LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

MAYENCE

SECONDE PARTIE. — LE SIÈGE

 

CHAPITRE III. — LA SORTIE DE MOSBACH.

 

 

Expédition du 10 avril. Meusnier à Kostheim. Schaal et Dubayet. Enlèvement d'une redoute hessoise. Panique. Causes de l'insuccès.

 

Au milieu des conférences se poursuivaient les hostilités, et commençaient les sorties qui devaient, non seulement aguerrir la garnison, mais ravitailler la place de fourrages et de viande.

La première de ces sorties eut lieu dans la nuit du 10 au 11 avril. Le Conseil de guerre avait décidé, sur la proposition d'Aubert-Dubayet et des conventionnels, qu'elle serait entreprise sur la rive droite du Rhin, contre Mosbach et Biebrich. Les troupes partiraient toutes de Kastel et formeraient trois colonnes, l'une, commandée par Schaal, l'autre, par Dubayet, la troisième, par Meusnier. Ce dernier devait, avec 2.000 hommes de la garnison de Kastel et de l'artillerie, s'emparer de Kostheim et diriger une fausse attaque contre Hochheim. Schaal était chargé d'emporter la redoute construite par les Hessois derrière la tour de Mosbach et qu'on nommait la redoute de gauche. Dubayet, marchant entre le Rhin et le pied de l'escarpement, protégé d'ailleurs par les batteries de l'ile Saint-Pierre, avait mission de s'avancer jusqu'au moulin de Biebrich, puis de remonter le ruisseau du Salzbach et de traverser le vallon pour atteindre Mosbach et tourner deux redoutes hessoises qu'on appelait redoutes de la droite et du centre. Les assiégés coupaient ainsi l'armée d'investissement de ses magasins de Mosbach et de Biebrich qui seraient aussitôt évacués sur Mayence, et peut-être, en poussant sur Hochheim, gagneraient-ils assez de terrain pour capturer également les abondants dépôts de Flörsheim et de Rüsselheim.

La diversion de Meusnier réussit en partie. Les pionniers, armés de pioches et de haches, pratiquèrent une brèche dans l'enceinte de Kostheim, et les chasseurs ainsi que les grenadiers de Beaupuy pénétrèrent dans le village. Le poste qui le gardait, fut mis en fuite. Mais pendant que les Français s'abandonnaient au pillage, trois compagnies du régiment prussien de Crousatz rentrèrent dans Kostheim et tirèrent sur l'assaillant par les croisées et les soupiraux des caves. Beaupuy fit pointer une pièce contre les maisons d'où partait la fusillade la plus vive ; mais il craignit d'être pris en flanc et opéra sa retraite sur Kastel au milieu des boulets et des obus ; il ramenait du vin, des provisions de tout genre, et cent vingt-cinq vaches.

L'expédition de Schaal et de Dubayet fut moins heureuse. Les deux colonnes avaient quitté Kastel à onze heures du soir en bon ordre et dans un profond silence. Celle de Dubayet eut d'abord quelque succès. Elle avait suivi les instructions du général : ne pas lâcher un coup de fusil et foncer la baïonnette en avant. Elle surprit le moulin de Biebrich, puis passa le Saizbach et remontant la rive droite du ruisseau, arriva sans être aperçue jusqu'à la hauteur de Mosbach. Mais un chasseur prussien qui faisait faction à l'un des ponts du Salzbach, entend du bruit, décharge son arme au hasard et tue un homme dans les rangs de l'avant-garde. Aussitôt la panique se répand dans la colonne de Dubayet ; ceux de la queue tirent sur ceux du centre, ceux du centre sur ceux qui sont en tête. Dubayet, ses aides-de-camp et les officiers les plus vigoureux s'efforcent inutilement d'arrêter la confusion. Volontaires et grenadiers, épouvantés, ne cessent de se fusiller les uns les autres, et l'artillerie de l'île Saint-Pierre qui canonne Biebrich pour faciliter l'attaque, ne fait qu'augmenter leur terreur. On dut repasser le Salzbach et rallier la colonne à l'abri d'un escarpement.

La colonne de Schaal eut la même fortune. Cinq compagnies de grenadiers, que commandait Vidalot-Dusirat, formaient son avant-garde. Elles arrivent devant la redoute hessoise, la tournent par la gorge et s'y jettent avec une telle impétuosité qu'elles ne déplacent presque pas les chevaux de frise. Tous les hommes qui gardent l'ouvrage sont tués ou pris. Un grenadier, entrant dans le poste, saisit la lampe sur la table et la lève en disant à ses camarades qui le suivent : Je fais mon devoir, faites le vôtre. Mais bientôt le camp de Mosbach, réveillé par la fusillade, est en mouvement. Le régiment hessois des grenadiers de la garde marche vers la redoute et ses pièces tirent à mitraille sur les compagnies de Vidalot-Dusirat. Le reste des grenadiers, aux ordres de Klingler, ne parait pas. Vidalot-Dusirat, furieux, jurant de dénoncer Klingler et de le traduire devant la cour martiale, abandonne la position conquise. Déjà le désordre se met dans la colonne de Schaal ; elle recule, se disperse de tous côtés. Schaal tente vainement de la rallier. Ses soldats, étourdis de frayeur, tirant à l'aventure, font feu sur lui ; il dut tourner bride et après avoir crevé son cheval dans un ravin, demeurer à pied jusqu'à la fin de l'action. Pareille mésaventure advint à Kléber ; il fut désarçonné ; ses trois ordonnances ne purent le joindre à travers la nuit. Il n'y avait pas dans la colonne un seul homme monté pour porter les ordres. Néanmoins Schaal et Kléber coururent au secours de Vidalot-Dusirat avec les deux bataillons du 57e régiment que le colonel Chevalier avait reformés à grand'peine. Mais le premier bataillon hessois des grenadiers de la garde entrait, tambour battant et la baïonnette au bout du fusil, dans la redoute. Le régiment des dragons de la garde le suivait au galop. Schaal commanda la retraite.

Dans le même instant, Dubayet, renonçant à son projet de tourner Mosbach et certain qu'il ne pourrait persuader le soldat, donnait à sa colonne l'ordre de regagner Mayence. Sa cavalerie, conduite par Dazincourt, les quatre pièces de son artillerie volante, le canon de l'ile Saint-Pierre qui redoubla son feu, arrêtèrent toute poursuite.

Le plan de Dubayet était trop vaste, trop largement conçu pour être exécuté par des troupes inexpérimentées et novices. Le défaut d'instruction du plus grand nombre, disait Beaupuy, la lâcheté de quelques-uns, l'ignorance des officiers ont fait échouer l'entreprise. Il eût fallu, comme l'avait proposé Kléber, différer de plusieurs jours l'expédition et la mieux préparer, envoyer à l'avance sur le terrain les officiers qui devaient mener les principales attaques, les charger de reconnaître avec soin pendant le jour la direction qu'ils prendraient dans la nuit. Il eût fallu donner aux colonnes des gens hardis et instruits qui les auraient guidées en marchant sur leur flanc. Il eût fallu exercer deux ou trois jours avant la sortie ces hommes qui ne surent, dans l'obscurité, ni se former, ni garder le silence, ni résister à la tentation de tirer des coups de fusil. Enfin, les ordres ne furent expédiés qu'à quatre heures du soir, et l'artillerie, le train, les ambulances arrivèrent trop tard sur le lieu du combat. On avait laissé les canonniers en arrière pour que le bruit de leurs pièces ne trahît pas la marche des colonnes, mais ils n'entrèrent en ligne qu'à trois heures du matin. Les chevaux manquèrent pour enlever les tentes du camp hessois et les canons qu'il fallut enclouer avec des baguettes. Les soldats durent trainer leurs camarades blessés[1].

 

 

 



[1] Ditfurth, Die Hessen, 261-2ï1 ; Strantz, 218-219 ; Czettritz, 264 ; Skizz. Beschreib ; Darst., 897-898 ; Verine, Damas, Beaupuy, Decaen, Gaudin, général X***, d'Oyré. Cette expédition coûtait aux Français 45 morts et 209 blessés, la plupart, dit le Journal du siège, par suite de la funeste terreur qui a fait avorter l'expédition la mieux concertée, dont le début était du plus favorable augure et dont le succès aurait eu probablement une influence décidée sur la conservation de Mayence ou au moins sur la durée de sa défense.