DUGOMMIER

1738-1794

 

CHAPITRE XV. — NÉGOCIATIONS.

 

 

Réflexions de Dugommier sur la Catalogne (12 mai). — Réponse du Comité= et projet d'une république catalane. — Propagande des républicains. Efforts de La Union pour combattre les idées françaises. — Mécontentement des officiers et de la bourgeoisie. — Désirs de paix et d'alliance avec la France. — Plans de Godoy. — La marquise de C... — Son arrivée à Figuières (9 octobre) et ses entretiens avec La Union. — Lettre de Godoy à Dugommier et proposition de transporter les républicains français dans les îles d'Amérique. — Vaines tentatives de La Union pour conférer personnellement avec Dugommier (3 et 5 août). — Correspondance relative à. l'astronome Méchain. — Le payeur français Simonin à La Bisbal. — La négociation amorcée par Simonin. — Première lettre de Simonin. — Le rameau d'olivier. — Réponse de Dugommier. — Instructions du Comité aux représentants Delbrel et Vidal. — Deuxième et troisième lettre de Simonin. — Propositions espagnoles. — Louis XVII, roi du Roussillon. — Réplique indignée du Comité.

 

L'armée des Pyrénées-Orientales avait, comme disait Dugommier, le pied en Espagne. Dès le mois de mai, elle entamait la Catalogne et allait, selon toute vraisemblance, la conquérir. Le 12 mai, Dugommier communiquait ses réflexions sur ce sujet au Comité de salut public. La Catalogne, écrivait-il, était riche ; elle produisait des moissons de toute espèce ; elle avait des manufactures, des mines, des ports. Ne faudrait-il pas la réunir à la République ? Elle offrirait à la France un boulevard plus assuré que les Pyrénées. Le Catalan, brave, actif, appliqué, détestait l'Espagne ; il aimait la liberté, et, lorsqu'il aurait en outre l'égalité, cette reine du peuple, lorsqu'il aurait la fraternité, dont le drapeau flottait à la tête de l'avant-garde française, il. se donnerait à la République et se franciserait en peu de temps.

Le Comité ne goûta pas les idées de Dugommier. Il refusa de réunir la Catalogne. Les conquêtes de la France, répondit Couthon aux représentants Milhaud et Soubrany, devaient être nécessaires à sa propre sûreté. Or la Catalogne était très éloignée du centre d'action de la République, et de longtemps elle ne pourrait, à cause de la différence du langage et des habitudes, s'identifier avec nous. Mieux valait faire de la Catalogne une République indépendante sous le protectorat de la France. Devenue département français, elle serait aussi difficile à conserver que l'était l'ancien Roussillon. Libre, intéressée par là même à sa propre défense, elle serait une barrière éternelle entre la France et l'Espagne. Il fallait donc, ajoutait Couthon, la lier à la République par les besoins, par les principes, et tout en ménageant le culte auquel elle était attachée, lui inspirer l'amour de la liberté et le mépris des mômeries espagnoles ; il fallait protéger la classe indigente et laborieuse, mais écraser les riches, les accabler de contributions, les prendre pour otages ; il fallait introduire la langue française, créer des routes, multiplier les rapports avec la France, et c'est pourquoi le Comité recommandait, comme un point essentiel de politique, de détruire la fonderie de Saint-Laurent-de-la-Mouga ; la France devait tout fournir au nouvel État[1].

Les Français s'efforcèrent donc de gagner les Catalans à leur cause. Dès qu'ils eurent franchi les Pyrénées, ils commencèrent une active propagande. Une société populaire fut fondée à Puycerda, et les représentants exhortaient les sans-culottes qui composaient ce club à prêcher autour d'eux les vérités éternelles de la raison, à instruire une nation ignorante et abrutie sous le joug de toutes les tyrannies. Les proclamations des commissaires, la déclaration des droits de l'homme, la constitution de 1793, l'adresse de la Convention au peuple français, les grands discours des principaux orateurs de l'assemblée, comme le discours de Robespierre sur les fêtes publiques et celui de Barère sur les secours donnés aux indigents, étaient réimprimés en espagnol ou en catalan, et répandus, semés de tous côtés, jetés sur les chemins, attachés aux arbres. Assez souvent — avant la guerre à mort — les soldats français abordaient les soldats espagnols et leur vantaient les douceurs du nouveau régime, leur reprochaient de se battre pour un despote, les engageaient à déserter ou à ménager, à épargner leurs frères les républicains. Lorsqu'ils arrivaient près d'un village, ils appelaient les habitants, et parfois on déposait les armes de part et d'autre, on causait cordialement ; les Français assuraient que la République était le meilleur des gouvernements, qu'elle rendrait les paysans libres et heureux, qu'elle rebâtirait les maisons brûlées, et de temps en temps une sentinelle espagnole, attirée par la curiosité, venait se mêler à la conversation.

La Union résista de tout son pouvoir à la propagande de ces républicains qui faisaient la guerre, selon son expression, avec la plume et avec l'argent plus même qu'avec le feu et l'épée. Dans ses proclamations aux Catalans, il les mettait en garde contre les principes séduisants des pervers et, dans ses lettres à ses lieutenants, il les exhortait à montrer aux populations la fausseté des maximes que les envahisseurs savaient revêtir de couleurs agréables. Il ordonnait de tirer sur tous les Français qui s'approchaient du camp, à moins qu'ils ne fussent déserteurs ou parlementaires. Il interdisait, sous peine de mort, aux habitants de la frontière tout rapport avec les Français et même avec les Espagnols du pays conquis. J'aime mieux, écrivait-il, être moins bien informé, et je veux, avant tout, empêcher que l'air français ne corrompe le nôtre. Il enjoignait de saisir et de brûler les brochures révolutionnaires et papiers séditieux : tout soldat devait remettre au général les exemplaires qui tombaient entre ses mains. Il fit faire dans les tentes les plus exactes perquisitions. Il défendit aux émigrés et aux familles de Catalogne d'avoir aucun domestique français.

Des corps d'émigrés servaient dans son armée. La légion du Vallespir, composée de 250 hommes, Roussillonnais pour la plupart et conduite par le brave Antoine de Costa, semblait à La Union digne de toute confiance. Mais le régiment de Royal-Roussillon et la légion royale et catholique des Pyrénées, commandés par le comte de Caldaguès[2] et le comte de Panetier, comptaient dans leurs rangs un grand nombre de déserteurs et de prisonniers de l'armée française, jacobins fervents, qui propageaient parmi les Espagnols les idées nouvelles. La Union fondit Royal-Roussillon avec la légion des Pyrénées, qui prit le nom de légion de la Reine et reçut pour chef le comte de Clairac. Néanmoins l'esprit républicain régnait encore dans la légion de la Reine. La Union lui ôta son nom et finit par la transformer complètement.

Il envoya les prisonniers français très loin de la frontière jusqu'à Séville, jusqu'aux Baléares, et mil d'entre eux ne put communiquer avec les habitants. Vous ne vous contentez pas, leur écrivait-il, d'avoir violé dans votre patrie toutes les lois divines et humaines, d'y avoir introduit l'anarchie et l'impiété ; il y a parmi vous des insensés qui tachent d'en faire autant chez nous, et on les regarde comme des pestiférés, puisque l'infection morale qu'ils veulent répandre autour d'eux est plus nuisible que l'infection physique !

Mais il reconnaissait que les idées de la nation française étaient plus dangereuses que ses armées. La contagion avait atteint beaucoup de ses officiers, les plus jeunes surtout. Ils ne lisaient pas impunément ces pamphlets oh la France était représentée comme une 'nation généreuse et désintéressée, qui n'entendait rien conquérir au-delà des Pyrénées, rien changer au gouvernement et à la religion. Ils ne dissimulaient pas leur lassitude et leur dégoût. Pourquoi faisait-on la guerre ? En tirait-on quelque avantage ? N'était-ce pas folie que de vouloir convertir les Français ?

Les bourgeois instruits pensaient comme les officiers. L'alliance anglaise était pour eux l'abomination de la désolation. Ils comprenaient, selon le mot d'un Français, qu'ils faisaient une guerre de dupes, une guerre qui rendait l'empire colonial des Anglais plus grand encore. Ils désirent la paix, marquait Dugommier au Comité, et consentiraient aux humiliations pour l'obtenir ; ils détestent les Anglais et prononcent leur nom avec horreur ; ils se ligueraient volontiers avec nous pour les détruire. Le ministre de la marine Valdès refusait d'employer sa flotte au profit du cabinet britannique et déclarait que les vaisseaux espagnols devaient, non pas combattre les Français et faire de hasardeuses entreprises, mais défendre les côtes d'Espagne contre les corsaires. La Union croyait sincèrement que l'Angleterre méditait la ruine de sa patrie : Je suis persuadé, avouait-il, qu'elle cherche à réduire au néant l'Espagne tout comme la France. Lorsque les représentants s'abouchèrent avec le gouverneur de Figuières, André de Torrès, et ses deux lieutenants Ortuzar et Allende, ces trois Espagnols manifestèrent énergiquement leur haine contre l'Angleterre et leur désir d'une alliance entre l'Espagne et la République française[3].

L'Espagne inclinait donc à la paix. Ricardos ne disait-il pas, au mois de juin 1793, à Dubois-Brullé, que la guerre était une querelle d'amants qui cesserait dès que les Français seraient devenus plus raisonnables ? Vainement Godoy affirmait, en janvier 1794, que le roi ferait trois campagnes plutôt que de reconnaître la République et, en février, que lui, Godoy, mettrait sur pied 100.000 hommes, qu'il irait même au camp encourager les soldats. Vainement le clergé assurait qu'il fallait s'opposer aux progrès de l'idolâtrie, que la continuation des hostilités contre une République impie était un devoir religieux. La défaite du Boulou accrut le mécontentement. Les ennemis de Godoy et de la reine attaquèrent un gouvernement incapable et prodigue. Des pamphlets réclamèrent la convocation des Cortès. Godoy fit arrêter plus de soixante personnes ; mais, lorsqu'on lui demandait s'il saurait arrêter l'invasion, il confessait que Figuières. Roses, Girone étaient en mauvais état et que les remparts de Barcelone n'avaient pas été réparés. Il prescrivit de renforcer l'armée par une levée de 40.000 volontaires : quiconque s'engagerait, aurait après la guerre un emploi civil et l'exemption d'impôts pendant six ans. Mais ces volontaires n'étaient pas des soldats, et, malgré les promesses de Godoy, presque personne ne s'enrôla. Qu'on fasse marcher, disait-on, les prêtres et les nobles, les principaux intéressés en cette affaire ! Il fallut racoler des vagabonds au prix de vingt onces d'or ou quadruples d'Espagne comptant. Vint la capitulation de Collioure. Elle fut regardée comme honteuse, et inutilement Godoy prétendit que la défense de la place avait été héroïque. On lui reprocha d'avoir laissé dans Collioure 7.000 Espagnols que les Français devaient tôt ou tard capturer et de les avoir sottement abandonnés. Pourquoi la flotte de Graina n'avait-elle pas empêché Castagnier de débarquer les pièces dont les boulets avaient écrasé Saint-Elme ? Pourquoi n'avait-elle pas sauvé la garnison ? Pourquoi, comme par dérision, se montrait-elle à l'horizon lorsque les troupes de Navarro défilaient vaincues devant l'assiégeant ? Mais Godoy ne pensait qu'au plaisir ; Godoy conduisait le roi et la reine dans un phaéton à six chevaux ; il caracolait sur les promenades ; il recevait les femmes et les filles de ceux qui briguaient une place ou une faveur, et tous les hommes éclairés s'indignaient que l'Espagne fût la proie de ce libertin et de ses compagnons de jeu et de débauche, êtres complètement ignorants, dépourvus d'énergie et qui ne savaient qu'exagérer les succès de leurs alliés les Autrichiens. C'était dans les grandes villes et surtout dans la capitale que grondaient les colères. Certains ne cachaient plus leurs sympathies révolutionnaires. Ils portaient des rubans rouge sang, des cravates tricolores, des gilets à la guillotine. L'opinion, témoigne un diplomate, ne pouvait être maîtrisée que par des victoires. Et les revers succédaient aux revers ! Fontarabie et Saint-Sébastien capitulaient ; les Français de l'armée des Pyrénées-Occidentales occupaient le Guipúzcoa, ils entraient en Biscaye. Le roi, jusqu'alors populaire, fut insulté, maudit. A quoi bon, entendait-on dans Madrid, ces levées de recrues et à quoi bon ces dépenses énormes, puisqu'il n'y a ni armées ni généraux ? Que les Français viennent et qu'ils chassent des gens incapables de régner ! Nous les accueillerons avec acclamations ! L'enchérissement du pain faillit provoquer une émeute. On dut, pour contenir le peuple, doubler les patrouilles et envoyer par les rues de gros détachements de cavalerie. Dans les premières semaines d'août, la cour était abattue, consternée. Quelques-uns proposaient de la transférer à Séville. Une crise semblait inévitable, et Godoy n'avait pour la conjurer d'autre moyen que de s'éloigner ou de conclure la paix avec la France. Un instant le loyalisme des provinces lui rendit cœur, et il parut plus résolu que jamais à poursuivre cette guerre qu'il qualifiait de terrible. Les Cortès de Navarre appelèrent aux armes tous les habitants de quinze à quarante ans. Les États de Biscaye déclarèrent qu'ils sacrifieraient la dernière goutte de leur sang pour la défense de la religion, du roi et de la patrie. Burgos, Logrono, d'autres cités envoyèrent des adresses de dévouement. Godoy réduisit le train. de la cour et rogna les appointements des hauts fonctionnaires ; il fit dire des prières pendant neuf jours ; il lança, le 12 août, une longue, confuse et emphatique proclamation qui trahissait ses craintes et qui, tout en flétrissant les infâmes principes des ennemis et leur esprit de pillage, reconnaissait assez imprudemment leur irrésistible impétuosité. Mais bientôt il apprenait la défaite de Saint-Laurent-de-la-Mouga et il ne doutait pas que Bellegarde capitulerait sous peu de jours. La nouvelle du 9 thermidor le consola ; il envisagea la chute de Robespierre comme une victoire. Il est mort, s'écriait le pauvre Charles IV, il est mort, le bourreau de la République ![4]

L'occasion était propice pour traiter, et Godoy chargea La Union des pourparlers. Bien qu'il eût refusé de contracter avec la prétendue République et accusé les Français de faire la guerre cruelle des barbares, La Union consentit à négocier.

Mais avec qui ? Ces Français de la Révolution, Godoy ne savait, disait-il, par où les prendre. C'étaient des gens inconnus qui ne dépendaient de personne. Je ne vois pas, écrivait-il à La Union, un gouvernement on du moins une assemblée sûre de quelque durée et qui, par ses dispositions, puisse garantir la loyauté si nécessaire dans les conventions internationales.

Le premier moyen qu'il employa répondait bien à la frivolité de son caractère. Il voulut séduire Dugommier.

Dans les commencements d'août, il reçut la visite d'une Française émigrée, la marquise de C.... Elle assurait qu'elle avait autrefois connu Dugommier qui lui montrait quelque inclination, et elle offrait de revoir son ancien ami, de le gagner à la bonne cause ; elle ne demandait qu'un laissez-passer signé de La Union. Le ministre se défiait de cette étrangère : L'imagination exaltée d'une femme jeune, d'une Française surtout, marquait-il à La Union, a pu lui faire concevoir un projet inexécutable. Il se peut aussi que sous le masque du zèle elle cache l'intention de nous tromper ou ne cherche qu'un moyen de remédier à son indigence. Mais Godoy était d'avis qu'il faut, pour sortir d'un mauvais pas, user de tous les expédients. Il envoya Mme de C... à l'armée.

La Union consigna la darne à Barcelone et lui défendit de se rendre au quartier général de Figuières. Il ne croyait pas que Dugommier voulût la revoir. Dugommier, disait-il, a la guillotine en perspective et il sait que cette peine s'inflige sans examen ; son entourage, qui n'ignore peut-être pas son inclination d'autrefois, soupçonnera pourquoi cette dame est venue, et c'en sera assez pour faire décréter la mort de Dugommier. Godoy répliqua qu'il fallait laisser passer la dame et l'aider ; si Dugommier était soupçonné et guillotiné, ce serait toujours un ennemi de moins.

Cependant la marquise, impatientée, avait écrit de Barcelone à La Union qu'elle désirait aller sans retard à Figuières pour s'aboucher avec lui. Il fut très embarrassé. Cette femme n'était-elle pas une espionne ? Et, quand elle serait dévouée à la monarchie espagnole, que penserait l'armée en apprenant que son général, cet homme austère et vertueux, avait de fréquents entretiens avec une inconnue ? Godoy autorisa La Union à traiter l'affaire par lettres. Mais la Française déclara qu'elle ne pouvait s'expliquer que verbalement. Enfin elle obtint la permission de venir à Figuières.

Elle arriva le 9 octobre sous des habits masculins. A. cet instant, parait-il, le cœur lui faiblit. Elle n'osa se rendre au camp français sans s'être assurée qu'elle ne courait aucun danger et, après mainte hésitation, elle résolut de demander à Dugommier sous un prétexte quelconque et sous un nom supposé une lettre d'audience. Mais comment transmettre cette requête ? Par un parlementaire ? C'était révéler la connivence de La Union. Par des soldats ? Par des paysans ? Les républicains savaient quelle étroite surveillance La Union exerçait sur les rapports de l'armée. et de la population avec les Français.

Durant ces conversations, la marquise s'éprit ou fit semblant de s'éprendre de La Union. Il avait la figure à la fois-mâle et douce, une grande distinction de manières, une belle réputation de bravoure et son titre de généralissime. Un jour, elle lui confessa ce qu'elle appelait les nouveaux sentiments de son cœur. Elle tombait mal. Tout en l'accueillant avec politesse, La Union la tint désormais à distance.

Dans les derniers jours d'octobre, une lettre de la dame, au général en chef de l'armée des Pyrénées-Orientales fut envoyée on ne sait par quelle voie. La marquise disait qu'elle avait connu Dugommier en France, qu'elle lui gardait une très sincère estime et voulait lui donner une preuve-de la plus grande confiance. Elle souhaitait de rentrer dans son pays, le Comtat Venaissin, qu'elle avait quitté depuis 1789, avant qu'il fût incorporé à la France. Retenue en Espagne par des parents qui l'avaient mise sous une dépendance tyrannique, elle n'avait pu revenir plus tôt. Mais pourrait-elle revenir ? N'était-elle pas considérée comme émigrée ? Ou bien, puisqu'il lui avait été impossible d'observer la loi, ne serait-elle pas réputée innocente ? Elle sollicitait donc, les conseils d'un homme de bien, et elle irait volontiers dans le camp de Dugommier lui communiquer des affaires très importantes el essentielles. Si le général avait la bonté de lui répondre, il n'avait qu'à écrire à Figuières, à la señora Rosa, sans signer sa lettre.

Quelle était cette aventurière ? Avait-elle réellement connu Dugommier en France avant 1789 ? Serait-ce l'intrigante qui fut plus tard à Madrid, sous le nom de Mme Riflon, l'amie de Pérignon et du duc d'Havré ? Serait-ce la fameuse Mme de Bonneuil ? Quoi qu'il en soit, Dugommier ne lui répondit pas[5].

 

Des négociations plus sérieuses s'engageaient pendant qu'avait lieu cette tentative de séduction[6]. A la fin de juillet, Godoy eut une idée étrange, inouïe, absolument extraordinaire. Il composa du mieux qu'il put une lettre à Dugommier et il pria La Union de la lire au général français dans un entretien particulier sans la remettre pour ne pas laisser aux mains des ennemis une preuve écrite des pourparlers de l'Espagne. La guerre, disait Godoy dans ce singulier factum, traînait en longueur et la République française ne s'affermissait pas ; son territoire était trop étendu, et sa population ne cessait pas depuis cinq ans de s'épuiser. Puisqu'il leur fallait des limites plus étroites, pourquoi les républicains français ne se transportaient-ils pas dans leurs îles d'Amérique pour établir un gouvernement solide ? Le roi de France remonté sur son trône leur garantirait leur sûreté personnelle. Ils trouveraient des alliés comme l'Espagne qui feraient fleurir leur commerce. Godoy invitait Dugommier, qu'une pareille démarche ne pourrait qu'immortaliser, à communiquer ce beau projet à la Convention.

Le ministre jugeait son plan aussi pratique que génial, et il assurait à La Union que cette combinaison terminerait les hostilités, qu'elle flatterait les Français qui laisseraient désormais l'Espagne en repos. La Union ne se payait pas de telles chimères. Il répondit à Godoy que les Français n'accepteraient jamais de semblables propositions et n'admettraient jamais dans leurs négociations rien de contraire à la constitution qu'ils avaient proclamée et défendue. Après avoir soutenu leurs principes avec tant de vaillance dans l'adversité, iraient-ils les abjurer dans la bonne fortune ? Vainqueurs sur toutes les frontières, nombreux, aguerris, quelle autre pensée avaient-ils maintenant que d'établir la République d'un bout à l'autre de leur sol ? Et ils s'aviseraient de s'exiler avec elle dans les colonies d'Amérique ! Je suis, concluait La Union, aussi marri que personne de les voir arriver à leurs fins ; mais nécessité n'a pas de loi. Il était prêt d'ailleurs à s'aboucher avec Dugommier, et il saurait lui prouver que la France et l'Espagne devaient faire la paix pour résister sérieusement à l'Angleterre, leur ennemi commun.

Le 3 août, La Union envoyait aux avant-postes français un parlementaire chargé de voir Dugommier et de lui dire que le général en chef de l'armée espagnole désirait s'entretenir de la capitulation de Collioure avec le général en chef de l'armée française. Un officier de l'état-major accueillit rudement cet émissaire. Va-t'en, dit-il, et annonce à La Union que nous le recevrons avec le canon et la baïonnette ; va-t'en, envoyé d'une nation de traîtres et traître toi-même ! Pourtant le parlementaire fut admis. Dugommier le reçut en présence de son état-major et lui reprocha très vivement la conduite de La Union et de la cour. Vous avez, mandait plus tard La Union à Dugommier, oublié ce que vous vous deviez à vous-même, et vous avez eu la gloire, à la tête de votre armée, d'insulter un homme seul ; continuez ainsi, et soyez sûr que jamais je ne vous imiterai. L'Espagnol ne put donc s'acquitter de son message ; lorsqu'il exprima le désir de parler à Dugommier en particulier, le général répondit qu'il n'avait rien de secret pour ses entours et que les républicains ignorent la dissimulation : Je ne reçois, disait-il, ni lettres ni trompettes que devant témoins.

Une seconde tentative eut lieu deux jours après, le 5 août. Dugommier avait demandé des nouvelles de l'astronome français Méchain, chargé de mesurer un arc du méridien de Dunkerque à Barcelone. Méchain était alors en Catalogne sur le territoire occupé par les troupes espagnoles. Il fut emprisonné à Barcelone et Dugommier ne cacha pas son indignation. La mission de Méchain, écrivait-il à La Union, devait être respectée sur tout le globe ; les savants ne peuvent être traités ni considérés comme des militaires ; les arts paisibles n'eurent jamais rien de commun avec la guerre et, à moins d'une violation inouïe et du droit des gens et des conventions reçues jusque parmi les peuples les moins civilisés, tu ne peux refuser de le rendre, lui et ses deux coopérateurs, à la liberté et à leur patrie[7]. Mais sitôt que La Union connut l'arrestation de l'astronome, il le fit relâcher. J'ordonne à Votre Seigneurie, marquait-il au président de l'Audience royale de Barcelone, non seulement de traiter Méchain avec honneur, mais de lui prêter votre concours et même de l'assister pécuniairement si besoin était. Il répondit donc à Dugommier qu'il estimait en Méchain et la science et les vertus morales : Si son libre témoignage prouve qu'il a été retenu par le gouvernement et par moi, je passerai pour imposteur à la face de l'univers ; j'ai donné des ordres pour qu'il ne manque de rien. Et La Union ajoutait que Méchain recevrait sans délai la somme de cinq mille francs que Dugommier lui envoyait.

Le général espagnol proposait dans cette lettre, au nom du droit des gens et de l'humanité, un accord sur l'échange des prisonniers, et il se disait prêt à faire des conditions raisonnables, si Dugommier négociait avec lui. Le vainqueur du Boulou ne parut pas comprendre les mots de La Union si nous traitons tous deux.

Désespérant de s'aboucher avec Dugommier, La Union recourut à des intermédiaires. Après avoir vainement tâté le général Frégeville, alors prisonnier à Barcelone[8], il résolut de se servir d'un agent français, le payeur Simonin[9]. Le ministre l'approuva. La Union, écrivait Godoy, ferait entendre à Simonin qu'il était temps de mettre fin à une guerre également fatale aux deux pays. Mais dans les premières conférences, il s'en tiendrait là ; il éviterait toute discussion de détail sur les conditions du traité ; il aurait l'air d'exprimer ses opinions personnelles et de négocier à l'insu du gouvernement que les demandes de La Union ne pouvaient engager à rien.

Simonin et Manuel de Cia étaient allés subvenir l'un en France, l'autre en Espagne, aux besoins des prisonniers de leur nation[10], et, sur l'ordre du Comité, le payeur français se préparait à repasser les Pyrénées lorsque La Union refusa de ratifier la capitulation de Collioure. Manuel de Cia fut interné à Perpignan par Dugommier[11]. Sur quoi, Simonin, qui s'était rendu jusque dans l'ile de Majorque, fut relégué par La Union à La Bisbal, à douze lieues de Figuières.

Il fallait rappeler Simonin pour l'employer à la négociation. La Union n'osa lui écrire. Il lui envoya un homme sûr qui vint par deux fois, le 1er et le 19 septembre, exposer au paveur les vues du général espagnol. Simonin déclara qu'il était du mente avis, qu'il désirait de tout son cœur une prompte réconciliation entre les deux peuples, mais qu'il ne l'espérait pas et qu'il ne pourrait y coopérer : la capitulation de Collioure n'était pas exécutée, et la Convention avait interdit de parler de paix tant qu'un point du territoire français serait aux mains des ennemis ; faire une semblable proposition, c'était jouer sa tête.

Pourtant, après avoir longtemps regimbé, Simonin consentit à amorcer la négociation, et il promit de ne jamais prononcer le nom de La Union. Le général espagnol avait dit — ou fait dire — qu'il agissait à l'insu de sa cour, qu'il demandait le plus profond secret, qu'il aurait, lorsque tout serait convenu, les pouvoirs nécessaires à la conclusion de la paix, mais qu'il ne voulait à aucun prix être nommé. Aussi Simonin ne l'appela que la personne chargée de me parler ou la personne en question ou simplement la personne.

Le 20 septembre, Simonin envoyait à Dugommier une lettre qui contenait un petit rameau d'olivier. Je ne m'attendais pas, écrivait-il, à recevoir dans un pays où je n'ai aucune connaissance, la visite que l'on m'y a faite le 15 fructidor et que l'on a réitérée hier de la part d'une personne des plus distinguées. Je m'attendais encore moins qu'on m'engagerait à te faire des propositions de... Je m'arrête ; un décret que je respecte m'impose le plus profond silence ; le rameau que tu trouveras ci-joint y suppléera...

Dugommier reçut cette lettre le 25 septembre par un parlementaire. Il l'ouvrit en présence de son état-major ; mais, dès qu'il vit le rameau d'olivier attaché à la première page, il la lut tout bas contre son habitude[12]. Il répondit à Simonin qu'il rejetterait toute proposition tant que la capitulation de Collioure, violée avec félonie, ne serait pas exécutée. Manuel de Cia, le payeur espagnol qu'il avait fait arrêter, serait relâché, puisque Simonin, le payeur français, était libre ; mais otage et prisonniers espagnols continueraient à être resserrés jusqu'à ce qu'il eût satisfaction. Qu'on lui renvoie autant de prisonniers français qu'il a renvoyé de prisonniers espagnols, et qu'on rende les malheureux habitants de la frontière arrachés à leurs foyers parce qu'ils étaient patriotes ; sinon, jamais de paix, jamais de traité !

Mais à cette lettre officielle Dugommier joignait un billet confidentiel, conçue en termes moins tranchants : que la capitulation de Collioure soit exécutée, disait-il, et alors il n'y aura plus de guerre à mort, et nous pourrons prêter l'oreille à la touchante allégorie que renferme ta lettre.

Il avait envoyé le message de Simonin par un courrier extraordinaire au Comité de salut public — ce message, remarquait-il, présente un objet de la plus haute importance[13], — et il demandait des ordres. Toutefois il ajoutait que son armée ne pouvait encore faire quelque chose de brillant, parce qu'elle était très affaiblie : Si le gouvernement n'a aucune vue sur la Catalogne, si l'Espagnol nous laisse la Cerdagne, Fontarabie et le port du Passage, ne serait-il pas avantageux d'écouter les propositions de paix ?

Le Comité chargea Merlin de Douai de répondre ; non à Dugommier, mais à Delbrel et Vidal : c'était aux représentants, et non au général, que le Comité devait son opinion. La lettre de Merlin, datée du 8 octobre, était digne et ferme. La République, disait Merlin, étonnait l'univers par ses victoires ; la nation n'avait jamais été plus grande, et elle aurait sous peu de jours la barrière du Rhin. L'Espagne, elle aussi, vaincue, attaquée sur son propre sol, n'avait donc qu'à solliciter l'indulgence de la France. Ses véritables intérêts, qu'elle avait oubliés par orgueil de famille, le souvenir de ses luttes sanglantes contre les Anglais qui voulaient dominer sur la Méditerranée, la crainte de perdre son existence politique, tout lui inspirait évidemment le désir de la paix. Mais Dugommier continuerait la guerre avec plus d'activité que jamais. Les Espagnols cachent leurs desseins avec art et savent temporiser afin de profiter des circonstances ; pour déjouer leurs calculs, que Dugommier ne cesse pas de les battre et qu'il réponde à Simonin en ces termes : La France veut tout ce qui s'accorde avec son intérêt et sa dignité. Écoute et transmets ces propositions. Toute démarche doit être faite auprès des représentants du peuple, près de l'armée que je commande ; la correspondance ne peut s'engager qu'avec eux ; les principes l'ordonnent.

Delbrel ne communiqua. que ce dernier passage à Dugommier : puisque les représentants seuls pouvaient recevoir les propositions espagnoles, le Comité, pensait Delbrel, n'avait sans doute pas l'intention que le général connût le surplus de la lettre.

Au même instant, Dugommier recevait une nouvelle missive de Simonin, datée du 12 octobre. L'agent assurait que la personne était de bonne foi et souhaitait une réconciliation perpétuelle ; mais, disait-elle, exiger pour préliminaires de paix l'exécution de la capitulation de Collioure, ce n'était pas le moyen de se rapprocher ; cependant, en vertu d'un contrat d'échange, et non d'une convention qu'elle regardait comme nulle, elle ferait rendre un nombre de Français égal au nombre des défenseurs de Collioure, et ces Français, de retour dans leur patrie, auraient, ainsi que les Espagnols, la faculté de servir comme bon leur semblerait.

La réponse de Dugommier à cette lettre du 12 octobre ne pouvait être que la fière et courte réponse dictée par le Comité : la personne était sommée de correspondre avec les représentants.

Mais la négociation s'entamait. Dans une lettre du 20 octobre au Comité, Delbrel discutait le contrat d'échange proposé. La Union, disait Delbrel — car la personne dont on a l'air de vouloir cacher le nom est La Union même — refusait d'exécuter la capitulation de Collioure, et il offrait de remettre un nombre de Français égal au nombre des Espagnols renvoyés, en stipulant que les uns et les autres pourraient servir comme bon leur semblerait. Ces conditions étaient-elles avantageuses à la République ? Les troupes prises à Collioure passaient pour les meilleures d'Espagne, et si les Français qui rentreraient dans l'armée devaient balancer le renfort que les Espagnols tiraient d'un pareil arrangement, si le. Comité voulait se départir de la capitulation de Collioure en quelque point, ne valait-il pas mieux demander que les prisonniers délivrés ne serviraient contre aucune puissance coalisée ? Dès lors, remarquait Delbrel, la garnison espagnole de Collioure ne combattrait pas l'armée française, et les Français rendus pourraient, comme la garnison de Mayence, être employés en Vendée.

De son côté, la cour de Madrid croyait la paix prochaine. La République française reconnaissait Simonin comme intermédiaire officieux et désignait comme ses mandataires, chargés de recevoir les propositions espagnoles, les deux représentants en mission à l'armée des Pyrénées-Orientales. Restait donc à faire ces propositions. Et alors se montra de nouveau l'aveuglement du cabinet de Madrid. Charles IV exigea que Louis XVII eût un coin de cette France qui devait lui revenir toute entière, obtînt un petit royaume formé -des provinces limitrophes de l'Espagne !

Les motifs qui déterminaient Charles IV étaient au nombre de trois, et Godoy les exposait ainsi dans une lettre à La Union :

1° Le roi avait fait la guerre pour restaurer le jeune prince ; s'il n'avait pas atteint complètement son but, il voulait du moins l'atteindre partiellement.

2° Créer ce royaume dans la région des Pyrénées, c'était élever une barrière entre l'Espagne et la République française. Jamais, disait Godoy, on ne pourra espérer une tranquillité absolue dans un pays dont les frontières toucheront à celles d'une République établie sur des fondements d'horreur et d'incrédulité.

3° L'existence de ce royaume créé aux dépens de la République et à ses portes mettrait le discorde entre les Français, et la Révolution, absorbée par des dissensions intestines, ne pourrait renverser les trônes et séduire les nations : c'était, disait encore Godoy, le seul moyen d'allumer la guerre civile et d'assurer le maintien des rois.

Ces conditions étaient le sine qua non de Godoy, et il les regardait, ajoutait-il, comme un minimum. Il ne pensait pas néanmoins qu'elles fussent acceptées, et La Union partageait ses doutes. Ces furies infernales, écrivait le général au ministre, sont trop orgueilleuses et trop favorisées par le succès pour céder aucune partie de leur territoire.

Simonin oserait-il transmettre de pareilles propositions, contraires à l'unité et à l'indivisibilité de la République ? La Union se risqua. Avant tout, il fallait que l'agent revint au quartier général espagnol. Mais ses conférences avec La Union n'attireraient-elles pas l'attention ? Ne feraient-elles pas deviner les desseins pacifiques de l'Espagne ? La Union décida que Simonin serait ostensiblement arrêté à La Bis-bal et transféré à Figuières, que cette mesure serait considérée comme une représaille du traitement infligé par Dugommier au payeur espagnol, Manuel de Cia.

Le 22 octobre, Simonin fut incarcéré dans la forteresse de  Figuières, et le commandant André de Toués, qui n'était pas dans le secret, lui enleva papier et écritoire, lui défendit de prendre l'air dans la cour, lui interdit de recevoir les gens qui lui apportaient son dîner. La Union fit bientôt adoucir ces rigueurs. Mais dans ses entretiens avec le général, Simonin — qui, chaque fois, lui était amené sous escorte comme un criminel d'État — refusa de transmettre les propositions espagnoles. Elles étaient, répétait-il, contraires aux principes de la nouvelle constitution française, et il jurait à La Union que les Français avaient la passion de l'égalité, qu'ils ne voulaient plus de roi, qu'ils ne souffriraient jamais qu'un homme eût des prérogatives que les autres ne posséderaient pas.

Godoy insista. Il écrivit le 27 octobre à La Union qu'il aimait mieux clore la négociation ; et Simonin, se disant qu'après tout il ne faisait, selon les instructions du Comité, qu'écouter et transmettre les propositions de l'Espagne, finit par s'exécuter.

Il marquait le 4 novembre aux représentants Delbrel et Vidal que la personne en question proposait les articles suivants :

1° L'Espagne reconnaîtrait le gouvernement adopté par la France ;

2° La France remettrait aussitôt à l'Espagne les deux enfants de Louis XVI ;

3° La France donnerait au fils de Louis XVI les provinces voisines de l'Espagne et il y régnerait en roi.

Simonin ajoutait qu'il ne se permettait aucune réflexion, qu'il avait transcrit littéralement tout ce qu'on lui disait, qu'il se conformerait avec exactitude au plan que les représentants lui traceraient. Mais son opinion personnelle perçait. Il terminait sa lettre par ces mots : Vive la République une et indivisible, la liberté et l'égalité ! C'est là mon désir le plus ardent. Périsse tout Français qui penserait autrement !

Les représentants étaient absents, et la lettre courut après eux. Vidal la reçut à Montpellier et la renvoya à Delbrel, qui ne l'eut entre les mains que le 16 novembre. Vidal l'avait jugée insolente et déplacée. Delbrel la fit passer au Comité, en déclarant qu'elle révoltait son âme, qu'elle serait propre, si le Comité la publiait, à irriter davantage encore la nation française contre les prétentions des despotes, qu'en tout cas il répondrait le lendemain d'une manière digne de la République, à coups de canon et à coups de baïonnette.

Le Comité partagea la colère de Delbrel et de Vidal. Les conditions lui parurent outrageantes , infâmes. Il ordonna que Simonin, qui compromettait la dignité du peuple français, quitterait l'Espagne sur-le-champ, et le 21 novembre, il écrivait aux représentants : C'est à notre artillerie à répondre par un feu bien soutenu. Disposez tout et frappez. Le Français victorieux traite 'sans orgueil l'ennemi qui se présente avec l'attitude qui lui convient ; il voue au mépris le vaincu qui ose lui dicter des lois !

Dugommier avait déjà frappé.

 

 

 



[1] Mémoire de Dugommier, 12 mai 1794 (A. G.) et réponse de Couthon au nom du Comité, 26 mai (Rec. Aulard, XIII, 760).

[2] Pierre-Raymond de Caldaguès, colonel d'Angoumois, avait émigré au commencement de 1192 avec les officiers de son régiment Major de la Légion royale commandée par le marquis de Saint-Simon, il fut appelé en 1793 par Ricardos en Catalogne pour former le Royal-Roussillon. Lorsqu'après la paix les corps émigrés furent réformés et réunis en un régiment dit de Bourbon, ce régiment eut Caldaguès pour colonel. Brigadier en 1802, maréchal de camp en 1808 et fait prisonnier cette même année à la tête de l'avant-garde de l'armée de Catalogne, Caldaguès rentra, au service de France en 1815 et fut promu lieutenant-général par le duc d'Angoulême.

[3] Cf. P. Delbrel, loc. cit., sept. 67-85 ; — Baumgarten, 516, 530 ; — rapport de Villemontès, 18 juin ; — Dugommier au Comité, 16 octobre (A. G.) ; — Simonin à Dugommier (Notes de Delbrel, 26) ; — Les représentants au Comité, 28 déc. (Arch. nat., A. F. II, 203).

[4] Baumgarten, 502, 515, 525, 530-531, 534, 543 ; — rapport de Villemontès, 28 juin (A. G.) ; — Marcillac, 76-79 ; — Fervel, I, 65 ; — Tratchevsky, Revue historique, mai-juin 1886, p. 42.

[5] Cf. sur cet épisode le P. Delbrel, loc. cit., novembre, 428-435 ; — et sur la Riflon le livre d'E. Daudet, Conspirateurs et Comédiennes, 1-48.

[6] Voir sur ces négociations le P. Delbrel, loc. cit., octobre, 281-298 ; A. Sorel, l'Europe et la Révolution française, IV, 143-146 ; — les notes du représentant Delbrel, 23-30 (Revue de la Révolution, 1885, janvier-février) et les documents de la Guerre.

[7] Dugommier à La Union, 16 juin et 3 juillet (A. G.).

[8] Frégeville avait été fait prisonnier le 3 septembre 1793 au combat d'Orle.

[9] Simonin, agent du Conseil exécutif, avait été chargé, au mois de décembre 1793, de se rendre avec trois adjoints à l'armée des Pyrénées-Orientales pour en extraire des troupes destinées à renforcer l'armée devant Toulon. Il connut à Perpignan un autre agent du Conseil, Hardy, qui devint son ami, et fit son éloge à Bouchotte. Si le Conseil, écrivait Hardy en janvier 1794, devait me donner un collègue, je souhaiterais que ce fût Simonin. Aussi le 23 janvier, lorsque le ministre décida d'envoyer un agent qui, sous le titre de payeur, remettrait de l'argent aux prisonniers français en Espagne, cet agent fut Simonin. Le 18 février, une convention arrêtée à Banyuls-dels-Aspres portait que la France et l'Espagne entretiendraient chacune un payeur, que ce payeur s'établirait dans la ville où il y aurait le plus de prisonniers, qu'il ne porterait aucun insigne militaire, qu'il n'enverrait aucune lettre cachetée, qu'il pourrait aller partout où seraient les prisonniers de sa nation et les recevoir chez lui. Simonin partit de Paris avec une somme de 200.000 livres. Mais le Comité ne voulait pas, comme disait Bouchotte, que le gouvernement partit en rien dans cette affaire. Simonin se rendit en Espagne de la part et avec une autorisation de Dugommier (Hardy à Bouchotte et à. Jourdeuil, 6 et 8 janvier ; — Jourdeuil et Bouchotte à Dugommier et à Simonin, 23 et 27 janvier ; — convention de Banyuls, 18 février, (A. G.).

[10] Des lettres de Charton, sergent de Vermandois (23 décembre 1793), de Villemontés à Tilly, 28 juin, de Simonin à Dugommier, 12 octobre, de Fr. Tonnac, volontaire au 8e du Tarn (13 octobre 1794) donnent quelques détails sur les prisonniers français en Espagne. Les officiers, du général au sous-lieutenant, touchaient par jour 6 réaux de veillon ou 30 sols ; les sous-officiers et soldats, 14 cuartos ou 8 sols ; ils étaient 1.500 à Barcelone, mais ne pouvaient sortir. Frégeville seul demeurait en ville. Les officiers et les habitants de Banyuls logeaient à la citadelle ; ceux-là en un endroit spacieux et aéré, ceux-ci dans un endroit malsain — mais Simonin obtint qu'ils fussent transférés au quartier du Midi oie ils avaient bon air, une cour pour se promener et la vue sur le port —. Ils pouvaient, à Girone, travailler au dehors et à Figuières et à Majorque sortir pour s'acheter le nécessaire. A Barcelone, à la fin de 1793, le mauvais air, la mauvaise nourriture, la saleté faisaient périr chaque jour 3 à 4 soldats. Ceux qui gisaient à l'hôpital, recevaient la visite des prêtres émigrés qui leur disaient qu'ils étaient damnés, parce qu'ils avaient tué le roi et détruit la religion. 800 furent, au- mois de janvier 1194, embarqués à Barcelone pour les îles Canaries ; une épidémie força les vaisseaux de relâcher à Malaga ; plus de la moitié des prisonniers périt dans la banlieue de cette ville. Le 29 juin, ceux qui étaient restés à Barcelone, apprenant les succès de l'armée française, dessinèrent en signe de joie des arbres de la liberté sur les murs ; les habitants en furent instruits ; ils forcèrent les portes et massacrèrent environ 250 prisonniers ; le gouverneur, effrayé, fit embarquer les survivants sur .un bâtiment génois qui les transporta à Gênes. En général, les détenus se plaignaient, non du gouvernement espagnol, mais de la rigueur de ses fonctionnaires et de l'insuffisance de la ration de pain.

[11] Cf. plus haut, chapitre XI. Ordre donné à Simonin par le Comité, 16 juin, et par Dugommier, 3 août (A. G.).

[12] La nouvelle se répandit pourtant dans l'état-major : de Montlouis, Charlet en écrivit à Dugommier qui lui répondait le 19 octobre : la branche d'olivier liée d'un ruban tricolore dont tu me parles est une fable.

[13] Dugommier à Delbrel, 25 sept. (A. G.).