LA CAMPAGNE DE L'ARGONNE (1792)

 

PRÉFACE.

 

 

On se propose de raconter dans cette thèse la campagne de l'Argonne, c'est-à-dire la marche des Prussiens après la prise de Verdun, la résistance qu'ils rencontrèrent, leurs négociations avec Dumouriez et leur retraite.

La thèse se compose de deux parties : la première, Valmy, expose les événements depuis le jour où Dumouriez prend le commandement de l'armée des Ardennes jusqu'au moment où Kellermann le rejoint avec l'armée du Centre pour livrer le combat décisif de Valmy ; la seconde, La retraite de Brunswick, traite des pourparlers engagés par Brunswick, Manstein, Kalkreuth, Lucchesini avec les .généraux français et de la marche rétrograde des troupes prussiennes.

L'auteur a déjà retracé dans un volume intitulé La première Invasion prussienne, 11 août-2 septembre 1792, le prologue de cette campagne, la prise de Longwy et de Verdun. Il s'est servi des mêmes sources pour composer sa thèse. Il a consulté, parmi les documents inédits, au dépôt de la guerre, les lettres des généraux et du ministre ; aux archives nationales, le registre de correspondance de Dumouriez et les papiers du général Galbaud ; à la bibliothèque et aux archives de l'hôtel de ville de Verdun d'autres papiers de Galbaud.

Les documents imprimés étaient en très grand nombre. Citons d'abord les ouvrages généraux : Hausser, Deutsche Geschichte vom Tode Friedrichs des Grossen bis zur Grundung des deutschen Bundes (4e édit. 1869) ; Sybel, Geschichte der Revolutionszeit (4e édit. 1882) ; Ranke, Ursprung und Beginn der Revolutionskriege (2e édit. 1875) ; les articles de M. Albert Sorel (Revue des Deux-Mondes, 15 juillet et 1er août 1884), le deuxième volume du recueil de Vivenot, Quellen zur Geschichte der deutschen Kaiserpolilik Oesterreichs während der franzosischen Revolutionskriege (1874), le premier volume de la Geschichte der Kriege in Europa dont les auteurs ont consulté le journal des marches de Clerfayt, les articles de Gebler dans l'Oesterreichische militärische Zeitschrift de 1833 — der Zug der Altürten in der Champagne —, le livre de Ditfurth sur l'armée hessoise, die Hessen in den Feldzügen in der Champagne, am Maine und Rheine (1881), l'ouvrage du capitaine hessois Renouard Geschichte des französischen Revolutionskrieges im Jahre 1792 (1865), le second volume de la consciencieuse Histoire de la ville de Sainte-Menehould et de ses environs, par Claude Buirette (réimpression de 1882), la Campagne de 1792, articles publiés par le capitaine d'état-major Joinville dans le Spectateur militaire de 1840 et de 1841, le deuxième tome du Tableau historique de la guerre de la Révolution de France (1808) rédigé par un officier anonyme sur les notes de Grimoard et de Servan.

Le Moniteur et les autres journaux de l'époque renferment une foule de détails curieux. Mais les mémoires des contemporains ont surtout servi à l'auteur et lui ont permis de suivre jour et jour et pour ainsi dire, pas à pas l'invasion prussienne et la défense française. On peut les diviser en trois catégories : français, allemands et émigrés.

Plusieurs généraux ont raconté la campagne de 1792 ; ce sont, à l'armée des Ardennes, Dumouriez et ses lieutenants Dillon, Gobert, Money ; à l'armée du Centre, Kellermann et Pully. Les mémoires de Dumouriez fourmillent d'inexactitudes légères, mais ils sont vrais en leur ensemble. Le compte rendu au ministre de la guerre par Arthur Dillon (1792) est intéressant. Le mémoire de Gobert, très court du reste, se trouve aux archives de la guerre. L'Anglais Money a publié, en 1794, the history of the campaign of 1792 ; chose curieuse, ces souvenirs traduits en allemand dans l'année 1798, sous le titre Geschichte des Feldzugs im Jahr 1792, ont été traduits en français sur la version allemande — et fort mal — par Paul Mérat — Money, Souvenirs de la campagne de 1792, 1849 —. Kellermann a fait imprimer en 1793 un Exposé de sa conduite et rédigé pour le Comité de salut public un mémoire historique de la campagne de 1792 dont on doit se servir avec précaution. Le mémoire inédit du général Pully, Notes sur la campagne de 1792, est surtout relatif à la journée de Valmy et nous en avons reproduit tout ce qui mérite d'être cité. Il faut joindre à ces documents les Mémoires de Belliard (1842) et le Journal du commissaire des guerres Brémont, envoyé par le conseil de guerre de Mézières au quartier-général de Dumouriez — Revue historique des Ardennes, 1864, 1er semestre, p. 59-68.

Parmi les mémoires allemands, nous avons lu le premier volume des précieux mémoires de Massenbach, cet officier savant, original et emphatique — Memoiren über meine Verhällnisse zum preussischen Staat und insbesondere zum Herzoge von Braunschweig, 1809 — ; les Réminiscences du prince royal de Prusse, le futur Frédéric-Guillaume III, parues dans le supplément du Militâr-Wochenblatt de 1846 — novembre et décembre Reminiscenzen über die Campagne in Frankreich — et inexactement traduites par Paul Mérat, en 1848, sous le titre Documents relatifs aux campagnes en France et sur le Rhin ; les Souvenirs d'un vieil officier prussien du caustique Valentini — Erinnerungen eines alten preussischen Offiziers aus den Feldzügen von 1792, 1795 und 1794, 1833 — ; les Souvenirs de Minutoli — Militairische Erinnerungen aus dem Tagebuche des Generallieutenants von Minutoli, 1845 — et son récit de l'expédition, si détaillé, si minutieux, mais si aride, qui n'oublie pas un mouvement ni une marche de l'armée prussienne — der Feldzug der Verbündeten in Frankreich im Jahre 1792, 1847 — ; les articles publiés dans la Zeitschrift für Kunst, Wissenschaft und Geschichte des Krieges par G.... — Gaudy (année 1843, 4e fascicule) —, par Lossberg (1846, 1er fascicule), par Strantz (1831, 4e et 5e fascicules) ; la narration de l'officier anonyme qu'on nomme le témoin oculaire, publiée en 1793 sous le titre Briefe eines preussischen Augenzeugen über den Feldzug des Herzogs voyi Braunschweig gegen die Neufranken im Jahre 1792[1] ; les lettres écrites en français pendant la campagne par le secrétaire royal Lombard et traduites en allemand par M. H. Huffer dans la deutsche Revue (février et mars 1883) ; l'autobiographie de l'aventurier Laukhard qui fit la campagne, comme simple soldat, dans le régiment de Thadden — Laukhards Leben and Schichsale von ihin selbst beschrieben. Troisième partie 1796 — ; les articles d'Archenholz et de ses correspondants dans l'impartiale Minerva de 1792 et de 1793 ; enfin la Campagne de France, de Gœthe, éditée par nous en 1884.

Les mémoires des émigrés ne devaient pas être négligés. Mais nous n'avons presque rien tiré des Mémoires d'un homme d'État ; M. de Sybel les nomme fort justement unzuverlässig et les pages consacrées à la campagne de 1792 ne sont que des extraits du Moniteur ainsi que des mémoires de Dumouriez et de Massenbach, auxquels l'auteur mêle rarement des lettres inédites. Aucun de nos devanciers n'avait tiré parti du fragment des mémoires de Caraman, paru dans la livraison du 15 novembre 1853 de la Revue contemporaine. Ajoutons encore les mémoires de d'Argens, de Marcillac et de Dampmartin[2] réunis dans les Mémoires sur l'émigration, réimprimés en 1877 par M. de Lescure, les Mémoires d'outre-tombe, de Chateaubriand (édition de 1860, 2e volume), les Mémoires de Las Cases (1819), le premier volume des Mémoires historiques et militaires, du baron de Crossard (1829), Dix années d'émigration, souvenirs et correspondance, du comte de Neuilly (1865), Coblenz et Quiberon, souvenirs du comte de Contades (1885), le Journal d'un officier de l'armée des princes, paru dans le tome IV de la Revue rétrospective (1886) et surtout l'aperçu de la situation de l'Europe depuis le 10 août jusqu'au 20 novembre, de Peltier — Dernier tableau de Paris, tome I, appendice au n° 5 —, les papiers de Fersen — Le comte de Fersen et la cour de France, 1878 —, l'extrait des mémoires de Nassau-Siegen, publié dans le tome VI du recueil de M. Feuillet de Conches, Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Elisabeth (1873).

En s'aidant de ces documents, et d'autres encore, l'auteur a tenté de se faire le contemporain des combattants et des négociateurs de 1792, de vivre au milieu d'eux, dans leurs marches et dans leurs camps, de se pénétrer de leurs idées et de leurs sentiments, de voir les événements comme les uns et les autres les ont vus. Il n'a d'autre souci que celui de la vérité et il donnerait volontiers à cette thèse l'épigraphe que le témoin oculaire donnait à ses Lettres sur la campagne du duc de Brunswick : Tros Rutulusve fuat, nullo discrimine habebo.

 

 

 



[1] Nous citons d'après le texte allemand, divisé en trois livres ou Pack, et non d'après la traduction, d'ailleurs assez bonne, attribuée à Desrenaudes (Paris, Forget, An III de la République).

[2] Il ne faut pas oublier, du même Dampmartin, son ouvrage paru en 1811 Quelques traits de la vie privée de Frédéric-Guillaume II.