LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

HOCHE ET LA LUTTE POUR L'ALSACE

 

CHAPITRE IV. — KAISERSLAUTERN.

 

 

I. Delaunay. — II. Hoche. — III. Plan du nouveau général. IV. Marche en avant. Mouvement rétrograde de Brunswick. Combat du 17 novembre. Hoche à Deux-Ponts. — V. Les Prussiens à Kaiserslautern. Journées des 28, 29 et 30 novembre. Retraite des républicains. Causes de leur échec.

 

I. Depuis plusieurs semaines, Schauenburg ne commandait plus l'armée de la Moselle. On rejetait sur lui la défaite de Pirmasens ; le représentant Cusset l'accusait d'avoir autrefois approuvé les desseins coupables de Bouillé ; lui-même demandait son rappel parce qu'il avait eu le malheur de naître dans une caste suspecte. Bouchotte le suspendit et le fit envoyer à l'Abbaye. Ehrmann, Richaud et Soubrany essayèrent de le justifier, protestèrent qu'il servait avec autant de probité que de talent et qu'il n'avait pris aucune part à l'assaut de Pirmasens ; ils durent s'incliner et reconnaître que sa suspension était la suite d'une mesure de bonne politique[1].

Les commissaires de la Convention avaient déjà proposé de remplacer Schauenburg par un jeune général de l'armée des Pyrénées-Orientales, d'Aoust : les circonstances militaires, disaient-ils, étaient plus pressantes aux bords de la Sarre qu'à la frontière d'Espagne. Sur le refus de Bouchotte, ils offrirent le commandement à René Moreaux ; mais Moreaux était malade et sa blessure se rouvrait ; ils nommèrent Delaunay[2].

Delaunay objecta qu'il serait accablé par le fardeau, qu'il n'avait ni santé, ni talents, qu'il conduirait bien 6.000 hommes, mais non 23.000. Il fut obligé d'accepter. Heureusement Brunswick ne l'attaqua pas. L'armée de la Moselle garda, pendant le généralat de Delaunay, c'est-à-dire pendant tout le mois d'octobre, les positions qu'elle avait prises à la fin de septembre. Mais elle était dans le désarroi le plus affreux, et de jour en jour sa situation empirait. Bouchotte prodiguait les destitutions ; il suspendait Tolozan, il suspendait Hédouville. Vainement Delaunay plaidait la cause de Tolozan : Tolozan n'appartenait à la caste proscrite que parce que son père était maître des requêtes ; il avait reçu deux blessures graves et gisait dans son lit ; c'était le seul officier de cavalerie qui lui restait. Bouchotte répondit que Tolozan devait être suspendu et que Delaunay trouverait de bons officiers de cavalerie dans les grades inférieurs. Mais, lorsque le ministre suspendit Hédouville, Delaunay se révolta : si quelqu'un, disait-il, signifiait à Hédouville sa suspension, ce serait le nouveau général qui pourrait indiquer des sujets capables de remplacer un chef d'état-major indispensable ; mais il jurait de conserver Hédouville tant qu'il exercerait le commandement. Lui-même sollicitait sans cesse les représentants de le décharger de ses fonctions. Il craignait d'être assailli par Brunswick ; il se plaignait de ses lieutenants qui n'avaient jamais manié de masses et ne savaient pas déployer une colonne ; il se défiait de son armée affaiblie et réduite à rien. Ne venait-il pas, après l'échec de Wissembourg, d'envoyer Burcy avec six bataillons dans les gorges de Saverne ? Aussi réclamait-il des renforts avec la plus vive instance[3].

Le 29 octobre il était, à son tour, suspendu par Bouchotte : Delaunay, avait écrit le commissaire du pouvoir exécutif Mourgoin, est un ambitieux sans moyens, sans caractère prononcé pour la Révolution ; et l'adjudant-général Sauveur Chénier le traitait d'intrigant, lui reprochait de n'avoir ni principes, ni moralité, ni sentiments républicains, ni capacité morale et physique ; l'armée, ajoutait Chénier, est dans les mains d'un ancien espion de la police parisienne, et elle court le plus grand danger. Pour la seconde fois, les représentants demandèrent le général d'Aoust. Mais Bouchotte et le Comité avaient fait leur choix, et le brevet de Lazare Hoche était signé[4].

 

II. Hoche eut honte un jour de la bassesse de son origine et le 12 pluviôse an III, lorsque le Comité de salut public lui demandait des renseignements sur ses premières années, il répondit qu'il était fils d'un militaire et négociant et qu'avant de servir, il avait été élève militaire. En réalité, il sortait de la plus humble condition. Son père, ancien soldat, était garde du chenil royal de Versailles, et sa tante qui lui servit de mère, une pauvre marchande de légumes. A quinze ans, il entra comme palefrenier surnuméraire aux écuries du roi[5]. Vigoureux, ardent, batailleur, il avait rossé plus d'une fois ses camarades dans la rue ; mais sur les bancs de l'école il se montrait curieux et avide de savoir. Il reçut d'un oncle, l'abbé Merlière, quelques notions de latin. Après avoir lu des récits de voyages, il résolut de courir les aventures. Le 19 octobre 1784, on lui propose de s'engager dans un régiment qui part pour les Indes. Mais le racoleur le trompe et l'enrôle aux gardes françaises. Hoche se résigne, apprend l'exercice, devient grenadier (23 novembre 1785), caporal (16 mai 1789), et dresse les recrues. Afin d'acheter des livres et de compléter son instruction, il bêche la terre, tire de l'eau, et, le soir, il brode des vestes et des bonnets de police qu'il vend dans un café du pont Saint-Michel. Non qu'il ait fui ses camarades et se soit sevré des bruyants plaisirs de son âge. Il eut des rixes et des duels. Il fut puni de trois mois de cachot pour avoir mis au pillage une maison de la banlieue où un de ses amis était mort dans un guet-apens. En 1783, sur la neige, près des moulins de Montmartre, il se battit au sabre avec un matamore du régiment, le caporal Serre, le blessa gravement et fut atteint au front. Comme ses frères d'armes, il se déclara pour la Révolution. Mais il ne manqua pas à son devoir militaire. Au 14 juillet il était de service à la caserne de la rue Verte ; il ferma la grille à la foule qui demandait des canons. Nommé le 1er septembre 1789, après le licenciement des gardes françaises, sergent dans la garde nationale soldée, il fut de ces grenadiers qui, au matin du 6 octobre, sur l'ordre de Lafayette et à la voix de Cadignan, défendirent le château de Versailles contre la multitude. Ardent fayettiste, il fit un soir arrêter au Théâtre Français le boucher Legendre qui refusait de se découvrir pendant l'entr'acte selon la consigne. Legendre, outré de colère, provoqua le sergent qui menait, disait-il, par la bride le cheval blanc de Lafayette. Mais, sur le terrain, Danton, témoin de Legendre, empêcha le combat et força les deux adversaires à s'embrasser. Le 1er janvier 1792 Hoche entrait comme adjudant sous-officier au 104e régiment d'infanterie. Servan, son colonel, l'apprécia et durant son premier ministère, après une revue aux Champs-Elysées où il remarqua la belle tenue de Hoche et la précision de ses commandements, lui remit un brevet de lieutenant au 58e régiment, ci-devant Rouergue (18 mai 1792). Le jeune homme quitta Paris au grand regret de ses camarades ; il a, disait le conseil d'administration du 104e, réuni aux connaissances et talents militaires autant de zèle que d'exactitude ; on ne peut ajouter à la manière distinguée avec laquelle il s'est comporté, et son avancement dans le régiment de Rouergue peut seul nous consoler de sa perte. Le 58e se trouvait à Thionville, et ce fut au siège de cette place, dans le mois de septembre 1792, que Hoche commença son apprentissage de la guerre : il allait, ainsi que Sémélé, faire le coup de feu avec les vedettes ennemies. Nommé capitaine (1er septembre 1792), puis aide-de-camp du général Le Veneur (3 mars 1793), il prit part à l'expédition de Belgique. Le Veneur lui confia plusieurs missions importantes. Il le chargea, lors de l'investissement de Maëstricht, de ramener des vivres et des fourrages, et, après l'échec d'Aldenhoven, de sauver les provisions de poudre. Il l'envoya dénoncer à la Convention la trahison de Dumouriez, et pendant son séjour à Paris, Hoche se lia d'amitié avec Marat. Il avait déjà, du camp de Bruille, écrit à son cher Marat, à l'incorruptible défenseur des droits sacrés du peuple, pour accuser Valence qu'il regardait comme l'auteur de tous les revers : Valence n'avait pas pris la peine de surveiller les préparatifs du siège de Maëstricht ; Valence n'avait pas occupé les hauteurs de Liège jusqu'à l'évacuation complète des magasins ; Valence n'avait donné des pièces de position à l'armée des Ardennes, dans la bataille de Neerwinden, que vers cinq heures du soir ; Valence avait forcé Lamarche, qui pleurait de rage, de lâcher Oberwinden ; il avait confié l'administration des vivres au royaliste Soliva ; sûrement, Valence ne viendrait pas au secours de la République.

Hoche désirait le grade d'adjudant-général. Il mit tout en œuvre pour l'obtenir, et ce fut dans le journal de Marat, devant le public, qu'il exposa ses titres. Depuis son enfance, disait-il, il servait son pays ; depuis dix ans, il n'avait négligé aucune occasion de s'instruire de tous les détails de son métier. Il avait passé deux années aux gardes-françaises et deux autres années dans la garde nationale parisienne ; il avait commandé l'avant-garde lorsqu'on fut chercher Capet à Versailles ; il avait fait la guerre comme adjudant à l'état-major, sauvé les munitions devant Maëstricht, rallié et conduit au feu dans le mois de mars plusieurs bataillons ; il était aide-de-camp de Le Veneur. Et on ne le nommait pas adjudant-général ! Ô France, s'écriait-il, ô ma patrie, quels sont tes défenseurs ? Est-il vrai ou non que nous soyons régénérés ? Sommes-nous revenus au temps où la noblesse ou la parenté d'un général dispensaient du mérite ? Et il accusait le Conseil exécutif de distribuer les fonctions au hasard et de n'appeler aux emplois supérieurs que les traîtres, les fripons, les intrigants, les suppôts de l'ancien régime, les êtres bas et rampants qui assiégeaient le cabinet ministériel et attrapaient les grades par l'importunité. Les patriotes qui les premiers, avaient abandonné Dumouriez et ramené par leur exemple l'armée française aux drapeaux de la République, n'étaient pas récompensés. Des jeunes gens qui n'avaient que quinze mois de services étaient promus adjudants-généraux au détriment des militaires expérimentés. Il semblait que la place d'adjudant-général convint à tous ces danseurs et souteneurs de tripot.

Enfin, le 45 mai 1793, grâce à Xavier Audouin, adjoint du ministre Bouchotte, Hoche reçut le grade d'adjudant-général chef de bataillon, et en remerciant Audouin, il jurait de consacrer sa vie à la République.

La générosité de son âme faillit briser son avenir. Il aimait tendrement Le Veneur et le nommait son père. Lorsqu'il apprenait l'arrestation du général dans les premiers jours d'avril, il écrivait à Danton : Quel est son crime ? Où sont ses dénonciateurs ? Rendez-le à son armée dont il possède la confiance. C'est un acte de justice auquel vous ne pouvez vous refuser. Et puis, quelle jouissance que celle de mettre en liberté l'homme innocent et de le rendre à son épouse et à ses enfants ! Le Veneur fut relâché et renvoyé à l'armée du Nord. Mais Hoche était mécontent. Quoi ! Le Veneur allait servir sous Dampierre qui n'était que colonel lorsqu'il était déjà général de division ! Et Hoche posait à Marat le dilemme suivant : ou Le Veneur a la confiance ou il ne l'a pas ; dans le premier cas, il doit prendre son rang ; dans le second, on ne peut l'employer. Sa colère éclata lorsqu'il sut que Le Veneur était arrêté de nouveau. S'il existe, avait-il dit à Marat, trois généraux patriotes, Le Veneur en est un, et le 31 juillet, il s'écriait publiquement : Il vaudrait mieux que Cobourg commande nos armées ; nos généraux seraient traités avec plus de douceur que par ces messieurs-là ! On répéta le propos. Les représentants Delbrel, Le Tourneur et Cochon enjoignirent à Kilmaine de suspendre Hoche et de le traduire devant le tribunal révolutionnaire du Nord qui siégeait à Douai. Il comparut le 20 août ; mais les témoins rapportèrent diversement ses paroles ; ses amis louèrent son républicanisme et sa valeur ; il fut acquitté.

Il était sûr d'être absous. Dès le 8 août, jour de son arrestation, il écrivait à Audouin pour lui marquer sa surprise. Était-ce un crime de dire que Pitt soudoyait des hommes dans l'armée et que si Cobourg y donnait des ordres, les affaires n'iraient pas plus mal ? Hoche n'avait-il pas proclamé la vérité ? Le Conseil exécutif ne partageait-il pas son opinion puisqu'il avait destitué un grand nombre d'officiers suspects ? C'est ainsi, ajoutait Hoche, qu'en se heurtant les patriotes se divisent. J'étais au poste de l'honneur. J'en suis tiré pour un propos que vous avoueriez. Et il priait Audouin d'attester son civisme aux commissaires de la Convention et notamment à Cochon. Cette lettre émut les bureaux de la guerre et le 16 août le secrétaire-général Vincent mandait à Houchard qu'il fallait relâcher Hoche pour sa faute prétendue.

L'arrestation de Hoche lui fut donc plus utile que nuisible. Elle rappela l'attention sur lui, et il annonçait superbement à Audouin qu'il avait triomphé de l'intrigue : prêchant la doctrine que j'ai toujours professée, je devais m'attirer naturellement la haine des hommes de boue contre lesquels je criais. Le tribunal a prononcé que je m'étais montré comme un franc et loyal patriote. L'acte d'accusation était aussi ridicule que le procès de mon pauvre Marat, ma défense fut pareille à la sienne et j'ose vous dire que je fus déchargé aussi honorablement.

Sur l'ordre de Berthelmy, chef d état-major de Houchard, il se jeta dans Dunkerque pour seconder Souham. Ses services furent si grands que Souham l'appela son bras droit. Il encourageait la garnison, semonçait les négligents, s'efforçait de patriotiser les esprits, ramenait au devoir les matelots insurgés ; il s'est comporté, disaient les commissaires de la Convention, avec une bravoure et une intelligence rares. Il eut aussitôt sa récompense. Les représentants Trullard et Berlier lui avaient, le 10 septembre, conféré le grade d'adjudant-général chef de brigade. Bouchotte, plus généreux, le nomma trois jours plus tard (13 septembre) général de brigade. Hoche se hâta de justifier la faveur du ministre. Il était à la prise de Furnes. Il mit le siège devant Nieuport et il sommait cette ville de se rendre aux armées victorieuses de la République française à qui tout doit céder, lorsqu'il fut envoyé sur les rives de la Sarre.

Ses lettres et ses mémoires le signalaient depuis quelques semaines au Comité de salut public. Hoche écrivait que Dunkerque ne pourrait, sans un nombreux secours, résister longtemps aux alliés et il montrait l'extrême importance d'une place dont la chute entraînait la perte de Bergues et de Gravelines. Il exposait avec force une des idées favorites de Carnot, qui était de marcher sur Ostende pour fermer aux Anglais la porte de retour. Il traçait un plan d'opérations : cessons de nous disséminer, réunissons-nous en masse et allons renouveler la scène de Fontenoy ! Carnot lut ce mémoire et s'écria devant ses collègues du Comité : voilà un officier qui-fera du chemin !

Enfin, Hoche entrait en correspondance avec Robespierre. Il l'appelait le génie tutélaire de la France, lui affirmait la haute opinion qu'il avait conçue de ses talents et de ses vertus ; il combattrait toute sa vie et verserait son sang pour la cause que Robespierre illustrait. Et le conventionnel faisait allusion à Hoche lorsqu'il assurait aux Jacobins que l'armée du Nord avait des chefs patriotes qui lui redonneraient la victoire et que celle de la Moselle aurait un général qui s'était toujours montré sans-culotte.

On avait nommé Hoche chef de l'état-major de l'armée des Ardennes (22 septembre) ; on se ravisa. Le 1er brumaire ou 22 octobre, le Comité de salut public décidait que Hoche prendrait, en qualité de général de division, le commandement de l'armée de la Moselle. Audouin avait, cette fois encore, poussé Hoche et déterminé le choix de Bouchotte et de Carnot ; si j'ai mérité ton estime, lui marquait son protégé, je suis jaloux de la conserver ; dis bien aux patriotes que le plus chaud et le plus fidèle défenseur du peuple est à la tète d'une des armées de la République, grâce à tes soins et à la confiance du ministre[6].

Ce général de vingt-cinq ans avait l'extérieur du commandement et la nature le marquait du sceau de l'autorité ; une taille de cinq pieds sept pouces, des épaules fortes et bien effacées, la poitrine un peu raide et bombée, une démarche imposante, des yeux noirs très perçants qui discernaient les objets à une grande distance sans l'aide d'une lorgnette, une figure qui respirait l'esprit avec je ne sais quoi de sévère et de sombre qu'il tâchait vainement d'adoucir. La cicatrice qu'il avait gardée de son duel avec le caporal Serre, rehaussait encore sa mine martiale. On répandait le bruit dans le camp de Sarrebrück qu'il était fils d'apothicaire. Les soldats s'étonnèrent de voir un homme à l'air militaire et républicain. La surprise augmenta lorsqu'ils eurent connaissance de ses proclamations. Tout se tenait en Hoche : non seulement l'attitude et le geste, mais le ton, la parole, la plume. Il avait le ferme et viril accent de la conviction. Sa langue était cette, vive, pleine de nerf et de vigueur, l'image même de sa pensée. On le sentait animé du feu sacré. Dès le premier entretien, l'adjoint Grigny, rédacteur du journal qui s'imprimait à l'armée, l'Argus de la Moselle, déclara qu'on sortirait bientôt de l'engourdissement : notre nouveau général m'a paru jeune comme la Révolution, robuste comme le peuple ; il n'a pas la vue myope comme celui qu'il vient remplacer ; son regard est fier et étendu comme celui d'un aigle ; espérons, mes amis ; il nous conduira comme des Français doivent l'être ![7]

Mais le nouveau général manquait d'expérience. IL avait l'ardeur imprudente et la fièvre de la jeunesse. Vif, impétueux, trop confiant en lui-même, il ne doutait de rien. Il disait à Pichegru qu'il tenait les ennemis à la gorge et allait les saigner. Une autre fois, il annonçait de la façon la plus tranchante qu'il était mécontent de l'artillerie, qu'il n'aurait plus de canons dans son armée, que l'infanterie et la cavalerie suffisaient à la victoire, et comme Debelle protestait, Hoche, par égard pour lui, consentait à garder l'artillerie volante. Il avait les défauts de l'officier de fortune, de la jactance, de la vulgarité. Lorsqu'il éprouvait une contradiction violente, il mordait avec force ses doigts sur les plis des secondes phalanges. Il traitait les Austro-Prussiens d'esclaves, de vils satellites des tyrans, de suppôts des brigands couronnés, de monstres, et ne parlait de leurs hordes qu'avec mépris. Il tutoyait Brunswick ; je te propose, écrivait-il au duc, en lui demandant l'échange des prisonniers. Il n'avait pas encore dépouillé la rudesse jacobine et voulait plaire aux montagnards qui l'avaient nommé, affectait la même négligence dans le costume, le même cynisme dans le parler. Sa correspondance de cette époque rappelle fréquemment le Père Duchesne, tant elle renferme de jurons, d'expressions triviales qui sentent le bivouac. Mais il était homme à s'amender. Sur les conseils du bon Le Veneur qui le priait de ne plus prendre le mot d'ordre des bureaux de la guerre et de renoncer à l'éloquence d'Hébert, et surtout pendant son séjour à la Conciergerie où il connut de près la société de l'ancien régime, il se défit de cette grossièreté de langage et de mœurs[8]. Sa juvénile outrecuidance disparut après la campagne d'Alsace. Les leçons que Brunswick lui donna sur le champ de bataille et notamment l'éclatante correction de Kaiserslautern le guérirent de sa présomption et de sa témérité. Il devint plus rassis, plus réfléchi. Quatre mois de marches et de combats, quatre mois où il dut prendre les soins les plus variés et pourvoir à tout sans cesse ni relâche, fortifièrent et mûrirent son jugement. Il avoua que sa jeune tête l'avait trop souvent emporté. Il apprit à ne plus médire de l'artillerie et à ne plus dédaigner l'adversaire. Il avait du tact, de l'énergie, le désir d'approfondir l'art de la guerre, et il était né pour mouvoir les armées : il sut être sévère à propos ; il sut inspirer le respect à ses lieutenants et entraîner les soldats ; il sut juger le terrain et en tirer parti pour l'attaque et la défense. Ses fautes mêmes le formèrent, et dès la fin de son expédition du Palatinat, il était passé maître en stratégie[9].

 

III. Hoche avait pris le commandement au 31 octobre. Il visita les positions et parcourut les cantonnements. L'armée était répandue çà et là sur une lisière de vingt lieues, sans force, ni consistance, sans aucune règle militaire, connaissant à peine les chefs, abattue par les revers, absorbée de stupeur, frappée de son état de nullité, paralysée, manquant de tout, de chevaux, de fourrages, de souliers. La plupart des officiers ne faisaient qu'intrigailler, et Hoche prévoyait qu'il aurait à lutter au dedans et au dehors.

Trois semaines lui suffirent pour réorganiser les troupes, les retirer de la léthargie, leur assigner leur place dans l'ordre de bataille, les mettre en état de recommencer la campagne. Sa proclamation du 5 novembre, pleine de mots énergiques et de phrases saisissantes, est une des plus brûlantes de nos harangues guerrières : De toutes parts nos armées sont triomphantes. Nous sommes les derniers à vaincre, mais nous vaincrons. Des patriotes tels que vous, lorsqu'ils sont disciplinés, pour réussir ; n'ont qu'à entreprendre. Nous allons propager la liberté. Vous avez déjà fait de beaux sacrifices pour elle ; mais que ne devez-vous pas faire encore ? Croyez que cette fois nos conquêtes ne seront pas vaines. Vous battre et profiter du triomphe est votre partage. Réjouissez-vous : donc aujourd'hui même, et entrons dans la terre promise, mais, Français, pour ne plus la quitter ![10]

Il tenait un langage semblable aux officiers et aux généraux. Il les engageait à surveiller sans cesse, à observer scrupuleusement les lois, à recevoir avec bonté les plaintes des inférieurs. Il leur donnait des conseils pour un jour de bataille : mener prudemment les troupes, mais une fois qu'elles seraient lancées, ne s'arrêter qu'après avoir obtenu la victoire ; éclairez-vous bien et frappez de même ; la baïonnette étant la seule arme qui convienne à la bravoure française, faites-en usage le plus possible.

Ce vigoureux appel réveilla les âmes. Hoche y joignit la menace et la rigueur. Il annonça qu'il destituerait les chefs de corps qui s'échapperaient du camp pour coucher dans les villes ou les villages et les généraux qui ne rendraient pas compte de cette coupable conduite. Il destitua les chefs de brigade du 9e et du 43e régiment. Des exemples exercés sur les mutins et les pillards achevèrent de raffermir la discipline et de réprimer les excès. L'ordre se rétablit. Les soldats eurent confiance ; les officiers comprirent leurs devoirs. Tous les ressorts longtemps relâchés se tendirent ; la machine, comme disait Hoche, se monta et en un instant, sous une main puissante, elle marcha[11].

Cependant il préparait la défense de son arrondissement. Il mettait un bataillon avec une pièce de 8 et un obusier en avant de la Petite-Pierre dans les gorges de Saverne. Puis il se rendait à Phalsbourg. Les gens lui parurent les plus froids du monde et il jugea la contrée horriblement fanatisée : il se hâta de déclarer la ville en état de siège ; il fit réparer les remparts et abattre quelques bicoques qui nuisaient au service de la place ; il nomma un commandant temporaire qui raviverait l'esprit public.

Mais avant tout il devait, conformément aux ordres de Bouchotte et de Carnot, marcher au secours de Landau dont il recevait des nouvelles de plus en plus alarmantes. Les ennemis projetaient évidemment d'affamer la forteresse et de la prendre sans brûler une amorce, d'hiverner ensuite sur le territoire de la République à la barbe des deux armées et de commencer la prochaine campagne, soit en forçant les postes de la Sarre, soit en pénétrant dans le département de la Meurthe par Saverne et Phalsbourg. Il fallait donc les chasser à tout prix ; il fallait les rincer sans délai ni retard, et débloquer Landau[12].

Hédouville était encore chef de l'état-major. Hoche désirait le garder. Il l'avait apprécié dans sa tournée à travers les cantonnements et il l'employa plus tard en Vendée. De tous les officiers de l'armée de la Moselle, Hédouville était celui qui possédait le mieux les détails du service. Représentants et généraux n'assuraient-ils pas qu'on ne pouvait lui donner un successeur ? Je vous prie de me le laisser, disait Hoche à Bouchotte, je le surveillerai de si près qu'au moindre mot il sera pincé. Mais le ministre et le Comité ne voulaient d'Hédouville à aucun prix. Bouchotte ordonnait plus impérieusement que jamais de mettre de vrais sans-culottes à la place des officiers nobles. Le conventionnel Hentz écrivait qu'on avait tort de s'engouer d'Hédouville et que cet homme d'ancien régime communiquait aux ennemis ses dispositions. Le Comité répétait qu'il avait suspendu Hédouville parce que Hédouville ne méritait pas la confiance ; dans une République, ajoutait-il, l'obéissance à la loi était le premier des devoirs, le général qui refusait d'exécuter un ordre de suspension se rendait coupable, et les représentants qui autorisaient ce refus, compromettaient la patrie, dérangeaient toutes les mesures de salut. Hoche fut un instant embarrassé. Comment faire, s'écriait-il ; ceux qui ont pour deux sous de talent sont suspects et dénoncés par ceux qui sont totalement incapables ! Il eut l'air de sacrifier Hédouville ; je n'ai pas plus que toi confiance en Hédouville, marquait-il au ministre, je déteste la caste. Mais, avec la permission de Richaud et de Soubrany, il conserva son chef d'état-major quelques jours encore pour profiter de ses derniers et bons offices dans l'entreprise qu'il méditait contre Brunswick[13].

L'actif et intelligent Hédouville lui était d'autant plus nécessaire que les généraux se faisaient rares. Le meilleur de tous, René Moreaux, allait, sur les conseils du chirurgien Larrey et du consentement des commissaires, rétablir sa santé à Thionville et commander tranquillement la frontière de Sarrelouis à Longwy. Hoche avait, suivant son expression, des affaires du diable ; il respirait à peine ; il devait tout mâcher à ses lieutenants, et à la honte de l'humanité, il ne savait à qui confier sa deuxième colonne. Il obtenait la destitution de Lequoy, de ce Lequoy que Hentz déclarait inepte, imbécile, indigne de conduire de braves soldats et que Grigny nommait une mâchoire dans toute l'étendue du terme. Mais le général de brigade qui devait remplacer Lequoy ne s'avisait-il pas de décliner cet honneur[14] ?

 

Hoche ne se rebuta pas. Je suis chargé d'une rude tâche et peu secondé. Eh bien, je serai partout, trop heureux de servir mon pays aux dépens d'un peu de repos, et il affirmait son espoir dans le succès : c'est égal, cela ira comme ça et mieux, je l'espère[15].

Il fit le rassemblement à Sarralbe et non pas à Bouquenom qui était un trou[16]. Des renforts lui venaient :-15.000 hommes de l'armée du Rhin et 5.000 hommes de l'armée des Ardennes[17]. L'armée de la Moselle, jusqu'à lors affaiblie par les détachements qu'elle avait envoyés à Saverne et en Flandre, comptait maintenant près de 40.000 soldats.

Mais, dès le début, Hoche commit une faute grave. Son but était précis et simple : débloquer Landau. Il devait donc lier étroitement ses dispositions avec celles de Pichegru. Que les deux armées de la Moselle et du Rhin mettent de l'ensemble dans leurs opérations ; que la droite de Hoche s'unisse à la gauche de Pichegru ; que les deux généraux pénètrent dans les Vosges et se jettent entre les Prussiens et les Autrichiens ; qu'ils saisissent le moment où les alliés gagnent leurs quartiers d'hiver et s'installent à peine dans leurs cantonnements ; qu'ils profitent de l'immense étendue des lignes ennemies pour frapper un grand coup ; qu'ils pèsent de toute la masse de leurs troupes sur un seul point, à Reichshoffen, à Lembach[18], et ils brisent la barrière que leur opposent les coalisés, ils rompent le cercle qui entoure Landau.

Hoche fit tout le contraire. Il était jaloux de son indépendance, et dans sa juvénile présomption, il crut qu'à lui seul, il déciderait du sort de la guerre ; il s'éloigna de Pichegru et descendit la Sarre pour tomber sur la droite des Prussiens.

Quatre routes conduisaient à Landau. Deux d'entre elles, partant de Bitche, aboutissaient à Wisssembourg : l'une par Niederbronn, Reichshoffen, Frœschwiller, Wœrth et Soultz, l'autre, par Obersteinbach, Niedersteinbach, Lembach et Climbach. La troisième allait de Deux-Ponts à Pirmasens et traversait les gorges d'Annweiler. La quatrième, plus au nord, menait de Hombourg à Kaiserslautern par Landstuhl, et de Kaiserslautern par Hochspire, Weidenthal et Neustadt derrière Landau.

Le général prit, non pas la route de Wissembourg, mais celle de Pirmasens et de Kaiserslautern. Sans doute, Pichegru ne fit aucune objection à son collègue, et tous deux agirent avec l'accord le plus parfait. Sans doute Hoche dut chercher les Prussiens où ils étaient et les suivre à Kaiserslautern puisqu'ils allaient s'y retrancher. Sans doute, en s'assurant de Kaiserslautern, il enlevait d'un tour de main le Palatinat et terminait la campagne, puisque l'ennemi, resserré dans un espace très étroit et recogné, pour ainsi dire, entre deux armées, se hâterait de repasser le Rhin. Mais, avec les troupes dont il disposait, dans la montagneuse et si difficile région de Kaiserslautern, il ne pouvait qu'échouer contre un adversaire tel que Brunswick qui saurait prendre de sages et vigoureuses mesures de résistance. Comme l'a répété Saint-Cyr, il eut bien mieux fait de marcher sur la gauche de Pichegru[19].

Après avoir manié et remanié son plan durant quelques jours, Hoche fixa la route de ses colonnes. Un corps de 6.000 hommes se posterait dans les gorges d'Annweiler, mais d'abord il resterait sous Bitche et, tenant ferme à son poste, il serait le pivot sur lequel tournerait l'armée. 36.000 hommes que Hoche commandait en personne et qu'il nommait l'élite de la sans-culotterie, refouleraient les Prussiens et les chasseraient de Blieskastel, de Hombourg, de Deux-Ponts pour se diriger ensuite sur Kaiserslautern et Neustadt. Quant à l'armée du Rhin, elle harcèlerait quotidiennement les Autrichiens, les tiendrait sans cesse en haleine par des attaques simulées, et lorsque Hoche serait entré dans le Palatinat, leur livrerait une bataille décisive[20].

 

III. Le 17 novembre l'armée de la Moselle se mit en marche. La veille, Hoche avait informé Bouchotte de ce mouvement. Pichegru a pleinement approuvé mon dernier projet. Il attaque demain suivant ma proposition, et tu sens qu'ayant monté les troupes, il serait dangereux d'attendre. J'espère beaucoup. Je croyais n'être prêt que pour le 18. J'ai forcé la main aux administrations pour attaquer, et j'attaque aussi et vigoureusement, je l'assure. Tous ses lieutenants avaient reçu les instructions les plus chaleureuses, les plus énergiques. Fonds sur l'ennemi comme l'aigle sur sa proie, disait-il à Vincent, et frappe si vigoureusement qu'aucun de ceux qui s'échapperont ne soit tenté de revenir à la charge. Et au général Leval : Je ne puis faire reposer tes braves compagnons : dis-leur que je suis bien peiné de les fatiguer aussi cruellement, mais que la patrie est là, et qu'elle est tout. Il mandait au général Ambert : Ecoute, bougre de sans-culotte. Voulant profiter de l'état de sécurité des ennemis, je me mets en marche demain 17, au lieu d'attendre le 18 comme un j... f..... pars donc le 17 aussi, mais à deux heures du matin, prends tes mesures en conséquence. Tes braves troupes, je le sais, sont fatiguées. Mais la patrie et l'honneur les engagent à faire des sacrifices. Tu les conduis à la gloire, et cela suffit pour enflammer les patriotes. Donne-leur l'eau-de-vie ce soir et demain matin, et ça ira. Presse ton attaque, avance le plus possible. Je compte sur toi. N'arrête point que tu ne m'aies rencontré. Adieu. De la vigueur, f....., de la vigueur ! Il écrivait à Dubois et à Paillard : L'urgence, la gloire des armes de la République et la connaissance que j'ai du zèle et de la bravoure des généraux Dubois et Paillard, me font espérer qu'ils frapperont de grands coups et que je serai secondé par eux dans le désir que j'ai de vaincre les ennemis. Il apprenait que l'ennemi s'était fait moucher à Bitche et il félicitait la garnison de la place : Camarades, on m'a rendu compte de la manière dont vous avez reçu les esclaves des tyrans ; la récompense d'une Donne action est dans le cœur des républicains. De ce côté aussi les républicains ont rempli leur devoir et ça va ![21]

A peine avait-il ébranlé ses troupes qu'il voyait l'ennemi reculer de toutes parts. Hoche poussait un cri de joie. Ils avaient donc peur, ces fameux Prussiens ! Ils n'osaient l'attendre ! Ils redoutaient l'attaque de ses colonnes ! Les satellites des rois connaissaient la pesanteur des bras républicains ! Brunswick comprenait qu'il n'était plus question de transiger !

En réalité les Prussiens allaient entrer dans leurs cantonnements et opéraient, suivant une expression de l'état-major, non pas une retraite, mais un changement de position. Tout annonçait depuis quelques semaines cette résolution de Brunswick. Le temps devenait affreux et le service des subsistances difficile. Devait-on demeurer sur la Sarre et ne valait-il pas mieux gagner l'Erbach et la Blies ? Delaunay ne prévoyait-il pas que les Prussiens ne resteraient plus longtemps dans le Deux-Ponts qu'ils avaient absolument mangé, et qu'ils ne tarderaient pas à prendre leurs quartiers d'hiver ? Ne mettait-il pas sa propre cavalerie en cantonnement ? N'ordonnait-il pas de faire baraquer toutes les troupes pour les garantir des intempéries de la saison ? Hoche ne disait-il pas que ses soldats étaient dans la boue jusqu'au cou et qu'ils préféraient marcher pour en finir, que, s'il avait la position de Hornbach, il ne pourrait la tenir par cette température, en un pays horrible et dans des chemins détestables[22] ?

Brunswick avait donc abandonné Wœrth et réoccupé le camp d'Eschweiler où il était avant la prise des lignes, puis, après sa tentative inutile contre le fort de Bitche, il avait prescrit à ses lieutenants de quitter lentement les bords de la Sarre et de se rapprocher des magasins qu'il avait sur le Rhin.

Le 17 novembre, Knobelsdorf reculait sur Saint-Imbert et Kalkreuth sur Biesingen. Mais, dans cette même matinée du 17 novembre où les Prussiens commençaient leur marche rétrograde, les Français débouchaient de tous côtés. Ambert s'avançait avec 8.000 hommes de Sarrelouis sur Tholey. Vincent, parti de Sarrebrück, se mettait aux trousses de Knobelsdorf. Taponier et Hoche, venant de Sarralbe et de Sarreguemines, s'attachaient à Kalkreuth.

Kalkreuth s'arrêta et livra combat. Il n'avait que 7.000 hommes ; mais ces 7.000 hommes, bien exercés, pleins de sang-froid et inébranlables au feu, soutinrent sur tous les points durant une journée entière, sans broncher ni perdre un seul pouce de terrain, l'attaque de 20.000 ennemis. Trois bataillons repoussèrent la brigade du général Lombard qui fut fait prisonnier[23]. Six compagnies de Crousatz qui couvraient sur le monticule de Wolfersheim l'espace compris entre Biesingen et Blieskastel, furent assaillies vers le soir par plusieurs régiments de cavalerie, carabiniers, dragons, hussards d'Esterhazy. Les hussards avaient un habit-bleu clair qui ressemblait à l'uniforme saxon ; ils parlaient allemand et se donnèrent pour amis ; ils abordèrent aisément les tirailleurs prussiens, puis chantant le ça ira, les mirent en fuite et, le sabre au poing, fondirent sur la petite troupe que commandait le colonel Kameke. Le major Strantz cria vainement aux artilleurs de décharger leurs pièces ; ils se jetèrent à terre sous leurs canons et les charretiers se sauvèrent avec les chevaux. Strantz, qui refusait tout quartier, fut égorgé. Deux compagnies furent enfoncées. Mais ce qui restait du bataillon se forma rapidement en carré ; chaque fantassin tira dix à quinze balles et, dit un officier, ce feu de billebaude sans ordre et sans ensemble, inquiète plus les chevaux que le feu de salve. La cavalerie française tourna bride. Une seconde fois elle revint à la charge : elle fut refoulée de nouveau et laissa sur le lieu de l'action les canons qu'elle avait pris. Elle entraînait avec elle le colonel Kameke ; mais Kameke avait perdu dans la mêlée son chapeau galonné et il portait un manteau bleu pareil à celui des carabiniers ; on ne le reconnut pas et il reparut à la fin de l'affaire sans la moindre blessure[24].

Le lendemain 18 novembre, suivant ses instructions, Kalkreuth se retirait sur Hombourg, et les républicains, se proclamant vainqueurs, entraient dans Blieskastel. Les Prussiens, écrivaient les représentants, n'ont pas jugé à propos de nous attendre, et Hoche mandait qu'il les avait frottés et qu'il les envoyait souper à Hombourg et à Deux-Ponts. Les sans-culottes, disait-il, ont repoussé les bien-vêtus. Il ajoutait qu'on agissait révolutionnairement à Blieskastel et qu'on enlevait le luxe des temples. Les bêtises romaines étaient-elles agréables à l'Éternel ? Quel autre hommage exigeait-il que la pureté du cœur[25] ?

Brunswick était encore à Eschweiler. Lui aussi, comme Kalkreuth, rétrograda dans la journée du 18 novembre ; et gagna Deux-Ponts en appuyant son aile droite aux L hauteurs de Bubenhaus. Mais le 19, Hoche faisant sa jonction avec Vincent, engageait contre le Bubenhaus une vive canonnade, et Taponier, marchant à droite, se dirigeait sur le fameux camp de Hornbach. La canonnade du Bubenhaus fut une des plus violentes et des plus inutiles de cette campagne de 1793 qu'on a nommée la campagne des canonnades. Les Prussiens y perdirent quelques chevaux d'artillerie. Mais pendant ce temps Taponier chassait de Hornbach les troupes légères de Brunswick et s'avançait, comme René Moreaux deux mois auparavant, dans la direction de Pirmasens. Brunswick fut pris d'inquiétude. Les Français allaient-ils s'emparer de Pirmasens, s'emparer de la vallée d'Annweiler, s'emparer de la route de Trippstadt ? Faudrait-il alors lever le siège de Landau, terminer honteusement la campagne et tromper les espérances de Wurmser qui reprocherait aux Prussiens de lui ravir ses lauriers ? Le duc résolut d'abandonner le Bubenhaus et, au lieu de prendre ses quartiers d'hiver derrière la Blies et l'Erbach, de se retirer par Landstuhl et Pirmasens sur sa position favorite de Kaiserslautern, au centre de toutes les communications du pays entre Rhin et Moselle.

Son état-major l'approuva. Quel but se proposaient les Prussiens, sinon de couvrir le blocus de Landau ? L'investissement de ce boulevard de l'Alsace n'était-il pas la boussole des opérations ? Que serait toute autre entreprise sinon une lubie, une chimère, une fantaisie insensée ? Il est vrai, on pouvait tenir le Bubenhaus plusieurs jours encore et s'amuser à canonner les carma- gnoles. Mais à quoi servait de défendre une montagne qui n'était, somme toute, qu'une tête de pont sur l'Erbach ? Trois partis, disaient les officiers, s'offrent à nous : 1° accepter la bataille sur le Bubenhaus ; 2° nous jeter sur les Français ; 3° nous retirer. Mais recevoir la bataille, c'était lutter dans une position où les ennemis avait tout l'avantage de leur côté ; c'était courir les chances d'une défaite dont les conséquences sont incalculables, et même si le duc de Brunswick remportait la victoire, la postérité ne lui pardonnerait jamais d'avoir livré combat sur un pareil terrain (sic) ! Attaquer les patriotes ? Mais il faudrait assaillir de front les postes de Blieskastel et de Hornbach qu'on venait de lâcher ; il faudrait, ces postes enlevés et avec quelle peine ! marcher une seconde fois sur Bildstock et Saint-Imbert ; il faudrait recommencer toutes les opérations et à la date du 2d novembre ouvrir une nouvelle campagne. Non, ajoutaient Grawert, Massenbach et les théoristes, il ne reste d'autre parti que de quitter l'Erbach et la Blies pour s'établir solidement derrière la Glan et la Lauter. Sans doute, on pourrait occuper sur l'Erbach la hauteur de Nonnenbusch et le, Kreuzberg ; mais, dans ce cas, on devrait, pour ne pas être tourné, garnir aussi le Schöneberg ; on éparpillerait l'armée ; on ne serait nulle part assez fort pour accueillir vigoureusement l'agresseur ; on mettrait Deux-Ponts entre deux feux et la malheureuse ville serait sûrement réduite en cendres par les Français. Le duc prenait donc la mesure la plus sage qu'il pût prendre ; il savait commander aux événements et les façonner selon ses vues ; il savait maitriser le hasard, peser sur la volonté de ses adversaires, se battre où et quand bon lui semblait. Telles étaient les raisons qui déterminaient alors les pédants militaires de la Prusse. Et tous, fiers de leurs combinaisons et de ces manœuvres savamment méditées, disaient en reculant de l'Erbach sur la Lauter qu'aux yeux du soldat éclairé qui considère en philosophe les opérations des armées, le mouvement de Brunswick était le chef-d'œuvre de l'art militaire et le triomphe de la tactique[26].

Les Prussiens, que Hoche croyait à Pirmasens, se replièrent donc de leur plein gré plus loin encore, sur Kaiserslautern. Leur arrière-garde n'aperçut pas un ennemi, ne tira pas un coup de fusil. Elle défila néanmoins de colline en colline lentement, posément, cérémonieusement, selon toutes les règles de la méthode de Potsdam et Brunswick éclata lorsqu'il vit les derniers bataillons descendre un peu trop rapidement les hauteurs de Landstuhl. Il leur ordonna de remonter, comme si le vieux Saldern eût été présent[27].

Le 23 novembre, tandis que Knobelsdorf allait se mettre à la tête des troupes qui bloquaient Landau, Kalkreuth et Brunswick se postaient dans les environ de Kaiserslautern. Le prince de Hohenlohe cantonnait entre Annweiler et Bergzabern ; Courbière tenait Bundenthal ; le colonel de Götz s'établissait à Climbach et au Pigeonnier ; Hohenlohe, Courbière, Götz couvraient ainsi le blocus de Landau et assuraient les communications de l'armée prussienne avec Wurmser. Le colonel Wartensleben était à Trippstadt avec 5 bataillons et 7 escadrons pour relier Brunswick à Hohenlohe. Plus au nord, Kospoth, avec 6 bataillons et 10 escadrons, avait été détaché à Lauterecken pour observer la division française qui venait de Sarrelouis[28].

Cependant Hoche entrait à Deux-Ponts. Il avait tout réquisitionné sur son passage : chevaux et bestiaux, argenterie des églises, draps, toile, cuir, souliers ; aidé et secondé à merveille par le commissaire ordonnateur Archier[29], qui saignait à blanc la contrée, il envoyait à l'intérieur les glaces, les pendules, les matelas, les meubles, les cloches et autres pretintailles. Les misérables sans-culottes devaient-ils toujours travailler sans retirer aucun fruit ? Non, ils auraient, outre la liberté, les culottes de velours, les vestes de satin, les habits à grandes manches des aristocrates. Il exigeait de Blieskastel trois cent mille livres et de Deux-Ponts deux millions en numéraire[30].

La retraite des Prussiens ne l'étonnait pas. S'ils évacuaient des postes qui lui semblaient de rudes morceaux, et Hombourg, et le Carlsberg, et la hauteur de Ramstein qu'ils avaient hérissée de redoutes, de fraises et de palissades, et leur célèbre Pirmasens, c'est, comme disaient les représentants Richaud et Soubrany[31], qu'ils avaient éprouvé le courage et l'ardeur des républicains ; c'est qu'ils se voyaient menacés de tous côtés par la marche combinée des colonnes françaises, et dans la crainte d'être enveloppés, ils abandonnaient des camps que la nature rendait inattaquables. A la vérité Kaiserslautern leur offrait de puissants moyens de résistance. Mais Hoche promettait d'aller grand train et jurait d'emporter la position ou de périr : elle paraît formidable, mandait-il à Bouchotte, mais nos baïonnettes[32]... !

 

IV. Dès le 23 novembre, Brunswick s'était installé dans cette position de Kaiserslautern où il avait résolu d'attendre l'attaque des républicains. Il n'opposait que 27 bataillons et 45 escadrons, c'est-à-dire un peu plus de 20.000 hommes, aux 35.000 hommes de l'armée de la Moselle ; mais les mesures qu'il avait prises et la solidité de ses troupes lui promettaient la victoire.

La petite ville de Kaiserslautern, vieille, mal bâtie, ceinte de méchantes murailles, ne valait rien par elle-même. Elle n'était pas fortifiée, écrit Hoche dans un mémoire à Carnot, et elle est peu susceptible de l'être, les montagnes qui l'environnent la dominent dans les deux tiers de sa circonférence. Ce fut sur ces montagnes que se postèrent les Prussiens, sur le Galgenberg et le Kaiserberg, et, en avant du Kaiserberg, sur le plateau de Moorlautern et dans le vallon d'Erlenbach.

Le Galgenberg était gardé par quelques bataillons que commandait le duc de Weimar et par le détachement du colonel Wartensleben que Brunswick rappela de Trippstadt en toute hâte le 30 novembre. La redoute très considérable du Galgenberg, dit Hoche, construite par Turpin au débouché de la gorge dans laquelle les chemins de Landstuhl et de Trippstadt se réunissent, est un chef-d'œuvre de l'art ; pour la construire, les ennemis avaient pris le point le plus élevé et l'avaient entouré d'un abatis large d'une demi-lieue.

Une partie de l'infanterie tenait les pentes du Kaiserberg et derrière elle sur la cime la plus haute était une forte réserve de troupes prussiennes et saxonnes. Kalkreuth couvrait avec six bataillons le plateau de Moorlautern qui se termine par la colline de l'Osterberg et se prolonge jusqu'au ravin où coule un affluent de la Lauter, le ruisseau de l'Otterbach. Sa cavalerie, composée de 10 escadrons, s'étendait à droite vers le vallon l'Erlenbach, et une poignée de tirailleurs occupait le village de ce nom.

Hoche, qui voulait tenter un grand coup de vigueur, fit avec soin toutes ses dispositions. L'armée renfermait encore quelques insouciants dont il se méfiait ; mais, disait-il, je leur parle révolutionnairement, et lorsqu'ils sont menacés de la guillotine, ils marchent. Il avait laissé Vincent[33] à Pirmasens pour observer les gorges l'Annweiler et arrêter les secours qui pourraient déboucher de la montagne. Taponier[34] eut ordre de se diriger sur Landstuhl et d'emporter la redoute du Galgenberg : il attaquait ainsi la gauche des Prussiens. Ambert[35] avait rejoint le gros de l'armée ; il dut tourner l'adversaire par la droite et en conséquence pousser vers la petite ville d'Otterberg. Quant à Hoche, il se réservait la tâche la plus malaisée et le point essentiel, le plateau de Moorlautern.

Il envoyait à ses lieutenants de nouvelles et pressantes exhortations. Ami, disait-il à Taponier, la République fondée sur les débris du despotisme ne peut être affermie que lorsque des ruisseaux de sang auront coulé. Les vils suppôts des rois se flattent de conquérir nos terres. Quel est donc le Français assez infâme pour y accéder ? Plutôt mille fois périr que de vivre dans l'ignominie. Une partie des forces nationales est déposée entre tes mains ; tu sauras en faire usage. Il écrivait au général Ambert : C'est aujourd'hui, camarade, qu'il faut déployer ton énergie républicaine. Rends-toi par le plus court chemin et le plus promptement possible à Otterberg, à une lieue en avant de Kaiserslautern. Le but de cette marche hardie est de couper toute retraite à nos vils ennemis. Il n'est point d'obstacles, point de mauvais chemins. Il faut te créer des moyens et ne voir que la patrie. J'attaque Kaiserslautern par la droite et Taponier par la gauche. Tu seras par derrière. Viens joindre tes coups aux nôtres. Frappe ferme et que notre réunion s'opère dans ce repaire des ennemis !

Le 28 novembre, après de petites escarmouches, commence cette bataille de Kaiserslautern qui dura trois jours[36]. Mais on peut déjà prévoir l'issue de l'affaire. Le F général en chef se plaint du manque de subsistances. Le terrain lui semble coupé, difficile. Une de ses colonnes, enfournée dans un défilé, est contrainte de rétro, grader. L'armée n'avance que très lentement, avec une peine infinie. Taponier chasse les avant-postes prussiens de l'abatis de la Vogelweh, mais n'ose aborder le Galgenberg et se contente de s'établir sur la hauteur de Hobeneck. Ambert s'attarde et perd du temps : il a dû, la veille, à trois reprises, doubler ses attelages pour gravir des côtes rapides ; il a dû partir de grand matin avec des troupes harassées, pour se porter sur Otterberg ; il a dû, avant de passer la Lauter, réparer un pont qui se trouve rompu, couper des bâtardeaux qui soutiennent des inondations, puis s'engager dans un chemin où s'embourbe l'artillerie et, après avoir atteint le village de Sembach, au lieu de pousser plus loin, suivant l'ordre de Hoche, et de marcher sur Otterberg, il s'expose au feu écrasant des batteries prussiennes et se rejette précipitamment derrière le ruisseau de l'Otterbach.

Pourtant Hoche ne désespère pas de la réussite. Il prescrit à Taponier d'agir avec plus de vigueur et ordonne derechef au général Ambert de tourner le flanc droit des ennemis. S'il juge, avec Richaud et Soubrany, que les Prussiens sont en force et qu'ils possèdent l'avantage du terrain, il fait quelques prisonniers. Il enlève une pièce de canon, la première qu'on emploiera, dit-il, à fondre la statue du peuple souverain[37], et il annonce que le bal recommencera le lendemain.

 

Le bal recommence en effet le 29 novembre. Hoche a résolu d'assaillir les positions prussiennes à Moorlautern et à Erlenbach. Déjà, pendant la nuit, il a fait établir sur la rive gauche, près de l'endroit où les troupes opèrent le passage de la Lauter, sur la hauteur du Kreuzhof, une batterie de gros canons qui doit appuyer l'attaque, couvrir la retraite, et qui fut du plus grand secours. A sept heures du matin ses colonnes se mettent en marche.

Kalkreuth s'était avancé jusqu'aux dernières pentes de l'Osterberg, à l'extrémité du plateau de Moorlautern. Mais criblé de projectiles sur son front par l'artillerie des colonnes républicaines et sur sa gauche par la batterie du Kreuzhof, il regagne les escarpements de Moorlautern en toute hâte. 46 bataillons français ont passé le ruisseau de l'Otterbach, passé deux marais et, à la faveur d'un mamelon planté d'ifs, arrivent au pied de la colline, se rangent en bataille et, la baïonnette au bout du fusil, chassent les tirailleurs prussiens d'un petit bois sur le revers de l'Osterberg. Deux compagnies d'artillerie légère, commandées par l'adjudant général Debelle, accourent au galop et entament de près une vive canonnade ; elles ont, disait Hoche, fait merveille.

Durant ce temps, nos colonnes se forment de nouveau. La division que conduit Pierre Huet, s'achemine à travers les bas-fonds de la Lauter en se couvrant de buissons et de bois. Les Prussiens avaient fait dans l'été sur les pentes du vallon les terrassements d'une batterie destinée à balayer le ravin dans toute sa longueur. Mais, soit qu'on les ait oubliés, soit qu'on les crût dégradés ou dominés par les canons français de la rive gauche, ces terrassements étaient restés inoccupés. Huet se glisse inaperçu dans la vallée, sans trouver le moindre obstacle, et soudain, vers une heure de l'après-midi, au grand étonnement de Kalkreuth, il apparaît sur le plateau de Moorlautern.

Mais le général prussien avait demandé des renforts et reçu de Brunswick trois bataillons et plusieurs pièces d'artillerie. La lutte, dit Hoche, est très opiniâtre et la mousqueterie très vive de part et d'autre. Les Français, fiers d'avoir surpris l'adversaire, entraînés par l'impétuosité de l'attaque, animés de l'espoir du succès, continuent d'avancer sous le feu le plus violent. Kalkreuth serait-il obligé d'abandonner le plateau de Moorlautern, comme il vient d'abandonner l'Osterberg ? Il enjoint à ses troupes de faire un énergique effort pour refouler l'agresseur. Ses bataillons cessent de tirer et toute la ligne de son infanterie marche à la rencontre des carmagnoles en croisant la baïonnette.

La cavalerie charge au même moment. Huit escadrons saxons fondent, le sabre à la main, sur l'aile gauche de la division Huet, la rompent, la rejettent dans le vallon. Mais à la vue de cette déroute, Hédouville, cet Hédouville suspendu par le Comité et rappelé à Paris, et qui par bonheur accompagnait le général en chef, Hédouville se met à la tête de deux régiments de hussards et du 4er régiment de carabiniers. Il s'élance de l'Osterberg, il heurte les escadrons saxons qui prêtent le flanc. Un combat de cavalerie s'engage, et sur ce terrain accidenté, il manque de vigueur ; Hoche reconnaît que la charge est des deux côtés trop flottante et trop molle. Au bout de quelques minutes, Saxons et Français tournent bride. Néanmoins, la gauche de la division Huet, dégagée par Hédouville, a eu le temps de gagner les bois et de se dérober à la poursuite. La bataille n'est plus sur ce point qu'un duel d'artillerie. L'infanterie de Kalkreuth rentre dans sa position. Les batteries, masquées un instant par la mêlée des escadrons, vomissent leur feu et se canonnent inutilement jusqu'au soir.

 

A gauche, mêmes péripéties et même dénouement. Quatre bataillons français avaient, sur l'ordre de Hoche, chassé d'Erlenbach les tirailleurs prussiens. Mais pendant qu'ils se rangent en bataille pour s'élever vers la hauteur boisée du Bachberg qui domine le village, ils sont assaillis par les dragons de Yoss et les carabiniers qui les dispersent et les repoussent vers Erlenbach. Le 9e régiment de chasseurs devrait arrêter cette cavalerie victorieuse ; il fait demi-tour et ne se rallie qu'assez loin, à l'abri d'une batterie. Les carabiniers poursuivent l'infanterie française. Vainement quelques compagnies forment le carré derrière des haies, à l'entrée d'Erlenbach ; avec une tranquille audace, les carabiniers mettent pied à terre, arrachent les haies sous les balles de l'adversaire, remontent à cheval, fondent sur le carré, et après une très vive résistance, tous les Français sont tués ou pris.

 

Telle fut la journée du 29 novembre. L'infanterie républicaine a déployé, selon le mot des relations allemandes, une bravoure obstinée ; elle montra, dit Hoche, la plus grande valeur et garda le calme et l'ordre le plus profond dans ses rangs ; chaque général combattit à la tête de ses troupes ; chacun fit son devoir. Mais, malgré les assauts de l'armée française, Kalkreuth ne s'était pas laissé entamer. Des bataillons avaient lâché pied dans le ravin d'Erlenbach et les chasseurs à cheval s'étaient honteusement débandés. Ambert, qui devait tourner l'ennemi par la droite et le déborder, avait marché durant trois lieues à travers bois pour gagner Otterberg. Enfin, Taponier n'avait pas donné vigoureusement. Je n'ai, écrivait Hoche, aucune nouvelle de Taponier. Ambert n'a rien fait. L'artillerie de position venue trop tard à cause de la difficulté des chemins, n'a point servi. Je suis dans un pays affreux. Mais je crois ne pas devoir discontinuer. Je recommence demain en forces.

Il avait résolu de diriger son principal effort, non plus contre Moorlautern qui lui semblait inexpugnable, mais contre le Galgenberg et Erlenbach. Cette fois, Ambert prendrait part à l'action ; il reçut l'ordre de quitter Otterberg et de marcher toute la nuit pour rejoindre l'armée

Le 30 novembre, à la pointe du jour, 22 pièces tonnaient contre Moorlautern et faisaient pendant deux heures un feu incessant auquel les Prussiens répondaient avec la même violence et le même acharnement. Durant cette canonnade, une colonne d'infanterie, renforcée par une grande partie de la division Ambert, s'avançait dans le ravin d'Erlenbach et tentait de s'emparer de la hauteur du Bachberg au-dessus du village. Comme la veille, elle poussa vivement les tirailleurs ennemis et, malgré la résistance sérieuse qu'elle rencontrait, elle atteignit la lisière du bois qui couvre les pentes du Bachberg. Mais, comme la veille, Kalkreuth accourt au devant d'elle avec deux bataillons saxons, le bataillon de l'Electeur et le bataillon Antoine, et plusieurs escadrons de son aile droite. Insensiblement il regagne du terrain et, prenant à son tour l'offensive, chargeant avec vigueur nos bataillons fatigués, il ressaisit le village d'Erlenbach et arrive jusqu'aux bords du ruisseau de l'Otterbach. Un éclat d'obus le blesse à l'épaule ; mais ses troupes menacent, en se développant, de déborder la gauche des républicains postée sur l'Osterberg.

Heureusement Taponier avait, dans cette matinée, réparé, par une brillante et impétueuse attaque, son inaction de la veille. Sa division formait trois colonnes. Toutes trois assaillirent le duc de Weimar au Galgenberg. La première refoula le bataillon saxon des grenadiers Christiani jusqu'au faubourg de Kaiserslautern ; mais un bataillon prussien, quelques escadrons et trois canons se portèrent au secours des Saxons, et les carmagnoles durent lâcher prise. La deuxième colonne s'engagea dans le Weiherthal, mais se replia sous les boulets d'une batterie qui la prit en flanc. La troisième essaya d'enlever la redoute du Galgenberg ; elle franchit les abatis, elle pénétra jusqu'au fossé, mais un feu meurtrier l'obligea de reculer et de se jeter dans les bois derrière la ferme dite Maison de Lorraine. Le général La Sabatie, blessé, remit le commandement à l'un des plus jeunes et des plus intrépides officiers de l'armée, Championnet, naguère lieutenant-colonel du 66 bataillon de la Drôme et depuis trois mois chef de brigade. Championnet laissait aux mains des Prussiens une pièce démontée, mais trois autres pièces, dit Taponier, furent sauvées par son intelligence[38].

L'attaque de Taponier avait été si vive, si furieuse que Brunswick, saisi d'inquiétude, se rendit à son aile gauche et lui amena du Kaiserberg.des renforts considérables de toutes armes. Mais au même instant Hoche.arrêtait le combat. A neuf heures du matin, il avait appris que les munitions d'artillerie faisaient défaut et qu'il n'avait plus que la quantité nécessaire pour protéger sa retraite. Il fut transporté de colère. Depuis quatre jours, il ne cessait de demander au général Verrières, directeur du parc, des bombes et des boulets. Vais-je rester en panne, s'écriait-il, et recevoir les bras croisés la mitraille des ennemis ![39]

A trois heures de l'après-midi, expiraient les derniers feux, et les hussards prussiens, envoyés en reconnaissance dans la matinée du lendemain, ne rencontrèrent pas un seul Français. Toute l'armée avait repassé la Lauter et défilé, disait Hoche, comme une troupe à la parade. Seul, Ambert, avec cinq bataillons, demeura jusqu'au soir du 4er décembre sur les hauteurs qui font face aux villages de Sembach et de Katzweiler pour couvrir la marche de l'artillerie et des équipages. Le 2 décembre, l'arrière-garde française traversait Ramstein et Landstuhl. Le 3, toutes les brigades bivaquaient à Deux-Ponts et sur la rive gauche de la Blies et de l'Erbach. La retraite, écrivait Hoche, s'était faite honorablement et dans le plus grand ordre, sans que les ennemis eussent pris une charrette. Il n'y eut que Taponier qui perdit, par l'imprudence du commissaire des guerres Couturier, la caisse de sa division.

 

Brunswick avait gagné, selon l'expression de Langeron, une des plus belles batailles qu'eussent livrées les Prussiens. On l'a blâmé de n'avoir pas poursuivi les f Français avec vigueur et d'avoir manqué, comme en 1792, à Montcheutin, l'occasion de leur infliger un véritable désastre. Il n'a pas mis, dit un critique, le point sur l'i ; il s'est contenté de parer le coup et n'a même pas tenté une riposte hardie. Mais si l'on tient compte des circonstances, si l'on se rappelle les routes défoncées, la rigueur de la saison, la lassitude des troupes, on excusera Brunswick. Après tout, Hoche était repoussé et non entièrement battu. Il avait encore dix mille hommes de i plus que le vainqueur. La cavalerie prussienne allait-elle s'engager à sa suite dans le défilé de l'Otterbach et le vallon de la Lauter ? La batterie du Kreuzhof ne l'aurait-elle pas écrasée ? Le duc était il certain que Hoche renonçait à toute attaque contre Moorlautern et Erlenbach ? N'avait-il pas dû renforcer son aile gauche et affaiblir son aile droite pour résister aux assauts de Taponier ? Enfin, Hoche avait fait si lestement sa retraite, que Brunswick pouvait croire que son infatigable adversaire courait à Landau par un autre chemin. Il eut donc raison d'attendre l'événement : mieux valait donner quelque repos à son armée dans les cantonnements qu'il lui destinait de longue date, que de la disséminer de nouveau et de l'exposer à des chances hasardeuses[40].

Hoche avait tort d'attribuer son échec au défaut total de munitions et à la supériorité numérique des ennemis. Il eût mieux fait de dire que la force du lieu, les difficultés du terrain, l'artillerie formidable qu'il fallait braver — et telles sont ses expressions — avaient causé l'insuccès. Il ne fut pas sans doute suffisamment secondé par ses lieutenants qui ne savaient pas encore leur métier. Mais il n'avait pas une connaissance exacte des localités. Il envoya le général Ambert sur la route d'Otterberg que les Prussiens n'auraient jamais prise, s'ils avaient été battus, puisqu'ils pouvaient faire leur retraite entre Neustadt et Dürkheim. Il engagea ses troupes dans des marais et en un pays inégal où il restait un jour entier sans recevoir de nouvelles de ses deux ailes. Il aurait dû porter son principal effort sur la gauche des ennemis et non sur leur droite ; il trouvait un sol plus favorable ; il tournait plus aisément la position ; il interceptait aux Prussiens le chemin de Neustadt et leur communication avec le corps qui bloquait Landau. Notre camp, écrit Massenbach, ressemble à un gilet tout brodé d'or par devant, mais dont le dos est de grosse toile d'emballage ; il est imprenable de front et sur le flanc droit ; mais si les Français marchent en deux colonnes qui se réunissent à Hochspire, ils tournent notre flanc gauche et nous coupent du Rhin. Hoche était, selon le mot des théoristes prussiens, un audacieux naturaliste ; il tâta l'ennemi de tous côtés, sans ordre ni plan déterminé ; il ne fit que des efforts partiels et des charges décousues qui ne pouvaient avoir un résultat décisif ; comme disait Baudot, on ne sut jamais arriver à une attaque générale, la moitié de l'armée ou plus était en mouvement, la précision manqua.

Néanmoins la bataille n'était pas inutile. Les Prussiens avaient 44 officiers et 785 soldats tués, blessés ou pris, et si le peuple nommait Kaiserslautern le tombeau des Français, si les républicains perdaient environ deux mille hommes dont sept cents prisonniers, s'ils laissaient aux mains des vainqueurs deux canons et un drapeau, s'ils abandonnaient le champ de bataille, ils montrèrent une admirable énergie. La contenance des troupes, disait Hoche, est imposante et terrible ; le calme le plus profond règne dans les cœurs ; le seul désir de combattre est manifeste, mais fortement ; la plainte de l'efféminé ne se fait point entendre ; tous les visages sont sereins. Les ennemis déclarèrent que, dans ces trois jours, les attaques de l'armée française avaient été aussi vives, aussi impétueuses qu'inopinées, qu'elle luttait avec une sorte de fanatisme et une rage sans exemple, qu'elle ne connaissait pas d'obstacles, ne se laissait arrêter ni par les montagnes les plus escarpées, ni par les forêts les plus épaisses, ni par les marais et les rivières. Ils louèrent la cavalerie qu'ils avaient jusqu'alors méprisée ; un de leurs officiers assure qu'elle se battait bien et il applaudit à la valeur du beau régiment des carabiniers. Brunswick comprit que la lutte aurait dorénavant un tout autre caractère, que les carmagnoles allaient passer de la timide défensive à une fière et menaçante offensive, qu'ils avaient à leur tête un homme qui savait relever leur moral et les mener à la guerre. Un gallophobe de l'époque avouait qu'ils avaient assailli les Prussiens avec toute la furie qu'on pouvait attendre des Français, et pour expliquer cet acharnement, il prétendait que les sans-culottes n'avaient bu que de l'eau-de-vie durant trois jours et que cette boisson seule avait soutenu leurs forces et surexcité leur courage ![41]

 

 

 



[1] Ordre de Bouchotte, 24 sept, et 4 oct. ; Cusset à Bouchotte, 10 sept. ; Ehrmann et Richaud à Bouchotte, 22 sept. (A. G.) ; cf. l'Argos de Schneider, 28 sept. 1793. Schauenburg fut arrêté à Toul où il s'était retiré, suivant le décret, à vingt lieues de la frontière ; voir sur lui Wissembourg, p. 61.

[2] Cf. sur d'Aoust l'excellent ouvrage de Fervel, Camp. de la Révol. franç. dans les Pyrénées-Orientales, 1861, I. René Delaunay, ou comme il signe alors, Launay, était fils d'un docteur en médecine de Saint-Pierre-sur-Dives (Calvados), où il naquit le 24 avril 1738. Il servit d'abord dans les gendarmes écossais (27 déc. 1756-avril 1759), puis dans les dragons au régiment d'Orléans (25 avril 1760) où il devint maréchal des logis (sept. 1761) et porte-guidon (1er mars 1763). Il quitta au mois d'octobre 1766, rentra dans les gendarmes de la garde (avril 1767) et fut réformé (déc. 1775). Nommé capitaine à la suite de l'infanterie (29 mai 1778), attaché au régiment de Limousin (3 juin 1779), premier capitaine de remplacement (20 octobre 1784), réformé de nouveau (mai 1788), il fut élu le 25 août 1791, lieutenant-colonel du 4' bataillon des volontaires de la Moselle. Il avait des relations dans ce département, s'était marié à Sarrelouis, et il écrit au Comité qu'il a été l'un des fondateurs du club de Thionville et le président de la Société populaire de Saint-Avold (lettre du 9 nov. 1793). Promu général de brigade (30 juillet 1793), général de division (20 sept. 1793), commandant en chef (1er octobre 1793), il fut destitué par le Conseil exécutif le 25 brumaire an II, réintégré le 2 germinal an III, et après avoir commandé la citadelle de Strasbourg (10 messidor an III), retraité le 13 pluviôse an IV. Il est mort le 11 janvier 1825 à Ouville (Calvados).

[3] Delaunay à Bouchotte, 1, 7, 15, 17 oct. ; Bouchotte à Delaunay, 15 0ct. (A. G.).

[4] Mourgoin à Bouchotte, 10 oct. ; Richaud et Ehrmann au Comité, 10 et 22 oct. ; note écrite par Louis-Sauveur Chénier (A. G.). Un correspondant, sans doute Alexandre Courtois, écrivait de l'armée de la Moselle au Batave (n° 237) : Moreaux a eu raison de refuser le commandement ; il faut un homme d'expérience et de lumières. Olivier sait bien conduire un bataillon et a quelque intelligence du détail. Delaunay est sourd et les autres sont des minus habens. Il faut raviver cette armée et la confier à un chef intelligent.

[5] Il est né à Versailles, le 24 juin 1768.

[6] Cf. sur ces commencements ignorés ou peu connus de Hoche, l'ouvrage de Rousselin, en 2 volumes (Vie de Lazare Hoche, an VI), notamment II, 2, 5, 13, 14, 23, 70 Lafayette, Mém., 1837, V, 129 ; Retraite de Brunswick, 240 ; Trahison de Dumouriez, 196 ; Le Publiciste de la République française, par Marat, l'ami du peuple, n° 164 et 194 ; Foucart et Finot, La défense nationale dans le Nord, 1890, I, 619-622 ; Moniteur, du 13 sept. 1793 (lettre de Trullard et de Berlier), et du 25 juillet (qui publie les détails donnés à l'adjudant-général Hoche sur la reddition de Condé par le citoyen Fouqueteau, quartier-maître trésorier au 3e bataillon de la Charente) ; Ternaux, Hist. de la Terreur, VIII, 527-530 ; Hamel, Robespierre, III, 164 et 501 (cf. Moniteur, du 11 oct. et du 24 nov.) ; Réponse de Carnot au rapport de Bailleul, 8 floréal an VI, p. 148, et les documents de la guerre. A consulter sur Hoche les livres de Bergounioux (1852), de Bonnechose (1867), d'Albert Duruy (1885), de Maze (1887) et du capitaine Cunéo d'Ornano qui reproduit en appendice les documents de Rousselin (1892).

[7] Die Franzosen im Saargan, 180 ; Rousselin, I, 98 ; note de Legrand (A. G.) : Il fallait, pour sauver l'armée, moins un homme à grands talents (car il est difficile d'en avoir plus que Schauenburg) qu'un homme d'un génie actif et entreprenant, parlant et agissant dans le sens le plus exalté de la Révolution, sachant, par conséquent, tirer parti des choses et des hommes tels qu'ils étaient alors. Cet homme arriva dans la personne de Hoche.

[8] Cf. le portrait de Hoche quelques années plus tard (Arnault, Souvenirs d'un sexagénaire, II, 289) : Je m'étonnais de trouver en lui de si hautes qualités réunies aux avantages qui assuraient à un jeune homme des succès de salon : un esprit facile et léger, un ton de petit maître que justifiaient assez sa taille et sa tournure, dont une veste de chasseur faisait ressortir l'élégance.

[9] Saint-Cyr, I, 155, 208-200 ; IV, 148 ; lettre à Audouin (Rousselin, II, 70).

[10] Voici quel était l'ordre de bataille de l'armée de la Moselle au 5 novembre 1703 (archives de la guerre) : Avant-garde : (gén. de div. Vincent ; gén. de brig. Ambert) : 3e hussards, 1er et 9e chasseurs, 1er dragons, détachement du 7e hussards, 5e hussards de Jemappes, 4e chasseurs du 6e caval. de la légion de la Moselle ; 2e et 3e comp. d'artillerie à cheval (Debelle et Détrès) ; deux tiers de la comp. d'art, à cheval de Marescot ; 13e bat. d'inf. légère ; bat. des chasseurs de Reims ; détach. du 89e inf. ; deux comp. de chasseurs du 96e ; dépôt du 5e Bas-Rhin ; 25e tirailleurs de Jemappes ; 4e comp. du Louvre ; comp. franche de Metz ; 2e comp. des Sans-culottes ; comp. franches de Gérard, de Saint-Maurice, de Bellard, de Guillaume, des Bons-Tireurs ; 1re comp. franche du Louvre ; 3e comp. des chasseurs du Louvre ; 1re comp. des chasseurs de l'Observatoire ; infant, de la légion de la Moselle. — 2e division (gén. de div. Lequoy) : 2e carabiniers, 10e cavalerie, 28e comp. d'artillerie à cheval de Beaufranchet ; 1re brigade (Olivier) : 1er de Saône-et-Loire ; 5° régiment, 1er de la République ; 1er du Lot, 17e rég., 4e Moselle ; 2e brigade (Paillard) : 1er Rhône-et-Loire, 58e rég., 6e Vosges ; 2e Seine-et-Marne, 103e rég., 7e Meurthe.— 1re division (gén. de div. Huet) : 1er carabiniers, 4e cavalerie, 19e comp. d'art, à cheval ; 1re brigade (Lombard) : 1er rég. ; 3e Manche, 8e rég. ; 44e rég., 2e Haute-Marne, 71e rég. ; 2e brigade (Morlot) : 6e Meurthe, 81e rég., 1er Ardennes ; 5e Meuse, 54e rég., 7e Rhône-et-Loire. — Réserve : 4e Haute-Saône, 30e rég., 3e rég. de la République ; 4e Meurthe, 55e rég., 5e Orne ; 11e caval. ; 14e dragons. — Avant-garde : 17.232 hommes ; 1re division : 9.105 fantassins, 903 caval. et artill. à cheval ; 2° division : 9.277 fant., 936 caval. et artill. à cheval ; 310 pionniers formant deux compagnies ; réserve : 5.098 ; parc d'artillerie : 1.878 ; en tout : 34.673 hommes.

[11] Rousselin, II, 15, 16-17, 20-21, 24 ; ordre du 12 nov. (A. G.).

[12] Rousselin, II, 16, 18.

[13] Richaud et Soubrany au Comité, 6 nov. et réponse du Comité (en marge) ; Hentz au Comité, 9 nov. ; Bouchotte au Comité, 14 nov. ; Hoche à Bouchotte, 5 et 14 nov. (A. G.). C'est l'Hédouville qui fut ambassadeur de Napoléon en Russie. Gabriel-Marie- Théodore-Joseph de Hédouville était né à Laon le 27 juillet 1755. Elève au collège royal de la Flèche (1764) et à l'Ecole militaire de Paris (1769), sous-lieutenant aux dragons de Languedoc, plus tard le 6e chasseurs à cheval (6 juillet 1773), réformé (1776), sous-lieutenant au même régiment (23 mars 1778), lieutenant [10 mai 1788), adjoint aux adjudants-généraux (1er juillet 1791), capitaine (25 janvier 1792), adjudant-général lieutenant-colonel (2 juin 1792), adjudant-général colonel (1er octobre 1792), général de brigade et chef de l'état-major de l'armée de la Moselle (8 mars 1793), il avait été suspendu le 1er juin 1793 et remis en activité le 8 août ; il fut suspendu de nouveau le 24 septembre, mais ne quitta l'armée qu'après Kaiserslautern.

[14] René Moreaux, 67 et 289 ; Rousselin, II, 22 ; Richaud et Soubrany au Comité, 14 nov. ; Grigny aux Jacobins, 25 nov. ; Hoche à Bouchotte, 11 nov. (A. G.). Ce fut le 13 nov. que Lequoy fut suspendu par un arrêt de Richaud et Soubrany. Il protesta (à la Convention, p. 2-4) en déclarant qu'il avait commandé le 2e bataillon de Seine-et-Marne pendant deux années, qu'il assistait au siège de Thionville et qu'il était ami fervent de l'égalité, un sans-culotte qui, depuis l'âge de quinze ans, n'avait pas quitté la lance.

[15] Hoche à Bouchotte, 11 nov. (A. G.).

[16] Hoche à Bouchotte, 3 nov. (A. G.).

[17] Pichegru avait envoyé à Hoche 13.000 hommes destinés à renforcer le rassemblement de Bouquenom. Le 7 novembre, le Comité de Salut public arrêta de porter sur des points plus menacés les forces de l'armée du Nord, dont les opérations étaient interrompues par le mauvais temps et la difficulté des chemins. 20.000 hommes d'infanterie iraient au secours de l'armée du Rhin, et la réunion se ferait vers Sarreguemines, Saarwerden, Bouquenom, Sarralbe et Phalsbourg, sous les ordres de Hoche. Jourdan réclama ; par un arrêté du 11 novembre, le Comité réduisit le renfort à 15.000 hommes qui seraient tirés de l'armée des Ardennes et se rendraient à l'armée de la Moselle, pour remplacer, en pareil nombre, ceux qui se rendaient en même temps à l'armée du Rhin. Pichegru déclara que, sur ces 15.000 hommes, il n'en reprendrait que 10.000 et qu'il laissait les 5.000 autres à son collègue ; je me suis dégarni, écrivait-il à Bouchotte, le 16 novembre, de 15.000 hommes pour les porter sur Bouquenom ; je crois pouvoir m'en resarcir sur ceux-ci et en prendre les deux tiers. 5.000 hommes de l'armée des Ardennes partirent aussitôt et rejoignirent Hoche. Mais le 22 novembre le Comité, jugeant que l'armée de la Moselle obtenait de grands succès et qu'on pouvait diminuer sans inconvénient ses renforts, arrêtait que les 10.000 hommes de l'armée des Ardennes, qui n'étaient pas encore partis, resteraient provisoirement où ils se trouvaient. Ce ne fut que le 5 décembre que le Comité décida que les 10.000 hommes passeraient à l'instant à l'armée de la Moselle sous les ordres de Hoche.

[18] Wagner, 184.

[19] Hoche à Bouchotte, 16 nov. (A. G.) ; Tableau historique, II, 285 ; Saint-Cyr, I, 155.

[20] Dernier plan de Hoche, 14 nov. (A. G.).

[21] Rousselin, II, 25, 26, 27, 31-32. Cf. les mêmes lettres dans la seconde partie du Hoche de Cunéo d'Ornano.

[22] Wagner, 190 ; Remmiscenzen ans dem Feldzug am Rhein, 33 ; Rousselin, II, 19 ; Delaunay et Hoche à Bouchotte, 29 oct. et 16 nov. (A. G.).

[23] La capture de ce Lombard, naguère capitaine, puis chef de bataillon du 5e régiment d'infanterie, et regardé par Schauenburg comme un excellent sujet (lettre du 5 juin A. G.), fit grand émoi en Allemagne ; cf. Meine Wanderung durch die Rhein-und Maingegenden, 1794, p. 29 et 28.

[24] Moniteur, 22 et 23 nov. ; Gesch der Kriege, I, 241-242 ; Strantz, (Zeitschrift für Kunst, Wissenschaft und Geschichte des Krieges, 1831, vol. XXIII, p. 124-129) ; Schüler von Senden (Id., 1840, I, 87).

[25] Hoche à Bouchotte et au Comité, 18 et 19 nov. (A. G.) ; cf. Moniteur, du 24.

[26] Uebersicltt, I, 42-50 ; Massenbach, Mém., I, 210-211.

[27] Massenbach, Mém., I 231-232.

[28] Gesch. der Kriege, I, 243-244 ; Strantz, 237.

[29] Jean-Antoine Archier, fils d'un négociant, né à Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône), le 6 juillet 1752, était cultivateur avant la Révolution. Après avoir été maire de Saint-Chamas (28 février 1790), administrateur des Bouches-du-Rhône (21 juillet 1790), député à la Législative (1er octobre 1791), il était devenu successivement commissaire des guerres (1er octobre 1792), commissaire ordonnateur (20 nov. 1792), ordonnateur en chef de l'armée de la Moselle (15 juin 1793). Hoche se plaignit bientôt de sa négligence : Je lui envoie des ordres et il les envoie à ses subordonnés, sans y rien mettre du sien ; aussi, souvent le service manque-t-il. Il est plus patriote que commissaire général. (Rousselin, II, 62-63.)

[30] Hoche à Bouchotte (21 nov. A. G.) ; Rousselin, II, 32 ; Le Batave, n° 289 : Les hochets religieux commencent à tomber ; il y a quelques filles de Sion qui pleurent ; on sèchera leurs larmes.

[31] Richaud et Soubrany au Comité, 22 nov. (A. G., et Moniteur, du 25). Ils avaient été rappelés à la Convention par un décret du 5 novembre ; mais Lacoste qui les remplaçait, n'avait l'ait que passer à Blieskastel pour gagner aussitôt l'armée du Rhin, et Ehrmann était malade à Sarrebrück ; Richaud et Soubrany jugèrent qu'il était de leur devoir de rester à l'armée de la Moselle.

[32] Hoche à Bouchotte, 23 et 27 nov. (A. G.) ; cf. Rousselin, II, 30 et 35.

[33] Vincent (Rémy), né le 29 mai 1736 à Montiérender (Haute-Marne), avait servi dans la gendarmerie, compagnie de Bourgogne (15 avril 1756-mars 1763), et fait les campagnes de Hanovre. Après avoir commandé la garde nationale de Montiérender, il fut élu chef du 2e bataillon des volontaires de la Haute-Marne (7 août 1792) et devint général de brigade (30 juillet 1793) et général de division (20 septembre 1793). Il commanda les places de Sarrelouis et de Wissembourg, mais, bien qu'il remplit fort bien ses fonctions, ne fut tas compris dans l'organisation des états-majors (25 prairial an III).

[34] Taponier (Alexandre-Camille), né, comme Championnet, à Valence, dans la Drôme (2 février 1749), successivement garde-française 25 nov. 1767), sergent (29 avril 1780-14 juin 1789), capitaine aide-major du 9e bataillon de la 5e division de la garde nationale soldée (1er sept. 1789), capitaine au 103e rég. d'inf. (3 août 1791), adjudant-général chef de bataillon (24 vendémiaire an II), général de division (17 brumaire an II), réformé (25 pluviôse an V), remis en activité (19 thermidor an VII) ; et employé à l'armée d'Angleterre, commandant de la 13e division militaire à Pontivy, réformé définitivement (1er prairial an IX ou 21 mai 1801). Carnot le jugeait ainsi : Point de moyens, aimant beaucoup l'argent.

[35] Ambert (Jean-Jacques), né à Saint-Céré, dans le Lot, le 30 septembre 1765, fils de Jacques Ambert, marchand, et de Marianne Rouchon, avait servi comme volontaire sur les bâtiments de l'Etat, sur le Marseillais, sur le Pluton, sur la Couronne, du 28 octobre 1780 au 22 juin 1783. Il fut élu lieutenant-colonel en second du 2e batail- Ion des volontaires du Lot, le 7 juillet 1792, et devint général de brigade le 22 septembre 1793, et général de division le 28 novembre suivant. Il fut arrêté après Kaiserslautern, mais employé le 13 juin 1795 à l'armée du Rhin-et-Moselle. Il a, disait plus tard le représentant Neveu, l'estime et l'amitié des soldats. Moreaux jugea qu'il remplissait fort bien l'emploi de général de division à l'armée, qu'il paraissait avoir assez de capacité pour être promu à un grade supérieur, — et qu'il était d'un patriotisme bien prononcé, de bonnes mœurs, de talents militaires qui le mettaient à même de remplir ses devoirs avec zèle et exactitude. Legrand l'appréciait ainsi : C'est un officier plein de mérite. Trop de circonspection a quelquefois arrêté les succès qu'il était fait pour obtenir. Il avait beaucoup plus de mérite que la plupart des autres généraux dont le plus grand nombre n'étaient pas dans le cas de bien conduire une compagnie d'infanterie ; mais il n'avait ni le ton ni la tournure du jour, c'est-à-dire du sans-culottisme.

[36] Rousselin, II, 33-34. Cf. sur la bataille de Kaiserslautern parmi les documents allemands, la Geschichte der Kriege, I, 247-255 ; Strantz, 238-255 ; Remling, I, 412-416 ; Geschichte der vereinigten Sachsen und Preussen, 1795, 51-57 (une traduction de ce morceau, par le sous-préfet de Spire, Petersen, existe aux Archives nationales, A F II 281), et parmi les documents français, les lettres malheureusement courtes et vagues de Hoche, de Taponier et des représentants, le précieux fragment du Journal de Hoche, du 7 au 10 frimaire (A. G.), l'inexacte relation d'Ambert, reproduite dans le 1er tome des Mém. de Saint-Cyr et Lecomte, L'Observateur impartial, 21-28.

[37] Hoche à Bouchotte, Richaud et Soubrany au Comité, 28 nov. (A. G.). On sait que la Convention avait décrété le 17 novembre, sur la proposition de David, une statue colossale du peuple français qui aurait quinze mètres et serait placée à la pointe occidentale de l'île de Paris ; la victoire, dit l'article IV du décret, fournira le bronze.

[38] Taponier à Hoche, 30 nov. (A. G.) ; Saint-Albin, Championnet, 1860, p. 35 ; H. v. S., Gesch der beiden sächs. Grenadier-Regimenter n° 100 et 101, 1877, p. 123. Jean-Etienne Vachier, dit Championnet, est suffisamment connu et l'on n'insiste ici que sur ses débuts généralement ignorés. Il était fils naturel de Madeleine Vachier et d'Etienne Grand. Il naquit à Valence (Drôme), le 30 avril 1762, et déclare, dans des notes fournies par lui-même, qu'il était avant la Révolution agriculteur, bourgeois faisant valoir ses petites possessions, que son père était maitre de la poste aux chevaux, avocat au parlement de Grenoble, que lui-même a cinq pieds sept pouces. Grenadier dans la garde nationale de Valence (14 juillet 1789), sergent (1er déc. 1789), lieutenant (15 mars 1790), premier adjudant-général de ladite garde (1er sept. 1791), il fut élu le 29 août 1792, lieutenant-colonel en premier du 6e bataillon des volontaires de la Drôme et nommé, le 1er septembre 1793, chef de brigade, par le représentant Bassal qui le chargea de commander, outre son bataillon, le 2e bataillon de nouvelle levée du district de Besançon et celui de nouvelle levée du district d'Ornans. Le 6 février 1794, Lacoste et Baudot, sur le témoignage rendu à son civisme et à ses talents militaires, lui conféraient le grade de général de brigade. Le 10 juin suivant, Gillet et Guyton le nommaient général de division. Il remplissait fort bien, disait Jourdan, les fonctions de son grade. (A. G.)

[39] Voir sur cette manie française de tirailler. Mayence, 257. Plus de munitions ! dit Legrand, cet accident est arrivé bien souvent depuis le commencement de la guerre, il est survenu plusieurs fois encore et a chaque fois occasionné la perte de la bataille ; ç'a toujours été par suite d'une imprévoyance trop commune ; l'on fait au début un feu d'enfer qui ne produit souvent que du bruit, sans penser aux moyens qui resteraient pour finir. Le général d'artillerie Ravel n'écrivait-il pas le 13 septembre : Notre armée est dissipatrice des munitions dans toutes les guerres et le soldat français est bientôt abattu et découragé s'il ne voit des approvisionnements considérables ; on a beau lui faire sentir la nécessité de les ménager et de ne les employer qu'à propos ; c'est inutilement (A. G.) Cf. sur Verrière, L'Observateur impartial de Lecomte, 16-28 ; il fut suspendu de ses fonctions, puis réintégré.

[40] Valentini, 69 ; Lufft, Der Feldzug am Mittelrhein, 1881, p. 117-118 (cf. Wissembourg, 145) ; Gesch. der Kriege, I, 255 ; Blücher, Campagne-Journal, p. Knorr, 1866, p. 92.

[41] Rousselin, II, 34-35 ; Strantz, 127 et 130 ; Die Franzosen im Saargau, 208. Cf. Le Batave, n° 316 : Le Comité, écrit-on de Francfort, a trouvé le secret de faire composer une boisson dans laquelle il entre, parmi plusieurs autres ingrédients, une plante qu'on nomme belladonna, qui inspire une espèce de fureur ; ce breuvage enivrant, fabriqué à Paris, est envoyé aux armées et distribué au moment d'une bataille. Les Français disaient la même chose des Autrichiens : Leur politique est de faire enivrer leurs esclaves avec un mélange de sulfate et de soufre ; il faut qu'ils aient perdu la raison pour nous combattre. (Journal de la Montagne, n° 96).