LA GUERRE

1870-1871

 

CHAPITRE V. — METZ ET STRASBOURG.

 

 

Bazaine. — Son caractère et ses plans. — Sortie du 26 août. — Conférence de Grimont. — Résolution de rester provisoirement sous Metz. — Sortie du 31 août. — Combat de Noisseville et de Servigny. — Manque de subsistances. — Événements du dehors. — Bazaine fidèle à l'Empire. — Ses rapports avec Frédéric-Charles. — Le communiqué de l'Indépendant rémois. — Regnier. — Mission de Bourbaki. — Impatience de Metz et de l'armée. — Combat de Ladonchamps ou de Bellevue (7 octobre). — Les lieutenants de Bazaine donnent leur opinion par écrit. — Conseil de guerre du 10 octobre. — Départ de Boyer pour Versailles (12 octobre). — Retour de Boyer et nouvelles qu'il apporte. — Conseil de guerre du 19 octobre et mission de Boyer auprès de l'impératrice. — Échec de cette suprême négociation. — Indignation croissante des Messins. — Fermentation dans l'armée. — La famine. — Conseil de guerre du 24 octobre. — Changarnier à Corny et Cissey à Frescaty (25 octobre). — Conseil de guerre du 26 octobre. — Jarras et Stiehle. — Les drapeaux. — Capitulation de Metz (27 octobre). — Douleur des habitants et des troupes. — Bombardement de Strasbourg. — La mission suisse. — Héroïsme de Valentin. — Reddition du 28 septembre. — Sièges et capitulations. — Schlestadt et Neuf-Brisach. — Toul. — Laon et Soissons. — Verdun. — Administration des pays conquis. — Impitoyables représailles. — Événements maritimes.

 

Bazaine avait la bravoure, le sang-froid, l'indifférence au péril ; mais il n'avait ni l'activité, ni l'énergie, ni aucune des qualités du général en chef, et dans le secret de son cœur il comprenait que le fardeau dépassait ses forces. Il fallait à la tête de l'armée de Metz un homme déterminé, vigoureux, résolu à battre l'ennemi coûte que coûte, persistant dans cette simple et virile pensée, ne disant aux soldats qu'un seul mot : En avant. Mais les gens de cette trempe n'abondent pas, et la volonté, la volonté inflexible, comparable au fer et qui finit par tout briser, est plus rare encore que le talent. Profondément égoïste et songeant à lui-même plus qu'à la patrie, cauteleux, ne faisant que de petits calculs et n'employant que de petits moyens, n'allant jamais droit au but et ne se fixant jamais un but précis, dictant à dessein des instructions qui manquaient de netteté, ne s'exprimant que d'une façon ambiguë, avec réticences et restrictions, prodiguant les si et les mais, jaloux du commandement et dépourvu d'autorité, incapable de parler ferme et d'imposer l'obéissance, invitant au lieu d'ordonner, se plaignant de ses généraux en leur absence, n'osant les réprimander ou les punir, cherchant néanmoins à rejeter sur eux une part de la responsabilité qui l'écrasait, et les associant avec adresse à ses actes, tâtonnant toujours, attendant les événements, comptant sur le hasard, s'abandonnant à la fortune qui l'avait jusqu'alors favorisé, tel était Bazaine.

Il croyait commander une armée lorsqu'éclata la guerre. Simple chef de corps, il fut mécontent et montra son humeur. Dès la première conférence avec Napoléon, il se tint sur la réserve et répondit froidement sans rien proposer. A Sarrebrück, il ne prit même pas la direction de l'affaire. A Forbach, il ne vint pas au secours de Frossard. Il reçut le commandement qu'il souhaitait, mais l'empereur le gênait. S'il accepta Jarras que Napoléon lui donnait comme chef d'état-major général, il le réduisit au rôle passif d'un secrétaire. L'empereur s'éloigne ; Bazaine ne le rejoint pas, et maître de l'armée, la considère dorénavant comme la sienne propre. C'est pourquoi il se laisse fermer la route de Verdun ; pourquoi, à Bezonville, il craint tellement que les ennemis ne le coupent de Metz ; pourquoi, à Saint-Privat, il n'appuie pas son aile droite ; pourquoi, au 18 août, il installe derrière son aile gauche déjà protégée par les forts de Plappeville et de Queuleu, la garde impériale, la garde qu'il désire conserver intacte, la garde, masse imposante qui sera toujours à sa dévotion et entrainera le reste de l'armée où il voudra la conduire. Dès le 20 aoùt, il imprime dans un journal de Metz qu'il tient autour de la ville afin de faire face à des nécessités autant politiques que stratégiques. Il ne bouge plus ; il ne tente pas sérieusement de rompre les lignes qui l'investissent ; il n'opère que des simulacres de sortie, pour saurer les apparences et sans l'intention de réussir. Il ne se soucie pas du danger de Mac-Mahon qui se débat sur la Meuse en venant à son aide : il assiste paisiblement, commodément sous les murs de Metz au cours de la guerre et n'engage ni ne compromet son armée. Que Mac-Mahon soit vainqueur : Bazaine triomphe des Allemands qu'il attaque sur leurs derrières, et il passe aisément pour un héros. Que Mac-Mahon — chose bien plus probable — soit vaincu et que par suite Paris capitule ; Bazaine, couvert de gloire, chef suprême de la seule force régulière qui reste encore debout, n'a-t-il pas qualité pour négocier la pais ? N'est-il pas le seul capable de rétablir l'ordre et de garantir l'exécution du traité ? Quoi qu'il advienne, il est l'arbitre de la situation, il joue le premier rôle, il est dictateur, protecteur, régent. N'avait-il pas rêvé la couronne du Mexique ? Il ne prévoit pas la résistance de Paris et de la France. Aveuglé par l'intérêt personnel, il ne se doute pas qu'avant que Paris ouvre ses portes et que la France pose les armes, d aura succombé lui-même avec Metz et avec ces belles et admirables troupes qui n'auront été que l'instrument de ses ambitieux calculs.

 

Le lendemain de Saint-Privat, l'armée française, repliée sur Metz, s'établissait au pied du Saint-Quentin, Frossard à Longeville, Le Bœuf à Lessy, Ladmirault à Lorry, Canrobert au Sansonnet, Bourbaki au Ban-Saint-Martin. Mais le souvenir de la bataille du 18 août où la droite seule avait dû reculer, ne lui inspirait ni découragement ni méfiance, et au bout de trois ou quatre jours, elle était raffermie, retrempée, pleine d'ardeur, et avait conscience de sa force. Il fallait céder à son impatience et la conduire de nouveau à l'ennemi.

Le 23 août, une dépêche de Mac-Mahon, roulée en forme de cigarette, apprenait à Bazaine que l'armée de Chatons se dirigeait sur Montmédy. Le maréchal rétablit les ponts de la Moselle et ordonna que les troupes, pourvues de vivres et de munitions, passeraient dans la matinée du 26 sur la rive droite pour marcher vers Sainte-Barbe et Thionville. Mais, tout en écrivant à Mac-Mahon qu'il percerait quand il voudrait, il mandait au ministre qu'il ne pouvait forcer les lignes ennemies. La sortie ne fut clone qu'un leurre. Bazaine partait sans laisser d'instructions à Coffinières, gouverneur de Metz, et sans emmener ni l'équipage de ponts ni ses propres bagages. Les officiers de son état-major, certains de rentrer au quartier-général, ne cachaient pas leur chagrin. Remarquez-vous, disait Bourbaki, comme tout le monde parait triste ?

Le 26, l'armée traversait la Moselle non sans retards et encombrements : tous les corps ne furent en position qu'à midi, la garde n'arriva qu'à deux heures, et les carabiniers, debout avant l'aube, n'avaient pas encore franchi la rivière à six heures du soir. Bazaine se rendit au château de Grimont où il avait convoqué ses lieutenants, à l'exception de Bourbaki. Là, tandis que tombait une averse torrentielle accompagnée de rafales et d'éclairs, tandis que les soldats attendaient l'arme au pied le bon vouloir du généralissime ; eut lieu un Conseil de guerre qui fut décisif. Bazaine annonça son intention de gagner Thionville et Montmédy ; mais il ajouta que le temps était affreux et qu'il fallait s'arrêter. Son opinion fut partagée par Soleille et Collinières qui commandaient, l'un, l'artillerie et l'autre, le génie. Soleille déclara que l'armée de Metz était l'unique ressource de la France, qu'en sortant de la place elle s'exposait à plusieurs combats et finirait par manquer de munitions, qu'elle ferait mieux de retenir Frédéric-Charles devant elle jusqu'au jour prochain où le prince royal de Prusse, accablé par des forces supérieures, battrait en retraite, qu'elle se jetterait alors sur des troupes démoralisées et les disperserait facilement avec l'aide des populations, qu'elle exécuterait ainsi le plan de Napoléon Ier en 1814. Coffinières fut d'avis que l'armée devait rester sous les murs de Metz : suivant lui, les forts ne pourraient résister plus de quinze jours à une attaque régulière ; le fort de Queuleu, encore ouvert à la gorge, serait aisément pris par un assaillant qui viendrait de Montigny ou des Sablons ; les forts enlevés, la ville se verrait bombardée et obligée de capituler. Canrobert, Le Bœuf, Ladmirault, Frossard approuvèrent Soleille et Coffinières. La séance allait finir lorsqu'entra Bourbaki. Il s'écria d'abord qu'il voulait faire un trou, se donner de l'air, puis se joignit à ses collègues.

Les objections de Soleille et de Coffinières avaient-elles quelque fondement ? Était-il vrai qu'on n'avait de munitions que pour plusieurs combats ? Non, puisqu'on avait trouvé le 24 août dans la gare de Metz quatre millions de cartouches, puisque Soleille affirmait quatre jours auparavant que l'armée était complètement réapprovisionnée et prête à marcher, puisqu'on reconnut depuis qu'il y avait assez de munitions pour trois ou quatre batailles. Était-il vrai qu'après le départ des troupes, la place ne pouvait tenir plus de quinze jours ? Non, puisque Coffinières a, plus tard, rétracté son dire et avoué que les forts étaient parfaitement défendables, puisque les commandants des forts ont unanimement assuré que Saint-Quentin, Plappeville, Saint-Julien, Queuleu, auraient sans peine repoussé l'assaut et résisté longtemps à toute attaque régulière.

Mais les chefs de corps crurent Bazaine et ses deux adhérents Soleille et Coffinières. Le maréchal ne leur souffla mot de la dépêche qu'il avait reçue le 23 mit. Ils ignorèrent que Mac-Mahon marchait à leur secours, et s'ils avaient su que l'armée de Châlons venait leur tendre la main, ils auraient évidemment quitté Metz sans hésiter un instant, sans calculer le chiffre des cartouches et des gargousses. Enfin, une idée hantait leur esprit : elle ne fut pas exprimée dans la conférence de Grimont, mais elle était agitée clans les conversations particulières, et elle influa puissamment sur ce Conseil de guerre du 26 août. De même que Bazaine, les généraux ne croyaient pas que l'opération projetée eût des chances de réussite. Quand l'armée aurait pu gagner Thionville, ne devait-elle pas repasser sur la rive gauche de la Moselle ? Frédéric-Charles n'aurait-il pas le temps d'aller à sa rencontre par une marche parallèle et de l'attendre au débouché de Thionville ? Et si le prince rouge était battu, le prince royal de Prusse ne pouvait-il se porter rapidement sur la Meuse ? Il est vrai que l'armée de Mac-Mahon le tenait en échec. Mais ne savait-on pas qu'elle était encore clans une situation déplorable ? L'armée de Metz, se dirigeant sur Thionville et de là sur Montmédy, ne serait-elle pas conséquemment engagée dans des luttes incessantes et vaincue par le nombre, ou refoulée en territoire neutre ?

Quoi qu'il en soit, le désir du maréchal était exaucé. Que sont-ils me dire ?  murmurait-il en se rendant à Grimont. Les généraux lui avaient dit de rester provisoirement sous Metz — à condition, ajoutait Bourbaki, que l'armée ne fût pas collée à la place, et Canrobert proposait de donner partout et continuellement des coups de griffe. Bazaine promit d'opérer de fréquentes sorties et autorisa ses lieutenants à faire avec leurs propres forces les entreprises qu'ils jugeraient utiles. Mais il demeurait sous Metz, et les chefs de corps assumaient la responsabilité de celle décision.

La trouée du 26 août n'eut donc pas lieu. Les troupes, harassées et transpercées par la pluie, étonnées et affligées, revinrent en arrière. De nouvelles positions leur furent assignées. La garde était au Ban-Saint-Martin et la réserve d'artillerie à Chambière ; Frossard et le Bœuf s'établirent sur la rive droite, le premier derrière la levée du chemin de fer entre la Moselle et les Sablons, le second, de la Seille à Saint-Julien. Canrobert et Ladmirault s'installèrent sur la rive gauche en se liant à Lorry.

Mais le 30 août un agent du dehors annonçait que l'armée de Mac-Mahon remontait vers Stenay, et Bazaine recevait une dépêche de son collègue, datée du 22 : le duc de Magenta était à Reims, il se portait sur Montmédy et serait le 24 sur l'Aisne pour lui venir en aide. Il fallait faire quelque chose. Bazaine ordonna de gagner Thionville par Sainte-Barbe et d'exécuter le 31 août le mouvement qu'il avait prescrit cinq jours auparavant. Bourbaki, Le Bœuf, Jarras conseillaient — et ce fut jusqu'au dernier jour l'avis des plus sages — de prendre au sud de Metz la route de Château-Salins, de Lunéville, d'Épinal et de se jeter dans les Vosges : la marche, disaient-ils, ne serait pas interrompue ; on ne traverserait pas de rivière ; on ne rencontrerait que des détachements ; on n'aurait à craindre qu'une poursuite dirigée sur les flancs et les derrières par Frédéric-Charles, et à force de vitesse, en supprimant convois et bagages, on pouvait échapper. Mais Bazaine, lié par ses dépêches à Mac-Mahon, devait aller vers Thionville et Montmédy. Il ne voulait d'ailleurs que contenter l'opinion par un déploiement de troupes. Le 31, comme le 26, il n'emmena pas l'équipage de ponts. Le 31, comme le 26, il perdit à plaisir un temps précieux. Frossard et Le Bœuf, déjà postés sur la rive droite, auraient dès le matin surpris l'adversaire et enlevé sans obstacle les premiers villages qui n'étaient que faiblement garnis. Même à dix heures du matin, même à midi, si l'attaque eût été franche et résolue, les Allemands éparpillés auraient été promptement culbutés. Mais Bazaine ne partait du Ban-Saint-Martin qu'à onze heures et demie. Il convoquait à deux heures les chefs de corps pour s'entretenir inutilement avec eux. Il attendait que le reste de l'armée eût passé la Moselle et ne donnait le signal du combat qu'à quatre heures du soir ! Manteuffel qui commandait sur la rive droite, put donc se renforcer et préparer sa défense ; encore n'avait-il le 1er septembre à la fin de l'action que 73.000 hommes contre 120.000.

Bazaine ne se bornait pas à gaspiller les heures. Au lieu de tourner la position de Sainte-Barbe par la route. de Sarrelouis, il la faisait attaquer de front et sur les flancs. Au lieu de donner immédiatement l'assaut, il entamait une longue canonnade dont l'échec était sûr. Il n'envoyait sur le champ de bataille ni la réserve d'artillerie qui eût écrasé Sainte-Barbe, ni la garde. Il entassait la cavalerie, oisive et impuissante, sur le plateau de Saint-Julien.

Et cependant il obtint d'abord l'avantage. Les Allemands avaient eu le loisir de pointer leurs pièces, et en quelques moments l'artillerie qui leur était opposée, fut démontée ou réduite à se taire. Mais l'infanterie de Le Bœuf, ardente et comme désireuse de regagner tant de minutes perdues, s'élance en avant ; elle fait reculer les batteries allemandes sous le feu de ses chassepots, et, tandis qu'à sa droite Lapasset s'empare du château d'Aubigny et du village de Coincy, elle emporte Montoy, Nouilly, Noisseville, Flanville. Le vieux Changarnier qui la suit en volontaire, ordonne de battre la charge ; montrons, dit-il, que nous avons du nerf, et les troupes, enflammées par l'espoir du succès et plus animées, plus vigoureuses, plus pleines de ressort que jamais, se précipitent sur Servigny au son des tambours et des clairons. Mais les ennemis ont barricadé les rues et crénelé les maisons ; une lutte opiniâtre s'engage, et la nuit tombe. Le 3e corps n'est pas soutenu. Après avoir pris Chieulles et Vany, Canrobert s'arrête devant Failly où les débris de trois compagnies prussiennes bravent durant une demi-heure toute la division Tixier. Bazaine rentre à neuf heures souper et coucher dans une villa de Saint-Julien et prescrit verbalement, non de passer outre, non de forcer le passage à la faveur des ténèbres, mais de garder les positions. Pourtant, vers dix heures, en pleine obscurité, sans tirer un coup de fusil, la division Aymard enlève Servigny à la baïonnette. Deux heures plus tard, elle est à son tour inopinément assaillie et recule au delà du cimetière.

Le lendemain matin, Pr septembre, Bazaine enjoint à ses lieutenants de continuer l'opération de la veille, selon les dispositions qu'aura faites l'adversaire, sinon de fortifier les endroits occupés et de revenir le soir sous. Saint-Julien et (Meulen. C'était, sous sa forme équivoque et décourageante, un ordre de retraite. Les chefs de corps comprennent qu'ils n'iront pas loin, et chacun lutte pour son compte, sans appuyer le voisin. L'enthousiasme a disparu. La ligne de bataille vacille incertaine. Les Prussiens ont le dessus. Ils sont maîtres de Flanville à neuf heures et de Coincy à dix heures. Noisseville leur coûte de sanglants efforts ; mais le village, pris d'abord après un combat où chaque maison subit un assaut, puis repris par une brusque attaque de Clinchant, est définitivement conquis à onze heures.

Les Allemands avaient su mêler les retours offensifs à la défensive, et leur 1er corps, formé des contingents de la Prusse orientale, avait fait une très habile et vaillante résistance. Mais l'armée française ne cachait pas sa mauvaise humeur. Les généraux disaient que cette retraite n'avait pas le sens commun. Les officiers étaient rentrés au bivouac, désespérés, s'étonnant de ne pas suivre leur pointe, se répétant que la fatalité pesait sur leurs actions. Eh bien, s'écria Bazaine, nous nous battrons tous les jours ! Il garda néanmoins son attitude expectante, et loin de sortir et de harceler l'adversaire sans relâche, il éleva des ouvrages, dressa des batteries, creusa des tranchées-abris, termina l'armement des forts extérieurs, consolida son camp que l'ennemi n'avait pas l'idée d'attaquer. Il eût mieux fait de pousser ses troupes plus avant, à quelque distance des forts dont la protection leur était inutile et d'augmenter ses ressources en occupant une plus grande étendue de terrain. Il dit mieux fait de vider les fermes et les villages d'alentour qui regorgeaient de denrées de toute espèce, de saisir les provisions de la ville et des environs, pour les verser dans les magasins, de rationner aussitôt le soldat et l'habitant. Dès les premiers jours de septembre, les subsistances commencèrent à manquer. Le sel devenait rare. Chaque régiment abattait quotidiennement 40 chevaux et donnait à ceux qui restaient des tourteaux de colza au lieu de grain. Des officiers prévoyaient déjà la mort de la cavalerie et de l'artillerie. On fit de petits coups de main, le 22 septembre sur Lauvallier, la Grange-aux-Bois et Nouilly ; le 23, sur Chleuhes et Vany ; le 27, sur Peltre et Mercy-le-Haut, sur les Maxes et Bellevue ; on ne ramassa que très peu de vivres et de fourrages. Il faudra bientôt, disait Bourbaki, percer les lignes prussiennes, nous ouvrir un passage et au besoin nous réfugier en Belgique.

Les événements politiques du dehors absorbaient l'attention de Bazaine. Il savait la capitulation de Sedan, la chute de l'Empire, la fuite de la régente en Angleterre, la formation d'un gouvernement dit de la Défense nationale, proclamé le 4 septembre, présidé par le général Trochu et composé des députés de Paris, lules Favre, Gambetta, Simon, Picard, Rochefort. Tout d'abord, il louvoya. Les soldats ne pensaient qu'a combattre les ennemis et à venger Sedan. Bazaine déclara qu'il attendait les ordres du gouvernement, que les obligations de l'armée envers la patrie étaient les mêmes, qu'elle devait multiplier les actions partielles et contraindre les Allemands à maintenir devant Metz des forces considérables pour donner le temps aux armées de l'intérieur de s'organiser et de se porter en avant. Il demanda des instructions au ministre de la guerre, le général Le Flô, — et c'est ainsi que Mac-Mahon écrivait presque au même instant à Le Flô qu'il se mettait à sa disposition s'il n'était pas prisonnier. Bazaine laissa même supprimer sur les lettres de nomination les fleurons des armes impériales et les mots qui rappelaient l'Empire.

Mais bientôt il rétablit les formules, et fit reconnaître au nom de l'empereur les officiers récemment promus. Au fond, il refusait de s'associer à la résistance commune. Dans les conversations privées, il se prononçait contre le gouvernement nouveau qu'il qualifiait de révolutionnaire et d'insurrectionnel, et il assurait que la province n'obéissait qu'avec répugnance aux hommes du 4 septembre. N'avait-il pas écrit dans sa proclamation aux troupes qu'il continuerait à défendre l'ordre social contre les mauvaises passions ? On l'entendait dire que l'empereur étant prisonnier et l'impératrice-régente fugitive, le Conseil de régence devait administrer la France et s'appuyer sur le Sénat, le Corps législatif et le Conseil d'État ; lui, Bazaine, ne reconnaissait que le régime approuvé par le plébiscite du mois de mai 1870, et il n'en reconnaîtrait pas d'autre tant que l'armée ne serait pas déliée de son serment. Les chefs de corps partageaient son opinion. Tous restaient fidèles à l'Empire. Canrobert disait à ses officiers que l'armée dirigée par Bazaine rendrait à la France de grands services, rétablirait le gouvernement de la régence, réprimerait les passions subversives. La plupart des généraux espéraient une restauration impériale et pensaient moins à l'invasion de la patrie qu'aux honneurs et aux appointements qu'ils désiraient garder : L'entourage de Bazaine se moquait de maître Trochu ou du petit mosieu Trochu. Son premier aide de camp, Boyer, ne parlait qu'avec mépris de l'armée des exaltés et nommait Trochu, Favre et Gambetta ces gens-là.

Déjà Bazaine cherchait à s'entendre avec Bismarck. Fort de son armée à la fois intacte et glorieuse, croyant en disposer à son gré, persuadé que Trochu capitulerait dans Paris avant que les vivres de Metz fussent consommés, il comptait prochainement signer lapais inévitable. Le 16 septembre il demandait à Frédéric-Charles des renseignements sur la situation. Le prince lui répondit aussitôt que la République proclamée à l'hôtel de ville, et non au Corps législatif, n'était reconnue ni par la France entière ni par les monarchies de l'Europe. Votre Excellence, ajoutait Frédéric-Charles, me trouvera prêt et autorisé à lui faire toutes les communications qu'elle désirera. Et il envoyait au quartier-général de Metz un numéro de l'Indépendant rémois qui renfermait un communiqué de Bismarck. On lisait clans cet article que l'Allemagne pouvait traiter soit avec Napoléon, soit avec la régence, soit avec Bazaine qui tenait son commandement de l'empereur.

Le maréchal attendait donc avec impatience des ouvertures, et Bismarck était trop habile pour ne pas profiter de ses dispositions. Si Paris capitulait ou si le gouvernement de la Défense nationale était emporté par une émeute populaire, Bazaine seul pouvait traiter de la paix. Si Paris résistait, l'armée de Metz, endormie et paralysée par les négociations, se serait affaiblie et ruinée.

A ce moment même, Bismarck saisissait adroitement un moyen singulier et imprévu de nouer avec Bazaine ces relations qui tourneraient, quoi qu'il advint, à l'avantage des Allemands. Un Français, du nom de Régnier, s'offrait à lui comme intermédiaire. Ce Régnier, alors âgé de 48 ans, était un homme bizarre, excentrique, et malgré l'incohérence de ses discours et de son style, convaincu de ses talents, se jetant volontiers dans les aventures et passionnément désireux de jouer un rôle politique. Après avoir fait d'incomplètes études de droit et de médecine, pratiqué le magnétisme, exercé les fonctions de chirurgien auxiliaire en Algérie, exploité une carrière de pavés, il s'était marié à une riche Anglaise. Déjà, en 1848, il se mêlait très étrangement et avec son aplomb ordinaire aux événements. Dans les premiers jours de septembre 1870, il entrait en rapports avec Bismarck et le comte de Bernstorff, ambassadeur à Londres : il espérait, assurait-il, négocier la paix entre l'Allemagne et le gouvernement impérial, le seul gouvernement qui pût sauver la France. Bismarck se servit de cet intrigant pour entraîner Bazaine. Mais vainement Régnier écrivit plusieurs fois à l'impératrice qui résidait alors à Hastings. Elle refusa de le recevoir et lui fit dire qu'elle ne voulait rien entreprendre, que l'intérêt de la France primait l'intérêt de la dynastie. Régnier ne se rebuta pas ; il obtint par l'entremise du précepteur Filon des photographies de Hastings revêtues de la signature du prince impérial. Le 18 septembre, muni d'un passeport de l'ambassade allemande, il quittait Londres. Deux jours plus tard il était à Ferrières et conférait avec Bismarck. Dans la soirée du 23 septembre il franchissait, à la suite d'un parlementaire prussien, les lignes françaises et se présentait à Bazaine en s'annonçant comme l'envoyé de Hastings. Il montra ses photographies et un laissez-passer de Bismarck ; il exposa son plan : puisque l'empereur était un simple prisonnier, l'impératrice-régente, seule compétente pour traiter, devait rentrer en France et conclure la paix nécessaire ; Bismarck lui ferait sûrement de meilleures conditions qu'au gouvernement républicain ; dans ce cas, l'armée de Metz, l'unique armée qui restait au pays, abandonnerait son camp retranché et s'établirait dans une ville ouverte où se réuniraient avec la régente, le Sénat et le Corps législatif. Bazaine accueillit ces propositions avec empressement. Il répondit à Régnier que chaque jour qui s'écoulait diminuait la force matérielle et morale de ses troupes, qu'il était donc dans une impasse et qu'il en sortirait de bon cœur, s'il avait les honneurs de la guerre ; il traiterait, non pour Metz qui ne serait pas compris dans la convention, mais pour son armée ; qu'elle partit entièrement constituée avec armes et bagages, qu'elle fût neutralisée, qu'elle n'eût jusqu'à la paix d'autre mission que de maintenir l'ordre dans l'intérieur ; telles étaient les conditions de Bazaine, les seules, disait-il, que l'honneur militaire lui permît d'accepter. Régnier regagna le quartier-général de Frédéric-Charles après que le maréchal eût apposé sa signature à côté de celle du prince impérial sur la photographie de Hastings. Mais il revint le lendemain. Il informa Bazaine que Bismarck et Frédéric-Charles autorisaient un général à quitter Metz avec les chirurgiens de l'Internationale luxembourgeoise et à se mettre aux ordres de l'impératrice. Bazaine désigna Canrobert ou Bourbaki. Mais Canrobert était malade. Sur le désir de Bazaine, Bourbaki partit, vêtu des habits civils du maréchal, coiffé d'une casquette et portant un brassard. Il croyait à Régnier, s'imaginait que l'intervention de l'impératrice amènerait la paix, et pensait sincèrement qu'il fallait traiter sur-le-champ pendant que l'armée de Metz était encore respectable et respectée. Dès ses premiers pas, il pressentit qu'on l'avait dupé : Régnier lui proposait de faire visite à Frédéric-Charles et de serrer la main à un camarade, au chef de l'état-major Stiehle ! Le général se rendit à Chislehurst où l'impératrice avait fixé sa demeure. A peine arrivait-il qu'un officier se précipitait vers lui en donnant les marques de la plus vive surprise : Metz a donc capitulé !Non, répondit Bourbaki, mais je vois que vous ne m'attendiez pas ; j'ai été trompé ! Il dit à l'impératrice que l'armée de Metz était perdue, qu'elle serait détruite ou forcée de se soumettre, qu'elle n'avait plus d'attelages pour porter les pièces à une demi-étape. L'impératrice fut pénétrée de douleur ; mais elle refusa de traiter avec Bismarck ; toute négociation, pensait-elle, entraverait l'œuvre du gouvernement de la Défense nationale qui pouvait encore, après tout, accomplir un miracle. Cette noble conduite réparait ses fautes. Elle écrivait au tsar, elle écrivait à l'empereur d'Autriche, suppliait les deux souverains d'user de leur influence pour que la France, préservée d'humiliantes exigences, obtint une paix durable qui laisserait son territoire intact.

Quant à Régnier, lorsqu'il revint le 23 septembre à Ferrières et montra sur une de ses photographies la signature de Bazaine, Bismarck lui demanda des pouvoirs plus étendus. Une dépêche fut adressée au maréchal : accepterait-il les conditions que stipulerait Régnier ? Bazaine savait le résultat 'des démarches de Bourbaki ; il répondit le 29 septembre qu'il ne connaissait pas Régnier et qu'il ne capitulerait que si la convention exceptait la place de Metz et accordait aux troupes les honneurs de la guerre. Bismarck garda le silence et congédia Régnier qu'il traita de farceur. Mais l'aventurier avait révélé que l'armée française n'avait de vivres que jusqu'au 18 octobre, et Frédéric-Charles attendit patiemment qu'elle fût vaincue par la faim.

Les chefs de corps qui refusaient de reconnaître le gouvernement de la Défense nationale, apprirent avec tristesse que la mission de Bourbaki avait avorté. Coffinières abandonna la cause de l'Empire et envoya par un ballon à la délégation de Tours une longue missive où il se plaignait de Bazaine. Des généraux exprimèrent l'opinion qu'il fallait se rallier au nouveau pouvoir qui résistait avec énergie et mettait à la tête de ses levées des chefs honorables. L'armée s'agitait et commençait à dire que Bazaine n'était pas franc du collier. Elle ne s'expliquait pas la disparition de Bourbaki que Desvaux avait remplacé dans le commandement de la garde ; les uns prétendaient qu'il était en prison à l'arsenal ; d'autres qu'il avait été fusillé et enterré dans un jardin. Metz s'indignait. Le Conseil municipal déclarait que la ville seconderait l'effort des hommes qui prenaient en main à Paris et en province les intérêts de la nation. Les habitants reprochaient aux officiers l'inaction de l'armée. Des lettres anonymes sommaient Bazaine de faire les grandes choses dont ses troupes étaient capables. Une adresse couverte de huit cents signatures priait le maire de se rendre auprès du maréchal et de lui représenter qu'il était temps d'agir et de renoncer à d'irréparables lenteurs, que l'insuccès même valait mieux que l'inertie, que le sort de Metz se décidait à Metz et non à Paris, que la cité se résignerait à tous les sacrifices pour ne pas être la rançon de la paix, qu'il n'appartenait à personne ni à un parti ni à un homme de régler les destinées de la France et de mêler la question politique à la question militaire, que le commandement devait considérer la gravité de la situation et avoir cette autorité, cette décision qui s-impose et qui produit la victoire. Le maire porta le 30 septembre cette adresse à Bazaine. Le maréchal lui répondit qu'il ne savait trop quelle direction prendre pour aider efficacement à la défense du pays, qu'il manquerait de chevaux pour traîner les vivres et le matériel, qu'il rie pourrait percer sans sacrifier beaucoup de inonde et que les hôpitaux de Metz seraient encombrés de blessés.

Néanmoins, pour calmer les esprits, il proposa le 4 octobre à ses lieutenants de partir par la route de Thionville : Canrobert et Desvaux suivraient la rive gauche de la Moselle et sur ce même bord Ladmirault tiendrait les hauteurs ; Le Bœuf marcherait par la rive droite ; Frossard formerait l'arrière-garde ; sur les objections de Le Bœuf, Bazaine abandonna son projet. Il se contenta d'exécuter le 7 octobre un grand fourrage au milieu d'une plaine que les canons allemands dominaient de tous côtés. L'élan des Français fut merveilleux. La division Deligny s'empara des deux fermes des Grandes et des Petites Tapes. Les chasseurs de la garde emportèrent Bellevue et firent main basse sur six pièces d'artillerie qu'ils n'emmenèrent pas faute d'attelages. Mais Bazaine défendait d'aller plus loin, et pour mieux montrer aux troupes qu'elles ne devaient pas pousser sur Thionville, il leur avait enjoint de laisser leurs sacs au bivouac. On ne put, à cause des obus qui sillonnaient le terrain dans tous les sens, enlever le fourrage, et à cinq heures et demie on se retirait en très bon ordre. A la nuit, les Allemands tentaient de surprendre le château de Ladonchamps ; ils étaient refoulés.

Le combat de Bellevue ou de Ladonchamps fut le dernier acte de l'armée et son dernier rayon de soleil. Du 8 au 31 octobre la pluie ne cessa de tomber à torrents. Les soldats qu'on aurait pu loger dans les fermes et les villes de la banlieue ou établir dans des baraquements, vivaient accroupis dans d'épaisses flaques de boue. Les rafales du vent renversaient leurs petites tentes de toile. En quelques jours le typhus fit plus de victimes qu'une bataille. Les approvisionnements s'épuisaient. Lesche vaux dépérissaient ou disparaissaient. Les lignes des assiégeants devenaient presque inexpugnables. Les villages où les trois quarts d'entre eux cantonnaient à l'abri de l'averse, étaient fortifiés et reliés par des tranchées. Leurs batteries, établies sur les points culminants tout à l'entour de la place, balayaient les routes et les vallées. Ils plongeaient pour ainsi dire dans le camp français, et leurs avant-postes étaient si près de l'armée qu'ils entendaient, suivant l'expression d'un journaliste, les palpitations de son cœur.

Le 3 octobre, Bazaine avait emprunté à la bibliothèque de l'École d'application des ouvrages sur les capitulations de Gênes, de Baylen et de Danzig : il comprenait trop tard que son dernier pain serait mangé avant que Paris fût rendu et la guerre terminée. Le 7, le jour du combat de Bellevue, il informait ses lieutenants qu'il était nécessaire de traiter à d'honorables conditions. Les chefs de corps durent donner par écrit leur opinion personnelle. Le Bœuf répondit qu'il fallait tenter encore la fortune, engager une lutte décisive en se proposant un objectif défini et rompre en un même point les lignes allemandes ; Ladmirault, que son 4e corps exécuterait avec le plus énergique dévouement les résolutions suprêmes du généralissime ; Coffinières, que le départ de l'armée serait funeste, mais qu'il semblait impossible à quelques hommes de cœur de ne pas faire un dernier effort avant de conclure un arrangement ; Canrobert, qu'il aimait mieux vendre chèrement sa vie que de souscrire à une honteuse reddition, mais qu'il demanderait auparavant l'autorisation de sortir avec armes et bagages à charge de ne pas servir contre l'ennemi durant un an ; Desvaux, qu'ou devait traiter, si les Allemands accordaient des conditions honorables, sinon mourir l'épée à. la main ; Frossard, qu'il valait mieux parlementer sans retard pour conserver une armée qui protégerait l'ordre social.

Au lieu de prendre à lui seul une décision, Bazaine réunit le 10 octobre son Conseil de guerre. Mais il ne lui parla ni des ouvertures de Régnier ni de la mission de Bourbaki, et s'il eût dit que ses essais de négociations personnelles avaient échoué, ses généraux se seraient déterminés à combattre sur-le-champ. Il garda pareillement le silence sur les approvisionnements considérables que le gouvernement de la Défense nationale avait amassés à Thionville, et s'il eût dit que des émissaires lui avaient appris depuis quelques jours l'existence de ce grand dépôt de vivres, le Conseil eût sûrement arrêté de faire aussitôt une tentative sur cette place. Après une longue discussion, le Conseil résolut à l'unanimité de tenir sous les murs de Metz jusqu'à l'entier épuisement des ressources alimentaires, de ne plus opérer de fourrages autour de la ville puisque ces expéditions ne produisaient rien et que leur insuccès décourageait les troupes, d'entrer en pourparlers avec l'adversaire dans les quarante-huit heures, de se frayer un chemin par la force si les clauses de la convention portaient atteinte à l'honneur des armes et du drapeau.

Le général Boyer fut envoyé à Versailles, au quartier-général allemand. Mais Bazaine lui donna ses instructions. Boyer devait demander la neutralisation de l'armée de Metz. La question militaire, disait Bazaine, était jugée, et les combattants de Rezonville et de Saint-Privat n'avaient plus d'autre rôle que de rétablir l'ordre et de maîtriser l'anarchie, de sauver la France de ses propres excès et la société des violences d'un parti, de soutenir la régence, le seul pouvoir qu'ils reconnussent, et de garantir à l'Allemagne les gages qu'elle pourrait réclamer.

Boyer partit le 12 octobre et revint cinq jours plus tard, après avoir été gardé à vue, comme un parlementaire, durant tout son voyage. Il annonça le 18, clans le Conseil, que la France était dans un état lamentable, que les départements refusaient l'obéissance au nouveau gouvernement, que l'armée de la Loire avait essuyé une défaite à Artenay, que Paris tenait sans être encore attaqué, que le canon du Mont-Valérien brûlait le château de Saint-Cloud, que l'anarchie s'étendait partout, que le drapeau rouge Bottait à Lyon et à Marseille, que Tes honnêtes gens demandaient des garnisons prussiennes, qui protégeraient les personnes et les propriétés, que la garde nationale de Versailles faisait le service conjointement avec les troupes étrangères. Il ajouta que Bismarck traiterait volontiers avec le gouvernement impérial, mais qu'il exigeait des garanties. L'armée de Metz dirait qu'elle était toujours l'armée de l'Empire. L'impératrice adresserait un manifeste à la nation. Un délégué de la régence signerait les préliminaires de paix si exorbitants qu'ils pussent paraître, — et ce délégué serait évidemment Bazaine ; malgré ses protestations en plein Conseil, il répandait parmi les officiers une note qui lui donnait à l'avance le titre de régent. Les préliminaires adoptés, l'armée quitterait Metz pour se rendre sur un territoire neutralisé où les pouvoirs publics, tels qu'ils étaient constitués avant Sedan, détermineraient la forme du gouvernement.

Les chefs de corps, désirant avant tout sauver l'armée et lui épargner l'ignominie d'une capitulation, inclinaient à faire une démarche auprès de l'impératrice. Ils ne se dissimulaient pas que des vaincus n'imposent jamais une dynastie à leur pays, que les anciennes Chambres de nouveau convoquées n'auraient aucune influence, qu'une grande partie des troupes se rallierait au gouvernement de la Défense nationale, qu'une guerre civile éclaterait entre impérialistes et républicains, que l'Empire ne tiendrait pas ses engagements envers le vainqueur. Mais ils n'avaient plus d'autre idée que de préserver l'armée de la captivité, et l'impératrice était leur seule ressource, l'unique médecin, comme disait Canrobert, qui pût guérir le mal. Ils convinrent de consulter le soir même leurs généraux sur les dispositions, du soldat, et de prendre le lendemain une résolution.

Une séance du Conseil eut donc lieu le 19 octobre. Trois chefs de corps avaient foi dans le dévouement de leurs brigades. Les deux autres n'osaient en répondre, et les divisionnaires de Ladmirault avaient déclaré qu'ils ne seraient pas des prétoriens. Mais Bazaine remarqua que le gouvernement de la Défense nationale ne lui avait pas notifié son installation ni envoyé aucune nouvelle, que l'Empire était le seul régime légal, et que l'armée ne ferait que son devoir en assurant le fonctionnement des pouvoirs réguliers. Changarnier, présent à la conférence, s'éleva contre les hommes du 4 septembre et affirma qu'il fallait, pour sauver l'armée, la France et la société, accepter les propositions de Bismarck, que l'impératrice les agréerait afin de laisser le trône à son fils, que les soldats touchés de la confiance que mettrait en eux une femme aussi énergique que belle, n'hésiteraient pas à la suivre où elle les mènerait. Lui-même, s'écriait-il, irait chercher la régente si Boyer n'avait mérité cet honneur. L'intervention de Changarnier emporta le vote. Par six voix sur huit, les membres du Conseil, à l'exception de Coffinières et de Le Bœuf, décidèrent que Boyer se rendrait à Chislehurst pour exposer à l'impératrice la situation de l'armée et les conditions de l'Allemagne.

Le 22 octobre Boyer se présentait à l'impératrice. Elle signa d'abord tout ce que désirait le général et donna pleins pouvoirs à Bazaine qui serait le délégué de la régence ; mais peu d'instants après, prise de scrupules et de remords, elle rappela Boyer, lui demanda sa lettre comme pour la relire, et la déchira en disant qu'elle ne voulait pas diviser la France en face de l'ennemi. Pouvait-elle, en effet, ainsi que l'avaient prévu Coffinières et Le Bœuf, consentir à restaurer l'Empire avec l'appui de l'étranger et au prix d'une cession de territoire ? Avant d'engager une négociation, elle exigea que l'armée de Metz obtînt un armistice de quinze jours avec le droit de ravitaillement. Bismarck répondit aussitôt que le ravitaillement était militairement impossible. L'impératrice recourut à Guillaume, invoqua son cœur de roi, et sa générosité de soldat, sollicita par l'entremise de Bernstorff, une paix honorable. Guillaume objecta qu'il ignorait les dispositions politiques de l'armée de Metz et de la nation et qu'il ne pouvait traiter tant qu'il ne serait pas sûr de l'acquiescement des Français. Bismarck ajouta que l'armée de Bazaine n'avait pas fait son acte d'adhésion, qu'il faudrait peut-être poursuivre contre elle l'exécution des arrangements, et que les conditions communiquées au général Boyer n'étaient pas remplies. Tout fut donc rompu. Le 24 octobre, Bismarck écrivait à Bazaine qu'il n'avait aucune des garanties qu'il regardait comme indispensables, que l'attitude de la population et de l'armée n'assurait nullement l'avenir de la cause impériale, que les propositions de la régente étaient d'ailleurs inacceptables, et que des négociations n'auraient plus de résultat.

Bazaine était joué, et, comme on dit alors, restait entre deux chaises. Il avait oublié son métier de soldat : s'éterniser à Metz, non pour guerroyer, mais pour politiquer, c'était perdre l'armée ; grâce à ces parlementages, les Allemands allaient la réduire à merci, la faire passer sous les fourches caudines.

Cependant les Messins s'alarmaient de plus en plus. Le 12 octobre Coffinières enjoignait de porter aux magasins militaires les grains et les farines, et le lendemain il ordonnait que toutes les ressources seraient mises désormais en commun et que Metz fournirait chaque jour quatre cent quatre-vingts quintaux de blé à l'administration des subsistances. La population se plaignait donc de pourvoir à la nourriture d'une armée inutile et demandait que Bazaine sortît de la place qui saurait se défendre à elle seule. Elle accusait le maréchal de trahison. Pourquoi n'avait-il pas proclamé la République ? Pourquoi refusait-il son concours au nouveau pouvoir ? Pourquoi préparait-il la restauration de l'Empire ? Pourquoi était-il en relations avec Frédéric-Charles ? Peu à peu les esprits se montèrent. Le 11 octobre, à l'hôtel de ville, au milieu des acclamations, les officiers de la garde nationale jetaient par la fenêtre le buste de Napoléon III et l'aigle du drapeau de la façade. Coffinières, entraîné, déclarait hautement qu'il reconnaissait le gouvernement de Paris et qu'il attendait les décisions d'une assemblée constituante élue par le pays. Vainement Bazaine priait les Messins de se fier à sa loyauté et jurait qu'il n'avait d'autre pensée que celle de la France. Vainement il assurait aux chefs de la garde nationale qu'il ne songeait pas à servir l'Empire, qu'il ne traitait avec Frédéric-Charles que de l'échange des prisonniers, que le Conseil de guerre n'avait jamais eu l'idée d'un accommodement. Le journal l'Indépendant bravait la censure, et tantôt racontait le suicide de Beaurepaire, — qui s'était brûlé la cervelle plutôt que de rendre Verdun, tantôt reproduisait les règlements qui déterminent la responsabilité des commandants de place. On suggérait au maire de prononcer la destitution de Bazaine et de soulever l'armée contre le maréchal. On ornait de couronnes la statue de Fabert, de ce Fabert qui, suivant l'inscription du piédestal, aurait, pour sauver une ville assiégée, mis à la brèche et sa personne et sa famille et son bien tout entier.

Le camp frémissait. Des généraux, des colonels s'indignaient que la lutte fût suspendue, et une reddition sans nouveau combat leur semblait la pire des hontes. Montluisant proposait de tout détruire et de sombrer comme le Vengeur. D'Andlau regrettait le temps où les représentants du peuple sommaient les chefs des armées de vaincre ou de mourir. D'autres soutenaient qu'il fallait percer quand même et sauver du moins par une audacieuse trouée une partie des troupes. Lapasset promettait de se frayer un chemin avec sa brigade : Si nous devons tomber, que la postérité se découvre devant nous ! Fay affirmait qu'une masse de cent mille hommes déterminés pouvait se faire jour : moriamur et in media arma ruamus ! Bisson offrait de mener l'avant-garde de cette armée du désespoir. La réserve d'artillerie était prête à se dévouer : elle serait accablée ; ses chevaux tomberaient d'épuisement au bout de trois lieues ; niais elle jurait de ne succomber qu'après avoir couvert le passage et tiré son dernier coup de canon. Des officiers projetaient d'écarter Bazaine. C'étaient les généraux Aymard, Courcy, Péchot, Clinchant, les colonels Lewal, d'Andlau, Davout, Boissonnet, le commandant Leperche, le capitaine d'état-major Cremer, aide de camp de Clinchant, et deux capitaines du génie que Bazaine traitait de têtes chaudes, Boyenval et Rossel. Mais on perdit du temps. Les généraux allèrent voir Bazaine qui les apaisa par de belles paroles et leur annonça qu'il ferait une sortie vers Château-Salins : Le salut, répétait-il, sera dans nos jambes, et il consentait à céder le commandement à un autre. On voulut le prendre au mot et nommer à sa place un homme d'un tempérament vigoureux et d'une réputation éclatante. Ceux qui furent sondés, refusèrent de diriger un mouvement qu'ils qualifiaient de sédition militaire. Ladmirault déclara devant Bazaine qu'il avait le respect de la discipline et n'écouterait jamais que son devoir. Changarnier assura qu'il ne suspectait pas la droiture du maréchal et dénonça Boyenval et Rossel. Boyenval fut enfermé au fort Saint-Quentin. Rossel essaya d'entrainer Clinchant ; il ne put le voir, et Cremer lui certifia que tout le monde renonçait à rien tenter. Des grades et des croix, distribués à profusion, achevèrent la soumission des esprits.

Le terme fatal approchait. On lisait aux officiers les nouvelles sinistres qu'apportait Boyer : la confusion régnant en France, Gambetta fuyant de Paris, les grandes villes sacrifiant la patrie à leurs intérêts commerciaux, les catholiques armés contre les protestants. On leur faisait le plus effrayant tableau des obstacles accumulés par l'assiégeant. On répandait le bruit que les officiers seuls seraient captifs et que les soldats rentreraient dans leurs foyers.

La famine menaçante brusqua le dénouement. Les chevaux qui restaient, nourris d'une herbe chétive et rare ou de quelques feuilles d'arbre, n'avaient plus que la peau et les os. Les soldats ne recevaient plus d'autre aliment. que de la viande sans sel et le tiers de la ration de pain. Quelques-uns désertaient. Plusieurs franchissaient les lignes pour arracher des pommes de terre dans les champs et acceptaient la soupe que leur offraient les Prussiens apitoyés. Lorsque l'armée se constitua prisonnière, des hommes moururent de faim ; la plupart dévoraient le pain qu'on leur donnait et en redemandaient avidement ; beaucoup vendirent leurs croix et leurs médailles pour avoir à manger. Dès qu'un cheval tombait, ils l'égorgeaient, le dépeçaient, et le lendemain, on voyait attelé encore, entre les brancards de la voiture, le squelette sanglant de l'animal.

Le 24 octobre, lorsqu'il apprit que la mission de Boyer n'avait pas abouti, Bazaine assembla les chefs de corps. Que faire ? Combattre ou négocier ? Desvaux déclara que la garde saurait se sacrifier ; Le Bœuf, qu'il fallait malgré tout tenter une glorieuse folie ; Coffinières, que l'armée devait partir sans lier ses destinées à celles de Metz et que la place se défendrait longtemps. Mais Ladmirault, Frossard, Canrobert, Soleille pensaient que les troupes n'étaient pas en état de forcer le cordon d'investissement. La cavalerie n'existait plus. Les chevaux manquaient pour traîner l'artillerie. Les canons ne pourraient manœuvrer sur le-sol détrempé. L'infanterie seule était capable d'agir ; mais quelle que fût sa route, arriverait-elle jusqu'aux batteries allemandes ? Refoulerait-elle la deuxième, la troisième ligne des assiégeants ? Et, après un premier succès, gagnerait-elle la seconde et inévitable bataille ? Ceux qui échapperaient au désastre, n'iraient-ifs pas donner à la France le triste spectacle du désordre et des plus graves excès ?

Le 25 octobre au matin, Changarnier allait au château de Corny où résidait Frédéric-Charles. Il demanda que Metz ne fût pas compris dans la convention et que l'armée se rendit avec armes et bagages sur un point du territoire pour y remplir une mission d'ordre ou en Algérie, à charge de ne plus servir pendant la durée de la guerre. Le prince rouge le reçut très courtoisement, niais n'accepta pas ses propositions. Au soir, Cissey conférait à Frescaty avec Stiehle, chef d'état-major de Frédéric-Charles. Stiehle déclara que le sort des troupes et celui de la place étaient inséparables, que la ville ouvrirait ses portes, que l'armée de Metz subirait les mêmes conditions que celle de Sedan et livrerait tout son matériel.

Le 26 octobre, les chefs de corps se réunissaient de nouveau ; mais, comme la veille, ils reconnurent que l'armée ne pouvait plus rien et qu'aller à la bataille serait aller au suicide. Desvaux disait même qu'une sortie serait un crime et Canrobert, que jeter les soldats sous le canon allemand, c'était conduire des moutons au boucher. Un membre proposa de noyer les poudres et de mettre hors de service les fusils et les pièces d'artillerie ; Soleille répondit avec l'approbation de ses collègues que cet acte de destruction donnerait le signal de l'indiscipline et que l'armée loyale jusqu'au bout devait accepter toute l'étendue de son malheur.

Jarras, nommé pour signer la capitulation, obtint que les officiers conserveraient leur épée et que l'armée aurait les honneurs de la guerre, défilerait en armes devant le vainqueur. Mais Bazaine, craignant l'indignation de ses troupes et leurs insultes, refusa le défilé.

Vint la question des drapeaux. Pour les sauver, Bazaine s'avisa de dire qu'on les avait détruits, selon l'usage de France après chaque révolution. C'était appeler l'attention sur cet objet. Stiehle fut étonné ; mais il demanda combien il y avait encore de drapeaux et en quel endroit ils se trouvaient. Le maréchal, au lieu de laisser aux régiments le soin d'anéantir ces emblèmes, avait prescrit de les porter à l'arsenal et de les y brûler. L'ordre ne fut pas exécuté sur-le-champ par le général Soleille. La plupart des drapeaux étaient à l'arsenal après la signature de la convention, et Bazaine livra 56 aigles, parce qu'il se piquait de tenir ses engagements. Mais des généraux, des colonels, le major Bézard du 17e d'artillerie, le colonel Péan du Pr des grenadiers de la garde, avaient de leur propre mouvement soustrait leurs drapeaux à la honte. Laveaucoupet enjoignit de réduire en cendres les drapeaux de sa division ; ces glorieux trophées. disait-il, ne devaient pas être envoyés à l'arsenal comme de vieux chevaux à la voirie. Picard et Jeanningros autorisèrent les zouaves de la garde et le 2e et le 3e grenadiers à lacérer leurs enseignes. Le colonel de Girels, directeur Je l'arsenal, eut le temps d'incinérer huit étendards de cavalerie. Avec l'assentiment des généraux Desvaux et Pé de Arras, le colonel Melchior fit, à l'aube du 28 octobre, dans l'atelier des forges de l'arsenal, jeter au feu les drapeaux des chasseurs et des voltigeurs de la garde. Le général Lapasset, désobéissant à son supérieur pour la première fois de sa vie, ordonna de rendre les derniers honneurs aux drapeaux de sa brigade et de les brûler en présence de tous les officiers.

Le 27, au soir, la capitulation fut signée par Jarras et Stiehle. L'armée l'apprit le lendemain avec un sentiment de douleur et de rage. Plusieurs régiments, entre autres le 41e, dont Saussier était colonel, protestèrent solennellement. De nombreux officiers se rassemblèrent sur l'Esplanade, et quelques-uns, haranguant leurs camarades, proposèrent de ne pas se rendre. Trois cents, et parmi eux Boissonnet, d'Andlau, Leperche, Rossel, se réunirent à l'École du génie dans le dessein d'opérer une sortie, et 4.000 hommes s'inscrivaient déjà pour partir. Mais on ne s'entendit pas ; les tins voulaient occuper l'arsenal et brûler les drapeaux ; les autres, fusiller Bazaine. Clinchant, dont le concours paraissait assuré, promettait à Le Bœuf de ne rien faire contre la discipline. Cissey dénonçait les officiers qui tentaient de se dérober à la destinée commune. Bazaine commandait d'arrêter tous ceux qui chercheraient à s'évader.

La population de Metz s'abandonnait au désespoir. Les boutiques se fermaient. Des gardes nationaux parcouraient les rues, criant Mort aux traîtres !, maudissant Bazaine, tirant des coups de feu. Ils prenaient à la garnison les armes qu'elle portait aux magasins. Furieux, menaçants, ils entouraient l'hôtel du gouverneur, et Coffinières devait appeler un piquet d'infanterie. Plusieurs, conduits par un capitaine de carabiniers, se barricadaient clans le clocher de la cathédrale et mettaient en branle le tocsin d'incendie et la vieille cloche municipale de la Mutte qui sonnait le glas funèbre et annonçait l'agonie de la ville, après avoir si souvent célébré ses joies. Une insurrection semblait imminente. Bazaine, averti, dépêcha les voltigeurs de la garde, et les Messins, voyant cette troupe aussi attristée et consternée qu'eux-mêmes, se résignèrent comme elle, fraternisèrent avec elle, lui firent de déchirants adieux.

Dans la matinée du 20 octobre, par une pluie battante, sur un terrain boueux et tout couvert de cartouches, de cantines et de fusils brisés, pendant qu'au loin les colonnes prussiennes longeaient les coteaux et allaient, planter le drapeau blanc et noir sur les forts de Metz la Pucelle, les soldats de l'armée du Rhin, calmes et dignes malgré leur faiblesse physique, se séparaient en pleurant de leurs officiers, compagnons de leurs dangers et de leurs misères.

Bazaine livrait avec Metz, 173.000 hommes — dont 20.000 malades ou convalescents — 1570 canons, 137.000 chassepots, 423.000 armes diverses. Au revoir, dans un mois, à Paris ! disait-il à ses familiers. Il revint à Paris plus tard qu'il le croyait, et pour subir le châtiment. Le 10 décembre 1873 un Conseil de guerre le condamnait à mort pour avoir capitulé en rase campagne sans avoir épuisé ses moyens de défense, ni fait tout ce que lui prescrivaient le devoir et l'honneur. Sa peine fut commuée en une détention perpétuelle à Pile Sainte-Marguerite ; il s'évada et alla végéter à Madrid. Si, au lieu d'intriguer, il avait simplement tenu bon en ramassant dés le 17 août les vivres du voisinage et en ne cessant d'inquiéter l'ennemi, il n'aurait rendu Metz qu'au mois de décembre, et la province eût peut-être dégagé Paris. Jusqu'à la capitulation du 27 octobre, l'Allemagne n'avait que deux armées, la première devant Paris, la seconde devant Metz, et il lui manquait une troisième armée pour accabler les forces qui s'organisaient dans les départements et se préparaient à secourir la capitale. Metz conquis, elle put envoyer à temps Manteuffel sur la Somme et Frédéric-Charles sur la Loire. Les 160.000 hommes du prince rouge sont les mêmes qui briseront les attaques de Faidherbe et de Chanzy.

 

Un mois avant Metz avait succombé Strasbourg, ce grand boulevard de la France sur le Rhin, la ville merveilleusement belle que l'Allemagne revendiquait depuis deux cents ans, qu'elle n'avait cessé de revendiquer dans les chants de ses poètes et qu'elle ressaisissait en annonçant qu'elle reprenait son bien pour le garder à jamais.

Ce fut le 7 août, au lendemain de Frœschwiller, que la capitale de l'Alsace eut le pressentiment de sa destinée. Ce jour-là se pressait devant elle un flot de vaincus, les uns isolés, les autres en bandes, quelques-uns blessés, tous exténués de fatigue, souillés de boue, sans armes et sans sacs, la figure sombre, les yeux baissés, et au milieu d'eux, comme à chaque invasion, comme en 1793 et en 1815, les pauvres fugitifs du plat pays poussant leurs troupeaux et traînant les longues voitures où étaient entassés leurs meubles et leurs fourrages. La ville fut aussitôt mise en état de siège. Mais que pouvait-elle contre les envahisseurs ? Ducrot n'avait-il pas dit qu'il s'en rendrait maître en huit jours ? Pas de forts détachés ; les successeurs de Vauban s'étaient contentés d'accumuler les ouvrages extérieurs. Pas de casemates, il fallut couper les arbres des remparts, les appuyer contre le terre-plein et faire ainsi de mauvais blindages. Un matériel d'artillerie considérable, mais très médiocre. Le génie ne comptait que huit soldats, huit sous-officiers et cinq officiers, dont le directeur des fortifications. La garnison, véritable habit d'Arlequin, comprenait le 87e, un bataillon du 21e, deux détachements du 74e et du 78e, quatre dépôts, des hommes de toutes armes échappés de Frœschwiller et formant deux régiments de marche, quatre bataillons de mobiles, deux escadrons de lanciers, cinq cents pontonniers, cent vingt marins commandés par l'amiral Excelmans et le capitaine Dupetit-Thouars, environ 15.000 hommes dont 10.000 combattants réels. Le gouverneur était le général Uhrich, rappelé du cadre de réserve, âgé de soixante-huit ans, ne connaissant ni la place, ni la population, ni ses lieutenants. Mais le général de Barrai, déguisé en paysan, traversa les lignes allemandes et vint prêter à Uhrich une aide efficace.

Uhrich eut à peine le temps de palissader les glacis, d'abattre les arbres des routes, de détruire le couvent du Bon-Pasteur en face de la Robertsau, les brasseries et malteries de Schiltigheim, les sapins et les saules du cimetière Sainte-Hélène, toutes les riantes maisons dont la place était depuis longtemps entourée. Le 11 août paraissait la division badoise, bientôt renforcée par la garnison de Rastatt, par la division de landwehr de la garde et par la lre division de réserve. Le 16, les Français tentaient une sortie : une grande reconnaissance, conduite par le colonel Fiévet, se dirigea sur Illkirch ; les troupes, prises de panique, s'enfuirent en abandonnant trois pièces ; Fiévet fut mortellement blessé.

Le général de Werder commandait le corps de siège. Sur l'ordre de Moltke qui désirait s'emparer de Strasbourg au plus vite, il bombarda la ville pour brusquer la capitulation par la terreur. Le 23 août, de neuf heures du soir au lendemain à huit heures du matin le canon allemand ne cessa de tonner et de jeter des projectiles sur presque tous les points. Mais la nuit du 24 fut la nuit terrible, la nuit vraiment destructrice dont les Strasbourgeois ne se souviennent qu'avec frémissement. Sans répit ni trêve, durant plusieurs heures, une pluie de fer s'abattit sur les maisons et sur les édifices publics. Toute la nuit retentit le cri lugubre des guetteurs postés sur la plate-forme de la cathédrale : Au feu ! Au feu, Temple neuf ! Au feu, rue du Dôme ! Au feu, Broglie ! Au feu, rue de la Mésange ! Au feu, place Kléber ! Au feu, quai Finckmatt ! Au feu, rue du Bouclier ! Toute la nuit s'élevèrent des colonnes de flammes qui répandaient leur lueur sur Strasbourg et les environs. Toute la nuit on entendit le sifflement des obus, le pétillement de l'incendie, le fracas des tuiles et des cheminées qui tombaient, les gémissements des mourants et les clameurs des gens qui s'agitaient éperdus et appelant au secours. Le musée de peinture et la Bibliothèque avec ses livres rares et ses manuscrits précieux n'existaient plus. Le lendemain, l'évêque Raess se rendit au quartier-général allemand pour demander la fin du bombardement ; il ne put franchir les avant-postes, et la nuit du 25 août égala celle du 24 en désolation et en effroi. De même que la veille, les flammes brillaient et bruissaient partout, à la gare, au faubourg national, à l'hôpital civil. La rue du Fort fut consumée tout entière. La cathédrale reçut une grêle de projectiles ; ses dentelles de pierres volèrent en éclats ; la toiture de sa nef s'embrasa ; son énorme masse, environnée et illuminée par le feu, offrit un spectacle à la fois grandiose et horrible. Mêmes ravages et mêmes ruines dans la nuit du 20 août, au faubourg de Pierres, au faubourg National, au marais Kageneck, à la cour Marbach. Le 27, le palais de justice avec ses-archives et ses dossiers flambait à son tour. La chaleur des incendies était si intense qu'elle fit fondre clans l'arsenal les ailettes des boulets. Pourtant, l'assiégeant se relâcha. Mais que de désastres encore ! Et que de bâtiments s'effondrèrent sous les bombes ! La caserne de la Finckmatt brûla le 6 septembre ; le théâtre, le 10 ; la préfecture, le 20, et clans les faubourgs le feu ne s'éteignait plus. Les victimes furent nombreuses, et bien souvent passèrent par les rues les brancards qui transportaient les blessés aux ambulances et la petite voiture qui recueillait les morts pour les déposer dans l'intérieur de la ville au Jardin Botanique transformé en cimetière.

Le 11 septembre, trois délégués de la Suisse vinrent donner des sauf-conduits aux femmes et aux enfants de Strasbourg. Ils virent les magasins fermés, les fenêtres barricadées, les soupiraux des caves où vivaient les assiégés, bouchés avec des pierres et du fumier. Ils racontèrent la catastrophe de Sedan et l'installation d'un nouveau gouvernement. Une commission extraordinaire avait déjà remplacé le Conseil municipal. Le maire Humann se démit et son successeur fut le simple, probe et savant docteur Küss qui devait mourir quelques mois plus tard, mourir de douleur à Bordeaux, loin des siens et de l'Alsace. Le préfet impérial, le baron Prou, se retirait en même temps. Le préfet de la défense nationale parut presque aussitôt. C'était Edmond Valentin, ancien représentant à la Législative. Il usa pénétrer dans Strasbourg, à travers les lignes allemandes. Arrêté deux fois et deux fois relâché, par les ennemis grâce à son passeport américain et à sa parfaite connaissance de la langue anglaise, il parvint jusqu'au quartier-général allemand, à Mundolsheim, et resta deux jours entiers dans la maison même où Werder faisait ses repas. Des paysans le reconnurent, mais ils ne le trahirent pas ; ils passaient à côté de lui en murmurant : Bonsoir, monsieur le préfet. Le 19 septembre, au soir, Valentin se glisse vers Schiltigheim et, remarquant à la lueur des cigares et des pipes que les soldats se rapprochent des batteries pour recevoir leur ration de café, il franchit d'un bond la tranchée dégarnie, se laisse choir dans un champ de pommes de terre et de maïs, demeure à plat ventre quelques minutes, puis se dirige à quatre pattes vers le glacis. Les tiges qu'il remue, révèlent sa présence, et les balles, les boulets le poursuivent ; il marche néanmoins, et au bout de trois quarts d'heure, arrive tout près de l'Aar en avant de la lunette 56. Il se jette à la nage, mais s'embarrasse dans des herbes et des roseaux. Sans hésiter, il retourne au point de départ, remonte un peu plus haut, aborde en un endroit dégagé, gagne la place d'armes du chemin couvert, tombe à plusieurs reprises dans des trous de bombes et touche enfin au fossé inondé qui couvre la lunette 56. Il hèle la sentinelle. Personne ne se montre. Épuisé, grelottant de froid, il se jette derechef à la nage, traverse le fossé, s'élève péniblement jusqu'à la base du parapet, puis jusqu'au sommet, et se redresse en criant France, France ! On lui tire des coups de fusil ; aucun ne l'atteint. Un vieux zouave le couche en joue ; un caporal du 75e abat l'arme du zouave. Valentin prisonnier est enfermé dans un pavillon du jardin Lips où il se réchauffe et dort en un bon lit de plumes au milieu des obus qui pleuvent autour de lui et ébranchent les arbres du Contades. Le lendemain, à six heures du matin, on le conduit à Uhrich. Il ôte de sa manche où il l'avait cousu, plié dans une toile cirée, le décret qui le nommait préfet du Bas-Rhin. Le soir, son hôtel était incendié. Vous avez dans la même journée, lui disait Uhrich, subi les deux épreuves de l'eau et du feu.

L'héroïque Valentin n'était entré dans Strasbourg que pour assister à la capitulation. Le 29 août, Werder, convaincu que la ville ne céderait pas aux obus, avait commencé l'attaque régulière contre le saillant nord-ouest de la fortification, entre les lunettes 52 et 53, du côté de la porte de Pierres. Mais, de Kehl, il ne cessait de bombarder la citadelle pour priver la garnison de son dernier refuge. La première parallèle, appuyée d'une part à Schiltigheim et d'autre part à la voie ferrée, fut tracée dans la nuit du 29 au 30 août. La deuxième était terminée le 9 septembre, et cinq jours plus tard, les Allemands disposaient sur leur front de 172 bouches à feu et de 120 fusils de rempart.

La défense était impuissante. Une sortie du 87e qui devait troubler les travaux des assiégeants, eut lieu le 2 septembre sur Kronenbourg ; elle fut repoussée. Il ne restait qu'à combattre à coups de canon. Mais les Allemands visaient si juste qu'ils mettaient toutes les pièces de la place hors de service ; sitôt qu'elles apparaissaient dans une embrasure, elles étaient retournées, renversées, démolies. L'artillerie française, réduite à des silences fréquents et prolongés, ne démonta durant tout le siège que trois pièces de l'adversaire. Il fallut donc, sans attendre une attaque de vive force, abandonner le 19 septembre la lunette 44, abandonner le 20 septembre la lunette 53, abandonner le 22 septembre la lunette 52. Le système des ouvrages extérieurs, comme disait Uhrich, s'égrenait de même que les perles d'un collier dont le fil est rompu. L'ennemi occupa la lunette 52 en passant le fossé sur un pont de tonneaux, chemina le long de la caponnière, couronna le glacis jusqu'en face de la lunette 51 et battit en brèche les bastions 11 et 12 dont le terre-plein fut bientôt intenable.

Le 18 septembre, la commission municipale, perdant toute espérance de secours, avait prié Uhrich de capituler, et Uhrich lui avait demandé un peu de patience : Strasbourg, disait-il, était l'Alsace même ; tant que le drapeau de la France flotterait sur les murs de Strasbourg, l'Alsace serait française ; Strasbourg tombé, l'Alsace serait allemande. Mais le 27 septembre les chefs du génie annonçaient au gouverneur que la brèche du corps de place était praticable et que l'assiégeant pouvait donner l'assaut le lendemain matin, le soir même ou, s'il le voulait, dans deux heures. Le Conseil de défense se réunit et reconnut que les ennemis, dirigeant sur la brèche le feu de leurs batteries, auraient dissipé, écrasé la garnison avant d'ébranler leurs colonnes et qu'ils arriveraient aux remparts sans trouver d'obstacle. Ne fallait-il pas épargner à Strasbourg les horreurs d'un sac ?

Le même jour, à cinq heures du soir, le canon se tait soudainement, et sur la cathédrale ainsi qu'au sommet des bastions apparaît le drapeau blanc. Aussitôt les soldats allemands escaladent leurs parapets, poussant des hourrahs sans fin, entonnant des chants de triomphe, allumant des feux de joie. Mais quelle scène différente dans la ville ! On s'assemble, on se porte à l'hôtel du Commerce où siège la commission municipale, à la préfecture, au quartier-général. On proteste avec colère contre la capitulation. Quoi ! Strasbourg ne serait plus français ! On parcourt les rues en chantant la Marseillaise, en criant : Aux armes, à bas les traîtres ! On propose de remplacer Uhrich par Excelmans. On veut enlever le drapeau blanc qui flotte sur la cathédrale. On tire des coups de fusils contre la flèche. Mais Uhrich se présente sur le seuil du quartier-général, ouvre sa porte à deux battants, prie la foule de nommer des délégués il s'entretient avec ces députés du peuple et leur jure qu'il n'a plus la moindre chance et le moindre espoir.

Déjà deux négociateurs se rendaient au camp allemand. Le 28 septembre, à deux heures du matin, la capitulation était signée. A onze heures, les troupes, prisonnières de guerre, quittaient la ville. Les Strasbourgeois, émus et pleurant, entouraient leurs défenseurs, les regardaient une dernière fois, leur serraient les mains : Au revoir, leur disaient-ils, vous nous reviendrez ! Uhrich, Barrai, Excelmans et l'état-major précédaient à pied la colonne française. Dès que Werder aperçut Uhrich, il descendit de cheval et embrassa le général en le félicitant de sa belle résistance. Derrière Uhrich venaient les douaniers, les marins, les artilleurs, graves, résignés ; puis, pêle-mêle, sans ordre ni discipline, le reste de la garnison, ivre de vin et de rage, brisant ses armes ou les jetant dans les fossés.

Ainsi tomba Strasbourg, après avoir supporté le bombardement durant trente et un jours sans laisser un seul instant abattre son courage et sans proférer une plainte. Ses trois compagnies franches, ses batteries d'artilleurs volontaires, ses sapeurs-pompiers payèrent courageusement le tribut du sang à la patrie. Passant, lisait-on sur un pan de mur,

Passant, va dire au monde avec quelle constance

Strasbourg a su souffrir pour rester à la France.

Schlestadt et Neuf-Brisach ne tardèrent pas à subir le sort de Strasbourg. Les deux places furent investies par la 4e division de réserve que le général de Schmeling avait rassemblée dans le Brisgau. Schlestadt aux vieilles murailles sans abris ni casemates, capitula le 24 octobre après une courte et violente canonnade qui démonta les pièces des remparts et rendit les casernes inhabitables. Neuf-Brisach se défendit plus énergiquement et ne sonna la chamade que lorsque l'artillerie allemande eut converti certains de ses quartiers en véritables carrières ; le 10 novembre la garnison sortait de la ville, et les habitants massés à la porte lui faisaient leurs adieux au cri de : Vive la France !

La plupart des forteresses de l'Est avaient déjà succombé. Toul qui commandait la grande route et la ligne du chemin de fer, repoussa deux attaques, et pendant quelque temps les Allemands durent faire de pénibles détours pour éviter son canon ; mais le 23 septembre, sous le feu des batteries établies au mont Saint-Michel, Toul ouvrait ses portes. Deux places de l'Aisne, Laon et Soissons, se rendirent l'une, le 9 septembre, l'autre le 15 octobre : à Laon, le garde Hanriot, fou de douleur, fit sauter la poudrière, et cette explosion coûta la vie à trois cents Français ; à Soissons, la défense active, vigoureuse, ne put vaincre l'ascendant d'une artillerie postée sur la montagne Sainte-Geneviève et sur le mont Marion. De même que Toul, Verdun avait refoulé d'abord une première tentative dirigée le 24 août par le prince royal de Saxe ; la garnison, renforcée par des prisonniers évadés de Sedan, exécuta de nombreuses sorties ; ses pièces ripostèrent souvent avec bonheur à celles de l'assiégeant ; mais, le 3 novembre, lorsqu'il vit plus de cent bouches à feu largement approvisionnées se déployer devant la ville, le gouverneur, Guérin de Waldersbach, consentit à traiter ; grâce à sa résistance énergique et audacieuse, il obtint que le matériel de guerre serait après la paix restitué à la France. Puis ce fut le tour de Thionville (21 novembre), de Montmédy (14 décembre), de Phalsbourg qui ne tomba que faute de vivres (12 décembre), de Mézières (1er janvier). Rocroy avait été bombardé le 5 janvier durant quatre heures par des pièces de campagne, et les Allemands se retiraient lorsque le commandant accepta la dernière sommation. Longwy, accablé par des batteries qui s'étaient installées sur les hauteurs voisines, à Mexy, à Romain et au mont du Chat, céda le 25 janvier. Seules des places de l'Est, Langres et Bitche n'arborèrent pas le drapeau blanc. Langres dont la garnison inquiéta fréquemment les détachements et les convois de l'ennemi, allait être assiégé quand l'armistice fut conclu. Le fort de Bitche est imprenable ; deux batteries se bornèrent à l'observer jusqu'à la fin des hostilités.

Au milieu de ces sièges et des opérations des armées, l'envahisseur administrait le pays occupé. Des gouverneurs généraux, secondés par des commissaires civils et par des préfets et sous-préfets allemands, appuyés par des bataillons de campagne et de landwehr qui formaient les troupes d'étapes, assuraient les communications, protégeaient le transport des subsistances et du matériel, mettaient le territoire à contribution, s'opposaient aux levées nationales en surveillant les hommes valides, notamment dans l'Alsace et la Lorraine. D'impitoyables représailles étaient méthodiquement exercées, comme à Bazincourt, contre les paysans qui défendaient leur village. On rendait responsables les localités où des francs-tireurs tuaient ou blessaient un Allemand. Ablis fut brillé parce qu'un corps franc y avait surpris un escadron de hussards. Etrépagny, Cherizy et, aux environs de Mantes, les communes de Mézières, de Parmain, de Dannemois, de Moigny eurent un sort pareil. Lorsque les partisans des Vosges détruisirent dans la nuit du 22 janvier le pont de Fontenoy entre Frouard et Toul, le village fut incendié et la Lorraine, frappée d'une contribution extraordinaire de dix millions. Un sous-officier reçut un coup mortel près de Vaux dans les Ardennes ; on rassembla les habitants de l'endroit, au nombre de quarante, et on les enferma dans l'église en les sommant de désigner trois d'entre eux qui furent fusillés. On prenait des otages pour les envoyer en Allemagne. On faisait monter les notables du pays sur les locomotives des trains.

 

Il n'y eut sur mer que des événements sans importance. L'escadre de l'amiral Bouët-Willaumez, partie de Cherbourg le 24 juillet, sous les yeux de l'impératrice et aux acclamations de la foule, croisa durant les premières semaines d'août en vue du littoral de la Baltique. Dans le même temps, une autre escadre, commandée par Fourichon, jetait l'ancre à Heligoland. Mais la mer était très grosse. Au mois de septembre, la flotte française revenait à Cherbourg, sans avoir rien fait. Elle reparut en décembre dans la Baltique ainsi qu'aux bouches de l'Elbe et enleva de nombreux bâtiments de commerce. En revanche, au mois de janvier 1871, la corvette prussienne Augusta capturait à l'embouchure de la Gironde deux vaisseaux marchands et un vapeur chargé de vivres. Le seul combat naval qui mérite une mention, se livra le 9 novembre 1870 dans les parages de la Havane entre l'aviso français le Bouvet et la canonnière prussienne le Météore. Le Bouvet essaya de couler l'adversaire et lui démonta son grand mât et son mât de misaine ; mais une de ses chaudières fut perforée par un boulet, et il dut, avec le Météore, gagner le port neutre de la Havane.