LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

HOCHE ET LA LUTTE POUR L'ALSACE

 

CHAPITRE VIII. — LANDAU.

 

 

Laubadère et Dentzel. Les deux partis. Le Comité landauvien de salut public. Le Conseil de défense. Les chefs de corps. Suspension de Delmas. Sa réintégration. Dentzel menacé. Mesures imprudentes de Laubadère. Bombardement. Misobasile Forel. Triomphe de Dentzel. Sommations prussiennes. Déblocus de la place. Fureur des partis. La maladie du soupçon.

 

Landau était investi depuis quatre mois par le prince royal et 6.000 Prussiens. Mais vainement Wurmser avait proposé, selon le plan de l'ingénieur palatin Traitteur, d'inonder la ville au moyen d'une digue établie sur la Queich. Vainement il avait prié Brunswick d'épouvanter la population par un bombardement continuel. Les Prussiens ménageaient leurs munitions et attendaient paisiblement dans leurs baraques que la famine leur ouvrît les portes de la place.

Laubadère commandait à Landau depuis le départ de Gilot. Il avait sollicité cette fonction, et, lorsqu'il l'obtint, il écrivit à Bouchotte que la ville ne capitulerait pas tant qu'il y serait et qu'il disparaîtrait plutôt de la sur- face du globe. Il manquait de caractère. Brave sous les obus et courant au milieu du feu partout où sa présence semblait nécessaire, il était dans un conseil de défense timide et indécis. Il annonçait de vigoureuses résolutions qu'il révoquait le lendemain. Il n'osait entreprendre de sorties ; tous les jours, la garnison faisait la même marche, occupait la même position et, après avoir tiré et reçu quelques coups de fusil, rentrait derrière les murs ; aussi, dans son inaction, ne pensait-elle plus qu'aux cabales et aux intrigues. Comme tant d'autres, à cette époque, Laubadère craignait d'être suspecté d'incivisme. Il avait deux aides-de-camp : Hugues Laudier, homme de grand mérite, de principes modérés, et Misobasile Forel, dénonciateur de Custine, jacobin enragé qui ne connaissait ni frein ni mesure. Laubadère se laissa dominer par Forel et par les acolytes de Forel ; il écouta des forcenés qu'il appréhendait plus qu'il n'estimait ; il répondait avec énergie aux sommations des ennemis et tremblait devant son aide-de-camp ; il redoutait plus la guillotine que les boulets[1].

Il aurait dû s'unir au représentant Dentzel qui s'était enfermé dans la place. Dentzel était né Allemand ; mais, disait-il, il mourrait Français et depuis dix-huit ans il avait lié ses intérêts personnels à ceux de la France ; il jurait de fusiller le premier qui prononcerait le mot de capitulation ; il écrivait au Comité que sa femme et ses enfants étaient restés en otages à Paris. Mais Laubadère était chef et voulait naturellement commander. Dentzel, actif, ardent, sachant très- bien les deux langues, capable de rendre les plus grands services dans une ville qu'il regardait justement comme sa patrie adoptive, désirait tout faire et tout mener. Il se piquait de comprendre les opérations militaires. Il avait ses protégés qu'il poussait et avançait le plus possible. De là l'inimitié du général et du conventionnel ; durant le siège, ouvertement et en secret, ils se disputèrent l'autorité ; chacun d'eux s'efforçait de ravir à l'autre la gloire de sauver le boulevard de l'Alsace[2].

Il y eut ainsi deux partis dans la ville et la garnison. Laubadère avait pour lui les deux commandants des volontaires de la Corrèze, Delmas et Treich, et le Comité de salut public. Ce Comité qui s'était formé lui-même, prétendait surveiller et contrôler les actes de la défense. Il se composait des jacobins les plus exaltés, Misobasile Forel, Physiophile Hardouin, officier au 21e régiment et adjoint à l'état-major, Victor Laudier, capitaine-sapeur, Treich, le soldat Grasset, secrétaire de Laubadère. Tous étaient ennemis acharnés de Dentzel qu'ils qualifiaient de prêtre et d'étranger. A les entendre, Dentzel aimait et soutenait les luthériens dont il avait été ministre principal ; il faisait distribuer du vin aux soldats pour gagner leur amitié ; il vendait les meubles de sa femme parce qu'il prévoyait la chute de Landau et spéculait sur la misère publique ; il traitait ses concitoyens avec une indulgence extrême, et il avait dit à Delmas : Je ne suis pas de deux cents lieues comme vous, et si, comme moi, vous étiez de Landau, vous agiriez de même ; il donnait les places et les emplois à des hommes suspects ou inhabiles ; il avait noué des intelligences au dehors et projetait de livrer la ville aux alliés.

Mais Dentzel avait de son côté la population civile ainsi que le club des jacobins landauviens, et il comptait des partisans dans la garnison, surtout dans les troupes de ligne, et jusque dans le Conseil de défense. Au lieu de n'assembler que les officiers supérieurs de la garnison, Laubadère, croyant s'attacher le soldat, avait admis dans ce Conseil 80 personnes de tout grade et de toute arme, choisies par chaque corps à la pluralité des voix ; aussi, ce conciliabule ressemblait-il plutôt à un club qu'à un comité de guerre, et ce qui s'y passait était raconté le lendemain dans les cabarets. Quelques membres, des officiers et ceux qu'on nommait les chefs de corps, se prononçaient hautement en faveur de Dentzel. C'étaient Serviez, chef de brigade du 5Se régiment d'infanterie et naguère gouverneur de Sarrelouis, Laval qui devait remplacer Serviez, le chef de bataillon Stockam, Maurice Du Fort[3], chef de brigade du 22e régiment de cavalerie, Legros, lieutenant-colonel du 2e bataillon de Seine-et-Marne, Demestre, chef de bataillon au 3e d'infanterie et commandant temporaire de Landau, le sous-lieutenant Blanchard qui conduisait cinquante tirailleurs tirés du 22e cavalerie.

 

Dès le mois d'août la lutte s'engageait. Delmas, nommé général depuis le 30 juin et commandant en second, avait pris un grand ascendant sur Laubadère, qui ne voyait plus que par ses yeux. Bouillant, emporté, poussant la vivacité jusqu'à la rudesse, il rompit en visière à Dentzel.

Le représentant avait demandé pour son beau-frère dont il vantait l'intelligence, le grade de chef d'escadron au 16e régiment de dragons ; Delmas répondit que le beau-frère de Dentzel était incapable. Le conventionnel avait fait établir un tribunal criminel militaire composé de l'accusateur et de cinq juges. Le 13 août, Delmas, qui présidait le conseil de défense en l'absence de Laubadère, déclara que Dentzel voulait se mêler de tout et n'avait pas de pouvoirs, qu'il ne méritait aucune confiance, qu'il était un Michel Morin. Dentzel se vengea. Il suspendit Delmas dès le lendemain : Delmas, disait-il, s'était permis sur son compte des expressions avilissantes ; Delmas avait violé les lois de l'humanité envers ses subordonnés en les frappant du pied et de la main ; Delmas avait échangé quelques mots avec un parlementaire, malgré l'arrêté du Comité de salut public qui défendait aux généraux de parler aux trompettes ennemis[4].

Le 27 août, Laubadère, prétextant une maladie, pria Dentzel de lever les arrêts de Delmas qui dirigerait une sortie. La démarche était imprudente. Serviez, Laval, Du Fort et autres chefs de corps s'irritèrent que Delmas, jeune encore et inexpérimenté, parût le seul propre à mener l'expédition. Dentzel, enhardi par leur opposition, répliqua que la Convention prononcerait sur le sort de Delmas et nomma Serviez commandant en second avec le titre provisoire de général. Delmas, furieux, ameuta ses amis, et Dentzel fut, en pleine séance du Conseil, couvert d'insultes. Mais les chefs de corps et la Société des Jacobins de Landau approuvèrent Dentzel. Les chefs de corps, assemblés avec la permission de Laubadère, écrivirent au député qu'ils voyaient avec indignation la représentation nationale outragée dans sa personne, que la Convention et ses délégués étaient l'unique point de ralliement, qu'il méritait la confiance publique, qu'il devait veiller jusqu'au bout à la conservation de la place et réprimer la cabale montée par Delmas, Treich, Forel, Hardouin et Victor Laudier. Les Jacobins de Landau protestèrent pareillement. Ils prièrent le représentant de punir les cabaleurs astucieux et déclarèrent que Dentzel montrait le patriotisme le plus pur, qu'il faisait régner dans la ville la concorde et la fraternité, qu'il avait encouragé les soldats, visité les postes, risqué sa vie, et que le club donnerait pour lui ses biens et son sang. Dentzel l'emportait On reconnut Serviez comme successeur de Delmas. Le fougueux Hardouin, dénoncé au conseil de défense qu'il avait nommé un Comité autrichien, fut traduit au tribunal militaire et incarcéré.

Mais Delmas avait informé ses amis et compatriotes, les représentants Ruamps, Borie et Milhaud. Treich écrivait que Dentzel voulait réunir tous les pouvoirs, qu'il était hostile aux volontaires, qu'il groupait autour de lui les officiers de ligne qui soupiraient après l'avancement, qu'il était prêtre, et ce mot renfermait tout. De Wissembourg, Ruamps, Borie, Milhaud, combattirent Dentzel à coups de lettres et d'arrêtés. Ils nommèrent Treich général de brigade[5]. Ils affirmèrent qu'eux seuls étaient commissaires de la Convention près l'armée du Rhin, que leurs délibérations sur les faits militaires étaient les seules valables, et forts de la loi, soutenant que tout arrêté devait être signé de deux représentants au moins, ils décidèrent que Delmas reprendrait ses fonctions de commandant en second, que Serviez serait suspendu et mis provisoirement dans une maison de sûreté, ainsi que toutes les personnes suspectes. Ils comptaient, ajoutaient-ils, sur la fermeté de Laubadère pour faire respecter leur décision. Enfin, le 21 septembre, Ruamps envoyait à Laubadère un décret du 29 août qui rappelait Dentzel à Paris : Dentzel, disait-il, n'a pas plus d'autorité dans la ville que Louis XVII à Paris, et il ordonnait au général de réintégrer Delmas et de suspendre tous les partisans du prêtre.

Le 28 septembre, Laubadère, considérant la loi comme sa boussole, signifia sèchement à Dentzel que ses pouvoirs étaient finis à Landau. Il réintégra Delmas dans son commandement et mit aux arrêts de rigueur Serviez, Demestre et les chefs de corps Laval, Du Fort, Legros. Une insurrection qu'il qualifiait d'élan patriotique éclata dans la garnison. Delmas parcourut la ville en triomphateur, escorté de ses amis qui criaient sous les fenêtres de Dentzel : à la guillotine le représentant ! Les soldats se portèrent à la prison et délivrèrent Hardouin. Ils se constituèrent en Société populaire et Hardouin, Forel, les membres du Comité de salut public excitèrent contre Dentzel ce club improvisé.

Le lendemain, 29 septembre, nouveaux et violents discours de Physiophile et de Misobasile dans la grande église. On traita Dentzel de tyran et de roi de Landau ; on proposa de lui couper la tête et de mettre les chefs de corps au cachot ; on courut à la maison du représentant ; on escalada les murs du jardin où il se promenait ; un grenadier lui porta un coup de sabre qu'il para de la main ; sans un officier du 8e de la Haute-Saône, le conventionnel eût été assassiné. Mais Laubadère fut averti par Hardouin et par Dentzel : Hardouin redoutait les conséquences de l'émeute qu'il avait déchaînée ; Dentzel, craignant pour sa sûreté personnelle, criait à la violation de la représentation nationale et, dans un billet écrit à !a hâte, sommait le gouverneur de le protéger. Laubadère se rendit chez Dentzel. Sa présence ne put dissiper l'attroupement. Il eut l'idée de faire battre la générale et chacun gagna son poste. Laubadère passa devant les bataillons ; il leur dit que Dentzel était rappelé par un décret de la Convention, qu'on devait respecter le caractère sacré dont il était revêtu, et lui-même, le sabre à la main, alla placer une garde à la porte du conventionnel. Mais, dans sa proclamation, il ne blâma pas la conduite des soldats et laissa le soupçon planer sur les chefs de corps : Vous craignez, disait-il à la garnison, les communications que peuvent avoir les personnes suspendues ; je vous promets de faire disparaître vos inquiétudes.

Dentzel se renferma dans son logis et ne siégea plus au Conseil de défense. Mais les troubles ne cessèrent pas. Le 18 octobre, en prévision d'un bombardement, Laubadère ordonnait de dépaver les rues sous quarante-huit heures et de mettre les pierres contre les murs des maisons, dans les cours et les jardins. Trois jours plus tard il annonçait que quiconque était incapable de porter les armes[6] quitterait Landau sur-le-champ. Mesure irréfléchie et d'ailleurs impraticable ! L'assiégeant aurait-il ouvert le passage aux Landauviens ? En réalité, Laubadère voulait se débarrasser des gens les plus riches, qui s'étaient attachés à Dentzel. Mais les habitants protestèrent qu'ils s'étaient pourvus de vivres pour six mois et que le commandant n'avait pas le droit de les chasser. Le Conseil général jura que les citoyens qui s'étaient approvisionnés à la sueur de leur front, ne se laisseraient pas arracher de leur domicile. Les femmes se réunirent sur la place et crièrent qu'elles ne s'en iraient que si la citoyenne Delmas partait la première. Les officiers, les soldats firent cause commune avec la population et refusèrent de se séparer de leurs maîtresses. Un grand nombre de militaires et de bourgeois se rendirent à l'hôtel-de-ville, où Laubadère délibérait avec le Conseil général. Ils exigèrent que les chefs de corps détenus par ordre de la Convention fussent incontinent relâchés. Vainement Laubadère répliqua qu'il devait respecter les décisions de l'Assemblée et qu'il était personnellement responsable de leur exécution, qu'il donnerait aux pétitionnaires toute satisfaction qui dépendrait de lui, lorsque la séance serait levée. On lui répondit qu'on saurait, sans lui, délivrer les prisonniers ; on se porta chez les chefs de corps, on les pressa de rompre leurs arrêts, on leur mit de gré ou de force leur habit et leurs bottes. On les entraîna chez Laubadère aux cris de Vive la République ! Laubadère céda. Il assura que ses intentions avaient été calomniées, qu'il ne voulait expulser personne et qu'il comptait que les citoyens de Landau lui indiqueraient d'eux-mêmes les bouches inutiles : il se doutait qu'on ne les indiquerait pas. Puis il convoqua la garnison et la pria d'émettre ses vœux sur les officiers qu'il avait suspendus. Le 55e régiment d'infanterie et le 22e de cavalerie redemandèrent leurs chefs à l'unanimité. Les autres corps, à l'instigation de quelques ambitieux, les laissèrent aux arrêts.

Un singulier incident augmenta le désarroi. Le bruit courait parmi les soldats qu'une garnison qui n'avait pas de vivres pour deux mois était tenue de se rendre à discrétion. Ils désirèrent que l'état réel des subsistances fût constaté. Laubadère s'inclina. Des commissaires furent nommés pour visiter les magasins. Ils trouvèrent, par hasard, quelques sacs remplis de déchet et de recoupe. Ils crièrent aussitôt qu'il y avait des ordures dans les sacs. De toutes parts, on répétait que Landau était trahi, vendu. Enfin, les commissaires terminèrent la vérification des vivres ; ils déclarèrent que les approvisionnements ne feraient pas défaut et la garnison fut rassurée.

Le 28 octobre commençait le bombardement qui fut très violent et dura quatre jours et trois nuits. Le maire Schattenmann plaça son fourrage par petits tas dans sa cour, et le recouvrit de planches sur lesquelles il mit deux pieds de fumier. Son exemple ne fut pas suivi. La plus grande partie des fourrages devint la proie des flammes. Les habitants durent jeter au dehors ce qu'ils avaient dans leurs greniers, et le foin se mêlant à la boue des rues dépavées, on ne pouvait plus marcher qu'avec une extrême difficulté. Mais la population civile déploya le plus grand courage. Les obus prussiens avaient trois trous qui lançaient du feu ; quand on vit qu'ils n'éclataient pas, on osa s'en approcher, les lever, les plonger dans des baquets d'eau. Des bombes avaient embrasé des magasins de vin ; les soldats enfoncèrent les tonneaux et s'enivrèrent du liquide qui coulait à flots et leur montait jusqu'aux genoux : seuls les Landauviens éteignirent l'incendie. Plusieurs furent tués, d'autres blessés. Le brave Klee, qui était de garde au haut du clocher, aperçut sa maison qui brûlait ; chacun, dit-il, doit faire son devoir, et il continua d'annoncer à Laubadère les mouvements de l'ennemi : il reçut de la Convention une indemnité de dix mille francs.

Tant que dura le bombardement, le péril commun fit oublier les dissentiments particuliers et réunit tous les esprits. La discorde renaquit dès que le canon prussien eut cessé de tonner. Dentzel ne renonçait pas à ressaisir son influence. Le jour où la garnison délivrait les chefs de corps, il s'était rendu chez Laubadère pour jurer au général, en présence de Delmas, qu'il n'avait pris aucune part à l'insurrection. Mais on savait qu'un de ses affidés, capitaine au 3e bataillon du Bas-Rhin, Schneegans, avait traversé les lignes de l'assiégeant, et l'on avait surpris des billets de ce Schneegans qui mandait à Dentzel d'envoyer à Paris une adresse signée des soldats, d'adopter le tutoiement et dans ses lettres à la Convention de déblatérer contre les riches et les accapareurs, de louer hautement les braves défenseurs de la patrie. Hardouin, Forel, Treich et les membres du Comité de salut public résolurent de prévenir les rapports de Dentzel et de dépêcher un des leurs à Paris. Forel se chargea de cette mission et tenta plusieurs fois de franchir le cordon d'investissement. Mais il fut arrêté à la porte de la ville. Vainement il protesta qu'il faisait l'espion. Les partisans de Dentzel l'accusèrent de trahison : un homme à grandes moustaches et au costume jacobin, qui ne savait pas un mot d'allemand, pouvait-il pratiquer l'espionnage ? Dentzel reconquit son ascendant. La Montagne avait jusqu'alors dominé dans Landau. La Plaine prit sa revanche et culbuta la Montagne. Un membre du Comité de salut public fut l'auteur de cette révolution : Victor Laudier, converti, ramené par son frère Hugues, changea soudain d'opinion et dénonça violemment ses anciens amis.

Le 22 novembre, au moment où commençait la séance du Conseil de défense, les deux battants de la porte s'ouvrirent avec fracas et l'on vit entrer une foule de soldats, des fantassins du 55e et les cavaliers tirailleurs commandés par Blanchard. Laubadère et quelques membres s'élevèrent contre cette affluence et déclarèrent que le Conseil délibérait toujours en secret. Mais les adhérents de Dentzel demandèrent à grands cris que les séances fussent dorénavant publiques et ajoutèrent qu'il fallait éclairer tous leurs frères d'armes. Victor Laudier dénonça Laubadère, Delmas et le Comité de salut public. Laubadère, disait-il, avait arbitrairement dépouillé Dentzel de l'autorité que doit avoir un représentant du peuple ; il avait suspendu les chefs de corps sur une lettre de Ruamps qui ne pouvait savoir ce qui se passait dans une place assiégée. Delmas — avait entretenu des rapports avec les Prussiens et permis à deux dragons du 16e régiment de rester deux jours au quartier-général du prince royal[7]. Forel avait, à diverses reprises, essayé de traverser de nuit les avant-postes, sous un déguisement, pour se rendre à Wissembourg, où étaient les Autrichiens ; il avait qualifié de sainte insurrection l'émeute du 25 septembre : il avait projeté d'assassiner Dentzel. Enfin, le Comité de salut public, ce Comité ténébreux que protégeait Laubadère, ne se composait que de traîtres.

Ces paroles de Victor Laudier excitèrent un tumulte effroyable. Laubadère fut menacé, ainsi que Delmas. Les partisans de Dentzel eurent le dessus. Ils firent décider que les scellés seraient apposés sur les papiers des généraux et les membres du Comité de salut public, Forel, Hardouin, Treich, Grasset, à l'exception de Victor Laudier, leur dénonciateur, mis aussitôt en état d'arrestation. Forel fut enfermé dans la cage de fer ; mais cette cage de fer, dont on fit grand bruit, n'était pas plus une cage de fer qu'un violon ou prison n'est un violon à jouer ; c'était un local petit et incommode, mais plus sec et plus sain que les cachots de la Conciergerie[8]. On pria Dentzel de reprendre ses fonctions de représentant. On réintégra les chefs que Laubadère avait suspendus. On déclara qu'en raison des circonstances, et contrairement à l'arrêté qui défendait d'accueillir les trompettes ennemis, quatre membres du Conseil recevraient les parlementaires. Laubadère s'opposait à cette résolution et refusa de la signer. Mais le soir même se présentait un trompette prussien ; malgré Laubadère et Delmas, quatre membres du Conseil allèrent au devant de lui.

La séance du 23 novembre fut aussi tumultueuse que la précédente. On fit de nouveau le procès de Laubadère et de Delmas. Une voix qui sortait de la foule cria : A bas la tête de Laubadère ! Dedon, capitaine d'artillerie, répondit : Qu'on arrête ce coquin ! Mais le coupable échappa. Ce Conseil, dit un témoin, n'était qu'un chaos où l'on ne pouvait s'entendre.

Dentzel triomphait. Il n'abusa pas de la victoire. Le 24 novembre, il donna le baiser fraternel aux généraux. Cinq jours plus tard, Laubadère reconnut dans une lettre publique l'innocence des chefs et officiers suspendus. Les deux partis jurèrent de ne plus avoir d'autre ennemi que les Prussiens.

La place était toujours bloquée, et les Prussiens n'épargnaient ni promesses ni menaces pour brusquer le dénouement. Le 22 novembre, le prince royal offrit à Laubadère une capitulation honorable : les lignes de Wissembourg étaient prises ; Fort-Louis avait dû se rendre ; les armées françaises se repliaient derrière Strasbourg et Saverne ; Landau n'avait plus l'espoir d'être dégagé ou ravitaillé. Laubadère ne répondit pas. Le 27 novembre, le prince royal lui écrivit encore : il allait quitter le commandement, et son successeur ne ferait pas de conditions aussi favorables. Cette fois, Laubadère répondit : Nous ne voulons ni ne pouvons capituler, disait-il, tant que l'état de nos munitions et de nos subsistances fournit à notre courage les moyens de se signaler.

Knobelsdorf remplaça le prince royal à la-tête des troupes d'investissement. Le 2 décembre, il informait Laubadère de la victoire que le duc de Brunswick avait remportée à Kaiserslautern. L'armée qui venait débloquer Landau, était aussi complètement battue, dispersée et ruinée que l'armée qui tentait naguère de délivrer Valenciennes. Laubadère prolongerait-il une résistance inutile ? N'imiterait-il pas le général Ferrand qui rendit Valenciennes après la défaite de ses secours Laubadère répliqua que le succès des Prussiens ne changerait rien à son inébranlable résolution de défendre Landau jusqu'au bout : une capitulation déshonorante lui serait, ainsi qu'à sa garnison, plus cruelle que la mort.

Mais Laubadère craignait de n'être pas secouru. Les vivres s'épuisaient. Le vin était hors de prix. On vendait de la détrempe de bois ou de vieux cuirs pour de la bière. Il écrivit, le 8 décembre, sur un morceau de linge le billet suivant que l'espion Schwenninger cousit dans la doublure de son habit : Tous mes efforts deviendront bientôt superflus, si vous ne venez bientôt nous délivrer de nos ennemis ; ils sont sans doute moins à redouter pour nous que l'époque de la fin de nos approvisionnements de bouche ; mais hâtez-vous de venir. Et Dentzel ajoutait : Je me joins avec instance au général d'autant plus que Landau est dans la dernière nécessité d'avoir des secours ; aux armes, mes frères, à notre secours ! Mais l'espion fut pris, et le billet découvert.

Convaincus que Landau manquait de vivres, les Prussiens réitérèrent leurs sommations. Le 14 décembre, un Hohenlohe qui se trouvait dans leur camp, envoyait à Laubadère une lettre flatteuse. Il avait, disait-il, servi la France et tenu garnison à Landau ; il aimait le pays où il avait longtemps vécu ; il engageait donc Laubadère à capituler et à hâter le rétablissement de l'ordre. Pourquoi tarder ? Des défilés et deux armées séparaient Landau du reste de la France. Pourrait-on conduire des troupes et des canons par des chemins que le mauvais temps avait rendus impraticables ?

Laubadère répondit très noblement. Puisque Hohenlohe avait servi en France et à Landau, il devait garder des Français et de cette place une assez bonne opinion. La garnison croyait qu'il était possible de conduire des troupes et des canons partout où les appelait l'intérêt de la République ; le bruit de l'artillerie ne lui laissait aucun doute sur l'intervalle qui séparait Landau des armées françaises ; elle serait digne de la confiance nationale ; elle savait que sa résistance faisait sa gloire et lui valait même l'estime des ennemis. Cessez donc, concluait Laubadère, de me parler de capitulation et de traité ; il n'en existe aucun entre le devoir et le déshonneur ; je défends la cause de l'humanité entière, vous défendez celle des rois ; la mienne prépare le bonheur du globe, la vôtre en a toujours fait le tourment ; qui de nous deux a le plus de droit à des succès ?

Knobelsdorf ne se rebuta pas. Il s'adressa non plus au général, mais à la garnison, à Messieurs les soldats. IL leur disait que les armées de la Convention avaient été repoussées ; le canon qu'on entendait, était celui des alliés qui poursuivaient le vaincu ou qui célébraient leur triomphe par des salves de réjouissances et Knobelsdorf invitait la garnison à lui faire connaître le vœu de la majorité qui saurait sans doute se soustraire au pouvoir arbitraire de quelques exaltés. La garnison fut indignée. Les délégués des régiments écrivirent à Knobelsdorf qu'ils auraient toujours confiance dans les lumières de leurs chefs, qu'ils ne pouvaient ni ne devaient entretenir un commerce de lettres avec le général ennemi et qu'ils lui renverraient désormais ses messages sans y répondre.

Comme devant Mayence, les Prussiens recoururent à la ruse. Ils furent imprimer à Mannheim une proclamation datée de Sarrebrück et signée du général Vincent ainsi que des représentants Ehrmann, Soubrany et Richaud. Les soldats de la liberté, y disait-on, avaient tenté de voler au secours de leurs frères et de resserrer avec eux les liens d'une fraternelle amitié[9] ; mais des obstacles imprévus avaient arrêté leur ardeur ; les défenseurs de Landau sauraient juger leur situation et sauver la valeureuse garnison d'une perte inévitable, surtout lorsque des intérêts plus pressants appelaient l'attention du peuple vers l'intérieur de la République où les Anglais, par la plus noire des trahisons, excitaient ses enfants à déchirer son sein par tous les désordres du fanatisme. On essaya même de corrompre Dentzel : il avait, lui mandait-on, le cœur bien placé ; il était né en Allemagne ; on lui donnerait cent mille florins, ainsi qu'à Laubadère, si tous deux précipitaient la capitulation. Mais l'espion qui porta cette lettre et la fausse proclamation, était ce Schwenninger à qui Laubadère et Dentzel avaient confié leur billet du 8 décembre : il avait, pour échapper à la mort, promis aux Prussiens tout ce qu'ils exigeaient de lui ; une fois à Landau, il révéla la vérité[10].

Un obscur littérateur de cette fin de siècle, Laukhard, servait dans le corps d'investissement. Il avait connu Dentzel à l'Université de Halle. On le chargea de sonder le conventionnel, et un matin, Laukhard entra dans la ville en se donnant comme déserteur. Mais dès le premier entretien il comprit que Dentzel resterait fidèle au devoir et à l'honneur[11]. Il profita de l'occasion pour déserter réellement et courir de nouvelles aventures.

Landau fut débloqué le 23 décembre. Mais les factions -ne désarmèrent pas et la délivrance de la place n'avait pas éteint leur fureur. On se dénonça derechef avec acharnement. Chaque parti s'attribuait l'honneur de la résistance et rejetait toutes les fautes sur ses adversaires ; à les entendre, les uns et les autres s'étaient cachés dans les casemates pendant le bombardement et nul n'avait rempli son devoir. Les ennemis de Dentzel l'emportèrent d'abord. Lacoste et Baudot avaient, à la recommandation de Ruamps, tiré de prison Misobasile Forel et les membres du Comité de salut public. Ils chargèrent Barbat, chef de brigade du 55e régiment, de faire une enquête sur les événements de Landau, et Barbat, ajoutant foi aux accusations de Forel, de Hardouin et de Treich, imagina que Dentzel avait ourdi traîtreusement une grande conspiration dont les chefs de corps étaient les fauteurs et les adhérents. Lacoste et Baudot, persuadés que la royauté faisait mouvoir ses agents durant le blocus de Landau, ordonnèrent l'arrestation des chefs de corps et des partisans les plus résolus de Dentzel. Le conventionnel, ses belles-sœurs, sa servante même, furent envoyés à l'Abbaye. Tous les officiers du 22e cavalerie et du 55e infanterie furent destitués, et ceux qui, pendant le siège de Landau, combattaient à l'armée du Nord ou se trouvaient au dépôt de Schlestadt, apprirent un jour avec le plus profond étonnement qu'ils, devaient quitter le service pour avoir participé à un horrible complot dans une ville où jamais ils n'avaient mis les pieds. Lacoste et Baudot allèrent plus loin : ils arrêtèrent trente-neuf citoyens de Landau qu'ils accusaient d'avoir crié Vive le roi ! Tous passaient néanmoins pour de francs républicains ; quelques-uns avaient été blessés au bombardement ; d'autres avaient vu brûler leurs maisons ; on les enferma dans les prisons de Phalsbourg. C'étaient Forel et Hardouin qui, de Paris, dénonçaient leurs ennemis. N'avaient-ils pas, avant leur départ de Landau, fait condamner à mort trois soldats de la garnison, parce que l'un, au sortir d'un bon déjeuner et dans les fumées du vin, disait aux deux autres que la République, déchirée par de pareilles factions, ne pourrait pas tenir et que la France lassée se donnerait un roi ? Mais les prétendus conspirateurs publièrent l'apologie de leur conduite. A l'instigation de Saint-Just qui conservait du ressentiment contre Lacoste et Baudot, les dénonciateurs Forel, Hardouin, Treich et les généraux Laubadère et Delmas furent arrêtés à leur tour. Les meneurs des deux partis étaient tous sous les verrous. Ils ne recouvrèrent la liberté qu'après le 9 thermidor. Ainsi se termina la grande querelle de Landau. Les écrits, mémoires, libelles qu'elle a suscités, sont nombreux et qui voudrait : les feuilleter aujourd'hui[12] ? Ils offrent pourtant quelque intérêt au psychologue. Tous ces hommes se haïssent et s'accusent ; ils ne rêvent que complots ; ils ne voient autour d'eux que trahisons ; ils suspectent la moindre démarche, le moindre mot, et sûrement il n'y avait à Landau ni conspirateur ni traitre. Mais tous désiraient dominer ; tous étaient atteints de cette maladie du soupçon qui s'étendait alors sur la France entière et qui sévira toujours dans notre pays au milieu des revers.

 

 

 



[1] Joseph-Marie Tenet de Laubadère, né à Bassoues, près de Mirande, le 27 avril 1745, lieutenant à l'Ecole du génie de Mézières (1er janv. 17651, ingénieur ordinaire et lieutenant en premier (1er janv. 1767), capitaine (1er janv. 1777), adjudant-général lieutenant-colonel (14 mars 1792), adjudant-général colonel (3 sept. 1792), maréchal-de-camp (8 mars 1793), chef provisoire de l'état-major de l'armée du Rhin, général de division (15 mai 1793). Il fut, après le déblocus de Landau, arrêté le 20 prairial an II, par ordre de Hentz, et incarcéré à Paris ; il connut dans sa prison Joséphine de Beauharnais, cet asile, écrivait-il plus tard, recélait celle qui partage aujourd'hui les brillantes destinées de notre premier chef ; elle ne dédaigna pas d'exercer son humanité bienfaisante en faveur d'un infortuné innocent comme elle, et mon courage, abattu par le désespoir, reprit une nouvelle énergie. Elargi le 10 thermidor et envoyé le 4 fructidor an II à l'armée d'Italie, où il servit sous Schérer, il ne fut pas compris dans la nouvelle organisation du 25 prairial an III. Dentzel le poursuivit de sa haine : Laubadère, écrivait-il, n'est parvenu aux grades que par adulation et intrigue ; sa nullité et sa lâcheté étaient connues à l'armée du Rhin ; elles ont paru avec plus d'évidence pendant le blocus de Landau ; il a été cause de tous les troubles, et nommément de l'assassinat exercé sur ma personne ; ce serait compromettre la chose publique que de l'employer. Et dans une autre note, Dentzel accusait Laubadère de cruauté, d'infamie ; j'ai lieu de croire qu'Aubry ne le comprendra point parmi les officiers-généraux employés. Laubadère mourut, chagrin et endetté, le 8 avril 1809, à Pouy-le-Bon.

[2] La vie curieuse de Dentzel mérite une notice qu'elle n'a pas encore eue. Georges-Frédéric Dentzel, fils de Jean-Philippe, bourgeois et maître boulanger, et de Catherine-Dorothée, naquit le 16 juillet 1755, à Dürkheim, dans la principauté de Linange. Il était protestant et fit ses éludes de théologie à l'Université de Halle, avec Laukhard qui le représente comme un homme entreprenant et nullement faux (III, 493). Aumônier de Deux-Ponts infanterie (16 sept. 1774), il suivit le régiment en Amérique pendant la guerre, revint avec lui à Landau, et l'abandonna lorsqu'il partit pour Phalsbourg, à la fin de 1786. Il se fixa à Landau où il avait épousé la fille du bourgmestre, Sybille-Louise Wolff (21 janvier 1784) et obtenu (mars 1785) des lettres de naturalité. Envoyé à la Convention par les électeurs du Bas-Rhin (cf. l'Argos des 7 et 11 sept. 1792, qui l'appelle un franc patriote et un caractère décidé aux principes fermes), il fut nommé le 23 décembre commissaire dans la Moselle et le Bas-Rhin, en remplacement de Coustard, et fit, le 14 mars 1793, décréter la réunion de 31 communes situées sur la frontière d'Allemagne (Mayence, 86). Il était donc absent de Paris au procès de Louis XVI. On le rappela le 17 mars, mais, dit Cambon, il n'y avait pas un jour où il ne vint solliciter une commission pour les départements du Rhin ; le Comité refusait de le nommer parce qu'il avait reçu quelques renseignements sur son compte ; nous ne pûmes empêcher son départ. Le 20 juin 1793, il fut envoyé dans le Bas-Rhin avec J.-B. Lacoste. La Convention le rappela le 29 août. Mais à la suite d'une délibération, prise le 27 juillet avec Ruamps, Dentzel était resté dans Landau. A son retour, Bourdon de l'Oise l'accusa de vexations, le traita d'étranger, de traître, de monstre. Dentzel fut arrêté (16 janvier 1794) et détenu à l'Abbaye.  Il se justifia. La Convention décréta le 16 vendémiaire an III, qu'il serait transféré dans son domicile à Paris, puis, le 6 frimaire suivant, que naturalisé Français, né dans un pays que possédaient les Français et père de quatre enfants nés en France, il conserverait le caractère de représentant du peuple français, enfin, le 19 nivôse, qu'il n'y avait pas lieu à inculpation contre la conduite qu'il avait tenue à Landau. Après avoir, au 1er prairial, défendu l'arsenal de Paris contre l'insurrection, il appartint au Conseil des Anciens ; mais il songeait à l'avenir. Le 12 frimaire an IV, il demandait au ministre de la guerre le grade d'adjudant-général : il rappelait qu'il avait sauvé Landau et défendu l'arsenal de Paris contre deux assauts du faubourg Saint-Antoine ; il déclarait qu'il avait servi dans le régiment de Deux-Ponts, fait la campagne de Bretagne en 1779, puis celle d'Amérique, qu'il avait-assisté à la capitulation de Yorktown et à deux combats sur mer à la hauteur des Bermudes et devant la baie de Chesepeake, qu'il avait reçu, dans ce dernier engagement, un éclat à la jambe droite, qu'en 1792, il avait été aide-de-camp de Kellermann et chargé de la correspondance, mais que huit jours après il était député à la Convention, que l'adjudant-général Wolff l'avait nommé adjoint aux adjudants-généraux le 9 juillet 1793 (!) Ses démarches aboutirent. Le 5 février 1796, le Directoire exécutif lui donnait le grade d adjudant-général et le 23 mars suivant, le ministre de la guerre l'attachait à l'état-major général de l'armée de l'Intérieur. Après le 18 brumaire, il sollicita un emploi. Il fut nommé directeur de l'hospice militaire du Mans, puis administrateur de l'hospice de Landau, et enfin, malgré lui, admis au traitement de réforme (23 sept. 1801). Il vécut dans sa propriété de Versailles (à l'Hermitage, grille Maurepas). Mais le 20 oct. 1806, il fut remis en activité. Il avait écrit à l'Empereur qu'il savait l'allemand, le latin, un peu le russe, qu'il connaissait parfaitement l'Allemagne et les limites des principautés, qu'il s'était lié avec un grand nombre de notables, surtout avec les protestants, dans la région rhénane. Il fit toutes les guerres, à la Grande-Armée, à celle d'Espagne (9 oct. 1808), à celle d'Allemagne (11 mars 1809), de nouveau à celle d'Espagne (1810), à l'état-major du corps d'observation de l'Elbe (12 déc. 1811), en Russie et en Allemagne (1812-1813), en France. Il escorta des convois de Bayonne à Séville. Il commanda les places de Weimar et de Vienne. Partout il eut la mission spéciale de diriger le service des prisonniers de guerre, et il nourrissait à sa table les officiers et les parlementaires. Mais vainement il affirmait son dévouement sans bornes à l'Empereur et à sa dynastie, demandait la place d'inspecteur-général des dépôts des prisonniers, le commandement d'un département, le grade de général de brigade. Enfin, le 3 avril 1814, à la veille de l'abdication, Napoléon le nomma général. La Restauration lui signifia sa retraite de colonel ; il protesta : il avait 35 ans de services, dont 18 dans le grade de colonel ; il était baron de l'Empire et perdait 4.000 francs de rentes en Wesphalie ; il avait refusé de voter la mort de Louis XVI comme une horreur ; il s'était attiré une persécution sanglante et un emprisonnement de onze mois sous la Terreur ; il avait, pour avoir voté contre Napoléon dans le Conseil des Anciens, subi une surveillance de plusieurs années ; il avait vu deux fois Louis XVIII à Saint-Ouen, et il était, à l'entrée dans Paris, du cortège du Roi et de celui du duc d'Angoulême ; le 60 hussards, que son fils commandait, avait pris le premier la cocarde blanche. La Restauration lui laissa par grâce le titre de maréchal-de-camp honoraire (3 janvier 1815). Il se rallia donc à Napoléon revenu de l'île d'Elbe, et reprit avec joie, sur l'ordre de Davout, ses anciennes fonctions auprès du major-général de l'armée (13 mai 1815). Après Waterloo, il fit volte-face. Nommé maréchal-de-camp titulaire le 29 nov. 1815, mis à la retraite le 2 mars 1816, il mourut à Versailles, le 7 mai 1828. Une de ses filles avait épousé le fils de Haussmann. Le célèbre préfet du second Empire a pour aïeux deux conventionnels, Nicolas Haussmann et Georges-Frédéric Dentzel.

[3] On ne parle ici que de Du Fort, à cause de la singularité de son nom. Il s'appelait Maurice et il était fils d'un marchand de bois au fort de Thionville ; mais comme il y avait au régiment deux Maurice, tous deux Thionvillois et tous deux du même grade, notre Maurice prit le nom de Du Fort et le conserva. Cf. Mémoire pour le citoyen Simon Maurice (Du Fort), p. 2. C'était lui qui devait porter à la Convention la nouvelle du déblocus de Landau.

[4] Cf. sur Delmas, Wissembourg, 189. Sa suspension fut approuvée le 3 septembre par Carnot et Prieur qui écrivaient à Dentzel : Votre conduite ferme à l'égard du citoyen Delmas est digne d'un républicain. (Rapport de Dentzel, 35).

[5] Treich en voulait à Landau, parce que les Jacobins de l'endroit l'avaient rayé pour avoir dénoncé faussement le brave Gilot ; cf. sur ce bizarre et vilain personnage, outre son mémoire qui est plein de faussetés, les Bataillons de volontaires de la Corrèze, par de Seilhac, 1882, p. 142 et 163.

[6] Ou, comme il disait, ceux dont le bras n'est point accoutumé à porter le fer tyrannicide.

[7] Le fait était vrai, mais mal interprété. Un Prussien, prisonnier à Landau, avait reçu naguère quelque argent de ses camarades ; les deux dragons portèrent sa quittance aux avant-postes et furent, à leur retour, arrêtés par une patrouille ennemie. (Mém. de Laubadère, 109.)

[8] Legrand (A. G.) ; Laval, encore une diatribe sur la prétendue cage de fer de Dentzel.

[9] Ces expressions étaient tirées mot pour mot de la lettre écrite le 8 décembre par Laubadère et Dentzel.

[10] Cf. le mémoire de Laubadère (pièces justificatives) et Wagner, 205, 208, 245.

[11] Laukhard, IV, 35.

[12] Cf. sur le siège de Landau, outre la Geschichte der Stadt und Bundesfestnng Landau de Birnbaum, 1830, p. 351 et suiv., le Landau de Levrault (1839, p. 108, 111) et les notes de Legrand (A. G.), le Rapport de Dentzel, le Mémoire de Laubadère sur la conspiration de cette place, le Mémoire de Treich, la Réfutation par les habitants de Landau, de quelques-unes des faussetés qui composent le mémoire de Treich (signé Gillet et Fried), la Réponse sommaire aux calomniateurs de Dentzel (témoignages d'habitants de Landau assurant que des Prussiens leur ont dit que, sans le prêtre, Landau serait rendu) ; l'Exposé de la conduite de Serviez ; La pure vérité sur tous les événements qui ont eu lieu pendant le blocus de Landau, par Hugues Laudier ; le Journal des événements les plus remarquables qui ont eu lieu pendant le blocus de Landau, par Blanchard.