 4 deniers messins ou d'une bugne, ce qui, en ne tenant pas compte de la très-petite portion d'alliage, nous donne, en poids, 18 grains d'argent fin pour la journée de travail.

En 1835, le prix de la journée de travail de même espèce est moyennement de 1 fr. 20 c. ; ce qui nous représente une somme de 113 grains d'argent fin, en négligeant encore les fractions.

Or, le rapport de 18 à 113 est de un peu plus d'un sixième. Il s'ensuit que, pour nous rendre compte de la valeur réelle de toutes les sommes citées dans cette relation, nous devrions en chercher la valeur matérielle au cours actuel de l'or et de l'argent, et sextupler la somme trouvée...

D'après ce moyen d'estimation, le franc ou florin d'or représentait une somme de 72 francs de notre monnaie actuelle.

Le sou messin, qui en était le douzième, valait, par conséquent, 6 francs.

Le gros valait : 3 fr. 40 c.

Le denier : 0 fr.  37 c.

Enfin, la livre 120 fr.

Notre calcul se trouve confirmé dans un article du Journal œconomique du mois de mars 1760. Nous y lisons que la livre de compte de 1760 aurait valu 5 livres 13 sous 6 deniers, sous Charles VII. On voit que ce résultat est, à fort peu de chose près, celui que nous avons obtenu[18].

Deux ans après, un des hommes dont la profonde érudition pouvait le mieux éclairer cette intéressante question, M. Guérard, lut à l'Académie des inscriptions et belles-lettres un important mémoire sur le Système monétaire des Francs sous les deux premières races[19]. Dans une série de propositions relatives à ce système, M. Guérard prouva, entre autres faits, à l'aide de documents authentiques, et en raisonnant d'après le prix comparé des blés, que, relativement à l'époque actuelle, la valeur du prix de l'argent était, en 794, dans la proportion de 10,73, à 1. Pour avoir, ajoute M. Guérard, la valeur relative des monnaies de l'an 794, et probablement des monnaies plus anciennes, nous devrons multiplier par 10,73 leurs valeurs intrinsèques que nous avons précédemment déterminées[20]. Cette multiplication donne 2 fr. 49 cent. pour la valeur relative du denier mérovingien ; g fr. 83 cent. pour celle du denier de Pépin ; 3 fr. 89 cent. pour celle du denier de Charlemagne ; et pour celle du sou d'or, 99 fr. 53 cent[21].

Vers l'époque où paraissait le savant mémoire de M. Guérard, un élève de l'École des Chartes, M. H. Géraud faisait remarquer qu'en supposant l'existence d'une denrée dont la valeur intrinsèque n'eût pas varié depuis 1292, on aurait eu à cette époque, pour une certaine somme d'argent, une quantité de cette denrée qu'on n'obtiendrait aujourd'hui qu'avec une somme cinq fois plus forte[22]. Trois ans plus tard, M. Guérard aborda de nouveau, mais subsidiairement, la question de la valeur relative des monnaies dans ses Prolégomènes du cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres[23]. M. Guérard établit à cette occasion, d'une part, que la livre monétaire du douzième siècle pesait beaucoup moins que celle de Charlemagne dont le poids s'élevait à 408 grammes ; qu'elle n'excédait même notre demi-livre actuelle que de 4 grammes et que l'on taillerait dans notre livre entière un peu plus de 39 sous de Louis VI ou de Louis VII ; d'autre part, qu'en multipliant par 100lesprix stipulés dans les ventes ou marchés de la fin du douzième siècle, on devait avoir leur valeur mo : darne. On doit conclure de ce qui précède, ajoutait M. Guérard, que le pouvoir de l'argent est de nos jours quatre fois plus faible qu'il ne l'était à la fin du douzième siècle. En effet, nous avons vu que la valeur intrinsèque des monnaies de même nom était, à cette époque, vingt-cinq fois plus grande qu'aujourd'hui, c'est-à-dire qu'une livre d'alors vaut intrinsèquement 25 livres actuelles, 1 sou 25 sous, 1 denier 25 deniers, et nous venons de voir que, dans le commerce, une monnaie ancienne avait autant de valeur que cent monnaies modernes de la même espèce donc il faut multiplier par 4 la valeur intrinsèque pour obtenir la valeur extrinsèque ou commerciale ; donc le pouvoir de l'argent s'est abaissé de 4 à 1.

Les économistes italiens ont envisagé la question de la valeur relative des monnaies au même point de vue que Quesnay, Smith, Germain Garnier, Jean-Baptiste Say, et ils ont vu dans le prix du blé le véritable, l'unique moyen de se rendre compte de la différence du pouvoir de l'argent à deux époques données. Le blé, a dit l'un d'eux, est l'unique objet dont le prix n'a pas subi de variation depuis plusieurs siècles. En effet, bien qu'il y ait, d'une année à l'autre, une différence dans les prix, cependant, si l'on en réunit un certain nombre, on trouvera qu'il n'y a pas eu de variation depuis un long cours de temps[24]. D'après un économiste italien contemporain, M. Louis Cibrario, la mesure commune pour comparer l'ancienne valeur des monnaies avec la valeur de celles en usage est le blé qui satisfait au premier, au constant, à l'universel besoin des hommes, et qui s'équilibre sans cesse avec le nombre et les conditions des populations. M. Cibrario croit, d'ailleurs, contrairement à une opinion généralement admise, que la valeur des choses a peu varié depuis le moyen âge, et qu'on se procure aujourd'hui, avec une quantité d'argent égale, les mêmes services qu'il y a quatre siècles. Suivant lui, les calculs antérieurs ont été faits d'après des bases erronées. On verra, dit-il, par les tableaux que je donne, que la somme strictement nécessaire pour la vie, comme, par exemple, pour la nourriture des prisonniers, des villageois, et pour l'achat de divers objets de première nécessité était à très-peu de chose près, au quatorzième siècle ce qu'elle est aujourd'hui[25]. Se séparant complètement des maîtres de la science au sujet de l'évaluation des sommes historiques, M. Rossi prétendit que le problème de la mesure de la valeur était la quadrature du cercle en économie politique, et qu'on ne pouvait rien conclure de l'appréciation qui était faite de cette valeur à une époque donnée, attendu.que, en cas de variation dans les prix, il n'était pas possible de dire si c'était la valeur du blé ou celle de l'argent qui avait varié. Suivant lui, l'une des deux marchandises pouvant être devenue plus abondante, l'autre plus rare, l'une plus facile à produire, l'autre moins facile, tout était également variable d'un côté comme de l'autre. M. Rossi ajoutait que, pas plus que le travail et la monnaie, le blé ne fournissait le moyen de résoudre un problème qui se refusait à toute solution ; que, lorsque des questions de statistique ou des travaux historiques nous faisaient sentir la nécessité de déterminer la valeur comparative d'une même denrée, dans des lieux situés à de grandes distances, il fallait s'attacher, avant tout, à l'étude des conditions spéciales du problème, et proportionner les moyens de solution aux difficultés qu'il renfermait. Il persistait d'ailleurs à croire que ce problème était particulièrement insoluble s'il s'agissait de temps très-éloignés l'un de l'autre, et, à plus forte raison, de peuples qui n'étaient pas compris dans la même sphère commerciale[26].

D'un autre côté, M. Michel Chevalier fait observer que si l'on se borne à examiner les conditions de la production, on reconnaîtra que, pour le blé, dans la majeure partie de l'Europe, les changements survenus depuis quinze ou vingt siècles sont moindres que pour l'or et pour l'argent sur le marché général où l'Europe s'approvisionne[27].

Enfin, un savant infatigable et justement renommé, M. Leber, a repris, il y a quelques années, le problème de la valeur relative des monnaies au point où M. Guérard l'avait laissé. On a vu plus haut l'opinion de M. de Pastoret sur la question. M. de Pastoret pensait qu'il fallait tenir compte, indépendamment du prix des objets de consommation, de celui de la main-d'œuvre, des salaires et des fermages. M. Leber entra tout à fait dans cet ordre d'idées, et il poussa même cette théorie plus loin, car il s'appuya, dans ses recherches :

1° Sur le montant des gages, soldes, salaires, journées et pensions ;

2°-Sur le prix des denrées et objets de consommation de première nécessité, tels que le blé, la viande, le vin, les fruits, le poisson, etc. ;

3° Sur le prix des objets de luxe, des produits de l'industrie, de l'art et du commerce extérieur.

Leber réunit à ce sujet, dans des tables très-curieuses, des points de comparaison nombreux pris depuis les dernières années du treizième siècle jusqu'à l'époque actuelle, et il arriva, comme M. Guérard, à la conclusion ci-après :

Au huitième siècle, après 779 ; une quantité donnée d'or et d'argent avait onze fois plias de pouvoir ou de valeur marchande qu'aujourd'hui.

Dans les premières années du neuvième siècle, ce pouvoir se réduisit à huit.

M. Leber reconnut d'ailleurs qu'il n'avait pas eu en sa possession les documents nécessaires pour se livrer à une pareille appréciation en ce qui concernait les dixième, onzième et douzième siècles.

Au treizième siècle, le pouvoir relatif de l'argent tomba, suivant lui, à six, et il resta à ce tain jusqu'au premier quart du seizième siècle ;

Il fut de quatre pendant le deuxième quart du même siècle,

De trois pendant les vingt-cinq années qui suivirent.

Enfin, de 1575 à 1789, l'ancien pouvoir de l'argent ne fie plus que de deux au-dessus de son pouvoir actuel[28].

Pendant que, d'après M. Léopold Delisle, M. Leber aurait tiré des conclusions trop absolues d'un petit nombre de faits particuliers, et exagéré outre mesure le pouvoir de l'argent au moyen âge[29], un autre écrivain, M. Esménard Du Mazet, a soutenu, dans ces derniers temps, une opinion diamétralement contraire. Suivant M. Du Mazet, Jean-Baptiste Say, M. Leber et M. Cibrarid ont suivi, dans leurs appréciations de la valeur des monnaies, unie méthode vicieuse. M. Du Mazet reproche à Jean-Baptiste Say de n'avoir pas tenu compte de l'accroissement du travail ; il croit en outre que, depuis le treizième siècle, la masse monétaire s'est accrue dans le rapport de 1 à 12,77. M. Leber avait évalué la rançon de saint Louis à 33 millions en monnaie actuelle, M. Du Mazet la porte à 67.177.862 fr. M. Leber avait constaté en outre que les obsèques de Charles, VII coûtèrent 18,300 livres du temps, qu'il évalue à 345.125 livres de 1780. M. Du Mazet fait à ce sujet le calcul suivant : Il est facile de reconnaître, dit-il, qu'en 1461, la livre tournois valait en argent fin 6 fr. 77 cent. Les 18.300 livres valaient donc en monnaie de nos jours 18.300 x 6 fr. 77 cent. x 12 fr. 77 = 1.582.035 fr. A cette époque les revenus de l'État étaient de 2.300.000 livres, soit, en monnaie actuelle : 2.300.000 x 6 fr. 77 cent. x 12 fr. 77 = 198.841.670 fr. ; environ 200 millions. Les obsèques du roi absorbèrent donc à peu près la 126e partie des revenus de l'État. D'un autre côté, Jean-Baptiste Say avait cru faire une large part aux changements apportés par les siècles dans la valeur de l'argent en estimant à 28.277.000 fr. l'héritage de Côme et Laurent de Médicis. Or, M. Du Mazet l'évalue à 74.226.731 fr. 39 cent., et il fait observer, non sans raison peut-être, que cette somme répond mieux que l'autre à l'idée, que l'on se fait de la fortune et de la grande existence des Médicis[30].

J'ai exposé successivement et par ordre des années où elles se sont produites les diverses opinions des économistes et des savants sur la valeur relative de l'argent. Résumons-les en peu de mots.

Trois systèmes principaux sont en présence.

D'une part, M. Rossi croit qu'il n'est pas possible d'arriver à des évaluations exactes, et il estime que le prix du blé lui-même ne saurait être accepté comme un étalon de la valeur.

Quesnay, le Journal Œconomique, Adam Smith, le comte Germain Garnier, Jean-Baptiste Say, MM. Cibrario et Du Mazet, trouvent, au contraire, dans le prix du blé, à raison de sa fixité relative, une excellente mesure de la valeur et la font servir de base à leurs calculs.

Enfin, M. de Pastoret, et après lui M. Leber, pensent qu'il ne faut pas avoir égard seulement à la valeur du prix du blé, mais encore à celle des objets, soit de première nécessité, soit de luxe, de même qu'au prix des journées d'ouvriers des divers états.

Or, voici les conséquences théoriques de ces systèmes : M. Guérard, dont les travaux font, à si juste titre, autorité, a calculé que, vers la fin du huitième siècle, et même antérieurement, la valeur effective de l'argent était dans la proportion de 10,73 à 1, relativement à l'époque actuelle, et que cette proportion était descendue à sept fois et un tiers au commencement du neuvième siècle.

Tandis que M. Cibrario arrive à conclure, tout en prenant le prix du blé pour base de ses calculs, que la valeur relative de l'argent n'a jamais éprouvé de grandes variations, le comte Germain Garnier, Jean-Baptiste Say et M. Leber attribuent, au contraire, à une quantité d'argent donnée, depuis le neuvième siècle jusqu'au moment de la découverte du nouveau monde, six fois plus de pouvoir qu'elle n'en a aujourd'hui.

Seul, M. Du Mazet croit que ce pouvoir de l'argent a été, jusque vers le commencement du seizième siècle, supérieur de près de treize fois (12,77) à son pouvoir actuel.

 

III

Il ne sera pas sans intérêt maintenant d'appliquer chacune de ces diverses mesures de la valeur à quelques chiffres concernant des faits relatifs au quinzième siècle et particulièrement à Jacques Cœur.

On a vu qu'il avait été condamné à une amende de 400.000 écus. Ces écus, dit M. Leber, pouvaient valoir chacun 1 livre 8 sous. Conséquemment, 400.000 écus représentaient 506.000 livres de compte de leur temps. En 1453, le prix du marc d'argent était de 9 livres 3 sous environ ; 506.000 livres égalaient, en poids d'argent, 3.036.000 livres du dix-neuvième siècle, et, en pouvoir, 18.216.000 de nos francs actuels[31].

D'après le système d'évaluation de M. Du Mazet, les 400.000 écus dont il s'agit ; représenteraient environ 38 millions de francs.

Une année avant sa disgrâce, Jacques Cœur avait prêté à Charles VII 200.000 écus pour l'aider à expulser les Anglais de la Normandie. Plus tard, et dans le cours du procès on prit sur les biens de Jacques Cœur une somme égale pour faire face aux frais de la campagne de Guyenne. Chacune de ces deux sommes équivaudrait, d'après M. Leber, à 9 millions environ, et d'après M. Du Mazet, à 19 millions.

Enfin, M. Du Mazet évalue, on l'a vu, à près de 200 millions la valeur relative des 2.300.000 livres qui composaient le revenu du roi sous Charles VII. Or, dans le système de M. Leber, la même somme ne représenterait pas tout à fait 100 millions de nos jours.

Ainsi, d'une part, M. Léopold Delisle estime, par induction, à la vérité, et sans apporter de preuve à l'appui son assertion, que la règle posée par M. Leber mène à des valeurs exagérées, impossible ; d'autre part, celle appliquée par M. Du Mazet donne des valeurs plus que doubles. Cependant, M. Guérard a reconnu tout récemment que le problème de l'évaluation du prix commercial des monnaies présentait bien moins de difficultés depuis la publication du Mémoire de M. Leber. Grâce aux recherches de ce respectable savant, ajoute M. Guérard, nous pouvons maintenant arriver, en beaucoup de cas, aux valeurs actuelles avec une approximation satisfaisante. Les cireurs qu'il petit avoir commises, et qui sont inévitables eh pareille matière, le vague ou l'incertitude qui règnent quelquefois dans les tables, les omissions ou lacunes qu'on y découvre, n'empêchent pas que son ouvrage ne soit fort utile, et qu'on ne doive le consulter avec une certaine confiance[32].

Un fait paraît donc aujourd'hui acquis et hors de contestation, grâce aux patientes investigations des économistes et des savants, c'est que, jusque vers la fin du quinzième siècle, l'argent avait, dans la généralité des cas, au moins fois plus de pouvoir qu'il n'en a aujourd'hui. Quelles sont les exceptions que comporte cette règle ? A l'égard de quelles marchandises, de quels travaux, de quelle nature de salaires cette évaluation' est-elle trop forte ou insuffisante ? C'est ce qu'il serait intéressant de savoir et ce qu'on finira sans doute par déterminer à l'aide de nouvelles observations, sinon avec une rigidité mathématique, du moins assez approximativement pour satisfaire l'esprit des lecteurs qui veulent que les chiffres eux-mêmes réveillent des idées[33].

Il me reste à ajouter quelques mots au sujet des monnaies en usage sous Charles VII.

Celles dont il sera principalement question dans cet ouvrage sont les suivantes l'écu, le franc, la livre, le sou et le denier. La livre et le sou étaient, au quinzième siècle, des monnaies fictives ou de compte. Voici, d'après Le Blanc dont le traité est, sous certains rapports, un guide excellent auquel il faut toujours revenir, quelques explications au sujet des écus et des francs.

L'écu était une pièce d'or. Il y avait les écus à la couronne et les écus heaume, ainsi nommés parce que l'écu de France y était surmonté soit d'une couronne, soit d'un heaume ou casque. Ces derniers étaient plus pesants que les écus vulgairement appelés couronnes. Charles VII fit frapper un grand nombre d'écus à la couronne. La valeur vénale des écus d'or varia, sous son règne, de 22 à 30 sous. Le Blanc fait observer qu'on en changea souvent le poids, le titre et le cours, et qu'on les distinguait les uns des autres par une marque que l'on mettait dans la légende ou ailleurs, comme une couronne, une croix, un château, une molette, une ancre, un croissant, un navire, une fleur de lis.

Le franc était également une pièce d'or valant une livre de compte, c'est-à-dire 20 sous. Les premiers francs furent frappés sous le roi Jean. Charles V en fit fabriquer de semblables. Cette monnoye des francs d'or, dit Le Blanc, en parlant de ceux frappés sous Charles VII, eut grand cours pendant ce temps-là. On contractait volontiers à cette monnoye à cause de sa bonté et de son prix fixe, et parce qu'elle valoit justement une livre qui est une manière de compter dont on s'est servi en France depuis Charlemagne. Il y avait le franc à cheval et le franc à pied, suivant que le roi y était représenté à pied ou à cheval.

Indépendamment de ces monnaies, il en fut frappé, sous le règne de Charles VII, un grand nombre d'autres telles que les saluts d'or, les réaux d'or, les chaises (écus à la chaise, également en or) et les demi-écus d'or, qui valaient dix sous en 1438. Les monnaies d'argent les plus usuelles étaient les gros, les demi-gros et les plaques imitées d'une monnaie flamande.

Les grands blancs, les demi-blancs, les doubles, les deniers parisis et les deniers tournois constituaient la monnaie de billon[34].

Il y avait, en outre, l'obole qui valait la moitié du denier. La pitte, ou poictevine, également appelée pougeoise, était la plus petite de toutes les monnaies.

 

Valeur des principales monnaies sous Charles VII[35].

D'après tout ce qui précède, la valeur relative de la livre, du sou et du denier sous Charles VII, en prenant la moyenne du prix du marc d'argent pendant les vingt dernières années de son règne, période pendant laquelle les monnaies furent fabriquées au titre normal, et en ayant aussi égard à la diminution successive du pouvoir de l'argent, peut être exprimée par les chiffres suivants : La livre[36] représenterait ENVIRON 40 fr. 0 c. de nos jours.

Le sou 2 fr. 0 c.

Et le denier 0 fr. 16 c. ²/₃.

 

PRIX DES CHOSES, TRAITEMENTS ET SALAIRES,

AU QUINZIÈME SIÈCLE.

J'avais réuni un certain nombre de documents concernant la valeur de divers objets et la rémunération de travaux et journées vers le milieu du quinzième siècle. Au moment d'en faire usage, j'hésite, et voici pourquoi :

En général, rien n'est plus incertain et ne doit être employé avec plus de ménagements que les indications de cette nature. Par exemple, s'il s'agit de denrées, de fruits, d'objets d'alimentation, il faudrait savoir si les prix qui nous ont été transmis s'appliquent à une année de disette ou d'abondance, à l'été ou à l'hiver ; à Paris ou à la campagne, enfin à telle ou telle province. Faute de ces renseignements, et pour peu qu'on veuille raisonner du particulier au général, on est exposé à tomber dans les plus grandes erreurs. L'exemple suivant en donnera une idée.

On sait que Dupré de Saint-Maur a indiqué, dans son Essai sur les monnaies, le prix d'un grand nombre d'objets de consommation pendant cinq siècles entiers, du treizième au dix-huitième[37]. On voit, à l'année 1454, qu'un pourceau fut vendu 27 sous. Il est à remarquer que l'ouvrage de Dupré de Saint-Maur est principalement consulté pour ses tables du prix des denrées, fruits et viandes, et qu'ici il n'y a pas moyen de se rejeter sur une faute d'impression, attendu que l'auteur dit : Pour 13 pourceaux, 17 l. 12 s., soit, pour un pourceau, r s. 12/13e de denier.

D'un autre côté, M. Léopold Delisle constate dans ses Études sur la classe agricole en Normandie, que, la même année un pourceau fut vendu à La Haie du Puits, 2 s. 4 d.

En appliquant à ces deux prix la règle que nous venons de poser, on arrive à ce résultat :

D'après le prix donné par Dupré de Saint-Maur, un pourceau aurait été vendu en 1454 : 51 fr. 30 c.

D'après le prix indiqué par M. Delisle : 4 fr. 44 c.

Différence en monnaie actuelle : 46 fr. 86 c.

Suivant toutes les apparences, le renseignement fourni par Dupré de Saint-Maur serait applicable à la vente, effectuée à Paris, d'un pourceau beaucoup plus gros que celui dont le prix a été relevé dans un village de Normandie. Les deux indications peuvent donc être considérées comme parfaitement exactes, mais on voit à quelles conclusions elles peuvent mener.

Les prix relatifs des denrées au moyen âge et de nos jours ne peuvent donc guère, on le voit, servir de terme de comparaison. De même, en ce qui concerne le salaire des journaliers de la campagne, il serait utile de savoir si la nourriture leur était donnée en sus, ce qui arrivait fréquemment, sans que ce fût pourtant une règle générale.

Mais il est des objets dont le prix, indépendant des lieux et des saisons, devait être, à peu de chose près, le même dans toute la France ; tels étaient les objets d'art e de luxe, les épiceries, la soie. La connaissance approximative du prix de ces objets, de même que celle des salaires de certains emplois pouvant être de quelque utilité pour apprécier les exigences de la vie au quinzième siècle, comparées à celles du dix-neuvième siècle, on trouvera ici quelques indications de prix ou de salaires avec l'évaluation de leur valeur à l'époque actuelle.

 

Valeur en monnaie du temps et en monnaie actuelle, de gages et de salaires, pendant le quinzième siècle.

(D'après M. Leber[38]) :

Vers 1408. — GAGES, par an, du grand chambellan, du grand pannetier, du grand maitre d'hôtel, chacun 2.000 livres, soit en monnaie actuelle, 88.000,00

Du confesseur et du médecin du roi, outre les vivres pour cinq personnes, chacun 600 livres, soit 26.400,00

De l'aumônier du roi, 500 livres, soit 22.000,00

Du chirurgien du roi, outre les vivres pour trois personnes, 300 livres, soit 13.200,00

D'un président des comptes du roi, 1.000 livres, soit 44.000,00

D'un maitre des comptes du roi, 600 livres, soit. 26.400,00

1413. — Du prévôt de Laon, 75 livres, soit 3.093,00

Du garde de l'horloge à Vincennes, 31 livres, 5 sous, soit 1.285,00

Du peintre du roi, 136 livres, soit 5.610,00

1423. — D'un homme d'armes à cheval, 1 sou, soit 2,20

— à pied, 8 deniers, soit 1,47

— d'un archer, 6 deniers, soit 1,10

1472. — Dit chancelier de France, 4.000 livres, soit 120.000,00

 

Prix recueillis dans des documents contemporains authentiques. — Évaluation en monnaie actuelle, d'après la règle APPROXIMATIVE formulée ci-dessus[39].

1re

GAGES des baillis et sénéchaux sous Charles VII, de 200 à 700 livres — à 200 livres, soit 8.000,00

à 700 livres, soit 28.000,00

D'un élu (personne chargée de la répartition de l'impôt, dans les paroisses) en 1454, 100 livres, soit 4.000,00

Du receveur général à Chinon, 600 livres, soit 24.000,00

D'un précepteur d'un des fils du roi, 300 livres, soit 12.000,00

Donné par le roi Charles VII, à Poton de Xaintrailles, sénéchal du Poitou, 2.000 livres, soit 80.000,00

— à mademoiselle de Villequier, qui avait remplacé Agnès Sorel, 2.260 livres, soit 90.400,00

Loys d'Angoule, astrologies, 68 livres 15 sous, soit 2.750,00

— à Colas le Sourcier, 137 livres 10 sous, soit 5.500,00

Pension du duc de Bourbon, 14.400 livres, soit 576.000,00

2e

En 1413, un cheval fleur de pêcher, pour l'archevêque de Rouen, coûta 49 livres 10 sous, soit 1.980,00

En 1442, à Évreux, une journée de jardinier fut payée 1 sou, soit 2,00

— d'homme occupé à charger une charrette, 9 deniers, soit 1,48

— à cueillir des poires, 9 deniers, soit 1,48

En 1448, un député aux États de Normandie recevait une indemnité de 30 sous par jour, soit 60,00

En 1450, les maçons et charpentiers occupés aux travaux du siège de Cherbourg touchaient par jour 5 sous, soit 10,00

Et les manouvriers, 3 sous 4 deniers, soit 6,65

En 1451, dans le bailliage de Cotentin, un mouton coûtait 4 sous, soit 8,00

— Une brebis, 3 sous, soit 6,00

En 1454, — à la Haie du Puits, un cheval se vendit 2 écus, soit, à raison de 27 sous ½ l'écu 110,00

— Un bœuf, 50 sous, soit 100,00

En 1459, à Évreux, une journée de vanneur de blé était payée 15 deniers, soit 2,50

En 1460, dans la même ville, les coupeurs avaient, pour les vendanges, 9 deniers, soit 1,48

Les hommes qui portaient la hotte, 2 sous, soit 4,00

En 1467, — à Bayeux, pour faire saigner et châtrer 24 porcs, il en coûtait 3 sous, soit 6,00

Dans la même ville, et dans la même année, une journée de couvreur se payait 2 sous, soit 4,00

Une journée de maçon, 20 deniers, soit 3,33

Une journée de vanneur, 12 deniers, soit 2,00

 

CONCORDANCE DU CALENDRIER EN USAGE SOUS CHARLES VII AVEC LE CALENDRIER ACTUEL.

 

Table de la date des fêtes de Pâques et du commencement de l'année, de 1422 à 1461[40].

ANNÉES.

MOIS ET DATES.

ANNÉES.

MOIS ET DATES.

1422

12 avril.

1442

1 avril.

1423

4 avril.

1443

21 avril.

1424

23 avril.

1414

12 avril.

1425

8 avril.

1445

28 mars.

1426

31 mars.

1146

17 avril.

1427

20 avril.

1447

9 avril.

1428

4 avril.

1448

24 mars.

1429

27 mars.

1449

13 avril.

1430

16 avril.

1450

5 avril.

1431

1 avril.

1451

25 avril.

1432

20 avril.

1452

9 avril.

1433

12 avril.

1453

1 avril.

1434

28 mars.

1454

21 avril.

1435

17 avril.

1455

6 avril.

1436

8 avril.

1456

28 mars.

1437

31 mars.

1457

17 avril.

1438

13 avril.

1458

2 avril.

1439

5 avril.

1459

25 mars.

1440

27 mars.

1460

13 avril.

1441

16 avril.

1461

5 avril.

 

 



[1] Tables du prix du marc d'or et d'argent depuis 1144 jusqu'en 1689, à la fin du Traité historique des monnoyes de France, avec leurs figures, depuis le commencement de la monarchie jusqu'à présent, par Le Blanc, 1 vol. in-4°, Paris, 1690. — L'ouvrage de Le Blanc, très-estimé d'ailleurs, en ce qui concerne l'appréciation du titre et de la valeur intrinsèque des anciennes monnaies françaises, ne contient aucun éclaircissement sur la question spéciale qui nous occupe. — Il en est de même de l'Essai sur les monnoies, par Dupré Saint-Maur.

[2] Annuaire du bureau des longitudes, année 1848, p. 74.

[3] Études sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au moyen âge, p. 373.

[4] Le denier royal, traicté curieux de l'or et de l'argent, par Scipion de Gramont, sieur de Sainct-Germain, secrétaire ordinaire de la chambre du Roy, Paris, 1620, in-12 de 299 pages.

[5] Œuvres de F. Quesnay ; édition Guillaumin, les Physiocrates, Ire partie, p. 121, note.

[6] Numéro de mars 1760, p. 135.

[7] C'était, on le sait, l'opinion de Le Blanc, dont le Traité sur les monnaies a fait longtemps autorité. Dans un savant mémoire dont je parlerai plus loin, M. Guérard a démontré que la livre de Charlemagne était de 13 onces un tiers, poids de marc, soit 7,680 grains.

[8] Les renseignements qui font l'objet des deux dernières colonnes de ce tableau ne sont pas dans le Journal œconomique. Je les trouve dans le Dictionnaire historique des monnaies, in-4°, Lyon, 1784, p. 53. — On trouve également dans ce dictionnaire un tableau fort ingénieux, mais trop grand pour être reproduit ici, et qui fait connaître, au premier coup d'œil, quels étaient, sous chaque règne, les résultats de la variation des monnaies françaises, comparativement aux règnes précédents ou subséquents. Il est inutile de faire observer que la colonne du prix du marc d'argent indique la moyenne de ce prix, ou tout au moins le prix habituel durant une époque déterminée. Or, on sait avec combien de précaution il faut se servir des moyennes.

[9] C'est cette différence qui constitue ce que l'on a appelé depuis pouvoir de l'argent. — Scipion de Gramont avait dit huit fois, en parlant, il est vrai, du règne de Charles V, soit de 1364 à 1380.

[10] Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, liv. I, chap. V, édition Guillaumin, p. 47.

[11] Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, liv. I, chap. IX, p. 232.

[12] Liv. I, chap. XI, p. 238. — Un des commentateurs d'Adam Smith, Buchanan, avait fait, à ce sujet, la réflexion suivante : Le prix du blé ne règle pas le prix en argent de tous les autres produits bruts de la terre ; il ne règle ni le prix des métaux, ni celui de beaucoup d'autres matières premières ; et comme il ne règle pas le prix des métaux, ni de beaucoup d'autres matières premières, il ne règle pas non plus celui des objets manufacturés. Mais un autre commentateur, qui a été en outre le traducteur d'Adam Smith, le comte Germain Garnier, a combattu l'assertion de Buchanan dans une très-longue note à laquelle je ne puis que renvoyer le lecteur, et qui se termine comme il suit : Il ne faut voir dans l'argent que du travail fait, qui a été payé par des subsistances et qui vaut ce qu'il a été payé. Ce qu'on nomme le prix du blé en argent est l'expression la plus simple et la plus immédiate de la valeur de l'argent ; c'est son évaluation faite en sa véritable monnaie ; c'est pour cela que lorsqu'on veut apprécier l'argent dans les temps anciens, la seule méthode est de l'évaluer en blé. Dire que le prix du blé en argent ne règle pas tous les autres prix en argent, c'est briser le seul lien qui mette en rapport entre elles les diverses valeurs dont se compose la circulation.

[13] De l'état du commerce intérieur et extérieur de la France depuis la première croisade jusqu'à Louis XII, dans la Collection de mémoires, etc., de M. Leber, t. XVI.

[14] Étude du crédit public et des dettes publiques, p. 274.

[15] Germain Garnier, Histoire de la monnaie depuis les temps de la plus haute antiquité jusqu'au règne de Charlemagne, t. I, p. LXXIII, LXXIX et 57 ; t. II, p. 355.

[16] Cours complet d'économie politique pratique, etc. IIIe partie, chap. XIV, édition Guillaumin, p. 429 et suivantes.

[17] Ordonnances des rois de France, t. XX, préface, cité par M. Leber ; voir plus loin.

[18] Relation du siège de Metz est 1444 par Charles VII et René d'Anjou, publiée sur les manuscrits originaux, par MM. de Saulcy et Huguenin. Metz, 1835, p. 8, note. — D'après l'estimation de MM. de Saulcy et Huguenin, le franc d'or ou florin aurait représenté 72 fr. et la livre 120 fr. de notre monnaie actuelle. Cette estimation est, de beaucoup, la plus élevée qui ait été faite à ce sujet. L'on doit conclure de là que l'abaissement de la valeur propre de l'argent, dans la proportion de 6 à 1, ne peut servir de base pour toutes les évaluations et que cette règle est sujette à des exceptions peut-être nombreuses.

[19] Voyez Revue de la numismatique française, dirigée par MM. Cartier et de La Saussaye, année 1837, p. 406 et suivantes.

[20] Voici, d'après M. Guérard, la valeur intrinsèque des monnaies sous les deux premières races :

[21] Après la fin du huitième siècle, le pouvoir de l'argent diminua sensiblement, M. Guérard fait connaître, d'après Eginhard quelle fut la cause de cette diminution. Les Francs, dit ce dernier, dans sa Vie de Charlemagne, rapportèrent de leurs guerres contre les Avares et contre les lions, terminées en 799, tant d'or et d'argent, que, de pauvres qu'ils, avaient été jusque-là, ils se trouvèrent regorger de richesses. Ainsi, les dépouilles accumulées pendant plusieurs siècles par ces spoliateurs des nations étant tombées au pouvoir des Francs, rendirent chez eux les métaux précieux plus abondants, et occasionnèrent dans leur empire un renchérissement subit des denrées. Enfin, M. Guérard établit, par la valeur comparée du blé aux deux époques, que le pouvoir de l'argent, en 806, n'était plus que sept fois et un tiers environ plus fort qu'il n'est aujourd'hui. — Voici, d'après M. Guérard, la valeur relative des monnaies sous les deux premières races :

Prix des deux premières races convertis en prix actuels, par M. Guérard, d'après les règles ci-dessus exposées :

TEMPS ANTÉRIEUR À L'AN 800. — Prix d'un esclave exerçant un métier d'ouvrier en fer, d'orfèvre, charpentier ou charron, 25 sous, en valeur actuelle 2.488 fr.

D'un bon bœuf, 2 s. =109 fr. ; d'un bon cheval, 6 s. = 597 fr. ; d'une bonne. jument, 3 s. = 299 fr.

L'opération de la cataracte, lorsqu'elle avait réussi, devait être payée au médecin 5 s. = 498 fr.

Prix d'un cheval étalon, 12 s. = 1.194 fr. ; d'un cheval ordinaire, 6 s. = 597 fr. ; d'une vache ordinaire, 1 s. = 100 fr. ; d'un chien chef de meute, 3 s. = 299 fr. ; d'un chien courant, 12 s. = 1.194 fr. ; d'un bon chien de porcher, d'un lévrier ou d'un chien de berger, 1 s. = 100 fr.

Dans le sixième siècle, d'après Grégoire de Tours, prix d'un esclave ordinaire, 12 s. = 1.194 fr. ; d'un ecclésiastique mis en vente, 20 s. = 1.991 fr.

TEMPS POSTÉRIEUR À L'AN 800. — Prix d'un jeune porc, 4 deniers = 10 fr. 65 c. ; d'un bœuf, 8 s. = 255 fr. 30 c. ; d'une brebis avec son agneau, 12 d. = 31 fr. 90 c. ; d'une livre ou 408 grammes de lin, 1 s. = 31 fr. 90 c. (ce qui met le kilogramme à 78 fr. 20 c.).

[22] Paris sous Philippe le Bel (le rôle de la taille en 1292), 1 vol. in-4°, publié en 1837 et faisant partie de la Collection des documents inédits sur l'Histoire de France, p. 566.

[23] Collection des documents inédits sur l'histoire de France ; Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père, t. I, préface, p. CLXXXVII et suivantes.

[24] Pagnini, Del prezzio delle cose, cité par M. Louis Cibrario dans son livre Della economia politica del medio evo, 1 vol. in-8°, Turin, 1839.

[25] Della economia, etc., cap. VII, p. 469 et 479. — M. Cibrario est, je crois, seul de cette opinion ; je dois ajouter qu'il se borne à énoncer, sans en donner la preuve, que les calculs faits avant lui à ce sujet sont faux.

[26] Cours d'Économie politique, 1840, t. I, 9e et 11e leçons, p. 150 et 189. — Ces observations portent l'empreinte de l'esprit éminemment pratique et positif de M. Rossi. Sans doute, on ne pourra jamais indiquer avec une précision mathématique la valeur relative des monnaies des Grecs, des Romains, et même des temps anciens de notre histoire ; mais cette précision est-elle absolument indispensable ? N'y a-t-il pas, d'ailleurs, une véritable satisfaction à s'en rapprocher le plus possible ? Il est constant que les historiens avaient, pendant longtemps, accrédité à ce sujet les erreurs les plus grossières. Or, déjà, on ne saurait le méconnaître, ou doit aux investigations de la science d'importants résultats, et il n'est pas permis de douter que de nouvelles études permettront d'obtenir, sur la valeur relative de nos monnaies à chaque siècle, et même sous chaque règne, des notions aussi approximatives qu'on peut le souhaiter.

[27] Cours d'Économie politique, t. III, La monnaie, p. 91.

[28] Mémoire concernant les variations des valeurs monétaires et le pouvoir commercial de l'argent. — Ces mémoires ont été lus à l'Académie des Inscriptions et Relies-Lettres, qui en a ordonné l'impression dans la collection des Mémoires des savants étrangers. M. Leber a depuis publié ses deux mémoires en un vol. in-8 intitulé : Essai sur l'appréciation de la fortune privée au moyen âge, Paris, 1847. — Je dois rappeler ici qu'il s'agit uniquement dans ces évaluations de la valeur relative de la livre de compte. Avant donc d'appliquer la règle posée par M. Leber, il est indispensable d'avoir égard à la valeur du marc d'argent aux époques sur lesquelles porte la comparaison. Ainsi le marc d'argent valait, vers 1636, 27 livres 10 sous ; il vaut actuellement 55 fr. Pour savoir quelle somme, en monnaie actuelle, représentent 70 livres de 1636, il faut donc 1° doubler cette somme, puisque le marc d'argent vaut aujourd'hui deux fois plus ; 2° multiplier par 2 la somme qui résulte de cette opération, puisque l'argent avait en 1636 un pouvoir double de celui qu'il a au dix-neuvième siècle. Que si l'on veut connaitre la valeur relative, soit d'un louis, écu ou d'un lis d'or, soit d'un franc, d'un louis ou d'un lis d'argent à la même époque, il faut d'abord chercher quelle était leur valeur en livres dans les tables qui terminent le Traité historique des monnoies par Le Blanc *. On opère ensuite, comme je viens de l'indiquer, pour trouver la valeur relative de 70 livres en 1636.

* Voir, au sujet des Tables du marc d'argent de Le Blanc et du Recueil des Ordonnances, l'examen critique qu'en a fait M. Leber dans son second mémoire sur les monnaies ; Appréciation, etc., IIe partie, p. 209 et suivantes.

[29] Études, etc., p 473.

[30] Nouveaux principes d'Économie politique, Paris, 1849, p. 186 et suivantes.

[31] Essai sur l'appréciation, etc., p. 147. — Cela fait 36 francs actuels par chaque livre de compte, en 1453.

[32] Cartulaire de l'église Notre-Dame de Paris, 4 vol. in-4°, 1850, t. I, Préface, p. CCXXIX, § 69.

[33] Un conseiller à la Cour d'appel de Bourges, M. Berry, annonce, sur cet important sujet, et doit publier prochainement, un grand ouvrage en trois volumes, intitulé : Études et recherches historiques sur les monnaies de France.

[34] Le Blanc, Traité historique, etc., p. VIII et suivantes de l'Introduction, et 299 et suivantes ; Règne de Charles VII.

[35] Métrologie ou traité des mesures, poids et monnaies, par Paucton, 1 vol. in-4°, Paris, 1780 ; p. 925 et suivantes. — Le tableau où je prends ces renseignements que l'on trouve d'ailleurs, sauf quelques différences, dans les Ordonnances des rois de France et dans Le Blanc, donne, en outre, le titre de l'or et de l'argent de chaque monnaie, le nombre de pièces qui étaient taillées dans le marc, etc. — Il n'est pas sans utilité de rappeler ici que, grâce à ces expédients trop souvent employés sous l'ancienne monarchie, dans les temps de détresse, des monnaies portant le même nom et frappées la même année étaient d'un titre différent, d'où il suit que leur valeur réelle différait aussi essentiellement. M. de Pastoret a dit à ce sujet : Le même poids, la même forme, la même empreinte n'annonçaient pas la même valeur. (Ordonnances, etc., t. XV, préface, p. XLVI.)

[36] On sait qu'il y avait la livre parisis et la livre tournois et que leur valeur intrinsèque était inégale. Cette distinction, dit M. Leber, p. 261, paraît s'être établie sous le règne de Philippe Ier, mort en 1108. Alors, on fabriquait à Tours une monnaie plus faible que celle de Paris et qu'on distingua de cette dernière-par la dénomination de tournois, tirée du lieu de son origine. On fit d'ailleurs par la suite, à Paris, des sous tournois, comme des parisis. La livre parisis ou de Paris était en force à la livre tournois comme 5 est à 4, c'est-à-dire d'un quart en sus. Cinq livres tournois ne valaient donc que quatre livres parisis ; et comme la même différence s'est maintenue jusqu'à Louis XIV, elle ne doit point être perdue de vue dans l'évaluation des prix antérieurs au dix-septième siècle. M. Leber ajoute, p. 265, que dans les cas où la nature de la livre n'est pas spécifiée, il est au moins probable qu'il s'agit de livres tournois, attendu qu'on a fabriqué beaucoup moins de parisis que de tournois.

[37] Essai sur les monnoies, ou Réflexions sur le rapport entre l'argent et les denrées. Paris, 1746. Il semble que cet ouvrage devrait traiter la question de la valeur relative des monnaies ; il n'en est pourtant rien. Dupré de Saint-Maur se borne à faire remarquer dans une note (prix de l'année 1202) que, depuis cette époque, la plupart des choses sont enchéries de 1 à 40 environ. Ainsi, dit-il, une livre d'étain commun est montée de 6 deniers à 20 sous ; une livre de cire, de 1 sou 2 deniers à 48 sous, etc., etc.

[38] Appréciation de la fortune privée, etc., p. 61 et suivantes. — On remarquera que les Prix d'évaluation de M. Leber varient avec les années. Cette variation vient de celle du marc d'argent.

[39] Voir, pour la série de prix n° 1, les Aides ordonnées en 1454, pièce justificative, n° 23, et pour la série n° 2, les Études sur la classe agricole en Normandie, par M. Léopold Delisle, p. 610 et suivantes.

[40] Il était d'usage, sous les rois de la troisième race, de ne commencer l'année qu'à Pâques. Cet usage a été réformé par une ordonnance de Charles IX, du mois de janvier 1563, mise à exécution en 1566, de sorte que cette année n'eut que 8 mois 47 jours, depuis le 14 avril jusqu'au 31 décembre. Avant cette époque, il y avait quelquefois deux mois d'avril presque complets dans l'année. Par exemple, l'année 1421 ayant commencé le 4 avril, jour de Pâques et fini à Pâques suivant, c'est-à-dire le 23 avril, il y eut par conséquent, dans cette année, un mois d'avril complet et 19 jours d'un autre mois d'avril.

Dans les différents royaumes de l'Occident, l'année avait longtemps commencé à des époques diverses. A Mayence, en Hongrie, à Milan, à Rome, en Aragon, en Castille, en Chypre, en Angleterre, dans les Pays-Bas et en Savoie, elle commença pendant longtemps à Noël ; à Trèves, à Florence, en Sicile, le commencement de l'année était fixé au 25 mars ; à Venise, l'année civile et ordinaire s'ouvrait au 1er janvier, et l'année légale au 1er mars ; à Strasbourg, celle-ci commençait à la Circoncision. En Suisse, dans les quatorzième et quinzième siècles, le, premier jour de l'année était le 1er janvier, à l'exception du diocèse de Lausanne et du pays de Vaud, où, depuis le concile de Bâle, on la fit commencer au 25 mars, etc., etc.

En France, dès le règne de Charlemagne et pendant tout le neuvième siècle, l'usage fut généralement de commencer l'année à Noël. Plus tard, les uns la commencèrent le 25 décembre ; les autres, le 25 mars, et le plus grand nombre le jour ou la veille de Pâques. Cependant, la coutume invariable des rois, dans leurs chartes et leurs diplômes, depuis la fin du onzième siècle, et celle du parlement de Paris, depuis qu'il fut rendu sédentaire jusqu'à l'édit de Charles IX, appelé communément ordonnance du Roussillon, qui fixa le point de départ de l'année au 1er janvier, fut de la commencer à Pâques, ou plutôt au samedi saint, après la bénédiction du cierge pascal. Mais dans les provinces de France dont les Anglais furent maîtres, l'usage le plus commun était de commencer l'année à Noël.

Enfin, cet usage variait suivant les provinces. Ainsi, dans celle de Reims ; l'année commençait à l'Annonciation ; dans le diocèse de Soissons, à Noël ; dans celui d'Amiens, à Pâques ; dans le Dauphiné, le Languedoc et dans les autres provinces méridionales, le 25 mars. En Provence, la diversité fut plus grande encore, car les tins plaçaient le commencement de l'année à Noël ou au ler janvier, les autres au 25 mars ou à Pâques. En Lorraine, la variété fut à peu près la même, et ne cessa qu'en 1579, grâce à l'adoption des mesures prescrites pour la France par l'ordonnance de Roussillon. (L'Art de vérifier les dates des faits historiques, des chartes, des chroniques, etc., par un religieux de la congrégation de Saint-Maur ; Dissertation sur les dates des chartes et chroniques, L. I.)

Toutes les dates de cet ouvrage sont d'après le vieux style, c'est-à-dire qu'il est indispensable, lorsqu'il s'agit de l'un des quatre premiers mois de l'année moderne, de consulter le tableau qui précède pour avoir la date exacte selon le nouveau style.