LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

HOCHE ET LA LUTTE POUR L'ALSACE

 

CHAPITRE VII. — LE GEISBERG.

 

 

I. Retraite de Wurmser. Jordis à Retschwiller. Combat du Geitershof. Irrésolution des Autrichiens. Bataille offerte, puis refusée. — II. L'affaire du 26 décembre. Instructions de Hoche. Sa lettre à Le Veneur. Marche des armées. La Marseillaise. Donadieu. Brunswick sauve les Impériaux. — III. Desaix à Lauterbourg. Wurmser au-delà du Rhin. — IV. Brunswick au Pigeonnier. Grangeret, Jacopin, Championnet, Soult, Saint-Cyr. Retraite des Prussiens. Landau débloqué.

 

I. A la nouvelle de la prise de Frœschwiller, Wurmser s'était hâté de reculer derrière la Sauer. Un instant, il eut l'idée de s'appuyer au Liebfrauenberg, dont Brunswick lui recommandait si vivement la défense, et, suivant les intentions du duc, de livrer bataille, de repousser les Français par un brusque effort, puis de se porter sur le Geisberg. Déjà plusieurs détachements de cavalerie s'ébranlaient pour établir sa communication avec Holze. Mais il apprit bientôt que son lieutenant avait abandonné le Liebfrauenberg. Il approuva Hotze. Le monticule de Notre-Dame, disait-il, était intenable, dès que les Prussiens faisaient un avant-poste de la position si essentielle de Lembach. Dans la soirée du 23 décembre, il marchait sur Wissembourg.

Il était néanmoins, avouait-il, plus embarrassé que jamais et hors d'état de décrire son embarras. N'avait-il pas l'ennemi sur sa droite, sur sa gauche, sur ses derrières ? Et, dans les chemins extraordinairement mauvais où il devait s'engager, ne courait-il pas risque de perdre la plus grande partie de son artillerie et de subir un affreux désastre ? Enfin, son armée était dans la consternation ; elle savait le régiment de l'Empereur presque entièrement détruit ; on se répétait de rang en rang que, dans une compagnie, cinq hommes seulement avaient échappé. Des bataillons, qui se croyaient serrés de près et talonnés par les républicains, passaient précipitamment sur les flancs de la colonne des émigrés, en lui laissant le soin de former l'arrière-garde.

Dieu le protégea, ou mieux, comme ajoutait Wurmser, les troupes autrichiennes firent des merveilles de constance. La grande route de Strasbourg à Wissembourg était la seule praticable, la seule où, dans cette humide saison, pût passer l'artillerie. Pour s'assurer la possession du chemin, Wurmser envoya le général Jordis en avant-garde avec trois escadrons et quatre bataillons de grenadiers. A peine Jordis arrivait-il à Retschwiller, qu'il se heurtait à une colonne française qui débouchait de la montagne par Mattstall et Lampertsloch. Il fallait la refouler, la rejeter loin de cette unique chaussée dont dépendait le salut de l'armée. Sur-le-champ et sans balancer, Jordis attaqua les nationaux et les tint à distance pendant que le gros des Autrichiens traversait Soultz et poussait jusqu'à Schœnenbourg. Mais, à une heure de l'après-midi, les républicains recevaient des renforts qui venaient de Gœrsdorf, et Jordis, à son tour, était assailli. Les grenadiers impériaux combattirent avec leur vaillance coutumière. Deux fois ils perdirent le village de Retschwiller ; deux fois ils le ressaisirent, malgré le nombre supérieur de l'adversaire et le feu écrasant de son canon. A cinq heures du soir, ils durent céder au troisième assaut des Français. Mais Jordis avait encore cinq compagnies du bataillon des grenadiers de Beust en réserve. Il se met à leur tète ; il fond sur les patriotes ; il les étonne, les arrête. Les grenadiers qui se débandaient, reprennent courage ; ils reviennent sur leurs pas ; ils attaquent de nouveau les carmagnoles avec fureur ; ils les chassent de Retschwiller la baïonnette au bout du fusil. Les Autrichiens avaient trois cents tués ou blessés. Le colonel Kölbel, des carabiniers de l'Empereur, tombait frappé à mort. Le lieutenant-colonel des grenadiers, Saint-Julien, était gravement atteint. Mais Retschwiller restait aux Impériaux, et l'ennemi ne pouvait désormais les couper du Geisberg. Le général Jordis avait sauvé l'armée. S'il avait été battu, mandait Wurmser, ma perte aurait été indescriptible ; mais Dieu, et après lui, ce brave et digne homme, ainsi que ses grenadiers, m'ont permis de faire ma retraite.

Les Français avaient en même temps attaqué le général Aufsess qui tenait les hauteurs entre Soultz et Surbourg. Mais, là encore, les Impériaux, dont le danger doublait les forces, gardèrent leur position. Un bataillon de De Vins et deux escadrons des cuirassiers de Mack repoussèrent les tentatives les plus obstinées de l'adversaire[1].

Le 24 décembre, Wurmser rejoignait Hotze devant Wissembourg, et son armée s'étendait sur une ligne de quatre lieues, des pentes du Geisberg à Niederlauterbach. Mais il était désespéré : plus de bois ; plus de charrois ; les fourrages arrêtés ; les troupes lasses, dégoûtées, dépenaillées, décimées par tant de combats. Ce serait, écrivait-il, une fortune singulière et presque invraisemblable, si je pouvais rester ici jusqu'à demain !

Aussi, dans cette même journée du 24 décembre, la plupart des généraux autrichiens, réunis en conseil de guerre, décidèrent-ils d'abandonner Wissembourg, de passer le Rhin et de lever le blocus de Landau. Funk vint annoncer cette résolution à Brunswick. Le duc, outré, déclara qu'il n'approuverait jamais un pareil dessein. Il courut auprès de Wurmser. Il vit derechef ce qu'étaient devenus les Autrichiens, leur désordre, leur humeur chagrine et sombre, leur démoralisation. Il reconnut que leur confusion était extraordinaire et que leur indifférence allait plus loin encore qu'on aurait cru et, comme disait le colonel Köckeritz, que tant de dangers et de fatigues les avaient hébétés et rendus insensibles. Mais quoi ! fallait-il se retirer ! Cette retraite, s'écriait Brunswick, couvrait de honte les deux armées et les déshonorait aux yeux du monde entier ! Elle était inexcusable, tant qu'on n'aurait pas fait un nouvel effort contre l'ennemi 1 Oui, les suites les plus malheureuses d'une bataille perdue ne pourraient être plus funestes, plus ignominieuses que cette retraite !

Brunswick ajoutait que la position de Wissembourg lui paraissait très avantageuse, qu'elle offrait aux Impériaux les quartiers de cantonnement qui leur étaient si nécessaires, et qu'elle serait imprenable s'ils remplissaient leur devoir. Il s'engageait solennellement à se- courir Wurmser contre une attaque des Français et à lui fournir 15 bataillons, 15 escadrons et 3 batteries volantes. Mais Wurmser répondit que son armée s'exténuait, s'usait, qu'elle serait anéantie- totalement s'il restait au Geisberg : Brunswick avait beau protester contre le passage du Rhin ; il fallait faire avant tout ce qu'exigeaient les circonstances et le salut de la monarchie autrichienne.

Wurmser consentit néanmoins à demeurer encore le 25 décembre au Geisberg pour évacuer 1.800 malades et blessés qu'il avait à Wissembourg. Il mit à Fort-Louis le général Lauer avec un bataillon de Lattermann et deux bataillons de Pellegrini. Il envoya le colonel Schlegelhoffer avec deux autres bataillons à Lauterbourg. Le reste des troupes se rassembla devant Altenstadt pour prendre les républicains sur leur flanc droit s'ils venaient assaillir le Geisberg.

Le lendemain, 25 décembre, Wurmser dirigeait sur Oberseebach une forte reconnaissance. Un combat eut lieu dans la plaine, près de Geitershof, entre la cavalerie des deux armées. A la tête de quatre escadrons des hussards d'Erdödy, Wurmser faisait le coup de sabre, en vrai hussard qu'il était. Il culbuta les carabiniers français et leur enleva quelques prisonniers.

Cette affaire honorable de Geitershof rendit un peu de cœur aux Impériaux, et le soir même, sur le Geisberg, on résolut de livrer bataille le jour suivant. On formerait trois colonnes. La première serait conduite par Kospoth et composée de 6 bataillons et de 8 escadrons ; la deuxième, sous les ordres d'Aufsess, compterait 5 bataillons, 12 escadrons et la légion de Mirabeau ; la troisième, menée par le prince de Hohenlohe, comprendrait 2 bataillons et 15 escadrons prussiens. Kospoth et Aufsess attaqueraient l'adversaire sur son front à Oberseebach.

Hohenlohe tomberait sur son aile gauche. Jordis, qui tenait le Geisberg avec 15 bataillons et 14 escadrons, ferait une démonstration contre les ennemis qu'il aurait : en face. Le colonel prussien Götz, qui commandait au Pigeonnier, exécuterait une manœuvre semblable. Hotze ; fut envoyé dans le Bienwald avec 3 bataillons et 2 escadrons pour flanquer la gauche et arrêter les Français, s'ils essayaient de la tourner.

Le matin du 26 décembre, les colonnes d'attaque se mettaient en mouvement. Brunswick vint trouver Wurmser. Mais le général autrichien n'avait plus envie de se battre. Il ne cacha pas les inquiétudes qui l'agitaient et qui n'avaient jamais été si cruelles. Il parla de la triste situation de ses troupes languissantes, défaillantes, dépourvues de tout ; il assura que l'espoir du succès ne les animait plus ; treize généraux et colonels, hors d'état de servir, Waldeck, Meszaros, Brunner, Otto, Jorupp, avaient quitté l'armée ; presque tous les bataillons avaient perdu leur commandant et la plupart de leurs officiers ; les malades et les blessés étaient au nombre de quatorze mille et plus[2]. Pouvait-on dans de telles conjonctures se promettre la victoire ? Etait-il prudent d'attaquer un ennemi supérieur en forces, ardent, enorgueilli de ses progrès ? Tout l'état-major autrichien proposait de repasser la Lauter dans la soirée et de camper à Freckenfeld.

Le duc n'avait rien à objecter. Il se rendit au Pigeonnier où l'appelait le péril de ses propres troupes. Wurmser, déterminé à regagner le Rhin, donna l'ordre à ses colonnes de ne plus bouger. Mais il était trop tard ; le Français marchaient à sa rencontre. Après avoir offert puis refusé la bataille, les Impériaux se voyaient obligés de la recevoir[3].

 

II. Demain je continuerai, avait écrit Hoche, après Frœschwiller. Et il continuait, poussait sa veine, et désireux de compléter sa victoire et d'en tirer tout l'avantage possible, il ne laissait pas aux vaincus le temps de respirer. Nous allons toujours en avant, mandait-il le 25 décembre, et les deux armées sont en présence, séparées par un ravin profond et à cinq cents toises l'une de l'autre. Il ordonna de tout disposer pour attaquer le lendemain. Il faisait garder Pirmasens par la brigade de Vincent qu'il jugeait un homme très actif. Il priait Moreaux, qui restait à Hornbach, de jeter des ponts sur la Blies pour marcher au devant d'un détachement prussien qui semblait menacer Deux-Ponts. Il chargeait une de ses divisions d'enlever les gorges de la Lauter et il dirigeait une colonne sur Climbach et le Pigeonnier, une autre sur Weidenthal et Annweiler, une autre sur Nothweiler, Bundenthal et Dahn, moins pour se saisir de ces positions importantes que pour alarmer Brunswick par une diversion vigoureuse. Sans crainte de violer les règles de la hiérarchie militaire, il mettait à la tète de ces colonnes, non pas des généraux dont il connaissait l'insuffisance , mais des officiers d'un grade inférieur qu'il croyait capables, des chefs de brigade ou de bataillon comme Championnet, Grenier[4], Jacopin ou un simple capitaine, comme Soult. Enfin, il rassemblait dans la plaine, en avant de Wissembourg, 35.000 hommes des deux armées de la Moselle et du Rhin. Il appelait à lui Hatry et Ferino qui s'avançaient entre Ingolsheim et Oberlauterbach pendant que Taponier et Lefebvre marchaient contre Ingolsheim et Steinseltz. Il enjoignait à Michaud d'attaquer Schleithal et à Desaix de s'emparer de Lauterbourg.

Mais à ses pressentiments d'un prochain triomphe se mêlaient des frémissements d'indignation et de colère. Il n'osait compter sur l'armée du Rhin dont Lacoste et Baudot lui avaient donné le commandement. Le commissaire du parc n'envoyait aux divisions d'artillerie de cette armée que trois caissons et dans ces caissons qu'un fouillis de projectiles de tous les calibres. Aucun bataillon n'avait de caissons d'infanterie. Ferino marquait qu'il ne pouvait attaquer ni même se défendre. Pichegru ignorait ou feignait d'ignorer l'emplacement de ses troupes et adressait à l'état-major de l'armée de la Moselle les lettres destinées à Michaud. Hoche manda sur-le-champ à Pichegru sur un ton sec et sévère que l'armée du Rhin n'était pas dans le meilleur ordre possible ; il est assez singulier, ajoutait-il, qu'aucun des généraux qui sont sous votre commandement n'ait emporté de munitions. Il tança le commissaire du parc qui devait tout prévoir à la veille d'affaires aussi vives et le somma d'expédier aussitôt, sur sa responsabilité, quinze caissons remplis de boulets de 8 et de 12. Il écrivit aux représentants en termes amers et irrités que la patrie était encore trahie, que l'armée du Rhin, tout en désarroi, lui prenait ses propres munitions de guerre qu'il avait amassées avec peine et à force de travail ; les généraux, disait-il, ont laissé les leurs ainsi que leurs canons, en arrière ; ces messieurs croient que les mots battent les ennemis. Ils ont été étonnés d'un succès, et croient ne devoir plus rien faire en donnant le temps aux ennemis de se rallier alors qu'ils devraient être écrasés. Dans son aveugle emportement, il accuse l'infâme Ferino, il impute à Pichegru sa défaite de Kaiserslautern : Représentants d'un peuple libre, suspendez la vengeance ; elle pourrait être dangereuse en ce moment. On connaîtra maintenant la cause de mon échec. si l'armée du Rhin eût frappé !

Aussi, jamais peut-être son activité ne fut plus brûlante, plus fébrile. Il échauffe ses lieutenants, les pique d'honneur, leur envoie à chacun une courte exhortation dans le style du temps — à Championnet : Je veux que demain les vils esclaves des rois soient battus partout. Ton mouvement d'aujourd'hui n'a pas été assez vif ; fais filer par la gauche et montre-toi vigoureux comme tu dois être républicain. Nous ne serons point venus jusqu'ici pour ne rien faire qui vaille. Attaque, camarade, frappe, n'attends point de signal ; — à Jacopin : poussez vigoureusement et songez à la route de Wissembourg ; — à Moriot : courage, f....., ça va, pousse en avant le plus possible ; — à Simon[5] : marche donc, petit bougre ; ne sais-tu pas que tu as des canons à prendre ? — à Desaix : jamais un général républicain ne doit calculer avec la nature. Pourquoi tout voir à notre désavantage ? Il faut compter sur son courage. Crois que l'ennemi n'est pas fort tranquille et qu'avec un peu de vigueur il sera bientôt dégoûté. Songe bien qu'avec des baïonnettes et du pain nous pouvons vaincre tous les brigands de l'Europe.

Il sait que la bataille du 26 décembre décidera du sort de la campagne, et pour mieux s'assurer encore des sentiments de l'armée qu'il tient dans ses mains et qu'il inspire de sa volonté, il parcourt les bivouacs. Mais, dans la journée, les représentants avaient annoncé la reprise de Toulon, et cette nouvelle avait accru l'ardeur des soldats. Un grand nombre reconnaissent Hoche et le saluent par des cris d'allégresse et d'enthousiasme : Mon général, nos frères ont été à Toulon ; nous irons à Landau ! Il rentre tout ému et trace ces lignes à Le Veneur : Les voilà revenus, ces transports que nous avons vus éclater autrefois en présence de l'ennemi. Le découragement et l'épouvante ont fui loin de nous ; je ne suis entouré que de braves gens marchant à l'ennemi sans rompre d'une semelle. Auprès des feux allumés sur toute la ligne, j'ai surpris dans tous les groupes la témérité et l'audace qui annoncent la victoire. Pas un murmure contre ce vent si froid qui souffle avec violence, pas un regret pour ces tentes qu'un des premiers j'ai fait supprimer. Il en est peu qui se piquent d'imiter le vainqueur de Bocroi et qu'il faudra réveiller pour la bataille ; mais l'air est glacial et j'aime mieux les conduire à l'ennemi, irrités par l'insomnie, que reposés par un sommeil toujours fatal à l'entraînement avec cette température. Oui, Landau sera libre. Les jours de douleur et de honte sont passés : avec des soldats si bien préparés, une autorité aujourd'hui sans entraves et l'appui des représentants, je dois vaincre ou mourir : je suis à la veille du plus beau ou du dernier de mes jours ![6]

Le 26 décembre, à onze heures du matin, par un temps serein, après une canonnade d'une formidable intensité, l'armée s'ébranle en opérant un mouvement de conversion à gauche. Le général en chef a fait des dispositions si précises, si bien entendues, que tous ses lieutenants, Hatry, Ferino, Taponier, Lefebvre sont exacts au rendez-vous.

Surpris, déconcerté, sentant que la bataille, cette bataille qu'il cherchait naguère et qu'il voulait maintenant éviter, allait promptement l'envelopper, Wurmser recula sur le Geisberg, après avoir, comme dit Baudot, étalé toute sa tactique, évolutions sur évolutions, fausses attaques, marches, contre-marches. Ses colonnes d'infanterie se rangèrent à mi-côte, derrière un vieil épaulement, ou garnirent la crête de la montagne ; sa cavalerie, forte encore de trente escadrons, demeura dans la plaine, à gauche, pour couvrir Wissembourg.

Mais l'attitude confiante et résolue de l'armée française qui ne cessait d'avancer fièrement, en un ordre parfait et comme d'un seul mouvement régulier, imperturbable, avait intimidé les Impériaux. La cavalerie, sur laquelle Wurmser fondait tout son espoir, tenta vainement d'entamer la cavalerie française et d'enlever l'artillerie légère de Ferino. Les canonniers la laissèrent approcher à portée de pistolet et la criblèrent d'une pluie de mitraille. Les Valaques s'enfuirent ; puis les autres escadrons tournèrent bride. Wurmser, qui les conduisait, faillit être pris ; le premier à l'attaque et le dernier à la retraite, le reître alsacien était cerné par des chasseurs lorsqu'un caporal des dragons de Waldeck le dégagea.

Hoche comptait avant tout sur la force des baïonnettes : lorsque l'épée est courte, disait-il, on fait un pas de plus. Bientôt l'infanterie entre en jeu. Pendant qu'à la droite, 4.000 hommes de la division Ferino se déploient en tirailleurs et acculent une partie des Impériaux vers le fort Saint-Remy et Altenstadt, le centre, encouragé par la débandade de la cavalerie, s'élance au pas de charge et gravit les pentes du Geisberg. Il aborde la première ligne de l'infanterie autrichienne, la met en fuite, s'empare de l'épaulement. Reste la seconde ligne qui montre une plus ferme contenance. Mais que faire contre ces bataillons républicains animés de l'esprit d'assurance et de supériorité que Hoche porte partout avec lui ? Que faire contre ces Français qui marchent avec une impétuosité irrésistible au chant de leur hymne guerrier, de celle Marseillaise qui remplit leurs âmes d'une si profonde émotion et d'un enthousiasme si puissant qu'ils semblent, selon le mot d'un témoin oculaire, franchir l'espace, comme s'ils étaient entraînés par un tourbillon ? Les batteries des ennemis, écrit Hoche, nous vomissaient dix fois par minute la mort et tous ses attirails, mais ils étaient resserrés sur le Geisberg et placés comme au centre de deux tiers de cercle. Il fallait passer une infinité de ravins, haies et fossés. La charge, amis, vengeons la République ! Malgré un feu d'artillerie terrible, nos braves sans-culottes ont emporté les hauteurs à la pointe de la baïonnette et à coups de fusil. Rien n'égale la valeur de notre infanterie[7].

Il n'y avait plus sur les cimes du Geisberg que le régiment de l'Archiduc Ferdinand et un bataillon de Terzy que l'intrépide Funk exhortait à tenir et qui tinrent en effet jusqu'à dix heures du soir. De tous côtés les Autrichiens lâchaient pied et se hâtaient de traverser la Lauter, les uns au village d'Altenstadt, les autres à Wissembourg. La cohue des fuyards était inexprimable. Pris de panique, ils s'amassent, s'entassent pêle-mêle sur les bords de la rivière. Les officiers, l'épée à la main, les chassent devant eux en criant : Sauve qui peut ! Tous se débarrassent de leur giberne et de leur sac, plusieurs empoignent par la queue les chevaux qui passent et qui les entraînent au galop. Un long convoi d'artillerie achève leur désordre. Qu'on les coupe de Wissembourg, qu'on leur intercepte la retraite en jetant sur Altenstadt quelques escadrons, et ces troupes, déjà profondément ébranlées par le feu des canons français, subissent un épouvantable désastre. Quatre régiments, le 1er et le 2e carabiniers, le 9e et le 126 cavalerie, sont à portée. Le général Donadieu les conduit ; c'est le Donadieu qui, deux mois auparavant, enlevait un étendard et le présentait à la Convention. Ferino, puis Hoche lui commandent de se porter sur Altenstadt, mais Donadieu n'a que la bravoure du soldat. Il ne connaît pas le terrain ; il hésite, il perd un temps précieux, s'enfonce dans les marais de la forêt en deçà de Saint-Remy, se débourbe à grand'peine, et au premier boulet qui tombe sur la colonne, criant qu'il expose inutilement ses escadrons et les mène au massacre, leur ordonne de faire demi-tour à droite. Il fut arrêté comme lâche, ou, dit Hoche, comme le seul homme qui eût manqué[8].

Mais ce ne fat pas l'ineptie de Donadieu qui sauva l'armée autrichienne ; ce ne fut pas la nuit, le brouillard, la pluie fine qui survint[9] ; ce fut l'énergie de Brunswick. Le duc avait gagné le Pigeonnier où le colonel de Götz, blessé d'un coup de feu à la jambe, avait résigné le commandement. D'épaisses vapeurs s'étendaient sur la plaine et l'on ne pouvait ni voir ni entendre ce qui se passait à la gauche des Impériaux. Pourtant Brunswick reconnut au bruit du canon que l'adversaire se rapprochait. Il quitte aussitôt le Pigeonnier ; il court à l'aile gauche des Autrichiens et la trouve battue et mise en déroute. Déjà les tirailleurs français escaladent le sommet du Geisberg. Déjà la cavalerie pousse sur Wissembourg pour barrer aux fugitifs le chemin de la ville. En ce moment critique, de même que trois jours auparavant, près du Liebfrauenberg, le duc se jette au devant des Impériaux ; il les rallie, les entraîne et, selon l'expression d'un Prussien, apparaît comme le dieu de la guerre. Jordis avait encore une réserve de huit bataillons et il les rangeait pour les conduire aux ennemis et lutter en désespéré. Mon honneur, dit Brunswick, exige que je me mette à la tête de vos troupes. Il tire l'épée, et suivi du comte de Wartensleben, il ordonne aux bataillons d'avancer. Les Autrichiens reprennent confiance et courage ; le duc nous commande, se répètent les vieux officiers les uns aux autres, tout ira bien, et l'on entend des soldais s'écrier : au diable Wurmser, vive le duc de Brunswick !

Le colonel Köckeritz amène douze pièces de divers calibre ; il amène quelques partis de cavalerie ; il amène le lieutenant-colonel Klenau. Venez, dit-il à Klenau, venez partager notre gloire ou notre mort. — Oui, répond Klenau, et j'aurai le bonheur de combattre sous les yeux du plus grand des généraux. Une violente canonnade s'engage, et la division Hatry recule jusqu'au village de Rott[10].

Grâce à Brunswick, à sa présence d'esprit et à son habile activité, l'armée autrichienne put se reformer derrière la Lauter. Le duc était un héros dans les jours d'action ; il semblait alors se retrouver tout entier, tel qu'il était en sa jeunesse, ardent, adroit, prompt à saisir l'occasion, hasardant sa vie et la jetant au fort du péril ; comme l'a dit un de ses plus mordants critiques, il aurait mieux fait d'être toujours à cheval que de s'asseoir à la table de travail où son âme se laissait envahir et dominer par les scrupules d'une circonspection excessive[11].

 

III. Il ne reste plus, écrivaient Lacoste et Baudot, qu'à descendre à Wissembourg, et de nouveau les deux représentants attribuaient le succès non seulement à la valeur des soldats, mais à l'intelligence de Hoche qui savait mettre en œuvre la bravoure de ses troupes. Le 27 décembre, les Français victorieux entraient à Wissembourg en chantant la Marseillaise et au milieu des acclamations d'un peuple ivre de joie. J'ai fait ramasser, mandait Hoche au Comité, bon nombre de prisonniers, beaucoup de malades, une infinité d'armes de toute espèce. Les riches habitants de cette ville ont accompagné les ennemis dans leur fuite. Bon voyage ! Nous aurons leurs biens. Ces vils scélérats ne méritent aucune considération[12].

Pendant que Hoche se saisissait de Wissembourg et que la division Michaud chassait de Schleithal la colonne du général Aufsess, la division Desaix occupait Lauterbourg. Plusieurs émigrés de l'ancien corps royal de l'artillerie défendaient la place et avaient mis les pièces de l'armée condéenne dans l'ouvrage à corne en avant des fortifications. Les républicains qui les reconnurent à leurs habits, les accablèrent d'injures : Avancez donc, Monsieur le marquis, venez par ici, c'est le chemin de vos terres ! Les royalistes ripostèrent en démontant les canons des carmagnoles. Mais les munitions manquaient ; les émigrés, n'ayant pas vingt coups à tirer, s'échappèrent ; le colonel Schlegelhoffer, craignant d'être coupé, les suivit avec ses deux bataillons. Le 27 décembre, Desaix prenait possession de la ville où il trouvait, outre les canons des Condéens et des Impériaux, d'immenses magasins d'armes et de munitions[13].

Trois jours après, Wurmser, la rage et le désespoir au cœur, passait le Rhin à Philippsbourg : il ne se croyait en sûreté que derrière le fleuve. Vainement Brunswick l'avait conjuré, par tout ce qu'il y a de sacré, et au nom des devoirs qu'ils avaient tous deux envers leurs souverains et l'Empire germanique, de ne pas céder si -facilement le Palatinat aux ennemis, de retarder sa retraite, d'éviter aux Prussiens par sa reculade précipitée la perte de leurs magasins et de leurs hôpitaux. Vainement il avait fait appel à sa grandeur d'âme, à son patriotisme, à sa responsabilité ; si Wurmser se retirait sur la rive droite, il causait la ruine de l'Allemagne, il laissait le champ libre aux républicains et à leurs vastes desseins de bouleversement universel, il compromettait sa gloire ; que dirait l'Europe dont les yeux étaient attachés sur lui ? Wurmser répondit tristement que les Français le serraient de près et que son armée, dont le duc connaissait l'état lamentable, avait besoin de repos. Mais, dans ses lettres au cabinet de Vienne, il maudissait Brunswick qu'il nommait l'auteur de ses infortunes, le perfide Manstein, les ministres de Berlin qu'il accusait de pratiquer un système infernal et de méditer l'écrasement de la maison d'Autriche et de tout l'Empire. Il savait qu'il ne garderait pas le commandement et il plaignait son successeur qui rencontrerait, comme lui, le mauvais vouloir invétéré dans tous les cœurs prussiens. Il désirait ne plus servir ni en guerre ni en paix : vivre tranquillement, non pas à Vienne dont le séjour ne convient point à un disgracié, mais dans une terre de Bohême ou de Moravie, en un vieux château, si sauvage qu'il fût, remettre sa tête, oublier le passé, ne plus songer qu'au labour, aux vaches et aux moutons, tel était son unique vœu[14].

 

IV. De même que Wurmser, Brunswick dut faire sa retraite. Mais il recula sans cesser de combattre. Après avoir abandonné Lembach, il avait occupé le Pigeonnier tandis que Courbière se repliait de Bobenthal sur Weiler, pour mieux se lier avec lui. Il tint cette position jusqu'au bout et repoussa toutes les attaques. Saint-Cyr que Pichegru avait envoyé le 22 décembre à Lembach, nous a raconté ce qui se passa dans cette partie du vaste champ de bataille que les Français arrachaient aux Austro-Prussiens dans les derniers jours de décembre. A peine arrivé, il apprit que Hoche dirigeait en chef les deux armées ; il se contenta de suivre les opérations en amateur, donnant des conseils et guidant l'avant-garde dans un pays qui lui était familier. Il y avait là plusieurs officiers de l'armée de la Moselle encore enivrés du succès de Frœschwiller. Grangeret, le plus ancien, s'attribua le commandement et le 24 décembre, selon l'ordre de Hoche, s'établit à Climbach. Puis il marcha sur Wissembourg pour y déjeuner, disait-il, car il ne croyait pas à l'importance du Pigeonnier et comptait enlever la position aisément et presque sans coup férir. Quatre bataillons gravirent la montagne, mais on n'avait pas calculé la distance qu'ils devaient parcourir. Le 2e bataillon du Jura qui. débouchait sur la droite des Prussiens, perdit le tiers de son monde ; le se régiment, ci-devant Austrasie, qui donna sur le centre, eut en moins d'une minute la moitié de ses hommes hors de combat ; les deux autres bataillons, conduits par Jacopin, arrivèrent une heure plus tard et l'on n'eut garde de les engager.

Dès qu'il sut l'événement, Hoche ôta le commandement des troupes à Grangeret pour le confier à Jacopin[15] et le 25 décembre Jacopin recommençait l'attaque. Elle fut moins décousue que la veille, mais elle échoua-de nouveau : si les mouvements avaient de l'ensemble, ils manquaient de précision et de fermeté ; le Pigeonnier, si méprisé naguère, semblait formidable ; il fallut ramener les bataillons à Climbach. Le capitaine Soult qui commandait une brigade, avait Championnet à sa droite et Jacopin à sa gauche. Mais Championnet trouvait que Soult n'en faisait pas assez et le poussait en avant : Attaque ce tas de brigands qui te font face, il faut que demain nous combattions les despotes et allions coucher à Wissembourg. Jacopin, au contraire, craignant d'être entraîné trop loin, s'efforçait de retenir Soult : Ma prudence républicaine me suggère les réflexions suivantes : nos bataillons sont-ils assez instruits pour une attaque de nuit ? S'ils étaient repoussés, comment pourraient-ils se rallier, eux qui, ce matin, ont eu peine à effectuer leur ralliement ? Jacopin finit par dénoncer Soult qu'il jugeait trop fougueux. Mais Hoche apprit la vérité : D'après certains rapports, mandait-il au jeune capitaine, j'avais ordonné que tu rejoignes ton état-major ; garde ton commandement à condition que tu tiennes parole ; bats-toi bien et entendez-vous, Championnet et toi, pour frapper comme de vrais sans-culottes.

Hoche fit mieux encore. Le 26 décembre, pendant qu'avait lieu l'action générale, il chargeait Saint-Cyr de se mettre à la tète de la brigade Grenier. Depuis qu'il était à Climbach, Saint-Cyr répétait qu'il fallait ébranler le moral des Prussiens en les alarmant sur leurs derrières et en menaçant leurs communications par la vallée de Dahn. Il exécuta ce qu'il avait proposé ; il occupa l'ancien camp de Nothweiler et plaça ses postes sur la Lauter ; il prenait ainsi les Prussiens à dos[16].

Brunswick n'avait plus qu'à se retirer. Il abandonna ses positions de la montagne. Le 28 décembre, son arrière-garde sortait des Vosges et passait à quelque distance de Landau. Le soleil se couchait ; les murs de la forteresse se dessinaient fièrement dans le lointain ; le spectacle était magnifique. Mais ce fut avec un déchirement de cœur que les Prussiens virent les baraquements de l'armée assiégeante livrés aux flammes et qu'ils entendirent les salves de mousqueterie et d'artillerie qui célébraient la délivrance de la ville.

Le lendemain, les Français poursuivaient cette arrière-garde avec vigueur, et leur cavalerie poussait hardiment jusqu'aux abords de Roth. Des maisons, des bourgades furent incendiées. Ivres de vin et de victoire, les républicains s'avançaient en bandes au milieu des vignes et ne cessaient de faire le coup de fusil. Plus d'un Prussien tomba. Nul ne resta sur la place. Comme dans l'Iliade, une lutte s'engageait autour du cadavre et on combattait avec fureur pour enlever à l'adversaire le corps d'un camarade, d'un ami. Jusqu'au crépuscule, les tirailleurs furent obstinément aux prises. Les Prussiens reculèrent sur Edenkoben. Mais, à cet instant, arrivait le prince Louis-Ferdinand avec des détachements de Schladen et de Manstein ; il contint les Français et après quelques coups de canon échangés dans les ténèbres, l'armée de Brunswick s'achemina vers Neustadt, lentement, et, dit un contemporain, comme ce pèlerin qui se rendait à Jérusalem, faisant deux pas en arrière et un en avant. Elle marcha de là sur Frankenthal, puis sur Worms et Oppenheim. Le 5 janvier, elle prenait ses quartiers d'hiver[17].

 

L'Alsace était reconquise. Nous sommes délivrés, s'écriait un habitant de Strasbourg, le drapeau flotte triomphalement sur la cathédrale, la liberté victorieuse fait tous les jours des progrès heureux, et nos guerriers s'avancent comme l'orage ! Le 28 décembre, au matin, des hussards et des chasseurs, agitant leur sabre, saluaient de loin Landau débloqué. Saint-Just, Le Bas, Lacoste, Baudot, Pichegru étaient avec eux. Ils avaient quitté Wissembourg pour visiter les avant-postes et reconnaître la position de l'ennemi. Comme tout le monde, ils croyaient les Autrichiens retirés sur les hauteurs de Barbelroth. Mais les Impériaux ne se montraient pas. Peu à peu, avançant toujours, à la suite des troupes légères, les conventionnels et le général arrivèrent à Landau. On les accueillit avec des transports d'enthousiasme. Les habitants, versant des larmes de joie, arrêtaient les cavaliers, leur baisaient les bottes et les étriers, leur offraient des rafraîchissements et de l'argent ; chacun voulait les régaler, les avoir dans sa maison. Le représentant Dentzel, le commandant Laubadère, les membres de la municipalité s'étaient rendus aux portes de la ville. Mes amis, s'écria Dentzel, nous sommes libres, notre esclavage est fini ! Nos frères, nos sauveurs sont ici ! Quelle ivresse ! et il écrivait à ses collègues de la Convention qu'il allait voler dans leurs bras pour leur apprendre le bonheur des Français et la défaite des tyrans[18].

 

 

 



[1] Cf. Gebler, 241-243 ; Zeissberg, I, 450 ; Wagner, 245 ; Uebersicht, II, 19 ; d'Ecquevilly, I, 309 et 311.

[2] En réalité 14.515, dont 335 officiers.

[3] Uebersicht, II, 20-24 ; Wagner, 245-250, 266 ; d'Ecquevilly, I, 315 ; Gebler 245-248 ; Zeissberg, I, 451.

[4] Grenier est assez connu. On n'insiste dans cette note que sur ses débuts. Paul Grenier, né le 29 janvier 1768, à Sarrelouis, s'était enrôlé comme volontaire au régiment de Nassau (96e) le 21 décembre 1784. Caporal (15 oct. 1788), sergent (22 mars 1789), fourrier (1er septembre 1790), sergent-major (1 er avril 1791), adjudant (12 mars 1792), lieutenant (26 juillet 1792), adjudant-major (1er septembre 1792), capitaine (1er déc. 1792), il fut nommé aide-de-camp de Schauenburg le 6 avril 1793. Les représentants Ehrmann et Richaud le promurent le 15 octobre suivant adjudant-général chef de bataillon. Lacoste et Baudot allaient le nommer, le 10 janvier 1794, adjudant-général chef de brigade.

[5] Simon était chef du 4e bataillon des volontaires nationaux et Hoche avait demandé pour lui, dès le 31 octobre, le grade d'adjudant-général chef de brigade.

[6] Rousselin, II, 38-42 ; Hoche à Bouchotte, 25 déc. (A. G.) ; Soult, Mém., I, 90 ; Moniteur, 2 janvier 1794.

[7] Lavallette, Mém., I, 150 ; Privat, Notes historiques sur Hoche, 1851, p. 29 ; Rousselin, II, 59 ; Hoche au Comité, 26 déc. (A. G.). Quatre bataillons se signalèrent à l'assaut du Geisberg : le 33e et le102e d'infanterie, le 2e bataillon du Doubs (le bataillon de Blondeau) et le bataillon de Chaumont. Le 33e et le bataillon de Chaumont firent halte un instant pour prendre du repos ; deux escadrons les chargèrent, mais furent repoussés sur-le-champ par un feu de file. Cf. l'ordre à l'armée, du 30 nivôse (Rousselin, II, 60).

[8] Cf. Wissembourg, 222, Jean Donadieu, né à Arles, en Provence, vers 1747, engagé pour huit ans, le 6 avril 1766 au 118 régiment de dragons, ci-devant Angoulême ; rengagé pour huit ans, le 28 avril 1770, et brigadier le 15 juin 1775 ; rengagé le 1er janvier 1781 et maréchal-des-logis le 15 juin de la même année ; de nouveau rengagé pour quatre ans, le 13 sept. 1787, sous-lieutenant le 15 sept. 1791, lieutenant le 3 juin 1792, capitaine le 1er juin 1793. Carlenc l'avait envoyé à Paris) pour remettre au ministre le guidon qu'il avait pris à l'affaire du 18 octobre, après avoir tué l'esclave autrichien qui le portait. La Convention, ajoutait Carlenc, verra sans doute avec plaisir, que nos braves républicains savent toujours affronter les plus grands dangers, et qu'un revers momentané n'a fait qu'aiguillonner leur courage. Parmi ceux que je m'honore de commander, le citoyen Donadieu mérite de tenir un rang distingué par sa bravoure et ses vertus vraiment républicaines. Je vous prie de le présenter et de le recommander aux pères de la patrie. Le 29 octobre, Donadieu fut nommé général de brigade par le Conseil exécutif. Traduit au tribunal révolutionnaire de Paris, par un arrêté de Lacoste (daté de Landau, 30 germinal an II), il fut condamné à mort le 27 mai suivant. Il avait protesté qu'il ne pouvait passer le défilé où il s'était engagé sans s'exposer à perdre six cents hommes sur sept cents et que son premier devoir était de ne pas exposer inutilement ses hommes parce que toute sa troupe aurait été massacrée. Mais Chasseloup-Laubat, Debelle, Mermet, Hoche l'avaient unanimement inculpé ; j'ai vu, dit Debelle, que la cavalerie, commandée par Donadieu, n'a pas chargé l'ennemi, et je me suis récrié fortement contre les manœuvres qu'elle faisait. — Je dis à Donadieu, rapporte Mermet, ce que Hoche m'avait ordonné de lui dire. Il me répondit : Est ce que vous ne voyez pas qu'il y a du canon ? Je lui dis : tant mieux, vous le prendrez. A l'instant un coup de canon de l'ennemi partit ; le boulet frappa aux environs d'une toise de la tête de la colonne ; aussitôt Donadieu a commandé à la colonne de faire demi-tour à droite. — Voyant les ennemis en fuite, écrit Hoche (Thionville, 19 pluviôse an II, à l'accusateur militaire Clément) et voulant leur couper la retraite de Wissembourg, je dis à Mermet d'aller porter l'ordre au commandant d'un corps de cavalerie qui se trouvait derrière moi de charger ; Mermet s'y porta et lorsqu'il eut dit qu'il fallait charger, on lui répondit qu'il y avait là du canon ; à quoi il riposta qu'il fallait l'emporter. La troupe se mit en marche, mais au premier coup de canon, son chef commanda demi-tour à gauche et, par ce mouvement, donna aux ennemis la liberté de passer par Wissembourg ; ce qu'ils n'eussent pas fait dans le cas contraire. (A.. N., w. 374.)

[9] Hoche au Comité, 26 déc. (A. G.)

[10] Hoche au Comité, 26 déc. (A. G.) ; Wagner, 250, 267-268, (récit de Köckeritz) ; Gebler, 248-251 ; d'Ecquevilly, I, 315 ; Engelhardt, VI, 381.

[11] Valentini, 76 ; cf. le mot du duc de Weimar (Briefwechsel mit Gœthe, 1863, I, 186).

[12] Hoche, Lacoste, Baudot au Comité (A. G.).

[13] Romain, II, 561-563 ; Gebler, 252 ; Rousselin, II, 59.

[14] Zeissberg, II, 37, 47 ; Wagner, 260, 263.

[15] Jean-Baptiste Jacopin, né le 20 octobre 1755 à Brioude (Haute-Loire), fils d'un maréchal dans la gendarmerie de la Reine, fut d'abord adjoint à l'architecte de la gendarmerie (janvier 1774 - février 1776], puis entra au régiment de La Fère-artillerie (Ier mars 1776). Il racheta son congé (21 sept. 1776) et s'établit fabricant de peinture et de dorure sur porcelaine à Nancy. Le 22 juillet 1792, il était élu sergent au 6e bataillon des volontaires de la Meurthe ; puis il devenait lieutenant (3 août 1792), adjoint aux adjudants généraux (22 sept. 1792), adjudant-général chef de brigade (28 nov. 1793) et général de brigade. Sa nomination à ce dernier grade, faite par les représentants Lacoste et Baudot, le 10 janvier 1794, fut confirmée le 13 juin 1795. Jourdan le jugea brave militaire, bon républicain, propre à l'emploi qu'il occupait, et Lefebvre assure qu'il a toujours mis beaucoup de zèle et d'intelligence à remplir ses fonctions et donné en tout temps l'exemple des vertus militaires. Mis en disponibilité (26 février 1797], Jacopin ne tarda pas à rentrer au service ; il fut employé à l'armée du Rhin (24 mai 1798), à la réserve de l'intérieur où il était major-général de la 1re légion (4 mai 1807) et à l'armée de Brabant (8 août 1809). Il appartint au Corps législatif par deux fois (27 mars 1802 et 25 mars 1806), et fut secrétaire (21 mai 1803) et questeur (18 janv. 1804) de l'Assemblée. Par deux fois, il commanda pareillement le département de la Meurthe (14 mars 1809 et 23 avril 1810). Il commandait les Vosges (21 août 1810) lorsqu'il mourut, à Epinal, le 28 mai 1811.

[16] Saint-Cyr, I, 184 ; Soult, Mém., I, 92-93.

[17] Valentini, 77-78 ; Reminiscenzen ans dem Feldzuge am Rhein, 60 ; Mém. de Schüler von Senden (Zeitschrift für Kunst, Wiss. u, Gesch. des Krieges, 1840, I, 89) ; mot de Hoche, 5 janv. 1794, les ennemis se retirent toujours, mais en bon ordre et ils font résistance.

[18] Bourguignon, Bischwiller depuis cent ans, 190 (journal de Blum) ; Réfutation par les habitants de Landau de quelques-unes des faussetés qui composent le mémoire de Treich, p. 15 ; Laukhard, IV, 178 ; Moniteur, 2 janvier 1794.