LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

HOCHE ET LA LUTTE POUR L'ALSACE

 

CHAPITRE V. — L'ARMÉE DU RHIN.

 

 

I. Pichegru et Desaix. — II. Attaque générale du 18 novembre. Légère reculade de Hotze. Positions des Autrichiens. Remontrances de Brunswick. Obstination de Wurmser. — III. Efforts de Desaix et de Michaud. — IV. Burcy à Gundershoffen et Hatry à Mietesheim. — V. Affaire de Berstheim. — VI. Klenau chassé de Dauendorf. — Ça va, mais ça va bien lentement.

 

I. Pendant que Hoche prenait le commandement de l'armée de la Moselle, Pichegru remplaçait Carlenc à la tête de l'armée du Rhin.

Jean-Charles Pichegru était né à Arbois, dans le Jura, le 46 février 1761, et, comme Hoche, il sortait du peuple. Grâce à des personnes charitables, il put faire ses études au collège de sa ville natale. Les Minimes, remarquant son goût pour les sciences exactes, l'envoyèrent à leur école de Brienne. Il acheva d'apprendre les mathématiques en les enseignant. Le 30 juin 1780, il s'enrôla dans le 2e régiment d'artillerie. Il devint appointé (21 septembre 1783), sergent (1er août 1785), sergent-major (5 juillet 1789), et ses chefs qu'il rencontra dans les rangs des émigrés, s'accordent à dire qu'il avait du mérite, des connaissances et une assez bonne façon de penser. La Révolution lui offrit, ainsi qu'à tant d'autres, l'occasion de se pousser et de franchir des bornes presque infranchissables sous l'ancien régime. Le 6 février 1792, il était nommé adjudant ; le 15 juin, premier lieutenant et adjudant-major. Il se trouvait alors à Besançon, et sa prestance, sa voix sonore, sa parole énergique et simple, son républicanisme lui avaient valu la présidence du club. Le 3e bataillon du Gard passa par la ville ; il n'avait pas de lieutenant-colonel ; il choisit Pichegru (9 octobre 1792), et plus tard, lorsque leur commandant était général, les volontaires voulaient rejoindre celui qu'ils appelaient leur père : Nous lui avons accordé notre confiance et notre amitié, écrivaient-ils au ministre, et dans le peu de temps qu'il a été à notre tète, il nous a prouvé par son caractère ferme et ses talents militaires qu'il est digne de commander à des hommes libres. Un lieutenant-colonel de volontaires devenait aisément général, s'il avait un protecteur. Au mois d'août 1793, Pichegru se rendit à Paris. Il rencontra dans les bureaux de la guerre un homme qui, comme lui, sortait des rangs, le chef de bataillon Goffard, son ancien lieutenant au 2e régiment d'artillerie. Prôné par Goffard et présenté à Bouchotte, il fut nommé le 22 août général de brigade et le 23 août général de division ; en deux jours, il enlevait dans le cabinet du ministre ces deux brevets que d'autres avaient tant de peine à conquérir sur les champs de bataille. En même temps Bouchotte le chargeait de commander le corps du Haut-Rhin[1]. L'éloge de Pichegru est dès lors dans toutes les bouches. Les représentants Bassal et Bernard de Saintes s'efforçaient de le garder à Besançon où il était, suivant eux, du plus grand prix et d'une nécessité absolue. Bouchotte assurait à tout venant qu'il était un brave soldat rempli d'intelligence et non un de ces trembleurs qui propagent les alarmes et jettent le découragement pour anéantir l'énergie nationale. Landremont avait de lui bonne opinion. Bacher ne tarissait pas sur son compte, et vantait son zèle, ses rares et précieuses qualités, la popularité dont il jouissait, et le tact qu'il montrait dans la difficile fonction de conduire des troupes républicaines. Il le vit au château de Blotzheim et lui exposa les relations de la France avec les Suisses et les ménagements qu'elle devait observer. La pénétration de Pichegru, disait-il, et son habitude des affaires lui ont fait saisir sur-le-champ les choses sous leur véritable point de vue politique ; il a jugé de tout en homme du métier et avec une perspicacité peu ordinaire. Un autre de nos agents, Rivalz, mandait pareillement que Pichegru était le premier général français qui lui inspirait à tous les égards une confiance entière. Aussi, le 28 septembre, Bouchotte lui offrait-il la succession de Landremont et le priait de se rendre à Wissembourg pour fortifier le courage abattu par certains généraux malveillants. Pichegru refusa : il n'ignorait pas la situation désespérée de l'armée du Rhin et il craignait de compromettre sa renommée naissante. Mais à la nouvelle de la prise des lignes, Bouchotte lui envoya un courrier : Pichegru devait se dévouer à la patrie, et s'il avait accepté le commandement, le désastre n'aurait pas eu lieu. Cette fois, Pichegru n'osa se dérober. Il courut à Strasbourg recueillir et ranimer l'armée défaite[2].

Il était sans expérience de la guerre. Hoche avait vu l'ennemi dans le blanc des yeux ; il avait fait la campagne de Belgique et défendu Dunkerque ; il avait entendu le sifflement des balles et le bruit du canon. Pichegru avait aperçu de Huningue avec une lunette d'approche des postes autrichiens qui bivouaquaient sur les croupes de la Forêt Noire ou des patrouilles qui longeaient la rive du Rhin. Il possédait un esprit assez droit et assez juste pour rejeter les mauvaises opérations qu'on lui proposait ; il ne pouvait former un plan, dire entre deux projets sensés quel était le meilleur, ni discerner les raisons particulières qui devaient lui rendre tel avis préférable à tel autre. Même plus tard, il n'eut jamais que de très médiocres talents et, lorsqu'il ne prenait les conseils de personne, il commettait de lourdes fautes. Mais il succédait à Carlenc dont toute l'armée connaissait l'ineptie. Les étourdis avaient d'abord prononcé son nom avec un mépris moqueur. En quelques jours, il sut s'acquérir l'estime. Sa jeunesse, son regard plein de flamme, une figure sévère au premier abord et qui s'adoucissait peu à peu à mesure que s'avivait l'entretien, une tournure martiale lui gagnèrent la confiance. Aussi ambitieux que Hoche, aussi désireux de faire son chemin et avide du commandement, il était plus adroit, plus cauteleux que son jeune collègue ; il savait mieux se posséder, jugeait les choses avec plus de sang-froid et agissait lentement, sans précipitation ni hâte fébrile ; il avait tous les traits du paysan comtois, finassier, un peu sournois et indolent. IL flatta Saint-Just et Bouchotte, disant que tout irait à l'aide de la guillotine et promettant d'envoyer à l'échafaud les émigrés prisonniers. Il cacha facilement son inexpérience sous son calme imperturbable et passa pour un homme de guerre avisé, prudent, qui ne veut agir qu'après mûre réflexion et à coup sûr[3].

Pichegru fut d'ailleurs assez habile pour se laisser guider dans ses débuts à l'armée du Rhin par un officier qu'il avait apprécié sur le champ, par Desaix[4].

Successivement sous-lieutenant d'infanterie, commissaire des guerres, lieutenant et aide-de-camp de Victor de Broglie, capitaine, adjoint à l'état-major de l'armée du Rhin, Desaix s'était signalé depuis le commencement de la guerre par sa présence d'esprit et son intrépidité. A l'échauffourée de Rülzheirn, il rallia son régiment, le 46e, ci-devant Bretagne, et fut nommé le surlendemain, par les représentants adjudant-général avec grade de lieutenant-colonel. Attaché à la division de droite ou de Lauterbourg, il se distingua derechef dans l'affaire du 20 août ; il reçut une balle qui lui traversa les deux joues, mais il combattit jusqu'à la nuit et ne se laissa panser qu'à la fin de l'action : aussi les commissaires de la Convention lui donnèrent-ils sur le champ de bataille le brevet provisoire de général de brigade. On le mit alors à Bobenthal, malgré les plaintes du général Dubois qui le jugeait très nécessaire et, dans ce poste, il rendit de grands services. A la prise des lignes de Wissembourg, ce fut lui qui dirigea la retraite de la division Ferey. Promu général de division le 20 octobre par les représentants, il obtint Je commandement de l'avant-garde et le 26, pendant que Waldeck s'emparait de la Wantzenau par un hardi coup de main, il refoulait les Impériaux dans les bois de Reichstett après une lutte meurtrière. De ce jour date véritablement sa gloire militaire ; le soir même, pour éviter de nouvelles surprises, il donnait l'ordre de faire feu sur quiconque viendrait du camp autrichien et se présenterait la nuit aux avant-postes[5].

Mais il était noble et se nommait naguère M. de Veygoux. La prévention qu'on avait contre les ci-devant ne l'épargna pas et l'on conçut des soupçons sur lui. On se souvenait que l'aide-de-camp de Victor de Broglie avait été, au mois de septembre 1792, arrêté dans une bourgade des Vosges et détenu six semaines à Épinal[6]. Le Comité de Riom le dénonçait au Comité de Salut public : Desaix, disaient les Jacobins de Riom, avait dix-sept parents émigrés, dont deux frères qui servaient dans l'armée de Condé ; il était très lié avec son cousin, le général Beaufranchet d'Ayat récemment destitué ; il ne possédait pas dix mille livres et l'on pouvait craindre qu'il ne fût aisément séduit par l'or de Pitt et de Cobourg. Le 13 novembre, Bouchotte suspendait le combattant de Reichstett.

Pourtant Desaix aimait et défendait avec ardeur le nouvel ordre de choses. Nous sommes nés, s'écriait-il, presque sans fortune et sans droits féodaux : élevés au milieu du peuple et avec lui, ayant pour amis, pour confidents d'enfance et de jeunesse de bons agriculteurs, accoutumés à leurs vertus, partageant leurs fêtes et leurs peines, ne sommes-nous pas de leur nombre ? Il versait son sang pour le régime populaire et lui sacrifiait sa vie. Ma blessure, mandait-il à sa sœur, est entièrement guérie ; je n'en attends plus que quelques autres, pourvu qu'elles soient glorieuses et utiles à mon pays. Il n'avait qu'un désir : faire triompher les armes de la République et après avoir repoussé les cruels ennemis et les barbares étrangers, revenir en Auvergne, sur le sol natal, à Veygoux, pour adoucir la vieillesse de sa mère et raconter ses souffrances et ses combats à celle qu'il nommait sa charmante petite sœur[7].

Heureusement Pichegru ne pouvait se passer des conseils de Desaix qui, suivant le mot de Saint-Cyr, avait pris sur lui l'influence la plus grande et comme enlevé sa confiance. Il écrivit à Bouchotte qu'il était très content de Desaix, que le jeune général se comportait fort bien, qu'on devait retirer sa suspension. Desaix garda son commandement[8].

Il avait la taille avantageuse, mais une physionomie bizarre, un visage haut en couleur, un nez attaché au sommet du front, des lèvres épaisses et défigurées depuis sa blessure du 20 août par un bec de lièvre. Son maintien était timide et embarrassé. Il se taisait volontiers et restait ordinairement sur la réserve. On sentait qu'il n'avait pas l'habitude du monde et un officier le compare à ces sauvages de l'Orénoque qui s'habillent à la française. Toutefois ses beaux yeux ardents, ses cheveux plats et noirs comme l'ébène, ses dents d'une blancheur éclatante rachetaient la singularité de sa mine et la gaucherie de son attitude. Il avait la voix douce et, s'il consentait à s'épancher, il charmait ceux qui l'écoutaient par l'aimable franchise de ses manières et par la variété de ses connaissances. On n'aurait pas cru qu'il avait passé sa vie dans les garnisons et les camps. Pas un mot grossier ne sortait de sa bouche et s'il entendait une expression indécente, ses joues se couvraient de rougeur. Non pas qu'il fût prude. Semblable, écrit un de ses intimes, au père indulgent qui pardonne les étourderies de ses enfants, il souriait en voyant ses aides-de-camp conter fleurettes aux jolies filles du Palatinat. Comme Moreau, comme Saint-Cyr, il revêtait rarement son uniforme de général et mettait presque toujours un habit bleu sans broderies et aux manches très courtes, le même, disait plaisamment son état-major, qu'il avait à sa première communion. Il ne portait pas d'épée, et un jour que des Impériaux le surprirent dans les vignes aux environs de Mayence, il dut saisir un échalas qu'il brandissait comme s'il avait tenu la Durandal de Roland. Nul ne l'égalait en bravoure. Il était surtout général de main, affectionnait les affaires d'avant-garde et les actions où les troupes légères jouent le rôle principal. Sa vaillance, sa candeur, la façon simple et modeste dont il remplissait les devoirs de son métier et donnait l'exemple des vertus militaires, l'avaient rendu populaire dans l'armée. Lorsqu'après le combat du 20 août, il reparut la tête enveloppée d'un bandeau, les soldats le saluèrent de leurs acclamations. Mais il n'était pas moins aimé des ennemis. Tous ont vanté son humanité ; tous ont senti qu'il personnifiait non seulement par la valeur et les talents, mais par la droiture et l'honneur ce que la Révolution avait de noble et de chevaleresque, On le nommait en Egypte le Sultan Juste et un historien allemand lui applique les vers de Virgile :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . justissimus unus

Qui fuit in Teucris et servantissimus œqui[9].

Aidé des conseils de Desaix et fort du terrible appui que lui prêtaient les représentants, Pichegru consacra les premières semaines de novembre à l'organisation de l'armée. Je suis occupé, écrivait-il, à faire renaître la discipline et à rendre l'énergie que les trahisons et quelques revers ont affaiblie ; jusqu'à ce que j'ai réussi dans ces deux points, je me bornerai à attendre l'ennemi de pied ferme. Il prit Bourcier pour chef d'état-major[10]. Il fit, comme Saint-Just et Le Bas, des exemples de rigueur. Après l'exécution d'Isambert, il déclara que quiconque battrait en retraite sans ordre du général en chef ou sans une instruction du général qui commandait la division, subirait la peine de mort. Enfin, lorsqu'il fut convaincu de la subordination et du courage de ses soldats, dont le nombre s'élevait à 33.000, il assaillit Wurmser. Le 4 8 novembre, à sept heures et demie du matin, les Autrichiens étaient attaqués sur tous les points : à la Wantzenau et à Reichstett par la droite de l'armée du Rhin, à Brumath par le centre, à Hochfelden et à Bouxwiller par la gauche. Les Français, avait dit la veille un déserteur à Wurmser, se proposaient de tout hasarder pour percer la ligne autrichienne[11].

 

II. Desaix commandait la droite ou, comme il aimait mieux la dénommer, l'avant-garde. Il se porta sur la chaussée de la Wantzenau avec son infanterie, tandis que ses escadrons s'avançaient dans la plaine à gauche de la route et, malgré le sol marécageux, abordaient l'aile droite de Waldeck. La lutte dura près de dix heures au milieu de la canonnade et d'une violente mousqueterie. Mais Desaix dut reculer sous le feu croisé des batteries autrichiennes, et la cavalerie de Waldeck, débouchant d'un bois, fondit sur l'arrière-garde française avec une telle impétuosité qu'elle poussa les fuyards jusqu'au Jardin d'Angleterre[12].

Michaud, qui conduisait la droite, avait mission d'assaillir Brumath. Quatre fois il entra dans la forêt qui se trouvait en avant du village ; quatre fois il fut refoulé par Meszaros. Lui aussi, comme Desaix, dut se retirer sans avoir rien fait, et les Impériaux le virent enlever sur le champ de bataille un grand nombre de morts et de blessés[13].

Mais à gauche, Burcy obtenait sur Holze un avantage marqué. Il avait formé sa division en deux colonnes. Celle de droite qu'il menait en personne, s'empara du village d'Imbsheim, de la hauteur de Rietheim et du poste d'Obersoulzbach. Celle de gauche, commandée par Dauriol, et composée de cinq bataillons et d'un escadron, se saisit du bois d'Ingwiller. Hotze avait lutté toute la journée contre des forces supérieures, et dans la nuit même il exécutait avec un bataillon du régiment de Huff un heureux coup de main sur Rietheim. Les Français manquaient de vigilance ; ils furent mis en fuite et leurs canons encloués ou pris. Mais Hotze avait soixante morts et deux cent cinquante blessés. Ses troupes étaient épuisées et rejetées sur Bouxwiller. Les républicains, maîtres d'Ingwiller, allaient se porter sur ses derrières par Pfaffenhoffen et le couper de Reichshoffen, son point d'appui[14].

Wurmser comprit qu'il s'était, de ce côté du moins, enfoncé trop avant en Alsace. D'ailleurs, à cet instant, les Prussiens, quittant Wœrth et Mattstall, se repliaient sur Pirmasens pour établir leurs quartiers d'hiver dans des gorges inexpugnables dont la possession assurait le blocus de Landau. Il craignit que son aile droite, momentanément dégarnie par le mouvement rétrograde de Brunswick, ne fût exposée aux attaques de l'armée de la Moselle. Sur-le-champ, bien qu'avec répugnance et en pestant contre ses alliés, il résolut de se rapprocher tout doucement de Haguenau, et, sans éloigner ses avant-postes de la Zorn, de s'installer sur les rives de la Moder et de la Zinsel. Vingt-sept redoutes, construites avec beaucoup de soin, protégées par des abatis, munies de palissades, armées de canons, couvraient la ligne autrichienne-qui s'étendait de Drusenheim par Kurtzenhausen, Niederschäffolsheim, Bischwiller, Marienthal, Schweighausen, Ohlungen, Mietesheim, Uttenhoffen, Gundershoflen, Reichshoffen, Frœschwiller, Wœrth et Gœrsdorf jusqu'à Lembach où commençait le cordon des troupes prussiennes. Le quartier-général avait été transféré de Brumath à Haguenau qui formait le centre de la position. Le prince de Waldeck gardait Gambsheim, Offendorf, Herrlisheim et poussait encore des tirailleurs sur la Wantzenau. Le général Meszaros tenait Brumath et Mommenheim. Le gros des Impériaux campait de Batzendorf à Rottelsheim. Les émigrés, cantonnés aux environs de Haguenau, avaient leur avant-garde, commandée par Vioménil, à Wintershausen. Puis venait le petit corps autrichien de Klenau qui se liait étroitement aux condéens. Hotze était à Pfaffenhoffen et de là diri- geait l'aile droite chargée de défendre Reichshoffen et tous les postes de la montagne jusqu'à Lembach[15].

Brunswick blâma de nouveau le général autrichien. Lui-même prenait, après la bataille de Kaiserslautern, une position excellente, garnie de retranchements et de blockhaus. Hohenlohe occupait Sarentel et le château de Lindbronn ; Courbière, Bobenthal et le fameux camp de Bundenthal sur la Lauter ; le colonel de Götz, la Scheerhöhl que les Français nomment le Colombier ou plutôt le Pigeonnier. Tous trois disposaient ensemble de vingt-trois bataillons, de trente escadrons et de neuf batteries. Ils couvraient les trois routes qui menaient à Landau, l'une par Kaiserslautern, Dürkheim et Neustadt, l'autre par les gorges d'Annweiler, la troisième par Dahn et Fischbach. L'ennemi, écrivait Brunswick, ne réussirait jamais à percer, et les officiers prussiens souhaitaient que l'armée de la Moselle vînt derechef les attaquer en forces supérieures pour justifier par la victoire le choix et l'aménagement de leurs postes. Pas un point, disaient-ils, n'était négligé ou abandonné à lui-même ; tout s'enchaînait ; Hohenlohe, Courbière, Götz pouvaient aisément s'entre-secourir ; si l'adversaire assaillait par exemple Sarentel ou Lindbronn, on lui tomberait sur le flanc et les derrières. L'état-major et le corps du génie s'enorgueillissaient d'avoir noué et serré ce cordon de cantonnements, recommandé dans les ouvrages de Müller et de Lindenau[16].

Mais, répétait Brunswick, Wurmser n'élevait pas contre les Français une digue insurmontable, et il avait tort de ne pas prendre derrière la Sauer une position plus solide. Pourquoi s'étendre pareillement devant la forêt de Haguenau sur une longueur de 40 kilomètres ? Pourquoi morceler son armée et l'exposer à une multitude de petits combats ? Au lieu de recevoir tous les jours le choc des républicains et de les exciter à de nouvelles attaques, au lieu de se renfermer dans une défensive ruineuse, de se condamner à l'immobilité, à l'infériorité, ne ferait-il pas mieux de se concentrer, de ramasser ses forces, de les réunir en faisceau, d'assaillir à son tour les Français sur tous les points ? Wurmser refusa d'écouter Brunswick et ceux qui pronostiquaient un désastre. Il s'obstina dans son dessein de garder Haguenau, comme si Haguenau, disaient les Prussiens, était le but de la campagne. Il répondit que Haguenau lui offrait un avantage très considérable et qu'il ne pouvait abandonner Fort-Louis à ses seules ressources. Deux officiers, deux confidents de Brunswick, le major Kockeritz et le capitaine Kamptz, lui proposaient de rassembler l'armée autrichienne et de se jeter sur l'ennemi ; puis, la bataille gagnée, de s'établir derrière la Sauer et de passer l'hiver dans une position où les carmagnoles lui laisseraient trêve et répit. Wurmser déclara qu'il resterait où il était, qu'il ne céderait plus une parcelle de terrain aux sans-culottes, qu'il saurait repousser tous les assauts et tenir jusqu'au bout : J'ai déjà, s'écriait-il, évacué soixante villages ; je ne lâcherai pas les autres et je ne veux pas faire le malheur des Alsaciens qui sont attachés à notre cause[17].

 

III. La légère reculade de Wurmser ne fit qu'encourager l'armée du Rhin qui reprit l'offensive la baïonnette en avant et aux cris de : Vive la République[18]. Le 20 novembre, Desaix ressaisissait la Wantzenau et Hœrdt, mais Combez ne pouvait, à cause des brouillards si fréquents dans cette saison, s'emparer de Kilstett. Le 21, il attaquait Weyersheim. Le 22, il passait la Zorn pour escarmoucher contre les Impériaux qui défendaient la hauteur de Kurtzenhausen ; mais à la fin de la journée, il était rejeté sur Weyersheim par le prince de Waldeck et le général-major de Hahn. Le 23, il se portait de nouveau contre Kurtzenhausen, mais il reculait sous le feu de l'artillerie autrichienne et du régiment de Rohan. Le 27, une de ses colonnes était ramenée par le prince de Waldeck[19].

Michaud secondait Desaix. Le 20 novembre, il passait la Zorn et canonnait Brumath. Mais le lendemain, le colonel d'Ott l'assaillait sur l'ordre de Wurmser, et, malgré un feu violent de mousqueterie et de mitraille, le chassait du village et l'obligeait à repasser la Zorn. Le 25, il s'avançait derechef par la chaussée de Brumath, mais le général-major Kospoth le salua par de telles salves d'artillerie que la colonne française rétrograda sans avoir eu le temps de se déployer. Le 27, il reparaissait sur la même chaussée, mais Kospoth l'accueillit encore à coups de canon, et Michaud ne tarda pas à se retirer[20].

On ne peut retracer par le menu tous ces combats sur lesquels on n'a du reste que des informations rares et nullement précises. Il suffit de dire que les Autrichiens défendaient pied à pied le sol qu'ils avaient conquis six semaines auparavant et qu'ils repoussèrent les attaques de la droite et du centre. Le canon tonnait du matin au soir ; la lutte ne s'animait et ne s'opiniâtrait qu'en un seul point ; mais on se battait sur toute la ligne des avant-postes, et les chamailleries, les agaceries, les taquineries, comme disaient les Impériaux, ne cessaient pas un instant.

Le 1er décembre, les républicains donnèrent de toutes parts. La gloire de la journée revint à l'intrépide Desaix ; c'est lui, assurait Pichegru, qui a le mieux fait. Les Impériaux s'étaient retranchés derrière le fossé dit Landgraben à Gambsbeim et à Bettenhoffen ; ils avaient plusieurs batteries de gros calibre ; ils appuyaient leur gauche au Rhin et la soutenaient par une nombreuse cavalerie. Les tirailleurs français hésitèrent ; Desaix se mit à leur tête et les entraîna. L'affaire fut très chaude. Le jeune divisionnaire eut son cheval tué sous lui ; un général de brigade, le Strasbourgeois Courtot, reçut une blessure, et Salm, alors chef de brigade du 3e régiment, une contusion. 180 Français étaient hors de combat. Mais le général comte Keglevich tomba mortellement atteint. On emporta Gambsheim à la baïonnette. On refoula les Autrichiens sur Offendorf[21].

Le 2 décembre, Desaix assaillit Offendorf et le bois de Gambsheim où l'ennemi s'était solidement posté. Il n'obtint aucun résultat. Les cinq bataillons qui formaient sa gauche, furent chargés vigoureusement par la cavalerie autrichienne. Un bataillon d'Eure-et-Loir lâcha pied. A la voix de Combez et de Diettmann, le 4e et le 8e chasseurs, le 9e cavalerie et la 3e division de gendarmerie s'élancèrent pour rétablir le combat. Mais le jour finissait et Combez fut blessé[22].

Le 3 décembre, Desaix renouvela son attaque, et cette fois réussit à chasser les ennemis d'Offendorf et de Herrlisheim[23].

Le 4, il les poussa jusqu'aux abords de Drusenheim[24].

Le 10, par le plus beau temps du monde et comme si le soleil voulait luire exprès pour éclairer le triomphe des républicains[25], il prit possession des villages de Weyersheim et de Kurtzenhausen que les Impériaux évacuaient de leur plein gré pour mieux couvrir leur ligne de Drusenheim et de Haguenau. Mais ce fut le terme des succès, d'ailleurs assez minces, de l'armée du Rhin à la droite et au centre. Les Français arrivaient devant les retranchements de la Moder. La position autrichienne était suffisamment forte pour résister à toute attaque de front. Des remparts fraisés, palissadés, et des fossés remplis d'eau entouraient Drusenheim. Des batteries, des redoutes s'élevaient à Hanhofen et à Bischwiller. Les Impériaux tenaient encore Gries, et les manteaux rouges patrouillaient jusqu'au milieu de Herrlisheim. Le 13 décembre, le général Legrand, qui servait sous les ordres de Desaix, entra dans le bois de Gries avec cinq bataillons, et malgré les abatis, s'avança jusqu'à Marienthal, mais il dut se replier. Le 15, Desaix et Legrand franchirent de nouveau les abatis et pénétrèrent dans le bois ; ils furent repoussés et poursuivis par les hussards impériaux qui ne s'arrêtèrent que sous le feu de l'artillerie légère. Le 19, même marche sur Marienthal, sur Rohrwiller, sur Drusenheim, et même reculade[26].

Au centre, Michaud faisait aussi peu de progrès. Ce ne fut que le 14 décembre qu'il s'empara de Brumath et put s'établir définitivement à Kriegsheim et à Niederschaeffolsheim[27].

Ni Desaix ni Michaud n'avaient assez de monde pour combattre avec avantage. Vainement ils demandaient des renforts d'artillerie et de cavalerie. Vainement Desaix proposait d'attaquer la redoute de Bischwiller avec quelques escadrons et six bataillons qui seraient tirés de la gauche de l'armée. Pichegru comprenait que tout son effort devait se porter sur la droite de Wurmser[28].

 

IV. La gauche de l'armée du Rhin jouait en effet le principal rôle dans les opérations. Non seulement elle se rapprochait de l'armée de la Moselle et lui donnait la main, mais il suffisait qu'elle se saisit d'une ou de deux redoutes autrichiennes pour prendre les autres à revers. C'était l'opinion de Raymond Blanier, un des meilleurs agents de la République en Alsace, et qui envoyait aux généraux, aux ministres des renseignements exacts et souvent précieux. L'armée du Rhin, disait-il, doit agir avec toute la fermeté possible, excepté à la droite et au centre. Pichegru était du même avis ; il ne pouvait, écrivait-il, avec le peu de forces qu'il avait, attaquer les ennemis de front ; il faut absolument que ma gauche les tourne, et je lui ai ordonné d'avancer le plus possible[29].

Elle formait, comme on sait, deux divisions : la division de Saverne que commandait Burcy, et celle du Kochersberg que conduisait Ferino[30].

Burcy et ses lieutenants eurent d'abord de petits succès. Le général Dauriol entra dans Bouxwiller[31]. L'adjudant-général Aubugeois s'empara de la hauteur d'Uttenhoffen après une fusillade très vive qui dura plusieurs heures. Burcy chassa les Autrichiens de Zutzendorf et de Kindwiller.

Mais Burcy allait subir un échec qui lui coûta la vie et arrêta pendant quelques jours les progrès de l'aile gauche. Le 26 novembre, sa colonne de droite disputait aux Autrichiens la possession d'un bois près de Mietesheim. Ce bois de haute futaie faisait partie de la forêt de Haguenau ; ses arbres étaient à une telle distance les uns des autres que la cavalerie pouvait y charger ; il n'y avait, du côté des Français, ni broussailles, ni taillis ; du côté des Autrichiens, des buissons garnissaient la lisière. Durant toute la journée, les tirailleurs pénétrèrent dans le bois et en débusquèrent les ennemis ; mais sitôt qu'ils en sortaient, ils s'exposaient au feu d'une redoute dont les canons crachaient la mitraille. A plusieurs reprises, ils débouchèrent dans la plaine ; assaillis chaque fois par une grêle de projectiles, contraints chaque fois de reculer et chaque fois chargés par les cavaliers autrichiens jusqu'à portée de fusil, ils perdirent à ce jeu de barres près de trente hommes par bataillon.

Pendant ce temps, les représentants Lacoste et Baudot ordonnaient à Burcy d'enlever une redoute très forte que les Impériaux avaient construite au-dessus de Gundershoffen. Burcy fit de justes objections. Si brave et si impétueux qu'il fût, il comprenait qu'on ne pouvait de front et par le centre emporter une position retranchée. Mais il dut obéir. Il partit avec quelque infanterie et deux régiments de cavalerie, le He hussards et le 2e chasseurs. Sa colonne passa le ruisseau de la Zinsel sur deux ponts établis au-dessous d'Uttenhoffen ; elle était pleine d'ardeur, elle gravit la rampe de Gundershoffen, et malgré la raideur du terrain, traversa le village au pas de charge. A peine approchait-elle de la redoute qu'un feu terrible l'accueillit. L'infanterie se débanda et fut aussitôt poursuivie par les cuirassiers de Mack rangés en bataille derrière la redoute. Le 11e hussards avait ordre de résister au choc. Mais ce régiment, nouvellement formé, se composait d'anciens fantassins qui montaient tant bien que mal des chevaux de luxe réquisitionnés, nullement accoutumés au manège et aux bruits de la guerre. Loin de couvrir l'infanterie, les hussards se rejetèrent sur elle et achevèrent son désarroi. Seul, le 2e chasseurs soutint l'attaque de la cavalerie impériale ; mais il perdit soixante hommes dont sept officiers. Burcy était à la tête du régiment ; sa selle tourna, il tomba de cheval et fut percé de coups. On dit qu'après avoir été désarçonné, il mit le sabre à la main, refusa tout quartier et préféra mourir plutôt que de se rendre[32].

La brigade de Burcy se rallia sur les hauteurs d'Uttenhoffen ; mais celle qui s'était installée près du bois de Mietesheim, resta jusqu'au surlendemain sans officier d'état-major, sans mot d'ordre. Il semblait que le quartier-général eût absolument oublié qu'elle existait. Enfin, le 28 novembre, au matin, lorsque ses avant-postes furent attaqués, Oudinot, chef de bataillon du 2° régiment d'infanterie, prit le commandement et résolut, après avoir tenu conseil de guerre avec les officiers supérieurs, de garder la position et de la défendre de son mieux. Derechef, une colonne de tirailleurs entra dans le bois et chassa l'ennemi qui s'était logé dans les broussailles de la lisière ; derechef les Impériaux firent un feu violent ; le bataillon de Dieuze lâcha pied et entraîna toute la colonne. Sans la vigoureuse attitude du 2e régiment et du bataillon de Chaumont, la brigade entière se fût dispersée. Elle regagna son ancien emplacement. A quatre heures du soir, l'adjudant-général Hatry lui apportait l'ordre de rentrer dans le bois ; elle exécuta le mouvement prescrit ; mais à onze heures, elle recevait contre-ordre et se repliait de nouveau. Seul, le bataillon de Chaumont, qui ne fut pas averti par le gendarme d'ordonnance, demeura dans le bois ; le lendemain il était assailli par les Autrichiens et reculait en hâte et non sans confusion. Le capitaine Menestrier, le premier qui s'était enfui, fut arrêté, envoyé devant le tribunal militaire et fusillé le M décembre sous les yeux de son bataillon.

Il fallait pourtant conquérir ce fameux bois de Mietesheim. Le 1er décembre, Hatry, nommé général de division par les représentants[33], attaqua les Impériaux. Il les poussa jusqu'au ravin ; mais cette fois encore le feu de la redoute jeta le désordre dans les rangs des carmagnoles ; cette fois encore la cavalerie autrichienne chargea les fuyards ; la brigade fut refoulée au-delà du bois en arrière de sa première position et le 8e bataillon de l'Ain, qui voyait l'ennemi pour la première fois, ne se rallia qu'à grand'peine.

 

V. Tandis que la division commandée d'abord par Burcy et ensuite par Hatry, s'arrêtait impuissante devant les redoutes autrichiennes de Gundershoffen et de Mietesheim, Ferino entamait les émigrés. Il les refoula lentement, petit à petit, et se saisit des villages de Hochfelden, de Schwindratzheim, de Mommenheim, d'Eckendorf, d'Oberaltdorf. Il gagnait donc assez de terrain pour être à la hauteur de Burcy. Tous les jours ses soldats avançaient d'un quart de lieue et ils disaient, lorsqu'ils prenaient les armes : allons à la corvée du balayage.

Mais Ferino, lui aussi, devait, par la faute de ses lieutenants, éprouver un revers. Il disposait de deux brigades, celle de droite conduite par Thévenot et celle de gauche aux ordres de Pierre. Ce dernier succédait à Ferey dont Saint-Cyr était naguère, à l'assaut de Bundenthal, le sage conseiller. Ferey avait pour chef d'état-major le capitaine Cuneo ; mais il ne suivit pas les avis de Cuneo ; il s'était laissé surprendre par les émigrés ; il avait perdu des canons. Pichegru donna sa brigade à Pierre, commandant du 24e régiment d'infanterie.

Ce Pierre était aussi nul que Ferey et il causa ce célèbre échec de Berstheim, que les émigrés ont compté parmi leurs plus éclatantes prouesses. Ne vit-on pas le nom de Berstheim sur les trophées dont fut entouré le catafalque du prince de Condé ?

Les émigrés avaient retranché Berstheim. Par deux fois, le 27 et le 28 novembre, Pierre se contenta de parader devant le village, sans même déployer ses colonnes. Il était partisan de l'ordre profond, et n'en voulait pas d'autre. Saint-Cyr, chef d'état-major de Ferino, se chargea d'emporter la position. Le 1er décembre, par un beau temps de gelée, il menait quelques troupes contre Berstheim. Ses tirailleurs mirent en fuite les hussards de Mirabeau et ses canons échangèrent des boulets avec les pièces que pointaient les officiers de l'ancien corps royal de l'artillerie, le maréchal de camp Saint-Paul, le colonel Nadal, les capitaines Prévost et Durand. Mais, pendant cette escarmouche, Saint-Cyr reconnaissait les issues de Berstheim et les retranchements des condéens.

Le lendemain 2 décembre, avec deux bataillons d'infanterie, deux cents chevaux du 19e de cavalerie et six pièces, dont deux de 16, servies par de vieux soldats, Saint-Cyr attaquait les émigrés. Il fit couvrir de projectiles Berstheim et le redan qui flanquait la droite du bourg. Puis, jugeant le moral des condéens suffisamment ébranlé, il lance ses deux bataillons qui se forment en tirailleurs, chassent du redan les grenadiers de Mirabeau et pénètrent dans Berstheim. Trois fois la légion de Mirabeau essaie de reprendre le village ; trois fois elle est repoussée et les patriotes, vainqueurs, se logent dans les vergers, les haies, les chemins creux.

Mais Pierre débouchait alors à la hauteur des deux bataillons de Saint-Cyr qu'il devait relever. Il s'était attardé et, pour réparer le temps perdu, au lieu d'arrêter sa colonne, de la remettre en ordre et de lui donner un instant de repos, il la faisait marcher au pas de course, sans aucune précaution et sans souci de l'adversaire. Soudain, l'artillerie des émigrés, qui s'était ralliée derrière un épaulement à peu de distance de Berstheim, décharge plusieurs coups sur le premier peloton de la colonne Pierre. Ce peloton, épouvanté, fait demi-tour, et entraîne le second, puis le reste des troupes. Les condéens remarquent cette débandade. Leur artillerie redouble son feu. Leur cavalerie se précipite. En quelques minutes, la brigade Pierre se disperse de tous côtés. Mais de tous côtés les cavaliers nobles se jettent gaiement à ses trousses. Le 11e régiment de cavalerie, ci-devant Royal-Roussillon, tente au moins de sauver les canons. Citoyens, dit le commandant, du silence et du courage, chargeons ces bougres-là ! Une mêlée sanglante, acharnée, s'engage aux cris de : Vive le roi ! et de Vive la République ! Le duc de Bourbon envoie un coup de pointe à un patriote qui lui riposte par un coup de tranchant sur la main droite. Le jeune duc d'Enghien, un moment enveloppé, est délivré par les chevaliers de la Couronne et il avoue que rien n'égale la bravoure des Français royalistes, sinon celle des Français républicains.

Que devenait Saint-Cyr durant ce combat de cavalerie ? A la vue de la brigade Pierre mise en fuite, le prudent officier avait compris qu'il ne pouvait garder plus longtemps ses deux bataillons en avant de Berstheim. Il les ramène aussitôt en-deçà du village dans la position qu'ils occupaient d'abord, entre Hochstett et Wittersheim. Un renfort inattendu lui vient au même instant : l'escadron du capitaine Druges. Cet escadron n'appartenait à aucune division et n'agissait que selon la volonté de son chef. Druges, homme intrépide et très propre à la guerre de partisans, le Marigny de l'armée du Rhin, avait, pour former ce corps, choisi dans tous les régiments de dragons, de chasseurs et de hussards 150 hommes les plus alertes et les plus résolus. Saint-Cyr pria Druges de couvrir la déroute de la brigade Pierre. Grâce à Druges, la cavalerie des émigrés cessa toute poursuite ; le capitaine reconquit même un obusier et le drapeau du 13e régiment que ses hommes rapportèrent fièrement à Saint-Cyr[34].

Cependant le prince de Condé, voyant les républicains évacuer Berstheim, s'était mis à la tête de l'infanterie. A la baïonnette, criait-on autour de lui. Il ordonna d'aborder les républicains à l'arme blanche ; allons, dit-il à ceux qui l'environnaient, vous êtes tous des Bayard, montons au village ! Mais Saint-Cyr avait habilement placé ses. canons près de Hochstett ; la gauche de l'infanterie noble fut prise en écharpe tandis qu'elle longeait le plateau.

Telle a été cette action du 2 décembre 1733, que les émigrés transformèrent en bataille rangée. Ils n'avaient eu que 39 tués et 116 blessés. Mais ils avaient lutté seuls, sans le secours des Autrichiens, et ne partageaient avec personne l'honneur de l'affaire. Ils avaient enlevé 7 canons. Enfin, le prince de Condé, le duc de Bourbon et le duc d'Enghien avaient chargé, l'épée à la main, et tous trois après l'engagement, s'étaient embrassés sous les yeux de leur petite armée en se félicitant d'avoir échappé au péril. Avait-on jamais vu trois Condé sur le même champ de bataille et tous les trois victorieux à la fois ? Ils sont parmi nous, s'écriait un émigré, l'image de la divinité, la valeur en trois personnes, et Delille disait plus tard :

Trois générations vont ensemble à la gloire.

Pichegru destitua Pierre qui s'était laissé dérouter par de la cavalerie[35] et confia sa brigade, augmentée d'un bataillon et de deux escadrons, à l'adjudant-général Saint-Cyr.

Saint-Cyr répara l'échec. Il exerça ses troupes et ranima leur confiance. Le 7 décembre, elles firent la répétition d'une attaque de village à la baïonnette et, pour se préserver des coups de pointe, tous les cavaliers mirent sous leur veste, devant et derrière, des mains de papier. Le 8, il les menait contre Berstheim. Les morts du 2 décembre n'étaient pas enterrés ; mais l'aspect de ces cadavres décomposés n'ébranla pas la brigade, et les émigrés jugèrent à son attitude que l'affaire serait vive. On commença par échanger de part et d'autre quelques coups de carabine. Les émigrés se moquaient des républicains : Vous donnerez-nous encore des canons ? Plusieurs reconnurent dans le 19e régiment de cavalerie, ci-devant Royal-Normandie, leurs anciens sous-officiers devenus officiers ; ils les appelèrent par leurs noms : Rendez-nous, leur criaient-ils, la place que vous nous avez prise. — Vous l'avez perdue pour toujours, leur répondaient les patriotes. Mais Saint-Cyr ne voulait que tâter l'adversaire et savoir si les émigrés avaient reçu des renforts. A trois heures de l'après-midi, après avoir poussé des tirailleurs jusqu'aux premières maisons du bourg, il ordonnait la retraite. Le duc d'Enghien, qui remplaçait le duc de Bourbon à la tête de la cavalerie noble, suivit la marche de Saint-Cyr et manœuvra sur divers points, comme pour le tourner. Il dut bientôt s'arrêter : la gauche des républicains s'appuyait à l'escarpement du ravin de Niederaltorf et ses flancs étaient couverts par les tirailleurs du capitaine Gazan. La journée coûta cher aux émigrés qui se virent, dit un rapport du temps, furieusement travaillés par l'artillerie des carmagnoles. Deux lieutenants-généraux, Gelb et Martignac furent tués, celui-là par un éclat d'obus dans les rangs de l'infanterie noble, celui-ci par un coup de canon au bivouac, tandis qu'il s'entretenait avec le prince de Condé. Gelb avait commandé la province d'Alsace et Martignac, les places de Landau et de Huningue[36].

Le jour suivant, 9 décembre, eut lieu l'attaque décisive. La brigade de Saint-Cyr s'avance sous la protection de l'artillerie ; elle est pleine de joie et d'assurance ; elle presse sa marche ; elle montre la plus vive impatience d'aborder l'ennemi, et Saint-Cyr, craignant déjà que ses volontaires ne se laissent entraîner, s'efforce de modérer leur ardeur. Mais, dans l'instant, les condéens tournent le dos et ne disputent que pour la forme les retranchements et les villages. Aussitôt la cavalerie républicaine prend les devants et gravit au trot les croupes du plateau. La cavalerie noble se porte à sa rencontre pour couvrir la reculade de son infanterie. Mais un escadron du 11e hussards, débouchant de Hochstett, culbute le régiment des hussards de Salm. La cavalerie noble s'arrête, hésite, comme si elle était livrée à elle-même et dépourvue de chef ; enfin, dans une armée qui compte tant de généraux et un si nombreux état-major, un simple fourrier, M. de Jobal, homme ferme et déterminé, ose, malgré l'infériorité de son grade, mettre un peu d'ordre et de régularité dans la retraite. C'est lui qui rallie les escadrons, qui les place et qui, sur le tard, les amène, à peine rassurés, aux redoutes construites par Wurmser en avant de Haguenau. Qui vous a donné le commandement, lui dit son colonel, le maréchal de camp comte de Lanans. — La nécessité, répond Jobal.

Que s'était-il passé ? Comment, après deux semaines d'infructueux tâtonnements, les républicains obtenaient-ils tout à coup et presque sans combat, un résultat si décisif ? Comment, au bout de quinze jours d'une lutte sérieuse, après avoir repoussé plusieurs fois les tentatives des patriotes et remporté le 2 décembre un grand avantage, après avoir fait sonner si pompeusement leur triomphe et reçu les félicitations de l'empereur, de Wurmser, du comte de Provence, les émigrés abandonnaient-ils soudainement leurs positions à la vue des troupes qu'ils avaient vaincues ? Pourquoi refusaient-ils la revanche ? Pourquoi n'essuyaient-ils même pas une attaque ? Faut-il, demande Saint-Cyr, attribuer l'événement à cette inégalité qui se montre dans le caractère des guerriers, comme la faiblesse éclate par instants chez les héros ? La véritable cause de cette retraite, que Saint-Cyr ne devinait pas lorsqu'il rédigeait ses Mémoires, était aisée à trouver. Les Autrichiens pliaient en même temps que les condéens, et, dit un émigré, à la guerre tout se combine entre voisins, la bonne comme la mauvaise fortune[37].

 

VI. Klenau flanquait la droite des émigrés à Dauendorf et à Uhrwiller ; il couvrait ainsi la route de Haguenau et l'importante redoute de Schweighausen. Hatry essaya de le débusquer, pendant que Saint-Cyr assaillait les émigrés à Berstheim. Mais là, comme ailleurs, les Impériaux tinrent bon. Le 1er décembre, grâce aux efforts de Klenau et du prince de Hesse-Hombourg, colonel des cuirassiers de Hohenzollern, ils avaient repoussé les républicains qui laissaient plus de deux cents morts sur la place. Le 2 décembre, ils avaient perdu, puis repris Dauendorf. Le 8, ils avaient, après une attaque extrêmement vive et un feu ininterrompu de mousqueterie et de canon, refoulé les patriotes à l'entrée de la nuit[38].

Mais le 9, ils furent moins heureux. A deux heures de l'après-midi, Klenau était entouré par des forces considérables. Il se défendit longtemps avec vigueur ; mais il finit par manquer de munitions. Il lança les cuirassiers de Hohenzollern et les dragons de l'Empereur ; mais les nationaux, s'entr'ouvrant, livrèrent passage à leur canon qui fit sur les escadrons autrichiens une décharge de — mitraille. Les dragons de l'Empereur tournèrent bride, puis revinrent au galop ; mais les hussards de Chamborant et de Colonel-Général (2e et 5e) les chargèrent cinq fois de suite et les mirent dans le plus grand désordre. Quelques cavaliers fondirent sur une pièce de la 10e compagnie d'artillerie volante et blessèrent ou dispersèrent les servants ; mais le canonnier Noirjean, qui reçut sept coups de sabre, s'arma d'un écouvillon et assomma deux des assaillants ; le lieutenant Odiot en tua deux autres, et la pièce fut sauvée. Klenau demanda des renforts au prince de Condé ; mais les deux canons et les deux divisions de cavalerie que d'Ecquevilly lui amena, arrivèrent trop tard. Pressé de tous côtés et voyant que les Français se déployaient à droite et il gauche pour l'envelopper et le cerner, Klenau évacua Dauendorf et Uhrwiller. Le corps des émigrés était entraîné dans sa retraite. Pourtant, sur le soir, après avoir reçu des munitions, Klenau revint à la charge, ressaisit le village d'Uhrwiller et enleva un canon de 16. Mais Dauendorf restait aux mains des Français. Il fallait décidément se replier en arrière de Wintershausen, sur le front de Haguenau et rentrer dans les lignes de la Moder. Déjà dans les lettres et les dépêches qu'on envoyait de Strasbourg à Paris, éclataient l'allégresse et l'orgueil du terrain reconquis. Un agent de Bouchotte disait que la prise de Haguenau n'était qu'ajournée, et Pichegru écrivait que les troupes montraient de bonnes dispositions, qu'elles ne consultaient que leur ardeur et qu'elles emportaient les redoutes ennemies sous un feu terrible ; les Impériaux, ajoutait-il, étaient dans une telle confusion que si l'action du 9 décembre avait duré deux heures de plus, Haguenau eût été occupé sans trop de résistance[39].

La gauche de l'armée du Rhin arrivait donc, de même que la droite et le centre, devant les positions que Wurmser avait choisies pour y passer l'hiver. La division Hatry bivaquait sur les hauteurs qui dominent les bois et l'abbaye de Neubourg. La division Ferino s'établissait en face d'Ohlungen. Mais, comme Desaix et Michaud, Hatry et Ferino ne purent se rendre maîtres des redoutes. Quotidiennement ils entraient dans les bois et en chassaient les Autrichiens qu'ils rejetaient derrière la Zinsel, la Moder, le Rothbach. Quotidiennement, ils étaient refoulés soit par l'infanterie des Impériaux et surtout par le régiment de Gyulai, soit par leur cavalerie et notamment par les cuirassiers de Mack, soit par le feu des batteries qui bordaient les retranchements. Hatry et son second, Frimont, nommé récemment général de brigade[40], firent plusieurs fois le simulacre de traverser la Zinsel à Mertzwiller ; ils n'osèrent jamais forcer le passage de la rivière et se bornèrent à des tirailleries. Ferino voulut le 15 et le 16 décembre s'emparer d'Ohlungen et des postes avoisinants ; les deux journées, dit un de ses soldats, ont coûté très cher sans aucun succès décisif. Ces vaines attaques, rapporte Saint-Cyr, étaient multipliées sur tous les points et si répétées qu'il serait fastidieux de les exposer avec détail ou seulement de les énumérer[41].

 

C'est ainsi que les Autrichiens disputaient à Pichegru la Basse-Alsace. Les républicains les traitaient d'esclaves, de satellites des despotes ; mais ils admiraient la bravoure et la constance que les kaiserliks déployaient dans ces engagements réitérés. Assaillis sans fin ni relâche, ripostant avec énergie, rendant coup pour coup, recommençant le combat lorsqu'il paraissait terminé, essayant de reprendre le soir ce qu'ils avaient abandonné le matin, ne reculant qu'avec une extrême lenteur, et se défendant si bien qu'ils perdaient trois fois moins de monde que les Français, ces hommes qui, selon le mot d'un officier prussien, imposaient le respect et dont la peau semblait fumée par la poudre à canon, arrachaient au général en chef de l'armée du Rhin cet honorable aveu qu'il n'avait pas grand espoir de les pousser comme il l'aurait désiré. Ils mettent, disait Pichegru, autant d'acharnement à la résistance que nous mettons d'impétuosité dans nos attaques[42].

Les républicains n'avaient pas, il est vrai, la même discipline et la même solidité que les Impériaux. Lorsque la colonne de Dauriol entrait à Bouxwiller, les soldats se débandaient pour courir au pillage, et quatre pièces d'artillerie autrichiennes qui n'étaient pas sorties du faubourg, avaient le temps d'échapper. On remarquait encore dans l'armée beaucoup de négligence et de laisser-aller. Nos troupes, écrit un de nos agents, ne restent pas exactement à leur poste, et bien souvent les officiers mêmes. Certains bataillons étaient intrépides, mais d'autres, mous, hésitants, et, comme disait Pichegru, lorsqu'on jouait de la baïonnette, quelques poltrons jetaient le désordre et faisaient perdre le succès qu'on était en droit d'attendre. Les soldats brûlaient leur poudre sans but, au hasard, pour le plaisir de décharger leurs armes, et des compagnies n'avaient plus de munitions à l'approche des ennemis. Lorsqu'une brigade abordait les retranchements autrichiens, deux groupes se formaient aussitôt : les braves qui rivalisaient de témérité et qui se piquaient les uns les autres à qui avancerait le plus, les lâches qui demeuraient en arrière et ne tiraient que deux ou trois fois à longue distance et pour la forme. Les officiers étaient pour la plupart excellents ; mais ils ne pouvaient toujours animer et diriger leurs hommes qui se dispersaient sur une ligne très étendue et se mêlaient, se confondaient avec d'autres. Enfin, la brigade qui restait toute la journée, l'arme au bras, derrière ses tirailleurs, s'exposait inutilement au feu de l'adversaire : au lieu de viser les enfants perdus, les Autrichiens dont les carabines portaient plus loin que nos fusils, envoyaient leurs balles sur la masse des bataillons et frappaient à coup sûr. Pichegru craignait de s'affaiblir. Les volontaires du 2e bataillon de la Charente Inférieure, épuisés par les combats et les bivouacs, exigeaient du repos, et on devait les rappeler de Gambsheim, les attacher au quartier-général établi à Stephansfeld. On devait prendre à la division du Haut-Rhin quatre de ses meilleurs bataillons. Tous les jours, mandait le général à la date du 20 décembre, nous inquiétons l'ennemi par de nouvelles attaques ; tous les jours il se renforce sur les points où nous cherchons à percer, et il réclamait instamment un secours de 10.000 hommes de l'armée des Ardennes pour pousser les Autrichiens un peu plus ferme. On était à une demi-lieue de Haguenau, mais on croyait qu'il faudrait bombarder la ville pour en déloger Wurmser. Ça va, disaient les commissaires du Conseil exécutif, mais ça va bien lentement[43].

Toutefois les Français avaient le nombre, et, s'ils payaient chèrement chaque pas qu'ils faisaient en avant, ils usaient l'ennemi par leurs continuels assauts. Les Impériaux, les émigrés ne prenaient plus la peine de dissimuler leur mécontentement, et assuraient que leur vigueur physique n'était plus en proportion de leur courage. Wurmser jugeait que ses postes de Marienthal et de Schweighausen étaient rudement attaqués. Dès le 5 décembre il exhalait ses angoisses dans une lettre au président du Conseil aulique de la guerre. Depuis le 18 novembre les Français n'avaient pas cessé de le houspiller partout avec des forces supérieures et une artillerie de gros calibre. C'étaient des enragés, des fous furieux, qui de l'aube au crépuscule et jusque dans la nuit harcelaient, canonnaient tantôt sa droite, tantôt sa gauche, tantôt son centre, souvent toute sa position, mais principalement sou aile gauche. Sans la ténacité, sans l'exemplaire valeur de ses troupes, il aurait été depuis longtemps mis en déroute. Sans doute il infligeait aux sans-culottes des pertes considérables. Mais tant de combats avaient diminué son armée. Et le froid ! Et le mauvais temps ! Et les fatigues dont le terme n'était pas à prévoir ! Et les uniformes qui se déchiraient — et tombaient en loques ! Pas de manteaux. Plus de voitures pour le bois et le fourrage. Tous les chariots réquisitionnés servaient au transport des blessés et des malades. Et il fallait envoyer de côté et d'autre des détachements ; il fallait tout garnir, les bords du Rhin, la Moder, la Zinsel, la montagne jusqu'à Lembach ; il fallait multiplier les avant-postes, occuper une quantité de redoutes, veiller à la sûreté de la rive droite du fleuve, depuis que l'adversaire avait eu l'idée de bombarder Kehl ! Bref, Wurmser ne pouvait tenir une pareille position. Si les Prussiens ne l'assistaient pas, il serait vaincu, et à l'avance, par une solennelle protestation, il déclinait la responsabilité du désastre. Que Hoche, s'écriait-il, s'unisse à Pichegru, et la retraite devient inévitable ; l'Alsace est perdue et Landau débloqué ; ce sont les conséquences les plus funestes du monde ! Les prévisions de Wurmser s'accomplirent : Hoche allait lui tailler de la besogne.

 

 

 



[1] Pichegru, resté dans l'artillerie, n'aurait plus avancé que péniblement. Il le savait, et lorsqu'il fut nommé capitaine, le 23 mars 1793, sans doute à l'ancienneté, il préféra rester à son bataillon du Gard ; c'est comme chef de bataillon du Gard qu'il reçoit ses brevets de brigadier et de divisionnaire. Cf. sur ses rapports avec Goffard les Mém. de Saint-Cyr, I, 109. Mais Saint-Cyr a tort de dire que Goffard — qui était lieutenant en 1778 et capitaine en 1792 —, fut le camarade de lit de Pichegru.

[2] Hist. de Pichegru, 1802, p. XIV-XVI ; Véridel, Précis hist. de la vie milit. de Pichegru, 1-2 ; Romain, II, 500 ; Saint-Cyr, I, 109 ; les volontaires du 3e du Gard à Bouchotte, 22 sept. ; Bassal et Bernard à Landremont, 8 sept. ; Landremont à Bouchotte, 10 sept. ; Bouchotte à Landremont, 3, 5, 16 sept, et à Pichegru, 28 sept. et 14 oct. (A. G.) ; arrêté du Comité de Salut public qui nomme provisoirement Pichegru en l'absence de Delmas, 3 oct. (A. N. A F 47) ; Kaulek, Papiers de Barthélemy, III, 88, 102, 162 ; documents de la guerre ; cf. Wissembourg, 190.

[3] Saint-Cyr, I, 143, 201 ; II, 178, 266, 333 ; Soult, Mém., I, 255 ; Lavallette, I, 132 ; Bouchotte à Pichegru, 13 nov. et Pichegru à Bouchotte, 23 nov. (A. G.) ; cf. Arnault, Souvenirs d'un Sexagénaire, II, 283.

[4] Selon Legrand, Scherer fut aussi l'un des conseillers de Pichegru ; il commandait la division du Haut-Rhin, mais tout était tranquille sur la frontière suisse ; il se rendit souvent à Strasbourg, et j'ai entendu dire à Pichegru que Scherer autant que personne aux succès qui couronnèrent la finale la campagne. (A. G.)

[5] Cf. outre Martha-Beker, Desaix, 1852, et Desprez, Desaix, 1884, p. 12-19, Et. Charavay, Les généraux morts pour la patrie, 1893, p. 79 ; une note de Legrand, une lettre de Dubois aux représentants, 14 sept. (A. G.) et Wissembourg, p. 19, 107, 199, 226.

[6] Voir sur cet épisode Bouvier, Les Vosges pendant la Révolution, 1885, p. 169 et 173.

[7] Desaix ou plutôt Des Aix était né au château d'Ayat, dans le Puy-de-Dôme (17 août 1768) et c'est au village de Veygoux qu'il avait passé son enfance et les congés de sa jeunesse.

[8] Pichegru à Bouchotte, 3 et 5 déc. (A. G.) ; Saint-Cyr, I, 143.

[9] Lavallette, I, 143 ; Saint-Cyr, III, 119 ; IV, 192 ; Schlosser, Geschichte des XVIII Jahrhunderts, V, 621, Michaud l'apprécia ainsi en fructidor au II : son génie militaire et les preuves fréquentes de courage et de valeur qu'il a données me le font juger très propre au commandement d'une armée. Carnot disait de lui : Il a toujours commandé l'avant-garde avec le plus grand succès ; son caractère tient à l'audace ; extrêmement jaloux de sa réputation, connaissant parfaitement l'art de captiver la confiance de la troupe, s'occupant beaucoup à connaitre la position de l'ennemi, ses moyens et le caractère de ses généraux ; réunit beaucoup de talents avec le seul défaut de ne point s'occuper de la discipline.

[10] Bourcier (François-Antoine-Louis), né le 21 février 1760, à la Petite-Pierre, dragon dans la légion royale (2 mars 1772), brigadier aux chasseurs de Picardie (15 janvier 1780), fourrier (20 janv. 1784), adjudant (24 sept. 1784), porte-étendard (26 mai 1788), quartier-maître trésorier (10 sept. 1789), aide-de-camp du duc d'Aiguillon (7 juin 1792), adjudant-général chef de bataillon (8 mars 1793), général de brigade (nommé par Lacoste, Guyardin, Mallarmé et Niou, 20 oct. 1793), chef de l'état-major (22 oct. 1793), général de division, (nommé par Lacoste, le 9 juillet 1794), suspendu par Hentz et Goujon, retiré à Gray, réintégré (27 juillet 1794), confirmé général de division (10 août 1794), inspecteur général des troupes à cheval de l'armée de Mayence et en Helvétie (29 fructidor an VI). Carnot le jugeait ainsi grand amateur de l'ordre et de la discipline, actif et zélé pour ses fonctions, ses vues militaires sont peu étendues. Il mourut le 8 mai 1828, au château de Ville-au-Val, près Pont-à-Mousson.

[11] Pichegru à Delaunay, 29 oct. et à Bouchotte, 13 nov. ; Dubois à Michaud, 10 nov. (A. G.) ; Gebler, 230 j d'Ecquevilly, I, 233. Cf. sur l'effectif de l'armée du Rhin à ce moment deux lettres de Pichegru à Bouchotte, 13 et 16 nov. ; il écrit au ministre, le 13 nov. : La force qui me reste, se trouve, de toi à moi, réduite à 33.000 hommes.

[12] D'Ecquevilly, I, 234. Le chef de brigade Nansouty se signala dans ce combat à la tête du 9e régiment de cavalerie (De Martimprey, Historique du 9e cuirassiers, 1888, p. 38).

[13] D'Ecquevilly, I, 235. Michaud (Claude-Ignace-François), né à Chaux-Neuve, dans le Doubs, le 28 octobre 1751, volontaire au 5e régiment de chasseurs à cheval ou du Gévaudan (10 sept. 1780-22 novembre 1783), capitaine au 2e bataillon des volontaires du Doubs (9 oct. 1791), lieutenant-colonel en second (29 déc. 1791), commandant temporaire de Delémont (10 oct. 1792), et de Porrentruy (5 mai 1793), avait été nommé général de brigade, le 19 mai, par Ruamps et ses collègues. Il se distingua dans les journées de Wissembourg, sous le commandement de Landremont, et il s'était, au témoignage de Dubois, parfaitement conduit à l'action du 12 septembre. C'est, écrivait-on de l'armée au Journal de la Montagne (n° 96), un homme à caractère, patriote ardent, brave au suprême degré ; il ne fait que commencer dans le commandement ; la confiance dont il jouit lui prépare des succès. — Legrand le nomme brave et loyal. Promu général de division (25 sept. 1793), Michaud devint successivement général en chef de l'armée du Rhin (19 nivôse an II), commandant de la 13e division militaire (21 vendémiaire an VI), général en chef intérimaire de l'armée d'Angleterre (16 messidor an VII), inspecteur-général de l'infanterie (10 ventôse an X), gouverneur-général des villes hanséatiques (nov. 1806). Entre temps, il avait été à l'armée d'Italie (4 germinal an VIII). Il assista au siège de Danzig, commanda Berlin (août 1807) et Magdebourg (20 février 1808) et fut mis à la retraite le 1er janvier 1815.

[14] Gebler, 230 ; d'Ecquevilly, I, 236 ; notes de Legrand (A. G.).

[15] Gebler, 231 ; Gesch. der Kriege, I, 245 ; d'Ecquevilly, I, 239 ; Wagner, 217.

[16] Wagner, 205 ; Uebersicht, II, 5 ; Valentini, 55.

[17] Uebersicht, II, 8 ; Wagner, 203-205, 207, 209-210, 214-215, 217.

[18] Pichegru à Bouchotte, 23 nov. (A. G.).

[19] D'Ecquevilly, I, 242, 244.

[20] D'Ecquevilly, I, 241, 249, 254.

[21] Gebler, 234 (article de la Zeitschrift autrichienne) ; (Strobel) Engelhardt, Vaterl. Geschichte des Elsasses, volume VI, 374 ; d'Ecquevilly, 1, 258 : Pichegru à Lémane, 1er déc. (A. G.).

[22] Rapport de Boullaud, adjudant-général, 2 déc. (A. G.).

[23] Pichegru à Lémane, 4 déc. (A. G.).

[24] Pichegru à Bouchotte et Demont au Comité 5 déc. (A. G.).

[25] Lettres de Renkin et de Pichegru (Moniteur du 17 décembre).

[26] Bulletin du bureau de la correspondance secrète, 8, 13, 14 déc. ; notes de Legrand (A. G.).

[27] Demont au Comité, 14 déc. (A. G.).

[28] Notes de Legrand (A. G.) ; Saint-Cyr, I, 178.

[29] Blanier à Bouchotte, 11 déc. ; Pichegru au même, 23 nov. (A. G.).

[30] Ferino (Pierre-Marie-Bartholomé), né le 20 août 1747, à Craveggia, dans le Haut-Milanais, avait servi vingt-deux ans l'Empereur. Il fut nommé, le 1er août 1792, lieutenant-colonel commandant de la légion de Biron ou bataillon des chasseurs du Rhin, général de brigade provisoire, le 20 juillet 1793, et général de division provisoire, le 23 août suivant. Mais on se défiait de lui à cause de son origine étrangère ; Pichegru écrivait (3 décembre 1793, A. G.) qu'il n'avait pas en lui une confiance absolue, et Lacoste voulait le remplacer par Saint-Cyr (Saint-Cyr, I, 183). Suspendu le 26 prairial an II par Hentz, relevé de sa suspension le 17 fructidor suivant, réintégré général de division le 11 ventôse an III, réformé le 25 fructidor an V, remis en activité le 29 thermidor an VI, Ferino entra au Sénat le 12 pluviôse an XIII. Il avait commandé la 3e division militaire (7 prairial an IX) ainsi que le corps d'observation de l'Escaut, et il fut quelque temps gouverneur d'Anvers (13 mars 1807).- Cf. sur son rôle à l'armée du Rhin en 1793. Wissembourg, p. 12, 54 (note), 196, 200. Il a été fort bon officier, disait Carnot, mais ses organes affaiblis depuis quelque temps le rendent médiocre ; il lui faut un adjudant-général entendu pour l'aider dans ses fonctions.

[31] A peine entrés à Bouxwiller et à Ingwiller, les républicains transformèrent les églises en temples de la Raison ; ils enlevèrent les autels et les bancs ; ils dressèrent UD arbre de la liberté, dansèrent la Carmagnole. Les habitants et les ennemis, écrivait-on à Paris, ne peuvent voir sans étonnement ces Français, si terribles dans les combats, chantant et dansant après la victoire. (Journal de la Montagne, n° 77.)

[32] Rapport de Girardon (A. G.). Augustin de Burcy était né à Caen, le 7 décembre 1748. Gendarme à la compagnie de Berri, puis à la garde (1771), réformé (1776), major de la garde nationale de Caen (1791), chef de brigade de la 2e division de gendarmerie organisée à Lunéville, général de brigade (11 sept. 1793), il avait été suspendu par le Conseil exécutif, le 15 novembre, en vertu du décret qui excluait des armées quiconque avait servi dans la garde du roi. Cf. Et. Charavay, Les généraux morts pour la patrie, 1893, p. 13.

[33] Hatry (Jacques-Maurice), né le 12 février 1742, à Strasbourg, fils d'un garde d'artillerie, avait fait ses éludes à Strasbourg, à Besançon et à Pont-à-Mousson. Lieutenant en second au 77e bat. ou de la Marck (2 oct. 1758), second lieutenant (11 août 1759), lieutenant (4 mars 1767), commissionné capitaine en second (20 mars 1778), capitaine-commandant (25 sept. 1782), capitaine des grenadiers (7 juin 1783), capitaine des chasseurs (1er sept. 1785), il fut nommé le 29 juin 1792, lieutenant-colonel du régiment où il avait toujours servi et fait les campagnes de Hanovre (1758-1762), de Corse (1768-1760) et des Indes (1781-1785). Destitué par Pache sur une dénonciation de ses soldats (20 déc. 1792), il fut réintégré par Beurnonville, sur la recommandation des députés alsaciens Laurent, Louis, Johannot et Hitler, et envoyé à l'armée du Rhin comme adjudant-général (8 mars 1793). Lacoste et Baudot lui donnèrent provisoirement, le 6 frimaire an II, le brevet de général de division, qui lui fut confirmé le 9 pluviôse suivant ou 28 janvier 1794. Il commanda en chef l'armée de l'intérieur (10 mars 1796), et celle de Mayence (9 déc. 1797) et fut inspecteur-général de l'infanterie de l'armée d'Angleterre (22 thermidor an VII). Il devait mourir le 30 novembre 1802. Ses notes sont très bonnes : connaissant bien la carte et les manœuvres de ligne, ayant une bravoure réfléchie, possédant toutes les qualités requises pour faire un bon officier général, excellent républicain. Jourdan le jugeait ainsi : Officier de mérite, qui maintient le bon ordre et la discipline parmi les troupes et veille avec soin à leur instruction ; il a commandé plusieurs fois trois et même quatre divisions et l'armée pendant mon absence ; il a de bonnes mœurs et est bon républicain.

[34] Cf. sur le capitaine Druges la 3e série des Causeries militaires du général Thoumas, 1891, p. 131-139 et son mémoire (A. G., 26 janvier 1794).

[35] Pierre est un bien brave homme, disait Pichegru, mais je ne sais si ses talents militaires sont fort étendus. Pourtant, Pierre reçut, le 17 février 1794, du Conseil exécutif, son brevet définitif de général de brigade.

[36] Blanier à Pichegru, 11 déc. (A. G.) Cf. sur Martignac, L'Expédition de Custine, 3 et 44, et sur Gelb, les Révolutions de France et de Brabant, de Cam. Desmoulins, n° 70, p. 207-208 : Gelb, soldat de fortune, parvenu à la pointe du mérite, n'était lié qu'avec les plus fanatiques aristocrates d'Alsace et sa maison était l'entrepôt de tous les écrits contre-révolutionnaires.

[37] Saint-Cyr, I, 159-177 ; d'Ecquevilly, I, 256-287 ; Romain, II, 502-524 ; Muret, L'armée de Condé, 1844, I, 180-203 (ne fait que reproduire, en les mêlant, le récit d'Ecquevilly et celui de Romain).

[38] D'Ecquevilly, I, 259 et 274.

[39] Wagner, 202 ; d'Ecquevilly, I, 275 ; rapport du capitaine d'artillerie Latournerie, 10 déc. et de la correspondance secrète, 11 déc. (A. G.) ; Moniteur du 17 décembre.

[40] Frimont (Maurice) né le 14 décembre 1747, à Gondreville (district de Toul), laboureur et fils de laboureur, dragon au régiment du Roi (18 mars 1764), fourrier (20 nov. 1776), maréchal-des-logis en chef aux chasseurs des Alpes (20 mars 1779], adjudant (24 sept. 1784), sous-lieutenant (14 mai 1786), lieutenant en second dans Royal-Liégeois (6 mars 1788), capitaine au 12e bataillon de chasseurs (11 juin 1788), adjoint aux adjudants-généraux (8 octobre 1793), fut nommé général de brigade provisoire, le 6 frimaire an II, par un arrêté de Lacoste et de Baudot, daté de Zutzendorf (d'après la connaissance qu'ils ont des talents militaires de Frimont et de la nécessité d'augmenter le nombre des généraux de brigade pour le service de l'armée). Il fut confirmé le 7 frimaire an III et réformé le 25 pluviôse an V. Reneauld lui donnait la note suivante : Mœurs pures et honnêtes, bon patriote, ancien, brave et intrépide militaire, connaît très bien la brigade qui lui est confiée.

[41] Saint-Cyr, I, 178-180 ; notes de Legrand ; lettre de Vialart, 17 déc. (A. G.).

[42] Pichegru à Bouchotte, 23 et 26 nov. (A. G.) ; cf. Valentini, 60, et Wissembourg, 105 (sur l'armée autrichienne).

[43] Cf. l'arrêté de Lacoste, p. 40 ; Pichegru à Bouchotte, 5 et 20 décembre ; Vialart à un Jacobin, 17 décembre ; Lainé, chef du 2e bataillon de la Charente-Inférieure à Pichegru, 9 décembre, Scherer à Lullier, 15 décembre ; Renkin et Berger à Bouchotte, 20 décembre (A. G.). Voici comment était composée l'armée du Rhin, d'après le rapport d'appel du 17 au 18 déc. 1793 : AVANT-GARDE (Desaix) : 1er bat. Corrèze, 1er bat. du 88e, 1er Jura, 1er Dordogne, 2e bat. du 75e, 2e bat. du 3e, 8e Jura, 8e Drôme, 12e Jura, chasseurs du Rhin, 11e inf. légère, 2e bat. du 37e, 2e Lot-et-Garonne, 11e Jura, 3e Haute-Saône, 4e Eure, 12e inf. légère, 10e du 75e, 7e hussards, 4e et 8e chasseurs à cheval, 11e et 17e dragons, une compagnie de hussards de Jemappes, un détachement du 14e cavalerie, 141 hommes d'art, volante. — Division Michaud : 1er bat. du 3e rég., 7e Drôme, 3e du Bec-d'Ambez, 1er Ain, 1er Doubs, 2e bat. du 93e rég., 4e Saône-et-Loire, 6e Doubs, 1er bat. du 46e rég., 3e Rhône-et-Loire, 10e chasseurs à cheval, 4e et 8e dragons. — Division Ferino : 1er bat. du 27e, 9e Vosges, 2e bat. du 46e rég., 10e Jura, 1er Haute-Saône, 10e Vosges, 6e et 7e inf. légère, 1er Indre, 10e Puy-de-Dôme, 2e bat. du 105e rég., 3e Indre-et-Loire, 1er bat. du 105e rég., 1er Lot-et-Garonne, 2e bat. du 27e rég., 15e Vosges, 5e et 11e hussards, 7e chasseurs à cheval, 2e, 11e et 19e cavalerie, 66 hommes d'artillerie volante, 2e bat. du 13e rég. — Division Hatry : 2e bat. du 2e rég., 1er bat. du 13e rég., 1er bat. du 24e rég., 10e et 2e bat. du 33e rég., 2e bat. du 103e rég., 2e Dordogne, 2e Moselle, 4e Manche, 6e Meuse, 20e comp. d'art, volante, canonniers de Paris, 1er de chasseurs, et 2e de carabiniers, 2e, 11e, 12e, 13e, 18°, 19, 20e, 23° de chasseurs à cheval, 2e, 4e, 6e, 7e, 8e, 10e de hussards. — Division Jacob (Lefebvre) : comp. franche de Metz, détachement du 2e chasseurs, 47 hommes d'art. légère, 4e rég., 1er Vosges, 2e Rhône-et-Loire, 4e Jura, 5e Seine-et-Oise, 7e Haute-Saône, 9e Doubs, 8e Ain, 2e bat. du 102e rég., 51 hommes de gendarmerie nationale. — Division Diettmann (Legrand et Donadieu) : 1re, 3e, 29e divisions de gendarmerie, 9e, 12e et 14e de cavalerie, détachement du 22e cavalerie, compagnie d'artillerie volante. — Artillerie (Ravel et Dorsner) : 5e rég. d'art., 1er Bas-Rhin, un bataillon d'ouvriers pionniers. — Quartier-général : 28 guides, le 2e Charente-Inférieure, 161 partisans — en tout, 39.542 hommes, force active.