LA RÉGENCE GALANTE

 

XI. — CÔTÉ SÉRIEUX.

 

 

Déroute dans le parti des Légitimés. — Mort de madame de Maintenon. — Liberté rendue à M. et à madame du Maine. — Le Légitimé à Clam ; la Naine à Sceaux. — Entrevues avec le Régent. — Réunion de la Bergère et du Berger. — Fidélité de mademoiselle Delaunay. — Deux poids et deux mesures. — Les sages Bretons. — Drame judiciaire de Nantes. — Supplice de quatre gentilshommes. — Le Régent est inflexible. — Rapprochement de dates. — Les vins de la cour. — Chambre ardente de l'arsenal. — M. et madame du Maine se rangent. — Restauration du Légitimé. — Le salut du bonnet. — La queue du parti des bâtards. — Mauvais conseils. — Prudence du duc du Maine.

 

La désolation qui régnait à Sceaux, à Clagny, à Versailles même, manquait de motifs réels, et tous ces gens que le duc d'Orléans avait fait embastiller criaient plus fort que de raison. La plupart d'entre eux savaient bien que l'on ne se livrerait pas aux dernières rigueurs à leur égard, et qu'un exil à quelques lieues de Paris serait leur plus grave punition.

Parmi les nombreux défauts du Régent, impossible d'admettre la rancune et l'esprit de vengeance : il brillait par cette bonté des mauvais sujets, composée pour moitié d'insouciance, pour moitié de faiblesse. Loin de lui la pensée de sévir contre ses ennemis acharnés.

Madame la duchesse d'Orléans, d'ailleurs, se proposait d'intercéder en faveur des coupables, et elle se faisait ordinairement écouter de son mari, qui avait besoin de tant de pardons !

Il n'y avait eu, dans la conspiration de Cellamare, qu'une révolution de palais avortée. Alors, dit Duclos, l'alarme se répandit dans le parti des Légitimés. Le maréchal de Villeroi perdit sa morgue, Villars son audace ; d'Huxelles, Tallard, Canillac, d'Effiat et le premier président montrèrent leur crainte.

La meilleure protection que les accusés pussent avoir était le caractère du Régent.

M. du Maine avait été arrêté à la fin de l'année 1718 ; madame de Maintenon, son ancienne gouvernante, sa mère adoptive, s'était alitée le jour où on lui avait appris l'arrestation, et elle avait rendu le dernier soupir trois mois après (15 avril 1719), à l'âge de quatre-vingt-trois ans. Personne ne la pleura, et, comme Louis XIV, elle inspira bon nombre d'épitaphes accablantes pour sa mémoire, lorsque deux lignes de la Gazette de France eurent annoncé sa mort à ceux qui ignoraient si elle comptait encore parmi les vivants.

Epargnons aux lecteurs le récit des douleurs qu'éprouva la sensible madame du Maine, des plaintes qu'elle ne cessa d'exhaler ; l'infâme Régent s'adoucit bientôt à l'endroit de sa victime, et il permit d'envoyer au duc du Maine, à Doullens, des chevaux et des chiens pour la chasse ; il autorisa le prince captif à sortir, en l'obligeant seulement de revenir le soir dans la forteresse.

Un an presque jour pour jour, après leur arrestation, M. et madame du Maine reçurent chacun un courrier extraordinaire. Le mari pouvait revenir à Clagny, la femme pouvait revenir à Sceaux. Toutefois, le séjour de Paris était interdit à l'un et à l'autre ; il leur était ordonné de vivre dans des lieux différents.

Une foule de gens allèrent voir le Légitimé à Clagny, dont le château était peut-être le plus régulièrement bâti qu'il y eût en Europe ; Mansard en était l'architecte, Le Nôtre en avait dessiné les jardins, de beaucoup inférieurs aux parcs de Sceaux, mais cependant assez remarquables pour constituer une charmante résidence. Il suffisait, pour se rendre près du duc du Maine, de demander un permis au duc d'Orléans, qui très-rarement refusait.

Le Régent, connaissant son monde, se montrait plus rigide à l'égard des visiteurs de madame du Maine. A la duchesse d'Orléans appartenait le droit de concéder les permis d'aller à Sceaux. Elle s'en montrait avare. La Bergère de Sceaux était si sujette à caution, qu'on avait lieu de craindre des visites trop fréquentes et une agglomération de courtisans ou d'amis dans un château qui s'était déjà transformé en foyer de conspiration.

Souvent, sans qu'on le trouvât mauvais, madame du Maine venait à Paris, le jour, voir les princes et princesses, lorsque ceux-ci étaient malades ou la mandaient. La nuit tombant, il importait qu'elle reprit le chemin de Sceaux, parce qu'elle y devait toujours coucher.

La position des conjurés prisonniers s'améliora aussi peu à peu. Le grand Malézieu sortit de la Bastille, avec ordre de se retirer à quarante lieues de Paris ; le cardinal de Polignac recouvra aussi la liberté, et mademoiselle Delaunay alla remplir de nouveau, auprès de madame du Maine, les fonctions de femme de chambre et d'amie.

Des entrevues eurent lieu entre le Légitimé, le Régent, les princes et les princesses du sang.

A Saint-Cloud, M. du Maine et le duc d'Orléans conversèrent fort longtemps, le samedi 23 mars 1720. On ne sut point ce qui s'était passé ; mais le premier, en sortant, avait paru fort satisfait. Quinze jours auparavant, l'après-dînée, la Bergère de Sceaux s'était présentée au Palais-Royal, en compagnie de madame la princesse de Conti, la jeune. Elle aussi avait éprouvé une satisfaction extrême, car elle avait gagné dans cette entrevue la permission de rester à Paris, partout où il lui plairait.

Mais les deux époux aspiraient à se revoir. La Bergère déclarait qu'elle ne renaîtrait jamais au véritable bonheur, si son Berger ne lui était rendu. Les instances, les prières, les larmes parfois montraient jusqu'à quel point madame du Maine chérissait son doux mari.

Lorsqu'on lui permit cette vue tant désirée, elle éprouva une grande joie, et cela donna lieu à une petite scène de roman.

Madame la princesse de Conti assigna rendez-vous, pour le 29 juillet 1720, à. M. du Maine. Elle avait choisi la maison d'un certain Landais, située à Vaugirard. A l'heure convenue, le Légitimé arriva chez Landais, où la princesse avait amené, un peu plus tôt, la Bergère de Sceaux.

Seule avec M. du Maine, la princesse de Conti garda son sérieux pour dire

— J'ai amené une dame avec moi ; elle a grande envie de vous voir.

Elle nomma madame du Maine. Le Légitimé se doutait bien de la surprise. La Bergère entra.

Le mari et la femme restèrent assez longtemps ensemble.

Il y avait apparence que bientôt il leur serait accordé de ne plus se quitter, de loger sous le même toit, de rentrer, en un mot, dans ce paradis dont leur folie les avait fait chasser.

A propos de la liberté si tôt rendue à madame du Maine, on prétendit que cette faveur avait été une récompense ; que la femme du Légitimé avait révélé au Régent les mystères du plan concerté par elle et Cellamare ; qu'elle avait mis par écrit tous les articles de ce plan. On ajouta qu'elle avait déclaré, dans ses complets aveux, avoir agi sans la participation de son mari, et s'être servie du nom de ce mari dépourvu d'influence. Ou soutint même que M. du Maine, offensé d'une pareille confession, qui le réduisait à l'état de zéro, ne voulait plus revoir la Bergère de Sceaux, et que le raccommodement entre les cieux époux s'était longtemps fait attendre.

En admettant la réalité de ces allégations, la Tendresse et l'Amour auraient joué les plus minces rôles dans la scène de Vaugirard. Là on aurait vu, non pas deux époux séparés se rechercher l'un l'autre, mais un mari brouillé avec sa femme octroyer à celle-ci un pardon vivement sollicité :

Quoi qu'il en soit, imitons la prudence du duc d'Orléans, qui, selon la princesse Palatine, répondit à madame du Maine, quand elle le pria de ne pas s'opposer à un raccommodement : — Je ne m'en mêlerai point ; car j'ai appris de Sganarelle qu'entre l'arbre et l'écorce il ne faut mettre le doigt.

Historiquement parlant, il est impossible de nier que la Fine mouche ait tout avoué. La manière dont se dénoua la conjuration suffirait à l'établir. L'auguste princesse, désirant revoir sa joyeuse résidence et son docile époux, avait trahi des secrets qui n'appartenaient pas à elle seule. Elle sauta de plaisir en apprenant qu'elle allait rentrer au château de Sceaux.

Sa fidèle confidente, peu après, avait subi un interrogatoire.

M. Le Blanc, secrétaire-général de la guerre, parut à la Bastille, et eut une conversation avec mademoiselle Delaunay — madame de Staal —, encore prisonnière, quand déjà sa maîtresse était revenue à Sceaux.

Il dit à la confidente que madame du Maine s'était expliquée par une déclaration exacte, qu'il n'existait plus aucune raison pour garder le secret. Madame de Staal redouta quelque embûche de police, et elle se tint sur la défensive.

— Si madame la duchesse du Maine a parlé, fit-elle, que pourrais-je dire qui vous instruisît plus complètement ?

— Mais vous savez toute l'affaire, reprit M. Le Blanc. On veut que vous parliez, ou vous resterez toute votre vie à la Bastille.

— Eh bien, monsieur, dit la femme de chambre avec un rare aplomb, c'est un établissement pour une fille comme mois qui n'a pas de bien.

— Ce n'est pas, répliqua l'interrogateur, une situation très-agréable.

— Je ne la choisirais pas non plus, répondit la femme de chambre ; mais j'y resterai, plutôt que d'inventer des fictions pour m'en tirer.

— Il faut avouer, murmura M. Le Blanc mortifié, que madame la duchesse du Maine a eu d'étranges confidents.

— Pour moi, monsieur, termina madame de Staal, je vous dirai, sans vous amuser davantage, que, si je ne sais rien, je ne puis rien vous dire ; et que, si l'on m'avait confié quelque chose, je le dirais encore moins.

Madame de Staal n'ignorait aucun détail du complot. Elle persista dans ses dénégations.

Elle prévoyait bien que tout cela finirait d'une façon tragique pour quelques coupables, et elle ne voulait pas charger sa conscience d'une lâcheté dont mourraient peut-être des compagnons de conciliabules.

La confidente eut plus de force ou moins d'égoïsme que la princesse. Hélas ! cette conjuration avortée devait honorer et frapper exclusivement des subalternes.

Deux sortes de conspirateurs entouraient l'ambitieuse petite-fille du grand Condé. Il y avait, on ne l'a pas oublié, les habits brodés et les hommes de peu, — les naïfs provinciaux.

Outre les personnages titrés que nous avons vu promptement mettre hors de prison, d'autres s'étaient tirés d'affaire. Le prince de Conti, bien coupable, car il s'était barricadé dans son hôtel avec plusieurs conjurés, le maréchal de Villeroi, sur qui le Régent avait fermé les yeux, le duc de Richelieu, qui s'était aisément consolé avec des maîtresses, avaient peu souffert de l'orage, et, l'orage passé, tous avaient reparu à la cour.

Grands seigneurs et grandes dames restèrent impunis : contre leurs complices de Paris, aucune procédure. Le Parlement, qui se posait en vengeur du peuple, garda le silence.

Mais la justice eut deux balances, une pour les coupables parisiens, une pour ceux des provinces.

Apre, jeune, présomptueux, ardent, le comte de Laval eut le bonheur de ne pas émouvoir la colère du régent. Et pourtant c'était le plus hardi, le plus actif des conspirateurs.

Les amis qu'il. avait entraînés avec lui payèrent pour lui.

Les nobles bretons, qui étaient entrés presque innocemment dans le complot, qui en ignoraient à coup sûr le motif véritable, qui s'imaginaient servir l'intérêt commun du pays, rétablir les états-généraux dans la plénitude de leurs attributions souveraines, et se préoccupaient avec passion de réformer les abus dont chacun s'irritait, furent frappés impitoyablement par le conseil de régence. L'un des chefs avait donné à sa troupe le nom de soldats de la liberté.

Une chambre ardente, une cour prévôtale s'installa à Nantes.

Elle se composait de treize commissaires, présidés par le marquis de Château-Neuf-Castaignières, conseiller d'Etat. Chacun de ces terribles treize reçut pour frais de voyage quatre mille livres.

Madame de Maintenon, dans une lettre écrite à madame du Maine, le 17 janvier 1718, s'était exprimée ainsi :

— J'admire les Bretons. Toute la sagesse des Français serait-elle dans cette province-là ?

En leur qualité de sages, les Bretons abhorraient le duc d'Orléans et son ministre Dubois. Esclaves de la religion et de l'honneur, ils ne cessaient de proférer contre ces gouvernants des plaintes énergiques. En faut-il davantage pour expliquer leur participation au complot de madame du Maine

Des cent quarante-huit gentilshommes ou paysans contre lesquels une instruction criminelle fut dirigée, la justice ne put saisir que quatre accusés, qu'elle jeta dans les prisons de Nantes. C'étaient le sieur de Guer, marquis de Pontcalec, — M. de Montlouis, — le sire de Talhouët, — et le chevalier du Couëdic.

M. de Vastain, procureur général, prononça le discours d'ouverture de la chambre ardente. Il dit dans sa péroraison : Vous allez, messieurs, faire la justice dans cette province ; et, en même temps que vous répandrez le trouble et la terreur parmi quelques gentilshommes séditieux et rebelles, vous assurerez le repos et la tranquillité des peuples, dont, grâce au ciel, la fidélité est sans atteinte et à couvert de toute suspicion.

A ce langage, des murmures se firent entendre. Dans la ville, le peuple cria, par allusion à la pairie du président de la chambre, lequel était Savoyard, — qu'on n'avait pu trouver un Français assez vil pour remplir l'office infâme accepté par M. de Château-Neuf-Castaignières !

Après de longs débats, la sentence, prononcée à quatre heures du soir, n'était pas encore connue du publie, lorsque, la nuit venue, la foule vit le grand-prévôt de Nantes se diriger vers le couvent des Carmes. Cet homme sombre en ramena quatre religieux.

Alors tout fut révélé. Par crainte d'un mouvement populaire, les juges avaient ordonné d'exécuter immédiatement Furet rendu, ce qui se fit à la lueur des torches de résine. L'échafaud se dressa pour quatre d'entre les gentilshommes que le comte de Laval avait intéressés au triomphe problématique de madame la duchesse du Maine.

Le président de Château-Neuf reçut du Régent une récompense. De retour à Paris, il fut nominé prévôt des marchands. Le peuple nantais honora du titre de Pères de la patrie les quatre martyrs, et il chanta bien longtemps une élégie touchante sur le draine sanglant de la place du Bouffay, où avait eu lieu l'exécution.

Il semblait que le Régent se plût à user de sévérité, de rigueur, de cruauté, disons-le, contre ces malheureux Bretons. Lui, ordinairement si facile, si incapable de garder rancune, lui qui était si heureux de se voir justifier par la voix du peuple, après la conspiration de Cellamare, de toutes les calomnies colportées par la Cour d'Espagne, lui qui chantait avec complaisance et en riant aux éclats une chanson où il était désigné sous le nom de Philippe le Débonnaire, en cette circonstance il demeura insensible à toute pitié, sourd à toute prière.

L'assemblée des Etats de Bretagne avait imploré en vain sa clémence. Son pardon ne tombait absolument que sur les princes ou sur les conspirateurs parisiens. Outre les quatre gentilshommes dont le supplice navrant a été raconté, seize autres Bretons, que la justice n'atteignit pas, avaient subi une condamnation par contumace, suivie d'une exécution en effigie. C'étaient des gens honorables, parmi lesquels de Lambilly, conseiller au parlement, et l'abbé de Groesquer.

Les juges ordonnèrent que les insignes de seigneurie et d'honneur qui décoraient les maisons et les châteaux de MM. du Couëdic, de Montlouis, de Talhouët et de Pontcalec seraient abattus et effacés, que les fossés de leurs demeures seraient comblés, que les bois de haute futaie et les avenues seraient coupés à la hauteur de neuf pieds, et que tous les biens des condamnés seraient confisqués au profit du roi. Et pourquoi, puisqu'on procédait de la sorte, n'avoir pas jeté leurs cendres au vent ?

Rapprochons les dates. L'arrêt qui frappa les quatre gentilshommes bretons était du 26 mars 4720. Dans le moment même où ils expiraient sur la place du Bouffay, à Nantes, M. du Maine rentrait en grâce auprès du Régent, et madame du Maine recevait, à Sceaux, les compliments de ses Bêtes, un peu moins nombreuses, mais toujours très-empressées.

Cela se comprend bien : cent lieues, environ, séparent Sceaux de Nantes, et la tragédie qui se jouait en Bretagne ne pouvait émouvoir les Légitimés près de Paris ; les gémissements et les sanglots qu'on poussait là-bas n'arrivaient pas jusqu'aux oreilles de la Bergère. D'ailleurs l'égoïsme des grands s'infiltrait un peu chez le peuple. Ces lugubres scènes préoccupaient à peine les Parisiens, qui, d'abord séduits par les merveilles de la rue Quincampoix, prévoyaient maintenant les malheurs qu'amènerait la banque de Law, déjà discréditée, et qui redisaient en riant la généalogie du système : Belzébuth engendra Law, Law engendra le système, le système engendra la banque, la banque engendra le Mississipi, le Mississipi engendra la souscription, la souscription engendra le dividende, le dividende engendra l'agio, l'agio engendra l'escompte, l'escompte engendra le compte roulant, le compte roulant engendra le versement des parties, le versement des parties engendra le registre d'écritures, le registre d'écritures engendra zéro, — à qui la puissance (l'engendrer fut ôtée.

On publia aussi les qualités des vins de la cour, en novembre 1720. — Le vin du roi..... est de bonne espérance. — Le vin du Régent..... est diabolique. — Le vin du duc du Maine..... est de bonne garde. — Le vin de la duchesse du Maine..... est clair-fin. — Le vin du comte de Toulouse..... est mou. — Le vin du peuple..... est le vin du pressoir.

Personne n'éleva la voix pour faire ressortir l'odieuse conduite des gouvernants, immolant les faibles, épargnant les forts. Sous la Régence et sous Louis XV, l'esprit seul arma la critique résumée en bons mots, en quolibets, en anagrammes ; rarement le cœur, la juste indignation dont parle Juvénal, flétrit sérieusement les mesures infâmes. Némésis plaisantait, riait sous cape et se cachait, de peur d'être étouffée entre les murs d'une éternelle prison. Si quelqu'un parlait haut, il sortait des limites, composait des libelles, comme La Grange-Chancel, qui, sans conviction, partant sans mesure, gagé par un prince pour attaquer un autre prince, oubliait que toute plume vendue déchire et tue, sans déshonorer celui qu'elle atteint.

Peu de mois auparavant, la chambre ardente avait été transférée de Nantes à l'arsenal de Paris, pour y juger les accusés non amnistiés et les condamnés qui voudraient purger leur contumace. Ceux-ci devaient, préalablement, se constituer prisonniers au For-l'Évêque.

Autre rapprochement que nous aurions tort de ne pas faire ! C'était à l'Arsenal, où M. du Maine, grand-maître de l'artillerie, posséda son logement, où madame du Maine disposa en

partie la trame de sa conjuration, qu'allait se terminer cette sanglante procédure.

Les juges, une fois à Paris, semblèrent s'adoucir.

Le 3 avril 1721, on céda aux demandes des Etats bretons ; on déclara que tous les biens confisqués, en exécution de l'arrêt rendu l'année précédente, seraient donnés par le roi aux héritiers des condamnés. La chambre ne prononça que des acquittements jusqu'en 1724, année où elle se sépara.

Heureux d'en être quittes à si bon marché, M. et madame du Maine, raccommodés, vécurent étrangers aux choses de la politique active, aux brillantes rêveries du système de Law, mais non aux velléités d'opposition parlementaire qu'ils approuvaient tacitement.

Aussi lisons-nous dans le recueil des chansons de Maurepas : Janvier 1722. — Nouveaux livres. — Traité de la patience chrétienne et politique, par le duc du Maine. Il va sans dire que c'est là une épigramme lancée contre le Légitimé, et que l'auteur de la note le suppose très-versé dans cette matière. et guéri pour toujours de ses ardeurs ambitieuses. Ces quelques mots renferment un conseil sage. La patience du mari pouvait seule opposer un contrepoids à la précipitation de la femme.

Attendre tout des événements, vivre en paix, ne plus piéter l'oreille aux discours des gentilshommes entreprenants, racheter par sa bonne conduite un passé qui M'était pas irréprochable, voilà le but que M. du Maine devait chercher à atteindre.

Si le Régent se plongeait de plus en plus dans la débauche, il importait que le Légitimé n'en touchât pas un mot ; si les contrôleurs généraux qui se succédaient dilapidaient à qui mieux mieux les finances du royaume, il y avait encore profit pour le Légitimé à ne rien dire ; enfin, si le jeune roi Louis XV promettait de marcher sur les traces du duc d'Orléans, il était de toute nécessité que le Légitimé eût l'air de ne s'en point apercevoir. Car près de lui le soupçon veillait, et toute parole de blâme échappée de ses lèvres le dénonçait infailliblement aux princes du sang, aux Légitimes, comme un conspirateur récidiviste, comme un ambitieux impénitent.

L'élève de madame de Maintenon ne manquait point de bon sens ; il savait quelle route il lui restait à suivre : il marcha droit. Il avait si longtemps boudé madame du Maine, — son mauvais génie, la cause vivante de toutes ses tribulations !

Revenu dans son château de Sceaux, il vécut à peu près comme à son ordinaire, mais il se préoccupa toujours des ménagements qu'il fallait observer à l'égard du Régent. Aussi ne voulut-il pas que le grand Malézieu, de retour de l'exil, reparût auprès de lui.

Malézieu demeura dans sa terre de Châtenay ; et la duchesse du Maine, souffrant impatiemment de son absence, s'en dédommageait par des lettres quotidiennes. Petits vers et comédies recommencèrent de plus belle. Les promenades de la Naine à Châtenay, du mathématicien à Sceaux, se multiplièrent.

A l'exemple de son mari, madame du Maine se tint sur ses gardes : elle redoutait un second voyage à Dijon. Elle avait perdu son orgueil en perdant ses espérances ; le temps des prétentions politiques était passé pour elle, et sous les formes bucoliques de la Bergère de Sceaux ne se cacha plus une reine de France en herbe.

Plus tard, quand il fut parvenu à sa majorité, Louis XV s'efforça de rendre aux légitimés tous les honneurs et prérogatives dont ils jouissaient sous le règne de Louis XIV.

Cette question d'État fut une des premières discutées dans le conseil de Sa Majesté. Une déclaration, datée du 26 avril 1723, porta que les légitimés prendraient place au Parlement immédiatement au-dessous des princes légitimes, qu'ils y auraient voix délibérative avant les ducs et pairs. Elle leur interdit de traverser le parquet, et de faire marcher devant eux plusieurs huissiers, en leur conservant le privilège de recevoir le salut du bonnet.

Or, le salut du bonnet était une simple formalité, une distinction assez puérile, comme on le va voir.

D'après cette prérogative, lorsque, dans une délibération du parlement, le premier président adresserait la parole aux princes légitimes, il ôterait son bonnet pour dire à chacun d'eux : — Monsieur, votre avis ? Mais lorsqu'il s'adresserait aux Légitimés, il emploierait une variante et dirait : Monsieur le duc du Maine, ou Monsieur le comte de Toulouse, votre avis ?

Variante caractéristique, n'est-ce pas ? C'était donc rendre moins d'honneur aux Légitimés de les nommer avec leurs titres que de les appeler duc ou comte ? En vérité, il faut avoir une âme bien sensible à la courtisanerie pour se soucier de pareilles futilités.

Aux jours de festins ou de cérémonies publiques, selon la déclaration encore, les Légitimés ne devaient pas tenir tout à fait le même rang que les Légitimes. De plus, le prince de Dombes et le comte d'Eu devaient jouir, pendant leur vie seulement, des prérogatives autrefois accordées à MM. de Vendôme. Après eux, ces prérogatives disparaîtraient.

Bien des honneurs restaient en partage à M. et madame du Maine ; mais ils ne possédaient plus ce droit à la couronne, qu'estimait par-dessus tout la Bergère de Sceaux, et qui lui avait inspiré tant de pas et de démarches, tant de folies et de fautes ; elle ne conservait plus d'illusion ; elle ne serait point reine ni régente, pour deux raisons : ses complots étaient découverts, et Louis XV était majeur.

Dans leur néant politique, les Légitimés ne laissèrent pas que de rencontrer des conseillers malavisés, des amis dangereux, qui essayèrent de ranimer les cendres éteintes. Partout il se trouvait des courtisans aveugles ou intéressés, qui insinuaient à M. du Maine de relever la tète, pour faire pièce à ces incorrigibles princes légitimes. Un parti des Légitimés, faible sans doute, mais remuant, existait encore. Plusieurs de leurs fanatiques opinaient dans les conseils de Louis XV ; plusieurs blâmaient le jeune monarque de négliger les seigneurs de Sceaux, de livrer à l'inaction des parents pleins d'intelligence et de dévouement. Certes, on n'était pas mécontent de sa manière de gouverner, mais on eût voulu qu'il s'empressât de rechercher les services de M. du Maine, du comte de Toulouse, du prince de Dombes et du comte d'Eu.

Il parut une poésie politique en 1732. Elle était intitulée : Lettre d'un Anglais en France. Dans ce morceau, écrit sans fiel, et qui renferme des passages presque éloquents, l'auteur s'écriait, en s'adressant à Louis XV :

Du Maine en tous lieux admiré,

Son frère partout adoré,

Font leur plus grand bonheur du bonheur de la France ;

Mettez leurs talents à profit,

Grand roi ! Vous trouverez dans l'un beaucoup d'esprit,

Dans l'autre beaucoup de prudence.

On ouvrait un abîme sous les pieds des Légitimés. Y tomberaient-ils ? Recommenceraient-ils leur croisade contre le peu de princes légitimes qui subsistât encore ? Non, ils avaient appris à leurs dépens la sagesse. L'âge avait mûri leur raison. Comme le berger de La Fontaine, ils résistèrent aux conseils de la mer et de l'ambition, pour terminer à Sceaux leur paisible carrière.

L'histoire peut répéter à l'égard des bâtards de Louis XIV la phrase du grand tragique Anglais : Beaucoup de bruit pour rien.