LA DAME DE BEAUTÉ : AGNÈS SOREL

 

VII. — LES ENFANTS DE L'AMOUR.

 

 

Charles demeura fidèle au souvenir d'Agnès Sorel qui lui avait donné trois enfants. Mais ce fut d'une manière qui parut assez équivoque, en se rapprochant de la famille d'Agnès. Antoinette de Maignelay, fille de Jean de Maignelay, capitaine de Gournay-sur-Aronde et de Creil[1], aussi belle que sa cousine[2], passe en effet pour avoir remplacé Agnès. Mais peut-être, comme nous le verrons, s'occupait-elle simplement des enfants royaux.

Cette belle Antoinette, Charles la maria à son jeune chambellan, André de Villequier, son familier des Montils. André de Villequier, au service de Charles depuis son enfance, ne paraît pas avoir été un homme très scrupuleux. Son nom est prononcé à propos d'un trafic d'influence pour la vente d'une lettre de chancellerie qu'il aurait fait obtenir contre 12000 écus, en 1449, à une grande dame, Blanche d'Aurebruche, en difficulté avec la justice après avoir supprimé un mari odieux[3]. On s'inclinait devant lui. Un homme comme Dunois renonçait en sa faveur à des droits sur un héritage confisqué au duc d'Alençon pour le bon amour et affinité qu'il avoit à noble homme André sire de Villequier... et pour son bien et avancement [4]. Et la lettre reçut, à l'enregistrement, la mention de la volonté expresse du roi.

Revenu à Tours, après la campagne de la Normandie, Charles VII s'installa au mois de septembre au château de Montbazon, chez son chambellan Aymar de la Rochefoucauld[5]. La famille d'Agnès Sorel se retrouve. Il y a là la mère d'Antoinette de Maignelay. Le mariage d'André de Villequier est célébré en présence de Charles. Le sieur de Villequier, à qui chacun veut du bien, reçoit, le 22 octobre, le don des îles et dépendances d'Oléron, Marennes, la tour de Brou, biens confisqués sur la Trémoille. Son contrat de mariage est vraiment curieux[6]. Il y fait exposer que venu en âge, il avait reçu l'offre de plusieurs grands et notables partis et traités de mariage, en grandes et notables maisons, par le moyen desquels il eût eu et lui fussent venus plusieurs grandes terres et seigneuries. Mais André désirait obéir en tout à son maître, le roi Charles, sachant que nostre plaisir estoit le pourveoir autre part oudit estat de mariage à nostre plaisir et voulenté, ainsi que avons entencion de faire, avec nostre très chière et bien amée Anthoinette de Maigne-laiz, damoiselle... Ce contrat représente-t-il la compensation d'un dommage ? Il s'agit dans tous les cas d'un service, comme nous allons le voir.

Le mariage à Montbazon donna lieu à des fêtes, comme au temps d'Agnès, dans les derniers jours d'octobre. L'acte de mariage d'André de Villequier était signé par les évêques de Maguelonne, de Maillezais, de Carcassonne et d'Agde, les comtes de Saint-Pol, de Tancarville, le grand maître de l'hôtel (Culant), le sire de Torcy, de Preuilly (Frotier), de Bangy (Bar), par Charles de Ventadour, Jean de Chambes, Louis d'Aumale, Jacques Cœur, Jean Hardouin et Etienne Chevalier. On le voit, l'Eglise, la noblesse et la finance étaient bien représentées aux noces du favori avec la cousine d'Agnès. Bientôt à Montbazon arrivait Pierre, le nouveau duc de Bretagne, qui venait prêter son hommage[7]. Philippe de Gamaches, abbé de Saint-Denis, oncle de Villequier, est là aussi[8]. La fête dure quinze jours, avec les joutes et les danses d'autrefois. Le 12 novembre, le roi s'aperçoit que Mme de Villequier n'a de son côté aucun bien : il faut combler cette lacune ; et Charles lui accorde, sa vie durant, la seigneurie d'Issoudun, celle qu'il avait donnée autrefois à Agnès[9]. Nicole Chambers, capitaine de la garde Ecossaise, avait acquis, le 21 mai 1448, de Jean de Malestroit la terre de la Guerche. C'était là un beau domaine auquel il pouvait tenir (les Ecossais ne servaient pas pour rien) ; mais il faut qu'il le cède, pour un prix inférieur à celui de l'acquisition, le 19 octobre 1450, au ménage Villequier.

On est bien et sûrement à la Guerche[10], la petite ville entourée de murailles et de fossés, dans le grand château dont les fondations de pierre de taille s'élèvent sur la rivière, où cinq grosses tours reposent leurs pieds dans les fossés d'eau vive. Qu'est devenu encore une fois le roi, qui avait si doux accueil ? Le voici de nouveau inaccessible, au milieu des jeunes favoris dont les conseils paraissent à certains dangereux. Où sont, autour de lui, les anciens chevaliers ? Le roi fait ce que veut un favori. Quelle moquerie ne ferait-on pas de lui, si le peuple le savait ! Et Jouvenel des Ursins va recommencer à grogner[11]. Mais lui aussi ne peut pas comprendre.

En 1451, au printemps, Charles quitte Montils-lez-Tours, la résidence qu'il venait de faire clôturer. Il va passer un mois auprès du sire de Villequier et d'Antoinette au château de la Guerche et leur alloue une gratification de 2.000 livres[12]. En été, le roi se rendra à Taillebourg, où il séjournera jusqu'à la fin de la campagne de Guyenne. Le roi Charles a désigné Dunois pour lieutenant général. Celui-ci l'invite à venir à Libourne, ville grande et spacieuse. Charles sera, comme en Normandie, au milieu de l'armée. Mais le roi reste à Taillebourg, auprès des trois petites filles qu'il a installées dans cette résidence d'abord sous la surveillance de Prégent de Coëtivy, auquel a succédé Olivier. Marie est l'aînée, Charlotte entre les deux, Jeanne la plus jeune. Et Marie pouvait avoir six ans. On voit encore le roi, très solitaire, passer l'automne (octobre-novembre) à Villedieu, chez Etienne Gillier, seigneur du lieu, dans un endroit bien incommode au dire de l'ambassadeur Florentin[13]. Puis Charles repasse bientôt à la Guerche ; il s'installe de nouveau aux Montils, au temps où commence le procès de Jacques Cœur.

Le bel aventurier, l'exécuteur testamentaire d'Agnès Sorel, fut magnifique. Il savait bien qu'il avait des envieux, ayant fait une fortune considérable, et acquis des inimitiés puisqu'il avait prêté de l'argent. Une certaine Jeanne de Vendôme, dame de Mortagne, osa même l'accuser d'avoir fait empoisonner Agnès ; d'autres, d'avoir conspiré contre la personne du roi, vendu des armes aux infidèles, et reçu des commissions. Certes, Jacques Cœur avait fait des bénéfices commerciaux ; mais vendu du poison, jamais. Empoisonner Agnès, une amie, et la meilleure de ses clientes, était une absurde accusation. Mais mal parler d'Agnès, c'était l'ancien racontar que la vieille dame de Mortagne avait recueilli. Conspirer contre la personne du roi, Jacques Cœur ne l'aurait pas fait : il attendait tout de sa justice. Jeanne de Vendôme, qui radote, sera condamnée à faire amende honorable. Mais l'argentier fut cependant condamné à l'exil. Et le roi ne fit rien pour celui qui avait en partie financé l'expédition de Normandie. Peut-être était-il coupable d'avoir prêté de l'argent au dauphin ? Jacques Cœur quitta son bel hôtel de Bourges, reprit la mer et l'aventure. Lui qui avait été accusé d'avoir vendu des armes aux infidèles (sait-on ce que l'on vend en Egypte ?) mourra, comme un chevalier, au service du pape, dans un combat contre les Turcs à Chio. Telle fut la fin du marchand de Bourges et de l'argentier du roi.

Au temps où on le jugeait, Charles réservait ses faveurs à la famille d'Agnès : colliers, ceintures d'or, robes sont pour Mesdames de Montel, de Vauvert, les belles-sœurs d 'Antoinette, et Jeanne de Maignelay, sa sœur. Mme de Villequier devint veuve en 1454. Le roi, revenant encore à la Guerche, passait l'été chez elle. Mme de Villequier avait toujours dans sa maison cinq ou six autres demoiselles, sans doute jeunes et agréables[14]. Le roi Charles vieillissait, décidément. Il mourut le 22 juillet, l'an 1461, très solitaire, ne mangeant plus, craignant le poison, dans le charmant château de Mehun-sur-Yèvre, le jour de la fête de sainte Madeleine. Et comme Agnès, il tourna sa pensée vers celle qui intercède en faveur de ceux qui ont souffert et péché dans leur chair.

 

Voici ce que devint Marie de Valois.

Elle grandit, enfant gracieuse et spirituelle, admirablement élevée à Taillebourg, sous la direction des Coëtivy[15]. Les Coëtivy sortaient d'une famille bretonne dont le chef avait été tué contre les Anglais. L'aîné, Prégent, un magnifique soldat que Charles VII avait pris dans son service, fut fait grand amiral de France en 1439, puis seigneur de Taillebourg. De Marie de Laval, dame de Rais, sa femme, il n'avait pas d'enfant, quand Charles VII lui confia, avec son secret, Marie. Prégent tomba frappé d'un coup de canon alors qu'il emportait Cherbourg. Il laissa un cadet, Olivier de Coëtivy, énergique et précoce, qui l'avait secondé en maintes circonstances, et qui avait été fait chevalier à la journée de Formigny en 1450. Olivier recueillit l'héritage de son frère l'amiral, combattit en Guyenne en 1451 et fut fait à son tour seigneur de Taillebourg et grand sénéchal de Guyenne. La trahison des Bordelais le met, en 1452, aux mains de Talbot qui l'emmène prisonnier en Angleterre. Il recouvre sa liberté en 1458, prend part à la victoire de Castillon, paye sa rançon, s'installe sur les bords vivaces de la Charente. Il a la quarantaine et le dernier des représentants des Coëtivy médite de se marier.

Olivier retrouve à Taillebourg l'enfant que son frère avait amenée à la maison, la recommandant à l'expérience et à l'affection de leur mère, Catherine du Chastel. C'était Mademoiselle Marie, qui peut avoir treize ans environ, ce qui est pour le temps l'âge nubile. Olivier connaissait le secret de la fille du roi qu'il a pu faire sauter sur ses genoux, et la raison des séjours du roi à Taillebourg. La chose est agréable au roi Charles qui a écrit officiellement à Marie, le 3 novembre 1458 : Chère et amée fille, pour la grande amour et bonne affection que nous avons à nostre amé et féal conseiller et chambellan, le sire de Coëtivy et de Taillebourg, sénéchal de Guyenne, et confiant que vous serez bien colloquée et pourvue avec lui, et en faveur d'icellui, vous avons donné 12.000 écus pour une fois et tous les droits sur les places, châteaux et chatellenies, terres et seigneuries de Royan et de Mornac... Et pour ce que nous désirons que la chose soit parfaite et accomplie le plus tôt que bonnement se pourra, nous envoyons présentement par delà notre amé et féal conseiller, maître M. Pierre Doriole, général des finances, porteur de cestes, pour vous conseiller en cette matière. Si voulons et vous mandons que vous entendiez audit mariage... Olivier reçut la même lettre[16].

Ce mariage par ordre, disproportionné suivant la condition et l'âge, fut la plus heureuse des unions. Charles reconnut Marie pour fille naturelle, avec le surnom de Valois, et lui donna les armes de France, modifiées par la barre indiquant la bâtardise, qui n'était pas d'ailleurs en ce temps là vue défavorablement. Le trousseau fut bien : de riches étoffes de laine et de soie, satins, fourrures, bijoux d'une valeur de 1650 livres.

Une suite de lettres intimes de Marie de Valois à son mari absent nous fait pénétrer dans une maison d'autrefois et révèle l'esprit primesautier et charmant de la fille d'Agnès Sorel[17]. Elle remercie Monseigneur qui lui donne de ses nouvelles. Car elle est joyeuse, et si heureuse, d'avoir reçu deux bonnets de toile et des aiguilles. Elle n'avait plus rien à faire. Elle passera le temps à ourler ses colifichets, en attendant de le revoir. Monseigneur lui a envoyé un patron pour ses travaux. Sa couture s'efforcera d'être toujours belle : Monseigneur, je ne sais que vous écrire pour le présent, fors que prier Notre Seigneur qu'il vous donne ce que votre cœur désire. Marie ne se montre pas jalouse des bagues que les belles filles ont donné au vainqueur. Les Anglais qui rôdaient dans les environs n'ont pas touché à son coffre : elle a conservé ses belles chemises. Marie réclame des graines pour ensemencer les jardins qu'elle aime : Ah ! si elle avait su que l'absence durerait si longtemps, elle ne l'eût pas laissé partir, ce bon mari. La maison est en ordre. Marie a reçu une petite chienne qui a eu un petit. Si vous demeurez, vous trouverez tout votre ménage en bon point, et dussé-je mener le rousseau et sa charrette ! Marie de Valois affirme en plaisantant qu'elle est devenue fort riche de la vente du blé qui a rapporté 100 écus. Elle demande à Olivier une grande chaîne, deux ferrures (corsets), et une large attache pour se faire belle : car je vous certifie que j'en ai bien besoin. Marie de Valois a, comme elle dit, le cœur au ventre : Depuis votre départ, votre fille est devenue femme de façon : elle couche en grand lit et me servira de mari jusqu'à votre retour... Mme de Taillebourg a prêté sa mule, qui lui fait tant défaut, et n'a toujours pas reçu la belle robe verte qu'elle attendait. Voici comment, le dernier février 1464, elle annonçait la naissance d'un fils : Monseigneur... vous plaise savoir que le premier vendredi de Carême il plut à Dieu me faire grâce de me délivrer d'un beau fils, environ huit heures de nuit, et lequel enfant est tant beau que merveille. Mais, Monseigneur, comme vous savez, il ne faut pas émerveiller s'il est beau, car tout le monde dit qu'il vous ressemble très fort, et pour ce autrement ne pourrait être. Et me semble que vous me devez beaucoup louer, vu que vous ai fait deux si beaux fils, l'un après l'autre. Et si se fût une fille, j'en dirais tous les maux du monde, vu la peine qu'il m'a donné ; mais, puisque c'est un fils, j'aurais honte de me plaindre. Marie de Valois dira encore à son mari qu'elle ne devrait pas l'aimer si fort qu'elle fait, car dès qu'elle l'a perdu de vue elle donnerait pour rien tous les biens du monde. La petite Marguerite, sa fille, qu'elle nomme une mauvaise garce, a toujours bon bec — Mal gracieux mari, qui passant à Paris, ne lui a même pas acheté un beau caresmau ! Bien qu'elle en ait fait provision, elle a peur d'en avoir besoin d'un autre, vu le ventre qu'elle a : Car je vous certifie qu'il est plus grand qu'il n'était, l'autre voyage. Ainsi Marie de Valois plaisante sur ses grossesses. Elle réclamera encore des Heures pour les enfants qui vont à l'école, de la toile de Tours, des bonnets et des frivolités. Nulle trace, dans cette correspondance, qui n'est que sourire et douceur, le sourire et la douceur de sa mère, des grands ennuis que le ménage des Coëtivy eut à l'avènement de Louis XI. Car le nouveau roi est l'ennemi des serviteurs de son père ; et brutalement, il a enlevé à sa sœur naturelle Royan et Mornac, refusé le paiement du reste de sa dot, ôté à Olivier l'office de sénéchal de Guyenne. Deux fois M. et Mme de Taillebourg ont été dépossédés de leur château. Mais Marie de Valois devait mourir, à la fin de l'année 1473, dans son cher Taillebourg, qu'elle avait rempli de sa bonté et de sa piété. On parla même de miracles opérés sur son tombeau. Et Louis XI, en 1480, reconnaîtra publiquement ses torts envers Olivier, qui survécut à sa femme d'une dizaine d'années.

Charlotte de Valois, la seconde fille d'Agnès et de Charles VII, n'eut pas l'existence unie de sa sœur aînée. Louis XI, qui était grand marieur, montra envers elle une terrible sollicitude. Il la donna, en 1462, à Jacques de Brézé, comte de Maulévrier, le fils du grand sénéchal Pierre de Brézé, qu'il tenait alors dans la prison de Loches, comme son ennemi capital dont il avait mis la tête à prix lors de son avènement. Une des grandes forces du roi Louis, c'est qu'il savait ne pas avoir de rancune, quand les intérêts du royaume étaient en jeu. Pierre de Brézé, plein de courage et de ressources, pouvait devenir un bon serviteur du roi, encore qu'il se soit montré ennemi du dauphin. Louis était roi. Il rendit à la lumière du jour le brillant seigneur qui avait su d'ailleurs intéresser à sa cause l'opinion publique par la voix éloquente, poétique et déclamatoire du grand Georges Chastellain[18]. Mais Louis XI prit des assurances. Il maria sa demi-sœur Charlotte au jeune fils du prisonnier de Loches, Jacques de Brézé.

Comme son père, le comte de Maulévrier était un homme spirituel, qui amusa souvent le roi de ses brocards[19] ; il lui était dévoué et entre ses mains devenait un gage. Le jeune sénéchal de Normandie servit Louis, comme Pierre avait servi Charles. Au temps de la guerre du Bien Public, on le voit sortir de Paris avec ses 600 chevaux pour escarmoucher et montrer qui il était aux gens de Charolais[20]. Jacques de Brézé fut souple et fidèle : ayant reçu la charge de capitaine de Rouen, le 27 juillet 1466, il n'hésita pas à céder sa place au comte de Saint-Pol, puisque l'ambitieux connétable était momentanément réconcilié avec le roi. A une heure critique, on trouve son lieutenant Guillaume Valée portant aux assiégés de Beauvais le secours de ses deux cents lances[21]. Pierre de Brézé était mort héroïquement à Montlhéry, conduisant la première charge contre les Bourguignons. Le roi montrait à son fils une charmante familiarité. Car lui ayant donné une petite haquenée, il lui disait : Monseigneur le sénéchal, que vous en semble ? n'est-ce pas icy une belle haquenée, et bonne ![22]. Il n'y a pas que les grandes femmes qui soient agréables à chevaucher.

Le comte de Maulévrier, comme son père, avait la passion de la chasse. Comme lui, il aimait à faire retentir le son du cor dans les forêts normandes : nul n'avait de plus beaux chiens. Quand il usait des nobles termes du veneur, qu'il cherchait à dire l'émoi de la chasse aux cerfs dans la forêt, il devenait poète[23] :

La veille d'une Saincte Croix

En May, au matin me levoy

Mon lymier au poing, pour au boys

Aller en queste où je pourroy

Pour veoir si je rencontreroy

Nul cerf qui me plaise à chasser.

Et si je puis ung rencontrer

Qui me plaise, cerf à dix cors,

Mectroy peine de retourner

Au lieu ou se font les rappors...

C'est ung cerf de dix huit corps,

Une haulte teste paumee,

Grant et pesant et brun de corps,

Par tous pret, la teste sommée :

Gros merrin par ordre semee,

Grant tour de meusles près du test.

De ses jœs blanches ne se test

Et dit qu'il a fauves coustés.

Ce poil sur tous autres me plaist,

Et à tous veneurs, n'en doubtez...

Nous aimerions mieux connaître ce que fut sa vie avec Charlotte de Valois. Mais nous savons seulement que l'épouse de Jacques de Brézé lui donna cinq enfants : Louis, Jean, Gaston, Catherine et Anne[24]. Et nous ne connaissons Charlotte que par un affreux drame de chasse, par le coup d'épée que Jacques de Brézé devait lui porter entre les seins, dans la nuit du 13 juin 1476.

Le journal de Jean de Roye rapporte ainsi cet assassinat[25] : En ce temps, le samedi XIIIe jour du moys de juing mil CCCCLXXVI, le seneschal de Normandie, conte de Maulevrier, filz de feu messire Pierre de Breszé, qui fut tué à la rencontre de Montlehery, lequel Monseigneur le seneschal, qui s'en estoit alé à la chace près d'un village nommé Rouvres lez Dourdan, à lui appartenant, et avecques luy y avoit amenée madame Charlote de France, sa femme, fille naturelle dudit feu roy Charles et de damoiselle Agnès Sorel, advint par male fortune, après que ladicte chasse fut faicte, et qu'ilz furent retournez au souper et au gite au lieu de Rouvres, ledit seneschal se retray seul en une chambre pour ilec prendre son repos de la nuit ; et pareillement sa dicte femme se retrahy en une autre chambre. Laquelle, meue de lecherie[26] désordonnée, comme disoit son dit mary, tira et mena avecques elle ung gentilhomme du pays de Poictou, nommé Pierre de la Vergne, lequel estoit veneur de la chasse dudit seneschal, lequel elle fist coucher avecques elle. Laquelle chose fut dicte audit seneschal par ung sien serviteur et maistre d'ostel, nommé Pierre l'Apoticaire. Lequel seneschal incontinent print son espée et vint faire rompre l'uis où estoient lesdites dame et veneur. Lequel de la Vergne il trouva en chemise, en pourpoint, auquel il bailla de son épée dessur la teste et au travers du corps, et depuis qu'il le eut veu mort, lui bailla cent cops d'espée et plus. Et après s'en ala en une chambre ou retrait, au joignant de ladicte chambre, où il trouva sa dicte femme mucée[27] dessoubz la couste[28] d'un lit, où avoient couché ses enfans ; laquelle il print et tira par le bras à terre, et en la tirant à bas, lui bailla de ladicte espée au travers d'entre deux espaules, et puis, elle descendue à terre et estant à deux genoilz, lui traversa la dicte espée par deux foiz parmy les tetins et l'estomac, dont incontinent ala de vie à trespas. Et puis l'envoya enterrer en l'abbaye de Coulons[29] et y fist faire un service, et ledit Pierre de la Vergne fist enterrer en ung jardin en joignant de l'ostel ou il avoit ainsi esté murdry.

Une variante du drame est fort différente, et sans doute plus précise ; nous la rencontrons dans une lettre de rémission accordée plus tard au meurtrier. Elle reproduit, comme tous les documents de ce genre, le récit de l'impétrant, un peu arrangé en vue d'un pardon.

Un samedi, veille de la Sainte-Trinité, Jacques de Brézé et Charlotte sont à Rouvres. La nuit est venue. Ayant le désir de se coucher, il dist à la dite Charlote, sa femme, qu'elle s'en vensist coucher, ainsi qu'il est accoustumé faire en mariage. Et depuis que ledit suppliant fut couchié en son lit, icelle sa femme lui vint dire qu'elle ne povoit encore cous-cher avec lui jusques à ce qu'elle se fust nectoyé et lavé ses cheveulx. A quoy ledit suppliant lui dist : Bien ! Et ainsi comme ledit suppliant actendoit sadite femme, cuidant qu'elle vensist avec lui, il s'endormit. Et après, environ la myennuyt, ledit suppliant fut esveillé par Pierre l'Apoticaire, et par son barbier, qui lui vinrent dire que lad. Charlote et Pierre de la Vergne, qui estoit serviteur domesticque dudit suppliant, estoient couschez ensemble en ung lit, en faisant adultaire, en la chambre qui estoit au dessus de celle où estoit cousché ledit suppliant. Pourquoy icellui suppliant, meu de grant ire, et desplaisant dudit cas, se leva soudainement de son dit lit, et de chaude colle, print une espée et vint en la chambre où s'estoient couschez ledit Pierre et ladite Charlote ; et fut bouté l'uys de la dite chambre, qui estoit fermé, dedans. En laquelle chambre ledit suppliant trouva ledit la Vergne ; auquel de prime face, il bailla ung ou plusieurs coups de la dite espée, tant d'estoc que de taille, tellement que ledit la Vergne, à l'occasion des dits coups, mourut en la place. Et après vint icelluy suppliant à ladite Charlote, sa femme, qui s'estoit retraicte en la garde robe, à laquelle il bailla ung coup de ladite espée par la poitrine ; à l'occasion duquel coup elle alla semblablement de vie à trespas...[30]

Telle fut la fin de la seconde fille d'Agnès Sorel, où l'on pourrait reconnaître le prolongement de la vie passionnée de sa mère. Les circonstances du drame rapportées par le chroniqueur et par Jacques de Brézé sont trop différentes pour que nous puissions prononcer un jugement sur cette cause.

Le meurtre de Jacques de Brézé eut du moins un grand retentissement, comme on vient de le voir par le récit de Jean de Roye. Louis XI et la justice prirent très mal ce drame passionnel. Le roi, qui plaisantait jadis agréablement avec le comte de Maulévrier, n'admettait pas que l'un des siens assassinât sauvagement sa demi-sœur. Jacques de Brézé reçut d'un huissier du parlement commandement de se constituer prisonnier à la Conciergerie dans les huit jours. Cette prison, où il était détenu avec des gardes à lui et des serviteurs, ne parut pas cependant assez sûre. Le 24 novembre 1477, sur les cinq heures du soir, une barque touche au pied de la tour de la Conciergerie. Des hommes armés en descendent, font déguerpir les serviteurs de Jacques de Brézé, le prennent sur leur barque par un froid rigoureux ; ils descendent ainsi jusqu'à Saint-Cloud. Jacques de Brézé proteste : il ne sait si on le délivre des griffes des gens du Parlement, ou si on va le noyer. Jacques comprend bientôt qu'il est remis en garde au prévôt de Paris, Robert d'Estouteville, son ennemi mortel, avec lequel il avait eu des démêlés à propos d'une succession. Le prévôt le fait enfermer, pendant trois ans, dans la grosse tour du château de Vernon-sur-Seine où Jacques de Brézé demeura sans être interrogé. Enfin Louis XI lui fait faire divers voyages, entre autres au château de Nemours, étroitement lié et garotté. De Nemours, on le ramène à Vincennes où il reste jusqu'aux Rois ; puis il réintègre Vernon où il demeure dans la nuit d'un cachot, car on avait bouché d'étoupes la fenêtre de sa prison ; et Jacques ne voyait le jour que par l'huis de la porte et le trou de la cheminée. On savait évidemment qu'une tentative de délivrance en faveur de Brézé était préparée par les siens, comme l'indique une lettre de Jacques d'Estouteville, prévôt de Paris, au roi Louis XI. Enfin le prisonnier reçoit la visite des commissaires du roi qui l'interrogent : Pierre de la Dehors, le seul homme de justice, les commissaires Navarrot d'Anglade, Girard Bureau, Pierre Lobat, Pierre Durand et M8 Jean de la Vallée. Pierre de la Dehors, le descendant des bouchers dont Villon a stigmatisé la dureté, ne paraît pas en cette circonstance avoir procédé avec assez de rigueur, car il est privé momentanément de son état. Navarrot demande à Jacques de Brézé de confesser ce dont on l'accusait, et qu'au besoin le roi lui pardonnerait. Il déclare tout ce qu'on veut, pour faire plaisir au roi, dira-t-il plus tard. S'agit-il seulement du meurtre de Charlotte, ou d'une autre affaire de trahison en rapport avec celle qu'eut sa mère à Rouen ? On peut le supposer.

Le 22 septembre 1481, les commissaires lurent à Jacques de Brézé une sentence portant que, d'après l'avis du grand conseil, il avait forfait envers le roi en corps et en biens. Cependant sa Majesté consentait à convertir l'affaire du criminel au civil, et il était condamné à une amende énorme de 100.000 écus d'or, qui peut correspondre aujourd'hui à 4 millions. Jacques de Brézé fut élargi. Ne pouvant payer une somme aussi considérable, il dut se constituer de nouveau prisonnier à la Roche-Corbon. Les terres de la maison de Brézé, qui étaient nombreuses, en Normandie le comté de Maulévrier, en pays chartrain Nogent-le-Roi, Anet, Bréval, Montchauvet, en Anjou la Varenne, Bréchossac et Clayes, d'autres en Périgord dépendant de la Vicomté de Turenne, Martel en Quercy, furent mises en la main du roi. Le contrat de cession fut passé à Tours, le 6 octobre 1481.

La première pensée qui vient à l'esprit est que le roi Louis aurait agi par cupidité et cherché à agrandir le domaine aux dépens d'un assassin. Mais il n'en est rien. Dans le même mois, Louis XI rendait ses terres à Louis de Brézé, fils aîné du comte de Maulévrier, et à ses quatre autres enfants qui firent à leur père une pension de 2.000 francs sur la baronnie de Mauny. Ce qui détermina le roi à agir ainsi vaut d'être rapporté : Considérant que ledit Jacques de Brézé a eu espousé feue Charlotte, en son vivant nostre sœur naturelle, de laquelle sont issus en mariage nostre cher et amé nepveu Louis de Brézé, leur aisné fils, et deux autres fils et deux filles, qui sont encore mineures et en bas âge ; laquelle nostre feue sœur naturelle ledit Jacques, par de faux et sinistres rapports, comme il dit, meurtrit et occist inhumainement, non voulant ledit Louis, fils aisné, estre deshérité et ne souffrir destriement pour les crimes dudit Jacques son père, mais les élever et augmenter en faveur de sa feue mère, et aussy en faveur du mariage pourparlé dudit Louis de Brézé, nostre nepveu, et de nostre bien amée Yolande de la Haye, demoiselle, fille de nostre amé et féal conseiller et chambellan, Louis de la Haye, seigneur de Passavant, et de notre chère et bien amée cousine, Marie d'Orléans, son épouse, et pour autres grandes et raisonnables considerations. Le jeune Louis de Brézé recevait comme tuteur Dunois, puis le vidame de Chartres.

On ne s'attendait vraiment pas à trouver Louis XI montrant un tel esprit de famille, une fois de plus marieur, et si rigoureux à poursuivre les intérêts du sang de la belle Agnès qu'il avait pourchassée la dague à la main.

Jacques de Brézé fit le mort durant les dernières années du règne de Louis XI. Il attendit prudemment l'avènement de Charles VIII pour faire appel de sa condamnation dans un procès qui vint au Parlement le 3 mai 1484. Alors les avocats de sa cause racontèrent la suite des détentions de leur client et protestèrent contre l'illégalité des informations. Mais Jacques de Brézé préféra cependant réintégrer là Conciergerie et s'en remettre à la clémence du roi Charles VIII qui le délivra, lors de son entrée à Beauvais, au mois d'avril 1486. Alors le comte de Maulévrier obtint de la chancellerie une lettre de rémission pour le crime qu'il avait commis au mois de juin 1477. Il retrouva son passe-temps favori qui était la chasse, regarda vieillir Souillart, le bon chien qui fut au roi Louis de France[31], célébra cette belle rose fleurie, Anne de Beaujeu, la fille du roi très chrétien. Il demeura sans rancune envers celui qui lui avait imposé de justes et sévères prisons[32] :

O Roy Loys, roy très victorieux,

Dont les haulx faitz et labeurs gorieux

Ont excedé tout authentique histoire :

Certes, je dy que l'œuvre est méritoire

Et digne assez de te canonizer

A toutes gens qui ont ferme créance

D'avoir été père d'Anne de France !

Jacques de Brézé, qui chante la gloire de Louis XI, devait à son tour se réconcilier avec son épouse. Ce fut dans la paix du tombeau où il la rejoignit dans l'abbaye de Coulombs. C'est du moins ce qu'atteste une plaque de cuivre, semée de larmes, qui fut posée plus tard sur leur sépulture. On y lisait l'inscription suivante, au-dessous de leurs blasons, dans un encadrement de palmes[33] :

Cy gist haut et puissant seigneur Mre Jacques de Brézé, comte de Maulévrier, baron de Bec Crespin et de Mauny, seigneur de Haut Rocher, Planes, Anet, Breval, Mont-chauvet et Nogent le Roy, où il mourut le Xe jour d'aoust M IVe XCIV et Mademoiselle Charlotte de France, sa femme, qui mourut le [X]III juin M IVe LXXVI. Pries pour le repos de leurs âmes. Requiscant in pace.

L'histoire de la troisième fille d'Agnès Sorel nous laisse croire qu'elle n'en eut pas. On a dit, sans qu'on en puisse faire la preuve, que Jeanne de France naquit à Beauté-sur-Marne. Mais nous savons surtout qu'elle a été remise enfant à un homme riche, Prégent, baron de Preuilly, fils de ce Pierre Frotier qui fut, au début du règne de Charles VII, une sorte de premier ministre et qui avait réédifié le vaste château de Preuilly sur la Claise dont les ruines sont aujourd'hui abandonnées à la pluie et aux vents. Prégent, baron de Preuilly, éleva Jeanne de Valois, qui lui était destinée plus tard comme épouse. Charles VII avait confié de la même manière Marie à Prégent de Coëtivy. Mais il arriva que Louis XI, peu après son avènement, modifia les projets de son père. Le 23 décembre 1461, un contrat de mariage était signé à Tours, par lequel Jean V de Bueil, comte de Sancerre, représentant son fils Antoine de Bueil[34], encore mineur, épousait Jeanne de France[35]. Le roi était représenté par Pierre Bérart, chevalier, seigneur de Bléré et de Chissé. Prégent, baron de Preuilly, recevait une indemnité de 6.000 écus d'or comme dédommagement des frais qu'il avait eus pour nourrir et élever l'enfant. Jean de Bueil s'engageait à faire d'Antoine son héritier, à lui assigner comme demeure le château de Vaujours ; il devait recevoir du roi, par termes successifs, une dot de 40.000 écus d'or ; et Louis promettait de faire légitimer Jeanne.

Il est vraiment curieux de retrouver encore une fois Louis XI faisant office de marieur, et prenant de la sorte lés intérêts de ses demi-sœurs. C'est que ce mariage devait, dans da pensée, servir sa politique, comme le mariage de Jacques de Brézé avec Charlotte de Valois. Louis établissait les filles d'Agnès.

Il faut connaître ceux qu'il enchaînait ainsi, Jean V et Antoine de Bueil.

Jean de Bueil[36] était un autre Pierre de Brézé, un soldat solide, mais peu maniable, une forte tête, descendant d'une famille militaire qui tirait son origine de Bueil, un bourg de Touraine sur les confins du Maine. Son père avait disparu vers 1415 dans la guerre contre les Anglais. Par sa mère, fille de Béraud II, dauphin d'Auvergne, Jean V devait hériter le comté de Sancerre. Mais à la suite du désastre d'Azincourt, au milieu de la misère générale de ce temps, Jean n'était qu'un jouvencel, comme il le racontera plus tard. Il devait faire sa fortune à la force de son bras, dans une série de coups de main qui l'illustrèrent, aux côtés d'un autre aventurier, le jeune duc d'Alençon, notamment à Verneuil. Grand et zélé serviteur de la maison d'Anjou, confident de Charles d'Anjou et d'Yolande, ami de Prégent de Coëtivy, cousin de Pierre de Brézé, la vie de Jean V ne fut qu'une longue aventure. On le trouve à l'entreprise sur le Mans, défendant Tours, ravitaillant Orléans au temps du grand siège, suivant le roi à Reims, poursuivant les Anglais à Beau-mont-le-Vicomte. En 1433, avec Pierre de Brézé et le seigneur de Coëtivy, Jean de Bueil enlève la Trémoille qu'il mène prisonnier à son château de Montrésor. Avec le duc d'Alençon, il poursuit, en 1435, les Anglais à Avranches, surprend par escalade Sainte-Suzanne en 1432, sert le roi au siège de Pontoise en 1441, suit le dauphin en Suisse, et prend avec Dunois la plus large part à la conquête de la Normandie en 1450. Jean de Bueil est nommé capitaine de Cherbourg et succède dans la charge d'amiral à Prégent de Coëtivy. Il montre même courage, même esprit d'entreprise pendant la conquête de la Guyenne. Mais le sire de Bueil, comte de Sancerre, s'il ne connaît pas d'obstacle à ses manœuvres hardies et méprise la fortification, s'il demeure l'homme des coups de main, au combat comme dans la politique, n'a pas été sans inquiéter souvent Charles VII. Désappointé en 1458, il continue cependant à servir le nouveau roi, son très prudent fils. C'est la raison pour laquelle Louis XI entend l'attacher par des liens de famille. C'est ainsi qu'il donne à son fils Antoine cette Jeanne de France, destinée d'abord au baron de Preuilly. L'affaire n'a pas été mauvaise : l'année suivante, Jean de Bueil rendra au roi l'hommage de sa châtellenie de Sancerre.

Madame de Bueil, autant que nous la connaissons, paraît avoir été très aimée du roi Louis. Nous la voyons assister, en 1467, aux côtés du roi et de la reine, aux belles noces de Nicole Balue, frère du célèbre évêque d'Evreux, à l'hôtel de Bourbon[37]. Au mois de septembre de la même année, le roi qui revient de son pèlerinage à Saint-Denis où il pardonne aux trois meurtriers et épieurs de chemins qui lui demandent une lettre de rémission, se rend à souper en l'hôtel de sire Denis Hesselin, son panetier et l'élu de Paris. Mme Hesselin vient d'accoucher d'une fille, dont le parrain est le roi. Mme de Bueil est la commère avec Mme de Montglat. Denis Hesselin, l'élu, fait bien les choses. Il sait recevoir et a préparé trois beaux bains. Le roi Louis, qui est enrhumé, ne prend pas le sien. Le chroniqueur ne dit pas si Mme de Bueil et Mme de Monglat se baignèrent[38].

Un fait assuré est que les Bueil, père et fils, furent comblés d'attentions par le roi Louis XI On voit que Louis demanda fort gracieusement à Antoine de lui envoyer son fils pour le servir. Il veille à ce que la dot de Jeanne de France, sa sœur naturelle, soit régulièrement payée. Il leur fait don, en 1478, des revenus de la seigneurie de Carentan qui étaient importants. Le roi nommera affectueusement Antoine son frère d'armes, l'avertira de la fin du Téméraire. Antoine mourut après 1506.

Louis XI ne cessa jamais de s'intéresser à sa famille, à ses enfants. Jacques de Bueil, l'aîné, devint échanson de Charles VIII. Renée de Bueil, sa sœur, fut mariée par Louis XI à Jean de Bruges, seigneur de la Gruthuse, en 1479 ; le roi la nomme sa nièce, lorsqu'il donne au ménage les revenus des greniers à sel de Caen, Caudebec, Harfleur et Lisieux. Jean de la Gruthuse, le fastueux amateur de beaux manuscrits, sera fait par Louis XI sénéchal d'Anjou, avant de devenir gouverneur de la Picardie.

Jean de Bueil ne montra pas la fidélité de son fils envers le roi. Aux jours du Bien Public, il fut dans les rangs des factieux. Mais les bienfaits de Louis XI retinrent dans le devoir, pour une large part, ce personnage audacieux et actif. Il se retira dès lors dans ses terres, à Vaujours et à Saint-Calais, écrivant sous forme romanesque un récit de sa propre vie, sous le titre du Jouvencel, qui est aussi une encyclopédie militaire et chevaleresque à l'usage de la noblesse. Ce que Jean de Bueil nous a dit d'Agnès Sorel a certainement un grand prix. Il a recueilli une tradition de famille, qui ne devait déplaire en rien à Louis XI, comme on l'a pensé.

 

 

 



[1] Jacques du Clercq, éd. de Reiffenberg, t. III, p. 142.

[2] Jacques du Clercq la nomme sa nièce (Ibid., p. 142). — Dom Grenier la dit sa maîtresse, ce qui n'est pas démontré. (Coll. de Picardie, vol. 210, fol. 13 v°).

[3] Pierre Champion, Guillaume de Flavy, p. 271-272.

[4] G. Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. V, p. 60 n.

[5] Sur ce qui suit G. Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. V, p. 60-61. Les Maignelay étaient en procès avec les ducs de Bourbon au sujet de cette terre que Louis II s'était fait adjuger en 1398. Le roi la retira des mains de Charles de Bourbon et de sa propre autorité la rendit à Antoinette. (Dom Grenier, Coll. de Picardie, vol. 210, fol. 13 v°).

[6] Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. V, p. 62.

[7] Dom Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, II, col. 1544-1548.

[8] Jean Chartier, II, p. 249.

[9] Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. V, p. 63.

[10] Bibl. Nat., Coll. de dom Housseau, vol. XII, n° 5786.

[11] Bibl. Nat., ms. fr. 2701, fol. 103.

[12] G. Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. V, p. 83.

[13] Dépêche du 18 novembre d'Acciajuoli (G. Du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. V, p. 76 n).

[14] Jacques du Clercq, éd. de Reiffenberg, t. III, p. 142.

[15] Sur ce qui suit voir Lettres de Marie de Valois, dame de Taillebourg, fille de Charles VII et d'Agnès Sorel (1458-1472), publiées par Marchegay dans l'Annuaire départemental de la Société d'Emulation de Vendée, 1874.

[16] Vallet de Viriville, Bibl. de l'Ecole des Chartes, t. XI, p. 480.

[17] Les originaux publiés par Paul Marchegay (op. cit.), sont conservés dans le chartrier de la Trémoille.

[18] Déprécation pour Messire Pierre de Brézé (Chastellain, VII, p. 37).

[19] Brantôme a copié dans les Annales d'Aquitaine de J. Bouchet cette anecdote qui le montre plaisant : Et n'eust pas faict comme le roy Louis XI, qui, voulant un jour faire un présent à quelques ambassadeurs d'Ahgleterre, il demanda à M. de Brézay quel il leur pourroit donner qui luy coustast beaucoup et ne luy servist de rien. L'autre, qui estoit bon brocardeur, luy répondit: Et mon Dieu, Sire, donnez luy vostre chapelle et tous vos chantres, qui vous coustent beaucoup et ne vous servent de rien. Bon celui-là ! (Brantôme, éd. Lalanne, t. 1, p. 137; le texte de Bouchet, II, p. 426-7).

[20] Journal de Jean de Roye, t. I, p. 107.

[21] Journal de Jean de Roye, t. I, p. 168, 272.

[22] Interpolation de la Chronique scandaleuse rédigée par Jean le Clerc (Journal de Jean de Roye, éd. Bernard de Mandrot, t. II, p. 359).

[23] Le Livre de la chasse au grand Seneschal de Normandye et les dicts du bon chien Souillard qui fut au roy Louis de France XIe de ce nom, par le baron Jérôme Pichon, Paris, Aubry.

[24] Je cite leurs noms d'après les pièces de procédure publiées par Douët-d'Arcq, dans la Bibl. de l'Ecole des Chartes, t. X, p. 211. Elles permettent de corriger ce que dit le Père Anselme, t. VIII, p. 272.

[25] Ed. Bernard de Mandrot, II, p. 15.

[26] Luxure.

[27] Cachée.

[28] La couverture.

[29] Près de Nogent-le-Roi, sur l'Eure.

[30] Je cite ce document et les renseignements qui suivent, d'après Douët-d'Arcq : Le Procès criminel intenté contre Jacques de Brézé, grand Sénéchal de Normandie, au sujet du meurtre de sa femme (Bibl. de l'Ecole des Chartes, t. X, p. 211 et s.).

[31] Le Livre de la chasse..., par le baron Jérôme Pichon, Paris, Aubry.

[32] Le Livre de la chasse..., par le baron Jérôme Pichon, Paris, Aubry, p. 51. Publié par le baron J. Pichon d'après le ms. de Robertet.

[33] Bibl. Nat., Cab. des Estampes, Gaignières Po II c, fol. 46, Réserve. — Je m'en voudrais de ne pas citer, bien que l'ouvrage soit de forme romanesque, le charmant essai d'Edmond Pilon, Portraits tendres et pathétiques... Madame de Brézé, Paris, 1910.

[34] Sur la famille de Bueil, voir La Thaumassière, Histoire du Berry, p. 436 et surtout la belle introduction à l'édition du Jouvencel de Camille Favre.

[35] Le Jouvencel, pièces justificatives, II, p. 401.

[36] C. Fabre, introduction au Jouvencel, 1 ; Anselme, Histoire générale de la Maison de France, t. VII, p. 487.

[37] Journal de Jean de Roye, éd. Bernard de Mandrot, I, p. 179.

[38] Journal de Jean de Roye, I, p. 182.