LA GUERRE

1870-1871

 

CHAPITRE VI. — LE MANS.

 

 

Le 4 septembre. — Le gouvernement de la Défense nationale Entrevue de Ferrières. — La délégation de province. — Crémieux, Glais-Bizoin, Fourichon. — Formation du 15e corps. — Combat d'Artenay et première prise d'Orléans (10 et 11 octobre). — Défense de Châteaudun (18 octobre). — Arrivée de Gambetta. — Freycinet, délégué à la guerre. — 1792 et 1870. — Fautes de Gambetta. — Son patriotisme. — Activité de la délégation. Artillerie, génie, intendance, armement de l'infanterie. — Difficultés et retards. — Les armées de la province, régiments de marche, mobiles, mobilisés, francs-tireurs. — La première armée de la Loire. — D'Aurelle de Paladines. — Coulmiers (9 novembre). — Démêlés de d'Aurelle et de la délégation. Beaune-la-Rolande (28 novembre). — Marche de l'armée vers Pithiviers. — Succès de Villepion (1er décembre). — Défaite de Loigny-Poupry (2 décembre). — Seconde prise d'Orléans (5 décembre). — La deuxième armée de la Loire. — Chanzy. Bataille de Beaugency. — Quatre jours de lutte. — Retraite sur le Loir. — Vendôme (14-15 décembre). — Retraite sur le Mans. — Plan de Chanzy. — Les colonnes mobiles. — Marche lente des Allemands. — Bataille du Mans (11 janvier). — La Tuilerie. — Débandade. — L'armée de la Loire à Laval.

 

Une dépêche de l'empereur avait annoncé le 3 septembre le désastre de Sedan ; l'armée, disait Napoléon, est défaite et captive ; moi-même je suis prisonnier. Le ministère convoqua le Corps législatif à minuit ; mais, imprudemment, il fit ajourner la discussion au lendemain. Le 4 septembre, à une heure de l'après-midi, trois projets étaient soumis à la Chambre par le gouvernement, par Thiers et par Jules Favre ; tous trois proposaient la nomination d'une commission ou d'un Conseil de défense nationale. Mais le gouvernement voulait que Palikao Mt lieutenant général de ce Conseil qui comprendrait cinq membres élus par le Corps législatif ; Thiers désirait la convocation d'une Constituante ; Favre exigeait avant tout la déchéance de la dynastie. La Chambre avait accepté la proposition de Thiers qui n'était qu'une déchéance déguisée, lorsque la salle fut envahie par la foule. La garde nationale qui veillait aux abords du palais, avait livré le passage. Vainement, au milieu du tumulte, Gambetta déclara que la France, et non Paris, devait décider de la forme du gouvernement. Le président Schneider leva la séance. Déjà deux émeutiers s'installaient au fauteuil. Gambetta prit les devants, et d'une voix puissante s'écria que Napoléon et sa dynastie avaient à jamais cessé de régner sur la France. Il se rendit avec Favre et Ferry à l'hôtel de ville et, pour écarter Blanqui, Pyat, Minière, Delescluze, proclama la République. Un gouvernement de Défense nationale se constitua sur-le-champ. Il comprit tous les députés de Paris, à l'exception de Thiers. C'étaient Emmanuel Arago, Crémieux, Favre, Ferry, Gambetta, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, Pelletan, Picard, Rochefort qu'on aimait mieux avoir dedans que dehors, Jules Simon ainsi que le gouverneur de la capitale, le général Trochu, qui, pour amener et rallier l'armée, demanda la présidence et l'obtint sans discussion. Gambetta fut ministre de l'intérieur ; Picard, des finances ; Crémieux, de la justice ; Simon, de l'instruction ; Darlan, des travaux publics ; Magnin, du commerce ; Favre, des affaires étrangères. Le général Le Flô et l'amiral Fourichon eurent l'un, le portefeuille de la guerre, l'autre, le portefeuille de la marine. Etienne Arago était maire de Paris et avait pour adjoints Brisson et Floquet. Ferry exerçait, sous le titre de délégué, les fonctions de préfet de la Seine. L'impératrice-régente avait fui. En quelques heures, sans effusion de sang, s'était accomplie une révolution inévitable. Les députés de Paris s'emparaient du pouvoir, mais ils empêchaient les chefs de la future Commune de le ramasser. Ils l'usurpaient, mais ils l'arrachaient à. l'anarchie. Il ne faut pas, disait l'un d'eux, qu'il tombe entre les mains de ceux qui sont là, dans la chambre à côté. Et, chose curieuse, ces hommes qui sur les bancs de l'opposition, lorsque le Corps législatif discutait le budget militaire, déclaraient que l'organisation de la guerre était une coupable folie, que l'influence d'un peuple dépendait des principes et non du nombre des soldats, que la force morale l'emportait sur la force matérielle, que le patriotisme formait la vraie frontière, que la France, au lieu de s'embastionner et de remplir de poudre et de mitraille ses magasins, devait s'acheminer vers le désarmement et pratiquer, non une politique de haine, mais une politique d'expansion et d'abandon, ces mêmes hommes avaient pour mission d'enrégimenter la nation entière et d'engager une lutte à outrance !

Ils sentaient néanmoins qu'ils n'avaient pas fait, selon le mot de Gambetta, des choses régulières, et un de leurs premiers actes fut de convoquer une Constituante. Mais les élections seraient-elles républicaines ? Pouvait-on y procéder dans les départements envahis ? N'allaient-elles pas accroître la confusion, affaiblir la résistance ? Ne fallait-il pas courir aux armes avant de courir au scrutin ? La défense nationale n'était-elle pas pour l'instant le plus sacré des devoirs civiques ? On décida que les élections ne se feraient que le 1G octobre ; puis on les ajourna indéfiniment.

Trois membres du gouvernement, Crémieux, Glais-Bizoin et Fourichon, furent envoyés à Tours, avec une délégation de chaque ministère. pour administrer la province. Le ministre des finances chargé de trouver l'argent nécessaire à la lutte, le ministre de la guerre qui n'avait aucun rôle dans une place investie et le ministre des affaires étrangères qui devait communiquer avec l'Europe, demeuraient à Paris. Gambetta protestait contre cette mesure qui brisait l'unité de direction et qui divisait, isolait l'autorité. Mais Paris, c'était la France ; c'était le boulevard et l'espoir de la défense, le point essentiel où s'accumulaient les ressources et s'entassaient les soldats. On n'osait déserter le poste du plus grand péril. On s'imaginait qu'on abrégerait la durée du siège en ne laissant à Paris qu'un gouverneur. Où serait le combat, disait-on, serait également le pouvoir. Enfin, on comptait que la paix serait prochaine-nient conclue.

Jules Favre et bien d'autres croyaient en effet que l'Allemagne se contenterait de sa gloire. L'empereur avait déclaré la guerre, et il était tombé. Les vainqueurs iraient-ils combattre encore et humilier la nation ? Le roi de Prusse n'avait-il pas écrit dans une proclamation qu'il désirait vivre en paix avec le peuple français ? Le 18 septembre, à l'insu de ses collègues, sauf de Trochu et de Le Flô, Favre quittait Paris, et le 19 et le 20, d'abord à la Haute-Maison, puis à Ferrières, il conférait avec Bismarck. Il avait dit dans une circulaire aux cabinets étrangers que la France ne céderait ni un pouce de son territoire ni une pierre de ses forteresses : il assura pareillement à Bismarck qu'elle sacrifierait l'argent, mais non le sol, qu'ale paierait une indemnité pécuniaire, mais qu'elle refusait tout démembrement d'elle-même. Bismarck répondit que l'Allemagne voulait garantir sa sécurité et avoir Strasbourg qu'elle regardait comme la clef de sa maison. Favre demandait un armistice qui permettrait la convocation d'une assemblée. Bismarck exigea la reddition de Toul, de Bitche, de Strasbourg qui résistaient encore et du Mont-Valérien ; la trêve, ajoutait-il, ne s'étendrait pas à Metz ; l'Alsace et la Lorraine allemande n'enverraient pas de députés à l'assemblée puisque leur vote était connu d'avance. Favre et ses collègues repoussèrent ces conditions. Les accepter sans avoir épuisé toutes les ressources et couru toutes les chances qui restaient, c'était se déshonorer. Le ministre français n'avait pas été habile ; il manqua de fermeté ; il eut un instant de faiblesse et pleura devant l'inexorable adversaire qui se moqua de sa sensibilité. Pourtant l'entrevue de Ferrières dissipait les doutes. Le pays savait dorénavant quelles étaient les conséquences de la guerre et, comme en 1709, au fort des désastres, quiconque avait une goutte de sang français, se rallia sans réserve au gouvernement qui continuait la lutte pour sauver l'honneur et maintenir l'intégrité de la patrie. Si la France est vaincue, disait un de nos généraux prisonniers, elle le sera du moins avec gloire et après un effort suprême qu'elle se devait à elle-même.

 

Favre avait dû, pour se rendre à Ferrières, franchir les lignes allemandes. Le 19 septembre, Paris était bloqué, et la France semblait abandonnée à ses propres forces. Elle ne possédait à cet instant d'autres troupes qu'une division incomplète qui venait d'Algérie et que La Motterouge reformait à Bourges, quelques bataillons que Cambriels réunissait dans l'Est et des mobiles bretons que Fiéreck assemblait dans l'Ouest. La délégation demeurait impuissante. Crémieux était fort disert, mais déjà cassé. Glais-Bizoin, excellent homme, désintéressé, patriote, mais un peu ridicule, bizarre, affairé, curieux, indiscret, se qualifiant de père des francs-tireurs, manquait à la fois de prestige et de bon sens. L'amiral Fourichon, chargé spécialement de la guerre, plus actif, plus énergique que ses collègues, ne connaissait bien que les choses de la marine, et il gémissait inutilement sur le désordre qui régnait autour de lui. On ne voyait à Tours, comme plus tard à Bordeaux, que des employés galonnés et empanachés, des aventuriers aux uniformes étincelants de dorures, des brasseurs d'affaires, des solliciteurs de haut et de bas étage qui demandaient des grades et des missions pour eux et leurs amis, des faiseurs de projets qui croyaient battre les Prussiens par des plans de campagne et des inventions saugrenues de toute espèce. Fourichon grondait et s'irritait. Enfin, il sortit des gonds. Crémieux et Glais-Bizoin avaient nommé des commissaires munis de pleins pouvoirs et chargés d'organiser la défense dans plusieurs départements ; ils mirent les généraux qui commandaient les divisions territoriales, sous la dépendance de ces fonctionnaires civils. Le 21 septembre, Fourichon rendit le portefeuille de la guerre et fut durant huit jours remplacé par Crémieux !

Mais un homme aussi laborieux que modeste, le général Lefort, chef de la délégation du ministère de la guerre, avait constitué dans les derniers jours de septembre et les premiers jours d'octobre avec une promptitude que les Allemands jugèrent étonnante, le ne corps d'armée. Ce 15e corps comprenait, sous les ordres de La Motterouge, trois divisions d'infanterie, une division de cavalerie et 128 bouches à feu dont 14 mitrailleuses. On l'envoya sur la rive droite de la Loire, et jusqu'à Toury, pour protéger Orléans. Il s'était déployé trop tôt, et ses 60000 hommes, mal armés, mal équipés, portant pour la plupart leurs cartouches dans leurs poches, ne pouvaient tenir contre les troupes que Tann et Wittich menaient à leur rencontre, et qui se composaient des réserves de l'armée de Paris, 1er corps bavarois, 22e division prussienne, 2e et 4e divisions de cavalerie. Le 10 octobre, au nord d'Artenay, l'avant-garde de La Motterouge essaya d'arrêter le général de Tann. Son artillerie répondit vigoureusement à celle des ennemis. Mais sa cavalerie, conduite par Reyau, ne fit que se montrer de loin et disparut aussitôt du champ de bataille. Les escadrons prussiens et bavarois attaquèrent l'infanterie française sur ses deux flancs et la mirent en déroute. Les prisonniers, au nombre de mille environ, saluèrent Tann avec joie ; ces couards, disait le général, sont heureux de n'être plus dans le pétrin. Le lendemain, 11 octobre, les Allemands entraient à Orléans. La brigade d'Ariès, qui comptait quinze mille hommes, lutta vaillamment aux Ormes, dans les vignes et les bouquets de bois qui couvrent le terrain, dans les maisons qui bordent le grand chemin, à la gare des Aubrais et à l'usine à gaz, sur le remblai du chemin de fer, au faubourg Saint-Jean, à la barrière d'octroi, et Orléans ne fut évacué qu'à sept heures du soir. La Motterouge repassa la Loire. Le gouvernement dont il avait strictement exécuté les instructions, le destitua.

Pendant que Tann et ses Bavarois restaient à Orléans, Wittich poussait sur Chartres. La petite cité de Châteaudun lui tint tête le 18 octobre durant plusieurs heures. Wittich prit sans trop de peine la gare, la tuilerie de Nermont, la ferme retranchée de Mont-Doucet ; mais il dut enlever des barricades fortement établies et des maisons dont les murs étaient crénelés ; il dut, après avoir jeté plus de '2000 obus, ordonner l'assaut ; il dut combattre dans les rues jusqu'au milieu de la nuit les gardes nationaux et les francs-tireurs de Lipowski. Pour se venger de cette résistance imprévue, il brûla la ville.

 

Il était temps qu'un homme vînt animer la défense de la province et lui imprimer l'énergie. Déjà un Comité de la guerre qui se formait à Tours, complotait d'emprisonner Fourichon et Lefort, et de confier la direction des affaires militaires à de fougueux républicains, à des révolutionnaires, voire à Garibaldi. Mais le 8 octobre Gambetta quittait Paris en ballon et descendait à Epineuse, près de Montdidier. Le 9, il arrivait à Tours. On l'avait prié de venir et de réparer par sa jeunesse et son ardeur le mal qu'avait fait la mollesse sénile de la délégation. Le gouvernement lui donna voix prépondérante et Gambetta partit en promettant à ses collègues d'apaiser tous les dissentiments et, de revenir avec une armée pour délivrer Paris.

Il prit aussitôt le ministère de l'intérieur et celui de la guerre. Un adjoint lui était nécessaire : Lefort, malade et mécontent, offrait sa démission. Le colonel Thoumas, directeur de l'artillerie, le journaliste Détroyal, autrefois officier de marine, bientôt général de division ct, commandant du camp de la Rochelle, l'ingénieur des mines Freycinet, ancien chef de l'exploitation des chemins de fer du Midi, furent proposés. Freycinet l'emporta. Il connaissait Gambetta qui l'avait nommé au 4 septembre préfet du Tarn-et-Garonne ; il se piquait d'entendre la guerre, et ses camarades de l'École polytechnique le regardaient comme un grand stratégiste parce qu'il leur avait expliqué sur la carte les batailles entre fédéraux et confédérés ; il était très intelligent et très délié, restait calme et flegmatique dans les circonstances les plus graves, rédigeait de la façon la plus claire et la plus nette les dépêches même les plus attristantes, savait en un style précis, perçant et, académique distribuer les critiques et les compliments ; il suivit les mouvements des armées avec une sollicitude minutieuse, incessante, et ne ménagea ni les renseignements ni les avis : très propre d'ailleurs à ses fonctions en un pareil moment parce qu'il unissait à son sang-froid, à son zèle infatigable, à son ton d'autorité un audacieux esprit d'initiative et le mépris de toutes les règles d'administration, de tous les principes de la hiérarchie, de tous les prestiges de la spécialité. Mais il avait aussi et naturellement trop de confiance en lui-même ; il ne tenait aucun compte des difficultés ; il croyait bons tous les moyens qu'il employait ; il voulut de son cabinet diriger les opérations ; il traita cavalièrement des généraux pleins d'expérience et de patriotisme, les régenta, les chapitra, prétendit leur remettre le moral ; il exigea des troupes la mobilité qu'avaient les Allemands et ne comprit pas qu'une jeune armée inexercée ne peut ni manœuvrer rapidement ni braver les intempéries ni vaincre de vieux bataillons disciplinés et instruits.

Gambetta partageait les illusions de son délégué. Je fais, disait-il une fois, marcher les généraux comme des pions sur un damier. Il s'imagina que l'élément civil devait conduire la guerre ; il s'entoura d'ingénieurs, de savants, de journalistes ; avec toute la France, depuis Frœschwiller et Sedan, il considérait les militaires comme des gens bornés, incapables, uniquement propres à exécuter les conceptions des hommes d'étude, de science et d'industrie ; de même que les Parisiens tenaient Dorian pour un génie de premier ordre, il tint Freycinet pour un second Carnot. Il crut renouveler les légendaires prodiges de 1792 et de 1793 en rompant avec la tradition. Selon lui, la France, régénérée par la République, repousserait l'envahisseur, ainsi qu'a la fin du siècle dernier, par un élan sublime, et il jurait que le peuple ferait reculer le despote. Gambetta oubliait que les volontaires avaient causé les revers de la Révolution par leur indiscipline et leur lâcheté, que la République avait été sauvée, non par le courage de ses levées, mais par les discordes de la coalition, que les Allemands de 1793, indécis et peu nombreux, piétinaient sur place à quelques, lieues de la frontière et que ceux de 1870, unis, victorieux, innombrables, étaient, non pas sur la Sauer et sur l'Escaut, mais sur la Seine, sur la Loire, au sein du territoire.

Mais il personnifia la défense de la province. II ne se dégageait pas suffisamment de l'esprit de parti et il fut parfois plus préoccupé de la République que de la patrie ; il s'agita plus qu'il n'agit ; il ne put empêcher l'incohérence et la confusion ; s'il eut énergie et résolution, il n'eut pas, comme il l'avait promis dans sa proclamation du 9 octobre, la suite dans l'exécution des projets. Néanmoins il gouverna ; il empêcha l'anarchie de dévorer le Midi et par sa franchise, par sa fermeté, réussit à dissoudre les ligues des départements et à réprimer les tentatives de séparatisme ; il trouva des chefs jeunes, actifs, vigoureux, Faidherbe, Chanzy : il utilisa les ressources de la nation et fit tout pour la sauver. Grâce à lui, la France vaincue et défaillante gardait la tête haute et tenait d'une main encore ferme son épée brisée. Jamais, écrivait-il le 5 décembre, le désespoir ne s'est approché de mon âme. Il se prodigua ; il courut le pays et le réchauffa, l'électrisa ; ce fut lui qui donna l'impulsion et sonna le tocsin ; il dit aux Français en un langage plein de passion et de feu qu'ils devaient lutter jusqu'aux limites du possible, et sa voix éloquente exprimait en superbes accents ce généreux désir de résistance et de sacrifice qui s'exhalait alors de bien des cœurs.

Cet avocat ignorant du métier de la guerre avait d'ailleurs l'intelligence prompte et sûre ; il voyait clair et se décidait vite ; il semblait n'apercevoir les choses que de très loin ; mais, comme en se jouant, il devinait ou discernait presque tout, et à la surprise des militaires de profession, il entrait dans les détails. On se plaignit quelquefois de ses emportements, et il fut injuste en accusant d'Aurelle de faiblesse ; mais, après ses éclats de colère, il se rapaisait et reconnaissait son tort. Il ordonnait de mauvaises mesures pour satisfaire l'opinion, et se dispensait de les exécuter ; s'il permettait, en créant une artillerie départementale, de puiser dans les arsenaux, cette disposition du décret restait lettre morte ; s'il renvoyait de l'armée les princes d'Orléans, il confiait aux grands noms de la Bretagne, à Charette et à Cathelineau, d'importants commandements. Il suspendit les lois qui réglaient l'avancement, conféra des grades à des civils, fit des nominations extraordinaires ; mais les circonstances étaient exceptionnelles ; la plupart des commissions ne furent établies qu'à titre provisoire ; les brevets accordés à l'armée auxiliaire, mobiles, mobilisés, corps irréguliers, n'eurent d'autre durée que celle de la guerre ; quoi qu'on ait dit, Gambetta n'abusa pas des promotions trop rapides, et il laissa ses coudées franches au directeur de l'artillerie. Bref, aux yeux de la France et de la postérité, son ardent patriotisme efface ses erreurs.

Secondé par Freycinet qui fut son alter ego, secondé par le directeur de l'infanterie et de la cavalerie d'abord le général de Loverdo, puis le général Hua secondé par le directeur du génie Véronique et par le directeur de l'artillerie Thoumas, Gambetta renforça les effectifs, et malgré la saison, l'état des magasins et l'encombrement des voies ferrées, pourvut à tous les besoins des troupes. Le service télégraphique fut très bien organisé. Les généraux et les états-majors reçurent d'excellentes cartes du pays. Le ravitaillement des provisions de guerre s'opéra constamment avec ordre et régularité : Chanzy reconnut qu'il n'avait jamais manqué de munitions et que son armée en faisait, non pas une consommation, mais une orgie.

Onze corps surgirent, pour ainsi dire, du sol : les 16e, 17e, 18e, 19e, 20e, 21e, 22e, 23e, 24e, 25e, 26e. Le 22e et le 23e qui constituaient l'armée du Nord, ne furent pas l'œuvre de la délégation ; mais le 19e, le 25e, le 26e, qui s'ébranlaient lorsque finirent les hostilités, et les six autres, 16e, 17e, 18e, 20e, 21e, 24e, qui combattirent sur la Loire et la Saône, se levèrent et s'armèrent à l'appel et sous les auspices de Gambetta. En moins de quatre mois le jeune ministre et ses collaborateurs mirent sur pied près de 600.000 hommes, 5.000 par jour ! Gambetta et ses armées : les Allemands résument par ces seuls mots la résistance que leur opposa la province.

Résistance hardie, violente, désespérée et pourtant impuissante ! L'artillerie maintint ses vieilles traditions de vaillance, de dévouement, d'amour du devoir. Il n'y avait plus, dans les départements, après le 4 septembre, que 6 batteries. Par des prodiges de persévérance et d'activité, une artillerie fut improvisée. En quatre mois deux cent trente-huit batteries ou mille quatre cent quatre bouches à feu de tout calibre entrèrent en ligne, et à la conclusion de l'armistice, la France avait encore deux cent trente et une batteries ou mille trois cent quarante-huit pièces. La direction confiée au colonel Thoumas avait donc livré par jour deux batteries tout équipées et pourvues de leur personnel. Cette quantité de canons étonna l'adversaire. Leur tir juste et meurtrier ne le surprit pas moins ; c'est qu'on avait, dans le chargement des projectiles creux, remplacé les fusées fusantes qui faisaient éclater l'obus trop tôt ou trop tard et dans une zone très restreinte par les fusées percutantes qui détonaient à toutes les distances. Mais l'artillerie des Allemands gardait l'avantage du nombre ; la portée moyenne de ses pièces était toujours plus considérable que celle des pièces françaises ; son personnel était plus instruit, mieux exercé que le nôtre.

Le génie reçut pour la durée de la guerre un précieux auxiliaire, le corps du génie civil des armées, composé de tous les ingénieurs, architectes, agents-voyers et entrepreneurs de travaux publics qui s'offrirent au gouvernement. Ce corps finit, par compter 52 ingénieurs de tous grades et 200 chefs de section. Un ingénieur en chef, 3 ingénieurs ordinaires, 9 chefs de section, 9 piqueurs, 18 chefs de chantier, et 60 à 300 ouvriers, munis de tous les outils, voire de fusils, de lunettes d'approche et de piles électriques, étaient adjoints à chaque corps d'armée. Mais ce personnel qui rendit de grands services, n'influait pas sur l'issue de la lutte.

L'état-major manquait. Le gouvernement appela tous les membres de ce corps qui n'avaient pas suivi l'armée impériale. C'étaient naturellement, puisqu'on les avait laissés à l'écart, les moins compétents et les moins habiles. Encore fallut-il, à cause de leur petit nombre, leur adjoindre des officiers de troupe ou des civils, et Clinchant se plaignait que l'élément militaire fût trop rare dans les états-majors de l'armée de l'Est. De là résultèrent bien des erreurs dans les ordres des mouvements, dans les calculs des parcours, dans tout le détail des opérations.

L'intendance réunit autant de munitions de bouche qu'il en fallait pour subvenir aux besoins de l'armée, et à Orléans, au Mans, à force de célérité, elle réussit à soustraire aux ennemis d'immenses approvisionnements. Mais, si elle était dirigée par les Bouché, les Friant, les Richard, elle n'avait pour agents subalternes que des gens sans expérience. Elle eut à pourvoir des armées battues et fugitives dont elle ne savait plus la direction. Elle trouva souvent des chemins impraticables. Lorsque les troupes encombrèrent les lignes, elle ne put envoyer à temps ses convois. Enfin, si les distributions avaient lieu à propos, les officiers, ignorants ou insouciants, gaspillaient les denrées ou les faisaient trop tardivement quérir ; ils laissaient les hommes manger plus de la ration d'un jour, jeter le reste et abandonner au bivouac des monceaux de viande et de biscuit ; ils les laissaient se chausser à leur fantaisie, si bien que les premiers arrivés prenaient les pointures les plus fortes et que les derniers devaient se contenter des souliers les plus courts ; dans la campagne de l'Est, par un froid qui gelait les doigts des pieds, des soldats coupaient l'extrémité de leurs chaussures, parce qu'elles étaient trop étroites.

La délégation poussa l'armement de l'infanterie avec la plus grande activité. Il n'y avait en province après Sedan que deux millions de cartouches. On tira d'Angleterre, avant le 15 février 1871, six millions de cartouches et cinq millions de capsules, les unes chargées, les autres vides. On créa de nombreux ateliers qui finirent par donner journellement au ministère quinze cent mille cartouches. La papeterie Laroche-Joubert, d'Angoulême, fournit tous les papiers découpés. Les établissements de Bourges, de Bordeaux, d'Angers, de Toulon, et surtout celui de Bayonne, dirigé par Marqfoy et Maseart, fabriquèrent des capsules. Bayonne parvint à produire, douze cent mille capsules par jour.

Les départements ne renfermaient, après le 4 septembre, que 350000 chassepots. De nouveaux ateliers furent installés. Les manufactures de Tulle, de Saint-Étienne, de Châtellerault arrivèrent à fabriquer, à elles trois, mille fusils chaque jour. Une commission d'armement, présidée par le Havrais Lecesne, acheta plusieurs milliers de remingtons. Les départements, les villes, les corps francs se procurèrent des fusils de toute sorte, transformés ou non transformés, se chargeant par la bouche ou par la culasse. La délégation conclut des marchés avec des fournisseurs étrangers et obtint ainsi 48.000 sniders. Elle accueillait toutes les offres, même de gens mal famés et tarés ; quand je m'habille, disait Palikao, je prends pour tailleur un honnête homme ; si mon pantalon se déchire, je m'adresse au premier venu qui peut le raccommoder. Mais plus la lutte durait, plus augmentait la diversité des armes. Les troupes de Chanzy avaient des fusils de quinze types différents. Et que de mauvais résultats produisit cette confusion ! Que d'embarras, que de précautions infinies, lorsqu'il s'agissait de ravitailler les armées ou fractions d'armées, et d'expédier des munitions pour chaque modèle !

A tout instant croissaient les difficultés, naissaient d'inévitables retards. Il fallut, à mesure que l'envahisseur avançait et menaçait d'intercepter les communications, transférer à Toulouse la capsulerie de Bourges, à Bordeaux la manufacture de Châtellerault, à Tarbes les ateliers de Nantes où le colonel de Reffye fabriquait des mitrailleuses. On avait distribué des remingtons aux mobiles impatients du Loir-et-Cher ; mais les baïonnettes qui venaient d'Allemagne, n'étaient pas encore prêtes ; les mobiles opérèrent à Coulmiers ce qu'on nomme une charge à la baïonnette... sans baïonnettes. La plupart des grandes industries nécessaires à la guerre étaient du reste bloquées dans Paris. Un jour, les aiguilles de rechange des chassepots manquèrent ; il fut impossible d'en avoir à. Beaucourt, à Bordeaux, ailleurs encore, et avant (le trouver au Tréport une fabrique d'éléments d'horlogerie qui pût lés faire, le gouvernement -se vit obligé de dégarnir 20.000 fusils de l'arsenal de Toulouse et d'ordonner que chaque homme aurait provisoirement une seule aiguille de rechange au lieu de trois. Le harnachement des chevaux d'artillerie éprouva des obstacles inattendus. On fut forcé d'exécuter la bouderie dans les ateliers de la marine, de réquisitionner les secondes selles des gendarmes, et de suspendre la confection des harnais jusqu'à ce que des industriels eussent établi des fabriques de colle-forte : Givet était coupé, et cette ville fournissait presque seule la colle-forte avant la guerre !

Mais quand les armées de la province eussent été merveilleusement outillées et pourvues de tout, elles devaient succomber parce qu'elles comptaient beaucoup d'hommes et peu de soldats. Gambetta se vantait d'avoir créé un appareil formidable. Il jugeait toutefois que ses troupes manquaient de solidité et d'haleine, qu'elles n'étaient guère résistantes, qu'elles ressentaient toujours au bout d'une certaine période de combats le besoin de se refaire et de se reconstituer, et il les comparait à un mécanisme hâtivement dressé qui ne fonctionne que quelque temps et qu'il faut réviser et remonter d'une façon chronique. Elles se composaient de vieux régiments, de régiments de marche, de gardes mobiles et de gardes nationales mobilisées.

Les vieux régiments n'étaient qu'en très petit nombre : 16e, 38e, 39e, 92e, deux bataillons de marche tirés du régiment étranger, des bataillons d'infanterie de marine.

Les régiments de marche, formés d'abord au moyen des quatrièmes bataillons, puis de compagnies et de détachements des cent régiments d'infanterie, comprenaient la classe de 1870, les réservistes et les anciens militaires rappelés par Palikao. La cohésion leur faisait défaut ; les officiers étaient trop jeunes ou trop âgés : les soldats n'avaient pas d'instruction ou ne revenaient sous le drapeau qu'avec répugnance. Dans plusieurs de ces régiments de marche, assure un témoin, le désordre dépassa toute limite.

La garde mobile, organisée en régiments de trois bataillons, montrait de la bonne volonté, et avait une tenue calme et digne. C'était l'élite de la nation. On voyait dans ses rangs tous les jeunes gens soustraits au service en temps de paix. Issus du même pays, liés par la communauté d'origine, les hommes marchaient volontiers ensemble. Mais la plupart des officiers n'avaient pas encore servi. Ces troupes si tendres, comme disait Gambetta, ne purent acquérir le tempérament militaire ; elles n'étaient pas rompues à la fatigue ; elles furent incapables de supporter les privations et les souffrances ; leur âme, un instant enthousiasmée, se lassa bientôt et s'alanguit avec leur corps. Si les mobiles se battirent souvent avec courage, s'ils affrontèrent avec sang-froid des canonnades, ils eurent rarement assez de vigueur pour enlever des positions et donner le dernier coup de collier.

Les mobilisés se composaient de tous les hommes de la garde nationale, célibataires ou veufs sans enfants, au-dessous de quarante ans. Aussi les nommait-on les vieux garçons. Mais beaucoup, qui furent qualifiés de francs fileurs, ne répondirent pas à l'appel. Ceux qu'on réunit clans les camps, firent d'abord l'exercice avec des bâtons et ne reçurent que très tard des fusils étrangers d'ancien modèle. Si la division de Bretagne, conduite par le capitaine de vaisseau Gougeard, se signala le 11 janvier au plateau d'Auvours, la division du général La Lande lâcha dans cette même journée le poste important de la Tuilerie. Les mobilisés du camp de Conlie s'enfuirent le 13 janvier saris voir l'ennemi, après avoir pillé les vivres et détruit les munitions. Ceux qui défendaient Besançon, n'avaient, au dire du commandant, ni un officier, ni un sous-officier, ni un caporal qui sût faire respecter la consigne. Ceux de la Haute-Savoie refusaient de marcher de Beaune sur Dijon et sous prétexte que leurs armes étaient mauvaises, rétrogradaient sur Chagny. Ceux des Hautes-Alpes et de l'Ardèche se révoltaient au camp de Sathonay et déclaraient qu'ils n'iraient pas au feu. Ceux du Nord, sous les ordres de Faidherbe, ne jouèrent qu'un rôle de comparses, et leur général Robin, toujours invisible et introuvable, devint légendaire dans la Flandre.

Les francs-tireurs inspirèrent à l'envahisseur de sérieuses inquiétudes, et le déroutèrent par leurs apparitions soudaines, leurs brusques attaques, leur guerre de partisans. Mais, sauf dans l'Est et surtout à l'armée de la Loire où ils restaient soumis à l'action du général en chef et appartenaient aux troupes régulières, ils ne rendirent aucun service la plupart voulaient agir pour leur compte et n'agissaient que dans les endroits où l'adversaire n'était pas. Cathelineau reconnaît qu'il y avait de très bonnes compagnies, mais que d'autres ne valaient pas la dépense qu'elles causaient à l'État, et n'étaient qu'un ramassis de pillards et de bandits.

 

Le nouveau ministre de la guerre débuta par un succès. Le général d'Aurelle de Paladines, vigilant, sévère, rude, doué de grandes capacités et d'une énergique volonté, excellent éducateur de troupes, avait remplacé La Motterouge. Il reconstitua le 15e corps derrière la Sauldre dans le camp retranché de Salbris ; il fit fusiller une vingtaine d'hommes par les cours martiales ; en quelques jours il réussit à discipliner ces bandes qui s'enivraient, méconnaissaient l'autorité de leurs officiers et chantaient des chansons obscènes. Bientôt, outre le 15e corps, il commanda le 10e corps qui se formait à Blois et qui passait des mains faibles et timides de Pourcet aux mains vigoureuses et fermes de Chanzy. La délégation résolut d'employer le 15e et le 10e corps à la reprise d'Orléans, cette première étape de Paris. D'Aurelle, nommé général en chef de l'armée dite armée de la Loire, dirigerait l'opération. Pendant que la 1re division du 15e corps, menée par Martin des Pallières, partirait de Gien et couperait à Fleury la retraite aux Bavarois de Tann, les deux autres divisions ainsi que le corps de Chanzy marcheraient de Blois sur Orléans. Le chemin de fer transporta le 15e corps de Salbris à Blois. Mais le mouvement fut retardé par la mauvaise saison, par la nouvelle de la capitulation de Metz et par les bruits d'armistice. Tann, averti, craignit d'être accablé, et il eût volontiers évacué Orléans pour se retirer à Patay et lutter sur un terrain plus favorable si Moltke n'avait prescrit de ne pas lâcher la ville sans en découdre. Il concentra ses Bavarois à Coulmiers.

Le 9 novembre, par un temps couvert mais doux, dans cette plaine de Coulmiers où parmi des bouquets d'arbres se dissimulent de grosses fermes et de vieux manoirs, l'armée de la Loire s'ébranlait en un ordre irréprochable, de même qu'a la manœuvre, sans laisser un traînard derrière ses lignes et sans montrer la moindre hésitation. Tann qui n'avait que 15.000 hommes contre 60.000, comprit aussitôt qu'il aurait le dessous. Les assaillants le débordaient par ses deux ailes, et leur artillerie qui donnait tout entière, tirait avec une étonnante précision. Mulla néanmoins. Mais, comme faisaient leurs devanciers dans les premières guerres de la Révolution, les généraux français se mirent à la tête des troupes et les entraînèrent. Peytavin enleva le village de Baccon et le château de la Renardière. Barry qui marchait à pied en avant de sa principale colonne et au cri de vive la France, emporta Coulmiers. Le vice-amiral Jauréguiberry s'empara de Champ et d'Ormeteau. A quatre heures, Tann reculait sur Artenay ; il abandonnait Orléans avec un millier de malades.

L'armée française avait vigoureusement combattu, et les mobiles, surtout ceux de la Dordogne et de la Sarthe, s'étaient signalés par leur entrain. Malheureusement le général Reyau qui devait tourner la droite des ennemis avec sa cavalerie, engagea d'inutiles canonnades et se replia lorsqu'il vit au loin les francs-tireurs de Lipowski qu'il prenait pour des Allemands. Martin des Pallières qui s'avançait par la rive droite de la Loire, arriva trop tard pour barrer le chemin aux Bavarois. Il avait ordre de ne déboucher que le 11 novembre parce qu'on croyait que l'adversaire résisterait plus longtemps ; il balança donc lorsqu'il entendit le canon, et son instinct de soldat le poussait vers Artenay ; il n'osa tenter l'aventure et, fidèle à ses instructions, courut sur Fleury, puis, lorsqu'il sut la vérité, sur Chevilly ; mais vainement il fit des prodiges de célérité ; il s'arrêta tout haletant, sans avoir atteint ni les vaincus de Coulmiers ni même les convois sortis d'Orléans.

Le gouvernement de Tours comptait sur un coup de foudre. Il fut désappointé, et, non sans raison, destitua Reyau. Mais Coulmiers était un grand succès qui, suivant le mot de d'Aurelle, décuplait le moral des troupes. Cette victoire, la seule véritablement franche et complète qu'ait eue la France durant la guerre, parut ramener la fortune. L'armée de la Loire avait pris figure, elle avait reçu glorieusement le baptême du feu, et on crut de toutes parts qu'elle allait être le principal instrument de la revanche nationale.

Pouvait-on néanmoins, comme on l'a prétendu, se diriger incontinent sur Paris et rompre le cordon de l'assiégeant ? Non sûrement, puisque Moltke envoyait surie-champ des secours au général de Tann, et que trois jours après Coulmiers, le grand-duc de Mecklenbourg était à Toury avec les Bavarois, deux divisions d'infanterie et trois divisions de cavalerie. Non sûrement, puisque Frédéric-Charles arrivait de Lorraine à marches pressées avec les trois corps de Constantin d'Alvensleben, de Manstein et de Voigts-Rhetz. L'avalanche descend de Metz, s'écriait Gambetta.

D'Aurelle installa donc son armée dans les boqueteaux de la forêt d'Orléans et sur une ligne de retranchements et de batteries qui s'étendait de la Chapelle à la Loire par les Ormes, Gidy, Boulay et Chevilly. Il tacha de l'organiser complètement, il la renforça. La délégation mettait à sa disposition de nouvelles ressources, le 17e, le 18e et le 20e corps. Le 20e corps, commandé par le brave et habile Crouzat, n'était autre que la petite armée de l'Est rappelée des bords de la Saône ; il avait de la consistance et quelque vigueur morale. Mais le 17e et le 18e, conduits l'un par Sonis, et l'autre par Billot, s'étaient formés à la bâte et comme en marchant ; la plupart de leurs chefs étaient improvisés, les mobiles qui les composaient en grande partie, n'avaient que d'anciens fusils, et Sonis avouait qu'il se méfiait de l'outil qu'on lui donnait à manier, que ses généraux connaissaient bien peu leur affaire, que ses officiers et ses soldats ignoraient les manœuvres. D'Aurelle voulait concentrer tout ce monde devant Orléans pour le façonner et l'instruire. Il espérait soutenir le choc des Allemands dans les positions qu'il avait laborieusement préparées et munies de quatre-vingt-seize canons de marine à longue portée, et, après avoir repoussé l'ennemi, marcher sur Paris.

Impatiente, désireuse, comme elle disait, de faire quelque chose, apprenant par Favre que le 15 décembre était le ternie extrême des approvisionnements de Paris, croyant que la place n'avait plus de vivres que pour trois semaines, la délégation rompit les desseins du général. Elle ne cessait de le gourmander, lui reprochait de se blottir à Orléans pour y passer l'hiver, le sommait de sortir de l'immobilité, de troubler par des pointes hardies la marche de Frédéric-Charles et de secourir Paris qui avait faim. Elle finit par dicter les opérations. Le 24 novembre, elle lançait la division de Martin des Pallières et les corps de Crouzat el de Billot sur Pithiviers, Martin des Pallières par Chilleurs-aux-Bois, Crouzat par Beaune-la-Rolande, Billot par Montargis. Le général Martin des Pallières se porta sur Chilleurs-aux-Bois et refoula près de Neuville une reconnaissance prussienne. Mais Crouzat rencontra deux brigades de Voigts-Rhetz qui lui barrèrent la route de Ladon et de Maizières. Le mouvement fut arrêté.

Le 28, il était exécuté de nouveau par Crouzat qui commandait en chef les 20e et 18e corps. A midi, Crouzat. attaquait Voigts-Rhetz à Beaune-la-Rolande. Mais Billot qui devait l'appuyer, fut retardé par les avant-postes et par l'aile gauche de Voigts-Rhetz, et s'il enleva Maizières, Juranville, Lorcy, les Côtelles, il ne put arriver devant Beaune-la-Rolande qu'à l'entrée de la nuit. Crouzat avait le dessus ; il prenait Saint-Loup, Nancray, Batilly ; il rejetait une division de cavalerie ; il enveloppait Beaune-la-Rolande et cernait presque complètement les défenseurs de la ville. A deux heures, Voigts-Rhetz n'avait plus de réserve sous la main, et toutes ses troupes donnaient, jusqu'au dernier homme, sur une seule et frêle ligne de bataille. Il restait pourtant inébranlable et attendait ses renforts avec confiance. Ils vinrent dans la soirée ; c'étaient deux divisions de cavalerie d'Alvensleben qui menacèrent à leur tour d'envelopper Crouzat sur ses flancs et ses derrières. A cet instant même Crouzat échouait dans un suprême assaut qu'il tentait à la tête de quelques compagnies contre les barricades de Beaune-la-Rolande. Il se retira. Les Français laissaient aux Allemands 2.000 prisonniers et avaient plus de 3.000 hommes tués ou blessés.

Crouzat demandait plusieurs jours de repos pour refaire ses bataillons qui se trouvaient dans la situation la plus déplorable ; il représentait que le régiment de la Haute-Loire n'avait d'autres vêtements que des blouses et des pantalons de toile. Freycinet lui répondit qu'il ne s'agissait pas de repos, qu'il fallait marcher, et marcher vile, relever le moral d'un corps à l'attitude incertaine. Mais l'armée de la Loire était désormais compromise ; au lieu d'attaquer en masse, elle n'avait engagé que sa droite que les Allemands ruinaient du premier coup, et quatre jours plus tard, sa gauche était battue pour les mêmes raisons.

Le gouvernement avait appris que Ducrot dirigeait de Paris une grande sortie sur Fontainebleau. Freycinet déclara dans un Conseil de guerre qu'on devait aller immédiatement à la rencontre de Ducrot qui s'avançait à travers un océan d'ennemis, et porter toutes les forces françaises sur Pithiviers, nœud des routes du pays. Les généraux d'Aurelle, Borel, Chanzy proposèrent de ne commencer l'opération qu'après avoir con- centré l'armée en arrière de la forêt d'Orléans. C'était perdre deux jours. Freycinet répliqua que le ministre ordonnait de pousser aussitôt sur Pithiviers pour soulager Ducrot qui serait entre deux feux, et une proclamation du let décembre annonça que les Parisien : s'approchaient de Longjumeau et occupaient Epinay : on confondait Epinay-sur-Seine avec Epinay-sur-Orge !

L'entreprise ne pouvait réussir. L'armée se disséminait sur une étendue de vingt lieues. Tous les corps étaient isolés, incapables de se prêter un mutuel appui : Chanzy, à Saint-Péravy ; Sonis — que le gouvernement avait inutilement envoyé sur Châteaudun — dans la forêt de Marchenoir ; d'Aurelle et des Pallières, en avant d'Orléans ; Crouzat et Billot, à Bellegarde du côté de Gien.

Il était convenu que Chanzy, comme le plus éloigné, se dirigerait le ter décembre sur Toury avec son 16e corps et que Sonis lui servirait de réserve avec le 17e ; Martin des Pallières qui commandait le 15e corps, Billot, Crouzat se jetteraient le lendemain sur Pithiviers. Dans la matinée du 1er décembre, Chanzy s'ébranlait. Il assaillit les Bavarois et après une lutte qui dura jusqu'à complète obscurité, leur enleva plusieurs villages, notamment Villepion. Ce succès, presque comparable à celui de Coulmiers, excita la confiance et l'enthousiasme ; on crut un instant à la délivrance prochaine ; tout le pays était dans la joie. Mais le 2 décembre le grand-duc de Mecklenbourg se présentait avec toutes ses forces, les Bavarois, deux divisions d'infanterie et deux divisions de cavalerie. Le 16e corps et une partie du 15e reculèrent. Deux divisions du ne, celle de Martineau et celle de Peytavin, qui longeaient la route de Paris, furent repoussées devant Poupry et au moulin de Morelle. Les lieutenants de Chanzy, Morandy, Barry, Jauréguiherry, échouèrent dans leurs attaques contre Lumeau, le château de Goury et la ferme de Beauvilliers. La brigade Bourdillon céda Loigny et les gravières qui l'entourent. Chanzy, dont toutes les troupes étaient en ligne, appela Sonis à son aide, bien que Sonis eût dit le matin que ses bataillons seraient trop fatigués pour combattre. Sonis vint avec sa réserve d'artillerie, une brigade, les mobiles des Côtes-du-Nord et les zouaves pontificaux. Il plaça ses batteries à Villepion et envoya le 51e régiment de marche sur Loigny. Ce régiment s'enfuit. Sonis, hors de lui, oubliant son devoir de général, ne songeant pas que son 17e corps attendait ses ordres, ne pensant plus qu'a mourir en chrétien sous le drapeau des soldats du pape, courut au colonel Charette : Il y a des lâches là-bas, suivez-moi. Les zouaves pontificaux reçurent a genoux la bénédiction de leur aumônier et suivirent Sonis en criant : Vive la France ! Vive Pie IX ! Ils enlevèrent la ferme de Villours ; mais ils ne purent sous une grêle effroyable d'obus atteindre Loigny ; Sonis.eut la Cuisse brisée par une balle qu'un Prussien lui tira presque à bout portant ; Bouillé, son chef d'état-major, et Charette furent frappés ; sur 300 zouaves, 60 échappèrent. Seul, le 37° de marche, abandonné, tenait encore dans le cimetière de Loigny et, abrité par les tombes, résistait aux ennemis qui l'enveloppaient de toutes parts ; il ne se rendit qu'après avoir brûlé ses dernières cartouches. La nuit s'épaississait. Le champ de bataille était éclairé par les flammes qui dévoraient Loigny. On n'entendait plus que le roulement des pièces de canon sur le sol durci par la gelée et les cris navrants des blessés déposés au travers des caissons.

Après cette défaite de Loigny-Poupry, la retraite de l'armée de la Loire était inévitable. A son aile droite, Billot et Crouzat, d'ailleurs rudement éprouvés, mis en échec par quatre bataillons et une division de cavalerie, n'osaient pousser sur Pithiviers. A son aile gauche, Chanzy et les lieutenants de Sonis pliaient devant le grand-duc de Mecklenbourg ; deux divisions de Chanzy s'étaient débandées, et celle de Morandy ne s'arrêtait qu'a Huêtre, derrière les ouvrages de la forêt d'Orléans ; le général, craignant d'être écrasé, demandait instamment des renforts ; les chefs du 17e corps assuraient que leurs troupes harassées ne pouvaient faire un mouvement. Restait le centre avec les trois divisions de Martin des Pallières, de Martineau et de Peytavin. Le prince rouge et ses trois corps, Alvensleben, Manstein, Voigts-Rhetz, se jetèrent sur lui et l'accablèrent. Le 3 décembre, sur un terrain couvert de neige, les Allemands chassaient Martin des Pallières de Chilleurs-aux-Bois et Martineau de Chevilly. La retraite se fit dans le plus grand désordre. Durant la nuit, des Français affamés et grelottants venaient aux avant-postes prussiens annoncer que leur armée refusait de se battre. Chaque régiment agissait pour son compte. Des compagnies entières quittaient leur bataillon et gagnaient Orléans en toute hâte. D'Aurelle ne voyait sur la route que des fuyards pris de panique et sourds à la voix de leurs officiers.

Le 4, après des combats acharnés de son arrière-garde à Saint-Loup, à Cercottes, à Gidy, à la gare, le 15e corps évacuait Orléans. La résistance était impossible. Les soldats se répandaient partout dans les maisons et les cabarets ou se couchaient ivres sur les places et le long des rues. Les officiers remplissaient les cafés et les hôtels.

Le 5, à une heure du malin, à la suite d'une suspension d'armes que Martin des Pallières avait conclue pour éviter à la ville les horreurs d'un assaut et donner aux hommes et au matériel le temps de s'écouler, le général de Tann rentrait à Orléans et descendait clans la maison qu'il avait quittée la veille de Coulmiers, quatre semaines auparavant, en disant au revoir à ses hôtes. La délégation rejeta sur d'Aurelle la responsabilité du désastre. Le 2 décembre, au soir, elle lui rendait le commandement. J'avais dirigé, écrivait Freycinet, jusqu'à hier les 18e et 20e corps, et par moments le 17e, je vous laisse ce soin désormais. Et le lendemain. le surlendemain, lorsque les troupes fondaient sous la main de leurs chefs, lorsque les officiers assuraient que leurs soldats n'en pouvaient et n'en voulaient plus, lorsque les Prussiens, pénétrant à Orléans, voyaient des Français qui se chauffaient à des feux de bivouac, s'offrir d'eux-mêmes comme prisonniers et livrer de bon gré leurs armes et leurs munitions, les gouvernants de Tours ordonnaient à d'Aurelle de faire un grand mouvement concentrique et de généraliser la lutte ; ils lui reprochaient de s'être laissé vaincre en détail ; ils s'étonnaient de sa retraite et prétendaient qu'il avait encore 200000 hommes en état de combattre ; ils annonçaient à la France qu'ils n'avaient pas reçu de nouvelles de d'Aurelle !

L'armée ou, comme on l'appela depuis, la première armée de la Loire n'existait plus. Le 15e corps passait dans le plus affreux désarroi sur l'autre bord du fleuve, sans faire sauter le pont de pierre parce qu'il manquait de poudre, et 6.000 fuyards se sauvaient jusqu'à Vierzon. Le 20e corps de Crouzat refoulé à Chécy, après un court combat, et le 18e corps de Billot gagnaient pareillement la rive gauche, celui-là par le pont de Jargeau et celui-ci par le pont suspendu de Sully. Seul, Chanzy demeurait sur la rive droite avec le 16e et le 17e corps.

La délégation menacée quitta Tours le 8 décembre pour se retirer à Bordeaux. Mais elle ne désespérait pas. Elle forma deux armées avec les forces éparses qui lui restaient sur les deux bords de la Loire, et donna l'une à Bourbaki et l'autre à Chanzy. Une campagne nouvelle s'engagea. Pendant que Bourbaki tâchait de réorganiser l'armée qui devint l'armée de l'Est, Chanzy opposait aux Allemands cette résistance imprévue qui l'a immortalisé, reculant sur Josnes, sur Vendôme, sur le Mans, et opérant cette série de belles retraites et de marches savantes où les corps de son armée — la seconde armée de la Loire, — refusant tout combat partiel, étaient constamment prêts à lutter et assez rapprochés les uns des autres pour s'entre-secourir.

Jeune encore, quoique chauve, Chanzy avait la taille élancée, le front large, le regard vif, le nez aquilin, la moustache effilée, la bouche fine et volontiers souriante, la physionomie à la fois aimable, calme et énergique. Mousse, puis élève de l'École de Saint-Cyr, chef de bureau arabe, chef de bataillon pendant la guerre d'Italie, chargé dans la campagne de Syrie de diriger les affaires diplomatiques, général de brigade depuis la fin de 1868, il avait pris part, au mois d'avril 1870, sous les ordres de Wimpffen, à la brillante expédition de l'Oued-Guir. Mac-Mahon qui lui reconnaissait une remarquable intelligence et une extraordinaire rectitude de jugement, le recommandait à Gambetta comme un des officiers les plus capables de l'armée. D'Aurelle louait, après Coulmiers ; son coup d'œil et sa résolution. La délégation le nommait général de division et grand-officier de la Légion d'honneur, et bien qu'il ne voulût pas admettre dans son état-major Lissagaray qui cachait sous l'habit de chef d'escadron les pouvoirs d'un commissaire civil, Freycinet et Gambetta lui témoignaient la plus entière confiance, le félicitaient à l'envi de son attitude énergique et ferme. Ce qui fait en effet la grandeur de Chanzy, c'est le caractère. Il eut jusqu'au bout l'espoir de vaincre ; il semblait ignorer le revers de la veille et ne croyait pas au désastre du lendemain : il maniait son armée de conscrits comme si elle n'eût été composée que de vétérans, la menait sans cesse au combat et tenait bon dans son idée de la conduire à Paris : débloquer Paris, telle était son unique pensée, la pensée à laquelle, suivant son expression, il s'attachait et se cramponnait. Sauver Paris, disait-il un jour, est le suprême bonheur.

Il n'avait pu, après Loigny, gagner Orléans : il se dirigea sur Meung en se battant à Patay, à Briey, à Boula y. Deux de ses divisions, Barry et Morandy, étaient refoulées sur Mer et sur Blois. Mais il ne perdit pas courage. Josnes fut son quartier-général, et ce qu'il avait de troupes s'étendit entre Lorges et Beaugency, la gauche à. la forêt de Marchenoir et la droite à la Loire. Son armée, forte de 60.000 hommes, comprenait, outre la division Camô, trois corps, le 16e, le 17e et le 21e. Le 16e était conduit par Jauréguiberry qui montait un petit cheval et qui, dans la bataille, naviguait sur sa bête, selon le mot des soldats, comme devant la tempête ; le général de Colomb allait commander le 17e corps ; le 21e venait d'être organisé au Mans et avait à sa tête le capitaine de vaisseau Jaurès.

Dès le 7 décembre, le grand-duc de Mecklenbourg qui marchait sur Blois et sur Tours, attaquait Chanzy avec 27.000 hommes. Mais le pays couvert de vignes favorisait la défense ; la lutte fut indécise, et l'armée de Chanzy conserva ses positions ; on ne pourra jamais parler d'elle, disaient les officiers allemands, qu'avec respect.

Le 8, Tann et le grand-duc, jugeant qu'il fallait prendre une offensive vigoureuse, livraient la bataille de Beaugency. Un uhlan, témoin de l'action, t'apporte qu'elle fut la plus terrible de la campagne, et que la canonnade, plus formidable qu'a Sedan, serrait le cœur et faisait dresser les cheveux. Les Bavarois se trouvaient au centre, à Grand Châtre et à Beaumont ; ils souffrirent infiniment du feu d'enfer des batteries françaises et des chassepots ; par deux fois ils lâchèrent pied. Tann n'avait plus d'autre réserve que deux compagnies. Son artillerie manquait de munitions, et les Français pénétraient dans Le liée, coupaient les Bavarois du reste de l'armée. Mais la nuit vint, et à l'extrême droite, Beaugency et le village de Messas tombaient aux mains des Prussiens, malgré la vive résistance de la colonne Camô.

L'intrépide et tenace Chanzy ne fit pourtant pas sa retraite. Il établit sa droite sur les hauteurs de Tavers, et le décembre il recommençait le combat et s'efforçait de culbuter son adversaire dans la Loire. Il fut repoussé, céda quelques villages, Villorceau, Villejouan, Origny ; mais il rejeta les niasses allemandes qui franchissaient le ravin de Tavers.

Le 10 décembre. retentissaient de nouveau, à l'étonnement des Bavarois qui comptaient sur un jour de repos, la canonnade et la mousqueterie. Les Français s'emparaient d'Origny et de Villejouan ; ils tentaient d'envelopper l'aile droite des ennemis et d'emporter Villermain ; s'ils abandonnaient le bourg de Villejouan, ils le disputaient obstinément maison par maison et terme par ferme.

Mais ces quatre jours, les plus glorieux peut-être de la défense nationale, avaient épuisé les troupes, et Chanzy craignait d'être débordé. Manstein passait la Loire à Blois et se préparait à prendre l'armée française à revers ; une seule compagnie hessoise qui couvrait la gauche du IXe corps, chassait du parc et du château de Chambord une des brigades de Morandy et lui capturait cinq canons et plus de deux cents hommes.

Chanzy recula le 11 décembre sur Vendôme et le 13, par la pluie et le dégel, il atteignait la ligne du Loir. Ses soldats n'avaient plus que des haillons et ne vivaient que de biscuit. Beaucoup avaient perdu leurs souliers dans la boue. Et que de mobiles s'étaient échappés pour courir le pays et exploiter la pitié des habitants par le récit de leurs aventures ! Combien, pour se dire désarmés et ne plus se battre, jetaient leur fusil au fond des étangs ou en brisaient l'aiguille qu'ils refoulaient violemment avec la baguette ! Que de traînards s'attardaient dans les métairies et sur les routes afin d'être saisis par les uhlans ! Le 12 décembre, la division Wittich faisait à elle seule 2.200 prisonniers ; presque tous s'estimaient heureux de ne pas continuer la campagne et s'étaient livrés par bandes au premier ennemi qu'ils avaient rencontré. Une fois, à midi, des Allemands entrèrent dans une maison ; des Français attablés les accueillirent en camarades et les invitèrent à s'asseoir et à manger avec eux ; nous ne voulons pas nous sauver, ajoutaient-ils, nous vous attendions pour nous rendre.

Frédéric-Charles suivit Chanzy sur Vendôme. L'armée française avait une assez bonne position ; à gauche, Jaurès échelonnait ses bataillons de Pezou à Saint-Hilaire par Fréteval ; au centre, Jauréguiberry occupait les hauteurs de Bel-Essort et de Sainte-Anne qui forment un demi-cercle en avant de Vendôme ; à droite, les débris des divisions Barry et Morandy, revenus de Blois, s'étaient établis à Saint-Amand et à Montoire. Mais les troupes qui campaient dans la neige, étaient harassées et incapables d'une longue résistance. Le 14 décembre, une division allemande se logeait à Fréteval et à Morée. Le lendemain, bien que Jaurès eût détruit le pont de Fréteval et que Jauréguiberry se fût maintenu sur le plateau de Sainte-Anne, l'avant-garde d'Alvensleben s'emparait de Bel-Essort ; elle dominait Vendôme, contrebattait les pièces de la rive droite du Loir et prenait en écharpe les batteries élevées sur la rive gauche au faubourg du Temple.

Chanzy passa le Loir après avoir détruit les ponts et se dirigea vers le Mans. Son armée n'était plus qu'un grand troupeau. Une foule d'hommes quittaient les rangs et enfilaient les sentiers qui sillonnent la région pour doubler l'étape et arriver au Mans où ils croyaient trouver le repos et la fin de leurs souffrances. L'escorte d'un convoi mettait ses fusils dans les fourgons. Des officiers, se disant malades, abandonnaient leur compagnie et se faisaient mener en voiture. Des bataillons entiers poussaient de leur plein gré sur le Mans, sans se soucier des ordres du général. Lorsque Gougeard installait à Montaillé sa division de Bretagne, les marins demeuraient seuls à leur poste ; le reste allait coucher à Saint-Calais, et le lendemain matin, au départ de la division, des soldats, des officiers avaient déserté.

Mais les Allemands n'étaient pas moins las de cette guerre nouvelle, de ces canonnades et de ces fusillades à longue distance, de ces marches et de ces poursuites continuelles, de ces chemins fangeux qu'ils jonchaient de branchages pour que la roue des pièces n'y enfonçât pas au-dessus du moyeu. Ils étaient sur les dents, et avouaient que leurs épreuves devenaient presque intolérables, qu'ils devaient tripler les avant-postes et couvrir une étendue considérable de terrain, qu'ils n'avaient plus assez de munitions pour une grande entreprise.

Chanzy fut donc à peine inquiété. D'ailleurs Frédéric-Charles craignait une diversion de Bourbaki. Découragée, délabrée, dénuée de tout, l'armée de Bourbaki dont Chanzy sollicitait le secours, n'avait pu s'ébranler que tardivement. Son général assurait qu'elle était éreintée et dans un incroyable état de misère et de marasme ; il avait dû la mener de Gien à Bourges par le froid, la neige et le verglas ; il avait vu les cavaliers soutenir leurs montures, les canonniers pousser les pièces el les caissons, les hommes tomber et périr de fatigue. Aussi, lorsque le gouvernement lui enjoignit de marcher sur Blois à l'aide de Chanzy, il répondit qu'il perdrait ses troupes, et Gambetta qui venait se rendre compte de la situation, déclara qu'elles étaient en véritable dissolution, qu'il n'avait rien vu de plus triste. Pourtant, Bourbaki-fit une démonstration en avant ; il chassa de Vierzon une brigade de cavalerie et de Gien un détachement bavarois. Frédéric-Charles s'imagina que Bourbaki voulait se porter sur Montargis, — et tel était en effet l'ordre de la délégation ; il se hâta vers Orléans avec le IXe corps de Manstein qui parcourut vingt lieues en vingt-quatre heures par un temps affreux, tandis que le Ille corps d'Alvensleben s'étendait du côté de Beaugency.

Le -19 décembre, Chanzy arrivait au Mans sans encombre. Il ne renonçait pas au dessein de délivrer Paris et il projetait déjà de diriger sur Chartres un simulacre d'attaque, puis de se rabattre vers Mantes et de menacer Versailles. Le 22, le capitaine d'état-major de Boisdeffre, sorti de Paris en ballon, lui apportait des nouvelles de Trochu : Paris ne tiendrait que jusqu'au 20 janvier et ne pouvait être débloqué que par la province. Chanzy soumit aussitôt à la délégation un plan de campagne : plus d'opérations décousues, mais des mouvements combinés, une action commune des trois, armées ; que l'armée de la Loire s'avance entre Évreux et Chartres ; celle de l'Est entre Nogent-sur-Seine et Château-Thierry ; celle du Nord, entre Compiègne et Beauvais ; qu'une seule de ces tentatives réussisse ; que la ligne d'investissement soit rompue sur un seul point, et Paris est sauvé. Mais Gambetta répondit que Bourbaki avait d'abord à secourir Belfort. Le général objecta que l'expédition de Bourbaki coûterait du temps, que Paris était l'unique objectif, et qu'il fallait faire avant tout et très promptement l'effort suprême que demandait Trochu. Ou lui répliqua qu'il était trop tard, que les succès de Bourbaki démoraliseraient l'armée allemande et que l'échéance fixée par Trochu ne devait pas être prise à la lettre.

L'armée de la Loire n'avait plus d'autre tâche que de recevoir le choc des ennemis sur ses positions du Mans. Mais Chanzy n'était pas homme à s'enfermer dans son camp ; pour exercer ses troupes autant que pour nettoyer le pays et tâter l'adversaire dans toutes les directions sur l'Huisne et sur le Loir, il forma cieux colonnes mobiles : l'une, menée par Rousseau, se porta sur Nogent-le-Rotrou ; l'autre, commandée par Jouffroy, sur Vendôme. La lutte fut opiniâtre. A travers le brouillard, au milieu de la neige qui couvrait le sol ou tombait à gros flocons, parmi les vignes et les vergers, les taillis et les haies, les jardins enclos de murailles et les chemins creux, en une contrée qui leur rappelait le Schleswig, les Allemands n'avançaient que lentement et avec difficulté, sans même voir les Français qui refusaient tout engagement à l'arme blanche et faisaient une véritable guerre de partisans, s'embusquant dans les buissons et les fourrés, se cachant derrière le moindre obstacle, ne reculant que pour se mettre à l'abri et tirer encore, ne trahissant leur présence que par la fumée de leur fusil. Mais Rousseau qui s'était risqué jusqu'à la Loupe, dut, après une vive résistance, abandonner la Fourche, Nogent-le-Rotrou, la Ferté-Bernard. Le général de Jouffroy qui conduisait les opérations contre Vendôme ne sut, pas combiner ses mouvements avec ceux de ses lieutenants, et vainement Jauréguiberry accourut pour rétablir l'unité d'action. Il fallut, après les combats d'Azay, de Saint-Amand, d'Épuisay, de Vancé, se replier vers le Mans, par un fort vent d'ouest, laisser des voitures dans les fossés, pousser les chevaux à force de coups sur un miroir de glace, et la colonne du général de Curten, coupée, se rejeta sur la Flèche.

C'étaient Frédéric-Charles et le grand-duc de Mecklenbourg qui marchaient de nouveau contre Chanzy pour en finir avec lui, l'un par les routes de Saint-Calais, de Vendôme et de Tours, l'autre par Nogent-le-Rotrou et la vallée de l'Huisne ; ils avaient 58000 fantassins, 15000 cavaliers et plus de trois cents canons. Au bout de quatre jours d'efforts, refoulant les colonnes françaises et ne discontinuant pas d'approcher et de rétrécir un demi-cercle autour de Chanzy, ils arrivaient près du Mans. Le 9 janvier, à la droite des Allemands, le grand-duc de Mecklenbourg délogeait le général Rousseau des villages de Connerré et de Thorigné ; au centre, Alvensleben s'emparait d'Ardenay, et derrière lui s'avançait Manstein ; à la gauche, Voigts-Rhetz, retardé par les chemins, obligé de faire descendre de cheval la cavalerie et l'artillerie, contraint lui-même de se mettre sur un avant-train pendant qu'autour de lui son état-major allait a pied, Voigts-Rhetz livrait les deux combats de Chahaignes et, de Brives et demeurait assez loin en arrière, mais pour décider de la victoire le surlendemain.

Quoique malade de la fièvre, Chanzy résolut de ramener ses divisions par un élan hardi sur les positions qu'elles avaient cédées. On ne devait pas, disait-il, songer à la retraite, ni alléguer le mauvais temps qui était le même pour les Prussiens que pour les Français ; l'offensive devenait le seul moyen d'arrêter l'ennemi ; et il ordonnait à ses généraux de se battre avant de reculer, d'attaquer vigoureusement avec l'espoir de réussir, de ne voir dans les lignes du Mans qu'un dernier refuge.

L'armée de la Loire, si fatiguée qu'elle fût, dut donc ramasser ce qui lui restait d'énergie pour lutter encore le 10 janvier, du matin jusqu'à la nuit, dans les villages de Parigné-l'Évêque, de Changé et de Champagne. Elle tint sur plusieurs points avec acharnement. La brigade Ribell disputa Changé de rue en rue. Au Gué-la-Hart où les Prussiens enlevèrent les maisons l'une après l'autre, un officier français, enflammé de rage, perça de son épée un de ses hommes qui demandait quartier et voulait sauter par la fenêtre. Mais au soir, après s'être bien comportées pendant la journée, les troupes étaient en déroute. Des mobiles refusaient de marcher. Les Allemands faisaient plus de 5.000 prisonniers.

Il fallait cette fois accepter la bataille dans les lignes du Mans. Chanzy ordonna de résister à outrance et déclara qu'il réprimerait les défaillances avec la dernière rigueur, qu'il casserait tout officier dont il serait mécontent, qu'il maintiendrait les fuyards sur la première ligne des tirailleurs, et les passerait par les armes s'ils s'échappaient de nouveau ; il annonça qu'en cas de débandade il couperait les ponts pour forcer le soldat à se défendre. Le 11 janvier, au matin, suivi de son état-major et de son escorte de spahis aux longs burnous rouges, il parcourait les emplacements de ses troupes. Les avant-postes se jetaient gaiement des boules de neige. Mais bientôt la fusillade éclatait, vive et meurtrière.

A gauche, entre la Sarthe et l'Huisne, Jaurès qui s'opposait au grand-duc de Mecklenbourg, occupait le vaste plateau de Sargé qui domine au nord la ville du Mans. Au centre, entre l'Huisne et la route de Saint-Calais, Colomb et Gougeard tenaient le village de Champagné repris durant la nuit, le massif d'Auvours couvert de bois et de retranchements, les hauteurs d'Yvré-l'Évêque. A droite, en avant du faubourg de Pontlieue, au Vert-Galant, aux Mortes-Aures, au Chemin-aux-Bœufs, à la Tuilerie, était Jauréguiberry, revenu dans la soirée avec la colonne mobile de Jouffroy.

Jaurès se battit vaillamment toute la journée. Il garda Pont-de-Gesnes, et s'il abandonna sa première ligne trop étendue pour se replier sur la seconde, s'il perdit plus de 3.000 hommes atteints par le feu ou débandés, le grand-duc de Mecklenbourg ne poussa que jusqu'aux abords de Lombron et ne put faire sa jonction avec Frédéric-Charles.

Au centre, tout le corps d'Alvensleben s'engageait et, malgré de violents efforts, gagnait peu de terrain. S'il s'emparait de Champagné après une lutte obstinée, s'il enlevait le château des Arches, le château des Noyers, le bois touffu qui s'étend devant Changé, la Landrière, le Tertre, il n'avançait que péniblement, et Gougeard défendait avec vigueur les ponts et les hauteurs d'Yvré-l'Évêque. Sans doute, Manstein emportait dans l'après-midi le plateau d'Auvours, Villiers, le Haut-Taillis, la Lune d'Auvours, la Gachetière, le Chêne, les Filles-Dieu, le bois de Polucan, et culbutait la division Pâris saisie de panique. Mais Chanzy ordonnait de reprendre à tout prix le plateau : maitres de cette position, les Allemands coupaient l'armée française en deux tronçons et descendaient sans obstacle sur le Mans. Gougeard devait conduire l'opération. Il braque deux canons sur les fuyards et menace de tirer à mitraille ; il arrête la débandade, rallie quelques troupes, assemble un bataillon d'infanterie, les mobilisés de Rennes et de Nantes, les zouaves pontificaux, et lance 2.000 hommes contre le plateau. Lui-même se met à la tête de cette colonne d'attaque, fait sonner la charge, et se tournant vers les zouaves qui se souviennent de Loigny, leur crie ces mots de leur devise : en avant, pour Dieu et la patrie ! Le feu des Allemands était terrible, Gougeard eut son cheval tué sous lui, et un combat corps à corps suivit la fusillade. Mais la partie la plus élevée du plateau fut reconquise par le seul emploi de la baïonnette. Si les Allemands gardaient pied sur les hauteurs en avant de Villiers, les Français occupaient derechef les fermes de la crête.

Malheureusement, à l'aile gauche, une extraordinaire aventure compromettait le demi-succès de la journée. Jauréguiberry avait tenu jusqu'à six heures du soir aux environs de Pontlieue. Mais à l'instant où tombe la nuit, l'avant-garde de Voigts-Rhetz débouche, après une marche longue et malaisée, par la route de Tours, et sous le feu roulant des Français, enlève résolument le Point-du-Jour et les Mortes-Aures. Au milieu de l'obscurité, une compagnie prussienne, commandée par le lieutenant de Casimir, s'avance à gauche au pied de la Tuilerie et peu à peu arrive près des mobilisés d'Ille-et-Vilaine qui croyaient la bataille terminée et préparaient la soupe. Bas les armes, crie le lieutenant. Frappés d'une folle terreur à la vue de l'ennemi qui surgit devant eux à l'improviste, les mobilisés se sauvent vers le Mans. Ces malheureux sortaient à peine du cloaque de Conlie, et n'avaient dans les mains que de mauvais fusils à percussion. Chanzy les avait mis à la Tuilerie parce qu'ils n'avaient en cet endroit qu'a demeurer cois et tranquilles.

Trois bataillons prussiens occupèrent aussitôt la Tuilerie. Chanzy enjoignit de la reprendre. Mais la fuite des mobilisés avait donné le signal de cette débandade qu'il redoutait. Les hommes que ramenaient les généraux Le Bouëdec et Roquebrune, accablés de fatigue, épouvantés par l'idée d'une attaque en pleines ténèbres, refusaient de marcher et se couchaient sur la neige. On attendit le jour ; mais au jour la plupart des bataillons avaient décampé, et ceux qui restaient, n'auraient pas tenu au premier coup de feu. Le centre cédait comme la droite. Dans la matinée, à l'aspect des bataillons prussiens et de leurs batteries qui s'ébranlaient de nouveau, la division Pâris, dépourvue de chefs et déjà presque dissoute, évacuait les pentes du plateau d'Auvours. C'était la débâcle fatale, inévitable. L'heure devait venir où l'armée de Chanzy succomberait. Ce ne fut pas, à vrai dire, l'incident de la Tuilerie qui causa sa défaite ; si elle n'eût pas plié sur ce point de la bataille, elle eût plié sur un autre. Pas un de ses généraux qui ne reconnût la veille qu'elle était désorganisée, extrêmement affaiblie, incapable de fournir une durable résistance. Quelques-uns avaient supplié Chanzy de ne plus lutter. Un capitaine d'artillerie, envoyé au Mans, n'écrivait-il pas au ministère qu'il était inutile d'expédier des cartouches, que la troupe les jetait une fois reçues dans l'escalier de la caserne, qu'il suffisait de les ramasser et de les distribuer successivement à tous les soldats ?

Chanzy commanda la retraite. On se battit encore le 12 janvier contre Alvensleben notamment aux passages de l'Huisne, dans les haies et les vignes qui s'étagent sur la rive droite, et contre Voigts-Rhetz au Grand Auneau, aux Fermes, aux Epinettes, puis dans les rues du Mans, sur la place des Jacobins, sur la place des Halles où les Allemands durent appeler une pièce d'artillerie légère pour réduire une poignée d'hommes qui défendait un café. A deux heures et demie, Chanzy quittait la ville, et le cœur serré de tristesse, des larmes de rage dans les yeux, surveillait, du mamelon de la Chapelle Saint-Aubin, le défilé lent et confus de ses colonnes. Jaurès se chargeait de disputer âprement le terrain à la Croix et à Saint-Corneille, et de couvrir les mouvements de Colomb et de Jauréguiberry qui se retiraient dans un horrible désordre. Lorsque le dernier train partit de la gare du Mans, les fuyards s'emparèrent des wagons où gisaient les blessés et jetèrent ces malheureux sur le pavé !

Cinq jours plus tard, l'armée de la Loire était à Laval. L'indomptable Chanzy voulait d'abord se diriger sur Alençon pour gagner de là Carentan et rester à portée de Paris. Mais, avec raison, Gambetta lui prescrivit de s'établir derrière la Mayenne.

Tel fut le sort de l'armée de la Loire. Elle avait épuisé ses adversaires. Des régiments prussiens ne possédaient plus que 15 ou 20 officiers sur 63 ; des compagnies étaient commandées par un sergent-major, et des volontaires d'un an faisaient le service d'officier. L'uniforme des soldats tombait en loques. Beaucoup avaient mis les pantalons bleus des moblots dont ils arrachaient la bande rouge, ou des pantalons de toile qu'ils prenaient aux paysans. D'autres marchaient en sabots ou n'avaient pour chaussure que des jambières de linge.

Mais, malgré sa longue et glorieuse résistance, l'armée de Chanzy, diminuée de moitié et profondément découragée, ne pouvait plus rien. Si elle retrouvait assez de vigueur pour refouler à Sillé-le-Guillaume une colonne d'Allemands qui la poursuivait, le général de Schmidt lui enlevait le 14 et le 15 janvier à Chassillé et à Saint-Jean-sur-Erve des bagages considérables et un millier de prisonniers. Des hommes se couchaient au bord du chemin, la tête sur leurs sacs, et n'allaient pas plus loin. Quelques-uns s'échappaient sous une blouse de fermier. Jauréguiberry avouait que la cohue des fugitifs était inimaginable, et Chanzy convenait que ses troupes étaient à bout de forces. Avec l'armée de la Loire s'évanouissait la grande et suprême ressource de la défense nationale. Si elle est défaite, disait justement le correspondant d'un journal anglais, tout espoir sera perdu pour la France.