ROME ET LA JUDÉE

AU TEMPS DE LA CHUTE DE NÉRON (ANS 66-72 APRÈS JÉSUS-CHRIST)

PREMIÈRE PARTIE. — LES PROPHÉTIES ET LEUR PREMIER ACCOMPLISSEMENT

CHAPITRE III. — LES HÉRÉSIES.

 

 

En même temps que les persécutions, prédits comme elles, surgissaient les faux prophètes. Il faut ici nous arrêter un peu. L'histoire des hérésies est considérable dans l'histoire du christianisme et dans celle de l'esprit humain. Il importe d'en bien marquer le début.

Il faut qu'il y ait des hérésies, disait saint Paul. Le grand coup de filet qui amenait à l'Église des milliers de néophytes avait amené parmi ce butin du ciel plus d'un élément impur. Tôt ou tard l'ivraie devait être triée d'avec le bon grain, l'Église passée au crible, soit par les persécutions qui séparaient d'elle bien des apostats, soit par les hérésies qui détournaient d'elle bien des âmes égarées.

Un double levain, en effet, fermentait au sein de l'Église. Ceux d'entre les fidèles qui ne savaient pas supporter la plénitude de la lumière chrétienne regardaient en arrière, vers le judaïsme, s'ils étaient Juifs d'origine ; vers le paganisme, s'ils sortaient de la gentilité. Chaque race avait ses défauts et ses pentes à elle. Le Juif, devenu Chrétien, accoutumé à l'observance servile d'une loi minutieuse et rituelle, la gardait avec scrupule, l'eût volontiers imposée avec rigueur. Le gentil, au contraire, ou, pour parler avec saint Paul, le Grec, encore imbu de la sagesse de ses philosophes, cherchait les préliminaires et les fondements de l'Évangile dans Platon plus que dans Moïse. Le Grec était fier de l'intelligence donnée à sa nation ; le Juif, de l'élection de Dieu sur ses aïeux. L'un réprouvait cette race ingrate, qui, favorisée pendant tant de siècles, avait méconnu et crucifié son Sauveur ; l'autre méprisait ces nouveaux venus à la foi, ces inconnus, cette branche d'olivier sauvage qui était venue se greffer sur l'olivier franc. Les Juifs, dit saint Paul, demandent des miracles, comme s'il n'y en avait pas assez, c'est-à-dire une évidence toute surnaturelle et toute visible qui ne laisserait plus de place ni à la raison ni à la foi ; les Grecs cherchent la sagesse, une évidence toute rationnelle, une philosophie tout humaine[1].

L'antagonisme de ces deux tendances et de ces deux races s'était produit dès le premier jour de l'Église. A Jérusalem, sous les yeux des apôtres, et presque le lendemain de la première prédication de l'Évangile, il y avait eu dans le sein de l'Église des plaintes des Grecs contre les Hébreux. Plus tard, quand saint Pierre avait reçu au baptême le centurion romain Cornélius, le judaïsme avait murmuré. Malgré les avertissements donnés de Dieu même, beaucoup avaient persisté à n'annoncer l'Évangile qu'aux seuls Juifs[2]. Et bientôt, les gentils venant en foule, l'Église d'Antioche se recrutant de païens, on s'était imaginé de les faire juifs, et on leur avait imposé la circoncision. Il avait fallu que les apôtres statuassent et que le concile de Jérusalem maintint la liberté de ces nouveaux Chrétiens[3]. A Rome, c'étaient les rivalités entre Grecs et Juifs qui avaient provoqué la célèbre épître de saint Paul. Grecs et Juifs voulaient s'approprier la foi, faire de l'Évangile leur Évangile, et ils eussent déchiré en lambeaux la tunique du Christ.

Et quand l'apostolat fut intervenu ; lorsque, comme saint Pierre devant les murmurateurs de Jérusalem, comme le concile en face des novateurs d'Antioche, comme saint Paul écrivant aux Romains, l'autorité se fut armée pour maintenir les uns et les autres dans la vérité et la paix ; le grand nombre sans doute se soumit : mais il y eut des rebelles ; il y eut de prétendus docteurs qui persistèrent à trouver l'Église ou trop juive ou trop peu juive, ou pas assez philosophie ou trop païenne. Il n'y eut plus seulement des dissentiments, mais des ruptures ; plus seulement des disputes, mais des schismes. La race commença à paraître de ces hommes qui choisissaient au lieu de croire, et qui, au lieu de suivre le droit chemin de l'Église, dévièrent ou à droite vers la synagogue, ou à gauche pour se rapprocher du temple et de l'école. Il y eut en un mot des hérésies, les unes païennes par leur principe et par leurs passions, les autres juives par leurs réminiscences et par leurs pratiques ; dans un sens et dans l'autre, des défaillances de la foi, des regrets, des retours, des âmes faibles ou orgueilleuses qui, semblables à la femme de Loth, laissant marcher les forts et les fidèles, retournaient la tête vers le passé et demeuraient pour leur châtiment inertes et pétrifiées.

Parmi ces déserteurs, ceux qui étaient Juifs d'origine et qui reculaient vers la synagogue furent les plus nombreux. C'étaient des pharisiens baptisés, mais demeurés pharisiens dans le christianisme, et qui ne pouvaient se résigner à déposer leur titre de docteurs, leurs honneurs de rabbins, leurs privilèges d'Israélites, les observances au sein desquelles leur enfance avait été nourrie. Pour les garder, ils imaginaient de faire du judaïsme l'échelle indispensable, la première marche du christianisme ; la synagogue seule menait à l'Église. Il fallait être circoncis, observer les sabbats avec toute la rigueur pharisaïque, rejeter les viandes immondes, quoiqu'une révélation directe de Dieu eût aboli cette distinction, vivre avec les seuls Israélites, fuir le contact des idolâtres, sans quoi on n'était point prosélyte de la synagogue et par suite on ne l'était pas de l'Église. Jérusalem était toujours pour eux la ville sainte, et ils se tournaient vers elle dans leurs prières ; le peuple juif était toujours pour eux le peuple élu : et c'est en s'agrégeant à lui non-seulement par la foi, mais par les rites, en devenant juif non-seulement de croyance, mais de nation, que quelques gentils pouvaient trouver grâce ; pour être associé à la vocation d'Abraham, il fallait être, au moins par adoption, fils d'Abraham. Le salut était ainsi surtout dans la vocation d'Abraham et dans les œuvres de Moïse[4]. La grâce du Christ n'était plus qu'un appendice à la bénédiction patriarcale, sa loi un supplément à la loi mosaïque. Par son origine et par ses œuvres, le Juif avait tout droit à la bénédiction de Dieu ; ce n'était pas le Christ qui le sauvait, c'étaient ses aïeux et c'était lui-même. La vertu du Rédempteur diminuait ainsi dans la mesure où grandissait la vertu de la révélation mosaïque ; la grâce de la loi nouvelle était moindre d'autant que le privilège de la loi ancienne était plus grand. L'Évangile n'était plus qu'un perfectionnement du Pentateuque. Tels étaient ces prétendus docteurs, étroits, rigoristes, exclusifs, mesquinement orgueilleux.

Tout autres étaient les hérésies qui retournaient vers le paganisme. Les Chrétiens d'origine païenne, que cet esprit exclusif et orgueilleux avait froissés, pour fuir le plus loin possible de la synagogue, reculaient jusqu'au temple des dieux. D'abord le grand dogme des livres et du peuple juif, la grande vérité méconnue par le paganisme, le dogme du Dieu un et surtout du Dieu créateur , ils avaient hâte de l'effacer : le monde n'était plus créé de Dieu ; il était l'œuvre des anges, et des mauvais anges. Puis disparaissait à son tour le dogme de la providence divine, la conduite de Dieu sur les peuples et surtout sur le peuple hébraïque, si puissamment écrite dans les livres de Moïse : les anges se substituaient à Dieu pour le gouvernement comme pour la création du monde. C'étaient les anges (quelques-uns allèrent jusqu'à le soutenir) qui avaient suscité Moïse, dicté le Pentateuque, inspiré les prophètes. On vit l'opposition au judaïsme aller jusqu'à la glorification de Dathan, d'Abiron, de Caïn, de tous les personnages voués à l'exécration par les Livres saints. Aussi le Rédempteur, quel qu'il fût, n'était- il venu, selon eux, ni confirmer, ni agrandir, ni spiritualiser, ni, quoiqu'il le dise dans l'Évangile, accomplir la loi ; il était venu l'abolir, et délivrer le monde de la tyrannie des anges. Ce n'est pas tout ; la loi de Moïse repousse avec horreur tout ce qui est magie, incantation, sortilège : ceux-ci, avec un enthousiasme égal à celui des païens, pratiquèrent ces commerces impurs avec les démons. La loi juive, à certains égards, est une loi extérieure dans laquelle la vie corporelle de l'homme semble tenir la plus grande place, où son être spirituel est voilé : les nouveaux docteurs, au contraire, affectèrent de mépriser l'homme corporel ; pour eux, le monde visible, la matière, la chair, sont l'œuvre des anges, c'est-à-dire d'une influence mauvaise ; la chair n'est pas seulement pervertie, elle est essentiellement impure ; le Christ ne l'a point revêtue, et par suite ne l'a point rachetée ; elle mourra pour ne point renaître ; il n'y aura point de résurrection pour elle[5]. Enfin la loi juive attache un grand prix aux œuvres rituelles, aux œuvres morales : ceux-ci n'en attachèrent aucun. Qu'est-ce, dans ce monde créé et gouverné par les mauvais anges, que les notions de vertu et de vice, de bien et de mal, inspirées et propagées par eux ? Vivre dans la virginité comme les ascètes chrétiens ou comme les païens dans la débauche, jeûner ou se livrer à l'intempérance, rejeter avec horreur les viandes offertes aux idoles ou s'en nourrir avec délices, souffrir la mort plutôt que de sacrifier aux faux dieux, ou, pour sauver sa vie, brûler son encens sur tous les autels possibles, ce sont des actions indifférentes. Les unes ne justifient pas plus que les autres ne damnent. Non par ses œuvres, mais par la grâce du Dieu descendu sur la terre, l'homme doit être sauvé.

Mais ces sectes si opposées entre elles avaient cependant un point de rapprochement. Les unes et les autres diminuaient comme à l'envi le Christ et son œuvre. Pour les judaïsants, cela est tout simple : la rédemption n'était qu'une œuvre accessoire et secondaire ; un instrument médiocre suffisait. Leur Messie n'était qu'un prophète, un simple homme, Jésus, sur lequel le Christ, la vertu de Dieu, était momentanément descendue du jour de son baptême à celui de son agonie. De leur côté, les paganisants (si je puis employer ce mot) déclaraient la création une œuvre du mal, le monde visible absolument vicié, la chair radicalement impure, et ne pouvaient admettre d'union entre Dieu, la pureté suprême, et le monde, la chair, l'homme, l'impureté absolue. Ce n'est plus Dieu qui s'est revêtu de la chair humaine, qui a souffert et qui est mort : c'est une vision, un fantôme, une apparence humaine dont il a bien voulu se revêtir ; il n'a pu consentir à être réellement homme, réellement chair, parce qu'il ne peut consentir à être le mal. Les uns effaçaient ainsi la divinité ; les autres, l'humanité du Sauveur. Ni les uns ni les autres ne pouvaient porter, dans sa sublimité, le mystère du Dieu fait homme et du Dieu fait chair, cette association si féconde et si fondamentale de Dieu et du fidèle, de l'âme divine et de l'âme humaine, de la chair divine et de notre chair, de la mort d'un Dieu et de notre mort, de sa résurrection et de notre résurrection[6]. Dieu et l'homme étaient toujours pour eux à distance. L'œuvre de la rédemption n'avait plus été entre Dieu et l'homme qu'un rapprochement apparent et momentané, qu'une simple manifestation de la puissance divine, qu'un simple phénomène d'inspiration, qu'un prestige. Par là disparaissaient la piété des croyants, la vertu des saints, le courage des martyrs. Pour ce christianisme diminué, pour ce Christ fantôme, pour cet homme qui n'était point Dieu, ou ce Dieu qui ne s'était point fait homme, pour une félicité à venir qui n'était point gagnée par le sang de Dieu, pour une résurrection dont on n'avait point pour gage la résurrection d'un Dieu, qui se fût soucié de mourir ? Les paganisants dispensaient formellement du martyr, les judaïsants ne le subirent guère.

Telles étaient, dans leur divergence et dans leur union, ces voies opposées de l'erreur. Elles se montrèrent dès le premier jour du christianisme. Saint Paul nous montre les docteurs judaïsants dressés contre lui comme des chiens hargneux dans toutes les églises qu'il a fondées. A Corinthe, ils le calomnient en son absence, ils lui dénient sa mission apostolique, ils se font les chefs et bientôt les tyrans d'une foule qu'ils ont séduite[7]. En Galatie, au milieu d'une église sortie de la gentilité, ils imposent aux gentils baptisés la circoncision et les œuvres de la loi ; C'est, dit-il, comme un nouvel évangile qu'ils forcent les fidèles à suivre au lieu de l'Évangile de Jésus-Christ[8]. Les docteurs opposés à ceux-ci ne lm sont pas non plus inconnus. Ces gnostiques orgueilleux (car lui-même leur donne déjà ce nom[9]), qui maudissent la création, anathématisent la chair, condamnent le mariage, interdisent l'usage de certains aliments[10] (comme le feront plus tard les manichéens), qui rejettent la résurrection future, et soutiennent que la résurrection s'est accomplie par le baptême, il les a rencontrés à Corinthe[11] ; il a souffert à Rome de leur obstination et de leurs rancunes ; il a livré à Satan Hyménée et Alexandre, et il a ordonné aux fidèles de s'éloigner d'eux ; il a vu tomber dans les pièges de l'erreur l'hérésiarque Philète, entraînant avec lui plusieurs âmes séduites[12]. L'hérésie germait partout à côté de la foi et au milieu de la foi.

Nais, parmi ces missionnaires de l'erreur, le nom le plus célèbre est celui de Simon, que les historiens de l'Église ont appelé le père de toutes les hérésies. Simon nous représente bien ce retour fatal de certaines âmes, un instant chrétiennes, vers le paganisme. Il est Samaritain, du bourg de Citthim, par conséquent frère, mais frère ennemi des Juifs, appartenant à une nation qui, bien qu'elle reçoive le Pentateuque, s'est montrée ennemie d'Israël au point de pencher volontiers vers l'idolâtrie. Il a commencé, au mépris de la loi de Moïse, par exercer la magie, disant qu'il était quelqu'un de grand, écouté des moindres et des plus puissants, et faisant dire aux peuples : Celui-ci est la puissance de Dieu, celle qu'on appelle la grande[13]. Tant les peuples étaient possédés alors du besoin et de l'attente d'une manifestation divine ! Il a été chrétien ; il a admiré chez les apôtres des prodiges qui dépassaient sa prétendue science. Il a reçu le baptême de Philippe, de Pierre et de Jean ; il a reçu l'Esprit-Saint ; mais, ne voyant dans le Christianisme qu'une magie supérieure, il a cru qu'associé gratuitement à la puissance surnaturelle du chrétien, il pouvait avec de l'or s'élever d'un degré et se faire associer à la puissance plus haute de l'apôtre. Il a voulu acheter de Pierre et de Jean le pouvoir de conférer l'Esprit-Saint par l'imposition des mains. Et Pierre lui a dit : Que ton argent soit avec toi en perdition, puisque tu as cru pouvoir avec tes richesses acheter les dons de Dieu ! Tu n'as point de part dans notre parole ; car ton cœur n'est pas droit devant Dieu. Fais donc pénitence de ton iniquité et prie Dieu, afin d'obtenir, s'il se peut, qu'il te pardonne cette pensée de ton cœur ; car je vois que tu es dans le fiel de l'amertume et dans les liens de l'iniquité. Et Simon répondit aux apôtres : Priez pour moi le Seigneur, afin que rien ne tombe sur moi de ce que vous m'annoncez[14].

Mais ce repentir, sincère ou non, n'a pas duré. N'ayant pas voulu s'associer à la pureté de la vie et à la rectitude de la foi chrétienne, Simon est redevenu ce qu'il était auparavant, samaritain, magicien, faux prophète. Il s'est cru plus que jamais la grande puissance de Dieu. Seulement, éclectique à sa façon, des différentes phases de sa vie, des différentes doctrines qui se partageaient le monde, il a pris ou gardé quelque chose ; il a cousu sa prétendue révélation de paganisme, de judaïsme, de christianisme ; il s'est adressé tout à la fois aux idolâtres, aux Samaritains, aux mauvais Chrétiens. Se faisant le dieu de toutes les doctrines, il a déclaré être apparu comme Dieu le Père aux Samaritains, comme le Fils aux Juifs, comme l'Esprit aux gentils.

Le point de départ de son erreur, la pierre d'achoppement pour lui comme pour tous, c'est toujours le dogme de la création. A ce dogme les philosophes de l'antiquité échappaient en admettant l'indépendance et l'éternité de la matière. Mais Simon, qui comme Samaritain a lu les livres de Moïse, comme Chrétien a cru à l'Évangile, qui a reçu la notion du Dieu unique, personnel, spirituel, ne peut plus, si dépravé qu'il soit, croire la matière née d'elle-même, indépendante, éternelle. De là un embarras suprême, des rêveries, un cauchemar de doctrines monstrueuses, au delà même de celles du paganisme.

Simon admet bien un principe unique, souverain, intellectuel, parfaitement bon ; mais il a besoin que .de ce principe le mal puisse sortir ; et il l'en fera sortir par des générations multiples, comme si cette multiplicité pouvait dissimuler l'absurdité d'une telle descendance. Il a besoin que cet être suprême soit à la fois esprit et matière pour expliquer l'origine du monde, sans que la matière soit créée de rien, comme le disent les Juifs, et sans que la matière soit indépendante, comme disent les païens.

Il y aura donc une vertu suprême, c'est celui qui était, est et sera, comme Simon l'appelle encore d'un nom bien caractéristique de sa doctrine, le silence. En lui toute chose est virtuellement comprise, le fini et l'infini, le visible et l'invisible, le corporel et l'incorporel. C'est le feu, mais un feu mystique, source et origine de toutes choses. C'est un arbre mystérieux comme celui que Nabuchodonosor vit en songe et sous le feuillage duquel s'abritaient toutes les créatures. La partie apparente de l'arbre, les branches, les feuilles, l'écorce, c'est le fini, le visible, le corporel ; au contraire, l'infini, l'invisible, l'incorporel, c'est ce qui est caché, c'est la sévie qui donne la vie à tout le reste[15].

Or, de cet arbre, six racines ou plutôt six rejetons sont sortis, six êtres supérieurs, six Éons (pour adopter le vocabulaire gnostique), associés deux à deux, un principe masculin plus élevé et plus spirituel, avec un principe féminin inférieur et plus corporel. C'est d'abord l'entendement qui gouverne toutes choses et habite les sphères d'en haut, avec la pensée qui habite une sphère moins haute et a engendré toutes choses. De ces deux premiers Éons sont sortis les quatre autres, la parole avec le nom, le raisonnement avec la passion. Ces six Éons, réunis avec la vertu suprême, forment le divin septenaire, la puissance universelle, la plénitude de l'intelligence et de la vie.

Telle est la théogonie simonienne. Mais il faut en venir à la cosmogonie et montrer comment de ce monde divin, de ce plérome infini et parfait, le monde terrestre, fini et imparfait est sorti. Pour sauver les inconvénients de la déviation, Simon ne sait faire autre chose que la mettre une ou deux générations plus bas. Epinoia (la pensée), fécondée par le principe supérieur, a mis au jour les anges et les puissances. Ce sont ces anges qui, vivant dans une sphère inferieure et ne connaissant pas leur père, jaloux d'être eux-mêmes créateurs, ont donné l'être au monde que nous habitons, œuvre d'ignominie, de rébellion et de ténèbres pour Simon, comme pour les autres gnostiques. Il y a plus : ils ont craint qu'Épinoia leur mère, devenant de nouveau féconde, ne leur donnât des rivaux ; ils ont profité du moment où elle était descendue dans leur sphère pour la peupler ; ils l'ont saisie, ils l'ont accablée d'outrages, et, pour prévenir son retour vers leur père, ils l'ont enfermée dans ce inonde qu'ils ont créé et l'ont enchaînée à un corps mortel. Associée ainsi à la vie inférieure du monde et de l'homme, elle suit le sort des âmes humaines, et, selon la doctrine pythagoricienne de la métempsycose, transmigre pendant des siècles d'un corps dans un autre, s'enfonçant de plus en plus dans la dégradation et la captivité. Par cette révolte de l'orgueil, par cette création fortuite du monde, par cette séparation entre le principe suprême et sa pensée éternelle, Simon explique l'origine du mal et la perturbation de l'ordre divin.

Ce qui serait curieux, mais ce qui nous mènerait trop loin, ce serait de montrer comment Simon, Samaritain et baptisé, ayant foi comme sa nation aux livres de Moïse, quoiqu'il rejette, comme elle, les prophéties, prétend accommoder cette théogonie et cette cosmogonie si étranges avec les enseignements du Pentateuque. Ses six Éons se retrouvent, selon lui, dans la genèse mosaïque, traduits sous une forme corporelle. L'entendement et la pensée, c'est le ciel et la terre, principe mâle et femelle dont le second est fécondé par le premier ; la parole et le nom, c'est le soleil et la lune ; le raisonnement et la passion, c'est l'air et l'eau. Et, par-dessus tout cela, domine la puissance suprême, infinie, celui que Moise appelle l'Esprit de Dieu porté sur les eaux. De cette façon, les trois couples d'Éons sont représentés chacun par deux des six jours de la création, le septième jour appartient au principe divin, et la semaine tout entière reproduit ainsi le divin septenaire[16].

L'homme dans le paradis est une allégorie d'une autre nature, toute physiologique. C'est l'enfant dans le sein de sa mère, recevant par les artères la nourriture et la vie, ou par les sens le son et la lumière, comme le paradis reçoit la fécondité des quatre fleuves qui l'arrosent. Les cinq Livres de Moise répondent aux cinq sens de l'homme[17], etc. L'esprit rabbinique, avec ses commentaires subtils sur l'Écriture, se retrouve là, comme en ce siècle il se retrouve partout.

Simon le Samaritain s'accommode ainsi avec le Pentateuque ; mais Simon le Chrétien doit aussi s'accommoder avec l'Evangile. Après avoir expliqué la création, il faut expliquer la rédemption ; car, en ce siècle, la rédemption était si évidemment nécessaire, que ceux à qui elle avait été une fois enseignée ne pouvaient plus s'en départir. Nulle secte, née du Christianisme, si peu chrétienne qu'elle fût, n'a abandonné l'idée de la rédemption, ni le baptême, le signe et le moyen de la rédemption. Pendant des siècles, selon Simon, les mauvais anges ont gouverné le monde, conduit même le peuple juif et inspiré les prophètes ; mais enfin le Principe suprême a voulu mettre fin à ce désordre. Il ne s'est pas incarné (quelle union était possible entre Dieu radicalement bon et la chair radicalement mauvaise ?) ; mais il s'est manifesté successivement dans toutes les sphères, parce que toutes les sphères s'étaient corrompues, transfiguré en ange parmi les anges, en homme parmi les hommes. C'est là cette grande puissance de Dieu qui, sous le nom de Jésus, s'est montrée en Judée, paraissant vivre, souffrir et mourir, ombre sous une pure apparence humaine. C'est elle qui, sous ce nom, se montre maintenant à tons, Juifs, Samaritains, Chrétiens, idolâtres. Mais ce qu'elle est venue surtout faire, c'est chercher, retrouver, relever, réhabiliter sa brebis perdue, sa fille et son épouse, son Épinoia. De transmigration en transmigration, d'abaissement en abaissement, après avoir été la célèbre Hélène du siège de Troie, elle est devenue maintenant une autre Hélène, esclave de Tyr qui se prostitue au profit de ses maîtres. C'est là que le dieu manifesté, Simon, la trouve, la purifie, la relève. Replacée à son rang, elle le suit maintenant partout. Simon est le Tout-puissant, le consolateur, la parole de Dieu, la beauté de Dieu ; il est tout ce qui est en Dieu[18]. Hélène est la pensée de Dieu. On est sauvé par Simon et par Hélène. Pour conserver quelque trait de Christianisme, le baptême se donne, mais au nom de Simon et d'Hélène ; pour satisfaire les imaginations païennes, Simon sera adoré sous la forme de Jupiter, Hélène sous la forme de Minerve. Ainsi, dans cette honteuse parodie de la Rédemption, tout se confond et tout se mêle.

Quelle doctrine morale pouvait sortir de là ? Presque toutes les sectes, qui ont posé en principe la réprobation absolue de la nature corporelle, ont eu la corruption pour châtiment de leur orgueil. Dieu a permis à la nature corporelle de se venger par les plus honteux excès. D'ailleurs, si le monde a été jusqu'ici gouverné par des mauvais anges, il n'a pu recevoir que de mauvaises lois : la morale qu'il admet est fausse il faut une morale tout opposée. Il y eut cependant, à ce qu'il parait, des Simoniens rigides. Un certain Dosithée, se disant fils de Dieu, maître de Simon selon quelques-uns, son successeur selon d'autres, interdisait sinon le mariage, au moins les secondes noces. Dans l'école même de Simon on parlait d'une vie spirituelle, d'un état supérieur et divin promis à ceux qui, par la rupture des liens de famille, se mettraient au-dessus de la condition humaine[19]. La résurrection promise par le Christ, disaient-ils, n'était pas autre chose que cette régénération des âmes. Mais on sait quelles impuretés ce rigorisme mystique a souvent cachées. D'ailleurs, la seule opposition au judaïsme devait faire détester la morale des Livres saints. Le judaïsme avait attaché trop de prix aux œuvres morales comme aux œuvres rituelles, pour que les Simoniens ne méprisassent pas les unes comme les autres. Le judaïsme avait trop sévèrement réprouvé les sciences occultes, pour que les Simoniens, par contrecoup et à l'exemple de leur chef, ne les pratiquassent pas. Le judaïsme avait trop hautement proscrit les idoles, détesté les sacrifices païens, repoussé de sa table les viandes offertes aux dieux, pour que Simon, à son tour, ne fût pas indulgent pour l'idolâtrie et n'autorisât pas ses disciples à brûler l'encens ou à manger la viande des idoles, afin de se dispenser du martyre[20].

Il y a plus, et, comme firent plus tard la plupart des sectes gnostiques, la religion de Simon eut une partie secrète, un sanctuaire plus caché, des mystères, des hiérophantes. Ce qui se passait là était pour les initiés un objet d'étonnement et d'effroi. Eusèbe[21] dit qu'il est impossible d'en parler, Saint Épiphane (ces secrets-là finissent toujours par transpirer) en raconte d'abominables choses. Là le paganisme renaissait complètement, et l'idolâtrie se montrait sans mélange. On offrait à l'adoration des peuples les images de Simon-Jupiter et d'Hélène-Minerve, et si quelque prosélyte naïf les appelait encore Simon et Hélène, il était bafoué comme ignorant et repoussé comme profane[22]. C'était bien la peine d'avoir fait un si long détour, d'avoir passé par le judaïsme, par le samaritisme, par le Christianisme, par l'hérésie, pour tomber plus bas que les idolâtres, adorer un Jupiter vivant et une Minerve vivante, l'un charlatan, l'autre prostituée.

Je me suis arrêté sur ces doctrines de Simon, parce qu'elles en enfantèrent bien d'autres depuis. Simon fut en réalité le père de ce qu'on appela depuis le gnosticisme, et qui tint une si grande place dans l'histoire de l'Église et dans celle de l'esprit humain. Les hérésies judaïsantes à cette première époque de l'Église furent plus nombreuses ; les hérésies paganisantes furent plus fécondes. Les premières étaient l'écho d'un nationalisme étroit et d'un regret impuissant, elles durèrent peu ; les autres s'adressaient à de tristes, mais à d'éternels instincts du cœur et de l'esprit de l'homme ; elles se perpétuèrent pendant des siècles. Simon ne fit qu'attacher le premier anneau de la chaîne à laquelle bien d'autres vinrent appendre leur erreur[23].

Quoi qu'il en soit, judaïsants ou paganisants, les docteurs hérétiques se montraient en grand nombre. Les apôtres nous peignent sans cesse ces hommes qui se lèvent dans les assemblées pour répondre, disent-ils, à l'inspiration de Dieu. Il ne manque pas à ces ouvriers de mensonge une piété au moins apparente[24]. Leur attitude est grave, leur bouche pleine de bénédictions : Satan ne sait-il pas se transformer en ange de lumière[25] ? Mais leur premier mouvement est l'orgueil, la désobéissance leur première faute. L'enseignement de l'Église ne leur suffit pas ; cette curiosité inquiète, qui apprend toujours et ne parvient jamais[26], prétend à une lumière plus haute, à un mysticisme plus savant, à une gnose supérieure, comme ils disent[27]. Superbes, enflés, ignorants, ils méprisent l'autorité, et, au lieu de plaire à Dieu, se plaisent à eux-mêmes[28].

La popularité ne tarde pas non plus à leur manquer. Il y a dans les Églises bien des néophytes juifs ou gentils d'origine qui regrettent encore les oignons d'Égypte et sont prêts à retourner à leur vomissement. Il y a bien des hommes incapables de soutenir la bonne doctrine et qui cherchent, pour satisfaire l'insatiable démangeaison de leurs oreilles, des maîtres selon leurs désirs et des fables selon leurs rêves[29]. Il y a surtout bien des femmes, imaginations vagabondes, consciences entachées, qui demandent un pardon plus facile de leurs fautes, une satisfaction plus complète de leurs chimères. Dans ces conciliabules de l'hérésie, ce n'est plus la simplicité de la parole, la netteté de la pensée, l'humilité du cœur chrétien. Ce sont, comme chez les Simoniens, des expressions profanes et nouvelles[30], de vaines paroles, une mythologie orientale ou judaïque[31], des généalogies fantastiques telles que celles des éons du gnosticisme[32], des emprunts faits aux rêveries de toutes les nations, des doctrines bigarrées de rabbinisme, de pythagoréisme, de sabéisme, d'indianisme peut-être[33] ; et, ce qui est plus particulier aux Juifs, des querelles de mots, des subtilités sur le texte de la loi, des questions puériles, sottes, ignorantes, comme celles des rabbins[34] ; une science orgueilleuse et des contes de vieilles femmes ; audace et folie, révolte et puérilité, disputes sans fin où l'intelligence se noie, où la charité périt. C'est encore la corruption de la parole divine, l'abus de ses saintes obscurités ; des écrits falsifiés, de fausses lettres de Paul, de faux Évangiles, de fausses révélations[35]. C'est la calomnie appelée à l'aide de la fausse doctrine : ils peindront Paul comme un homme dominé par la chair[36] ; ils se railleront de son aspect et de sa parole ; audacieux en son absence, tremblants en face de lui, prêchant plus haut l'Évangile quand Paul est dans les fers pour que la rancune des païens retombe sur l'apôtre captif[37]. La parole de l'hérésiarque est comme un chancre brûlant ; s'avançant toujours dans le mal, il se trompe et trompe les autres. Peu à peu le dernier lien se brise, la secte se forme, le blasphème est articulé et la rupture est complète[38].

L'hérésiarque conduira donc le troupeau qui s'est mis sous sa garde, brebis insoumises auxquelles leur nouveau pasteur a promis la liberté, bien qu'il soit lui-même esclave de la corruption ; car, sous ces apparences de science et de sainteté, un amour impatient de domination, la soif du gain, l'intempérance, l'impureté, se révèlent[39] en lui. L'agape chrétienne se change pour lui en un festin de débauches ; ses yeux sont pleins d'adultères ; sa table est souillée par l'impureté[40]. Introduit dans les demeures, il trouble les familles, il ruine les patrimoines[41], il exige des tributs, il s'irrite, il frappe au visage[42]. Cette tyrannie de l'hérésie est de tous les temps. Luther maudit Zwingle et voue les anabaptistes à la mort. Henri VIII fait brûler les Luthériens. Calvin dresse l'échafaud de Servet.

En somme, l'erreur naissait partout sur les pas de la vérité. Les apôtres n'écrivirent guère que pour la combattre. Ils eussent bien mieux aimé ne prêcher que de bouche ; "mais l'hérésie marchait derrière eux, comme derrière le semeur marche son ennemi pour jeter l'ivraie au milieu du bon grain. Il fallait que dans leurs courses apostoliques ils se retournassent pour la regarder et lui répondre par leurs écrits. En face des faux récits de la vie du Sauveur, il fallait que Matthieu, Marc, Luc, interrompissent le cours de leurs prédications et envoyassent aux fidèles la véritable Bonne Nouvelle, écrite et affirmée de leur main.

Paul surtout se trouve en face d'un double ennemi. A Corinthe, il apprend que les prétentions des judaïsants troublent l'Église de Rome ; il écrit son épître aux Romains. Pendant qu'il prêche à Éphèse, il est informé que les convertis de la Galatie sont également poussés dans les voies du judaïsme : il leur envoie ses avertissements. Dans cette épître et dans bien d'autres, les réminiscences du judaïsme sont sans cesse présentes à son esprit ; c'est toujours la liberté du Chrétien qu'il oppose à la servitude du Juif, la foi qui justifie à la loi qui ne peut sauver, la circoncision du cœur à la circoncision de la chair, la vivifiante pratique des vertus à la pratique stérile tics œuvres rituelles.

A d'autres époques, au contraire, tandis qu'il évangélise la Grèce, il apprend que l'Orient se trouble derrière lui, que les Chrétiens de Colosse, que ceux d'Éphèse, que les Hébreux convertis en Palestine sont agités par les rêveries de Simon et par tout ce qu'on appellera plus tard le gnosticisme ; il leur écrit à leur tour. Et ces quatre épîtres aux Colossiens, à Timothée, aux Hébreux, sans parler des autres, témoignent du nombre et de l'importance de ces docteurs de mensonge, par les allusions que saint Paul fait sans cesse à leur doctrine, par l'emploi même qu'il fait de leur langue. C'est la véritable gnose, la science de Dieu, la science de Jésus crucifié, qu'il oppose à leur gnose mensongère[43] ; c'est le plérome véritable, Jésus-Christ en qui la plénitude de Dieu habite corporellement[44], qu'il oppose au plérome multiple et insensé de Simon. Les gnostiques rabaissent le Christ, le mettent à plusieurs degrés au-dessous de la divinité, le séparent d'elle par la théogonie de leurs Éons et par la prétendue toute-puissance des anges sur ce monde : saint Paul, au contraire, relève le Christ, le place au-dessus des anges, des principautés et des puissances ; c'est par lui, le véritable premier-né, la splendeur de la gloire et le type de la Personne divine[45], c'est par lui que Dieu a fait les Éons (les siècles et les puissances de ce monde)[46] ; c'est lui qui est l'héritier de toutes choses, d'autant plus élevé au-dessus des anges qu'il a un nom plus grand que le leur[47], lui que les anges adorent et dont ils sont les envoyés et les ministres[48]. Saint Paul détruit ainsi cette religion des anges[49] que les hérésiarques veulent substituer à la religion de Dieu. Pour bien comprendre saint Paul, il faut presque toujours le voir en présence d'un de ces hérésiarques qu'il combat souvent sans le nommer, auquel il répond par un mot et souvent par un mot qu'il lui emprunte. Tant il est vrai que le serpent relevait toujours la tète et forçait toujours à marcher dessus pour l'écraser !

On voit quel péril courait la foi naissante, et combien, dès la première génération, parmi les fidèles qui avaient afflué autour de l'Église, il en était que le mouvement du siècle, la faiblesse de leur foi, la corruption de leur cœur, détachaient d'elle. Des myriades de croyants étaient venues à l'Église ; mais elle abandonnait sur son chemin des milliers d'hommes, comme une armée qui marche à la hâte pour obéir aux ordres de son chef ne regarde pas les déserteurs et les trainards qu'elle est obligée de laisser sur sa route. Si elle se fût arrêtée à les entendre, que fût-elle devenue ? Les uns l'eussent casernée dans un judaïsme à la fois hautain et timoré ; fuyant le contact des gentils, ils eussent éloigné d'elle les gentils. Avec eux, l'Église n'eût pas fait un pas hors de la synagogue. La foi chrétienne, qui est le judaïsme universel, agrandi, spiritualisé, se fut rapetissée aux conditions d'une loi locale, étroite, extérieure, dans laquelle la raison comme le sens universel du genre humain n'eussent eu aucune place ; elle eût repris ses chaînes ; elle n'eût jeté de racines que sur le sol desséché de la Palestine ; elle eût attaché son sort à celui de Jérusalem et du Temple, tous deux prêts à périr. Les autres, au contraire, irrités de cet esprit d'exclusion et d'étroitesse, fatigués de ces observances tyranniques, las de ces commérages de rabbins, eussent affranchi et élargi le christianisme au point d'y faire entrer tous les caprices de la philosophie, toutes les erreurs du paganisme, tous les vices de l'idolâtrie. La religion n'eût plus été qu'une philosophie, l'Église une école, vague, latitudinaire, éternellement disputante, comme l'école d'Athènes. Ceux-là absorbant le christianisme dans la loi de Moïse, ceux-ci la dépravant au point d'en faire une idolâtrie nouvelle ; ceux-là annulant l'œuvre de la Rédemption, ceux-ci annulant la Création ; ceux-là amoindrissant le Nouveau Testament, ceux-ci réprouvant l'Ancien ; ceux-là renfermés dans les œuvres extérieures, ceux-ci les maudissant ; ceux-là donnant toute efficacité aux mérites humains, ceux-ci la leur déniant toute ; ceux-là niant la divinité du Christ, ceux-ci son humanité ; le faisceau eût été rompu, les deux éléments se seraient séparés, les deux fleuves eussent repris leur cours. Chacun fût retourné d'où il venait ; le plus petit nombre serait rentré à la synagogue ; le plus grand nombre, avec plus ou moins de déguisement, serait revenu aux idoles ; et ce courant, un instant détourné, serait allé rejoindre, à peine distinct, le grand fleuve du paganisme universel.

Je n'ai pas besoin de répéter que tout cela avait été prédit ; les hérésiarques, leurs prétentions d'inspirés, de prophètes et même de dieux, leurs enchantements pareils à ceux de Simon, la séduction qu'ils devaient exercer et la foule qu'ils devaient entraîner hors de l'Église : Il s'élèvera de faux christs et de faux prophètes. Plusieurs viendront en mon nom, disant : Je suis le Christ, et ils séduiront beaucoup de monde. Ils feront de grands prodiges et des miracles, en sorte que les élus eux-mêmes, s'il se peut, seront induits en erreur. Prenez garde que personne ne vous séduise[50].

Ainsi, à tous ceux qui connaissaient les prophéties évangéliques était donné le triple avertissement des convulsions de la nature, des persécutions, des fausses doctrines. La moisson blanchissait dans la plaine, le figuier commençait à porter ses feuilles. Il était clair que l'été était proche[51]. On reconnaissait les signes prédits et on attendait non-seulement la chute de Jérusalem, mais même le second avènement du Sauveur, prophétisé en même temps qu'elle. Quoi qu'il en pût être, on se tenait prêt pour un grand coup de la main de Dieu ! Quand ces choses commenceront à se faire, avait-il été dit, regardez et levez la tête ; parce que votre rédemption approche[52].

 

 

 



[1] Judæi signa petunt et Græci sapientiam quærunt. I Cor., I, 23.

[2] Actes, VI, 1. — XI, 13 19.

[3] Actes, XV.

[4] Voir en général l'Épître aux Romains et celle aux Galates ; principalement : Galat., I, 6-9. — III, 1-15. — IV, 8-10. — V, 1-12. — Colos., II, 16-21. — Tit., II, 15. — Hebr., XIII, 9.

[5] Sur cette négation de la résurrection de la chair, fréquente dés le temps des apôtres, prêchée entre autres par Simon le Magicien, par Hyménée, Philète et Alexandre, voyez : I Joan., XV, 2-3, — I Tim., I, 19-20. — II Tim., II, 16-18. — IV, 14-15. — I Cor., XV, 12-17 ; sans parler des Pères de l'âge suivant, Athénagore, saint Justin, etc.

[6] Saint Jean indique bien combien ces erreurs étaient capitales : Quis est mendax, nisi qui negat quoniam Jesus est Christus ? I Joan., II, 22. — Omnis spiritus qui confitetur Christum in carne venisse, ex Deo est ; et omnis spiritus qui solvet Jesum, ex Deo non est, et hic est antichristus. IV, 2-3 — Multi seductores... qui non confitentur Jesum Christum venisse in carne, hic est seductor et antichristus. II Joan., 7.

[7] II Cor., X, 7-12 ; XI, 3-4-12-15-20-22-23.

[8] Gal., I, 6-9 ; III, 1-5 ; V, 1-12.

[9] Oppositiones falsi nominis scientiæ. I Tim., VI, 20.

[10] I Tim., IV, 1-5.

[11] I Cor., XV, 12,

[12] I Tim., I, 19-20. — II Tim., II, 17-18 ; IV, 14-15.

[13] Actes, VIII, 9-10.

[14] Actes, VIII, 9-44.

[15] Je m'appuie de préférence, pour l'exposition du système de Simon, sur les Philosophoumènes, IV, 51 ; VI, 7-20. Origène, ou quel que soit l'auteur de ce livre, avait lu les écrits de Simon (son Άπόφασις) et les cite.

[16] Philosophoumènes, VI, 13.

[17] Philosophoumènes, VI, 15.

[18] Hieronym., in Matthieu.

[19] Sur Dosithée ou les Dosithées, voir : Origène, in Celse, V, 11. — Tertullien, de præscript., 45.— Epiphane, I, 12.— Clément Alex., Stromates, III. — I Tim., IV, 1-3.

[20] Origène, in Celse, V, 11.

[21] Hist., II, 13.

[22] Eusèbe, II, 13. — Irénée, I, 20. — August., Hæres., I. — Philosoph., VI.

[23] Sur Simon le Magicien, voir : saint Irénée, I, 19-20. — Philosoph., IV, 51 ; VI, 7-20. — In Cels., V, 11. — Tertullien, De præscript., 46 ; De anima, 54 — Saint Épiphane, Hær., XXI, 1-4. — Théodoret, Hær., I, 1. — Saint August., Hær., I. — Saint Gregor. Nazianze, Orat., XXIII, 44.

[24] Pseudo apostoli... operarii subdoli, I Cor., X, 11. — Magistri mendaces... sectæ perditionis, II Petr., II, 3. — Habentes quidem speciem pietatis, virtutem autem abnegantes. II Tim., III, 5.

[25] II Cor., X, 12-15.

[26] II Tim., III, 7.

[27] I Tim.

[28] Sunt multi inobedientes. Tit., I, 10. — Superbus est, nil sciens. I Tim., VI, 4. — Dominationem contemnens. II Petr., II, 10. — Sibi placentes. Ibid.

Voir sur les hérétiques des temps futurs : I Tim., IV, 1 et suiv. — II Tim., III, 1 et suiv. ; IV, 3 et suiv. — II Petr., II, 1 et suiv. ; III, 3. Jud., 17-18.

[29] Sanam doctrinam non sustiuebunt, sed ad sua desideria coacervabunt sibi magistros, prurientes auribus, a veritate quidem auditum avertent, ad fabulas autem convertentur. II Tim., IV, 5-4.

[30] Profanas vocum novitates. I Tim., VI, 20-21. — Profana et vaniloquia. II Tim., II, 16.

[31] Neque intenderent fabulis. I Tim., I, 4. — Ad fabulas convertentur. II Tim., IV, 4. — Ineptæ et aniles fabulæ. I Tim., IV, 7. — Tit., I, 14.

[32] Tit., III, 9.

[33] Doctrinis variis et peregrinis nolite ahduci. Heb., XIII, 9.

[34] Languens circa quæstions et pugnas verborum. I Tim., VI, 4. — Stultæ et sine disciplina, quæstiones. II Tim., II, 23. — Stultæ quæstiones, Tit., III, 9 ; I Tim., I, 4.

[35] Adulterantes verbum Dei. II Cor., II, 17. — Voir aussi saint Luc ; Act., I, 1-4. — II Petr., III, 15-16. — II Thess., II, 2. — De là saint Paul prend l'usage d'apposer de sa main son nom et quelques mots au bas des lettres qu'il a dictées. Ibid., III, 17.

[36] Qui arbitrantur nos tanquam secundum carnem ambularemus. II Cor., X, 2.

[37] Phil., I, 15-18.

[38] Mali homines et seductores proficient in pejus ; errantes, et in errorem mittentes. II Tim., III, 15. — Subverterunt aliquorum fidem. Ibid., II, 17,18. — Sectas non metuunt introducere blasphemantes. II Petr., II, 10.

[39] II Petr., II, 10-19. — Existimantes quantum esse pietatem. I Tim., VI, 5. — Voir II Petr., II, 1-3.

[40] In conviviis suis luxuriantes vobiscum... Oculos habentes plenos adulterii et incessabilis delicti. II Petr., II, 13, 14. — Jud., 12.

[41] Universas domos subvertunt, turpis lueri gratia, Tit., I, II.

[42] II Cor., XI, 20.

[43] I Cor., II, 14 ; I Cor., VIII, 1, 9. — Col., II, 2, 3. — I Tim., VI, 20, 21. — Théodoret et saint Chrysostome voient dans ce dernier passage une allusion aux Gnostiques.

[44] Col., II, 9 ; I, 19.

[45] Hébreux, I, 5.

[46] Hébreux, I, 2.

[47] Hébreux, I, 4.

[48] Hébreux, I, 6, 7, 14.

[49] Colossiens, II, 18.

[50] Matthieu, XXIV, 4, 5 ; II, 23-21. — Marc, XIII, 1, 5. — Luc, XXI, 7, 8.

[51] Luc, XXI, 29-50. — Matthieu, XXIV, 32-33.

[52] Luc, XXI, 28.