LA RÉGENCE GALANTE

 

V. — GUERRE AUX TRAITANTS.

 

 

Crozat, Samuel Bernard et Bourvalais, traitants. — Turcaret. — Lettre de Fénelon. — Plans de toutes sortes. — Refonte des monnaies, visa. — Chambre de justice. — Terreur organisée. — Dénonciations. — La chute des filles de joye, etc. — Le pressoir des esponges du roi. — Hercule et Cacus. — Châtiments de Paparel, de Gruel et de Le Normant. — Les Crésus sont rançonnés. — Commission expéditive. — Taxe. — Rouillé-Ducoudray. — Le garde des seaux de Bourvalais. — Stratagème d'huissier. — Accommodement. — Petits marchés à l'amiable. — Mot d'un banquier. — Alliance de la noblesse avec la finance. — Mort de la chambre ardente. — Faillite du gouvernement. — D'Argenson succède au duc de Noailles.

 

De tout temps, le contribuable a peu goûté les impôts, à plus forte raison les gens chargés de les recueillir.

Les partisans, c'est-à dire les spéculateurs qui, dans l'ancienne monarchie, avaient affermé les revenus du roi, ou qui s'étaient chargés, pour une somme fixée, de la collection des impôts de telle ou telle province, avaient succombé sous l'exécration publique. Mais leur disparition n'était que dérisoire. Les traitants leur avaient succédé, faisant les mêmes marchés, récoltant les mêmes bénéfices, menant la mène vie, et s'attirant les mêmes haines.

Parmi les princes de la finance, parmi les Crésus devant qui se prosternaient les prêtresses de Vénus, un homme avait rendu au Régent le signalé service de prêter trois millions pour parer aux nécessités les plus urgentes pendant les premières semaines du nouveau gouvernement. C'était Antoine Crozat, qui, depuis septembre 1712, possédait pour quinze ans le privilège du commerce exclusif de la Louisiane.

Crozat avait été tour à tour receveur-général du clergé, trésorier des États du Languedoc et trésorier de l'ordre du Saint-Esprit. Il était marquis du Châtel, et le plus riche homme de Paris (au moins 40 millions), portant le cordon bleu, malgré les cris d'indignation de la noblesse.

On devait quelque reconnaissance à ce financier, véritable fondateur de la colonie de la Louisiane, où ses navires ne cessaient d'aborder, — sans grands profits pourtant, car les bénéfices ne répondaient pas aux espérances de Crozat.

Venaient ensuite d'autres illustrations de la banque, — Samuel Bernard, traitant, enrichi sous le ministère de Chamillard, dont la fortune s'élevait à trente-trois millions de capital, qui fil des avances d'argent à Louis XIV, et sur l'avoir duquel figuraient les plus fiers gentilshommes ; — Paul Poisson, dit de Bourvalais, à qui appartenait une partie de la Brie, qui avait fait construire le château princier de Champs-sur-Marne, possédait un magnifique hôtel à la place. Vendôme, et avait reçu à jouer et à manger le propre frère de l'immortel.

Or les Crésus, parvenant aux honneurs malgré leurs manières bourgeoises, excitaient la jalousie des gentilshommes, pendant que leur luxe insultait à la misère publique. Turcaret, comédie de Le Sage, représentée en 1709 avec succès, avait déversé l'odieux et le ridicule sur les fortunes scandaleuses. Aussi les financiers s'étaient-ils réunis pour obtenir que cette pièce ne fût pas jouée. Inutiles efforts : Le Sage frappa ceux que Molière n'avait pas attaqués.

Une voix pure entre toutes avait dénoncé le mal. Fénelon écrivait, sur la fin du règne de Louis XIV, que le fonds de toutes les villes était épuisé.... que tous les hôpitaux étaient accablés.... que les intendants enlevaient jusqu'aux dépôts publics... qu'on ne pouvait plus faire le service qu'en escroquant de tous côtés. Il ajoutait que les Français prisonniers en hollande y mouraient de faim, faute de paiement de la part du roi... que les blessés manquaient de bouillon, de linge et de médicaments... que le pain était presque tout d'avoine.... que le prêt manquait aux soldats... que les officies subalternes souffraient en proportion encore plus. Villars nous apprend que les usuriers prenaient 80 pour 100 d'escompte sur les billets de subsistance délivrés aux officiers au lieu d'argent — citation d'H. Martin —, et le ministre Desmaretz dut un jour donner trente-deux millions de billets aux traitants, pour encaisser huit millions en argent : le billet perdait soixante-quinze pour cent.

La pensée de rançonner les richissimes bourgeois vint simultanément aux nobles et aux classes infimes du peuple.

Fouiller le passé, juger les concussions impunies, se procurer de l'argent per fas et nefas, satisfaire les masses en flattant l'orgueil de la noblesse et de la haute magistrature, voilà quelle fut l'idée fixe des roués.

Par un arrêt du conseil, on invita tous les citoyens à communiquer leurs idées sur l'amélioration des affaires publiques. C'était le contraire du dernier règne. Les projets, les avis, les rêveries pullulèrent, surtout à l'endroit des impôts et des finances. Le duc de Noailles adopta le plan d'un ingénieur et officier de marine, nommé Renau, dit Petit-Renau, à cause de sa petite taille. Ce vieillard, inspiré par les doctrines de Vauban, proposait d'organiser à ses frais une imposition proportionnelle à la taille arbitraire qui ruinait le paysan.

Aussitôt, une croisade financière s'établit. Des comtes, des marquis, des nobles de toutes qualités s'en allèrent fonder le nouveau système dans les provinces. Il en résulta une perte d'un million, et la mort de Renau, succombant sous la fatigue et le chagrin d'avoir échoué dans ses projets.

Parmi les plans à l'ordre du jour, celui de ne pas reconnaître les engagements de Louis XIV fut rejeté ; mais on réduisit à moitié la plupart des rentes perpétuelles ou viagères, elles pensions au-dessus de six cents livres, en exceptant toutefois celles des chevaliers de Saint-Louis constituées comme le prix du sang répandu pour l'État, et celle de madame de Maintenon, de la veuve désintéressée.

Les gouvernants avaient solennellement promis de ne pas toucher aux monnaies ; pourtant un édit de décembre ordonna une refonte, qui ne changeait ni le titre ni le poids des espèces, mais seulement l'effigie, en élevant le louis de quatorze livres à vingt livres, el l'écu de trois livres dix sous à cinq livres.

Hélas ! Noailles avait manqué à sa promesse inutilement : la refonte des monnaies n'obtint aucun succès.

Le procédé de refonte fut appliqué aussi sur les effets publics, devenus innombrables, discrédités, et entachés parfois de fraude dans leur origine. Cette opération couvrit une véritable spoliation, dont les victimes se résignèrent.

Comme toutes ces violentes mesures n'excitaient que peu ou point de troubles, le duc de Noailles ne s'arrêta pas en si beau chemin ; il s'attaqua aux traitants, aux comptables, aux munitionnaires et aux usuriers, gens ridiculisés, qu'il n'était pas difficile de trouver coupables.

Mais comment atteindre des hommes si nombreux et si riches ? Fallait-il taxer en secret et avec modération les traitants, obtenir sans bruit des restitutions ? C'était l'opinion de Saint-Simon ; elle ne prévalut pas. Selon Noailles, il importait d'agir au grand jour, d'arracher publiquement aux Crésus leurs dépouilles, pour éteindre les dettes de l'État.

Il y eut un commencement d'exécution de l'édit de mars 1716, une sorte de terreur organisée contre les financiers qui, depuis 1689, s'étaient moqués des scrupules et avaient engraissé des maux de la France.

Noailles ne pardonnait pas aux traitants leur mauvais vouloir touchant le visa, ou vérification et liquidation de tous les billets d'État, ordonnée le 7 décembre 1715, et confiée aux frères Pâris-Duverney, fils d'un cabaretier des Alpes Dauphinoises : en huit jours seulement le visa avait pu constater l'émission ou l'endossement par les receveurs-généraux de soixante-douze millions de billets.

Pour faire rendre gorge à ces cyniques enrichis, qui reniaient leurs maîtresses plus royalement que le roi, on transporta dans les galles du couvent des Grands-Augustins, à Paris, tous les hideux instruments de torture, crocs, poulies, réchauds et tenailles. Cette inquisition fiscale ressembla à l'inquisition catholique.

La chambre de justice, nouvelle chambre ardente, fit saisir les banquiers, pendant une nuit, prendre leurs papiers, mettre le scellé sur leurs hôtels ; puis elle les somma de déclarer, sous peine de confiscation, le chiffre exact de leur fortune.

Ces heureux voleurs, d'abord étourdis par une mesure si soudaine, ne tardèrent pas à se reconnaître et à vouloir esquiver l'orage par la dissimulation. Aussi, punissant du carcan la négligence des témoins, et des galères l'erreur dans la déclaration des fortunes, le pouvoir encouragea les dénonciateurs, en leur attribuant le cinquième des amendes et des confiscations qu'ils procureraient. Peine de mort contre qui menacerait, insulterait, détournerait ces espions, ou seulement en médirait. Une disposition porta : Il sera loisible à toutes les personnes qui voudraient faire des dénonciations, même aux laquais et autres domestiques de ceux qui sont justiciables de notre dite chambre de faire les dénonciations sous leur nom, si bon leur semble, ou sous des noms empruntés, en donnant des indices clairs et certains des faits qu'ils dénonceront.

Les dénonciateurs furent affranchis de leurs dettes, et relevés de la poursuite de leurs créanciers : on les déclara protégés du roi. Leur nombre devint immense. Tel commis perdit lâchement son patron, tel domestique son maitre, tel parent ses parents, tel fils son père. Selon un contemporain, un prêtre de Saint-Sulpice, nommé Bey, auquel Bourralais avait confié quelques affaires importantes, alla le dénoncer et déclarer qu'il avait 500.000 livres de contrats sur la ville de Paris sous son nom. La somme fut confisquée au profit du roi, à l'exception de 100.000 livres qu'on accorda à cet ecclésiastique pour son droit d'avis.

Afin de chauffer l'opinion publique, des chansons odieuses et des estampes barbares furent répandues.

La chute des filles de joye entretenues par les traitants et les maltôtiers se chanta partout :

Pleurez, malheureuses grisettes,

Pleurez, gibier de maltôtiers,

Ou bien chantez adieu paniers,

Car pour vous vendanges sont faites.

Avant la juste décadence

De tous ces riches partisans,

Combien aviez-vous de présents,

Habits, bijoux en abondance !

Mais depuis que leur sort fatal

A renversé votre fortune,

Où irez-vous : à l'hôpital,

Ou bien raccrocher à la brune.

On burina La déroute des Agioteurs, grande allégorie clans laquelle ils sont foudroyés par la justice ; — Thémis, ou le vice chassé de la finance ; — La Maltoste à l'agonie ; — Le Temps de la Maltoste bouleversé ; — Le Pressoir des esponges du roi, avec ces vers :

Ces sangsues icy pressoirez

Sont les pirates de la France,

Qui regorgent les flots dorez

De nos trésors en abondance[1].

L'Opéra d'Enfer représenta les financiers clans des tortures aussi variées que hideuses. Au bas d'une gravure sur la chambre ardente, se trouvait un pressoir sur lequel s'asseyaient la Justice et la Mort ; des corps humains faisaient ruisseler de l'or de leurs membres écrasés ; on y lisait :

Il faut rendre, il faut rendre avec gémissement

Le sang que tes impôts ont exprimé des veines

Du clergé, du marchand, du noble et paysan,

Et payer par tes maux l'intérest de leurs peines.

Lui-même, le duc d'Orléans s'avisa de faire frapper, en l'honneur de la chambre de justice, une médaille où elle était représentée sous les traits d'Hercule qui terrasse le voleur Cacus, avec cette légende : Victor avarœ fraudisvainqueur de la fraude avide[2].

Si les délations manquaient, la torture arrachait des aveux aux traitants. Et tous les banquiers de France furent épouvantés.

Les uns se dépêchèrent de réformer leur maison : un financier, désespéré, se coupa la gorge ; un autre se jeta dans un puits : la justice condamna son cadavre, que l'on pendit la tête en bas, pour ensuite le traîner sur la claie et le laisser pourrir à la voirie.

Paparel, trésorier-général de l'ordinaire de la guerre et de la gendarmerie de France, qui demeurait sur la place Louis-le-Grand, fut condamné à la potence par la chambre de justice ; Gruel et Le Normant, collecteurs, encoururent la peine de la chiourme perpétuelle et la flétrissure du pilori. Par une froide journée, pieds nus et en chemise, ces deux coupables traversèrent les rues de Paris ; puis le bourreau les attacha au carcan, avec cet écriteau dans le dos : Voleurs du peuple. La foule leur lança au visage des injures et des pierres. Ils grelottaient. Quelqu'un leur jeta un manteau sur les épaules, et cette pitié mécontenta les Parisiens.

Aussitôt le fait fut reproduit par la gravure, et les amateurs d'estampes purent se procurer des pièces sur Gruel, notamment la Punition remarquable de J.-François Gruel, faussaire, voleur et concussionnaire public, et Les entretiens de Gruel avec Le Normant à son arrivée à la Tournelle.

Exposition terrible que celle du pilori ! Le condamné était mis dans une cage tournant sur un pivot, d'où sortaient sa tête et ses mains.

Crozat, Samuel Bernard et Bourvalais surtout, payèrent de dures rançons ; ce dernier ne conserva que quatre cent mille livres pour lui, sa femme et ses enfants ; on lui prit meubles, bijoux, argenterie ; on lui confisqua son splendide hôtel de la place Vendôme pour y installer la chancellerie, là où est aujourd'hui le ministère de la justice.

Cependant, la chambre ardente allait trop lentement ; pourquoi un jugement criminel pour chaque coupable ? Pourquoi tant de formes ? La chambre de justice subsista comme un épouvantail ; là se firent les déclarations de fortunes et les paiements des taxes, fixées par une commission expéditive, composée de six membres seulement, dont trois étaient tirés de la chambre de justice, Portail, Lamoignon, Fourqueux, et trois du conseil des finances, Le Peletier-Desforts, Fagon, Rouillé-Ducoudray.

On taxa arbitrairement toutes les richesses. Quatre mille quatre cent soixante et dix personnes figurèrent sur les listes, d'après l'influence prépondérante de Rouillé-Ducoudray, directeur du contrôle général.

Rouillé-Ducoudray brillait par son esprit, ses plaisanteries et ses débauches. Il demeurait dans la rue des Francs-Bourgeois au Marais, et tous les roués de l'un et l'autre sexe connaissaient son adresse. li honorait de ses plaisanteries les accusés, il badinait sur toutes les délibérations. C'était si drôle, après avoir condamné à mort ou au pilori certaines gens, d'en piller d'autres, et de traiter la recherche des finances comme une partie de chasse !

Tant de légèreté ne le cédait qu'à d'ignobles actions. Citons un exemple de l'incorruptibilité de ces juges : un président de la chambre de justice fut appelé ironiquement garde des seaux, parce qu'il s'était approprié, de la dépouille du fameux traitant Bourvalais, des seaux d'argent pour rafraîchir les vins et les liqueurs, et qu'il avait eu l'impudence de les produire sur sa table.

Il y avait une fièvre générale de guerre aux traitants ; les gardes du commerce, profitant des dispositions du peuple, ne manquaient pas, s'ils avaient un débiteur à arrêter, de prétendre qu'il était justiciable de la chambre de justice. Il fallut défendre l'emploi de ce stratagème d'huissier.

Après avoir courbé la tête sous l'excès de pareilles violences, les riches poursuivis se permirent de réclamer ; et l'inflexibilité du Régent s'adoucit ; plus d'une belle fille, dont les l'entes avaient été diminuées par un traitant appauvri, alla pleurer misère chez les roués. D'ailleurs une faible partie de l'or qui avait ruisselé des membres des concussionnaires était tombée dans les coffres de l'État. Ce qui était Menu des cupides financiers avait profité aux courtisans prodigues. Le gouvernement avait été inutilement cruel. Au moment où l'on se demandait jusqu'à quel point iraient les sévérités judiciaires, la débauche vint au secours du vol.

Quelques grands seigneurs et beaucoup de nobles dames s'interposèrent entre le Régent et les traitants, moyennant une prime. En banquier, assure-t-on, taxé à 4.200.000 répondit à un gentilhomme qui lui proposait, pour 300.000 livres, de le faire rayer de la liste fatale :

— Ma foi, monsieur le comte, vous venez trop tard : j'ai fait marché avec madame la comtesse pour 150.000 livres.

Les traitants, avec de l'or, s'assurèrent l'appui des grands ruinés, des roués besogneux et des femmes d'intrigue. De ce jour, remarque Lacretelle, date l'alliance intime de la noblesse avec la finance ; celle-ci allait être exploitée par celle-là.

Écoutez Saint-Simon parlant du financier Dunoyer : Ce richard, pour ses péchés, s'était dévoué à la protection des Piron, qui, en bref, le sucèrent si parfaitement qu'il est mort sur un fumier, sans que pas un d'eux en dit souci ni cure. C'était leur coutume ; plusieurs autres les ont enrichis de leur substance, et en ont éprouvé le même sort. Madame de Biron en riait comme d'une fine souplesse, el comptait leur avoir fait encore trop d'honneur.

Le Régent dévora les initiions qui lui parvinrent de la taxe sur les traitants ; quelques membres de la chambre de justice reçurent de l'or dans leurs balances ; le commerce français, paralysé, appela de ses vœux l'instant où les fortunes cachées reparaîtraient, où le luxe reprendrait vigueur. La corruption générale se récria contre la chambre de justice, que l'on supprima (mars 1717), après en avoir tiré moins d'argent que n'en avait procuré l'opération du visa.

Au dire du chancelier, le peuple était tombé dans une espèce de consternation qui faisait languir le corps politique, et telle était son inconstance qu'il passait tout d'un coup de la haine qu'il avait contre les prévenus à la compassion des misères où ils se trouvaient réduits. Il s'accoutumait à les croire innocents lorsqu'il les voyait trop longtemps malheureux. La chambre ardente ou de justice vécut un an, vouée d'abord aux arrêts sanglants, entachée ensuite de corruption connue et maudite.

Son souvenir fut odieux, à ce point que l'on réhabilita bon nombre de ses victimes, qu'on promit aux financiers de

ne plus les taxer, et que d'Argenson, lieutenant-général de la police, vivement harcelé par la chambre ardente, vit doubler son crédit, à mesure que celui du duc de Noailles s'effaçait.

Le 1er avril 1716, le gouvernement fit faillite, et divisa ses créanciers en quatre classes. La première — militaires et corps municipaux — perdit un cinquième ; la seconde perdit deux cinquièmes ; la troisième, trois cinquièmes ; la quatrième, quatre cinquièmes. Toutes les mesures avaient échoué, et les banqueroutes partielles laissèrent encore une dette énorme.

Des coffres des traitants, l'argent s'en était allé, nous le répétons, chez les Phrynés de haut et bas parage, et si les gens de commerce se plaignaient moins par suite des habitudes dépensières des courtisans, le trésor public n'avait pas recouvré son équilibre. Loin de là, le due de Noailles, à bout de réformes, disparut accusé d'impuissance, autant par le peuple que par les grands seigneurs. Son ami, l'illustre chancelier Daguesseau, fut relégué dans sa terre de Fresnes, et le lieutenant de police d'Argenson réunit entre ses mains et les sceaux et la présidence du conseil des finances.

C'est que le pouvoir ressemblait maintenant à un homme sans ressources qui, n'ayant plus rien à attendre des usuriers, se livre au premier faiseur d'affaires qui fait luire à ses yeux une espérance, même la plus chimérique.

Sous le pouvoir de d'Argenson, qui avait su déjà donner à la lieutenance générale de police l'importance d'un ministère, et dont l'habileté intrépide égalait l'activité et l'aptitude aux coups d'État, un Écossais protestant, appelé John Law, allait diriger les finances du pays, changer l'eau en vin, opérer les miracles désirés, introduire en France ses nouveautés brillantes, en un mot son système (fin janvier 1718).

 

 

 



[1] Cartons de la Bibliothèque impériale.

[2] Histoire de la Régence, par Lémontey, tome Ier, p. 66.