LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

L'EXPÉDITION DE CUSTINE

 

CHAPITRE VI. — FRANCFORT.

 

 

I. Les Hessois à Marbourg. Les Prussiens à Coblenz. Combat de Limbourg. Pressentiments de Custine. Sa diplomatie. — II. Prise de Bergen. Indécision de Custine. Van Helder. Les Francfortois. — III. Préparatifs d'assaut. Rüchel. Les colonnes hessoises. Les garçons de métier. Prise de Francfort. Canonnade de Bockenheim, Abandon d'Ober-Ursel. — IV. Mensonges de Stamm et de Custine. Les dix mille couteaux.

 

I. A la nouvelle du désastre de Beurnonville, Custine oublia qu'il avait impérieusement conseillé l'expédition. Il accusa de nouveau Kellermann et sa stupidité ; il maudit Hohenlohe-Kirchberg et assura qu'il avait prévu l'entêtement de cette tête germaine[1]. Mais lui-même ne se trouvait pas en meilleure postule que son lieutenant ; lui aussi s'était fait battre, il reculait devant les Prussiens, comme Beurnonville devant les Autrichiens.

 

Frédéric-Guillaume avait appris à Luxembourg, le 24 octobre, la reddition de Mayence. Sa première pensée, comme celle de Brunswick, fut de sauver Coblenz et les magasins de l'armée. L'avant-garde des Hessois, composée de cinquante hussards et de deux bataillons, se mit aussitôt en marche et arriva le 26, à minuit, aux portes de Coblenz. Il était temps : dans l'obscurité, les habitants prirent les hussards hessois pour des cavaliers de Custine, et leur crièrent vive la France[2] !

L'armée hessoise suivit de près son avant-garde. Elle était à Coblenz le 30 octobre. Elle y reprit haleine, puis, le à novembre, marcha sur Weilbourg, et après une très légère escarmouche entre ses avant-postes et ceux de Houchard[3], suivit la rive droite de la Lahn, et par Langen-Dernbach, Herborn et Altforst, atteignit le 10 novembre la ville de Marbourg où le landgrave de Hesse-Cassel avait rassemblé toutes ses forces.

Après les Hessois, les Prussiens. Le duc de Brunswick aurait dû peul-titre, au lieu de passer le Rhin à Coblenz, s'avancer hardiment dans le Iluudsruck, par Kreuznach et Bingen. Assailli sur ses derrières, Custine se serait hélé d'abandonner Francfort et de regagner les lignes de la Queich alors, le duc, marchant par Kirchheim-Bolanden et Göllheim ou par Alzey, lui coupait la retraite, et lui infligeait sur l'Alsenz ou sur la Pfriem ou bien dans la plaine de Grünstadt une défaite méritée. Mais Brunswick n'avait pas assez d'audace pour entreprendre cette opération. Son armée était encore affaiblie et languissante ; la moitié de ses soldats souffraient de la dysenterie, de la maladie que les paysans de la Champagne et de la Lorraine nommaient la courée prussienne ; un grand nombre de cavaliers avaient peine à se tenir en selle ; les chevaux, n'étant plus ferrés, n'avançaient qu'en boulant. Pouvait-on, avec ces troupes débiles et comme affaissées, s'enfourner dans les chemins montueux, étroits, difficiles du Hundsrück ? Avait-on même assez de munitions pour livrer bataille à Custine ? Que de poudre, que de boulets étaient restés en France et gisaient enterrés au pied des arbres dans la forêt de Mangiennes[4] !

La grande armée, échappée des fanges de la Lorraine, se trains donc à petites journées, longuement, laborieusement, de Luxembourg à Trèves et à Coblenz Par cette vallée de Martinsthal qu'elle avait déjà surnommée le Marterthal ou vallée du martyre. Elle traversa le Rhin sur un pont-volant à Coblenz et à Neuwied, et son passage dura douze jours. Enfin, elle cantonna dans les environs de Montabaur. Mais insensiblement revenaient la santé, la belle humeur, le désir de batailler, de laver la honte de l'Argonne et, comme dit un officier, de rétablir le bon renom des Prussiens. Le soldat, naguère silencieux, abattu, reprit courage et parla de revanche et de combats. Frédéric-Guillaume avait, dans son ardeur de relever l'honneur de ses aigles, juré de chasser les Français de la rive droite du Rhin et d'entrer avant la fin de l'année dans Francfort. Il brûle d'envie, mandait Lucchesini, de parvenir à ce but, et il a fait chercher dans ses archives militaires de Potsdam des cartes de l'Empire. Le duc de Brunswick, toujours circonspect, toujours hésitant et timide, nullement expéditif, proposait de rester sur les bords de la Lahn. Le roi, impatient, avide d'action, donna l'ordre de marcher, et le duc marcha, mais, comme à son ordinaire, avec une excessive lenteur et en tâtonnant. C'était la méthode inviolable de l'époque. On n'osait mettre un pied en avant sans se couvrir, sans se lier au voisin ; on craignait de s'aventurer ; on entrait dans une vallée, ou ne s'engageait dans un défilé qu'après de scrupuleuses réflexions ; on prenait des mesures d'une incroyable minutie, des mesures savantes, raffinées, patiemment étudiées, passionnément discutées, toujours admirées de l'état-major, et le plus souvent inutiles : Aussi, l'armée prussienne mit-elle plus de trois semaines pour aller de Coblenz à Francfort[5].

Le 9 novembre eut lieu le premier engagement entre Prussiens et Français. Custine avait résolu de faire une vigoureuse démonstration contre les cantonnements de l'ennemi sur la rive gauche de la Lahn. Il rassembla ses troupes près de Königstein et se porta avec Neuvinger sur Weilbourg, tandis que Munnier et Houchard se dirigeaient sur Limbourg.

L'extrême avant-garde des Prussiens, formée de deux bataillons d'infanterie, était alors sur la hauteur du Capellenberg, en avant de Limbourg. Le général Vittinghot, qui la commandait, croyait être très loin des Français et ne prenait aucune précaution. Soudain, à midi, pendant que les soldats démontaient et nettoyaient leurs fusils, Houchard arrive au grand galop avec le 2e et le 7e régiment de chasseurs à cheval, enlève la grand'garde et met en batterie ses canons qui tirent à mitraille. Les Prussiens se forment tant bien que mal sur le Capellenberg. Mais Houchard les fait attaquer par son infanterie. Un instant, le 1er bataillon des volontaires du Jura hésite à la vue de l'escarpement et sous la fusillade nourrie de l'adversaire. Houchard montre au lieutenant-colonel Sibaud que l'ennemi tire trop haut, et les volontaires gravissent les pentes du Capellenberg sans éprouver presque aucune perte. Attaqués de front par le bataillon du Jura, pris en flanc par le 7e bataillon de chasseurs, les Prussiens se retirèrent. Le combat n'avait duré qu'une heure[6].

Ce petit avantage ne signifiait rien. Custine le fit sonner très haut. Avant l'engagement, il écrivait au ministre Pache qu'il serait bientôt aux prises avec Brunswick, qu'il allait tenter le sort des combats, qu'il voulait soutenir la dignité de la nation française et la gloire de ses armes. Après l'action, il annonça que ses soldats s'étaient battus avec le nerf qui appartient à la liberté, qu'il avait défait ces Prussiens qui se vantaient déjà de le bombarder dans Mayence, que la prudence ne lui permettait pas de les suivre dans les défilés du Westerwald. Mais il sentait que la veine changeait : il redoutait une disgrâce prochaine, un événement fâcheux : Je voudrais, disait-il, que la fortune seconde toujours nos entreprises, mais elle est femme, et mes cheveux grisonnent[7].

La fortune allait en effet l'abandonner. Il n'avait eu jusqu'alors que des succès faciles. On le nommait en Allemagne l'enfonceur de portes ouvertes[8], et Beurnonville disait qu'il n'était, après tout, qu'un brave partisan, qu'il n'avait trouvé devant lui que des universités et des troupes épiscopales[9]. Lui-même, dans un accès de franchise, avouait qu'en pensant aux petits moyens qu'il avait eus d'abord, il s'étonnait des résultats, et il rendait grâces à son heureuse étoile[10].

Il allait maintenant se mesurer avec les bataillons qu'il admirait six années auparavant dans les revues de Potsdam, et, quoiqu'il eût dit devant Mayence que Frédéric-Guillaume ne traînait plus avec lui que des moribonds, il savait trop ce que valait l'armée prussienne, une fois retrempée et renforcée, pour ne pas la craindre. Il la jugeait, non d'après Valmy, mais d'après Rossbach et Lissa ; il subissait encore le prestige de ces troupes que la guerre de Sept-Ans avait couvertes de gloire, il désespérait de rompre ces vieilles bandes fameuses, et les lieutenants du grand Frédéric étaient à ses yeux les adversaires les plus formidables qu'il pût rencontrer. J'ai devant moi, disait-il mélancoliquement, l'armée où il y a le plus d'officiers distingués, passionnés pour la gloire de leur pays, l'armée prussienne, commandée par le roi, le duc de Brunswick, les fils du roi ; j'ai devant moi les meilleurs généraux de l'Europe et qui connaissent parfaitement le pays où ils font la guerre. Comment agir offensivement ? Comment déconcerter l'active et ingénieuse prévoyance de Brunswick dont le subtil génie ajoutait encore aux moyens que les Allemands rassemblaient ? Comment tenir la campagne devant ces forces nombreuses et surtout devant une aussi considérable cavalerie ? Comment battre un ennemi qui possédait une immense supériorité[11] ?

Sans doute, il avait reçu des renforts. Mais quoique Biron eût envoyé le dernier homme à cheval qui lui restait, Custine n'avait presque pas de cavalerie. Ce qu'il me faut, mandait-il à Pache, c'est de la cavalerie, puis de la cavalerie. Presque tous ses bataillons étaient de nouvelle levée ; ils n'avaient aucune organisation ; ils manquaient de couvertures et d'effets de campement. Il ne disposait donc, comme auparavant, que de peu de moyens. Ses lieutenants, en trop petit nombre, ne l'aidaient pas suffisamment, et lui seul faisait la besogne : il faut que je soie tout ici. Aussi, pour ne pas succomber à la tâche, demandait-il, comme chef d'état-major, Alexandre Berthier, son ami, son élève, Berthier qu'il avait formé pendant la guerre d'Amérique et emmené dans son voyage de Prusse, Berthier dont il avait fait l'éducation militaire : oui, Berthier lui était indispensable ; personne ne possédait mieux tous les détails, personne ne savait reconnaitre un pays avec plus d'aisance et de coup d'œil ; si les ministres lui refusaient Berthier, c'est qu'ils avaient envie de se défaire de lui. Mais Berthier passait pour royaliste, et vainement il protestait qu'il n'avait d'autre désir que de combattre en soldat de la liberté. Les jacobins de Versailles écrivaient à Custine pour le mettre en garde contre cet agent de la cour, ce correspondant de Lafayette qui avait égaré le vieux Luckner, et le conventionnel Bentabole déclarait devant les jacobins de Paris, que Berthier était perdu dans l'opinion publique, que son nom seul valait une injure. Custine pria le ministre de lui donner au moins le capitaine du génie Caffarelli du Falga. Mais Caffarelli, lui aussi, était suspect : on l'accusait d'avoir donné des preuves d'incivisme dans les assemblées électorales de la Haute-Garonne, et les commissaires de la Législative l'avaient suspendu parce qu'il refusait de reconnaitre la révolution du 10 août ; en vain le comité militaire demandait qu'il fût réhabilité ; par deux fois, la Convention passa à l'ordre du jour, et Caffarelli se cacha dans les bureaux de la guerre. Tout me manque, cria Custine. Point de généraux, point d'état-major ! J'ai Mayence, Francfort, Worms, Oppenheim à garder, Bingen, Kreuznach et les bords de la Mlle à défendre, et 17.000 hommes contre 31.000 Prussiens et 9.000 Hessois ! Le roi veut m'attaquer, il a de beaucoup l'avantage du nombre ; il est très probable qu'il me battra ![12]

Il tenta, comme avaient fait Dumouriez et Biron, de détacher Frédéric-Guillaume de la coalition[13]. Dès le 16 octobre, il mandait au président de la Convention que les Russes allaient envahir la Silésie pour la rendre à l'Autriche et que la tsarine, a la romanesque souveraine du Nord u, avait le dessein d'abaisser la maison de Brandebourg. J'avais prévenu, disait-il, Frédéric-Guillaume à son avènement au trône ; il se souviendra sans doute de l'entretien que j'eus avec lui dans la galerie de Charlottenbourg, quelques jours après son couronnement ; il a préféré les conseils des insensés aux moyens que je lui proposais à cette époque, à ceux que mon fils lui a proposés depuis ![14] Quelques jours plus tard, il écrivait à des amis de Berlin, à Möllendorff, à la princesse de Hohenlohe, et leur prêchait la nécessité d'une alliance entre la France et la Prusse. Faire la guerre à l'Empereur et accabler la maison d'Autriche, tel devait être le but de Frédéric-Guillaume. Pour mieux déterminer le roi, la République entretiendrait près de lui, comme résident accrédité, sans titre apparent, le fils de Custine. Employé naguère à Berlin, le jeune et habile François de Custine ne pourrait-il renouer des relations heureusement entamées dans l'Argonne[15] ?

Le 12 novembre, revêtant, comme il disait, la peau du renard après celle du lion, Custine envoyait à Frédéric-Guillaume une lettre qu'il croyait décisive. Le roi, disait-il, avait fait avec l'Empereur une alliance monstrueuse : il devait la rompre et s'allier à la République française. Sans doute, son royaume était épuisé d'hommes et d'argent, mais il n'avait qu'a se défaire du landgrave de Hesse, à prendre ses trésors, à incorporer ses troupes dans l'armée prussienne. Le jour où cette incorporation aurait lieu, Custine se saisirait d'Ehrenbreitstein avec 300 Prussiens que le roi lui confierait ; alors, ajoutait-il, les Impériaux que Dumouriez combattait en Flandre, se verraient fermer le chemin de l'Allemagne ; alors serait anéantie la maison d'Autriche[16].

Le roi ne répondit pas, mais il communiqua la lettre aux journaux, et les gazetiers ne manquèrent pas de se gausser de Custine, qui devait avoir dicté cette singulière épître sous l'influence du bourgogne. Déjà, lorsqu'un agent de Le Brun, du nom de Mandrillon, lui faisait des avances, Frédéric-Guillaume refusait de négocier avec les émissaires obscurs d'un ministre sans pouvoir  ; la Convention, disait-il, avait décrété qu'elle ne ferait pas la paix tant que l'étranger serait en France ; il était juste d'observer la réciprocité envers le territoire de l'Empire, et tant que le sieur Castine n'aurait pas repassé la frontière, les ministres du roi de Prusse resteraient sourds aux ouvertures de la nation française[17].

Outré du silence de Frédéric-Guillaume, Custine s'écria que ce roi était le plus imbécile de tous les rois, qu'il devenait enragé, qu'il voulait follement gaspiller ses trésors, abimer son armée, détruire de ses propres mains sa puissance pour soutenir l'ambitieuse Autriche. Il chargea d'injures Bischoffowerder à qui l'Empereur prodiguait son or ; sûrement le despote de Vienne dépensait au moins trois millions de florins pour gagner à sa politique les entours de Frédéric-Guillaume[18] ! Mais ces invectives n'arrêtèrent pas la marche des Prussiens. Un instant, Custine pensa qu'ils allaient prendre leurs quartiers d'hiver sur la rive droite du Rhin, à longue distance de Mayence et de Francfort. On lui mandait de ses avant-postes qu'ils restaient dans l'inaction, et il se répétait à lui-même qu'ils revenaient tout penauds de la Champagne, qu'ils étaient en partie ruinés, découragés, qu'ils hésiteraient à pénétrer par un pays difficile. Et le roi oserait-il attaquer Custine, dont il connaissait le caractère[19] ?

Il apprit bientôt que l'armée de Frédéric-Guillaume ne cantonnait derrière la Latin, à Montabaur, que pour recevoir des renforts, qu'elle allait s'unir aux troupes de Hesse-Cassel que Guillaume IX rassemblait à Marbourg, et à celles du landgrave de Hesse-Darmstadt qui n'osait plus rester neutre. Convaincu qu'il ne pourrait disputer le passage de la Lahn, Custine recula sur Hombourg dans le dessein de couvrir Francfort et d'assurer ses communications avec Mayence ; il avait, disait-il, pris une position étendue pour faire illusion sur ses forces ; à cette heure, il resserrait ses cantonnements[20]. Mais l'armée prussienne marcha de la Lahn vers le Mein en trois colonnes : la droite formant l'avant-garde, sous les ordres du prince de Hohenlohe-Ingelfingen ; le centre où se trouvaient le roi de Prusse et le duc de Brunswick ; la gauche commandée par Kalkreuth.

Custine aurait pu faire sa retraite sur la rive gauche du Mein et se borner a défendre Mayence. Il aima mieux rester sur la rive droite du fleuve et courir les hasards d'un combat. Mais, au lieu de prendre l'offensive qui convient au génie de la nation, au heu de profiter de l'ardeur d'une jeune armée à qui manquaient la discipline et l'ensemble, au lieu d'attaquer brusquement les Prussiens un peu épars au sortir de leurs cantonnements et avant leur jonction avec les Hessois, au lieu de frapper un coup imprévu, comme à Limbourg, sur un des points de la ligne considérable que les troupes de Frédéric-Guillaume formaient en avant de la Latin, Custine, reculant encore, abandonna Hombourg et vint établir son quartier-général à Höchst.

La position qu'il avait choisie était assez avantageuse : sa droite s'appuyait à la petite ville de Höchst et par suite au Mein ; sa gauche s'adossait au Taunus ; deux villages retranchés et reliés l'un à l'autre par des abatis, Soden et Sulzbach, protégeaient son front. Houchard faisant, comme toujours, l'avant-garde, s'était porté vers la gauche sur le plateau d'Ober-Ursel et y commençait quelques redoutes.

Mais, en se retranchant ainsi derrière la Nidda, de Höchst à Ober-Ursel, Custine ne couvrait plus Francfort, et la ville, se trouvant désormais à l'extrême droite de la ligne française, était comme abandonnée à ses seules ressources. Brunswick profita de cette faute. L'armée prussienne, poursuivant sa marche sûre et lente, décrivit un grand demi-cercle, de Reifenberg à Vilbel, par Nieder-Erlenbach, Le prince de Hohenlohe-Ingelfingen fut chargé d'attaquer Houchard sur ses flancs et ses derrières, pendant que dix escadrons, commandés par le duc de Saxe-Weimar, feraient une démonstration sur son front. Kalkreuth observa Custine. Le reste des troupes se dirigea sur Francfort.

 

II. Le 28 novembre, au matin, les hussards hessois, profitant d'un épais brouillard, arrivaient sous les murs de Bergen sans rencontrer une seule patrouille française et, à l'instant oh la porte s'ouvrait devant une voiture de paysans, ils entraient le sabre en main, poussaient jusqu'au marché, envahissaient la maison commune et, malgré la courageuse résistance des volontaires, s'emparaient de la ville. Quelques heures plus tard, les bourgeois de Francfort voyaient, du haut des remparts, les hussards d'Eben s'avancer audacieusement jusqu'à la tour de Friedberg et un parlementaire, le lieutenant-colonel de Pellet, se présentant à la porte d'Eschenheim, soin mail, au nom de Kalkreuth, le commandant français Van Helden de se rendre prisonnier de guerre avec sa garnison[21].

Qu'allait faire Custine ? Plus alarmé que jamais, il pressentait des revers, un grand échec, une retraite forcée ; rien, disait-il, n'est incertain comme le sort des combats, et il faut prévoir les événements désastreux. Il se déliait de ses troupes : durant la marche de nuit qu'elles avaient faite d'Usingen à Hombourg, l'arrière-garde de Houchard s'était dispersée sur une étendue de deux lieues dans le plus grand désordre, et il avait fallu toute la journée du lendemain pour la rallier et la mettre ensemble[22]. Il se plaignait de n'être pas aidé par son entourage, réclamait derechef a cors et à cris un chef d'état-major, avouait qu'il avait trop présumé de ses propres forces et que, portant tous les fardeaux, travaillant vingt et une heures par jour, d'ailleurs tourmenté par la fièvre et par un rhume affreux, il ne pouvait répondre du succès. Indécis, perplexe, aussi vacillant que le duc de Brunswick, il n'osait prendre un parti décisif, se fixer à une résolution ferme et inébranlable. Abandonner Francfort, c'était faire ce qu'exigeait le bon sens. Mais que dirait la Convention ? Que diraient Paris et les journaux[23] ? De là, des ordres décousus, incohérents, contradictoires. Tantôt il voulait évacuer Francfort ; tantôt il se déterminait à tenir une ville qui lui donnait pour la campagne prochaine l'entrée la plus brillante dans le centre de l'Empire. Il prescrivait à Van Helden de faire secrètement des dispositions pour se retirer sans embarras et sans perte de temps ; puis il lui commandait de s'emparer de l'arsenal et d'indiquer à ses troupes leur place de combat sur les remparts : je suis là près de vous ; mettez le feu à la ville, si elle bouge ; les capitalistes francfortois rampent devant la force ; eh bien ! il faut leur en montrer pour les faire ramper. Venait-il à Francfort pour conférer avec son lieutenant : il se rendait au Mimer et jurait aux magistrats, qui se bâtaient de faire afficher cette déclaration rassurante, que leur ville ne serait pas assiégée, qu'elle ne recevrait pas un coup de canon, qu'elle ne courait aucun danger, quel qu'il fût. Mais dès qu'il recevait la sommation de Kalhreuth, il écrivait à Van Helden qu'un républicain choisit entre la victoire ou la mort et ne capitule jamais avec les despotes, et il envoyait à Kalkreuth ce billet de rodomont : u J'apprends l'obligeante attention avec laquelle, pour ne pas voir couler le sang, vous voulez bien proposer aux troupes françaises et à leur commandant de rendre Francfort ; moi qui ne veux pas vous céder en politesse, j'aurai l'honneur moi-même de vous porter en personne la réponse du commandant français ![24]

Van Helden, militaire instruit, mais qui manquait de tête[25], sentait, comme il dit, sa position et jugeait ses dangers très éminents. Aussi ne cessait-il d'exposer à Custine la pénurie de ses moyens de défense, la faiblesse de la place, l'impuissance de la garnison, les dispositions hostiles des habitants.

Les fortifications de Francfort se composaient de onze bastions assez réguliers, de tours qui dominaient les portes, et çà et là de fausses braies. Mais sur plusieurs points le mur extérieur de revêtement n'était haut que de cinq à six pieds et on pouvait l'escalader aisément sans se servir d'échelles. Le parapet du terre-plein n'avait parfois qu'une hauteur de trois pieds. Le fossé, assez large et profond, était presque sec en certains endroits et facile à franchir. Les demi-lunes ruinées qui devaient protéger les portes, ne les défendaient pas contre une fusillade en droite ligne. Le chemin couvert, devenu méconnaissable, était jusqu'au bord extérieur du fossé rempli de maisons, d'arbres et de haies.

La garnison ne comptait que quatre bataillons : le 82e de ligue ci-devant Saintonge, le 7e des Vosges, le 5e du Bas-Rhin et le 10e de la Haute-Saône, c'est-à-dire 1.800 hommes, presque tous de nouvelle levée et qui n'avaient chacun que quarante cartouches. L'artillerie ne comprenait que deux pièces de 3 : c'étaient les deux pièces ou amusettes du 7e bataillon des Vosges, et chacune n'avait que trente coups à tirer ! Van Helden demanda du canon ; Custine lui répondit qu'il avait assez de deux pièces pour éloigner les patrouilles.

Mais ce que Van Helden craignait par dessus tout, c'était la turbulente population de Francfort qui n'avait pas encore digéré la contribution[26]. Déjà, lorsque Custine était entré dans la ville, le 27 octobre, quarante garçons bouchers, suivis de leurs chiens, avaient accompagné le général pour se jeter sur lui s'il donnait l'ordre du pillage. Les habitants n'avaient pas voulu prendre la cocarde tricolore ; nous portons, écrivait l'un d'eux, la liberté dans le cœur, et non sur le chapeau s. Ils avaient refusé de planter au faubourg de Sachsenhausen et sur la place de la ville, l'arbre de fraternité, surmonté du bonnet rouge, et ils répétaient ce bon mot d'un juif : Qu'est-ce que cet arbre sans racine et ce bonnet sans tête ?[27] Les pauvres avaient repoussé les aumônes de Custine ; l'argent qu'on leur offrait, disaient-ils, était volé et appartenait aux magistrats. Lorsque le parlementaire prussien qui venait sommer Van Helden, parut sur la Zeil, le peuple l'accueillit par des vivats comme si le Messie était arrivé à Francfort et l'on cria Vive le roi de Presse ! A bas les Français ! Lorsque, sur l'ordre de Van Helden, un détachement de troupes de ligue força dans la matinée du 29 novembre la porte de l'arsenal, une foule de bourgeois et de garçons de métier s'amassa devant l'édifice et le détachement se retira. Van Helden était donc inquiet ; il remarquait qu'on se défiait de lui, qu'on l'épiait, qu'on le suivait de près, qu'il ne pouvait sortir de sa maison sans être entouré. Il voyait les esprits très agités, voyait la grande supériorité du nombre des gens de la ville, et se rappelait avec angoisse de quoi sont capables les habitants lorsqu'ils veulent se défaire d'une garnison. Les bourgeois de Gènes n'avaient-ils pas, en 1746, chassé brusquement et comme sans y penser le marquis Botta ? Les insurgents belges n'avaient-ils pas, en 1785, contraint le général d'Alton d'évacuer Bruxelles ? Et que de militaires français avaient été tués ou blessés à l'affaire de Nancy, en 1790, par les coups de fusil qui partaient des greniers et des caves[28] !

Pourtant il prit tant bien que mal ses dispositions de défense. 200 hommes occupèrent Sachsenhausen et 50 autres, la tour et le pont du Rhin. Un bataillon de volontaires et deux compagnies s'établirent en réserve sur la Zeil, près du logement de Van Helden, avec les deux seules pièces de canon qu'il avait. Le reste des troupes garnit les remparts : 100 hommes à chaque poste, 30 à 50 dans chaque bastion, les autres dans les courtines des fronts particulièrement menacés.

 

III. Les Prussiens avaient cru, d'abord, que la petite garnison française évacuerait la place. Kalkreuth assura même à deux sénateurs de Francfort que Van Helden ne trouverait aucun obstacle s'il voulait se retirer sur Höchst. Mais après la réponse ironique de Custine, on ne pouvait douter que la ville serait obstinément défendue. Il fallait donc la prendre d'assaut.

Le roi ordonna que l'attaque aurait lieu le 2 décembre, premier dimanche de l'Avent, à sept heures du matin. Quatre colonnes devaient pénétrer en même temps dans Francfort : la première par le faubourg de Sachsenhausen, la deuxième par la porte des Bouchers, la troisième par la porte de Hanau, la quatrième par la porte de Friedberg. Mais la première colonne se présenta lorsque tout était fini. La deuxième qui devait descendre le Mein sur des bateaux couverts, débarquer au centre de la ville et prendre à des la garnison française, n'arriva que très tard. La troisième et la quatrième colonne furent les seules qui donnèrent. Elles ne se composaient guère que de Hessois.

Le lieutenant-colonel Rüchel commandait la quatrième colonne. Ce gentilhomme poméranien, sorti du corps des cadets, n'était pas grand clerc, bien qu'il eût l'air d'un savant ; les dames de la cour se moquaient de son français, et il parlait un allemand emphatique, incorrect, farci de pléonasmes et de mots étrangers. Mais il avait de la verve, et dans le ton et la tournure une brusquerie militaire qui ne déplaisait pas. Frédéric II, qui le tira d'un régiment d'infanterie pour l'attacher à sa suite, l'accabla de sarcasmes, et, en effet, Rüchel n'avait pas profité de la lecture des campagnes de Turenne et de Luxembourg ; il ne possédait pas l'expérience de la guerre ; il était inquiet, emporté, incapable d'obéir et de se maîtriser. Toutefois, il réparait ces défauts par la vivacité de son esprit et par son audace ; il se servait à propos du peu qu'il savait, et se tirait toujours d'embarras à force d'ardeur et de témérité. De l'enseignement qu'il avait reçu, il ne retenait que cet axiome : une armée prussienne doit attaquer, l'infanterie doit s'avancer résolument, et la cavalerie ne vaut rien si elle ne se jette sur l'ennemi bride abattue. Jeune encore, ambitieux, plein d'une flamme qu'il communiquait à son entourage, il aurait peut-être changé le sort de la guerre, s'il avait eu le commandement. Il représentait le roi de Prusse dans le camp hessois ; mais l'attaché militaire était bientôt devenu le chef réel des troupes du landgrave. Guillaume IX avait un respect profond pour l'élève du grand Frédéric et lorsqu'il regagna précipitamment ses états, après le combat de Spire, il laissa sa petite armée dans les mains de Michel. Ce fut Rüchel qui le premier entra dans Coblenz, et la marche qu'il avait faite passa Peur une des plus belles actions de la campagne[29].

La colonne de Rüchel avait le rôle principal dans l'attaque de Francfort. Mais elle dut attendre sa réserve, et au lieu de déboucher à sept heures, suivant l'ordre du roi, contre la porte de Friedberg, elle ne s'ébranla qu'à huit heures et demie, au moment où les cloches de Francfort, sonnant à toutes volées, appelaient les fidèles à l'office. À peine avait-elle fait quelques pas que le duc de Brunswick lui commanda de s'arrêter. Comme à Valmy, l'éternel temporiseur, ressaisi par ses anxiétés, repris de sa cruelle irrésolution, n'osait risquer l'affaire et désespérait de la réussite. Rüchel voit les soldats demeurer immobiles ; il court à eux. Qui vous ordonne de faire halte ?Le duc. — Le duc, s'écrie Rüchel en poussant un juron, où donc est-il, cet illustre duc ?Ici ! dit une voix à côté de lui, ici, Monsieur le lieutenant-colonel ! Et, à sa grande surprise, Rüchel remarque qu'il a passé devant le roi de Prusse et le duc de Brunswick sans les voir, et que le duc lui-même répond à sa question. Mais le bouillant colonel ne se laisse pas déconcerter ; il ôte son chapeau, et s'inclinant avec respect, il assure au due qu'il est certain du succès, que son honneur et sa vie en dépendent ; puis il se tourne vers le roi et ajoute : La gloire de Sa Majesté exige qu'on ne livre pas à une perte certaine les belles troupes du landgrave ; je périrai, s'il le faut, mais je prie Sa Majesté de ne plus permettre à personne d'intervenir dans les opérations. Le roi l'approuve, et Rüchel, regagnant son poste, commande aussitôt En avant, marche !

Les Hessois s'élancent comme pour réparer le temps perdu. Mais à l'instant où leur extrême avant-garde, composée de deux officiers et de vingt gardes du corps à cheval, approche de la porte de Friedberg, elle voit avec étonnement le pont-levis baissé. Rüchel ordonne sur-le-champ de prendre le galop et de profiter de la négligence des ennemis pour se jeter dans la ville. Les gardes du corps piquent des deux ; mais déjà le pont est levé, la porte fermée, et au moment où les cavaliers se précipitent, où les chasseurs hessois les suivent à toutes jambes en poussant leur Schurri druff ! une violente fusillade éclate du haut des remparts. Les gardes du corps tournent bride. Les chasseurs se dérobent derrière des haies. Mais à leur suite accourent et se pressent, sur une route resserrée entre des maisons et des murailles de jardins, les grenadiers de Philippsthal et de la garde. Au milieu de cette foule, qui n'a pas le temps de s'abriter et qui s'arrête, désordonnée et confuse, au bord du fossé extérieur, les Français tirent sans danger et à coup sûr : il leur suffit d'appuyer le fusil sur le parapet du rempart ou de le placer dans une meurtrière et de lâcher la détente pour faire une victime. En un instant le septième des grenadiers est couché par terre. Le colonel prince Charles de Hesse-Philippsthal, le major de Donop, les capitaines de Wolff, de Münchhausen, Desclaires, le lieutenant de Rademacher, l'enseigne de Hundeshagen tombent mortellement atteints. Les grenadiers reculent, se cachent, soit dans les maisons, soit derrière les haies et les murs des vergers. Le régiment de la garde s'avance à son tour, et à son tour devient la cible des balles françaises ; il hésite, il faiblit, et il lâcherait pied si son colonel, Benning, ne lui criait d'une voix tonnante : je passerai mon épée à travers le corps au premier d'entre vous qui reculera d'un pas. Enfin, une batterie prussienne, deux mortiers et deux canons d'un bataillon hessois s'établissent en face de la porte de Friedberg, à quinze cents pas des remparts ; mais les grenades et les bombes dépassent la porte et viennent tomber dans la ville[30].

Les hessois n'étaient pas plus heureux à la porte de Hanau ou de Tous les Saints. L'avant-garde de la troisième colonne, commandée par le colonel Lenz, avait eu la précaution de s'avancer, non pas sur la route, mais derrière les enclos et les murs des jardins. Toutefois elle tiraillait assez inutilement contre le rempart, et deux canons de bataillon tentaient en vain d'abattre le pont-levis.

Mais les Francfortois allaient ouvrir les portes à l'assaillant. Les gens du peuple et surtout les garçons de métier, charpentiers, serruriers, boulangers, tailleurs, perruquiers, venus de tous les points de l'Allemagne, étaient déterminés à secourir autant que possible les Hesso-Prussiens. Déjà les jours précédents, surtout le vendredi, jour de pénitence et de prières, ils avaient couru les environs de la ville et promis leur assistance aux soldats allemands qu'ils rencontraient.

Dès que retentissent les premiers coups de feu et pendant qu'un grand nombre de bourgeois quittent en hâte les églises pour s'enfermer dans leur demeure, les garçons de métier s'assemblent sur la Zeil. Le Magistrat essaie de les disperser. Ils répondent que Custine est un traître ; Custine a juré de ne pas exposer Francfort au bombardement ; Custine forfait indignement à sa parole ; à bas Custine ! Les Juifs se mêlent aux garçons de métier. Vainement le Sénat les consigne et place une garde à l'extrémité de leur rue ; sitôt qu'ils voient les boulets tomber sur leurs maisons et enlever les cheminées, les Juifs forcent la garde et se répandent dans la ville[31].

A cet instant, Van Helden envoyait à la porte de Friedberg ses deux canons. Mais les Juifs, les garçons de métier, les bourgeois s'opposent au passage des pièces, coupent les traits des chevaux, démontent les roues, brisent les affûts. Tout cavalier qui parait dans les rues est jeté à bas de son cheval. Tout fantassin qui se dirige vers les portes de Friedberg et de Hanau ou vers le quartier-général est arrêté ; plusieurs sont maltraités, blessés. Les officiers et les soldats qui reviennent des distributions, ne peuvent rejoindre leurs camarades. On empêche le lieutenant-colonel de Saintonge, Du Rosel, de descendre du rempart, et l'adjudant de place n'arrive chez Van Helden que parce qu'un boulet tombe au milieu de la foule et la dissipe. Deux fois Van Helden veut se rendre à la porte de Friedberg ; deux fois les bourgeois le ramènent de force à son logis de la Maison-Rouge, sur la Zeil, et pour mieux ébranler le courage de la garnison et mettre fin à la lutte, ils crient de toutes parts, comme sur un mot d'ordre, que Van Helden est mort et que l'ennemi pénètre dans la ville.

Désespéré, craignant les fureurs de la populace, Van Helden allait et venait sur la Zeil. Mais les magistrats, les bourgeois, les Juifs lui reprochent sa conduite, lui rappellent les assurances solennelles de Custine, le conjurent de cesser toute résistance, de préserver la ville de l'incendie. A deux reprises, il envoie un fourrier au clocher voisin ; à deux reprises le fourrier lui rapporte que Custine ne parait pas. Sa vie même est menacée ; ou lui tire des maisons plusieurs coups de fusil, et une balle vient frapper son chapeau.

Van Helden résolut de capituler. Il dépêcha sur-le-champ un trompette de cavalerie à la porte de Friedberg, et le trompette municipal à la porte de Hanau. Mais le trompette français ne réussit pas à se faire entendre au milieu de la canonnade, et le trompette francfortois ne put sortir de la ville. En vain ce dernier criait qu'il était envoyé par Van Helden ; l'officier qui commandait à la porte de Hanau, lui déclara qu'il n'ouvrirait que sur un ordre signé du général. Le trompette insistait ; l'officier lui enjoignit de s'éloigner et le menaça de son pistolet. Mais au même moment des garçons de métier arrivaient à la porte de Hanau. Ils arrachent le pistolet à l'officier qui mettait en joue le trompette francfortois ; ils désarment les soldats, les frappent, les prennent par les cheveux, les terrassent ; ils baissent le pont-levis, ils appellent les Hessois de la voix et du geste, tandis que le trompette, se faisant jour à travers la foule, sonne du clairon sous la voûte de la porte.

Une scène semblable se passait à la porte de Friedberg. Là aussi, des garçons de métier se jettent sur les soldats et leur enlèvent leurs fusils qu'ils déchargent en l'air ; ils brisent à coups de marteau les chaines qui retiennent le pont-levis ; ils ouvrent la porte au premier bataillon de la garde du landgrave.

Francfort était conquis, et pendant que Michel, épuisé, défaillant, tombait de cheval entre les bras de ses officiers, les hessois, fantassins, hussards, dragons, pénétraient dans la ville, au son du tambour et aux cris de Victoire et Mort à Custine !, Tod dem Custimus, Custimus soll sterben ! Les Français reculèrent vers la porte de Bockenheim ; la plupart jetèrent leur fusil et leur sac pour fuir plus vite ; quelques-uns s'arrêtèrent dans les rues pour combattre encore et mourir ; d'autres restèrent sur les remparts où s'engagea la lutte la plus vive. Les Hessois, exaspérés par la résistance qu'ils avaient rencontrée et par la mort de leurs camarades, ne faisaient pas de quartier. Mais bientôt leur fureur se calma. Les bourgeois de Francfort intervinrent au péril de leur vie et demandèrent la grâce des vaincus. Enfin, le roi de Prusse et le duc de Brunswick entrèrent et mirent un ternie au carnage. La population les accueillit avec enthousiasme comme des libérateurs. De tous côtés retentissaient des cris d'allégresse et des vivats. Les mouchoirs flottaient aux fenêtres. Des dames de la plus haute condition, ivres de joie, embrassaient les vainqueurs dans la rue[32].

Au bruit du canon, Custine fit partir Neuvinger et 8.000 hommes au secours de Van Helden. Malgré la rapidité de sa marche, Neuvinger arriva trop tard : lorsqu'il atteignit la tour sur le chemin de Mayence, à la hauteur de Bockenheim, Francfort était perdu. Il eut l'audace d'envoyer un parlementaire qui somma la ville. Mais bientôt il vit les Prussiens, débouchant de Bonames et d'Eschersheim, s'avancer à sa rencontre. Une vive et inutile canonnade s'engagea des deux parts. A la fin de la journée, Neuvinger se retira sur Höchst après avoir rompu tous les ponts de la Nidda.

Le même jour, Houchard lâchait sa position d'Ober-Ursel. Le prince de Hohenlohe-Ingelfingen aurait pu l'attaquer de vive force ou le couper de Mayence en se portant à Kronenburg et à Schwalbach. Mais, comme Brunswick, il n'avait d'autre souci que d'épargner du monde ; comme Brunswick, il craignait extrêmement les coups de vigueur ; comme Brunswick, il aimait mieux tourner l'adversaire et le déloger sans effusion de sang. Il se contenta de débusquer Houchard par une marche sourde : il prit, à travers les montagnes, entre le Danwigsberg et un sentier difficile, et déboucha soudainement sur le flanc gauche des Français en occupant le Hühnerkopf. Houchard se hâta de battre en retraite, et, sans coup férir, Hohenlohe se rendit maitre de la position d'Ober-Ursel. Le duc de Brunswick ne parlait qu'avec respect des retranchements élevés par Houchard ; les Prussiens les trouvèrent misérables et inachevés ; Forstenbourg, fils naturel de Brunswick, fit sauter à son cheval le fossé et le parapet, sans penser au ridicule qu'il donnait à son père[33].

 

IV. Custine leva son camp de Höchst dans la même nuit et se retira sur Mayence sans perdre de temps. Il abandonnait toute la rive droite du Rhin à l'exception du fort de Königstein où il avait mis une garnison de 300 hommes, de Kastel qui forme un faubourg de Mayence, et des villages de Kostheim et de Hochheim.

Il fallait pallier cet échec. Stamm publia dans la Gazette de Mayence un virulent article sur la prise de Francfort. Il comparait le dimanche de l'Avent à la Saint-Barthélemy et aux Vêpres siciliennes. Selon lui, le Magistrat, digne successeur du cardinal de Guise, les changeurs, les boutiquiers, le peuple de Francfort, ce peuple qui pourtant soupirait sous la tyrannie de quelques riches débauchés, avaient fait cause commune avec le roi de Prusse et le landgrave de Hesse-Cassel. Armés de toute sorte d'instruments de meurtre, les habitants avaient assailli traîtreusement la garnison ; ils avaient tiré sur elle par les fenêtres ; ils l'avaient poussée au désespoir ; les Français, entourés de soldats et de bourgeois, avaient dû se rendre ou succomber sous de barbares traitements, et le roi de Prusse était entré dans la ville où la population avait accueilli par des bravos l'homme qui revenait de France si victorieux. Mais Stamm jurait aux Francfortois une haine éternelle : malgré vos gazettes vénales, vous n'effacerez pas cette journée des annales de votre histoire ; les gamins des rues vous cracheront à la face ; le nom de Francfort sera pour la postérité un objet d'horreur, et le Français qui peut vous voir sans vous égorger, est digue d'exécration ; vous détruire, vous et votre nom, voilà le serment que tout homme libre fera sur l'autel de la patrie ; je le fais volontairement, et je le tiendrai !

Stamm dut, quelques jours plus tard, déclarer qu'il n'avait parlé qu'en son nom propre, comme citoyen, et non comme aide-de-camp de Custine. Ce qui le prouve, disait-il, c'est mon opinion sur le roi de Prusse, qui n'est sûrement pas celle du général ; jamais les principes de Custine ne lui permettront de confondre le roi avec un certain landgrave de Hesse.

Mais Custine n'avait pas moins travesti les faits. A l'entendre, Francfort était tenable, et il aurait attaqué les Prussiens avec avantage si le sieur Van Helden, cet être sans résolution, avait su maitriser les Francfortois et soupçonner ce qu'ils tramaient contre lui. Selon Custine, les habitants ne s'étaient pas contentés d'introduire dans leur ville 150 charpentiers de Nassau qui devaient ouvrir les portes aux Hessois[34] ; ils s'étaient, au nombre de dix mille, armés de couteaux pour assassiner trois cents Français, et le général envoyait à la Convention un de ces couteaux, en ajoutant qu'ils étaient tous fabriqués sur le même modèle[35].

Custine imputait donc sa défaite à la pusillanimité de Van Helden et à la trahison des Francfortois. Pour lui, disait-il, à la nouvelle de la marche des Prussiens, il avait tressailli de joie et cru à la fortune ; s'il n'avait pas repris la ville, il avait protégé la retraite de la garnison, défendu Bockenheim et chauffé l'adversaire par son artillerie ; il ne disposait que de 23.000 hommes contre 50.000, mais l'ennemi subissait des pertes très considérables : les Français ne déployaient-ils pas fermeté, gaieté et constance ?

On me croit un conteur, ajoutait-il, et je ne dis cependant que la vérité. On avait raison de le qualifier de conteur[36]. Sans doute Van Helden n'avait pas fait tout son devoir ; il avait manqué d'énergie et de décision ; il aurait dû donner à ses troupes des instructions précises ; il aurait dû mettre ses deux canons sur le rempart ; il aurait dû faire main basse sur l'artillerie de l'arsenal, et dans la matinée du 29 novembre, dissiper le rassemblement, repousser la force par la force, prendre des otages et menacer de mettre le feu aux quatre coins de la ville si l'on arrachait un seul cheveu à ses soldats ; il aurait dû surtout, au lieu de laisser chacun aller et venir librement, fermer les portes depuis deux jours et défendre aux habitants, sous les peines les plus sévères, de s'attrouper dans les rues ; il aurait dû, non pas rester dans sa chambre ou sur la Zeil, au milieu des magistrats qui, selon le mot d'un officier, l'endormirent par leur patelinage, mais s'entourer de sa réserve et se tenir à cheval au centre de la ville ; bref, comme l'a dit François Wimpffen, il se conduisit en franc écolier[37]. Mais Custine ne l'avait-il pas sacrifié ? Pourquoi lui donnait-il une garnison insuffisante qui pouvait à peine garder les portes et fournir aux patrouilles ? Pourquoi l'altier général laissait-il les Francfortois lui refuser l'accès de leur arsenal ? Pourquoi, dès les premiers jours de son entrée dans la ville, ne s'emparait-il pas d'une artillerie dont les Prussiens devaient bientôt se servir contre lui ?

Quant à la trahison des Francfortois, elle n'existait pas, et François Wimpffen a raison d'accuser Custine d'un vilain mensonge. Un instant, le Conseil exécutif provisoire décréta qu'il userait de représailles, et il fit garder à vue dans leur hôtel et détenir comme étages les députés de la ville. Déjà le fougueux Drouet demandait aux Jacobins que Francfort fût réduit en cendres. Mais le Sénat se justifia. Il offrit 80.000 livres de récompense à celui qui prouverait que le couteau déposé par Custine sur le bureau de l'assemblée était de fabrication francfortoise[38]. Les soldats de la garnison française, blessés et prisonniers, déclarèrent unanimement que les bourgeois, loin de les assaillir à coups de poignard, les avaient sauvés, cachés ou accueillis dans leurs maisons, comblés de soins et d'inappréciables bienfaits. Vainement Custine répliqua que ces signatures ne valaient rien et que les oiseaux, une fois pris, sifflent l'air qu'on leur enseigne. Vainement il répondit aux magistrats que le peuple de Francfort n'avait pu se réunir, s'attrouper et fondre sur les Français sans moteurs ; il y a eu, disait-il, des instigateurs, et, de deux choses l'une, ou le Magistrat l'ignorait, ou il l'a su ; s'il l'a ignoré, il est indigne de la confiance du peuple qui l'a choisi ; s'il l'a su sans en prévenir le commandant français, il serait digne de la colère de la nation, si on pouvait haïr ce qui doit être tant méprisé. Plus de correspondance entre nous, concluait-il, voilà ma dernière réponse à vos missives ![39] Le 22 janvier 1793, la Convention décida que les députés de Francfort seraient mis en liberté, et lorsque Bourdon de l'Oise demanda qu'a la campagne prochaine la ville fût rasée, l'assemblée, se levant toute entière, rejeta cette proposition barbare avec indignation.

 

 

 



[1] Custine à Pache, 18 déc. 1792 (A. G.).

[2] Ditfurth, Die Hessen, 132-138.

[3] Ce combat, dit de Weilbourg, mérite à peine une mention ; cf. Moniteur, 13 nov. 1793.

[4] Valentini, 15 ; Minutoli, Erinnerungen, 1845, p. 172 et 177 ; Massenbach, Mém., I, 136.

[5] Massenbach, Mém., I, 137 ; Vivenot, Quellen, II, 355 ; Zimmermann, Die Wiedereroberung Frankfurts durch die Preussen und Hessen im Jahre 1792, 1844, p. 63 ; cf. sur Brunswick et sa stratégie, Invasion prussienne, 110-115.

[6] Moniteur, 18 nov. 1792 ; Hover's Magazin, I, 1, 38-52 ; Œsterr. milit. Zeitschr., 1813, I, 108-111 ; Zeitschr. für Kunst. Wiss. u. Gesch. des Krieges, 1831, I, 84-88 ; Gesch. Der Kriege in Europa, I, 99 ; Zimmermann, 42-54. Les Prussiens perdirent 170 hommes dont 3 officiers, Sibaud s'était distingué et Custine, dit Legrand, demanda pour lui le commandement d'un régiment de ligne ; mais cette demande était maladroite, elle établissait une différence entre les troupes de ligne et les volontaires ; Sibaud le sentit, et déclara qu'il resterait à la tête de son brave bataillon. Il fut fait général de brigade le 13 juin 1793. Cf. le Journal de la Montagne du 9 juillet 1793 qui reproche à Custine d'avoir trop vanté Sibaud et de n'avoir presque rien dit du 7e bataillon de chasseurs et de son commandant Trentinian.

[7] Moniteur, 18 et 22 nov. 1792 ; Custine à Dumouriez, 24 nov. (A. G.).

[8] Moniteur, 26 et 29 août 1793 (procès de Custine, mot de Gateau et de Hotmann).

[9] Beurnonville à Pache, 14 et 19 nov. 1792 (A. G.).

[10] Custine à Biron, 5 nov. 1792 (A. G.) ; cf. Die Franz. am Reinstrome, 12, et Gesch., 105.

[11] Custine à Biron, 12 nov., à Pache, 14 et 24 nov., 22 déc., à Beurnonville, 16 nov. 1792 (A. G.) ; cf. Gray-Vernon, Custine et Houchard, 91.

[12] Custine à Pache, 14, 24, 26, 27 nov., à Beurnonville, 18 nov. 1792 ; Berthier à Custine, 27 oct. et 28 nov. (Vous n'aurez pas de général qui vous sera plus dévoué que moi et qui contribuera avec plus de satisfaction à la continuité de la gloire que vous acquérez) ; Beauharnais à Custine, 6 nov. ; les jacobins de Versailles à Custine, 22 déc. (A. G.) ; Journal des jacobins, séances des 12 et 24 déc. ; cf. sur Berthier, Invasion prussienne, 211-212, et sur Caffarelli du Falga, Moniteur, 21 août, 30 sept. et 14 déc. ; Com. millit. séance du 10 nov. ; ce fut sans doute Meusnier qui l'appela dans les bureaux de la guerre. Biron ne plaignait (à Le Brun, 28 nov.) que Pache, élevé par M. de Castries, eût donné toute sa confiance et les opérations les plus importantes de son administration à un officier suspendu par les  commissaires de l'assemblée. — Un autre officier du génie, l'émigré Bousmard, qu'on accusait d'avoir livré Verdun (cf. Invasion prussienne, 228) se recommandait vers le même temps à Custine dans une lettre très curieuse et le priait de le tirer de son état équivoque ; il offrait de se jeter dans Mayence et de prouver qu'il était incapable d'une trahison. Peut-être, ajoutait-il, ne vous serai-je pas inutile en ayant appris par mon malheureux séjour de quelques semaines parmi les Prussiens le peu dont ils sont capables dans l'art d'attaquer une place en règle. Je sens le besoin d'un baptême de sang qui efface toutes les souillures dont m'a terni le souffle impur de la calomnie ; il me tarde de défendre une place où je ne sois point mis hors d'état d'être utile par l'élagage de trois arbres, où la bourgeoisie n'ait pas le secret de faire rendre la place aux premières bombes qu'on lui enverra, et dont le commandant aime mieux tuer beaucoup de monde aux assiégeants que de se tuer tout seul, tant des assiégeants que des assiégés. (Deux-Ponts, 27 déc. 1792, A. G.).

[13] Cf. sur la tentative de Dumouriez, Retraite de Brunswick, 76-107, et A. Sorel, L'Europe et la Révolution, III, 51-66. C'est au mois d'octobre que Biron avait tenté, lui aussi, de négocier avec le roi de Prusse par l'intermédiaire de l'émigré Heymann ; il proposait Bâle pour lieu de rendez-vous et désirait que Servan vint assister à la conférence ; la conversation avec Heymann ne pouvait se passer sans témoins (lettre à Servan, 15 oct. 1792, A. G.). Le 22 novembre, Biron revient à la charge et propose derechef d'entamer une négociation avec le roi de Prusse par l'entremise de Heymann.

[14] Moniteur, 21 octobre 1792.

[15] Desportes à Custine, 22 oct., et Custine à Le Brun, 25 oct. 1792 (A. E. et A. G. Cf. Avenel, République française, 27 février 1876).

[16] Lettre de Custine au roi de Prusse, 12 nov. 1792 (A. E.) ; elle fut publiée en allemand dans la Berliner Hofzestung du 20 déc. ; cf. Klein, 232-233, et Sorel, III, 112 et 180.

[17] Vivenot, Quellen, II, 323-328 ; Retraite de Brunswick, 201.

[18] Custine à Beurnonville, 22 nov. 1792 ; plan pour la campagne de 1793 (A. G,) ; Correspondance de Dumouriez avec Pache ; Biron à Custine, 14 nov. (une intrigue infernale s'est criminellement opposée à un rapprochement avec le roi de Prusse).

[19] Houchard à Custine, 20 nov. ; Custine à Biron, 5 nov. 1792 (A. G.).

[20] Custine à Beurnonville, 23 nov. 1752 (A. G.).

[21] Ditfurth, 174-175 ; Ihlee, 152.

[22] Saint-Cyr, I, 10 (de là date son horreur pour les marches de nuit.).

[23] Custine, dit Legrand, aurait dû abandonner Francfort et se retirer dans Mayence ; mais n'eût-on pas fait au général un crime capital d'avoir différé d'agréger à la République universelle nos prétendus amis les Francfortois et autres qui nous tendaient les bras ? Si cette crainte n'a pas agi sur l'esprit de Custine, sa conduite, au point de vue militaire, est inconcevable. Cf. le mémoire sur Custine par un témoin oculaire (Journal de la Montagne, 10 juillet 1793) qui montre Custine agité, indécis, incapable de prendre un parti.

[24] Custine à Pacte, 1er déc., et à Beurnonville, 26 nov. 1792 (A. G.) ; cf. pour ce qui suit et sur la prise de Francfort l'Authentische  Nachricht vom Uebergang (mais où, comme dit Heyne, l'on a, extenuando, elevando, palliando, fait subir un petit changement à quelques faits) : Kriegk, Deutsche Kulturbilder aus dem XVIII Jahrh., 192-262 ;  Ditfurth, Die Hessen ; la lettre de Sömmerring à Heyse (Forsters Briefw. mit Sömmerring, p. p. Hettner, 1877, p. 399) ; Van Helden, Relat. de la prise de Francfort, La Haye, 1798, p. 70-151, et ses lettres à Custine, 2, 3, 4 déc. 1792 et 20 janv. 1793 (A. G.).

[25] Van Helden, capitaine dans le corps du génie hollandais et pendant cinq ans aide-de-camp du célèbre général Dumoulin, ensuite major et maréchal des logis général des troupes de Hollande et de Westfrise, s'était retiré en France après l'invasion prussienne de 1787. Promu capitaine, avec rang de major, au régiment de Royal Liégeois (plus tard le 101e), puis lieutenant-colonel, il fut nommé le 13 août 1792, dans l'état-major de l'armée du Rhin, adjudant-général, avec grade de colonel, et le 20 septembre suivant, maréchal-de-camp. Il avait commandé pendant le mois d'octobre la place de Wissembourg qui est, dit-il dans une lettre du 6 octobre, un simple contour sans aucune ligne flanquante, plongé et dominé de tous côtés, et Custine qui devait bientôt revenir de ce jugement, le trouvait excellent patriote, très valeureux, avec une grande intelligence pour la défense des places (à Serran, 19 sept., A. G.).

[26] Die Franz. am Rheinstrome, 12 die Brandschatzung noch nicht verdauet.

[27] Nau wie soll mir's gefallen, s'is ausser a Baeumche ohne Wurzel un a Kaepla ohne Kopf (voir la gravure dans Ihlee, 105). Cotta entreprit de réfuter le mot dans la Mainzer National-Zeitung du 18 février 1793 ; il y a eu, dit-il, des arbres sans racine, comme la verge d'Aaron, et un bonnet sans tête a plus de valeur qu'une tête sans cervelle.

[28] Cf. outre Van Helden, op. cit., Ihlee, 40, 105, 134-135, 153, 195 ; Die alten Franzosen, 20 ; lettres de Grimm à Catherine II, 1886, p. 562 ; Custine à Pache, 21 déc. 1753 (A. G.).

[29] Valentini, 20-21 ; Invasion prussienne, 118 ; cf. dans la Mainzer Zeitung du 30 octobre sa méprisante et impérieuse instruction aux magistrats de Coblenz.

[30] Pertes des Hessois : morts, 7 officiers et 75 soldats ; blessés, 9 officiers et 93 soldats.

[31] Van Helden a fait dans son ouvrage (p. 59-61) un piquant tableau des Juifs de Francfort et que Zimmermann nomme zierlich (p. 93) : Cette espèce d'hommes à laquelle l'Europe entière doit sa religion, sa banque et les éléments de son commerce, dont on recherche partout l'or et dont on repousse partout l'alliance ; ces hommes qui cultivent partout leurs préjugés avec la même opiniâtreté que leur fortune, et dont la plus grande source de richesses est dans le mépris dont ces richesses ne sauraient les garantir ; ces hommes qui forment un peuple sans cité, une confédération sans chef et un empire sans territoire ; qui ont trouvé dans les pages d'un livre dont les Égyptiens, les Perses et les Grecs ont fourni les chapitres, à la fois un état, une patrie, une constitution et une religion auxquelles vingt siècles et le mépris de l'univers entier n'ont apporté aucune altération sensible ; les Juifs enfin, si vieux dans l'histoire des peuples et si nouveaux dans celle de la tolérance et de la philosophie, dont l'existence est à la fois nulle et entière, qui, semblables au métal dont ils diminuent le poids et altèrent la qualité, se filtrent et s'insinuent dans toutes les classes de la société sans appartenir à aucune et nous offrent le phénomène le plus humiliant peur l'orgueil de l'humain et le plus inexplicable pour sa raison ; ces Juifs forment une partie essentielle de la population de Francfort, sans avoir pu en corrompre l'esprit ni les institutions. Lorsque je m'exprime ainsi, je suis loin de confondre avec une classe d'hommes quelconques les individus auxquels leurs lainières et leurs sentiments d'humanité donnent dans tous les pays des droits à l'estime et à la reconnaissance publique. Je connais dans la nation juive des individus dont les mœurs, le patriotisme et les rares qualités font estimer cette secte, et je m'honore même de compter parmi eux des amis auxquels je suis sincèrement attaché. Autant la population juive prépara des dangers aux soldats français qui occupaient Francfort au moment de la prise de cette ville par le roi de Prusse, alitant ces Français et moi-même fûmes redevables, à bien des égards, à ces négociants juifs qui, à Francfort comme en Hollande, se distinguent par un noble et bienfaisant usage de leurs richesses et de leurs lumières.

[32] Les Français avaient 41 morts, 139 blessés et 1.158 prisonniers, parmi lesquels Van Holden qui fut entité dans son logement.

[33] Massenbach, Mém., I, 152-154 ; Saint-Cyr, I, 12-14. C'étaient en effet trois redoutes que Houchard n'avait pu achever à cause de la difficulté du sol et du manque d'ouvriers ; elles ressemblaient à des batteries à barbette, si peu avancées qu'elles n'ont pu servir que pour y placer des grandes gardes d'infanterie.

[34] C'est de Van Helden que Custine tient ce fait (Van Helden à Custine, 3 déc. 1792, A. G. 150 charpentiers sont venus de Hanau en deux bateaux samedi au soir) ; mais le 20 janvier 1733 Van Helden reconnait qu'il n'a entendu parler de ces charpentiers que le lendemain de la prise de la ville, Quant à la fable des dix mille couteaux, elle appartient en propre à Custine et à Stamm.

[35] Moniteur, 11 et 14 déc. 1792, 5 et 6 janv. 1793 ; Mainzer National-Zeitung, 6 et 8 déc. 1792. Stamm fut du reste joliment persiflé dans le Sendschreiben an den getreuen Schildknappen des Generale Custine Daniel Stamm, rom einem geraden Deutschen. L'auteur, tout en réfutant avec brièveté les assertions de Stamm, le nomme le plus implacable et le plus insignifiant ennemi de Francfort, un enfant, un garçon imberbe, et le compare à nue puce. Cf. une autre réfutation, Ueber die Ereignisse des 2 December (Ihlee, 188-213).

[36] Cf. le mémoire sur Custine par un témoin oculaire (Journal de la Montagne, 10 juillet 1793) ; il dit que le rapport de Custine est un ridicule rapport démenti par tous les gens de bonne foi et il se moque du pitoyable conte des dix mille couteaux. Ne sont-ce pas là, écrit Marcus Anckerford, des tours de laquais qui veulent tromper indignement leurs maitres (A. G.).

[37] Mémoire de Wimpffen et notes de Legrand et d'Eickemeyer (A. G.). Vidalot-Dusirat nomme Van Helden un triste homme dans toute la force du terme.

[38] Legrand sait et raconte d'où vint le fameux couteau. Un officier, depuis général, entrait chez Custine avec quelques officiers de l'état-major au moment que le général regagnait Mayence. Il vit à la porte un juif qui lui proposa d'acheter un grand couteau de plus d'un pied de long, d'une forme qui le frappa. Il le prit, l'examina et le rendit au juif. Quelques jours après il entendit parler pour la première fois de la grande trahison des dix mille couteaux et de celui qu'avait apporté un Français échappé au carnage. C'était celui dont le juif lui avait proposé l'emplette et qui fut envoyé pompeusement à la Convention. Vidalot-Dusirat a vu les fuyards de Francfort et rapporte qu'ils parlèrent non de poignards, mais bien de hâtons dont plusieurs portaient les marques sur les têtes et les bras. (A. G.)

[39] Cf. le Bürgerfreund (25 déc.1792), la lettre de Custine aux magistrats, 23 déc. 1792 (Moniteur, 6 janvier 1793, et A. G.) et une réplique de Daniel Stamm, An meine anonywischen Freunde zu Frankfurt, où il accuse derechef le Magistrat d'avoir porté dans l'obscurité la mèche meurtrière. La vérité se trouve dans la lettre que les officiers français, prisonniers à Marbourg, envoyèrent au président de la Convention le 12 décembre 1792 : Nous ne dissimulerons pas les excès auxquels s'est portée la populace de Francfort et notamment les garçons de métier et les juifs ; nous ne cacherons point a la nation entière que leurs atrocités, leur acharnement à seconder les entreprises de l'ennemi out accéléré le moment de notre défaite, annulé les moyens de défense, entravé les ordres du général ; mais ce serait violer la justice même si l'on appelait l'odieux de cette malheureuse journée sur ceux-là qui ont sauvé un grand nombre de Français de la fureur du vainqueur, qui ont soigné nos blessés et secouru nos prisonniers. Dés le 3 décembre, Van Helden écrivait : La populace nous a entravés en tout, mais le Magistrat et les bons et honnêtes bourgeois de Francfort ont pris infiniment d'intérêt à ma situation ; ils sont tous au désespoir des excès que la populace a commis contre nous et des outrages que nous avons reçus.