DUMOURIEZ

 

CHAPITRE PREMIER. — LES DÉBUTS.

 

 

LA FAMILLE ET LE NOM DE DUMOURIEZ — SA NOBLESSE — ENFANCE ET ÉDUCATION — PREMIÈRES CAMPAGNES — À LA VEILLE DE KLOSTERKAMP — LA CROIX DE SAINT-LOUIS.

 

NÉ le 25 janvier 1739 à Cambrai où son père était commissaire des guerres, Charles-François Du Périer du Mourier — telle est la vraie forme du nom de Dumouriez — dira volontiers qu'il est Wallon ; il aura soin de rappeler en 1792 et en 1793 aux habitants de la Flandre qu'il est leur compatriote.

Mais par ce qu'il a de preste, de vif et d'étincelant il semble plutôt un homme du Midi qu'un homme du Nord. Sa famille est, en effet, issue de la Provence. Il compte parmi ses ancêtres un damoiseau, Isnard du Perier, syndic d'Aix en 1337, et ce Du Perier dont Malherbe a chanté la fille :

Ta douleur, Du Perier, sera donc éternelle.

Son nom de Dumouriez vient de sa trisaïeule et de sa bisaïeule. Claude, son trisaïeul, et François, son bisaïeul, épousèrent chacun une Anne De Mourier ; ils eurent beaucoup d'enfants certains de leurs fils, pour se distinguer des autres, prirent le nom de leur mère. Lorsque naquit le général, ces deux noms de Du Perier et de De Mourier roulaient indistinctement depuis plus d'un siècle entre les frères de la même famille. A Paris, De Mourier devint, par corruption, Du Mourier ou Du Mouriez.

Dumouriez est donc noble il porte d'azur à la bordure dentelée d'or, à la bande d'or surmontée d'une tête de lion, arrachée et couronnée de même. Son père aimait à dire que la famille était une famille provençale, noble de toute ancienneté, qui n'avait fait aucun acte de dérogeance et qui, malgré les revers dont elle fut accablée à la fin du XVIIe siècle, n'avait jamais perdu les sentiments qu'elle tenait de son origine. Lorsque Dumouriez reçut le grade de cornette en 1758, ses preuves de noblesse furent trouvées bonnes : Vérifier, avait dit Belle-Isle, s'il est gentilhomme. Bien qu'il ait passé quelquefois pour un officier de fortune et pour un roturier, bien que, lorsqu'il fut officier général, il n'ait pris, contre la coutume, aucun titre, les jacobins avaient raison d'affirmer qu'il était de la caste et de race. En 1764, quand il se rend en Espagne, il se munit d'un certificat de noblesse. En 1793, il déclare à Mack qu'une monarchie bien ordonnée ne peut exister sans noblesse ; en 1794, dans la préface de ses Mémoires, il assure que la noblesse, étant une récompense de la vertu, devient une propriété, un caractère ineffaçable pour la descendance de l'homme vertueux ; en 1795, il se moque d'un gouvernement qui proclame l'égalité et qui chasse les nobles des emplois publics uniquement parce qu'ils sont des nobles.

Le père de Dumouriez, Antoine-François, servit d'abord dans le régiment de Picardie où il avait six de ses frères. En 1733, son mariage avec une demoiselle de Châteauneuf, cousine du fameux Bussy qui commandait aux Indes, lui valut une charge de commissaire des guerres. Il eut de cette union, outre un fils, Charles-François, notre général, deux filles, l'une qui fut ursuline à Pontoise et devint abbesse de Fervacques, à Saint-Quentin ; l'autre, mariée à un Saxon, le baron de Schomberg, qui obtint en 1784 le brevet de lieutenant général au service de la France.

Dumouriez eut une enfance pénible. Noué jusqu'à six ans et demi, traîné dans une chaise roulante, emmailloté de fer, il fut confié par bonheur à un chantre de la cathédrale de Cambrai, l'abbé Fontaine, qui le garda durant trois années et lui donna les meilleurs soins. Grâce à Fontaine, l'enfant se redressa, se fortifia. Mais, lorsqu'il rentra dans la maison paternelle, sa mère était morte.

Antoine-François Dumouriez, le père, avait beaucoup de savoir ; il aimait les arts ; il était peintre, musicien et poète il traduisit le Richardet de Fortiguerra. Il se piquait de pédagogie il ne permit pas que son fils apprît rien par cœur la mémoire, selon lui, était une faculté à ne pas cultiver parce qu'elle nuisait au jugement. Ce fut lui qui enseigna le latin à Charles Dumouriez six mois suffirent pour que l'enfant pût entrer en troisième au collège Louis-le-Grand. Il y passa trois ans, non sans succès, et en sortit après sa rhétorique. Les jésuites, ses maîtres, et leur principal, le père Latour, lui laissèrent un bon souvenir ; il a dit depuis qu'ils étaient gens d'esprit, qu'ils savaient élever les âmes par l'amour-propre et inspirer le courage, le désintéressement, l'abnégation.

Il voulut même appartenir à leur ordre. Les Lettres édifiantes et les récits du P. Maimbourg et du P. Charlevoix l'avaient enflammé du désir de voyager ou d'être missionnaire. Son père se garda de le contrarier ; il lui fit lire Montaigne, Pascal, Bayle, Voltaire huit mois après, Dumouriez s'écriait : Je serai tout ce qu'on voudra, excepté moine.

Durant deux ans, de 1753 à 1755, il étudia sous la direction de son père les langues étrangères, italien, espagnol, anglais ; il eut un maître d'allemand il dévora tous les ouvrages de la bibliothèque paternelle. Sa passion pour la lecture était ardente, infinie. Elle devait le soustraire à la mort la veille de Klosterkamp, il reçut une balle à la hanche mais il avait dans sa poche un exemplaire des Provinciales le projectile traversa la moitié du livre et y resta.

Il tient beaucoup de son père. Antoine-François, qui n'avait quitté qu'à regret le régiment de Picardie, se targuait de connaissances militaires ; en 1757, il assurait sur un ton avantageux qu'il avait, non pas seulement approvisionné les troupes de l'Ost-Frise, mais qu'il les avait sauvées par de sages mesures de défense. Dumouriez, lui aussi, se piqua d'avoir, selon le mot de son père, quelques ressources dans les idées ; lui aussi, comme son père, fut ardent, ambitieux, inquiet, toujours mécontent de son état et tourmenté du besoin de s'élever plus haut ; mais il eut plus de souplesse et plus de chance.

De bonne heure il montra des dispositions martiales et le goût des exercices physiques. En 1755, à Versailles, chez un de ses oncles, Du Perier Du Mourier de la Geneste, premier commis des bureaux de La Vrillière, il apprit l'équitation au manège de la vénerie. et l'escrime avec les pages du roi. En 1756, il achevait son éducation chez son père, à Saint- Germain-en-Laye, lorsque la guerre éclata l'année suivante, Charles accompagnait Antoine-François à l'armée de Hanovre.

 

Il chevaucha de Maubeuge à Wesel avec un officier d'état-major qui lui expliqua sur le terrain les campagnes du maréchal de Saxe. A Wesel, il servit d'aide de camp au marquis d'Armentières. Près de Brême, à l'attaque du village d'Osterwick, sous les yeux du duc de Broglie, il se joignit aux grenadiers de la légion de Saint-Victor. A Emden, dans l'Ost-Frise, que son père administrait, il apprit à dresser des batteries, et, lorsque l'Ost-Frise fut abandonnée, il fut de ceux qui couvrirent la retraite. Cette campagne de 1757 avait décidé de sa vocation au mois de janvier 1758 il obtenait, grâce à un ami de son père, M. de Cremilles, qui dirigeait le département de la guerre sous le maréchal de Belle-Isle, une place de cornette dans le régiment de cavalerie du vicomte d'Escars. Il ne reçut le brevet qu'à la fin de l'année ; après avoir été volontaire durant six mois dans les garnisons du régiment en Basse-Normandie. Il a, disait le vicomte d'Escars, donné des preuves de son zèle et de son application au service du roi.

Il ne fit en 1759 que la petite guerre, et il eut alors le chagrin de voir son père quitter le service pour toujours. Devenu intendant de l'armée du maréchal de Broglie, Antoine-François se brouilla avec le frère de son chef, le comte de Broglie, maréchal général des logis de l'armée ; il dut se retirer dans une petite terre qu'il acheta près de Saint-Germain-en-Laye et il y mourut en 1769. Le 31 août 1760, Dumouriez se signalait à la retraite de Warbourg ; il ralliait deux cents cavaliers autour d'un étendard de son régiment, sauvait une batterie et recevait, avec deux contusions, une gratification de cent écus dont il donna la moitié à sa compagnie.

Quelques semaines plus tard, le 15 octobre 1760, à la veille du combat de Klosterkamp, il se distinguait de nouveau. Le maréchal de camp Thiard avait demandé un officier pour aller reconnaître les emplacements du fourrage destiné à sa cavalerie. On lui désigna le cornette Dumouriez comme l'officier le plus intelligent. Le jeune homme, en exécutant sa commission, fut attaqué par des hussards ennemis ; il en mit deux hors de combat ; mais son cheval fut tué ; les hussards lui tirèrent presque à bout portant des coups de pistolet et de carabine il eut le visage farci de grains de poudre, les sourcils brûlés, le médius de la main droite enlevé ; il faillit périr ; un aide de camp du prince héréditaire de Brunswick le sauva. Fait prisonnier, Dumouriez ne fut relâché que quatre jours après, lorsque le prince, battu à Klosterkamp, eut opéré sa retraite au delà du Rhin. Il n'avait subi qu'un premier pansement ; il avait vécu de vin et de viande salée à la table du prince héréditaire ; il avait passé les journées à cheval et les nuits sur la paille, sans se déshabiller : ce ne fut qu'au bout de deux mois et lorsqu'on eut ôté de la figure plus de deux cents grains de poudre, qu'il put regagner Saint-Germain-en-Laye. Or raconte Dumouriez à son retour au quartier général de Wesel, il avait remis au marquis de Castries une lettre du prince héréditaire qui faisait son éloge, et ce prince héréditaire, c'était le Brunswick que Dumouriez rencontrera en Champagne trente-deux ans plus tard. Brunswick aurait donc aidé à l'avancement de son futur vainqueur ; car la lettre fut envoyée à Belle-Isle qui comprit Dumouriez dans le travail des grâces. L'anecdote est jolie, mais fausse. Ce fut Thiard qui proposa Dumouriez à Belle-Isle. Ce jeune homme, écrivait-il, pour avoir voulu se défendre avec trop d'opiniâtreté, a reçu cinq blessures dont une lui emporta un doigt ; il demande depuis longtemps une compagnie de cavalerie et m'a assuré que vous lui aviez promis la troisième. Dumouriez eut une compagnie dans le régiment d'Escars. En 1761, en, 1762 il fit de nouveau la guerre d'Allemagne. Mais en 1763, à la paix, le régiment d'Escars ayant été incorporé dans Penthièvre, Dumouriez fut réformé..Le duc de Penthièvre obtint pour lui la croix de Saint-Louis cette grâce, disait le duc, pouvait seule flatter cet officier qui la préférait à une pension, si forte qu'elle pût être ; sans douté Dumouriez n'avait pas l'ancienneté requise et il aurait la croix hors rang ; mais il était estropié des deux bras, couvert de blessures, et il avait servi dans les dernières campagnes avec beaucoup de distinction.

Dumouriez avait juré à son père qu'il serait tué ou qu'il serait chevalier de Saint-Louis il avait tenu parole. A vingt-quatre ans, longtemps avant l'âge, il avait cette croix au petit ruban couleur de feu que tous les militaires de cette époque ambitionnaient, cette croix qui, comme on disait, provoquait tant de belles actions et retenait tant d'officiers au service, cette croix dont l'effet était si grand qu'une foule de Français lui avaient sacrifié leur vie et que leur nombre dépassait celui des martyrs de la religion !