LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

MAYENCE

SECONDE PARTIE. — LE SIÈGE

 

CHAPITRE IX. — LA CAPITULATION.

 

 

I. Symptômes de prochaine reddition. Les bouches à feu. Diminution des vivres et des fourrages. Défaut de médicaments. Découragement de la garnison. — II. Les conventionnels. Premiers pourparlers. Conditions de Kalkreuth. Lettres de d'Oyré en faveur des patriotes. Entrevue de Marienborn. Capitulation. Sortie de la garnison. Les clubistes. — III. Le siège. Héroïsme. Générosité Rapports entre Prussiens et Français. — IV. Décret de la Convention. Montaut et Soubrany. Colère du roi de Prusse. — V. Les Mayençais à Sarrelouis et à Metz. Merlin à la tribune de la Convention et aux Jacobins. — VI. Exécution de Custine.

 

I. Dès que d'Oyré sut que la flèche du fort Welche était aux mains des Prussiens, il résolut de la reprendre. Mais les chefs du génie assurèrent au Conseil de guerre dans la séance du n juillet que l'adversaire était trop près, qu'il avait la supériorité des moyens, que la flèche serait reconquise et le poste qui la défendait, inévitablement perdu. Le Conseil de guerre arrêta qu'on garderait la défensive sur tous les points du camp retranché. Néanmoins, la canonnade de l'assiégeant devint si vive, si furieuse que les chefs du génie proposèrent, dans la séance du lendemain, d'abandonner les lignes qui reliaient les forts. D'Oyré combattit cette opinion, et le Conseil la rejeta. Mais les chefs du génie insistèrent ; ils remontrèrent à d'Oyré, dans un entretien particulier, l'extrémité de la situation ; ils déclarèrent même qu'il serait utile d'évacuer le camp retranché et de faire sauter les forts Saint-Charles et Saint-Philippe. Au moins, ajoutaient-ils, devait-on renoncer au fort Saint-Charles ; les boulets et les bombes le labouraient en tous sens ; et plusieurs fois sa poudrière avait été menacée. D'Oyré, convaincu qu'un pareil abandon compromettrait au plus haut point la sûreté du corps de place, refusa de porter la proposition devant le Conseil de guerre[1].

Mais, quelle que fût son énergie et sa fermeté d'âme, il s'avouait que les ressources de la défense s'épuisaient d'instant en instant et qu'il faudrait sous peu demander merci. L'artillerie française ne répondait plus avec vigueur à l'artillerie prussienne ; la plupart des bouches à feu étaient tous les jours hors de service ; on devait sans cesse les réparer et l'on n'obtenait qu'après un labeur dangereux et assidu une canonnade de quelques heures. Durant tout le siège, on avait, à la française, forcé les charges et tiré trop vite, tiré sans motif ni résultat, tiré précipitamment sur le moindre hussard qui paraissait dans le lointain. On transformait un canon en un fusil de chasse et l'on employait vingt-deux livres de poudre pour lancer le projectile d'une pièce de 24. Or, on avait deux sortes de pièces : les pièces mayençaises et les pièces françaises. Les pièces mayençaises de bronze ou de fer éclataient parce que leur fonte était sèche et ne pouvait tenir sous l'effort de ces charges démesurées. Les pièces françaises se ruinaient, parce que leur fonte était molle et ne pouvait résister à la chaleur que produisait ce tir perpétuel[2].

Les farines diminuaient. Les moulins à bras, manœuvrés par des soldats que la fatigue épuisait et que les projectiles détournaient constamment de leur travail, ne rendaient plus que la moitié de la mouture habituelle. Les moulins du Rhin étaient souvent atteints par les boulets et les obus ; il fallait à tout moment les : préserver de l'incendie et les faire réparer par des ouvriers qui ne s'acquittaient de cette tâche périlleuse qu'à contre-cœur et sous la menace des coups de sabre ; les meuniers s'échappaient ; les meules qui manquaient ne pouvaient être remplacées. D'Oyré calculait qu'il n'aurait de farines que jusqu'aux premiers jours du mois d'août. Il voulut un instant réduire la ration et ordonner une moindre extraction de son. Mais l'approvisionnement des salaisons était consommé depuis le 24 mai, et le soldat n'avait plus que du pain ; devait-on économiser sur la quantité ou sur la qualité[3] ?

Il ne restait plus de fourrages que jusqu'au 26 juillet. Vainement le commissaire-ordonnateur Blanchard avait fait des achats partiels. Vainement, dès le commencement du blocus, le Conseil de guerre avait prescrit d'abattre tous les chevaux qui n'appartenaient ni à la cavalerie ni à l'état-major. Vainement Kléber, Marigny, Meusnier avaient tenté de couper des fourrages verts pendant la nuit et sous le feu de l'assiégeant. On ne recueillit presque rien. Le déménagement des magasins causa de considérables déchets. L'incendie du laboratoire d'artifices gagna les meules de foin accumulées dans le camp de la porte Raimondi. Un membre du Conseil proposa de tuer tous les chevaux. Mais si les assiégeants voulaient forcer le camp retranché, ne faudrait-il pas de la cavalerie pour charger et pour rallier l'infanterie ? Les chasseurs qui faisaient des patrouilles à Kastel, ne rendaient-ils pas d'indispensables services ? Ne devait-on pas conserver jusqu'au bout des chevaux de trait pour le transport des malades et des blessés, pour le charroi des munitions, des bouches à feu, des bois et palissades ? L'artillerie n'employait-elle pas journellement soixante voitures[4] ?

Les remèdes allaient manquer. Les pharmacies particulières aussi bien que celles des hôpitaux et des ambulances étaient vides. Plus d'objets de pansement, plus de miel, plus de médicaments et de drogues d'aucune sorte, plus de bouillon de viande, plus de bouillon au beurre ou à l'huile, mais de l'eau dans laquelle avaient bouilli des pruneaux et des raisins. Chaque jour croissait le nombre des malades, et s'augmentait, sous le soleil ardent de juillet, la gravité des blessures[5].

Enfin, la garnison n'avait plus cette valeur brillante qu'elle déployait naguère. Elle tenait encore avec fermeté derrière des retranchements, mais elle se plaignait tout haut d'être sans cesse exposée aux assauts de l'ennemi. Les soldats n'agissaient plus que mollement et perdaient toute énergie. Ils n'avaient marché qu'avec répugnance aux dernières sorties. Si l'on nous attaque, disaient-ils, nous nous défendrons, mais nous n'irons plus en avant. Ils savaient que, s'ils étaient blessés, ils n'auraient pas les soins nécessaires. Assujettis à un service continuel, abattus par les veilles, accablés par la chaleur écrasante de l'été, ils se lassaient et se décourageaient. Les plus intrépides d'entre eux avaient péri ou bien étaient hors de combat ; personne ne se présentait plus pour entrer dans la légion des Francs ou dans l'infanterie légère de Kastel. Les volontaires qui formaient plus des deux tiers de la garnison, se demandaient avec anxiété quel allait être leur sort. Ils s'étaient engagés pour mettre la frontière à l'abri de l'invasion, et si Custine ne les avait pas menés dans le cœur de l'Allemagne, ils auraient au 1er décembre 1792 revu leurs foyers ou trouvé du moins de sûrs et commodes quartiers d'hiver. Mais, si Mayence tenait trop longtemps, ne seraient-ils pas prisonniers de guerre et pour des années peut-être exilés de la patrie ? Ils n'avaient plus aucun espoir de délivrance. Ils ne recevaient pas la moindre nouvelle de France. Ils ignoraient même si la France existait encore. En vain, croyant qu'on se servirait de bouteilles pour leur envoyer des renseignements, les assiégés jetèrent des filets dans le Rhin. En vain, et par trois fois, ils tentèrent d'informer de leur situation la Convention et le Conseil exécutif ; la première fois, par un espion ; la deuxième fois, par un prêtre qui se rendit d'abord à Francfort, puis à Bâle ; la troisième, par une dame qui devait, avec un passeport prussien, gagner Francfort et ensuite la Suisse et la France ; aucun de ces émissaires ne remplit son office et l'on ne sut jamais ce qu'ils étaient devenus. De l'armée, de la Moselle, de l'armée du Rhin, nul ne venait, nul ne cherchait à s'introduire dans Mayence. Un jour pourtant, le 19 mai, le bruit se répandit que Custine arrivait. Les alliés, tournant le dos à la place, faisaient une triple salve de mousqueterie et d'artillerie pour fêter une victoire de Cobourg sur Dampierre. On s'imagina qu'ils combattaient l'armée de secours. On se répétait qu'un chasseur à cheval avait percé les lignes pour apporter la nouvelle à d'Oyré. La joie brillait sur les visages. De tous côtés on s'abordait en se félicitant. La vérité fut bientôt connue : Marigny, entendant la canonnade, avait dépêché le chasseur au général en chef, et, sur le rapport verbal du cavalier, on avait cru que Custine attaquait les ennemis[6].

Du reste, l'allure des Prussiens qui traçaient, non pas une circonvallat.ion, mais une contrevallation, ne démontrait-elle pas qu'ils ne craignaient aucunement d'être troublés dans les opérations du siège ? N'était-il pas évident que Mayence ne pouvait compter sur les armées- du dehors ? On avait appris que les Autrichiens investissaient Valenciennes ; mais la République ne chercherait-elle pas à dégager Valenciennes avant de débloquer Mayence ? Jusqu'au dernier instant, raconte un témoin oculaire, les soldats ne cessèrent de se dire : Personne ne vient à notre aide ! La Convention nous oublie ! Il se passe en France des événements extraordinaires ![7]

 

II. Tout faisait donc prévoir la chute de la place : les fatigues et la démoralisation des soldats, le manque prochain des fourrages, la diminution croissante des moutures, le nombre des malades et des blessés, la certitude que la ville ne pouvait être secourue. D'Oyré luttait, se débattait encore. Reubell et Merlin de Thionville vainquirent ses derniers scrupules. Merlin déclarait publiquement que Mayence ne se rendrait pas et, à la Custine, il menaçait de la potence quiconque parlerait de capitulation[8]. Mais n'avait-il pas dit en pleine Convention qu'il se repentait d'avoir épargné la vie de Louis XVI dans la journée du 10 août ? N'avait-il pas écrit à l'Assemblée que Capet était un monstre, un nationicide et que sa mort servirait d'exemple aux autres rois ? N'avait-il pas signé avec Reubell et Haussmann une lettre qui se terminait par ces mots : C'est au nom de Louis Capet que les tyrans égorgent nos frères, et nous apprenons que Louis Capet vit encore ![9] Merlin et Reubell savaient que les Prussiens lisaient le Moniteur. Ils craignaient de subir le sort des représentants que Dumouriez avait livrés à Cobourg, et peut-être pis. Il importe aux Allemands, disait alors un journaliste, de prendre ces oiseaux-là, et on ne les traitera pas très doucement[10]. Ils eurent plusieurs entretiens avec d'Oyré et lui firent entendre qu'ils voulaient quitter la place par une capitulation honorable. Eux aussi, comme les volontaires, jugeaient qu'au lieu de sacrifier beaucoup d'hommes encore pour prolonger la défense de quelques jours et se voir traînés tous dans les prisons de l'Autriche, il valait mieux profiter de l'attitude imposante de la garnison et obtenir des assiégeants de bénignes conditions[11].

D'Oyré résolut d'entrer en pourparlers. Déjà, le 29 juin, il avait prié Kalkreuth de laisser sortir de Mayence les vieillards, les femmes et les enfants. Le général prussien avait répondu que pareille chose était contraire aux usages de la guerre et que son adversaire avait dans ses mains le moyen d'arracher les Mayençais à leur situation désastreuse. Le 18 juillet, d'Oyré demandait à Kalkreuth d'envoyer Reubell à l'état-major d'une des armées françaises ou mieux à Paris : il ne doutait pas que Mayence ne fût abandonnée à ses propres forces, mais il ignorait depuis quatre mois ce qui se passait en France, et il ne savait pas si la continuation de la résistance serait utile à son pays ; Reubell rapporterait des renseignements officiels sur lesquels il réglerait sa con duite ; ce représentant du peuple français n'avait-il pas, dans deux entrevues, montré des principes de modération qui faisaient augurer favorablement du succès de sa mission ?

Kalkreuth refusa le passeport que d'Oyré demandait pour Reubell : une semblable négociation était contre toutes les règles de la guerre ; une garnison assiégée ne devait jamais communiquer avec son armée, bien moins encore avec sa métropole.

Cette fois, d'Oyré n'hésita plus. IL reconnut, dans une autre lettre à Kalkreuth, que tout secours était une chimère. Mais, ajoutait-il, il saurait se défendre longtemps encore, il avait des vivres, et il ne rendrait Mayence que s'il obtenait les conditions les plus avantageuses, les plus honorables, les plus sûres que pût obtenir un assiégé. Kalkreuth répondit qu'il attendait les propositions de d'Oyré, et il joignit à sa lettre le texte de la capitulation de Condé ; cette ville de Flandre s'était rendue le 10 juillet aux Autrichiens, et sa garnison avait été faite prisonnière de guerre.

D'Oyré se récria. La garnison de Mayence ne craignait pas le sort de la garnison de Condé. Elle n'éprouvait pas la dernière extrémité. Elle était encore en forces ; elle avait des moyens de subsistance, et l'énergie qu'elle déployait ne méritait-elle pas l'estime de l'adversaire ? Il rédigea, de concert avec Reubell et Merlin, les articles de la capitulation : Mayence et Kastel seraient livrés au roi de Prusse dans leur état actuel, ainsi que les canons et les munitions ; la garnison resterait dans la ville jusqu'au 5 août et sortirait avec les honneurs de la guerre ; les révolutionnaires mayençais pourraient la suivre sans être inquiétés. Kalkreuth accorda tout, à l'exception de trois articles : 1° la garnison quitterait la place quarante-huit heures après l'échange des signatures ; 2° elle ne garderait pas les moyens de nuire à l'assiégeant ; 3° elle seule sortirait de Mayence, et la capitulation ne comprendrait que les Français.

La première de ces trois clauses fut adoptée par le Conseil de guerre. La deuxième parut vague, et l'on résolut de demander sur ce point les instructions précises du roi de Prusse. La troisième fut rejetée d'une voix unanime, parce qu'elle blessait l'honneur et la loyauté de la nation française. Merlin jura qu'il ne souscrirait jamais à cette condition infamante[12], et le Conseil déclara qu'il persisterait invariablement à demander que les révolutionnaires mayençais eussent la faculté de quitter la ville avec la garnison. D'Oyré répondit donc au général prussien qu'il serait facile de discuter les articles de la capitulation, excepté celui qui concernait les habitants de Mayence. Il plaida la cause des clubistes avec une éloquence chaleureuse et forte. Entraînés par des opinions séduisantes, fatigués d'une autorité variable el arbitraire, n'avaient-ils pas avidement saisi l'occasion de se livrer aux élans de la liberté ? Le roi de Prusse les traiterait-il avec rigueur parce qu'ils s'étaient permis des expressions déplacées contre sa personne ? Ignorait-il que la vengeance la plus digne d'un souverain est le mépris et l'oubli de pareilles offenses ? Ne retirait-il pas un avantage plus réel de l'éloignement des patriotes mayençais et de leur exil volontaire que des châtiments qu'il voudrait peut-être leur infliger ? Pour lui, d'Oyré, il refusait de se couvrir de honte et d'entacher la garnison qu'il commandait, en délaissant ces hommes qui n'avaient commis d'autre crime que d'adopter les principes de la Révolution française. Au besoin, pour sauver leur liberté, il sacrifierait la sienne. Qu'ils aient la permission de suivre la garnison, disait d'Oyré, et je renonce à la satisfaction de revoir ma patrie, à la douceur de me retrouver dans mes foyers que la nature et l'amitié concourent à me rendre chers !

Cette énergique et noble lettre ne suffit pas à d'Oyré. Il écrivit directement au roi de Prusse, le pria de se relâcher de ce fatal article. Un vieux soldat ne signerait-il pas son déshonneur en acceptant une condition semblable ? La garnison ne ternirait-elle pas sa réputation en abandonnant des gens qui s'étaient attachés à sa cause ? Elle aimerait mieux, affirmait d'Oyré, lutter jusqu'à la dernière extrémité et ne pas rentrer en France que de s'exposer à de justes reproches de lâcheté !

Le roi se laissa fléchir. Mais il refusa de négocier avec les membres de la Convention, et Kalkreuth déclara qu'il ne pouvait traiter qu'avec les officiers qui commandaient à Mayence les troupes françaises. Le Conseil de guerre décida que d'Oyré et Douay se rendraient au quartier-général prussien[13].

L'entrevue eut lieu le 22 juillet, au presbytère de Marienborn, dans ce même village où, dix mois auparavant, Eickemeyer venait apporter à Custine la soumission de Gymnich, et, le même jour, la capitulation fut rédigée, non sans difficultés.

Il s'agissait d'abord du destin des clubistes. D'Oyré avait insinué que la France saurait user de représailles et que les otages naguère menés en Alsace, auraient le traitement que recevraient les patriotes mayençais. On convint verbalement que les révolutionnistes seraient échangés contre ces otages, et, pour empêcher qu'ils ne fussent maltraités par les émigrés, un article de la capitulation interdit aux déportés et fugitifs de rentrer dans la ville, tant que les troupes françaises ne l'auraient pas entièrement évacuée[14].

Puis Kalkreuth discuta les autres articles de la capitulation. Il exigea que la garnison ne pût servir durant une année contre les armées des puissances coalisées, et d'Oyré n'éleva pas d'objection. Il exigea que la garnison ne pût emmener ni ses pièces de campagne ni ses caissons, et, après quelque opposition, d'Oyré consentit à céder toute son artillerie. Il exigea que la garnison mît bas les armes au sortir de la ville ; mais cette fois d'Oyré se révolta : il haussa le ton, menaça de rompre la conférence, demanda ses chevaux, assura qu'il allait retourner aussitôt à Mayence, rassembler la garnison, la consulter, et sûrement, disait-il, elle résisterait jusqu'au bout plutôt que de subir cette condition humiliante ; elle n'avait pas encore abandonné les ouvrages extérieurs de la place, et jamais elle ne voudrait rentrer désarmée dans sa patrie. Le débat fut très vif. Des estafettes ne cessaient de courir du presbytère à la tente royale. A deux reprises Kalkreuth vint conférer avec Lucchesini et prendre les instructions de Frédéric-Guillaume. Enfin, malgré son ministre, le roi céda ; la garnison put sortir de Mayence tambours battants, enseignes déployées, et emporter ses armes et ses bagages[15].

Pendant que se négociait la capitulation, les Mayençais se livraient à la joie. Le silence du canon et le va-et-vient des aides de camp leur faisaient pressentir la reddition prochaine. Ils sortaient des caves où ils vivaient depuis un mois et, tout heureux de revoir la lumière, couraient dans les églises remercier Dieu de leur délivrance. D'autres se rendaient aux remparts. Des officiers prussiens galopaient déjà dans la plaine et après avoir adroitement évité les pièges à loups, s'avançaient sur le glacis, soit pour passer le temps et satisfaire leur curiosité, soit pour s'enquérir du sort de leurs amis. Plusieurs, et Gœthe avec eux, poussèrent jusqu'à la barrière qui fermait la première porte. Qu'y a-t-il, leur demandèrent les assiégés, et que nous apportez-vous ? On leur répondit que la place serait rendue le lendemain, et ils éclatèrent en applaudissements et en cris d'allégresse. A ce moment arrivait le célèbre anatomiste Sömmerring, qui voulait revoir sa maison abandonnée depuis quelques mois, revoir surtout sa bibliothèque et ses chères collections. Avant qu'on puisse le retenir, il enjambe la barrière, entre aussitôt dans la ville, et sans dire mot aux amis qui le rencontrent et le prennent pour un fantôme, il atteint sa maison et, à sa grande joie, retrouve tout intact : Je quitte la politique, écrivait-il cinq jours après, et me retire dans mon muséum1[16].

Mais la capitulation n'était pas signée. D'Oyré avait dû la soumettre au Conseil de guerre, et le 23 juillet, à onze heures du matin, Kalkreuth attendait encore sa réponse définitive. Le Conseil discuta très longuement les conditions posées par le général prussien. Quelques membres repoussaient avec beaucoup de vivacité l'article qui défendait à la garnison de servir durant un an contre les alliés. Je me soumets à cet article, disait Dubayet, tant que les ennemis resteront sur leur territoire ; mais s'ils envahissent le sol de la République, je servirai contre eux, au risque d'être pendu1[17].

Une question plus grave, plus brûlante encore, était celle des clubistes. Le Conseil de guerre jugeait que d'Oyré n'avait pas assez fait. On résolut de s'adresser derechef à Kalkreuth et d'obtenir de nouvelles conditions en faveur des patriotes. D'Oyré écrivit au général que plusieurs habitants du pays, craignant qu'un plus long séjour ne leur devînt funeste, désiraient gagner la France ; il demandait que ces personnes pussent se rendre à Oppenheim avec femmes et enfants, domestiques et effets ; d'Oppenheim, elles iraient, sous l'escorte d'un détachement prussien, aux avant-postes de l'armée du Rhin, où elles seraient échangées au même moment contre les otages mayençais. Kalkreuth accepta la proposition ; il répondit que les patriotes pourraient se rendre dès le lendemain à Oppenheim, sous condition qu'ils lui fussent remis, et il promettait de les protéger et d'en avoir soin. Les commissaires de la Convention, Merlin et Reubell, requirent aussitôt les corps administratifs d'Alsace de transférer les otages mayençais sans nul retard et sans la moindre négligence, promptement, décemment et commodément aux avant-postes de l'armée du Rhin. Mais les clubistes ne croyaient pas aux promesses de Kalkreuth. Ils se rappelaient le sort des patriotes de Worms, le cruel traitement qu'avaient essuyé Arensberger, Blau et Scheuer, la pendaison de Lutz. Ne voyaient-ils pas du haut des remparts la foule des émigrés qui se pressait aux portes et les menaçait de sa vengeance ? Au lieu de se remettre à la sauvegarde des Prussiens jusqu'à l'échange des otages, la plupart aimèrent mieux s'échapper de Mayence sous l'uniforme français en se mêlant aux volontaires nationaux[18].

Enfin, le 23 juillet à midi, Schaal apportait à Kalkreuth la signature du général en chef. Mais la garnison devait sortir en deux colonnes, et le Conseil de guerre désirait que chaque division eût au moins deux canons avec elle. D'Oyré demandait donc au roi de Prusse une dernière faveur, celle de laisser à ses braves artilleurs deux pièces de 4 et deux caissons. Frédéric-Guillaume donna les deux pièces et les deux caissons au général pour lui témoigner son estime. Voilà deux pièces, disait le comte de Deux-Ponts, qui pourraient bien faire guillotiner d'Oyré[19].

Le même jour, les Prussiens prenaient possession de Kastel et des ouvrages extérieurs. Le lendemain, 24 juillet, dans l'après-midi, la première colonne de la garnison[20], commandée par Dubayet et Kléber, sortait de la ville. Les compagnies franches de Marigny ouvraient la marche ; elles étaient l'élite de l'armée, et aucune troupe n'avait mieux fait son devoir, aucune ne les avait surpassées en courage comme en discipline et en bonne tenue ; aussi méritaient-elles de former l'avant-garde de ceux qu'on devait appeler désormais les Mayençais ; elles étaient les premières à l'honneur après avoir été les premières à la peine. Puis arrivèrent au pas accéléré les bataillons de volontaires. Je n'ai jamais rien vu, rapporte le comte de Deux-Ponts, ni de plus insolent ni de plus sale que ces fils de la liberté. Gœthe les qualifie de Marseillais : ils étaient, dit-il, petits, noirs, bariolés, déguenillés ; on aurait cru que le roi Edwin avait ouvert sa montagne et lâché sa joyeuse armée de nains. Quelques-uns étaient ivres, d'autres s'écartaient des rangs, mais des cavaliers, des grenadiers semonçaient les turbulents et ramenaient les traînards. La plupart annonçaient sur un ton sérieux qu'ils reviendraient bientôt sur les bords du Rhin et rentreraient dans Mayence avant trois mois. Ils avaient le visage satisfait et comme triomphant ; ils saluaient la foule, serraient la main aux Prussiens, chantaient, plaisantaient, riaient aux éclats, semblables, selon le mot d'un témoin oculaire, à des gens qui n'ont plus de souci ou qui s'élancent à la conquête de l'univers. Plusieurs avaient joint à leur cocarde tricolore ou mis ou bout de leur fusil de petits bonnets rouges. Ils prirent le landgrave de Hesse-Darmstadt pour le roi de Prusse. Tiens, disaient-ils tout haut, vois-tu celui-là avec son crachat ? Est-ce que c'est leur roi, çà ? Des jeunes filles, gaies, alertes, marchaient à côté d'eux ; c'étaient des Mayençaises heureuses d'accompagner leur amant et d'aller en France. Le peuple, amassé sur le chemin, leur faisait des adieux moqueurs : Bon voyage, Mademoiselle Lisette ; vous avez donc eu le temps d'étudier le français et vous voulez courir le monde, vous aussi ! Attention ! vos semelles sont encore neuves, elles s'useront bientôt ! Elles ne répondaient pas ou se contentaient de sourire en regardant leurs compagnons de route, et les vieilles matrones, dans leur étonnement, se chuchotaient les unes aux autres que ces Français avaient un charme pour conquérir les cœurs. Après les volontaires, défilèrent les bataillons de ligne, Bassigny, Saintonge, fiers, un peu chagrins et renfrognés, mais ne donnant pas la moindre marque d'humiliation ou d'abattement, et tous ceux qui les virent louèrent leurs bonnes façons, leur prestance, leur aspect imposant, la propreté de leur uniforme et de leurs armes. Vinrent ensuite les chasseurs à pied : les chasseurs de Paris, dont les Prussiens admirèrent la belle contenance et l'air assuré ; les chasseurs de Kastel, aux gestes résolus, à la figure audacieuse ; ils avaient montré sur la rive droite du Rhin autant de vaillance que les Francs de Marigny sur la rive gauche ; ils emmenaient avec eux le corps de Meusnier et avaient à leur tête l'aide de camp Damas, qui montait le cheval du général et portait son épée. La cavalerie suivait l'infanterie. Elle se composait de détachements de chasseurs qui s'avançaient en silence. Soudain la musique fit entendre la Marseillaise. Avec quelque entrain qu'on l'exécute, dit Gœthe, ce Te Deum révolutionnaire a déjà quelque chose qui remplit l'âme d'une mystérieuse tristesse. Cette fois, on le jouait tout doucement, comme pour se conformer à l'allure lente des chevaux. L'effet fut saisissant, terrible, et quel grave spectacle que celui de ces cavaliers longs et maigres, tous d'un certain âge, tous d'une mine qui répondait à ces accents ! Chacun d'eux ressemblait à Don Quichotte ; tous ensemble et en masse inspiraient le plus profond respect. Enfin parurent, avec Dubayet, les commissaires de la Convention et du pouvoir exécutif, Merlin de Thionville et Reubell, Simon, Meyenfeld et leur suite. Merlin attirait l'attention par son costume d'artilleur, par son écharpe tricolore, par sa lévite de velours vert, par sa martiale attitude, par ses épaisses moustaches, par son regard hardi, presque farouche. A ses côtés marchait le colonel des clubistes, Rieffel, vêtu d'un habit de chasseur à cheval, le shako surmonté d'un grand panache. Les Mayençais le reconnurent : Rieffel ! Rieffel ! Voilà le brigand, voilà le scélérat ! et ils se précipitèrent sur lui. L'hôtelier du Roi d'Angleterre eût été jeté par terre et sûrement assommé ; mais Dubayet et Merlin intervinrent. Prenez garde, cria Merlin d'une voix tonnante, je suis représentant de la nation française, et je saurai venger toute insulte ; je vous conseille la modération ; ce n'est pas la dernière fois que vous me voyez ici ! Et, s'adressant aux officiers prussiens, il invoqua la parole de leur roi : Est-ce ainsi qu'on tient la capitulation ? Dubayet joignit ses protestations à celles de Merlin. Je compte, dit-il à trois reprises, je compte sur la loyauté du roi de Prusse. Déjà les soldats qui l'escortaient murmuraient, s'agitaient, croisaient la baïonnette et menaçaient de repousser la force par la force. Le duc de Weimar se détacha du groupe des officiers et assura qu'on ne ferait aucun mal à Rieffel. La foule se Lut, interdite ; personne n'osa plus bouger. Dubayet se tourna vers la colonne : Silence, pas ordinaire, avancez !, et tous les patriotes mayençais qui s'étaient, comme Rieffel, revêtus de l'uniforme français et confondus dans les rangs de la garnison, passèrent sans être inquiétés. Plusieurs furent encore reconnus, hués, couverts d'injures ; aucun, dit un de nos officiers, ne fut soustrait à notre protection[21].

Le jour suivant, 25 juillet, sortait la seconde colonne, sous les ordres de Schaal. Cette fois, les clubistes ne s'en tirèrent pas si heureusement. Les émigrés, affamés de vengeance, soulageant par des cris de malédiction leur cœur ulcéré, s'excitant les uns les autres à ne pas faire grâce, s'étaient postés partout, au bord et dans les fossés de la route. Pas un patriote n'échappa. Une jeune dame passait dans un très beau carrosse à trois chevaux, et ne cessait de se montrer à la portière, d'envoyer en tous sens des sourires et des saluts. On ne se laissa pas abuser par ces démonstrations d'amitié ; on enlève les brides au postillon ; on ouvre la voiture ; on y trouve, à côté de la dame, le fameux Georges Böhmer. Böhmer, oui, c'est bien Böhmer, cet homme à la taille courte et ramassée, au visage large et gravé de petite vérole. On le tire par les pieds, on le traîne dans le champ voisin, on le frappe, on le piétine, on l'aurait tué si des Prussiens, saisis de pitié, ne s'étaient interposés. Böhmer, tout meurtri, entièrement méconnaissable, fut transporté dans une maison de paysan et couché sur une poignée de paille. Mais là encore il n'était pas à l'abri des insultes. Plus d'un Mayençais vint se moquer du matador et lui lancer à la face l'injure et l'outrage. Comme Georges Böhmer, tous les clubistes furent arrêtés ; comme lui, tous furent déchirés de coups par une multitude implacable. Les volontaires n'essayèrent pas de les défendre ; ils eurent même la lâcheté de les dénoncer par un geste ou un clin d'œil et de les pousser en souriant dans les bras de leurs bourreaux. Clubiste ! Clubiste ! criait la foule, et aussitôt le malheureux était arraché des rangs et terrassé. Plus d'un patriote aurait péri, sans les cavaliers qui se tenaient devant les portes ; ils laissaient gourmer et rosser le clubiste, puis, quand la fureur populaire leur semblait un peu apaisée, ils le recueillaient au milieu d'eux[22].

Des scènes semblables se passaient dans la ville, et déjà commençait la réaction contre le système français, contre la farce de la liberté que les nouveaux Francs et leurs singes avaient jouée dix mois durant sur les bords du Rhin[23]. Quelques clubistes avaient refusé de quitter Mayence et croyaient qu'on ne leur ferait pas de mal. Ils furent appréhendés dans leur domicile et jetés en prison, après avoir subi mille sévices. On tira de son lit le vieil Eckel et l'on cloua sa perruque à l'un des gibets dressés par Custine. On traîna dans les rues Zech et sa femme, Rulffs, Razen, le vitrier Müller, le mercier Endlich, le tonnelier Herrchen, d'autres encore, plus morts que vifs, et qui n'arrivèrent à la grande garde que le visage ensanglanté, les vêtements déchirés et les poches vides. On mit à sac les maisons des clubistes absents, de Patocki, de Bittong, et les dégâts furent tels qu'il ne demeura que les quatre murs. Ceux qui pillaient la maison de Bittong, versaient le vin par les fenêtres dans la bouche de leurs camarades restés en dehors. J'ai vu ici, écrit un médecin français, de nombreux exemples de la vengeance la plus raffinée ; la dernière colonne de notre armée n'avait pas encore quitté les murs, que les persécutions les plus inouïes ont été exercées sur les clubistes ; avant-hier matin on a découvert le pauvre Hafelin qui s'était caché dans sa cave ; les sbires électoraux scrutent tous les coins et recoins de la ville[24].

Les patriotes incarcérés devaient être échangés contre les otages mayençais détenus à Belfort. Mais les représentants à l'armée du Rhin refusèrent de reconnaître la capitulation, et lorsque les otages arrivèrent à Strasbourg, ils les renvoyèrent à Nancy[25]. Un grand nombre de clubistes restèrent en prison, les uns à Königstein, les autres à Erfurt ; ils ne recouvrèrent la liberté que le 9 février 1795, après que les otages de Nancy eurent été relaxés.

Mais la persécution donna du prestige aux patriotes et lava, pour ainsi dire, leurs souillures. Les avanies, les vexations dont ils étaient l'objet, leur ramenèrent les cœurs. On les plaignit ; on ne songea qu'à leurs souffrances ; on les regarda comme de glorieux martyrs, comme d'héroïques soldats qui subissaient les plus rudes épreuves pour une cause sacrée. On se désaffectionna de l'ancien régime qui reparaissait sans avoir rien appris ni rien oublié. On se rappela les maximes de justice et d'humanité qu'avait proclamées la Révolution ; on apprécia les bienfaits qu'elle portait avec elle. L'Electeur de Mayence ne faisait aucune réforme. La plupart des hommes éclairés se rejetèrent de nouveau vers la France ou du moins, sans souhaiter le retour des nationaux, accueillirent froidement et avec une secrète hostilité le gouvernement électoral. Jusqu'à la paix qui devait céder Mayence à la République, les âmes demeurèrent telles que Jean de Müller les avait trouvées au lendemain de la capitulation du 23 juillet : tout, disait l'historien, est dans une silencieuse fermentation, chacun levant la main et ouvrant la bouche contre l'autre, tous misérables et dans un état de malaise et d'oppression, tous mécontents des amis et des ennemis, de l'ancienne constitution comme de la nouvelle[26].

 

III. Tel fut le siège de Mayence, un des sièges les plus mémorables que cite l'histoire, un de ceux que la légende a parés le plus volontiers de détails merveilleux, un de ceux qui de loin prennent à nos yeux les proportions d'une épopée. La garnison n'eut pas toujours l'héroïsme qu'on lui prête. Elle manquait d'instruction et d'expérience. Ses officiers et ses soldats s'initiaient presque tous aux éléments de leur métier. La bravoure des individus, écrit justement d'Oyré, n'était point soutenue par cet ensemble, fruit de la discipline et de la confiance dans les chefs. De là, cette fausse terreur qui se propagea de rang en rang dans l'expédition de Mosbach. De là, les premiers échecs du poste de Weisenau qui se laissait surprendre et sabrer, dans la matinée du 10 avril, par un parti de cavalerie et qui, quatre jours plus tard, en un instant de panique, abandonnait le village. De là, les désertions quotidiennes, les pillages, les actes nombreux d'insubordination et les défaillances qui saisirent plus d'une fois les assiégés. De là, l'épouvante de ces deux bataillons de volontaires qui jetaient leurs armes dans la nuit du 4 au 5 mai, près de Bretzenheim, et obligeaient la légion des Francs à battre précipitamment en retraite. De là, comme dit d'Oyré, cette espèce de paradoxe que des hommes qui, sur le rempart, recevaient des boulets sans broncher, cédaient si fréquemment aux attaques de vive force et lâchaient sans nulle vergogne les officiers qui tentaient de les ramener et de leur faire reprendre un ouvrage perdu. De là, cette lassitude qui s'empara d'eux aux derniers jours du siège, et leur joie excessive, scandaleuse à la nouvelle de la capitulation ; ils se mêlèrent à l'assiégeant qui s'égayait et chantait victoire ; ils traînèrent aux avant-postes prussiens des tonneaux de bon vin pour fêter la fin de leurs misères[27].

Mais tel quel, ce siège mérite de rester populaire. Deux chroniqueurs mayençais, très hostiles à la Révolution, déclarent, l'un, que les Français montrèrent souvent un héroïsme admirable, et que, dans les entreprises les plus dangereuses, leur courage s'exaltait jusqu'à la fureur ; l'autre, que leur vaillance, en des périls évidents, le frappait de surprise[28]. Quels hommes que Dubayet, Beaupuy, Decaen, Vidalot-Dusirat, Lefaivre, Seguin et tant d'autres qui faisaient si glorieusement leur apprentissage de la guerre ! Quels soldats que ces volontaires du siège ou que ces chasseurs de Kastel qui défiaient les ennemis à la façon des héros d'Homère et les prenaient corps à corps, parmi les ruines de Kostheim, dans cette journée du 3 mai où, selon le mot de Damas, il y eut autant de combats singuliers que de combattants ! Leur audace, écrivait-on au Moniteur, déconcerte les assaillants ; jamais, dans les temps de guerre les plus renommés, les Français n'ont eu une valeur plus brillante s[29]. Les Allemands reconnurent le feu des républicains, leur résolution, leur habileté : il ne suffisait pas de leur arracher un poste, il fallait le protéger et le couvrir contre leurs brusques retours, faire sans cesse bonne garde, avoir nuit et jour l'œil au guet. A diverses reprises, ils affirmèrent, après le siège, que les carmagnoles avaient défendu chaque pouce du sol mayençais comme une parcelle de leur propre territoire et avec une inébranlable obstination. Ils avouèrent que s'ils avaient eu à leur tête des officiers de la trempe de Kléber et de Marigny, ils auraient essuyé moins de fatigues et de dangers[30].

Ces braves Français compatissaient aux souffrances de la population. Ils partagèrent leur pain avec les indigents. Ils firent des collectes pour secourir les pauvres. Ils distribuèrent 460 francs aux sinistrés de Weisenau. Ils éteignirent les incendies avec un zèle auquel leur ennemi rend hommage[31] et, atteste un contemporain, ils ont, par leur dévouement et par maint autre trait de noblesse, mérité dans le cœur des habitants un reconnaissant souvenir. Plus d'un officier garantit ses hôtes de tout dommage et, avec une sollicitude constante, préserva leur maison et leur fortune des entreprises des clubistes. Plus d'un garda dans sa cassette, jusqu'à la fin du siège, l'argent des émigrés et remit ensuite ce dépôt à leurs parents ou à leurs amis[32]. Le 5 juin, un Mayençais se noyait dans le Rhin ; Ledars, canonnier du 4e bataillon du Calvados, se jette à l'eau et s'efforce de sauver le malheureux ; il ne se nomma que sur les instances réitérées de la municipalité et n'accepta qu'après une vive résistance une récompense de 11 florins[33]. Le 24 juin avait lieu, selon le mot de Gaudin, la plus triste et la plus déplorable déportation qu'il soit possible d'imaginer. A onze heures du matin, sur l'invitation de la municipalité et avec l'autorisation du Comité de surveillance, 1.500 Mayençais, parmi lesquels beaucoup de femmes et d'enfants, traversaient le pont du Rhin et sortaient de Kastel. On croyait que l'assiégeant les laisserait passer. Les avant-postes allemands ne voulurent pas les recevoir. Vainement Dubayet, révolté, criant à l'humanité outragée, défia, dit-on, Schönfeld à un combat singulier ; le général prussien refusa d'accepter le cartel. Vainement l'Electeur, le chancelier Albini, les princesses de Mecklembourg intercédèrent auprès de Frédéric-Guillaume en faveur des malheureux ; le roi invoqua les droits de la guerre. Les déportés revinrent sur leurs pas. Mais Kastel leur ferma ses portes et les commissaires Merlin et Reubell leur défendirent de retourner à Mayence. Ils demeurèrent en rase campagne durant la nuit du 24 au 23 juin, par une pluie froide mêlée de grêle, sous les coups de canon qui partaient des deux camps. Il est vrai qu'ils se mirent à l'abri, au bas de l'escarpement du Rhin ; il est vrai que les Prussiens ne leur envoyèrent des boulets qu'à de rares intervalles ; il est vrai que les Français ne tirèrent qu'à poudre et pour les intimider. Mais une servante fut tuée, deux enfants moururent d'effroi, deux femmes accouchèrent ; de l'autre rive du Rhin, on voyait cette foule éplorée, levant les mains au ciel et suppliant les Français de leur rendre l'asile qu'elle avait quitté. Enfin, nos soldats eurent pitié de ces infortunés, et n'écoutant que leur cœur, et sans crainte de la punition que leur vaudrait leur désobéissance, ils recueillirent les infirmes et les vieillards sous leurs tentes et dans leurs tranchées ; les chasseurs à cheval prirent les femmes en croupe et les emmenèrent à leur campement ; ils enveloppèrent de leurs manteaux les enfants à la mamelle que leurs mères désespérées ne pouvaient plus nourrir et les portèrent en ville ; un commissaire des guerres envoya des bouteilles de vin et du lait ; un officier qui refusa de se nommer, donna treize louis et une montre d'or. Reubell et Merlin durent céder à l'indignation des troupes et permettre aux déportés de rentrer dans Mayence[34]. La conduite des Français, écrit un pamphlétaire de l'époque[35], a reçu tous les applaudissements ; hélas ! pourquoi cette brillante nation est-elle devenue par d'autres motifs l'objet de notre haine !

Aucun de ces soldats généreux n'avait perdu la gaieté française, légère et réconfortante. Que de rires au bivouac lorsqu'ils faisaient rôtir un rat à la pointe de leur sabre, ou qu'ils se régalaient d'une grenouille, ou qu'ils mangeaient en salade quelques poignées d'herbe ! Quels cris d'enthousiasme et quelle joyeuse mascarade dans la nuit du 25 mai, lorsqu'au retour d'une sortie, ils ramenèrent en triomphe une vache et un canon ! Ils avaient mis au bout de leur baïonnette le butin qu'ils avaient fait, un bonnet, un gilet, un haillon ; quelques-uns s'étaient affublés de l'uniforme allemand. Quelle fête lorsque les chasseurs de Kastel, Meusnier et Merlin de Thionville en tête, défilèrent à la parade avec les trois pièces qu'ils avaient conquises dans la redoute saxonne ! Les bateliers les accompagnaient en agitant leurs rames ; quatre hommes portaient un arbre orné des fusils et des sabres que les soldats avaient pris, et le lendemain soir, dans la grande salle du café Schröder, les clubistes offrirent aux vainqueurs un dîner patriotique et un bal[36].

Les assiégeants, Prussiens, Autrichiens, Hessois, rivalisaient de bravoure avec les assiégés. Les Hessois montrèrent leur vaillance native : Avancez, leur criaient les chasseurs de Kastel dans les sorties, avancez, grenadiers hessois ! et lorsqu'ils entrèrent dans la ville, voilà les soldats de Hochheim, dirent les blessés français, ce sont de s... braves gens et ils ont le diable au corps 1[37]. Les hussards de Wurmser se signalèrent par leur adresse autant que par leur audace ; aussi intrépides l, que les hussards de Wolfradt, ils étaient plus rapides, plus souples, et Kalkreuth leur confia le service d'éclaireurs[38]. Les Prussiens n'avaient pas moins de témérité, et les mémoires du temps nous racontent à ce sujet plus d'une anecdote. Ils ramassaient les boulets à peine tombés pour les vendre aux juifs de Mosbach à raison d'un kreutzer la livre. Des soldats jouaient aux cartes dans le moulin de l'Electeur ; survient un boulet qui frappe le mur au-dessus de leurs têtes ; imbécile ! s'écrient-ils sans interrompre leur partie[39]. Un jour, Merlin fait prisonnier un hussard. Il lui demande quelle est la force de l'armée prussienne, et si le roi veut donner l'assaut. Notre force est telle, répond le hussard, que nous n'avons jamais peur ; mais le roi ne donnera pas l'assaut et ne risquera pas la vie de tant de braves gens ; il aimera mieux affamer la ville. Merlin lui remet deux thalers ; le hussard les jette à un volontaire en guenilles : Tiens, voilà de quoi t'habiller ; mon uniforme est encore bon. Merlin lui propose de s'enrôler dans l'armée de la République : Tu deviendras officier, lui dit-il. — Entrez vous-même au service de notre roi, réplique le hussard, vous deviendrez simple soldat. — Le roi, s'écrie Merlin, a-t-il beaucoup d'hommes comme toi ?J'en serais désolé, car je me suis laissé prendre ; je vous prie, renvoyez-moi dès aujourd'hui. Merlin le renvoya sur-le-champ[40]. Le roi de Prusse savait, au reste, récompenser la valeur de ses troupes. Il ordonna pendant le siège que les soldats qui s'étaient distingués par une action d'éclat, recevraient une médaille d'argent, et les sous-officiers une médaille d'or ; tout chasseur ou tirailleur qui tuait un Français aux avant-postes, aurait un frédéric.

Toutefois la lutte ne fut nullement acharnée et implacable. Comme il arrive d'ordinaire, l'humanité se réveillait dans les cœurs les plus rudes. Au milieu des jardins de Mombach, à la suite d'un tacite arrangement, les Français vivaient en paix avec les odieux Autrichiens. Les premiers étaient maîtres du bois ; les seconds, des fontaines ; chaque soir, les républicains traînaient des fagots aux avant-postes ennemis ; chaque matin, ils jetaient leurs bidons aux Impériaux qui les remplissaient d'eau fraîche et les leur relançaient[41]. Le 15 juin, à Wei- senau, les Français levant la barrière de la route, déposant leurs fusils et leurs sabres, venaient au devant des soldats du régiment de Wartensleben et leur offraient du pain et du vin. Le surlendemain, dans la nuit, à l'ouverture de l'arrière-parallèle, un lieutenant-colonel du régiment d'Alton était fait prisonnier : Monsieur, lui dit un officier des troupes de ligne, vous vous êtes sans doute égaré. Nous sommes vos ennemis. Où voulez-vous aller ?Je ne sais pas où je suis, répondit le colonel tout embarrassé. — Eh bien, répliqua le Français, je ne puis vous regarder comme ennemi, et encore moins comme prisonnier, et il le fit reconduire aux avant-postes, en lui témoignant les plus grands égards[42].

Ce fut surtout entre Français et Prussiens que s'établirent les rapports les plus cordiaux. Comme dans la retraite de Champagne[43], les soldats des deux nations nouaient volontiers connaissance et finissaient par se traiter avec une sorte de camaraderie familière. Pendant les suspensions d'armes ou lorsqu'on enterrait les morts, les Français demandaient du tabac aux Prussiens et leur donnaient en échange des cocardes tricolores ou leurs bonnets de police. A Bretzenheim et à Weisenau, malgré les défenses répétées des généraux, les tirailleurs des deux partis se rencontraient et s'accordaient pour piller et boire ensemble. De l'île Saint-Pierre, les patrouilles françaises criaient par un porte-voix aux Prussiens qui s'installaient sur la rive droite et qui s'abstenaient de tirer : Votre couvent est-il bien peuplé ? Avez-vous de bons chantres ? Pourquoi ne chantez-vous pas ? D'autres fois, durant la nuit, ils hélaient l'officier de garde. Monsieur l'officier de Prusse, bonsoir ! et l'officier répondait Gute Nacht ! Les entretiens les plus curieux avaient lieu dans les îles du Mein en langue allemande entre Prussiens et Alsaciens. Après s'être observées et guettées quelque temps, les vedettes convenaient de ne plus tirailler et de faire trêve : et si le Prussien tirait, Prussien, disait le Français, tu ne tiens pas ta parole ! On s'invectivait de part et d'autre. Mangeur de cheval !Et toi, mangeur de pain noir !Voleur de sel[44] !Et toi, qui voles partout où tu peux !Régicide !Alors, prends garde à ton roi ! Finalement, on plaisantait, et le Français partageait son pain blanc avec l'adversaire[45].

On vit se former ainsi de touchantes affections. Un soldat prussien avait blessé un soldat français, et, dans l'ardeur du combat, il allait l'achever d'un coup de baïonnette ; mais l'autre lui demande grâce, et touché de pitié, il le relève et l'emmène. En chemin une balle atteint l'Allemand ; il tombe, et le Français, plus valide, l'emporte à Mayence. Là, tous deux sont reçus à l'hôpital et couchés dans le même lit ; ils nouent amitié ; le Français meurt en léguant à son compagnon une poignée d'écus, et lorsque la ville capitule, le Prussien, libre et guéri de sa blessure, ne se console pas de la perte qu'il a faite[46].

La guerre entre Français et Prussiens revêtait donc un caractère chevaleresque. Jamais peut-être deux ennemis ne firent semblable assaut de politesse et ne déployèrent l'un envers l'autre autant de courtoisie et, comme on disait alors, de procédés. Ils saisissaient presque toujours entre deux combats l'occasion de se témoigner leur estime, ce sentiment, écrivait Dubayet, qu'il est si beau d'inspirer à des hommes qui ont les armes à la main contre nous[47].

Le 16 mai, aux abords de Mombach, Marigny échange quelques balles de pistolet avec un officier prussien et lui propose un duel au sabre. Soit, dit son adversaire, mais si je m'avançais en ami ?Vous seriez également bien reçu. Les deux officiers se serrent la main et s'embrassent. Leurs camarades les rejoignent. On cause, on rit, on convient de se revoir, et Merlin invite les assistants à déjeuner le jour suivant au même endroit. Le lendemain, Marigny, Reubell, Merlin, Gaudin, le commandant Lamure, des officiers supérieurs, de la garnison, les deux clubistes Hofmann et Rieffel, qu'on tint d'ailleurs à distance, arrivent au rendez-vous avec une escorte de chasseurs à cheval. La table est mise sur le gazon entre les avant-postes, et comme pour marquer que l'abondance règne dans la ville, Merlin sert à ses hôtes du pain français blanc et frais, des pâtés grands et petits, des poules d'Inde. Le vin du Rhin et le Champagne coulent à flots. Trente personnes, entre autres le prince Louis-Ferdinand de Prusse, le colonel Stein, le colonel Wachenheim, des hussards de Wurmser, et des émigrés, Turpin et un très joli jeune homme, le duc de La Roche Aymon, depuis pair de France et lieutenant-général, prenaient part à ce déjeuner. Louis-Ferdinand se montra gai, plaisant et plein d'une légèreté ci-devant française ; mais à la fin du repas il tira Reubell à l'écart et s'entretint longtemps avec lui. Cependant les deux escortes fraternisaient : chasseurs français et hussards prussiens trinquaient ensemble, s'embrassaient, jouaient aux barres et promettaient de se sabrer vaillamment à la prochaine rencontre. Au bout de deux heures, on se séparait, non sans regret : la fête, disait un Français, est aussi belle qu'extraordinaire, et un Allemand s'écriait : Quelle scène superbe ! que de politesse et d'amitié des deux côtés ! Mais l'appel avait sonné, la guerre recommençait, et le lendemain Marigny, traversant le lieu du banquet, s'emparait de Mombach[48].

Un sentiment de curiosité se mêlait à la sympathie des Prussiens. Après avoir, pendant le siège et tout en sablant le Champagne, fait jouer à la musique de leurs régiments le Ça ira et la Marseillaise, ils se plaisaient à considérer de près ces étranges républicains qui se vantaient fièrement de conquérir le monde entier à leurs principes. Durant les jours qui précédèrent et suivirent immédiatement la capitulation, ils se pressaient autour de la garnison. Ils assistèrent aux revues et trouvèrent qu'elles se faisaient sans pédanterie et avec beaucoup d'ordre. Les gardes nationales leur parurent indisciplinées, et quelquefois en leur présence un volontaire criait, pour les narguer : Vive la République ! ; mais ses camarades s'excusaient sur-le-champ : il faut, disaient-ils, écarter un tel bavard ou encore taisez-vous, mâtin, et faites honneur à la nation ! Presque tous étaient jacobins enragés et parlaient la langue du Père Duchêne, juraient, sacraient à chaque instant ; évidemment, remarquaient les Prussiens, Merlin avait endoctriné l'armée. Certains avouaient pourtant qu'ils ne servaient qu'à regret et pour ne pas compromettre leurs parents[49].

C'étaient surtout les officiers que les assiégeants s'efforçaient de connaître. On distinguait aisément à leurs manières les parvenus de la Révolution, et ceux dont la carrière avait commencé sous l'ancien régime. Mais tous se ressemblaient ; tous avaient la même physionomie, les mêmes yeux noirs, ouverts et étincelants, la même légèreté d'allure, la même vivacité parlante des gestes et des mouvements, le même visage plein de passion, le même enjouement, la même humeur badine. Tous fredonnaient, chantonnaient, jetaient dans la conversation des bons mots, des plaisanteries, des gasconnades. Tous étaient courtois et prévenants. On ne peut le nier, s'écriait un officier saxon, c'est une aimable nation. La plupart affirmaient leurs convictions franchement républicaines et regardaient les Allemands avec l'orgueilleuse pitié de l'homme libre pour l'esclave. Quelques-uns s'élevaient contre la tyrannie de la Convention. Mais, leur objectait-on, pourquoi vous faites-vous tuer pour cette assemblée que vous détestez ?Elle commande, répondaient-ils, et nous obéissons à la loi et pour sauver l'honneur de la France ; mais, quand nous aurons la paix, nous rétablirons un roi. — Quel roi ?Un roi constitutionnel ; nous mourrons plutôt que de proclamer un roi qui ne donne pas une constitution à la France. Tous d'ailleurs abhorraient les émigrés ; tous déclaraient qu'ils combattraient jusqu'au dernier souffle pour assurer à leur patrie les bienfaits de la Révolution ; la nation, dit un Allemand, est l'idole du militaire français, et il a pour devise : c'est la nation que nous servons[50].

 

IV. Tandis que quarante postillons, chargés d'annoncer la reddition de Mayence, entraient à Berlin en sonnant du cor[51], l'armée du Rhin, commandée par Beauharnais, et celle de la Moselle, conduite par Houchard, s'ébranlaient enfin pour secourir la ville. Elles reculèrent, dès qu'elles apprirent la fatale nouvelle. Mais Beauharnais, Houchard et les représentants près l'armée de la Moselle, Montaut et Soubrany, protestèrent contre la capitulation du 23 juillet. Beauharnais déclara qu'elle était honteuse, puisqu'il restait encore des munitions et du pain. Houchard s'écria que la garnison avait fait son devoir, mais que sa patience, son courage, son dévouement contrastaient étrangement avec la lâcheté de ses généraux, et, dans un transport de rage, il écrivit à Kalkreuth qu'elle n'avait pas été consultée, qu'elle ne pouvait être liée par la scélératesse de son chef qui lui cachait tout ; vous direz à votre maître, ajoutait-il, que je suis prêt à l'employer contre vous. Montaut et Soubrany dénoncèrent à la Convention cette capitulation infâme : Dictée par l'ennemi, disaient-ils, elle aurait dû révolter des républicains, et ce sont des Français qui l'ont eux-mêmes proposée, ayant encore des vivres et avant que la place eût souffert une seule brèche ! Eux aussi, comme Houchard, s'étaient entretenus avec les soldats, et les soldats affirmaient qu'ils n'avaient pas eu connaissance de la capitulation, qu'ils seraient plutôt morts sur les remparts. Sans doute les officiers prétendaient qu'on ne pouvait plus nourrir les chevaux ni donner de médicaments aux malades ; mais ne pouvait-on tuer les chevaux, et quant aux blessés, les secours des gens de l'art ne leur étaient-ils pas plus utiles que les médicaments ? Bref, concluaient Montaut et Soubrany, il fallait venger la nation, arrêter les chefs de la garnison, leur infliger le plus terrible des châtiments : Qu'une mort ignoble remplace celle qu'ils n'ont pas osé attendre glorieusement sous les murs de la ville ! L'indignation des représentants était si vive qu'ils firent arrêter aussitôt non seulement Schleginski et Gillot qui avaient signé la délibération du Conseil de guerre, mais Vidalot-Dusirat qui avait eu la bassesse de leur apporter le texte de la capitulation. Renvoyez, mandait Montaut à un ami, renvoyez à Cobourg cette garnison qui est digne de servir sous ses drapeaux ; si elle passe par l'armée de la Moselle, elle sera fusillée[52].

La Convention partagea l'irritation de Montaut et de Soubrany. Elle décréta le 28 juillet que d'Oyré et tous les officiers de l'état-major de la place étaient mis en état d'accusation et seraient conduits incessamment à Paris sous bonne et sûre garde. Durant quelques jours, la France entière ne parla que de la traîtrise de d'Oyré. Les gazettes publièrent que le loyal soldat avait vendu son honneur et sa foi. La reddition de Mayence, écrivaient les jacobins de Strasbourg, doit faire frissonner tout vrai sans-culotte, et ils menaçaient du glaive de la loi d'Oyré et les membres du Conseil de guerre. La trahison, disait Euloge Schneider, livre le nom de la République à la risée des tyrans. Le sultan prussien a refusé de traiter avec les représentants de la nation ; il a dit d'un ton superbe qu'il ne connaissait ni Reubell, ni commissaire de la Convention, qu'il ne connaissait que le général français. Mais ce général, ce traître, a ouvert les portes sans avoir soutenu un assaut ; la mort sera sa récompense[53].

Par bonheur pour lui, d'Oyré était resté à Mayence. Il voulait, avant son départ, retirer le papier-monnaie obsidional, et fournir à toutes les dépenses que causaient l'évacuation de la ville et l'entretien des hôpitaux. Mais il ne put négocier à Francfort un emprunt de trois millions de livres, ni obtenir de la caisse de l'armée du Rhin les fonds nécessaires. De son autorité privée, le représentant Ruamps[54] arrêta l'envoi d'une somme de dix-huit cent cinquante mille livres en numéraire que la trésorerie expédiait de Landau à Mayence sur la réquisition de Reubell et de Merlin. D'Oyré dut emprunter vingt mille écus à Frédéric-Guillaume.

Mais bientôt Kalkreuth reçut la lettre de Houchard. Il fut transporté d'indignation et publia sur-le-champ une déclaration énergique : la jactance de Houchard, disait-il, était digne du plus profond mépris, et lui, Kalkreuth, jurait que tout soldat de la garnison de Mayence qui servirait contre les alliés avant le mois d'août 1794, subirait le dernier supplice, s'il tombait entre leurs mains. Le roi de Prusse approuva son général. Houchard, écrivait-il au commandant Loucadou, a eu, entre autres insolences, la bassesse d'exprimer qu'il ne respecterait pas la capitulation ; s'il s'avise de forcer les soldats sortis de Mayence à servir avant l'année, je me verrai obligé de déclarer prisonniers de guerre tous les Français qui seront dans la ville. En attendant, il ordonna que les républicains restés à Mayence, sans exception aucune, ne recevraient ni passeport, ni permis de départ, et qu'ils seraient regardés comme otages, tant que la France n'aurait pas payé les dettes de sa garnison, ni remboursé les vingt mille écus qu'il avait avancés.

Plus de 1.000 Français, malades et blessés, infirmiers et officiers de santé, demeurèrent donc prisonniers à Mayence. Mais bientôt la colère prussienne se calma. Les républicains furent relâchés. Seul, d'Oyré et quinze autres, transférés à Erfurt, ne revirent la France qu'au mois de décembre 1794 ; on les échangea contre les seize otages mayençais[55].

 

V. Cependant la colonne commandée par Dubayet et Kléber traversait le Palatinat, et le spectacle qu'elle offrait était le même qu'au sortir de Mayence. On voyait d'abord s'élever sur la route un nuage de poussière ; puis on entendait comme un sourd murmure, comme un vague et immense bourdonnement, et à mesure que le bruit se rapprochait et devenait plus distinct, des éclats de rire et des chants. Enfin apparaissaient nos Français, toujours alertes, dispos, guillerets, trottant de leur pas léger, gardant cet air de supériorité qui convient à des vainqueurs, répondant volontiers aux questions des habitants, criant à l'aspect des soldats prussiens cantonnés dans les villages : voilà ces braves Prussiens qui sont de si bons enfants ! Un Allemand rapporte n'avoir jamais vu de bande plus joyeuse. Ce n'étaient d'un bout à l'autre de la colonne que lazzis, que plaisantes exclamations, que refrains gaiement entonnés. Mariez-la, mariez-la, chantaient les volontaires aux Mayençaises qui les accompagnaient[56].

Mais au milieu de cette insouciance des troupes, les généraux et les commissaires de la Convention demeuraient inquiets. Qu'allait dire le Comité de salut public ? Reubell dissimulait ses impressions. Merlin, plus démonstratif, avouait l'incertitude qui le tourmentait, et Dubayet, invitant à sa table un officier saxon, le priait, moitié figue, moitié raisin, de ne pas faire tant de façons avec des gens qui seraient bientôt pendus[57].

A peine les Mayençais avaient-ils touché le sol français, que les représentants du peuple aux armées de la Moselle et du Rhin, devançant le décret de rassemblée, ordonnaient d'arrêter les signataires de la capitulation, Dubayet, Kléber et Vimeux à Sarrelouis, Schaal, Chevalier et Dazincourt à Wissembourg[58] ; tous ces officiers devaient être menés à Paris et traduits devant le Comité de salut public.

La population de Sarrelouis était venue au-devant de la colonne de Dubayet. Elle avait fait une ovation au général, offert des couronnes de chêne aux officiers et dressé dans les rues des tables pour les soldats. La ville retentissait d'acclamations en l'honneur des Mayençais. Mais le lendemain, dans la matinée, au saut du lit, Kléber voyait un gendarme entrer dans sa chambre. Decaen prenait les ordres de son adjudant-général ; il s'imagine que le gendarme est envoyé pour le service de l'état-major et lui commande de descendre : vous m'attendrez en bas avec les autres plantons. Le gendarme ne bouge pas. De nouveau, Decaen lui notifie vertement de quitter la chambre. Je ne suis pas venu pour m'en retourner, répond le gendarme. — Que voulez-vous donc !Garder à vue ce citoyen, et du doigt il indique Kléber. Dans le même moment on annonce que Dubayet et Vimeux sont pareillement gardés à vue par des gendarmes. Kléber se recouche fort tranquillement. Allez voir ce que c'est, dit-il à Decaen. Ce dernier court au quartier-général ; mais il ne peut être introduit et ne rencontre que des officiers qui témoignent avec énergie leur mécontentement. Il regagne la chambre de Kléber. Deux hommes en bonnet rouge fouillaient les malles et s'étonnaient de n'y trouver que du linge et des vêtements. Decaen s'indigne, et malgré Kléber qui lui fait signe de se taire, il leur demande avec vivacité ce qu'ils cherchent. Les deux hommes répondent qu'ils exécutent les ordres de la Convention, et à leur tour interrogent Decaen. Qui êtes-vous ?Adjoint de Kléber. — Vous ne pouvez plus demeurer avec lui. Decaen retourne au quartier-général. Il entre et voit Dubayet entouré d'officiers que son arrestation enflammait de colère. Mais survient, accompagné de gendarmes, un homme en bonnet rouge ; il signifie aux assistants que Dubayet doit rester seul et leur ordonne de vider la place. Les officiers s'irritent de plus en plus, s'échauffent, menacent de mettre à la porte le commissaire et ses gendarmes. Dubayet les apaise, les embrasse, les remercie de lui donner de telles marques d'attachement, leur recommande de montrer autant de soumission qu'ils ont montré de courage : le Comité, leur dit-il, se laisse abuser par de faux rapports et révoquera ses ordres dès que Merlin et Reubell lui auront rendu compte des événements[59].

Beaupuy était le plus ancien colonel ; il prit le commandement de la colonne et la mena de Sarrelouis à Metz. Mais la municipalité, informée du décret de la Convention, décida que les soldats bivouaqueraient au Polygone et ne logeraient pas chez l'habitant. Cet affront achève de surexciter les Mayençais. Ils pleurent de désespoir, brisent leurs fusils, arrachent leurs cocardes. Puis, soudain, comme pris d'un accès de rage, ils se jettent dans la ville, malgré leurs officiers, et courent à la maison commune en criant vengeance. A la vue de ces troupes exaspérées, les municipaux s'enfuient et se cachent. Enfin, un d'eux se présente et demande ce que veulent les soldais. Donnez-nous des vivres, lui répond-on, et si vous nous refusez le logement, laissez-nous camper sur la grand'route ; nous aurons sous les arbres un meilleur bivouac qu'au Polygone. A cet instant arrivait Beaupuy ; après s'être entretenu avec l'administrateur, il commande le silence : Mes amis, dit-il, cet administrateur va se rendre au camp pour vous offrir une réparation de l'injure qu'on vous a faite et que vous ne méritez pas ; calmez-vous et suivez-moi. Ces paroles, rapporte un témoin de la scène, furent prononcées avec un charme séduisant. Aussitôt les soldats font demi-tour et regagnent le camp. Revenez, disent-ils à tous ceux qu'ils rencontrent, revenez, on vient nous faire des excuses. Bientôt les troupes sont rassemblées dans le Polygone ; Beaupuy mène l'administrateur au centre de la colonne, et du haut de son cheval, le représentant de la cité messine déclare que ses concitoyens admirent les braves défenseurs de Mayence et qu'ils s'empresseront de les accueillir de leur mieux. Tous les corps envoient sur-le-champ leurs fourriers à la municipalité ; les soldats rentrent dans la ville ; ils logent chez l'habitant, comme à Sarrelouis, et fraternisent avec lui[60].

Merlin de Thionville et Reubell n'assistaient pas à l'arrestation des généraux. Ils avaient pris les devants pour donner les ordres nécessaires à la subsistance de l'armée. Le premier officier français que Merlin rencontra lui dit en pleurant que Marat a succombé sous le couteau d'un assassin. Tant mieux , s'écrie Merlin ; puis, se reprenant : Tant mieux, car le sang d'un martyr fait naître des milliers de soldats[61]. Mais à Metz, le secrétaire général de l'administration lui demande tout bas et comme en confidence pourquoi Mayence n'a pas attendu les armées de secours. Tu m'interroges ? lui répond Merlin d'un air menaçant. Bientôt il lit le Moniteur, la dénonciation de Montaut et de Soubrany, le décret qui somme les commissaires Reubell et Merlin de comparaître aussitôt et sans retard devant la Convention. Il prend des chevaux de poste, et le 4 août au matin, il arrive à Paris. Il se rend sur-le-champ à la Convention tandis que Reubell se présente au Comité de salut public. Il n'avait pas eu le temps de changer son costume : habit de canonnier, pantalon de daim, bottes à la hussarde, sabre à la ceinture ; ses cheveux, sa moustache, sa barbe lui couvraient le visage. La sentinelle qui garde la porte de la Convention croise la baïonnette, mais il se nomme et il entre. La séance n'était pas encore commencée. Ses collègues le reconnaissent, et criant c'est Merlin ! volent à lui, de la Plaine, de la Montagne, l'embrassent, l'accablent de questions. Thuriot[62] lui serre la main et lui promet que le décret sera sûrement rapporté. D'autres, les larmes aux yeux, lui disent que des bruits sinistres ont couru sur son compte ; hier encore, on prétendait qu'il s'était jeté dans le Rhin pour ne pas survivre à la capitulation. La séance s'ouvre. Les membres du Comité de salut public et avec eux Reubell, toujours calme et flegmatique, entrent dans la salle. Le président, Bréard, annonce le retour des commissaires que la Convention avait envoyés à Mayence, et au milieu des applaudissements qui, selon le mot d'un journal, vont percer les voûtes, Merlin monte à la tribune. Il avait déjà cause gagnée. Il remercie l'Assemblée de cet accueil flatteur qui le console de ses chagrins. Il dit que la garnison de Mayence a tenu tête à quatre-vingt mille hommes des meilleures troupes de l'Europe, qu'elle manquait de tout, qu'elle aurait dû trois jours plus tard se rendre prisonnière de guerre, que la capitulation est infâme, mais qu'elle garde à la République seize mille braves soldats. Je laisse aux âmes sensibles, conclut Merlin, à demander le rapport du décret rendu contre l'armée de Mayence. Aussitôt Thuriot se lève ; il prie la Convention, un instant abusée, de révoquer le décret ; il assure que les assiégés ont tué plus de trente mille hommes aux assiégeants[63] ; il propose que Dubayet soit délivré de ses deux gendarmes et vienne avec confiance à la barre de rassemblée pour donner des éclaircissements et des détails qui, sans aucun doute, feront honneur à sa vaillance républicaine. Bréard prend la parole après Thuriot et déclare que les défenseurs de Mayence ont bien mérité de la patrie, La Convention adopte la proposition de Thuriot, amendée par Bréard ; elle décrète que la garnison de Mayence a bien mérité de la patrie, que les membres de l'état-major seront mis sur-le-champ en liberté, que Dubayet délivré de ses gendarmes viendra faire son rapport à la barre, que Merlin et Reubell iront incontinent à Nancy, où sont les Mayençais, leur notifier le décret[64].

Dubayet avait déjà, de Sarrelouis, écrit à la Convention que l'armée de Mayence recevait la Constitution de 1793 comme un bienfait, qu'elle saurait la défendre, et qu'oubliant ses fatigues et ses veilles, elle était prête à marcher de nouveau contre les ennemis de la liberté. Le 7 août, au milieu des transports de l'Assemblée, il narrait avec son emphase coutumière quelques épisodes du siège, l'expédition de Marienborn, la sortie de Mosbach dont il avait tracé le plan, la mort de Meusnier, dont les soldats avaient vécu durant deux mois sous une voûte de feu, la prise des îles du Mein ; il était impossible d'imaginer ce que les républicains avaient souffert. Danton présidait : il embrassa Dubayet et le félicita. L'Assemblée, disait-il, avait entendu son récit avec admiration.

Mais le surlendemain (9 août), Montaut arrivait de l'armée de la Moselle. Il attaqua les représentants Reubell et Merlin et les membres du Conseil de guerre, ceux qu'il nommait les meneurs, avec une violence extrême. Il leur reprochait d'avoir livré les déserteurs et cédé l'artillerie. Il prétendait que la ville avait encore du blé pour trois mois et que la garnison eût mieux aimé périr que de se rendre. Il proposait de traduire devant une cour martiale les signataires de la capitulation et demandait l'application de la loi contre ses deux collègues, Merlin et Reubell, qui ne s'étaient pas opposés aux opérations du Conseil de guerre et n'avaient pas fait tout ce qu'ils devaient faire pour la conservation de la place. Mais Thuriot, Thirion, Rühl, Haussmann défendirent les deux représentants, et Thuriot, reversant sur Montaut ses propres accusations, le blâma d'avoir conduit les armées un mois trop tard au secours de Mayence et d'insulter des vaincus dont il fallait louer la patience et l'énergie. A mon tour, ajoutait-il, je demande l'application de la loi contre l'état-major de l'armée du Rhin. La Convention décréta que Montaut signerait sa dénonciation et que le débat ne s'engagerait qu'après le retour de Merlin et de Reubell.

Le 17 août, Reubell et Merlin, revenus de Nancy, s'efforcèrent de réfuter Montaut. Un membre disait que Reubell ne visitait jamais les soldats, qu'il ne paraissait que dans les suspensions d'armes, qu'il était constamment sous un blindage. Reubell répondit qu'il ne savait pas ce qu'était un blindage, qu'on l'avait vu tous les jours au quartier-général, à l'hôpital militaire et dans les rues, que de Blou était mort à ses côtés. Qu'on me prouve, s'écria Merlin, qu'il y avait dans Mayence une place large comme mon chapeau où un homme pût être en sûreté pendant une heure, et je porterai volontiers ma tête sur l'échafaud ! La Convention nomma de nouveau Merlin et Reubell représentants du peuple et les chargea de mener les Mayençais en Vendée.

Montaut réussit tout aussi mal au club des jacobins. Là aussi, il accusa Reubell et Merlin, déclara que Merlin avait effrontément imaginé des tableaux hideux, demanda l'établissement d'une cour martiale qui punirait les coupables. Mais Reubell et Merlin se disculpèrent encore. Le président du club pria Montaut d'éviter des personnalités scandaleuses qui donneraient prise aux ennemis de la République, et de toutes parts la Société réclama l'ordre du jour.

D'Oyré répondit également à Montaut. Sa réplique, qu'il n'envoya pas, mérite d'être citée. Un commandant ou un Conseil de guerre, dit d'Oyré, a-t-il jamais consulté sa troupe avant de capituler ? L'épuisement de la garnison n'était-il pas visible ? N'avait-elle pas montré son découragement dans les dernières sorties ? Un seul soldat avait-il protesté durant les quatre ou cinq jours qui s'étaient écoulés entre les premiers pourparlers et la signature de la capitulation ? On avait promis de livrer les déserteurs ; mais cet article était une formule d'usage ; les déserteurs, au nombre de trente-deux ou de trente-trois, s'étaient faufilés dans les bataillons et aucun n'avait été repris. On rendait l'artillerie ; mais les officiers prussiens, chargés de la recevoir, déclaraient que sur 312 bouches à feu, 137 étaient hors de service. Les membres du Conseil de guerre n'ignoraient pas la loi ; ils savaient qu'une ville ne devait capituler que lorsque le corps de place avait subi plusieurs assauts ; mais, conclut d'Oyré, ils savaient aussi qu'il fallait plus que des murailles pour se défendre ![65]

 

VI. Custine paya de sa tête la reddition de Mayence. Les représentants Merlin, Montaut, Soubrany, rejetaient tout sur lui. Merlin affirmait que Monsieur de Custine n'avait pas approvisionné la place. Il faut sur-le-champ s'assurer de Custine, écrivaient Montaut et Soubrany au Comité de salut public dès le 25 juillet ; ce scélérat ne peut jamais être républicain ; son style avec les rois, ses ménagements pour celui de Prusse, sa retraite de Mayence, les dénonciations et les inquiétudes des vrais patriotes, tout nous fait un devoir de punir cet homme profondément corrompu qui n'a pour talents militaires qu'une jactance insolente. Et ils ajoutaient que le capitaine Boos avait, au nom de Custine, engagé d'Oyré à négocier la capitulation de la ville. Le Comité fit arrêter Custine. Il a suivi, disait Barère, le même système que Dumouriez ; Dumouriez a livré la Belgique, Custine a préparé l'invasion de l'Alsace ; Dumouriez a porté dans les Pays-Bas une considérable artillerie pour la faire tomber au pouvoir des Autrichiens, Custine a mis dans Mayence un grand nombre de bouches à feu pour les donner aux Prussiens[66].

Custine comparut devant le tribunal révolutionnaire et Mayence, son plus glorieux exploit, fut la cause principale de sa perte. Fouquier-Tinville l'accusa de trahison : Custine avait livré la ville ; il l'avait laissée à dessein sans munitions et sans vivres ; il y avait jeté une artillerie précieuse et immense pour en faire la proie des ennemis. Custine se défendit avec vigueur et pied à pied durant treize jours ; il discuta les témoignages qui le chargeaient ; il pallia ses fautes ; il vanta son activité, son patriotisme. Mais tous ses amis l'abandonnaient. Laveaux l'attaquait avec fureur dans le Journal de la Montagne. Les Jacobins de Paris exigeaient sa mort, et ceux de Strasbourg soutenaient que son infâme parti avait causé la reddition de Mayence. Robespierre le nommait le successeur de Dumouriez, l'agent de la faction anglaise, l'assassin du peuple français, un homme atroce qu'il fallait juger, non sur des preuves écrites et avec beaucoup de formalités, mais d'après ses actes dont le moindre appelait mille morts. Audouin s'écriait que la France entière attendait avec impatience l'exécution du perfide général. Bourdon, irrité des lenteurs de la procédure, demandait si Custine avait dix têtes qui devaient tomber sous le rasoir de la loi. Nous l'avons vu, disait Jeanbon Saint-André, se livrer à Mayence à tous les excès du luxe et de la débauche ; nous avons trouvé dans les armées la trace de ses complots ; il a paralysé ses troupes, il les a morcelées et divisées sans présenter nulle part aux ennemis une force imposante ; il n'a eu que des désavantages. Qu'est-il besoin de preuves ? Vainement la belle-fille de Custine sollicitait les juges. Hébert et Laveaux la dénoncèrent ; elle est, écrivait Hébert, aussi habile comédienne à Paris que l'était son beau-père à la tête de son armée, et Laveaux s'indignait qu'il y eût des hommes extrêmement aimables, extrêmement galants, soumis en tout à l'empire des dames, et qui aimaient mieux perdre une République que de désobliger une belle blonde[67]. Custine fut condamné à mort.

On sait aujourd'hui qu'il n'est aucunement responsable de la capitulation du 23 juillet. Son seul tort fut d'avoir dit tout haut, dans son imprudente et malheureuse vantardise, que Mayence pourrait tenir six mois et davantage. La place, une fois investie, devait succomber. Certes, elle aurait pu prolonger sa résistance. Si les forts Saint-Charles et Saint-Philippe ne servaient plus à la défense, encore n'étaient-ils pas au pouvoir des assiégeants. Le corps de place restait intact et l'ennemi n'avait ni donné l'assaut ni fait brèche à ses murailles. Si les fourrages allaient manquer, on avait de la farine jusqu'au 1er août, et quoiqu'une nourriture uniquement composée de pain et de vin ne répare pas, selon le mot de d'Oyré, les forces d'une armée éprouvée par les fatigues et les veilles, la disette n'existait pas à Mayence. Tous ceux qui virent défiler la garnison, attestent qu'elle avait très bonne mine et ne paraissait nullement exténuée de misère et de faim. Merlin prétendit qu'il avait fallu se nourrir des animaux les plus vils, et Dubayet se glorifia de donner un chat à ses invités. Après Merlin et Dubayet, on répéta que Mayence avait connu les plus grandes extrémités de la famine, et dès le 4 août, Thuriot assurait que les Mayençais ressemblaient à des spectres, qu'ils avaient mangé les chiens, les rats, les souris, les vieux cuirs. En réalité, durant tout le siège, les soldats reçurent chaque jour deux livres de pain et une bouteille de vin. Ils finirent même par s'accoutumer à la viande de cheval. Ils ne la goûtèrent d'abord qu'avec répugnance et les premières distributions excitèrent leurs murmures. Mais le besoin surmonta bientôt le préjugé. Ils se jetaient à la nage dans le Rhin pour ramener des chevaux morts sur la rive. Les Francs de Marigny livraient combat à l'assiégeant pour lui tuer ses chevaux ; dès qu'une bête tombait, les uns s'empressaient de la dépecer, tandis que les autres se portaient en avant et détournaient l'attention de l'adversaire. Il arriva même que les Francs, obligés de céder au nombre et d'abandonner leur proie, revinrent le lendemain sur le lieu de l'action pour s'emparer du cheval dont ils n'avaient enlevé que des lambeaux[68].

D'Oyré pouvait retarder d'une semaine la capitulation. Mais croit-on qu'il aurait été secouru ? Croit-on que les armées du Rhin et de la Moselle auraient pu refouler les Austro-Prussiens ? Croit-on que Beauharnais et Houchard auraient battu les troupes que commandaient Brunswick et Wurmser ? Ne furent-ils pas repoussés l'un à Niederhochstadt et l'autre à Leimen[69] ? A la nouvelle de la reddition, un officier de l'armée du Rhin écrivait que la République faisait une perle incalculable ; mais, ajoutait-il, le projet de délivrer Mayence aurait pu devenir plus funeste encore, nous coûter quarante mille hommes sans succès et ouvrir à l'ennemi le territoire de la République. Plusieurs militaires qui ont de l'expérience et des talents, pensent ainsi, et moi qui suis sur les lieux, qui ai pu juger parles retranchements que j'ai vus, de ceux que je ne voyais pas, j'ai toujours cru qu'on ne devait tenter de secourir la place que dans le cas où l'ennemi ne voudrait la recevoir qu'à discrétion ; mais j'ai toujours désiré une capitulation honorable[70]. Si la garnison tenait huit jours de plus, elle se rendait donc à merci, et qu'on songe à l'impression que cette reddition humiliante et désastreuse eût produite dans le monde ! La capitulation du 23 juillet laissait intact l'honneur des armées françaises et conservait seize mille hommes à la patrie. Sans doute, les deux colonnes qui sortirent de Mayence allèrent, comme dit Soult, s'engloutir dans la Vendée ; mais, au lieu de languir dans la captivité, elles combattirent et moururent pour la République.

 

FIN DU SEPTIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Journal du siège ; d'Oyré, Mém., 15.

[2] Rapport de Douay (A. G.).

[3] Mém. de d'Oyré, p. 12 ; Mém. de Decaen.

[4] D'Oyré, 13 ; Journal du siège.

[5] D'Oyré, 14 ; Decaen ; d'Ecquevilly, Camp. du corps de Condé, 1818, I, 98 ; dès le 9 juillet, la chaleur fut presque insupportable, comme la pluie et le froid quelques jours auparavant et l'on ne peut s'imaginer combien désagréable était la poussière, qui nous importuna pendant trois semaines que régna la sécheresse. (Bleibtreu, 174 et 179.)

[6] Gaudin.

[7] D'Oyré, 14-16 et Compar. des défenses ; Journal du siège (15 juillet 1793) ; Mém. de Schaal (A. G.) ; déposition de Merlin et de Schleginski au procès de Custine, 21 et 27 août 1793 ; Mém. de Decaen ; Czettritz, 263 ; Journal de la Montagne, 3 août 1793 (lettre de Haguenau). Deux personnes sûres sortirent de la ville, au commencement du mois de juin, mais la situation n'était pas encore désespérée ; elles virent Beauharnais et lui donnèrent quelques détails sur l'état de la place et le courage de ses défenseurs ; Beauharnais jugea leur rapport très rassurant et les adressa au Comité de Salut public auquel il envoya en même temps de la monnaie de siège en billon et en assignats (lettre du 8 juillet, Moniteur du 12 et du 17 juillet 1793). Il est toutefois étonnant, comme dit Simon, que pendant quatre mois les généraux des armées du Rhin et de la Moselle aient tellement négligé les moyens de faire parvenir à Mayence des nouvelles de leur existence. (Rapport du 13 août 1793, A. E.)

[8] Schaab, 383 et 390-391.

[9] Moniteur, 6 déc. 1792 et 12 janvier 1793 ; cf. Mainzer Zeitung, 10 janvier 1793. (On ne trouve pas au Moniteur la deuxième phrase de la lettre où Merlin dit que l'Assemblée a tort de s'occuper d'un monstre qui, de sa prison, suscite à la nation de nombreux ennemis.)

[10] Die Franzosen am Rheinstrome, II, 241. Cf. Bleibtreu, 175 Merlin est dans la place ; il a, le premier, signé la condamnation de Louis XVI.

[11] D'Oyré, 16 (le sort des commissaires) et Réponse au discours de Montaut (pap. de Merlin, 31 août 1793 pouvait-on abandonner les commissaires au sort que leur préparaient les ennemis de la liberté ?) ; Eickemeyer, Denkw., 199 ; Gaudy, 283 ; Mém. de Decaen. On ne doit pas d'ailleurs oublier que les deux représentants, — bien que la Convention ait décrété de leur envoyer une lettre de félicitations (20 avril, Moniteur, du 22), — n'étaient rentrés dans la place qu'à leur corps défendant.

[12] Papiers de Merlin, lettre du 20 juillet.

[13] Cf. le Mémoire de d'Oyré, p. 21-35.

[14] Darst., 1014.

[15] Häusser, I, 472 ; Belag., 271 ; Czettritz, 250.

[16] Schaab, 384 ; Gœthe, 256 ; Forsters Briefw. mit Sömmerring, 633-635.

[17] Mémoire de Schaal (A. G.).

[18] Rapport de Simon (A. E.) ; Moniteur, 17 août 1793 (lettre de Berlin) ; d'Oyré à Kalkreuth et Kalkreuth à d'Oyré, 23 juillet ; Merlin et Reubell aux administrateurs des départements de l'Est, 24 juillet (pap. de Merlin] ; Reynaud, Merlin, II, 42 (lettre de Marguerite Falciola) ; Pétition des otages allemands détenus en France (Nancy, 12 nov. 1793).

[19] Belag., 272 ; Fersen, II, 425 ; Dampmartin, 165.

[20] 1re colonne : détachements du 2e, 8e, 10e chasseurs à cheval ; la légion des Francs (deux comp. à cheval et cinq à pied) ; 32e et 82e rég. d'inf. ; 16e bat. de chasseurs ; 1er bat. des chasseurs républicains ; 1er bat. des fédérés nationaux ; 10r bat. des Amis de la République ; 4° et 6° du Calvados ; 5e de l'Eure ; 10e de la Meurthe ; 3e de la Nièvre ; 2e de Seine-et-Oise ; 3e et 8e des Vosges. — 5° colonne : 14e cavalerie, 7e chasseurs à cheval ; 5e rég. d'artillerie ; compagnie d'artillerie volante du 2e régiment ; comp. d'art, de Paris ; le bat. des grenadiers de l'Ardèche ; le bat. des grenadiers de Rhône-et-Loire ; le bat. des chasseurs de Saône-et-Loire ; 57e et 62e rég. d'inf. ; 2e de l'Ain ; 2e, 3e, 5e, 9e du Jura ; une compagnie du 3e du Bas-Rhin ; 1er, 5e et 6e du Bas-Rhin ; 1er et 4e du Haut-Rhin ; 2e, 9°, 10e, 11e, 12e de la Haute-Saône ; 7e et 13e des Vosges ; six compagnies de grenadiers (deux, du 3e ; deux, du 27e ; deux, du 46e rég. d'inf.). — La première colonne comprenait 7.981 hommes ; la seconde, 10.694 ; eu tout, 18,675. Mais dans ce nombre sont compris les blessés et les malades des hôpitaux.

[21] Gœthe, 259, et lettre du 27 juillet à Jacobi ; Reynaud, Merlin, II, 98 ; Mémoire de Decaen ; d'Ecquevilly, Camp. du corps de Condé, 1818, I, 97-98 ; Fersen, II, 425 ; Bouvier, La Révolution française, IV, 1883, p. 737 ; Révolutions-Almanach von 1794, p. 387 ; Bleibtreu, 183 ; (Czettritz), 231-252 ; Mainz nach der Wiedereinnahame, 34 ; Preuss. Augenzeuge, 451 et 482 ; Hessen-Darmstädtische Landzeitung, 27 juillet et 1er août 1793 (Cf. Moniteur, 25 août). — Le roi de Prusse fit demander le soir à Merlin qui était ce Rieffel. Le conventionnel répondit que Rieffel avait pris du service avant la capitulation et ne pouvait être regardé comme clubiste, et, en effet, d'après le Journal du siège, Rieffel avait été nommé le 31 mai, aussitôt après la surprise de Marienborn où il avait joué un des principaux rôles, capitaine-adjoint à l'état-major (Czettritz, 253).

[22] Forsters Briefwechsel mit Sömmerring, p. 634 (lettre du 27 juillet) ; Gœthe, 259 ; Hessen Darast. Landzeitung, 27 juillet 1793 ; Czettritz, 267 ; Beckenheimer, M. P., 8-9. Aussi, lorsqu'au retour des clubistes, leur Comité publia l'appel aux patriotes mayençais offensés, et leur recommanda l'oubli des injures et une inattendue magnanimité, qualifiait-il le 25 juillet de jour terrible, souillé par des horreurs si raffinées et du plus terrible de tous les jours (Rebmann, Die Deutschen in Mainz, 91-94).

[23] Heinse, Sämmtl. Werke, 1838, VIII, 25 ; Girtanner, Die Franz. am Rheinstrome, III, 59.

[24] Hessen Darmst. Landzestung, 27 juillet 1793 ; lettre écrite le 6 août par un chirurgien à Merlin (Reynaud, Merlin, II, 87) ; Revolutions-Almanach von 1794, 388 ; Rebmann, Die Deutschen in Mainz, 49 et 57 ; Laukhard, III, 391-423 (protestations de Lœwer, Metternich et Rompel) ; Bockenheimer, M. P., 9.

[25] Pétition des otages allemands détenus en France, Nancy, 12 nov. 1793 ; Reynaud, Merlin, II, 34-49.

[26] Perthes, I, 101 ; Sorel, III, 484 ; cf. Jean de Müller, Sämmtl. Werke, XXXI, 79.

[27] Journal du siège ; d'Oyré, Mém., 42-43, et Observ. addit. ; Bleibtreu, 164 et 181 ; Ditfurth, 307 ; Schaab, 384 ; d'Oyré, dit le général X*** (Mém. inédit) : aurait pu ajouter que quelques lâches officiers travaillaient vers la fin du siège à tout désorganiser et qu'il avait été question de se défaire de ceux qui, par leur bravoure, donnaient lieu de croire qu'on pouvait se défendre longtemps.

[28] Klein, 550 : Schaber, Tagebuch, 55.

[29] Mém. de Damas ; Strantz, 221 ; Moniteur, 1er juillet 1793 ; Preuss. Augenzevge, 318 ; Darst., 939.

[30] Mainz nach der Wiedereinnahme, 43-45.

[31] Darst., 915 ; Schaab, 371.

[32] Mainz nach der Wiedereinnahme, 38-41.

[33] Darst., 931 ; Klein, 568.

[34] Darst., 952-953 et 987-988 ; Belag., 222 ; Schaber, 72 ; Schaab, 366-367 ; Bockenheimer, Die Belag. von 1793, p. 45 ; Decaen, Gaudin, Vérine ; Journal du siège (Les commissaires de la Convention demandèrent auparavant à d'Oyré si le sort de la place pouvait être compromis par le retour des déportés ; d'Oyré répondit qu'il pensait au contraire que la consommation des vivres serait moindre par la réunion de ces individus à leurs familles, et qu'à moins de les laisser mourir de faim, il était préférable de les faire rentrer. Les commissaires exigèrent que la ville fournît journellement deux cents hommes pour les travaux intérieurs).

[35] Die Franz. am Rheinstrome, III, 58-59.

[36] Journal de la Montagne, 14 août 1793 ; Preuss. Augenzeuge, 282 et 453 ; Darst., 943 ; Schaab, 348 ; Damas (A. G.) ; Mém. de Decaen ; Klein, 546 et 551.

[37] Ditfurth, 310 ; Mainz nach der Wiedereinnahme, 41-43.

[38] Preuss. Augenzeuge, 243-245.

[39] Minutoli, Erinn, 208, 212, 239.

[40] Schaber, 58 ; cf. Moniteur, 2 et 14 juillet 1793 ; Preuss. Augenzeuge, 310-311.

[41] Droz, Essai sur l'art d'être heureux, 167. Le futur académicien était alors volontaire au 12e bataillon du Doubs et ses camarades l'avaient élu capitaine de grenadiers ; cf. la notice de Mignet et sur les sentiments révolutionnaires de Droz à cette époque, sa lettre du 10 février 1794 qui est d'un terroriste forcené (Sauzay, Hist. de la perséc. révol. dans le Doubs, 1869, tome V, p. 309). Et pourtant, quoique devenu adjoint provisoire, il excitait la défiance et nous lisons dans une note inédite : Droz, propre à l'emploi qu'il occupe ; en travaillant sous un bon adjudant-général, il pourra le devenir, si ses principes sont mieux constatés.

[42] Bleibtreu, 163, 165.

[43] Cf. Retraite de Brunswick, 94-96 et 218-219. A Mayence, les Français disaient aux Prussiens : Preuss toujours brav Mann, Kaiserlik und Hess, nix (Preuss. Augenzeuge, 171).

[44] Allusion aux salines de Nauheim, cf. Custine, 126.

[45] Journal du siège, 15 et 16 mai ; Journal de Vérine, 14 mai ; Mém. de Beaupuy, 18 mai ; Strantz, Z. f. K. W. u. Gesck. des Kr., 1831, II, 226 ; Minutoli, 214 ; Preuss. Augenzeuge, 290-292 ; Laukhard, III, 380-382 ; Friedenspräliminarien, IV, 194.

[46] Friedenspräliminarien, IV, 193.

[47] Lettre de Dubayet à Zastrow (Czettritz, 261).

[48] Reynaud, Merlin, I, 194 ; Gaudin ; Rougemaître ; récit d'un officier saxon (Czettritz, 160) ; le général X*** se demande dans ses notes si ce déjeuner n'avait pas pour but d'humaniser les Prussiens et de les habituer à l'écharpe tricolore. Belag., 208 ; Klein, 545 ; Decaen dit dans son mémoire : Des officiers prussiens et saxons avaient annoncé qu'ils se chargeraient volontiers de faire passer en France des lettres adressées à des parents ou amis ; je profilai, comme plusieurs autres, de cette occasion, et j'appris plus tard que ma lettre était parvenue. Il ajoute qu'à cette entrevue du 17 mai, des officiers qui parlaient l'allemand se mêlèrent à l'escorte, habillés en simples chasseurs, afin de lier conversation avec les hussards ennemis, d'apprendre quelque nouvelle et de faire plus facilement quelques remarques sur les localités.

[49] (Czettritz), 250-251, 267-268. Il suffit, écrit-il, de dire goddam pour se tirer d'affaire sur le sol anglais ; on peut vivre des jours entiers avec une armée française sans connaître autre chose que f...... et s... n... d... D..., et il ajoute que ces mots prononcés sans cesse lui bourdonnent encore dans les oreilles comme la musique au lendemain d'un bal. Cf. Romain, II, 429, et Die Franz. am Rheinstrome, III, 229.

[50] Czettritz, 250-251, 267-268 ; Gaudy, 286 ; Friedenspräliminarien, III, 213 ; Mainz nach der Wiedereinnahme, 42-46, 61-62.

[51] Moniteur, 17 août 1793, et Mainz nach der Wiedereinnahme, 56.

[52] Beauharnais et Houchard à Bouchotte, 28 et 30 juillet 1793 ; Houchard à Kalkreuth, 30 juillet (A. G.) ; proclamation de Beauharnais (Moniteur, 14 août) ; lettres de Montaut et Soubrany (Moniteur, 31 juillet et A. N., DXLI, 4) ; cf. le discours de Milhaud aux Jacobins (Journal de la Montagne, 8 août), et le fragment d'une lettre de Montaut lue par Merlin aux jacobins, Correspondance des jacobins, n° 474.

[53] Les jacobins de Strasbourg aux jacobins de Paris, 7 août 1793 ; Argos, 1793, 30 juillet, p. 98-100 ; je suis content de ne pas m'appeler d'Oyré, disait un officier autrichien dès le 24 juillet (Bleibtreu, 183).

[54] Rapport de Dentzel, p. 4 ; Ruamps était alors le seul représentant du peuple auprès de l'armée du Rhin.

[55] Cf. outre le Merlin de Reynaud, la déclaration de Kalkreuth, 6 août 1793, et la lettre de Frédéric-Guillaume à Loucadou, 12 août (A. E.), la lettre de d'Oyré à Michaud (Heilbronn, 24 frim. an III, papiers de Merlin), etc. La somme des dettes contractées par la garnison s'élevait à 970.253 francs 17 sous (rapport du commissaire des guerres Widenlöcher).

[56] Friedenspräliminarien, III, 211-212.

[57] (Czettritz), 259 et 261.

[58] Ordre du 29 juillet 1793, signé Clarke (A. G.) ; cf. Rapport de Ruamps, Borie, etc., p. 2. Les représentants Milhaud, Borie et Ruamps firent donner, toutefois, par le receveur du district de Strasbourg une somme de 6.000 livres aux réfugiés mayençais ; tout patriote dans le besoin obtint un secours provisoire de cent livres. Les exilés furent invités en même temps à prendre sur-le-champ parti pour la défense de la patrie et à se rendre ainsi utiles à la cause de la liberté (18 août 1793, A. N. A. F. II, 245).

[59] Mémoire de Decaen. Cf. un mémoire de Vimeux les troupes, pénétrées de l'injustice de cette arrestation, voulurent nous y soustraire ; ce à quoi nous nous refusâmes, en leur ordonnant au contraire de rentrer dans l'ordre. Voir aussi Reynaud, Merlin, I, 195.

[60] Mémoire de Decaen. Cf. le Batave, n° 177 (lettre de Metz du 4 août : la réception a été froide, mais les gens de bien ont vengé ces braves).

[61] Papiers de Merlin, trait omis par Reynaud (Merlin, I, 193-196.)

[62] Dès le 20 avril, Thuriot avait vanté le dévouement de Merlin et de Reubell, et ce fut lui qui proposa de leur écrire une lettre de félicitations (Moniteur du 22 avril).

[63] Le siège de Mayence coûtait aux alliés : 22 officiers et 496 soldats tués, 86 officiers et 1.686 soldats blessés (Strantz, 247).

[64] C'en était fait de nous, lit-on dans le Journal des campagnes de Kléber, si le sort des représentants n'avait été lié au nôtre, mais ils nous devancèrent à Paris ; la commission de général était dans ce temps-là un brevet pour marcher à l'échafaud ou gémir dans une prison. (A. G.)

[65] Cf. le Moniteur, les Annales patriotiques, le Journal de la Montagne, 5, 10, 19 août 1793 ; le Batave, n° 173 ; le journal des jacobins, n° 474 (séance du 15 août) ; la Réponse de d'Oyré au discours de Montaut, 30 août (papiers de Merlin).

[66] Le même jour, 28 juillet, Bouchotte ordonnait à Beauharnais, général en chef de l'armée du Rhin, de faire arrêter et conduire dans la prison militaire de Strasbourg le général Baraguey d'Hilliers, ci-devant chef de l'état-major de Custine (A. G.).

[67] Journal des jacobins (séances des 11, 12, 19, 25 août 1793), et Journal de la Montagne, 20 août.

[68] Mém. de d'Oyré, 44 ; Mém. de Decaen ; Gœthe, 267 ; Preuss. Augenzeuge, 228, 229, 281, 418 ; Eickemeyer, Denkw., 200 (de même que le témoin oculaire, il nomme Merlin. unverschämt) ; Laukhard, III, 381 ; cf. Klein, 570-571, et la réfutation, point par point, du discours de Merlin dans Mainz nach der Wiedereinnahme, 84-88. Merlin lui-même avouait le 26 juillet à un officier saxon que la ville avait encore du pain, du vin et du riz pour près de trois mois (Czettritz, 256).

[69] Gesch. der Kriege in Europa, I, 199-200.

[70] Lettre à Laveaux, 26 juillet (Journal de la Montagne, 5 août 1793).