LA DAME DE BEAUTÉ : AGNÈS SOREL

 

DEUXIÈME PARTIE. — NOTICES.

 

 

I. — LA LÉGENDE D'AGNÈS SOREL.

 

La légende d'Agnès Sorel n'est pas aussi simple que le croyait un bon historien et critique tel que M. Dufresne de Beaucourt. Elle ne jaillit pas d'un texte unique, recopié à l'envi par les anecdotiers et les chroniqueurs. Elle est complexe. La légende a ses racines dans des traditions de famille, dans diverses traditions de terroir localisées en Touraine, dans le pays de Bourges, en Picardie. Elle est surtout l'œuvre d'un homme, Charles Sorel, romancier et historien, qui la transmit à Chapelain d'où elle aboutit à Voltaire et aux romantiques. Elle vaut d'être étudiée en détail, comme un prisme où l'esprit humain chercha, à travers le temps et les modes, à satisfaire une soif de merveilleux qui déconcerte.

La tradition de famille la plus ancienne nous l'avons déjà rencontrée, presque immédiatement après la mort de la Belle Agnès, dans la vie romancée que Jean V de Bueil a dictée de lui-même sous le titre du Jouvencel. Les filles d'Agnès qui vivaient encore (l'une d'elles avait épousé Antoine de Bueil) pouvaient entendre clairement l'allusion. Car la moult belle dame, qui désire que le roi emmène les femmes à la guerre, et qui s'écrie si gaillardement devant la reine et ses dames : Vous en serez plus vaillant, et toute votre compagnie, est à n'en pas douter Agnès. Il s'agit bien de la conquête de la Normandie, car les détails donnés sur la surprise d'Escalon, au chapitre XXIII, concordent avec ce que nous savons de la surprise du Pont-de-l'Arche. L'indication est très brève, enveloppée de romanesque, mais à mon sentiment certaine. On peut la situer au début du règne de Louis XI, le Jouvencel ayant été écrit entre 1461 et 1466, et Jean de Bueil étant mort en 1477.

Le charmant bohême Roger de Collerye d'Auxerre[1], dont les œuvres furent imprimées à Paris en 1536, nous a laissé, parmi les écrits de sa jeunesse, un joli Blazon des Dames. Ce petit dialogue peut être daté postérieurement au règne de Charles VIII.

BEAU PARLER commence :

Honneur aux Dames !

Et RECUEIL GRACIEULX répond :

C'est raison.

Suit un éloge des femmes, fait peut-être pour un banquet, sur le thème éternel du bien que l'on peut dire d'elles, auquel répondra un autre convive par un développement contraire.

Le morceau est frais et joli, car Collerye était un homme de talent, un Villon honnête. Or voici les exemples allégués au sujet des bienfaits des dames : Jason eût-il conquis la Toison d'or sans la belle Médée ? Pâris eût-il ravi Hélène sans la pomme d'or de Vénus ? Saturne, le premier roi du monde, ne dut-il pas son règne à Vesca ? Jupiter lui-même n'a-t-il pas aimé la belle Danaé ?

BEAU PARLER

Par ung bon advis diuturne,

Par ung prudent veiller nocturne,

Judith deffist Holofernès.

RECUEIL GRACIEULX

Ne fut pas de la belle Agnès

Le roy Charles septiesme pris ?

BEAU PARLER

Ses voulloirs en estoient seduictz,

Et en vraye amour purs et nectz,

Qui sont choses de très grant pris.

RECUEIL GRACIEULX

On ne sçauroit estre repris

De donner aux dames bon bruyt.

Et nous trouverons tour à tour exaltées, Rebecca, Suzanne, Philis, Demophon, Sapho, Didon, Esther, Rachel, Sara, les héroïnes de la Bible, celles de l'antiquité : Lucrèce, Polixène, et celles des romans : Griselidis, Sidoine et Viene.

C'est dans cette suite qu'est dame Agnès, au temps de Louis XII.

Une autre tradition, se rattachant à la Picardie, est fixée par un recueil de dessins (le plus ancien de ces albums célèbres) que l'on peut dater exactement de l'année 1526[2]. Il avait été formé par Catherine de Hangest, femme d'Artus de Boissy[3], grand maître de France, qui se plaisait à la peinture. C'est le célèbre recueil de portraits conservé à la Bibliothèque d'Aix-en-Provence.

La tradition répète que François Ier, délivré de sa captivité de Madrid, aurait feuilleté cet album en compagnie de sa maîtresse, qu'il y aurait écrit de sa main des noms, des boutades, des vers, dissimulés par la suite par une petite bande de papier qu'on levait à volonté. On lit, sous le crayon de la belle Anys, le quatrain célèbre :

Plus de louange son amour sy méryte

Etant cose de France recouvrer

Que n'est tout ce qu'an cloistre pet ouvrer

Clause nonnayn ou an désert ermyte.

J'avoue que j'ai eu la curiosité de comparer l'écriture du quatrain avec celle de François Ier, et que je puis affirmer en toute certitude que ces vers ne sont pas de la main du roi[4]. On a bien émis l'hypothèse que le recueil de la Bibliothèque Méjanes serait, à défaut de l'original, une copie contemporaine ou figurée ; mais de graves difficultés se présentent pour attribuer au roi François Ier d'autres légendes. Et il y a tout Heu de croire que ceux qui ont parlé du quatrain et du recueil ont été victimes d'une supercherie de Charles Sorel, qui n'en était pas à une invention près, comme nous le montrerons.

Dans la seconde partie du XVIe siècle vivait en Picardie une famille militaire, les Sorel d'Ugny. Ils conservaient, eux, la tradition d'une parenté avec la maîtresse du roi Charles VII. Cette parenté était-elle plus véridique que celle de Charles du Lys qui, croyant se rattacher au sang de Jeanne d'Arc, renouvela dans le même temps l'histoire de la Pucelle ? Nous n'en savons rien. Les Sorel d'Ugny ont du moins fait le voyage au tombeau de Jumièges, auquel ils intéressèrent Jean-Antoine de Baïf, le poète. Et c'est ainsi que ce dernier put dater de Jumièges une longue pièce de vers qu'il publia pour la première fois en 1573, et qui conserve une des plus anciennes formes de la légende d'Agnès Sorel[5]. Le morceau est adressés au seigneur de Sorel, que l'on croit pouvoir identifier avec un Sorel[6], en relation avec divers poètes de la Pléiade.

On le voit, sauf par quelques traditions, la belle Agnès avait été pendant près d'un siècle oubliée par les historiens[7]. C'est qu'elle demeurait la concubine, comme Monstrelet l'avait indiqué ; et Gaguin, sur la fin du XVe siècle, n'a recueilli à son sujet qu'une anecdote assez suspecte relative à une visite de Louis XI à la Collégiale de Notre-Dame de Loches. François de Belleforest[8], historiographe de Charles IX, et par ailleurs esprit critique, parle pour la première fois un peu longuement d'Agnès. Il a connu Gaguin, la Chronique Scandaleuse, l'histoire du soufflet du dauphin rapporté dans la Chronique Martiniane. Pas de merveilleux, chez l'honnête Belleforest, mais un surprenant mépris pour la favorite. S'il s'arrête un instant à conter sa vie, c'est pour admonester les grands de ne point s'abestir après ces folles, desquelles procède la fainéantise et avilissement des plus braves et sages et vaillants hommes de la terre.

Bernard de Girard, seigneur du Haillan, gentilhomme huguenot qui enseigna l'histoire à Charles IX, est tout aussi méprisant dans son livre de l'Estat et succez des affaires de France (1570). Il a tracé ce croquis de Charles Vil : Il estoit homme aymant ses plaisirs et qui n'appréhendoit pas le mal, et la ruine de son royaume, s'amusant à faire l'amour à sa belle Agnès et à faire de beaux parterres et jardins, cependant que les Anglois, la craye en la main, se pourme-noient par son royaume[9].

En 1576, le seigneur du Haillan développa ce thème dans l'Histoire de France qu'il dédia à Henri III, ouvrage qui eut plusieurs éditions et fut entre toutes les mains :

Durant tant d'affaires, le Roy se laissant couler aux plaisirs, s'estoit énamourée d'une Damoiselle de la Roine, nommée Agnès Sorel, native du pays d'Auvergne, et belle Damoiselle. Sa beauté luy acquit le nom de la belle Agnès, et affin qu'elle eut quelque titre, le Roy lui donna sa vie durant le chasteau de Beauté près le Bois de Vincennes, et y fit bastir ce grand pavillon qu'on y voit tout descouvert, et de là elle fut appelée ivladamoiselle de Beauté. Le Roy eut d'elle quatre filles qui furent mariées en quatre bonnes maisons de ce Royaume, combien que quelques uns disent qu'elle n'en eut qu'une qui fut mariée au sieur de Brézé, grand Seneschal de Normandie, et que d'autres disent que la fille qu'elle fit ne vesquit guières, et que mesmes le Roy disoit que ce n'estoit pas de son faict. Et bien que l'affection que le Roy luy portoit diminuast d'autant de celle qu'il devoit porter à la Royne sa femme, et luy retranchast autant de ce qui par le mariage luy estoit deu, si est ce que ladite Royne estoit contraincte d'avaller ceste pillulle bien amère, et d'endurer patiemment que la belle Agnès eut le meilleur et le plus beau des appétis et des affections du Roy son mary. On dit que voyant le Roy lasche, mol, et peu se souciant des affaires de son Royaume, et des victoires que les Anglois obtenoient sur luy, un jour elle luy dit que lorsqu'elle esioit bien jeune fille, un astrologue luy avoit dit qu'elle seroit aymée de l'un des plus courageux et valeureux rois de la Chrestienté. Que quand le Roy luy fit cest honneur de l'aymer, elle pensoit que ce fut ce Roy valeureux et courageux qui luy avoit esté prédict par ledict astrologue, mais que le voyant si mol et aveques si peu de soing de affaires et de résister aux Anglois et à leur Roy Henry qui, à sa barbe, luy prenoit tant de villes, elle voyoit bien qu'elle estoit trompée, et que ce Roy si valeureux et courageux estoit le Roy d'Angleterre. Adonc, dit elle au Roy Charles, je m'en vois le trouver, car c'est luy de qui entendoit cest astrologue, non de vous qui n'avez courage ny valeur, puisque sans vous remuer vous laissez surprendre vos pays. Ceste parolle proférée de la bouche de ceste femme que le Roy aymoit plus qu'il ne luy convenoit, esmeurent et picquèrent tellement son cueur qu'il se mit à pleurer, et de là en avant s'esvertuant print le frein aux dents, et ne s'adonna plus tant à la chasse nv aux jardins comme auparavant il faisoit, si bien que par son bon heur et par la vaillance de ses bons serviteurs, desquels il fut fidellement servy, il chassa les Anglois de la France hormis de Calais. Ceste femme puis après mourut en l'an mille quatre ans quarante-neuf, en l'abbaye de Jumièges sur Seine au dessoubs de Rouen, et fut enterrée à Loches...

C'est ce texte que Brantôme recopiera, presque textuellement, dans les Dames galantes[10] qu'il rédigera dans les dernières années du XVIe siècle, mais qui ne trouvera un écho qu'en 1665, lorsque l'ouvrage du gascon vaniteux et égrillard aura les honneurs de l'impression. L'esprit du texte de du Haillan, nous le trouverons dans les Recherches de la France d'Etienne Pasquier, qui virent le jour en 1611, enjolivé d'une petite histoire sur La Hire[11] :

Il estoit [Charles VII] au milieu de ses afflictions du tout addonné à ses voluptez, faisoit l'amour à une belle Agnès, oubliant par le moyen d'elle toutes les choses nécessaires à son estât : et dit-on que ce brave capitaine La Hire venant un jour botté, crotté, battu de pluye, et du vent, le saluer pour luy conter quelques exploits de guerre par luv faits, il le trouva au milieu des dames, menant sa maistresse à la danse — je me mocque certes de mov quand j'appelle une simple damoiselle maistresse d'un roy — : lequel demandant à La Hire ce qu'il luy sembloit de ceste belle compagnie, il luy resoondit, d'une parole brusque et hardie, que jamais il ne s'estoit trouvé Roy qui perdist si joyeusement son Estat comme luy.

Dans un recueil de discours supposés de la fin du XVIe siècle (Bibl. Nat., ms. fr. 4839, fol. 51 v°), provenant de la collection de Béthune, nous retrouvons toujours le même thème, et presque les mêmes mots :

Le roy qui devoit faire reluire sa vertu au travers des nuages de tant de misères, et qui se devoit monstrer bon pilote et patron de son royaume en un si tempestueux orage de guerre, se laissoit couler aux plaisirs, préférant les amours de sa belle Agnès au bien de son royaume ; de sorte qu'Agnès mesmes le voyant si laschè et fi mol, elle luy dist que lorsqu'elle estoit jeune fille, un astrologue luy avoit prédit qu'elle seroit aimée de l'un des plus courageux et vertueux l'oit de là chrestienté, que quand il luy fist cest honneur que de l'aytner, elle pensoit que ce fust ce roy vallereux ; mais que le voyant si mol et Be soucier si peu de résister aux Anglois que c'estoit plustost le roy d'Angleterre que luy qu'entendoit l'astrologue, ce qu'à ceste occasion elle le vouloit aller trouver. Ces parolles le picquèrent si avant au cœur que de la en avant il print le freint aux dens, et par sft vertu et prudence chassa les Anglois de la France hormis de Calaig. Pour ceste Agnète le roy feist bastir ce pavillon qu'on appelle encores la tour de Beauté.

Cette fable était devenue une vérité. Henri IV en tire excuse : Et ne se lassoit point de semblables amours, disant que le roy Charles septiesme avec la belle Agnez son amie avoit conquis son royaulme[12]. Charles Sorel va l'illustrer des témoignages de l'histoire.

Ce fut un bien curieux bonhomme que Charles Sorel, Sieur de Souvigny, pince sans rire à la triste figure[13]. Son nom ne rappelle plus guère que l'Histoire comique de Francion, qu'il désavoua d'ailleurs, et le Roman bourgeois que Furetière écrivit contre lui, où il est représenté comme un insupportable pédant, promenant partout des manuscrits que personne ne voulait lire, et son nez vêtu de rouge qu'on pouvait appeler son éminence. Le pauvre écrivain besogneux que fut Charles Sorel a eu cependant son heure de célébrité, des dons peu communs, une érudition considérable, la science universelle d'un homme du XVIe siècle au temps de Louis XIII et de Louis XIV. Molière, qui connaissait fort bien son œuvre d'observations, lui doit beaucoup de traits et de types. Charles Sorel aimait les livres, qu'il connaissait très bien, et il était passé maître en fait de supercheries littéraires ou généalogiques. Fils d'un procureur au Parlement de Paris, d'origine Picarde, qui avait épousé une sœur de Charles Bernard, lecteur de Louis XIII et premier historiographe de France, Charles Sorel avait grandi dans le plus honnête milieu bourgeois ; il régnait dans les ruelles où il passait pour un grand écrivain, grâce à de nombreux romans pleins d'imagination et d'observations, aujourd'hui tout à fait oubliés, Sorel avait racheté la charge d'historiographe de son oncle ; son esprit, versatile et encyclopédique, se tournait vers l'histoire et les sciences. En 1640, il publiait un livre singulier La Solitude et l'Amour Philosophique de Cléomède[14], où il célébrait le charme d'une maison de campagne de famille, embellie de toutes sortes de rêveries instructives ou de réflexions morales qui passaient dans sa tête meublée de tant de connaissances. Charles Sorel était bourgeois, et bourgeois de Paris, mais d'origine Picarde. Dans les chroniques qu'il avait lues, il avait noté l'histoire de quelques Sorel de Picardie et d'autres homonymes. Délibérément l'écrivain rattacha son origine à ces Sorel, entra en relations avec les Sorel d'Ugny, recueillit leurs traditions concernant la belle Agnès, fit le pèlerinage aux tombeaux de Jumièges et de Loches dont il copia les inscriptions, ouvrit le premier le recueil de crayons de la cotir de François Ier, lança la légende de la dame de Boisy, transcrivit le quatrain qu'il attribua à François Ier en l'arrangeant d'ailleurs pour le rendre plus conforme à la morale. Sorel qui avait si souvent montré son esprit critique, raillé les prétentions nobiliaires de ses contemporains, se forgea la plus étrange des généalogies, rattachant sa propre famille à celle d'Agnès ; il lui donnait tout simplement pour origine les Sorel du Comté de Kildar descendants des anciens rois d'Angleterre ! C'est bien le plus étrange de ses romans, sinon le plus amusant. Mais pour la première fois, on sortit des redites de du Haillan : sur le même plan furent placées Jeanne d'Arc et la belle Agnès qui fit autant par ses remontrances et ses persuasions que l'autre avoit fait par son espée. La concubine devint le parangon de la vertu et de la beauté. Ainsi naquit la légende d'Agnès qui restaura le royaume, fable que les générations répèteront à l'envi.

Jean Chapelain[15], le prosaïque et rocailleux rimeur de la Pucelle ou la France délivrée qu'il publia en 1656, a-t-il connu le roman de la Solitude de Sorel, paru en 1640 ? Nous ne le pensons pas, encore que Chapelain se soit longuement documenté, et qu'il ait été, comme Sorel, un grand lecteur de chroniques et de nos vieux romans. D'abord il ne faut pas oublier que Chapelain travaillait à son poème épique, imité surtout de l'Enéide et de l'Iliade, depuis vingt-cinq ans ; il s'était mis aux vers vers 1630 et il donna lecture de son premier chant au comte de Fiesque en 1634 ; l'année où Corneille porte au théâtre le Cid, il avait terminé son troisième livre. On peut même dire que Jean Chapelain prit la contrepartie de la thèse de Charles Sorel. Agnès est pour lui le génie du mal, en rapport avec les démons, qu'il oppose naturellement à la Pucelle, chaste et magnanime. Il donne Agnès comme maîtresse à Charles VII et à Philippe-le-Bon. Confinée à Chantonceaux par l'artifice d'Amaury, Roger, frère d'Agnès, vient l'exhorter à revenir auprès du roi ; mais c'est pour tenter de chasser la Pucelle après le triomphe d'Orléans. Agnès se pare, vainement, de ses plus somptueux vêtements, se charge de rubis et de diamants. Charles ne la regarde même pas, et la Pucelle la chassera honteusement du camp. C'est alors qu'afin de se venger, Agnès retourne vers Philippe-le-Bon pour le faire révolter contre son suzerain. Le portrait que Chapelain trace d'Agnès montre du moins qu'il a vu d'elle une effigie traditionnelle, encore que dans les vers de Chapelain les contemporains aient tous reconnu la belle duchesse de Longueville. Le poème de la Pucelle fut d'ailleurs inspiré et payé par Henri d'Orléans, duc de Longueville, comte de Dunois, son mari. Quel étrange et rude portrait (p. 195.) Chapelain trace de la favorite !

Agnès demeure seule, en sa chambre dorée,

Qui de brillans miroirs tout autour est parée,

Et, de quelque costé qu'elle tourne les yeux,

Y voit l'objet de tous le plus délicieux.

En la plus haute part d'un visage céleste,

Les glaces luy font voir un front grand et modeste,

Sur qui, vers chaque temple, à bouillons séparés,

Tombent les riches flots de ses cheveux dorés.

Sous luy, roulent deux cieux, d'où mille ardentes flammes,

Mille foudres, sans bruit, se lancent dans les âmes ;

Deux yeux estincelans, qui, pour estre serains,

N'en font pas moins trembler les plus hardis humains...

Au-dessous se fait voir en chaque joue éclose

Sur un fond de lys blanc, une vermeille rose...

Plus bas s'offre, et s'avance une bouche enfantine,

Qu'une double fossette aux deux angles termine,

Et dont le petit tour, fait d'un coral riant,

Couvre un double filet de perles d'Orient...

On voit que, sous son col, un double demy-globe,

Se hausse par mesure, et souslève sa robe ;

L'un, et l'autre d'un blanc si pur et si parfait,

Qu'il ternit la blancheur de la neige et du lait.

Tel est le rôle que Chapelain donne à Agnès au cours des douze premiers chants (1656). Il suit en somme d'assez près la tradition de Belleforest et de du Haillan ; et sur place, il a pu comme Sorel, relever la tradition relative à

Loches, ce mur terrible,

Que la nature et l'art rendent inacessible,

Ceste prison fameuse, et cette forte tour

Où si longtemps Agnès renferma son amour.

Le poème héroïque de Chapelain, illisible, sans poésie, sans style, sans âme, et en dépit de l'opinion de Théophile Gautier assez mal charpenté, fut accueilli avec confiance et faveur. Cinq éditions suivirent l'admirable édition princeps donné par Augustin Courbé avec les illustrations par Ch. Vignon. Le poème fit bailler tout le monde, y compris la duchesse de Longueville. Mais il ne fut pas, comme on le pourrait croire, la chute pour Chapelain : l'Académie, les Longueville étaient là d'ailleurs pour soutenir l'œuvre. Des critiques, comme Tallemant, lui reprochèrent seulement d'avoir suivi le gazettier, c'est-à-dire d'avoir fait une œuvre de trop fidèle historien. Ce n'est que plus de dix ans après que la génération nouvelle, dont le critique persifleur fut Boileau, attaqua l'œuvre. Et Chapelain, après 1656, se remit au travail, premier commis des Belles Lettres, écrivant des rapports sur les pensions de ses confrères, servant l'Etat, le Roi, l'Académie dont il écrivit le projet du dictionnaire, organisant la propagande française, prenant la direction de l'apothéose de Louis, protecteur des Lettres Françaises et rêvant pour lui-même d'une ambassade à l'étranger. Une fois de plus, et pour de longues années, voici Chapelain dans sa riche bibliothèque ; il travaille, courbé sur ses bouquins, admirant toujours davantage Virgile, les anciens, Ronsard, de moins en moins fréquentant le monde où on le voit parfois, petit homme noir et ridé, sous son immense perruque, crachotant et gesticulant, quand il lit la suite de son immense poème. Ainsi il besogna jusqu'à sa mort (1670) aux douze derniers chants qui ne virent le jour qu'en 1882, par les soins du bon libraire éditeur d'Orléans, M. Herluison[16].

La première partie du poème nous laissait avec Jeanne blessée à Paris. Les livres XIII à XXIV, nous mènent du siège de Paris au bûcher de Jeanne, à Notre-Dame où se prosterne Charles VII pour rendre grâces à Dieu d'avoir délivré la France. Dans le livre XIV, Chapelain nous montre Agnès dans sa retraite où les anges déchus lui apparaissent en songe. L'un d'eux lui annonce qu'elle va bientôt rentrer en faveur auprès du roi. Elle Se rend à Bourges et obtient sur le faible monarque la victoire complète que lui assurent sa beauté et sa douceur. L'armée se plonge dans la mollesse, à l'exemple de Charles et d'Agnès (l. XV). Le livre XIX chante les amours de Charles et d'Agnès au château de Vincennes que Jean Chapelain décrit longuement. Charles conduit sa reine à la tour de Beauté :

A l'un des coins du parc une masse quarrée

S'élève Impérieuse à la voûte azurée,

Edifice semblable au donjon du chasteau,

Fors qu'il est plus logeable, aussi bien que plus beau.

Pour servir de demeure à la beauté divine

Le monarque amoureux la belle tour destine,

Et, jusques en ce point servant sa vanité,

Luy donné le beau nom de la Tour de Beauté.

C'est le triomphe d'Agnès. Les fifres et les tambours font place aux musettes ; les soldats pendent leurs armes aux ormeaux, courent la bague, jouent aux cartes et organisent des parties ; le fer est couronné de fleurs. Edouard, le traître, suggère l'idée d'un superbe festin que présidera Agnès. Edouard passe au monarque la pomme de Caleville empoisonnée. Mais Charles, qui sert de ses mains Agnès, veut lui en faire présent :

A la belle, dit-il, la belle soit donnée :

Pour la jeune Vénus le ciel l'a destinée,

Et quand l'autre Vénus vous la disputerait,

Contre votre beauté sa beauté la perdrait.

Le bal va s'ouvrir : mais Agnès trébuche, blêmit, devient froide : elle tombe empoisonnée. Charles veut se donner la mort. Un ange lui apparaît, sous la forme d'Agnès, qui l'invite à s'arracher à la mollesse. Roger vient annoncer au roi de nouveaux revers. Charles demande au ciel le salut de la France. Il se repent et devient un homme nouveau.

 

Le savant avocat Gaspard Thomas de la Thaumassière, né à Sancerre en 1621 et mort à Bourges en 1702, infatigable compilateur, grand collectionneur de généalogies, n'a pas montré un esprit beaucoup plus critique lorsqu'il nous parle d'Agnès dans son Histoire du Berry (1699). Il a du moins pour nous le mérite de fixer beaucoup de traditions locales et de présenter aussi le recueil de documents le plus complet que l'on possédât encore sur la Belle Agnès. Grand panégyriste de Jacques Cœur, Thomas de la Thaumassière voit surtout dans Agnès le premier instrument de son malheur ; car ne pouvant supporter qu'un autre qu'elle eut part aux bonnes grâces de son prince, elle lui rapporta qu'il avait mal parlé de sa Majesté et d'elle, et qu'il blamoit trop librement leur conduite... La Thaumassière invente le roman du monarque jaloux et défiant, rapportant à Agnès les propos de Jacques Cœur sur sa maîtresse et lui-même. Ainsi l'argentier aurait encouru sa disgrâce pour avoir parlé trop librement au roy de la trop grande familiarité qu'il avoit avec elle, qui le divertissoit de ses plus sérieuses affaires, et l'empêchait de suivre le cours de ses victoires, et de chasser les Anglois hors de son royaume, quoy que ces avis importans eussent été donnés secrettement au roy pour le bien de ses affaires. La Thaumassière croit savoir encore qu'Agnès Seurelle ou Sorelle, prit naissance au village de Fromenteau en Touraine, et non en celui des Ygonières, paroisse d'Orcay près Vierzon, comme le veut la tradition du païs. Il se fait l'écho d'une tradition locale, lorsqu'il rapporte le don d'un appartement au château de Loches et en son palais à Bourges où il la voyait en secret en la tour qui est encore appelée la Tour de la belle Agnès. Tout ceci appartient au folklore, aux contes berrichons, comme le don de Bois Trousseau, qui est Bois Sire Amé, à quatre lieues de Bourges, où Charles feignait d'aller à la chasse pour se divertir avec sa maîtresse. Car il n'existe dans cette région pittoresque de bois, tour de logis, relais de chasse, qui n'aient abrité les amours d'Agnès et de Charles. Le château de la Guerche, qui n'a jamais appartenu à la favorite, mais à Nicole Chambers, capitaine de la Garde Ecossaise en 1448, puis à André de Villequier, mari d'Antoinette de Maignelay, le 19 octobre 1450, et passa par la suite aux d'Aumont puis aux Voyer d'Argenson, comme tant d'autres châteaux est censé également avoir reçu la visite d'Agnès ; déjà Martin Marteau l'affirmait dans son Paradis délicieux de la Touraine (1661). On y montrait des fresques représentant des sujets de chasse et des allégories, où Voyer d'Argenson et les rédacteurs de la célèbre Bibliothèque des romans n'hésitèrent pas à reconnaître les aventures de la Belle Agnès[17] : Cette belle personne y est représentée au milieu de différents ornements et figures relatives aux différentes situations de sa vie ; d'abord méprisant et rejetant des trésors, et jusqu'à des sceptres et des couronnes que l'on met à ses pieds ; ensuite on voit qu'elle se rend à l'amour d'un prince qu'elle croit sincère ; elle paraît enlevée par un aigle comme Ganymède, et, par une devise latine, elle se vante de ne s'être rendue qu'au roi des oiseaux. Quoique les traits de la figure principale soient un peu effacés, on voit qu'ils représentent une personne d'une assez grande taille, parfaitement bien faite ; ses cheveux sont blonds, ses traits réguliers et sa physionomie douce et spirituelle. Roman qui trouva naturellement sa place dans la Bibliothèque des Romans, faite sur les manuscrits de M. de Paulmy, qui a eu certainement cette notice sous les yeux.

Que Voltaire est donc excusable quand, lui aussi, va lancer un nouveau roman de la Pucelle et d'Agnès ! Ce fut un péché de sa jeunesse[18], qu'il avait perpétré vers 1730, et qu'il n'avouera que trente ans après, où Voltaire a suivi d'assez près les données de Jean Chapelain. Mais chez lui, nulle envie de suivre les vieux romans français que connut si bien Huet, évêque d'Avranches ; il a surtout le désir d'amuser là où Chapelain fit bailler :

Ô Chapelain, toi dont le violon,

De discordante et gothique mémoire,

Sous un archet maudit par Apollon,

D'un ton si dur a raclé son histoire ;

Vieux Chapelain, pour l'honneur de ton art.

Tu voudrais bien prêter ton génie :

Je n'en veux point...

Composées pour réjouir en secret quelques amis, les aventures de Jeanne et d'Agnès s'étaient déjà répandues en copies à Paris en 1735. Six chants avaient été pris par les Autrichiens en 1745 dans les cantines de Frédéric. Académicien, poète officiel de Mme de Pompadour, historiographe de Louis XV, Voltaire s'en inquiétait. Mme du Châtelet veillait sur son poète, et Voltaire ne se souciait guère, pour une bagatelle secrète, imitée de Pulci et de l'Arioste, d'éprouver des ennuis. Mais il était en même temps tourmenté par une véritable prédilection pour son œuvre : Je veux que cet ouvrage serve quelquefois à divertir mes amis, mais je ne veux pas que mes ennemis puissent jamais en avoir la moindre connaissance. Les copies circulaient toujours, défigurées, chargées d'obscénités. La duchesse de Wurtenberg passait une nuit pour en prendre copie ; le prince Henri en possédait une autre, grâce à l'indiscrétion d'un secrétaire. En 1749, Voltaire se rendait à la cour de Frédéric, et plus libre, il en donna une lecture qui eut un assez grand succès auprès de la Reine Mère et des princes allemands où son ouvrage fut présenté, dans ce milieu réformé, comme une satire des abus de la cour de Rome. En 1755, poème de Voltaire était imprimé à Francfort dans une édition qui passe pour l'originale et que désavoua Voltaire. L'écrivain venait de rompre avec Frédéric ; il entre en relations avec l'aimable, indulgente et sage Louise Dorothée de Saxe, qui l'invitait à écrire dans la bibliothèque de Gotha une histoire d'Allemagne. C'est pour cette sage dame que Voltaire terminerait les chants de sa pauvre Jeanne qui se corrigerait un peu de ses mauvaises habitudes afin de paraître plus chastement devant ses yeux. Puisque cette plaisanterie était imprimée, ce dont il était bien fâché, le mieux était de l'avouer et de corriger cette ancienne rapsodie. Près de Louise Dorothée, qui lui servait alors d'intermédiaire auprès de Frédéric, dans sa riche bibliothèque, il donnerait le matin aux rois qui ont troublé le monde, et le soir à Jeanne et à la tendre Agnès qui ont adouci les mœurs. Projet qui n'eut jamais de suite, Voltaire s'étant installé aux Délices près de Genève. Et ce ne fut qu'en 1762 qu'il donna la Pucelle poème divisé en vingt chants, qui n'était ni plus scandaleuse que le Morgante, l'Arioste, Rabelais ou les Contes de La Fontaine. L'ouvrage, illustré de figures libres, eut un extraordinaire succès. Dans Agnès Sorel, le public reconnut Mme de Pompadour ; dans Charles VII, Louis XV. Les éditions qui se succédèrent jusqu'à l'époque de la Restauration fixent donc la légende d'Agnès[19] :

Le bon roi Charle, au printemps de ses jours

Au temps de Pâque, en la cité de Tours

A certain bal (ce prince aimait la danse)

Avait trouvé, pour le bien de la France,

Une beauté nommé Agnès Sorel.

Jamais l'Amour ne forma rien de tel.

Imaginez de Flore la jeunesse,

La taille et l'air de la nymphe des bois,

Et de Vénus la grâce enchanteresse

Et de l'Amour le séduisant minois...

Sous un cou blanc qui fait honte à l'albâtre

Sont deux tétons séparés, faits au tour,

Allans, venans, arrondis par l'Amour,

Leur boutonnet a la couleur des roses...

Vers que chacun répétait à l'envi : ce qui n'arriva jamais à ceux de Chapelain. Les amours honnêtes de Charles et d'Agnès, l'aventure burlesque où elle revêt l'armure de la Pucelle quand elle est prise par les Anglais et que sa pudeur souffre tant, son cri :

Je suis Agnès, vive France et l'amour !

autant d'épisodes qui se gravèrent profondément dans la mémoire des lecteurs.

Le joli page Montrose, Dorothée délivrée de l'inquisition par le vaillant Dunois, les folies de l'Ane d'Or, la belle conduite et bons conseils de la discrète Agnès, la burlesque prise d'Océans, le souper d'Agnès avec Charles tandis que la tendre Jeanne a tenu le serment donné à Danois, tout ce qui nous scandalise divertit et plut infiniment. L'Académie Française elle-même, par la plume de Duclos, sage historien et fort honnête homme, réconforta Voltaire désolé de tant d'impressions fautives et défigurées : Ce qui doit vous consoler, Monsieur, c'est de savoir que les lecteurs capables de sentir le mérite de vos écrits, ne vous attribueront jamais les ouvrages que l'ignorance et la malice vous imputent, et que tous les honnêtes gens partagent votre peine.

Les historiens s'étaient, jusqu'à ce jour, montrés assez sévères pour Agnès. C'est Voltaire qui fit d'elle une image sympathique. Au grand succès de la Pucelle on doit ce revirement. Il se manifeste, extrêmement vif et remarquable, dans la première étude historique consacrée à Agnès Sorel par J.-Fr. Dreux du Radier, avocat, historien, poète, journaliste (Anecdotes des reines et régentes de France, III, 1776). Voltaire devint une source. C'est d'après lui que Dreux du Radier dessine le portrait enchanteur de la jeune Agnès dans tout l'éclat de sa beauté[20]. L'historien se réjouit de voir qu'il ne ressemble pas à celui qu'avait tracé Jean Chapelain qui n'a peut-être rien fait de plus ridicule en vers que ce portrait. L'auteur de la moderne Pucelle est bien plus gracieux. C'est Vateau, c'est l'Albane... Agnès a réveillé le courage de Charles : La gloire, les intérêts du trône, celui de son amour, tout ce qui peut ranimer un roi se présenta rapidement à ses yeux... Légende un peu moins folle, sans doute, que celle de la chasteté d'Agnès que recueillit Dreux du Radier lorsqu'il visita, en 1750, le tombeau de Loches, où il rencontra ce bon chanoine qui avait composé plus de mille sonnets, tous acrostiches, louant sa vertu incomparable[21]. Car Dreux du Radier, journaliste et reporter avant la lettre, s'est documenté sur place[22].

Faut-il exhumer l'éloge, justement oublié, qu'en 1785, Riboud, procureur du roi au bailliage de Bourg-en-Bresse, lut à la société d'Emulation ? Ces pages, emphatiques et médiocres, ont du moins un mérite, celui de nous montrer qu'à la fin du XVIIIe siècle, la légende d'Agnès Sorel est une de ces solides notions admise par tous au titre de l'histoire : c'est l'apothéose d'Agnès Sorel.

Les temples consacrés aux Muses retentissent tous les jours des louanges données aux hommes qui ont bien servi la patrie ou l'humanité... Pourquoi, dans la multitude des tributs payés à des personnages illustres, en trouve-t-on si peu d'offerts à la beauté ? Ce silence injuste des hommes est-il une vengeance des fers qu'elle leur a fait porter, ou un oubli de ce qui ne frappe plus leurs regards ? Ils adorent la beauté quand elle leur promet des plaisirs, la nature les force alors à lui rendre hommage... Mais ne sont-ils pas ingrats quand ils perdent le souvenir des objets auxquels ils doivent leurs moments les plus doux ?...

Agnès Sorel fut aimée d'un prince malheureux et sensible, elle en fit un grand roi, et ses conseils sauvèrent la France : elle eut des vertus presque toujours inconnues dans le rang qu'elle occupoit et l'estime publique en fut la récompense. J'ose aujourd'hui la rappeler à la reconnoissance des François... Ce n'est point à tes charmes, aimable et belle Agnès, ce n'est point à ta fortune que je veux élever un monument ! Ces fragiles divinités ne sont encensées que par ceux qui les voient ; c'est ton cœur, c'est ton âme qui excitent ma sensibilité et me conduisent sur ta tombe...

La favorite d'un prince est une idole qu'on encense toujours avec indignation. On l'adore pour plaire à son maître, mais on la foule aux pieds quand elle est renversée... Quelle différence entre ce sombre portrait et celui de la belle Agnès ! Pouvant opérer beaucoup de mal, elle n'en fit jamais aucun... Un vil intérêt ne souilla jamais son âme...

Puissent les rois placer toujours ainsi leur confiance et leurs cœurs, jamais leurs sujets ne pourront s'en alarmer !... Puissent les François se rappeler avec attendrissement le nom d'Agnès, et qu'il soit inscrit dans Je nombre de ceux des bienfaiteurs de la patrie !

 

II. — LA TRADITION ICONOGRAPHIQUE.

 

Il faut l'avouer, la tradition de l'iconographie d'Agnès Sorel est aussi légendaire que son histoire. Elle est sa légende illustrée, aussi abondante en supercheries, en traditions controuvées, en aimables mensonges, en redites fastidieuses ; où chaque génération habilla à sa façon, et suivant son idéal, la dame de Beauté.

Les chroniqueurs, les épitaphes nous ont répété à l'envi que Madame Agnès tira doublement son nom de son manoir de Beauté et de la beauté qu'elle était elle-même. Le jeune Olivier de la Marche a sur nous tous une supériorité, c'est d'avoir vu Agnès en 1444 : et il nous affirme qu'elle était alors une des plus belles femmes et jeunes qu'on aurait su voir au monde. Thomas Basin, l'évêque de Lisieux, passe méprisant : assez jolie dira-t-il. M. de Beaucourt, qui a tant fait pour ramener à la vérité l'histoire d'Agnès Sorel et de Charles VII, note des yeux bleus pleins de douceur, une opulente chevelure blonde, le teint d'une fraîcheur admirable, un ensemble de jeunesse, de grâce, d'enjouement offrant un charme incomparable. Il est vrai que l'historien toujours érudit, et le plus souvent morose, de Charles VII croit pouvoir affirmer que ses traits purs ont été empruntés pour représenter la Sainte Vierge dans le célèbre diptyque de Notre-Dame de Melun[23].

Or, au témoignage de Dufour qui reproduit les souvenirs du docteur Henry, témoin de l'exhumation d'Agnès en 1777, les cheveux de la Dame de Beauté avaient une couleur brun clair ou cendré. Agnès n'était donc pas blonde. Telle est bien la couleur des cheveux du petit lien conservé aujourd'hui au Musée de Bourges, et de la pincée de ceux qui se trouvent au Musée de Loches. Simple remarque, mais qui donne à réfléchir sur la valeur des éléments pouvant nous guider sur ce qu'il faut penser de la légendaire beauté d'Agnès.

Le seul document présentant une valeur certaine est le tombeau d'Agnès, jadis à la Collégiale de Notre-Dame de Loches, et placé aujourd'hui au logis du château, puisque la réplique du deuxième tombeau de Jumièges a disparu.

Qui n'a admiré cette œuvre charmante, taillée dans le marbre, où nous voyons Agnès souriante dormir son dernier sommeil ? Des anges délicieux, on voudrait écrire des Amours, sont penchés sur le gracieux visage, le large front au bonnet emperlé, les purs yeux clos, et la bouche enfantine. Agnès a les mains jointes et prie pour l'éternité. Elle est vêtue d'un corsage seyant, celui des princesses ; une robe longue, aux larges plis, dessine le tendre corps féminin et l'amplifie. Les moutons de sa patronne jouent à ses pieds[24].

Mais il s'en faut que nous possédions dans la tour du logis de Loches le tombeau d'Agnès tel qu'il était dans la Collégiale. C'est ce que nous montrent deux dessins de la collection Gaignières, l'un et l'autre sans finesse, mais qui ont sans doute le mérite de l'exactitude. La première de ces images, assez complète, nous fait voir que l'Agnès, vue au XVIIe siècle, lisait dans son livre de prières, alors que sur le tombeau rétabli en 1809 elle prie les mains jointes. Les anges ne sont pas à la même place, et les moutons ont été sérieusement complétés. Il manque enfin le pinacle au-dessus de la tête qui terminait l'architecture du gracieux tombeau.

C'est que l'œuvre, telle que nous la possédons aujourd'hui, a subi certaines altérations. Le tombeau a vu une première fois les restaurateurs en 1777, et la statue a été mutilée à la Révolution. C'est ce que nous apprend une lettre du 19 brumaire 1796 écrite par le président de l'assemblée municipale de Loches en réponse à une demande du Ministre de l'Intérieur l'invitant à lui faire savoir où se trouvait alors le tombeau d'Agnès Sorel[25] :

Citoyens,

Le tombeau d'Agnès Sorel a existé véritablement dans le chœur de la ci-devant collégiale de Loches ; il y était encore au mois de mars 1793, époque à laquelle un bataillon de citoyens du département de l'Indre passa dans nos murs pour aller dans la Vendée. Une partie de ce bataillon se porta dans la Collégiale et, voyant le tombeau d'Agnès, construit en marbre noir, de la hauteur d'environ trois pieds, et sur lequel était étendu sa statue faite en stuc, ayant à sa tête deux figures d'anges et à ses pieds deux moutons, ces militaires la prirent pour une statue de Saint, et dans leur délire, ils sabrèrent Agnès, les anges qui la gardaient et les moutons qui étaient à ses pieds.

L'Administration du district, prévenue du ravage qui se faisait dans cette église, s'y transporta aussitôt, mais elle n'y trouva que les morceaux d'Agnès et de son entourage, ainsi que des têtes, des jambes, des pieds de statues que, dans leur rage vandalique, avaient coupés, brisés, ces citoyens armés pour aller arrêter les révoltés de la Vendée.

L'Administration ne put, dans ce moment, que sauver des tableaux que ces militaires n'avaient pas mutilés, parce qu'ils n'avaient pas encore pu les atteindre avec leurs sabres ; les murs de l'église étant très élevés, les tableaux étaient attachés très haut, et le temps d'aller chercher des échelles donna celui de les chasser.

Sortant de ce lieu, ils se portèrent à la maison de détention, ils déclarèrent qu'ils voulaient septembriser ceux qui y étaient. Ce fut alors qu'on employa la fermeté avec eux, et qu'on leur déclara qu'on ne souffrirait jamais le massacre.

Voilà ce qui s'est passé à l'occasion du tombeau d'Agnès Sorel, dont les marbres sont encore dans les magasins de l'Administration.

Les ossements de cette femme avaient, du temps des chanoines, été mis dans une urne et déposés dans le Cimetière du Chapitre. Pocholle, représentant du peuple, les fit exhumer quand il vint en mission ; il s'empara d'un reste de cheveux qui tenait encore au crâne. Satisfait, tout fut remis dans l'urne, et l'urne dans la terre.

Salut et fraternité,

GABORÉ.

Pour le Secrétaire : GOULARD.

Les fragments du tombeau d'Agnès Sorel furent donc oubliés dans les magasins de l'Administration jusqu'en 1805, date à laquelle M. de Pommereul, préfet d'Indre-et-Loire, résolut de les faire réédifier dans la tour du château de Loches qui avait conservé le nom d'Agnès. S'il fallait s'en tenir à la lettre de l'arrêté préfectoral, le tombeau d'Agnès Sorel, placé d'abord dans le chœur de l'Eglise Collégiale de Loches, avait été depuis relégué dans une chapelle où il avait dans les derniers temps subi une destruction totale. La statue d'Agnès subsistait cependant, avec les accessoires qui dévalent être envoyés à Paris pour y être restaurés. M. de Pommereul ne vit pas la réalisation de son projet puisqu'il passa bientôt à la Préfecture du Nord. Mais il continua de s'y intéresser. C'est ainsi que M. de Pommereul écrivit à un sculpteur de Paris, nommé Beauvallet, collaborateur habituel d'Alexandre Lenoir pour le Musée des Monuments français, qui venait pour ce musée d'exécuter la restauration du tombeau de Charles VII. Avant son départ pour le Nord, l'ancien préfet d'Indre-et-Loire pensait avoir laissé les fonds nécessaires à la restauration de la statue au chef de bureau de la Préfecture ; et il remerciait l'artiste d'avoir accepté généreusement la somme de 900 francs pour son travail. Le 9 mai 1806, Beauvallet faisait connaître à M. le Roux, chef du bureau de la comptabilité à la Préfecture de Tours, qu'il avait terminé sa restauration : il réclamait les 900 francs convenus, plus 81 francs pour la caisse, l'emballage et menus frais : Aussitôt que vous m'aurez fait passer cette somme, je vous donnerez avis du jour de départ de la statue que je fais emballer avec tous les soins possibles. Beauvallet, statuaire ail Musée des Arts, tue de Sorbonne, qui avait plus de talent que d'orthographe, dut s'armer de patience. Car le comptable de Tours n'avait pas les fonds pour le régler. Ainsi Agnès demeura deux ans à Paris, jusqu'à ce que M. le Ministre de l'Intérieur eut obtenu de M. Lambert, préfet de Tours, de faire payer le restaurateur. Le mandat est du 18 mars 1808 ; le 16 avril, la caisse arrivait à Tours ; le 22, elle était expédiée à Loches.

C'est dommage que nous n'ayons plus l'état de restauration demandé par le préfet. Î1 nous tirerait d'un doute. Car la statue confiée à Beauvallet était détériorée, et la restauration fut très habilement faite, encore que Beauvallet eut l'honnêteté d'avoir employé le plâtre pour les refaçons. Le nez, les mains, la couronne d'Agnès étaient brisés ; les anges avaient perdu leurs ailes et leurs mains ; la robe était endommagée du haut en bas ; et des deux agneaux, placés aux pieds, l'un avait perdu sa tête, l'autre moins mutilé, était cependant loin d'être intact. Ainsi s'exprime l'érudit Charles de Grandmaison, qui nous a fait connaître l'histoire de la statue. C'est donc avec quelque réserve qu'il est possible d'utiliser cette œuvre ; elle demeure cependant, sous la forme où nous la possédons, un gracieux chef-d'œuvre. Et, pour notre part, nous n'hésitons pas à retrouver les traits de la belle Agnès sur le joli visage au grand front, aux grands yeux, à la petite bouche. Les retouches de Beauvallet ne peuvent porter que sur la couronne, l'extrémité du nez, un morceau du menton.

 

Nous ne sommes pas aussi heureux en présence d'un petit masque de marbre conservé au Musée de Bourges[26], et dont une réplique a été acquise par le Musée de Berlin grâce aux soins de M. W. Böde. L'œuvre est certainement dérivée d'un de ces masques de cire dont la pratique était courante au Moyen Age. Le masque de marbre a tous les caractères de la mort, les yeux clos, la bouche tombante, les joues flasques. Mais seule une tradition rapporte que ce masque provient d'un moulage pris à la mort de la maîtresse de Charles VII. Le registre d'entrée du Musée porte simplement : masque de femme morte, acquisition à la vente Labouvrie, ancien notaire qui s'intéressait à l'histoire locale sous la Restauration. Si nous sommes, comme le veut la tradition, en présence d'un masque funèbre d'Agnès, il est difficile de reconnaître sur cette menue figure les traits de la beauté, mais seulement ceux de la souffrance. Quant à l'usage du masque, il nous échappe[27] ; et des crampons, fixés à l'intérieur, indiquent qu'il était destiné à être maintenu à plat. Pauvre effigie d'une poupée funèbre, où l'ingéniosité des archéologues, qui n'est jamais en défaut, a supposé qu'elle porta les robes mêmes de la favorite, en attendant l'exécution dans le marbre de la statue du tombeau de Loches. Les traits du masque ont d'ailleurs un certain rapport avec ceux de la figure du tombeau.

Une tradition, qui peut remonter au XVIe siècle, reconnaît dans une image de la Vierge, ornant jadis le tombeau d'Etienne Chevalier à Notre-Dame de Melun, les traits d'Agnès Sorel. Mais pourquoi l'avoir agrémentée d'un roman ?

Etienne Chevalier, fils de Jean Chevalier, secrétaire du roi en 1423, servit d'abord le connétable de Richemont comme Maître de la Chambre aux deniers. Attaché jeune encore au service du roi, il fut successivement maître des comptes, clerc le 15 août 1449, et contrôleur de la recette générale des finances du roi et Trésorier de France le 20 mars 1452. On voit qu'il fit partie, en 1445, de l'ambassade qui se rendit en Angleterre sous la conduite du comte de Vendôme pour traiter de la paix. En 1450, Etienne Chevalier était désigné par Agnès avec Jacques Cœur, l'argentier, et Robert Poitevin, médecin de la reine, comme exécuteur de son testament. Le roi Charles VII le désignera de même dans son testament pour remplir ses dernières volontés : c'est lui qui veillera, avec son beau-père Dreux Budé, à la pompe funèbre du roi, comme il a pu s'occuper de celle d'Agnès. Il retrouva, après une courte disgrâce, la confiance de Louis XI, car on voit qu'en 1463 Etienne Chevalier fut chargé, comme Trésorier de France, de porter au duc de Bourgogne les 400.000 écus montant du rachat des villes de la Somme. Le Trésorier de France demeure fidèle pendant la révolte connue sous le nom de Ligue du bien public. Le roi soupe familièrement en son hôtel, le jour où Jean Balue fut sacré évêque d'Evreux à Notre-Dame (août 1465). On trouve encore qu'Etienne Chevalier fut mêlé aux négociations du mois de septembre 1465 avec les princes, où il représentait le roi à la Granche-aux-Merciers. Le roi Louis l'envoie en ambassade vers le pape Paul II en 1470. Etienne Chevalier mourut en 1474, ayant obtenu la survivance de ses emplois en faveur de Jacques Chevalier, son fils. Originaire de Melun, il réunit dans sa main les seigneuries d'Eprunes-en-Brie, de Plessis-le-Comte et de Grigny.

Bienfaiteur de Notre-Dame de Melun, le riche Etienne Chevalier devait reposer au chœur de cette église. Un dessin de Gaignières[28] nous a conservé son effigie et celle de sa femme, sur une lame qui a disparu et se trouvait derrière le maitre autel dans la chapelle de la Vierge. On y lisait les inscriptions suivantes : Cy gist honnorable homme et sage maistre Estienne Chevalier jadis conseiller et maistre des comptes du roy nostre Sire et trésorier de France qui tres-passa le IIIe jour de septembre l'an de grâce MCCCCLXXIV. Dieu en ait l'âme. Amen. Cy gist feue Katherine jadis et à son trespassement femme dudit maistre Estienne Chevalier et fille de honorable homme et sage maistre Dreux Rudé conseiller trésorier des chartes du Roy nostre Sire et son audiencier laquelle trespassa le XXllIe joui de aoust MCCCCLI. Amen.

Au-dessus de ces deux sépultures, on lisait une autre épitaphe gravée Sur une plaque de cuivre et fixée à la muraille. Denis Godefroy[29] qui visita avec soin l'église dans la seconde partie du XVIIe siècle, nous en a conservé le texte : Cy-dessous gisent Maistre Estienne Chevalier, conseiller et maistre des comptes du Roy nostre Sire, et trésorier de France, et Katerine, fille de maistre Dreux Budé, conseiller, trésorier et garde des Chartes du Roy nostre Sire, et son audiencier, sa femme ; lesquels pour l'honneur, et révérence de Dieu, et de Nostre-Dame sa benoiste fnere et pour le salut des ames d'eux, et de leurs enfans, parens et amis tres-passés, et à trespasser, ont fondé une basse messe en ceste église collégiale de Nostre-Dame de Melun, etc. que les chantres, chapitre et communauté de ceste église sont tenus de dire, ou faire dire, tous les jours, scavoir à quatre heures en esté et à six heures du matin en hiver, à l'austel des morts.

Denis Godefroy ajoutait ce renseignement :

Dans ladite église, derrière le chœur, à costé de la sacristie, et à une moyenne hauteur de la muraille, se monstrent par rareté deux tableaux de moyenne grandeur, peints sur du bois, et se feripaps l'un dans l'autre ; dans l'un desquels est représentée une Vierge Marie, portant un voile blanc sur sa teste, et une couronne perlée à hauts fleurons au-dessus, la mammelle gauche descouverte, et ayant la veüe baissée sur un petit enfant, qui est debout à ses pieds.

Godefroy ajoutait entre parenthèse ce renseignement, qui devait être une tradition chez ceux qui faisaient visiter l'église.

Aucuns veulent dire que cette image est peinte sous la figure d'Agnès Sorel, amie de Charles VII. Et dans l'autre tableau est peint le susdit Estienne Chevalier à genoux ; le nom duquel est escrit en abrégé, en grandes et grosses lettres gothiques d'or, à costé de luy, revestu d'une robp de velours rouge, fourrée de tanné, nuë teste et les mains jointes ; ayant au-devant de luy un S. Estienne debout, qui semble le présenter à ladite Vierge : les bordures desdits tableaux sont couvertes en dedans de velours bleu, orné et enrichy tout autour de quantité de grands lacs d'amour, à l'antique, séparez d'une esgale distance l'un de l'autre ; et tissus d'une petite broderie d'or et d'argent ; dans chaque costé desquels lacs, est un grand E (Estienne) aussi à l'antique, tout couvert de petites perles fines ; et entre ces lacs d'amour, sont des médailles d'argent doré, de moyenne grandeur, représentans quelque histoire saincte, dont les personnages sont peints admirablement bien.

Celui que le Martyrologe désigne homme honorable et discret, Etienne Chevalier avait été l'exécuteur du testament d'Agnès Sorel, et le grand bienfaiteur de l'église de Melun ; au témoignage de dom Rouillard[30] il lui avait baillé une image d'argent doré de Nostre-Dame, plusieurs joyaux, de belles chappes de soie et beaucoup d'autres ornements. Au chœur de Notre-Dame, l'homme magnifique que fut Etienne Chevalier s'est donc fait représenter en prières devant une Vierge. C'est tout ce que nous pouvons savoir, et c'est sur ce peu que la légende a brodé à l'infini.

On connaît aujourd'hui l'histoire, assez romanesque, des deux panneaux que Godefroy, au milieu du XVIIe siècle, a vus à Melun où ils demeurèrent jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Le panneau de la Vierge et de l'Enfant Jésus entra au Musée d'Anvers avec les collections Van Ertborn ; l'autre volet, représentant Etienne Chevalier et son patron, fut acheté à Bâle en 1805 par M. Brentano, de Francfort-sur-le-Mein, et n'est sorti de sa famille que pour aller au Musée de Berlin. Les deux volets ont été réunis à l'Exposition des Primitifs français en 1904[31]. Tous deux sont, à n'en pas douter, une œuvre de Jean Fouquet qui peignit pour Etienne Chevalier l'admirable et brillant livre d'Heures dont les pages sont exposées au Musée Condé à Chantilly[32].

Etienne Chevalier, né vers 1410, mort en 1474, paraît bien sur son portrait avoir dépassé la cinquantaine. Sur le livre d'Heures, ses traits paraissent plus émaciés encore. Nous daterions volontiers le portrait, comme le livre d'Heures, un peu avant 1460. C'est d'ailleurs la belle époque de la production de Jean Fouquet[33], né vers 1420, qui résida à Rome entre 1443 et 1447, et sur lequel nous ne savons rien jusqu'en 1461, où il prit le moulage de la tête de Charles VII, et prépara les mystères pour l'entrée de Louis XI à Tours. Florio, en 1477, parle de lui comme d'un maître vivant, et Jean Fouquet mourut avant 1481. Les Antiquités Judaïques (1477) sont la seule œuvre authentique de Fouquet par l'attestation de Robertet qui a écrit à la fin de cet admirable livre : de la main du bon peintre et enlumineur du roy Loys XIe Jehan Fouquet natif de Tours. Mais le Boccace de Munich, copié en 1458, fait pour Laurens Girard, receveur général des Finances, est indubitablement de Jean Fouquet. Il y a mis non seulement la signature de son génie et de son style, mais encore une marque à lui, formée par les initiales du propriétaire du livre L G reliées par des cordelières. Le livre d'Heures d'Etienne Chevalier est signé de la même façon, des lettres E C reliées par une semblable cordelière. Si nous comparons le portrait d'Etienne Chevalier du livre, le type de la Vierge dans les Heures de Chantilly, avec les volets jadis à Melun, nous sommes amenés à affirmer que Jean Fouquet est bien l'auteur de l'ex-voto dont un panneau est à Anvers et l'autre à Berlin. Le type de la Vierge mère rentre dans la suite des vierges que peignit Fouquet, entre autres dans le livre d'Heures d'Etienne Chevalier. L'enfant est identique. La Vierge est ici une mère, un peu plus maniérée et royale, couverte de perles et couronnée, assise entre les chérubins sur un trône enrichi d'émaux et de perles, et qui donne à l'enfant qui s'agite son beau sein, les yeux pudiquement baissés.

A quelle époque et comment la tradition affirmant que la Vierge est ici sous la figure d'Agnès Sorel s'est-elle formée ? Sans doute, dès le XVIe siècle. On montrait à Melun le portrait du généreux donateur, exécuteur des dernières volontés de la belle Agnès, son ami. Et l'amie d'Etienne Chevalier, l'imagination populaire la retrouva naturellement dans la figure de cette Vierge royale, une princesse du ciel. Jean Fouquet n'était pas que le peintre minutieux et attendri des paysages lumineux de la Touraine qu'il remplissait de monuments romains et de personnages habillés à l'antique. Il était aussi un peintre très habile de figures, et il a pris parfois leurs traits sur ceux qui posèrent pour lui. Nous pouvons reconnaître ceux de Charles VII dans la figure du roi mage en adoration devant la crèche, dont le chapeau est fleurdelisé[34] comme le manteau étendu sous ses pieds, dans les Heures d'Etienne Chevalier. C'était l'habitude des artistes anciens, et cette fantaisie n'a jamais disparu puisqu'elle anime encore l'œuvre d'artistes contemporains. Il est très possible, et les traits conservés par le tombeau de Loches le laissent croire, que Jean Fouquet ait peint ici la Vierge, type suprême de la perfection féminine, sous les traits d'une beauté célèbre, typique, déjà légendaire, qui était celle de la belle Agnès[35]. Il n'y aurait là, à notre sens, aucune allusion déplacée ou équivoque. Nous ferons seulement remarquer que pendant les cinq années où triompha Agnès, Jean Fouque paraît avoir résidé en Italie, et que ce ne pourrait être qu'une dizaine d'années après sa mort qu'il aurait peint cette effigie, et d'après un document.

Quoiqu'il en soit, la tradition reconnut de bonne heure dans cette grande dame emperlée, au sein découvert, Agnès qui affectionna le décolleté. Au XVIIe, l'érudit et singulier collectionneur de traditions amoureuses que fut Henri Sauval[36], nous apporte son témoignage :

 

Etienne Chevalier... demeuroit à la rue de la Verrerie, dans un logis situé entre la rue du Regnard et la rue Barre-du-Bec, et qu'occupe maintenant Salo, conseiller de la Cour. C'était un fort galant homme, et qu'Agrès Sorel, la plus belle fille de son temps, et maîtresse de Charles VII, honora d'une amitié toute particulière, jusqu'à le choisir pour être un des exécuteurs de son testament. Aussi n'oublia-t-il rien toute sa vie pour lui témoigner sa reconnaissance, et même afin qu'elle éclatât davantage, et pour en laisser des marques à la postérité, il fit sculpter sur le cintre de la porte d'une petite cour, qui mène au jardin de sa maison, des lettres gothiques et cubitales, entrelassés de feuilles d'or, qui composent en l'honneur de sa bienfaitrice une espèce d'anagramme que voici :

RIEN SUR L N'A REGAR.

Denis Godefroy, qui touchait d'ailleurs par des alliances de famine aux Chevalier, dans son Recueil de Charles VII, a connu et copié ce témoignage relatif à la maison de la rue de la Verrerie ; mais il rapporte une tradition aussi surprenante que précise, comme tant de légendes, sur les sentiments d'Etienne Chevalier pour Agnès Sorel :

Nous avons remarqué cy devant pages 192 et 881 qu'Estienne Chevalier fut fait en 1449 un des exécuteurs du testament de la Damoiselle Agnès Sorel ou Surel, vulgairement appelée la Belle Agnès, amie du Roy Charles VII, en suite de quoy, pour faire voir l'amitié qu'il conservoit en son endroit, et pour en honorer davantage la mémoire, il se fit à son sujet peindre avec un rouleau qui sortoit de sa bouche, contenant une manière de Rebus de Picardie, qui exprimoit ces mots : Tant elle vaut celle pour qui je meurs d'amour ; et pour signifier ces paroles, après ce mot tant estoit figurée une aisle d'oyseau ; après elle une selle servant à cheval ; après pour qui je, un mords de cheval, de sorte qu'il ne paroissoit en escrit dans ce rouleau que ces six mots : tant, vaut, pour qui je, d'amour. Et dans une grande maison size à Paris, rue de La Verrerie, appartenant autrefois à la famille des Chevaliers, et à présent à Messieurs de Sallo, conseiller au Parlement, alliez de cette famille, autour du ceintre de la porte d'une petite cour qui mène au jardin, se voit une forme d'anagramme d'icelle Agnès de Surel... qui se lit en grandes lettres antiques, gravées sur la pierre, avec des feuilles d'or entrelassées, en cette sorte : Rien sur L n'a regar, laquelle Agnès de Surel prenoit pour armes un sureau d'or, qui avait rapport à son nom de Surel ; et sont armes qu'on appelle parlantes. Dans la mesme grande maison il y a deux arcades de pierre de taille, au-dessus desquelles, du costé droit, se voit un laz d'amour, avec un grand E (Estienne) à l'antique, de chaque costé ; ledit laz entouré d'une cordelière.

Si Godefroy a copié ici le texte de l'anagramme rapporté par Sauvai, on peut supposer une faute commune, et la devise pourrait être corrigée suivant celle donnée par le Boccace de Munich[37] SUR LY NA REGARD, où M. Paul Durrieu a lu correctement le nom de Laurens Girard. Etienne Chevalier, ou Laurens Girard ont-ils possédé une maison rue de la Verrerie ? Nous avons eu la bonne fortune de retrouver aux archives nationales[38] cette maison que se partagèrent les héritiers d'Etienne Chevalier, Jacques Chevalier et Laurens Girard.

Guillebert de Metz, dans la description qu'il fit de Paris à la fin du règne de Charles VI, nous a décrit le bel hôtel de la rue de la Verrerie, appartenant à Mille Baillet, trésorier du roi[39].

Entre lesquelx estoit l'ostel de sire Mille Baillet en la Voirrie, qui estoit tresorier du Roy ; ouquel estoit une chaquelle ou l'en celebroit chascun jour l'office divin. Il y avoit salles, chambres et estudes en bas pour demourer en esté par terre, et en hault tout pareillement ou l'en habitoit en yver, si y avoit des voirrieres autant qu'il a de jours en l'an. Avec ce, ledit sire Mille avoit hors Paris, de trois costez de la ville ou ses heritages estoient, si grans hostelz a haulte court et basse, que ung grant prince se y logoit bien. Aussi pluseurs autres avoient des beaulx hostelz dehors.

L'hôtel de la rue de la Verrerie, appartenant à Mille Baillet, trésorier, paraît bien avoir été durant le XVe siècle, la maison des trésoriers. Située dans la censive de Saint Merry, on voit qu'elle passa aux mains de Jacques Chevalier[40] conseiller et maître des comptes, et qu'elle fut achetée en 1507 par Me Florimond Robertet, notaire et secrétaire du roi, trésorier de France[41]. Jean Trudaine, également trésorier de France, habitera rue de la Verrerie en 1658. Laurens Girard était gendre d'E. Chevalier. Il est nommé dans un acte de 1478 à côté de Jean le Boulenger, premier président au Parlement, de dame Marie Chevalier, sa femme, de Me Jean Budé, audiencier de France, de Jacques Chevalier, parmi les héritiers de feu noble homme Dreux Budé, audiencier de France[42]. Et nous avons fait la preuve que la maison de la rue de la Verrerie fut un moment occupée par Laurens Girard, qui y aura fait graver sa devise SVR LY NA REGARD, qui n'a rien à voir avec Etienne Chevalier. La légende recueillie par Sauval repose donc sur une confusion.

La tradition se précisa, comme il arrive, en s'éloignant des événements. Dès le XVIe siècle, on peignit d'après elle le portrait d'Agnès Sorel. Il a suffi pour cela au galant peintre de supprimer l'enfant Jésus[43]. Mais le sein étrange, unique, a été maintenu (il était si joli et l'époque était libre). Ainsi nous apparaît Agnès Sorel sur une peinture charmante, venue du château de Mouchy[44] en Picardie (c'est-à-dire du pays d'Agnès Sorel), et que l'on a pu voir en 1904 à l'Exposition des primitifs français. La figure est un peu plus amenuisée, et les yeux sont presque complètement ouverts. Agnès est debout devant une table où elle s'appuie de la main gauche, tenant son livre de prières, tandis que l'autre main, qui ne s'explique plus, pend le long de sa robe. Mais le type du visage a été suffisamment conservé : on retrouve sous le voile, le front important de la Vierge de Melun, le développement des yeux, les mêmes sourcils épilés, la mignonne petite bouche.

On sait que Roger de Rabutin, comte de Bussy, galant militaire et libertin, a composé dans son exil, pour égayer Mme de Montglas sa maîtresse, la célèbre Histoire amoureuse des Gaules qui lui attira tant d'ennemis et lui aliéna pour longtemps Louis XIV. Dans son agréable château de Bussy-le-Grand, près de Semur où il demeura dix-sept ans au sortir de la Bastille (1666), Bussy avait formé une collection des portraits des plus jolies femmes. Mme Agnès y figurait naturellement. Le peintre qui travailla pour Bussy arrangea le type du portrait du XVIe siècle, dérivé de la Vierge de Melun. Comme ce diable de Bussy s'était fait vieux et ermite, et qu'il donnait souvent à ses enfants des leçons de morale, on supprima le sein découvert, et l'on accorda à Madame Agnès une plénitude et une ampleur plus convenables à l'idée de la beauté de ce temps. Ainsi Agnès Sorel nous apparaît dans son manteau doublé d'hermine. Mais on retrouve toujours sous les plis du voile transparent les traits affadis de la madone d'Etienne Chevalier interprétés par l'artiste du XVIe siècle. C'est le type du château de Bussy que multiplieront les lithograveurs de l'époque romantique[45].

 

Une autre tradition iconographique est fixée par une série presque immuable de dessins. Ils se rencontrent parmi les crayons, si souvent répétés entre le xvi6 et le XVIIe siècle, et qui formaient une sorte d'album de la cour. C'est la belle Agnès, type légendaire de la beauté, la seule des femmes du quinzième siècle qui ait passé les générations pour retrouver les hommes et les femmes contemporains de François Ier et des Valois.

Agnès Sorel y est représentée de trois quart, les cheveux tirés comme ceux de nos contemporaines sous un petit bonnet emperlé formant cloche ; il dissimule son ample front où brille un bijou de trois rangs de perles. Les yeux sont grands, le nez assez important, la bouche moins petite que celle de la Madone de Melun. Le cou paraît assez fort et gras, la figure pleine, le menton rond. De cette image, d'où se dégage une impression de santé, de douceur et de bonté, nous possédons au moins une dizaine de répliques, plus ou moins anciennes, et qui ont bien étonné les amoureux rétrospectifs de la Belle Agnès. Car sur cette saine et vivante figure, ils ont eu quelque peine à retrouver les caractères classiques de la Beauté.

Il faut examiner avec soin les exemplaires les plus anciens de ce type de la Belle Agnès qui se rencontrent dans l'album de la Bibliothèque Méjanes (vers 1526) et dans l'album Visconti (vers 1536)[46]. Car les calques, ou les reproductions plus tardives, ont à la fois alourdi le type et traduit d'une manière incomplète le bonnet et le bijou.

L'album de la Bibliothèque Méjanes représente une collection de portraits recueillis par Hélène d'Hangest en 1526, au témoignage de l'inscription concernant Marguerite d'Angoulême. Nous avons déjà dit ce qu'il fallait penser du quatrain attribué à François Ier sous les traits de la Belle Anys ; il n'est peut-être qu'une épitaphe courante et d'ailleurs plaisante. Pour ma part, je suis tout à fait porté à croire que le bonnet, avec le bijou qui pend sur le front d'Agnès, est plutôt celui des contemporaines de François Ier que celui d'une dame du temps de Charles VII. Il est d'ailleurs difficile de le rapprocher du bonnet de la tombe de Loches, cette partie ayant subi des restaurations. Sur le tombeau, le bonnet n'est guère qu'un bandeau.

Tous les types adoptés par les graveurs du XVIIe et du XVIIIe siècle dérivent soit de l'ex-voto de Melun, soit du type des crayons.

Au type de Bussy, il faut rattacher la gravure de Gérardin dont la source est indiquée de la sorte : D'après le tableau original qui étoit dans le cabinet de Monsieur Fontenelle, et qui est à présent dans celui de Monsieur Gallyot, bailly de Meudon, et qui porte en cartouche la légende : morte au château du Menil le 9 février 1449, âgée de 39 ans, suivant la tradition du XVIIIe siècle[47]. C'est la grave et plantureuse Agnès du XVIIe siècle, dans sa robe d'hermine, où se retrouvent très altérés, sous le voile, les traits du modèle primitif. On reconnaît encore ce type dans la lithographie romantique de Belliard ornant l'ouvrage de Sarcus — avec l'indication : tiré du château de Bussy Rabutin, appartenant à M. le comte de Sarcus — ; dans celle plus petite de Delpech, où la signature Agnez a été ajoutée par un érudit qui a connu la quittance autographe signée ; dans la gravure sur acier du diagraphe et pantographe Gavard ; dans l'illustration de la Touraine Ancienne et Moderne de Mercier ; dans les Mystères des Vieux Châteaux de France, t. I, p. 197.

Le Journal des Femmes a publié une figure jeune, compromis entre ces deux types ; une fantaisie romantique est la figure maniérée d'Agnès Sorel au chaperon de A. Desenne (gravée par Lecomte et lithographiée par M. Brunet) que l'on vendait chez Blaisot au Palais Royal, Galerie de Bois ; la figure de Metzmacher, de 1868, qui orne l'ouvrage de Stenackers, est un souvenir du type de Bussy, interprétée avec une fantaisie déconcertante dans un costume qui est plutôt celui d'une danseuse de ballet Russe.

Le crayon du XVIe siècle inspire par contre I. M. Moreau dont le dessin est gravé par N. Maviez, en 1788, d'après les portraits qui sont dans le Cabinet du roi. Moreau régularise la figure, le voile, ajoute le collier de perles sur le cou, les boucles d'oreille ; mais il a regardé aussi l'ancien portrait qui lui donna le voile qu'il jeta sur le bonnet. Du dessin dérive encore, mais d'une manière beaucoup plus libre, la figure de la suite de Desrochers, gravée par Petit, rue Saint Jacques près les Mathurins, où Agnès apparaît dans le vêtement de cour du temps d'Henri IV, avec une fraise autour du cou, des frisons sous le bonnet. Mais l'époque de la Henriade était alors ce qu'est pour nous le Moyen Age.

Et d'autres artistes ont été moins scrupuleux, usant du type d'une vierge quelconque aux longs cheveux — Agnès Sorel ou Soreau, maistresse du roi de France Charles VII, morte en 1450.

 

Au cours de cette étude iconographique nous avons écarté bon nombre de légendes qui s'y étaient greffées. Mais les conclusions qu'il nous reste à présenter ne sont pas empreintes de scepticisme. La figure du tombeau de Loches, en dépit de certaines restaurations, est un document fidèle. Ce document, le meilleur à notre sens, n'est pas en contradiction avec la figure de la Madone de Melun, aujourd'hui à Anvers, dont nous avons seulement critiqué la légende relative à Etienne Chevalier. Il se peut que le crayon du XVIe siècle ait été fait sur un portrait original aujourd'hui perdu, ou qu'il soit une interprétation un peu libre des traits de la Madone de Melun, comme le donnent à penser le petit ruban ornant le front sous la couronne et le bonnet qui est commun aux deux documents. Mais là encore, aucune contradiction essentielle dans les traits donnés à Agnès. C'est d'une peinture du XVIe siècle, conservée aujourd'hui au château de Grouchy, dérivée de la peinture du dyptique de Melun, qu'est sorti le type de l'Agnès de Bussy, multipliée par la gravure et la lithographie. Le reste n'est qu'imagination et fantaisie.

 

III. — AGNÈS SOREL ET LE ROMANTISME.

 

Les matériaux de la vie imaginaire d'Agnès Sorel ont été réunis à la fin du XVIIIe siècle, comme presque tous les éléments du romantisme découlent de cette période encore si peu connue. Je les ai trouvés dans la Bibliothèque Universelle des Romans (octobre 1778), la petite revue périodique que Marie-Antoinette a pu lire. Monsieur de Paulmy d'Argenson, dont !a magnifique collection d'anciens romans français est aujourd'hui à la Bibliothèque de l'Arsenal, était l'âme de cette publication. Je pense qu'il est pour quelque chose dans la rédaction de l'histoire d'Agnès Sorel insérée à la page 115, puisqu'il possédait le château de la Guerche en Touraine qui a appartenu autrefois aux parents d'Agnès Sorel, comme le rapporte l'auteur de l'article décrivant la suite des peintures à fresques ornant une salle de la Guerche, où il crut reconnaître le portrait et la légende d'Agnès. Les matériaux pour un roman historique d'Agnès Sorel sont très abondants ; cependant il nous manque encore... Nous allons rassembler tout ce que l'on a su et supposé sur ce sujet et former un canevas suivi, d'après lequel il sera aisé de faire un roman plus étendu de la vie et des amours d'Agnès Sorel. Pêle-mêle, il utilisera les meilleurs ouvrages historiques concernant le règne de Charles VII, et plusieurs ouvrages romanesques et poétiques, tels que l'histoire des Favorites par Mlle de la Roche Guichen, les Intrigues de la Cour de France dans tous les temps de la monarchie, les Amours des rois de France par Sauval, les Anecdotes de la Cour de Charles VII par Mme Durand, le poème de la Pucelle par Chapelain, etc. L'auteur de la notice ne se risquera pas à faire le portrait d'Agnès : il est ridicule dans le poème de Chapelain, et il ne voudrait pas se rencontrer avec un autre poème sur le même sujet, qui est celui de Voltaire et qu'il ne nommera pas. Car si la plupart des vers de ce dernier poème sont charmants, le rédacteur ne veut en rapporter aucun, ne fut-ce que pour ne pas citer un ouvrage que son auteur a désavoué ; quoiqu'il put faire honneur à son talent si connu et admiré, il n'en fait aucun à sa sagesse et à sa philosophie. Et le rédacteur de la Bibliothèque Universelle des Romans n'admet pas que l'on plaisante de la sorte la figure et la conduite de l'héroïne de notre roman.

Il a situé son action, comme Chapelain, au temps du siège d'Orléans. Agnès Sorel a dix-huit ans quand le roi la voit pour la première fois au château de Fromenteau, en Berry, appartenant à Jean Sorel son père. Après avoir tracé une histoire assez correcte de Jeanne d'Arc, de sa mission, de sa fin malheureuse, il nous montre Charles de retour en Berry, lorsque Isabelle de Lorraine vint implorer son secours en faveur de son mari, le roi René, prisonnier. Charles n'est pas en état de repasser une seconde fois la Loire pour aider ce prince infortuné : mais il accorde à cette reine un asile dans sa cour, d'autant plus volontiers qu'il a reconnu dans sa suite la belle Agnès qu'il avait admirée quelques années auparavant dans le château de Fromenteau. Sa beauté avait acquis un nouveau degré de perfection, et son esprit s'estoit formé par l'usage du monde et des Cours. Le roi sentit renaître les feux qu'elle avoit déjà allumés dans son cœur... Agnès y opposa sans doute quelque temps une juste résistance ; les peintures du château de la Guerche nous l'apprennent ; mais enfin, elle se rendit. Les leçons de l'amour étaient d'ailleurs nécessaires au roi ; la reine elle-même y consentait. La Trémoille, les prêtres savaient qu'Agnès n'était ni indévote ni libertine ; les magistrats la connaissaient pour juste, les peuples pour humaine. Ainsi la belle Agnès conserva sur le cœur du roi un empire qui dura près de vingt ans. Elle vit ses affaires se rétablir, et Charles devint le victorieux. La jalousie du dauphin éclate contre Agnès qui l'a empêché d'entrer au conseil du roi. Il veut persuader à son père qu'Agnès est infidèle. Colère de Charles VII qui chasse son fils. Agnès se retire à Loches où la reine va la chercher pour la ramener à la cour. Puis le rédacteur raconte la mort d'Agnès dans son château de Mesnil-la-Belle près de Jumièges, à l'âge de quarante ans.

Telles sont les données qui vont alimenter les imaginations des dramaturges et des poètes du XIXe siècle. Chez le rédacteur de la Bibliothèque Universelle des Romans, elles ne sont pas d'ailleurs bien différentes des notions soi-disant historiques de Dreux du Radier, le livre de chevet de la mère de Michelet.

Agnès Sorel apparaît dans la Jungfrau von Orleans, la tragédie romantique que Schiller écrivit en 1801. Elle est représentée non seulement comme une amoureuse, mais comme la générosité elle-même. C'est ainsi qu'Agnès apprenant que le roi n'a pas d'argent pour payer ses soldats, lui offre tous ses bijoux, tous ses biens de Provence qu'on peut vendre pour en tirer de l'argent. Elle supplie le roi de ne pas hésiter plus longtemps, de ne pas perdre un temps précieux. Et Charles dit en souriant : On m'avait prédit qu'une femme me mènerait à Clermont. C'est ici l'héroïne, je dois vaincre, avec l'aide de mon Agnès.

Charles VII perd courage et veut battre en retraite avec son armée ; la race des Valois est maudite par Dieu ; la maison royale doit périr et céder la place aux Bourguignons et aux Anglais. Mais Agnès Sorel est là pour l'encourager et lui conseiller d'abattre tous les ponts pour couper la retraite.

Après la victoire, Agnès vient à la rencontre de Jeanne et se jette à ses pieds. Elle lui dit : Tu es un ange, tu as mené le roi à Reims. Tout le monde se réjouit de notre victoire ; mais toi, tu restes calme et froide. Maintenant, après la victoire tu dois reposer tes armes et devenir une simple femme, qui puisse aimer et être heureuse. Le comte de Dunois t'aime, il est beau. Mais tu ne l'aimes pas. Tu as accompli ton devoir, la France est libre, pourquoi donc restes-tu si triste ?

Et Jeanne lui répond : Tu es heureuse, tu peux aimer, sois heureuse et laisse moi à mon chagrin.

Lorsqu'on accusera Jeanne, Agnès la suppliera de parler et de détruire la calomnie. Dis que tu es innocente, nous avons tous confiance en toi.

Amoureuse et magnanime, telle est la fille romantique de l'imagination de Schiller.

Je ne mentionnerai ici, qu'à cause d'une curieuse lithographie, le Mausolée d'Agnès Sorel, poème en douze chants de M. de Sales, Paris, Pillet, 1823, qui n'est qu'une absurde et burlesque platitude[48]. Car Agnès Sorel n'a eu qu'un poète, mais un vrai poète, très français, très normand, malgré l'origine allemande de son nom, Ulrich Güttinger[49]. Il était né à Rouen en 1785, et dans la force de son âge et de son talent d'élégiaque quand il publia Charles VII à Jumièges en 1827. L'ami de Sainte-Beuve, de Charles Nodier, de Victor Hugo, l'amoureux et le chrétien demeure aujourd'hui fort oublié. Mais cet oubli n'est pas justifié. Son récit : Charles VII à Jumièges est d'un vrai poète romantique et mièvre :

D'où reviennent gaîment ces vaillans chevaliers ?

Harfleur a vu leurs fronts couronnés de lauriers

Comme ils marchent joyeux ! leurs pesantes armures

Sont couvertes pourtant de neige et de frimas

Et l'hiver est cruel ; mais que font ces injures

Et les rigueurs d'un siège au cœur de ces soldats ?

Ils sont français ! par eux la patrie est sauvée...

Autour de Charles VII se pressent les bannières

Et le roi souriant : Bons chevaliers, mes frères,

Mes amis, grâce à vous, les Normands sont français !

Si vous m'avez fait craindre il faut me faire aimer.

Mais la nouvelle fatale arrive : Agnès, Agnès expire. Le roi accourt :

... Les coteaux de Jumiège,

Enfermant de leurs bois la Seine aux longs détours,

Apparaissent couverts d'une éclatante neige ;

De l'antique abbaye on aperçoit les tours,

Et bientôt le manoir des royales amours

Où Charles, tant de fois heureux de sa tendresse,

Porta les pas légers d'une amoureuse ivresse !

Le roi Charles presse sa monture dans la nuit glacée ; il sonne le cor :

Agnès l'a reconnu : Voilà le bien-aimé !

Il vient à moi, dit-elle ; encore, encore une heure !

Que j'entende sa voix, que je l'embrasse et meure !

Et le roi, que précède un moine du couvent,

Pénètre dans la chambre où, sur un lit gisante,

Agnès, jadis si belle, aujourd'hui languissante

Pour vivre et pour aimer n'avait plus qu'un moment.

Agnès dit son amour, et son repentir :

Mais surtout apprends leur, Charles que je t'aimais !

Adieu ! donne ta main, sois l'amour de la France ;

Avant de la quitter j'ai vu sa délivrance,

Tes ennemis vaincus, ton règne glorieux,

Et j'emporte avec moi le bonheur dans les cieux.

L'abbé du monastère s'avance à son tour :

Il vient avec respect montrer un front austère

En s'approchant du lit parle de repentir :

Brûleriez-vous encore d'une flamme adultère ?

— Oh oui ! répond Agnès dans un dernier soupir,

Oui, je l'aime toujours... mais non plus sur la terre !

Ulrich Güttinger reviendra en 1830 à Jumièges : il a cinquante quatre ans quand il écrit la jolie plaquette Jumièges, qu'il publia à Rouen. Il y insérera son Récit, et d'autres méditations nées de l'âge et de la vie. Une saisissante lithographie nous montre les belles ruines qui inspireront plus tard Delacroix. Ulrich Güttinger sait bien que l'histoire de Jumièges a été écrite : mais la véritable impression de ces lieux n'a pas été rendue. Il n'a pas vu, auprès de ces belles ruines, la méditation et la poésie chères à son cœur : Chateaubriand, voilà l'historien, le poète que nous implorons pour Jumièges, car le génie du Christianisme est là aussi, bien profond et bien éclatant. Ulrich Güttinger regarde les tours, le lierre sur le mur d'enceinte : il s'arrête devant le tombeau d'Agnès Sorel, au chœur de l'abbaye. Il ne voudrait ici, ni livres, ni dates, une simple table des matières qu'il esquisse d'ailleurs :

1449. — Charles VII à Jumièges.

Triomphes et délassements du roi dans la Sainte Abbaye.

La mort d'Agnès interrompt les fêtes. Elle meurt, belle et charmante encore, dans son manoir du Ménil près Jumièges. Son repentir, ses larmes. Ses tendres discours au roi. Elle donne son cœur à Jumièges.

1777. — Son tombeau est placé dans la nef de l'église.

Les calvinistes en volent la statue, l'or et le cuivre. Les révolutionnaires de 93 profanent, détruisent le tombeau, en dispersent les restes. Ainsi se termine la glorieuse et douloureuse histoire de l'abbaye de Jumièges.

En 1824, la duchesse de Berry visite les ruines. Depuis lors, rien de remarquable n'y est survenu.

Il appartenait naturellement à Alexandre Dumas de reprendre la broderie, qui nous est maintenant familière, et qu'il jette sur la figure d'Agnès dans son drame de Charles VII chez ses grands vassaux (1835). La trame est toujours empruntée à Chapelain, quand Charles et Agnès, tout à leur amour, viennent chercher refuge dans l'inaccessible château de Charles de Savoisy :

Oui, va dormir aux bras de ta maîtresse

Afin que si les cris de la France en détresse

Viennent pendant tes nuits t'éveiller en sursaut

Une voix de l'enfer te parle encore plus haut !...

La même fantaisie, où se retrouvent tous les poncifs du romantisme, l'Arabe, les Egyptiens, l'homme d'Eglise, le bal des ardents, anime l'illisible roman d'Henri Lafosse[50] Agnès Sorel (Paris, 1844) et ses trois gros in-8°.

Anne Cohen[51], l'un des conservateurs de la Bibliothèque de Sainte-Geneviève, polyglotte et traducteur de Walter Scott, lance en 1846 une supercherie digne d'un écolier en vacances qui ne saurait tromper personne, et qu'on s'étonne seulement de trouver sous la plume d'un vieillard : Chinon et Agnès Sorel. Dans un vaste château, sous la poussière, il aurait découvert des feuilles éparses, l'histoire d'Agnès racontée par Etienne Chevalier, qu'il met au jour. La pauvre fantaisie dont il suffit vraiment de reproduire le titre :

Des faicts et moult memorables et grandes choses

Advenues en le royal chastel de Chinon l'an

De nostre seigneur MCCCCXXV et jusques en

L'an MCCCCL, ou se voient les gestes

De ma Dame Agnès Soreau, dame de

Beauté sur Marne, de Roquecesière

Et d'Issoudun, escrites par son

Très fidèle serviteur Estienne

Chevallier secrétaire de

Notre très amé et

Redoubté Seigneur le

Roi de France.

 

IV. — AGNÈS SOREL DEVANT L'HISTOIRE.

 

La première histoire en date d'Agnès Sorel est celle que donna Joseph Delort en 1824 : Essai critique sur l'histoire d'Agnès Sorelle et de Jeanne d'Arc. L'auteur était un publiciste, né à Mirande (Gers) en 1789, qui fit sa carrière dans les bureaux de l'Intérieur. Il s'était fait connaître par ses Voyages aux environs de Paris (1821), une campagne de presse en faveur d'une loi sur la propriété littéraire (1822) et un Essai sur l'histoire de Charles VII (1823). A vrai dire, Joseph Delort n'a guère tenu la promesse qu'il annonce sur le titre de son ouvrage par de sévères et classiques maximes : La vérité est l'âme de l'histoire... Rien n'est beau que le vrai. Il déclare cependant dans sa préface : Du moment que j'ai aperçu le merveilleux de la poésie dans toutes les notices sut Agnès Sorelle, j'ai pensé qu'en appuyant la mienne sur les faits purement historiques, le sujet, quoique fort éloigné de nous, pourrait encore se présenter avec le charme de la nouveauté. Seul un important recueil de pièces justificatives, toujours utile, justifie les intentions de Delort. Pour le reste, son Essai critique n'a de critique que le titre. C'est un roman, où l'on retrouvé toutes les données légendaires et apocryphes léguées par Dreux du Radier et le XVIIIe siècle[52].

C'est bien pour être complet que nous mentionnerons les Histoires d'Agnès Sorel et de Madame de Châteauroux, par M. Quatremère de Roissy (1825), essai sans valeur écrit pour les gens du monde et les femmes.

Car le premier historien d'Agnès est en vérité Vallet de Viriville qui, dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. XI (1849-1850) publia pour la première fois bon nombre de documents inédits sur la favorite et sa famille, et dans la Revue de Paris en 1855, une Agnès Sorel, étude morale et politique, suivie des Nouvelles recherches sur Agnès Sorel (1856). Dès son passage à l'Ecole des Chartes, Vallet de Viriville avait montré qu'il était l'immense travailleur, le chercheur infatigable que révèlent les notes manuscrites laissées à la Bibliothèque Nationale, les articles de la Biographie Hofer, et son Histoire de Charles VII, qui ne répond sans doute plus aux exigences de la recherche scientifique contemporaine, mais qui demeure si lucide, intelligente, et au demeurant témoigne de la connaissance très rare d'une époque. Ce qui dépare les travaux de Viriville et les a fait beaucoup vieillir, c'est un certain romantisme, parfois le manque d'esprit critique, un style troubadour, des sentiments chauvins et chevaleresques qui datent.

La belle Agnès a laissé dans le commun souvenir une renommée singulière. Cette figure, du fond lointain des temps, nous apparaît gracieuse et parée de l'auréole... Agnès fut belle, si belle qu'un roi dont elle fut aimée, voulut, en la voyant, imiter la nature, et la fit après Dieu dame de Beauté. Mais au-delà de cette notion son histoire est demeurée obscure et douteuse. On dit que Charles VII, sur le point de céder lâchement sa dernière ville aux Anglais, retrouva près d'Agnès le sentiment de l'honneur et le courage, et que nous lui devons ainsi le salut de la patrie. Les poètes, apôtres crédules, en tout temps, de ce qui est noble et beau, ont, depuis Baïf jusqu'à Béranger, propagé cette légende. Puis de sombres moralistes et d'avides savants sont venus, qui ont repoussé cette croyance...

Vallet de Viriville faisait naître Agnès en 1409 ou 1410, adoptant la tradition locale, qui subsiste encore, au château de Fromenteau, paroisse de Villiers-en-Brenne (Indre). De Jean Soreau, écuyer, seigneur de Coudun, gentilhomme de Charles Ier, duc de Bourbon, comte de Clermont, mort en 1446, il faisait un tenant de la cause nationale, ce qui est assez contestable. En Catherine de Maignelay — Maignelay est une terre proche de Coudun, relevant du comté de Clermont — il retrouvait les mêmes traditions françaises, mais avec plus d'éclat, puisqu'un Jean de Maignelay, grand-père d'Agnès, pris à Poitiers, servit le roi Jean à Londres comme échanson, et portait le chevaleresque surnom de Tristan, et fut appelé par Froissart le bon chevalier ; Raoul, fils de Tristan, et père de Catherine de Maignelay, était de la retenue de Charles VI. De Jean II de Maignelay, frère de Catherine, Vallet de Viriville fait un combattant français contre tes Anglais au temps de la Pucelle, qui défendit contre les Bourguignons la place de Gournay-sur-Aronde, et depuis commanda à Creil. Je voudrais bien, pour ma part, être aussi certain des sentiments de cette noblesse de Picardie, en fait si douteux. Demoiselle Agnès Sorel, partait comme les jeunes adolescents à la Cour parfaire son éducation. Au sortir de l'enfance on la trouvait chez Isabelle de Lorraine, une brillante école. Isabelle a le même âge que sa jolie compagne. Cette similitude, jointe à l'attraction de deux natures distinguées, rapproche la vassale de la reine. Bientôt Agnès allait jouer un rôle sur un plus haut théâtre, à la Cour de France. A quelle date ? La discrétion des chroniqueurs s'explique aisément par la nature de la révélation qu'ils ont omise. D'après la naissance des quatre enfants, avant 1434, suivant Vallet de Viriville qui trace des portraits romantiques des héros de ces amours qu'ont chantées poètes et romanciers. Vallet de Viriville dessine les figures romantiques de Charles VII, d'Isabeau de Bavière qui est restée un épouvantement de l'histoire. Charles suça tout enfant le lait de cette marâtre et le philtre empoisonné que distillaient, aux hôtels de Saint Paul et de Nesle et du Petit Musc, les orgies des princes ses parents... L'historien montre en ce temps-là Jeanne d'Arc reniée ; La Trémoille le maître, les révolutions de palais. Et le roi, après Arras, se retrouve viril, fort, bien entouré au Conseil. Comment s'est opérée cette métamorphose ? Les hommes d'imagination, ceux qui dans le tableau mouvant du passé, se passionnent surtout au côté esthétique des choses, ont exclusivement rapporté à la belle Agnès l'honneur de ce changement : ils en ont fait un miracle de l'amour ; Brantôme et du Haillan ont vulgarisé cette belle histoire. Dans le drame de Dieu, la poésie même humaine, a son rôle : Ainsi que don Juan, Charles VII, ce voluptueux insatiable et blasé cherchait à travers l'idéal, comme dans la réalité, un royaume à conquérir. Il vit enfin apparaître, en la personne d'Agnès, une femme plus belle et plus éloquente que les autres. Sous ces traits gracieux et attendris, sans doute il reconnut sa propre destinée... Alors, prêtant l'oreille à cette douce révélation, il marcha, comme s'il avait eu la poitrine armée d'un cœur nouveau... Ainsi Agnès Sorel apparaît une Egérie mystérieuse d'abord. La scène va changer : désormais aux ténèbres de l'inconnu succède le jour clair des réalités, les documents abondent, se multiplient, et l'histoire peint d'après nature. En 1444, Agnès figurait encore parmi les dames et officiers de la reine de Sicile... Amoureux rétrospectif (beaucoup d'historiens ont été les victimes d'Agnès), M. Vallet de Viriville regarde, désenchanté, deux pâles et tristes portraits de son héroïne. Mais si dans ce grand règne il y a deux taches que le souffle éternel des âges ne saurait effacer, la condamnation de Jeanne d'Arc et celle de Jacques Cœur, le premier de ces crimes est antérieur à la venue d'Agnès ; le second fut commis après sa mort. Et Vallet de Viriville, cependant, très informé, et qui travaillait le plus souvent sur des documents, patiemment mais un peu hâtivement réunis par lui, accueille les lettres d'Agnès Sorel faisant partie de la collection de M. Chambry, ancien maire du troisième arrondissement ; or les jolis billets, où le grand cœur d'Agnès apparaît, sont des faux évidents, mis en circulation par Pierre Clément[53]. C'est plus grand dommage encore qu'il ne se soit jamais entièrement rendu aux critiques définitives que d'une manière courtoise et fort objective lui présenta Ludovic Lalanne dans l'Athenœum (24 novembre 1855) : Un mot sur Agnès Sorel.

L'article de Lalanne est vraiment un modèle de critique et de discussion. Il fait honneur à la savante revue de Didot, à la sagacité de Lalanne qui, dans une seule page, mais définitive, disait à Vallet de Viriville qu'il était en complet désaccord avec lui sur l'époque où parut Agnès Sorel. Elle serait née en 1410 suivant Vallet de Viriville. Elle est morte, comme on sait, le 9 février 1450. Agnès aurait donc eu alors 40 ans. Ceci est en contradiction formelle avec ce que dit un contemporain Thomas Basin, évêque de Lisieux, qu'elle mourut dans la fleur de sa jeunesse. La liaison de Charles et d'Agnès ne peut dater de 1434, comme le pense M. Vallet de Viriville. Basin indique formellement qu'elle date de l'époque de la trêve avec les Anglais, c'est-à-dire à l'année 1444. Le règne d'Agnès n'a donc duré que six ans, ce qui concorde avec ce que nous dit Du Clercq qu'elle ne dura guère et mourut. Tous les documents allégués par Vallet de Viriville viennent corroborer la date de 1444 : les quittances, les comptes. C'est dans une pièce datée de cette même année qu'apparaît pour la première fois le nom d'Agnès, qui y est désignée comme étant encore au mois de juillet au service d'Isabelle, épouse du roi René. Or, les commentaires de Pie II disent qu'au commencement de sa faveur, Agnès quitta cette princesse pour être attachée à la personne de Marie d'Anjou. C'est à partir de 1444 que l'on trouve quelques traces authentiques de la vie publique d'Agnès et des libéralités de son amant, ce qui serait bien surprenant si sa faveur avait commencé dix ans plus tôt. La date de 1444 explique tout ; celle de 1434 soulève les invraisemblances les plus grandes. Cette conclusion, je l'avoue, diminue fort la gloire dont on avait jusqu'ici entouré la mémoire d'Agnès. En 1444, la couronne de Charles VII était solidement affermie, et l'Anglais qui devait quelques années plus tard être presque complètement chassé du royaume en était réduit à accepter une trêve de vingt-deux mois. La tradition est donc mensongère en faisant honneur à la favorite du salut de la France et l'on ne doit plus regarder que comme une agréable fiction les jolis vers de François Ier :

Gentille Agnès plus de los tu mérites.

La réponse de Vallet de Viriville est, il faut le reconnaître, des plus faibles. Il maintenait la date de naissance d'Agnès sur la foi d'une histoire de l'abbaye de Jumièges écrite en 1778 par le prieur Marye. Il déclarait Thomas Basin un mauvais historien, alors qu'il est seulement un chroniqueur partial. Il qualifiait Pie II de romancier, alors qu'il est, tout au contraire, un excellent mémorialiste. Pour la date de la naissance des enfants, mêmes faibles arguments, puisque Vallet répétait simplement ce qu'avait dit Delort.

Une courte réplique de Lalanne, éditeur de Brantôme, mettait nettement les choses au point, et d'une manière définitive : Si j 'ai attaché tant d'importance à la rectification des dates adoptées jusqu'ici, c'est que cette rectification a pour conséquence de diminuer singulièrement l'influence qu'on a voulu attribuer à Agnès Sorel sur les destinées de notre patrie, et nous mettre une fois de plus en garde contre les traditions romanesques et mensongères que les historiens du XVIe siècle, et en particulier Brantôme, nous ont léguées sur les règnes de Charles VII et de Louis XI.

Vallet de Viriville accepta la trêve proposée : mais ce ne fut pas sans une certaine arrière pensée, puisqu'il écrira encore au tome III de son Histoire de Charles VII : Une femme, Agnès Sorel à qui l'histoire prête la séduction de la Beauté, rehaussée de facultés supérieures, aurait été l'Egérie, la Béatrice mystérieuse qui présida, dit-on, à ce changement. Léguée jusqu'à nous, d'âge en âge, cette tradition a été embrassée surtout d'enthousiasme par la jeunesse, par les poètes, et les hommes d'imagination. Au contraire, des érudits, des moralistes austères, ont opposé à cette hypothèse une sorte de fin de non recevoir préjudiciable. Ils se sont attachés de plus à renier la réalité historique de cette influence et à la réfuter par divers arguments...

Dans le même temps, un érudit picard, M. Peigné-Delacourt[54], donnait un bon commentaire des quelques lignes du chroniqueur d'Arras Jacques Du Clercq : il s'accointa d'une josne femme venue de petit lieu d'envers Trort, nommée Agnès, laquelle depuis fut appellée la belle Agnès... Il identifiait Trort, avec Thourote, Torote près Coudun, aujourd'hui Thorote où une antique motte féodale servait à la défense du pont sur l'Oise. Le petit lieu serait Coudun. Dans Mal-gnelay, il reconnaissait Maignelay, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Compiègne. Agnès n'a jamais été dame de Fromenteau, en Touraine, puisque le chapitre de Notre-Dame de Loches acheta en 1450 cette terre des deniers provenant du legs d'Agnès. Froitmantel est un lieu dit dépendant de Méraucourt (commune de Feuillères, canton de Péronne) que possédaient les seigneurs de Coudun, les Raine-val, à la fin du XIVe siècle. La confusion serait née de cette similitude de nom.

Ni les critiques de Lalanne, ni les observations de Peigné-Delacourt, ne devaient couper les racines de la prolifique légende. Henri Martin la popularisa et maintint qu'il fallait attribuer au moins en partie la transformation de Charles VII à la belle Agnès bien digne d'être distinguée des favorites royales. Michelet écrira d'une manière générale de Charles VII qu'il aimait les femmes et fut sauvé par elles. Une femme héroïque lui sauve son royaume. Une femme, bonne et douce, qu'il aima vingt années, fit servir cet amour à l'entourer d'utiles conseils, à lui donner les plus sages ministres, ceux qui devaient guérir la pauvre France. Cette excellente influence d'Agnès a été reconnue à la longue ; la dame de Beauté, mal vue, mal accueillie du peuple, tant qu'elle vécut, n'en est pas moins restée un de ses plus doux souvenirs.

Honoré Capefigue[55], reproduira tout au long le beau roman qu'il essayera de situer dans un monde chevaleresque imaginaire (1860). Il repassera tout entier dans l'étude de F.-F. Stenackers[56] (1868) qui délibérément tentera de transformer la légende en vérité historique et s'efforcera de réhabiliter la belle et noble figure de la maîtresse qui mourut victime de son dévouement à la grande œuvre nationale[57]. Il y avait là de quoi irriter un esprit froid et morose, mais si bel érudit, tel que Gaston du Fresne, marquis de Beaucourt, l'homme des documents, des pièces justificatives, continuateur de la tradition des Bénédictins et des Chartistes, qui préparait avec tant de patience l'histoire vraie de Charles VII. Dans des articles célèbres de la Revue des questions historiques, Dufresne de Beaucourt faisait la critique du Règne de Charles VII d'après M. Henri Martin et d'après les sources contemporaines (1856), celle de l'Histoire de Charles VII de Vallet de Viriville ; il exposait, après Lalanne, ce que fut la pseudo influence politique d'Agnès (1866). Il rabrouait Stenackers, le confrère en galanterie de M. Capefigue qui l'avait précédé de dix ans dans la carrière, et avait eu sur lui le rare privilège d'apprécier correctement le caractère de Charles VII : L'Agnès Sorel de M. Stenackers, malgré un appareil d'érudition qui peut en imposer à certains lecteurs, est un livre sans critique et sans valeur... L'histoire sérieuse, impartiale, sévèreet l'histoire ne doit-elle pas toujours être sévère ?ne saurait admettre la légende d'Agnès Sorel, et ce n'est pas un écrivain dont la prétention est de substituer la tradition à la réalité des faits, appuyés sur des textes contemporains, qui pourrait rendre crédit à cette légende.

Mais la légende est vivace. Les poètes et les romanciers seront toujours en quête de fictions pour nourrir la crédulité populaire et ce que nous apportons tous de foi enfantine dans la recherche du temps passé. M. Robert Duquesne[58] a écrit en 1909 une Agnès Sorel romanesque où il utilise tous les faux documents de Cohen et ceux de la collection de Chambry, où il suit pas à pas la légendaire histoire suivant Delort, Vallet de Viriville, Capefigue, Stenakers. Hugues Lapaire[59], dans un fort beau livre, a fixé les traits de la gente dame de Fromenteau au pays des étangs, des solitudes de la Brenne dont le silence n'est troublé que par les clameurs des oies sauvages traversant la nue !

Que nous réserve encore la mode détestable des vies romancées ?

 

 

 



[1] Œuvres de Roger de Collerye, n. éd. avec une préface et des notes, par M. Ch. d'Héricault, 1855, p. 130-139.

[2] Etienne-Moreau Nélaton, Les Clouet et leurs émules, 1924, t. II, p. 103-108 ; L. Dimier, Le portrait français au XVIe siècle, t. III, p. 5.

[3] Rouard, François Ier chez Mme de Boissy, Paris, 1863.

[4] Sont-ils du roi ? C'est bien douteux. A. Champollion-Figeac les a recueillit, dans sa collection si suspecte, Poésies du roi François Ier, Paris, 1847, ainsi qu'une autre forme de ces vers en Epitaphe, p. 153, dont une variante est attribuée à Mellin de Saint-Gelais, sans que nous la retrouvions dans les vers spirituels de ce poète.

[5] Œuvres en rime, Paris, Lucas Bruyer, 1 573, f° 54**. La place qui est datée du Mesnil la Belle, dont le nom avait déjà changé et atteste l'état avancé de la légende.

[6] Le seigneur Soreau, valet de chambre du roy, consolé en 1571 par Ronsard à propos de la mort de sa femme Jeanne de Loynes (éd. Laumonier, t. VI, p. 378 ; VIII, p. 81).

[7] Rien sur Agnès, ou presque rien dans les Très élégantes et très véridiques et copieuses annales de Nicoles Gilles (Paris, 1520, in fol.). Dans la révision de 1551 apparaît l'explication morale :

En celle saison, avoit en la compagnie de la Royne une moult belle Damoyselle, nommée Agnès Sorelle, laquelle estoit fort en la grace du Roy, et l'appeloit on communément la belle Agnès ; et affin qu'elle eust aucun tiltre, le Roy luy donna, sa vie durant, la place et chaste de Beauté, près le boys de Vincennes ; et lors on l'appela mademoiselle de Beauté ; et pour ce que lors on voyoit que le Roy estoit fort pensif, et imaginatif, et peu joyeux et qu'il estoit expédient de l'esjouyr, par la délibération de son Conseil, sans son sceu, fut diet à la Royne qu'il estoit expédient qu'elle endurast que le dict seigneur feist bonne chière à la dicte Damoiselle, et qu'elle ne montrast nul semblant d'en estre mal contente, ce que la bonne Dame feit et dissimula combien qu'il luy grevast beaucoup.

[8] Les grandes annales et histoire générale de France, dès le règne de Philippe de Valois jusques à Henry III, Paris, Buon, 1579. Voir pièces justificatives.

[9] Histoire de France, par Bernard de Girard, seigneur du Haillan. Paris, P. Lhuillier, 1576, p. 1253.

[10] Œuvres complètes de Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, éd. Ludovic Lalanne, t. IX, p. 393-394.

[11] L. VI, ch. VI. Je rite l'édition de 1665.

[12] Jules Gassot, Sommaire mémorial (Bibl. Nat., ms. fr. 12795).

[13] J'utilise le livre excellent d'Emile Roy, La vie et les œuvres de Charles Sorel, Paris, 1801.

[14] Voir Pièces justificatives.

[15] J'ai utilisé la bonne étude de Georges Collas, Jean Chapelain, 1595-1674. Un poète protecteur des lettres au XVIIe siècle, Paris, 1912, et les Lettres publiées par Tamizey de la Roque.

[16] Les douze derniers chants du Poème de la Pucelle publiés pour la première fois sur les mss. de la Bibliothèque Nationale, par H. Herluison, Orléans, 1882.

[17] La critique de cette tradition a été faite par Emile Roy, La vie et les œuvres de Charles Sorel, Paris, 1891, p. 424 et s.

[18] J'ai utilisé Georges Bengesco, Voltaire, Bibliographie de ses œuvres, Paris, 1882, t. II, p. 123-140 ; la correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Gotha (Œuvres Complètes de Voltaire, éd. Garnier, t. XXXVIII) ; Desnoiretteres, La vie et les œuvres de Voltaire, t III, IV.

[19] Œuvres complètes, éd. Garnier, t. IX, p. 26, 29.

[20] La jeune Agnès, qui s'appeloit la demoiselle de Fromenteau, étoit dans tout l'éclat de sa beauté. C'étoit un teint de lys et de roses, des yeux où la vivacité étoit tempérée par tout ce que l'air de douceur 3 de plus séduisant, une bouche que les grâces avaient formée ; tout cela étoit accompagné d'une taille libre et dégagée, et relevé d'un esprit aisé, amusant, et d'un entretien dont la gaieté et le tour agréable n'excluoient ni la justesse, ni la solidité.

[21] Dreux du Radier, Mémoires historiques, critiques et anecdotes des reines et régentes de France. Nouv. éd., Amsterdam, 1776, t. III, p. 322-323.

Ces vers m'ont été adressés de Loches où ils ont été fidèlement copiés d après l'original. En passant à Loches, en 1750, j'y vis un chanoine qui me montra un in-fol. manuscrit de sa composition, rempli de près de mille sonnets, tous acrostiches, à la louange d'Agnès Sorel. Le bon chanoine m'en lut plus de cent. Si les premiers m'avoient fait rire, les derniers me firent bailler. J'eus toutes es peines du monde à me débarrasser de l'auteur ; et je n'en vins à bout qu'en lui disant qu'il serait bien étonné, lui qui avoit passé sa vie à louer la chasteté de la belle Agnès (car c'estoit le but de plus de quatorze mille vers acrostiches qu'il avoit faits) si on lui prouvoit que cette chaste et pudique demoiselle avoit eu quatre enfants. Il me dit avec feu qu'il avoit effectivement lu cela quelque part, mais que c'estoit une calomnie abominable, digne de punition, et à laquelle il avoit déjà répondu dans plus de quatre ou cinq cents sonnets, toujours acrostiches : car il n'en faisait pas d'autres, et il s'y étoit si fort accoutumé (en faveur de la belle Agnès) qu'il n'eut pu faire autrement. Delort, Essai critique (1824), p. 276, nous dit à ce propos : On conservait encore en 1789, dans la Bibliothèque du Chapitre de Loches, un manuscrit qui contenait plus de mille sonnets à la louange d Agnès, et tous faits par un chanoine.

[22] Elle se retira à Loches ou elle se plaisoit beaucoup, et où Charles VII lui avoit fait bâtir un château joignant à l'ancien : sans doute elle y étoit souvent visitée par Sa Majesté qui la combla de biens. Elle tenoit de sa libéralité le Comté de Penthièvre en Bretagne (sic).... Du côté de l'occident se découvre une tour carrée, très ancienne, dans laquelle, disent bonnement les habitants de Loches, le roi renfermoit Agnès, lorsqu'il alloit à la chasse. On voit que la tradition de folklore prend ici la forme d'une chanson populaire.

Pendant son séjour à Loches et dans la petite ville de Beaulieu (qui n'est séparée de Loches que par un pont, et où elle avoit une maison qu'on appelle encore aujourd'hui l'Hôtel de Madame de Beauté), elle s'affectionna particulièrement à l'Eglise Collégiale du Château de Loches, fondée par Geoffroy Grisegonulle... où elle voulue que son corps fut inhumé. (Ibid., p. 318).

[23] G. du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. IV, p. 171.

[24] Sur l'histoire du tombeau, voir L. Bossebœuf, Le tombeau d'Agnès Sorel à Loches, Tours, 1900.

[25] Publiée par Charles de Grandmaison, Le tombeau d'Agnès Sorel à Loches, destruction et restauration, 1793-1809, Tours, 1890.

[26] Un masque de femme en marbre du XVe siècle conservé au Musée de Bourges par le Vicomte Alphonse de Guire, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre, 1885, t. XIII, p. 166.

[27] Sur la pratique courante des masques funèbres, voir Louis Courajod, Quelques monuments de la sculpture funéraire des XVe et XVIe siècles, Paris, 1882.

[28] Bibl. Nat., Cab. des Estampes, vol. VII, Oa15.

[29] Histoire de Charles VII, Paris, 1661, p. 885.

[30] Histoire de la ville de Melun, Paris, 1628.

[31] Bouchot, Les Primitifs français exposés au Pavillon de Marsan, 1904.

[32] Gruyer, Chantilly et les quarante Fouquet, Paris, 1897.

[33] Paul Durrieu, Les Antiquités Judaïques et le peintre Jean Fouquet, Paris 1908 ; La légende et l'histoire de Jean Fouquet, Paris, 1907 ; G. Lafenestre, Jean Fouquet, Paris, 1905.

[34] Gruyer, op. cit.

[35] Henri IV, qui tira excuse de l'histoire d'Agnès, aurait cherché à acquérir cette peinture pour 10.000 livres (Du Fresne de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. IV, p. 171 n).

[36] Histoire des Antiquités de la Ville de Paris, 1724, II, p. 236. Henri Sauval né vers 1620, mort en 1670, rédigea son ouvrage vers 1654.

[37] Copié en 1458.

[38] Arch. Nat., S. 916 (24 novembre 1480). Pièces justificatives.

[39] Guillebert de Metz a décrit la belle maison de la rue de la Verrerie. Le Roux de Lincy, Paris et ses historiens, p. 200.

[40] Arch. Nat., S. 916 A.

[41] Arch. Nat., S. 916 A.

[42] Bibl. Nat., Clairambault 764, p. 141, 348.

[43] P. Peugniez, La suggestion par la beauté, Amiens, 1911.

[44] Peigné-Delacourt pense qu'il vint aux Mouchy des Sorel d'Ugny (Agnès Sorel était-elle Tourangelle ou Picarde ?)

[45] Comte de Sarcus, Notice historique et descriptive sur le château de Bussy-Rabutin, Dijon, 1854 ; Gérard Gailly, Bussy Rabutin, sa vie ses œuvres et ses amies, Paris, 1909.

[46] Moreau-Nélaton, Les Clouet et leurs émules, t. II ; Niel, Portraits des personnages français les plus illustres, 2e série. On compte une vingtaine de crayons d'Agnès du même type, plus ou moins bons, et dont les variantes portent sur le bonnet et les bijoux.

[47] Les types que j'ai examinés se trouvent au Cabinet des Estampes, Portraits, série N2.

[48] Lord Ticonet part de Dublin, la Cour de Charles II et, fort amoureux. Il prend l'habit ecclésiastique à Paris, se rend à Loches où il est fait sacristain de la Collégiale. La belle Ninon et Churchil vont visiter le mausolée d'Agnès. — Nous détacherons seulement cette note de l'auteur, qui a un certain intérêt historique, p. 192.

Il est certain qu'ayant été ouvert il y a peu d'années, en présence des autorités locales, on trouva sur le cadavre des vestiges de beauté que la mort et plus de trois siècles n'avaient pu effacer. Sa tête était remarquable par la régularité de ses proportions, ses dents admirables, sa chevelure superbe ; plusieurs des assistants en détachèrent quelques boucles ; je dois à l'un d'eux d'en posséder une faible partie.

[49] Voir l'introduction de M. l'abbé Henri Brémond à Arthur (Bibliothèque Romantique de Henri Girard, t. XI).

[50] Il avait publié des vers sous le nom d'Henri de Gourville.

[51] Pour ce personnage, voir La Littérature française contemporaine, t. III, p. 29.

[52] L'ouvrage marqué toutefois une réaction très nette contre Voltaire, à propos d'Agnès et de Jeanne la vaillante amazone. — Sans cesser d'admirer le génie de Voltaire dans la plupart de ses écrits, on peut dire hardiment qu'il a sali sa plume par toutes les indignités qu'il s'est permises contre l'héroïne, chaste et courageuse, qui rendit la couronne à son roi, et peut-être à nous tous le beau nom de Français, et qui ne fut lâchement immolée que pour avoir fait la gloire de la patrie.

Delort a contribué à populariser la légende de la demoiselle de Fromenteau. Héritière de bonne heure, elle est élevée par Mme de Maignelay, d'une vertu éminente. Les avantages d'une brillante éducation dont la renommée jointe et une éclatante beauté franchit bientôt les limites de la Touraine. Une infinité de magnifiques seigneurs l'entourent, le fameux duc d'Alençon, l'illustre et beau Dunois et cent autres, non moins éclatants par la noblesse du sang que par leur mérite, etc., etc. Delort fixe aussi la légende de Beaulieu, où se retire Agnès, où elle a son hôtel, beaucoup plus commode à cause de son isolement pour ses entrevues avec Charles VII qui résidait souvent dans l'antique château de Loches... C'était dans ce château, le mieux conservé de tous ceux de la Touraine, que la belle des belles venait voir son royal amant ; et la tradition donne pour constant, ce qui n'est rien moins que vraisemblable, que, dans la tour qui porte encore son nom, Charles l'enfermait lorsqu'il allait chasser dans la forêt voisine. Il s'agit de l'hôtel qui porte toujours son nom et qui fut, en 1754, converti en caserne de cavalerie. Delort copie ici Dreux du Radier.

[53] Jacques Cœur et Charles VII ou la France au XVe siècle, Paris 1853, 2 vol. Pierre Clément est d'ailleurs un historien, s'il n'est pas un paléographe critique. Il a écarté les légendes reposant sur le quatrain suspect de François Ier et la tradition recueillie par Brantôme. Il sait le peu d'indications utiles que renferme un livre tel que celui de Delort. Il a noté qua la tradition relative à l'empoisonnement d'Agnès par Louis XI ne se rencontre qu'à l'état d'on dit chez un écrivain bourguignon, Jacques Du Clercq. Le texte de Monstrelet qu'il allègue (II, p. 141), suivant lequel le dauphin, prenant le parti de sa mère, lui fit par despit la mort avancer, ne se rencontre pas chez ce chroniqueur.

[54] Agnès Sorel était-elle Tourangelle ou Picarde ? Noyon, 1861.

[55] Les reines de la main gauche. Agnès Sorel et la Chevalerie. Paris, 1860.

[56] Agnès Sorel et Charles VII. Essai sur l'état politique et moral de la France au XV siècle. Paris, 1868.

[57] Du Fresne de Beaucourt, Revue des questions historiques, 1868, t. V, p. 250-253.

[58] Vie et aventures galantes de la belle Sorel. Monographie historique de la célèbre maîtresse du Roi Charles VII, 1409-1450. Paris, s. d. (1909).

[59] La damoiselle de Fromenteau. Paris et Bourges, 1923, bois gravés d'Etienne Gaudet. — On trouvera dans le Voyage en Touraine inconnue de J.-M. Rougé, Tours, 1927-1928, bon nombre de traditions locales, indiquées comme telles, et présentées avec un vrai talent de folkloriste et d'écrivain.