HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

CHAPITRE XX.

 

 

CONCLUSION

 

En résumé les troubles de la Fronde, succédant presque sans interruption à la folle cabale des importants, n'ont pas arrêté le mouvement des sciences, des lettres et des arts ; ils ont seulement appauvri les populations et préparé la monarchie absolue de Louis XIV. C'est que, malgré les misères et les tyrannies qu'on lui oppose, la pensée marche toujours, épurée, rendue subtile par le malheur. Si le parlement manqua de force et de courage, si Condé et ses amis firent dégénérer la Fronde en une sorte de lutte féodale, si la cause populaire tomba aux mains des brouillons ou des intrigants, cela n'empêcha pas les masses, la bourgeoisie surtout, d'entrevoir un horizon nouveau, d'être initiées désormais à la politique.

Pendant les magnifiques années du règne de Louis XIV, pendant les années honteuses du règne de Louis XV, cette initiation se compléta peu à peu, quoique sourdement, pour déterminer enfin l'immense révolution de 1789.

Les chefs du mouvement frondeur, pour la plupart incapables dès son début, ne tardèrent pas à renier la mission qui leur avait été confiée, à s'annihiler devant Louis le Grand, à gémir sur leur passé, à devenir des courtisans dociles, en extase devant le roi-soleil.

Condé, qui avait fait de la Fronde une lutte toute personnelle, qui métamorphosa ses petits-maîtres en frondeurs, resta toujours inquiet et mécontent, gagna des batailles pour son maitre Louis XIV, puis se retira à Chantilly, où il vécut dans le délassement des lettres, le goût des arts et la culture des fleurs. Le père Rapin publia son éloge sous ce titre : le Magnanime ; la Bruyère le dépeignit sous le nom d'Émile ; Bossuet immortalisa en lui le Héros. Condé fut véritablement un ambitieux désappointé, dont il ne faut admirer que le génie militaire. On écrirait de longues pages sur les petitesses de ce grand homme, aussi indécis et nul dans les conseils, qu'il était impétueux et meurtrier dans les combats. Il hérita de son père un penchant à l'avarice, et cependant il contracta d'énormes dettes, pour satisfaire son amour de la gloire et ses prétentions ambitieuses. Condé est mort à Fontainebleau, le 11 décembre 1686, dans de profonds sentiments de religion, et même, dit-on, d'intolérance ; son humeur inégale ne fut un secret pour personne ; son mépris de la mort, lorsqu'il s'agit d'éviter la honte d'une défaite, explique comment il fut prodigue du sang des soldats.

Turenne, devenu franchement royaliste, lai qui avait été général frondeur pendant la guerre de Paris, et qui avait d'abord si fermement damé les actes du ministre italien, fournit une plus honorable carrière, tout en pleurant moins les erreurs de sa jeunesse. Redouté de l'ennemi tant qu'il vécut, vénéré après sa mort, il a été regardé par les générations qui se sont suivies comme le type achevé du grand capitaine, malgré l'incendie et le ravage du Palatinat, — tache principale de sa vie militaire. Il eut, par ordre de Louis XIV, sa sépulture à Saint-Denis, puis, par ordre du consul Bonaparte, son tombeau aux Invalides[1]. Turenne avait été élevé dans la religion réformée ; mais en 1667, le jeune roi désira vivement sa conversion : pour la décider, Bossuet composa son Exposition de la doctrine chrétienne, et Turenne abjura entre les mains de l'archevêque de Paris, — afin de pouvoir être élu roi de Pologne, prétendirent les uns ; afin d'épouser la duchesse de Longueville, dirent les autres ; par ambition, enfin, selon Voltaire.

Condé représente le héros nobiliaire ; Turenne, malgré ses manies aristocratiques, représente le héros populaire de l'époque.

Conti, après avoir fait sa paix avec le roi, s'entendit avec le cardinal, fut nommé gouverneur de Guienne, et dirigea une campagne déplorable en Italie. Ce général frondeur écrivit sur la grâce, sur les devoirs des grands, et contre les spectacles. Il aurait mieux fait, dit Voltaire, d'écrire contre les guerres civiles. Dans son testament, il plaça cette phrase : J'ay un très grand regret d'avoir esté assez malheureux pour me trouver en ma jeunesse dans une guerre contre mon devoir pendant laquelle j'ay toléré, ordonné et autorisé des violences et des désordres innombrables... La faiblesse de son caractère ne se démentit jamais. Gouverneur du Languedoc, vers la fin de sa vie Conti tomba dans une dévotion excessive, au point, a-t-on cru, d'abréger ses jours à force d'austérités. Ce prince mourut à Pézenas (21 février 1666). Il ne sut acquérir qu'une demi-renommée, non par ses talents, mais à cause de sa naissance. Un mot seulement à sa louange : il aima Molière et voulut le protéger !

Beaufort, le roi des Halles, existence romanesque, fut plus tard reçu en grâce ; en 1665, il commanda une expédition en Afrique, et battit deux fois sur mer les Algériens ; en 1669, il conduisit des secours aux Vénitiens contre les Turcs, et se distingua au siège de Candie. Là il tenta une vigoureuse sortie ; mais, au moment où, dans sa brillante audace, il chassait les musulmans de leurs postes, trois caissons de poudre sautèrent, et il périt avec soixante de ses meilleurs officiers. Beaufort, soit comme chef des importants, soit comme chef de frondeurs, se comporta sans cesse en casse-cou politique. L'étourderie était son fait. Une anecdote le caractérise. Pendant la Fronde, à une époque où les esprits inclinaient à se soumettre, le roi des Halles s'avisa de demander au président Bellièvre s'il ne changerait pas la face des affaires en donnant un soufflet au duc d'Elbeuf. Je ne crois pas, répondit le magistrat, que cela puisse changer autre chose que la face du duc d'Elbeuf. Beaufort, ce petit-fils naturel de Henri IV, posséda beaucoup de la valeur de son aïeul, sans avoir la moindre dose de son bon sens.

La Rochefoucauld devint chevalier des ordres du roi Louis XIV, rentra en grâce et passa sa vieillesse dans l'intimité des darnes de La Fayette et de Sévigné. Il a laissé de remarquables maximes et d'intéressants mémoires. Celle qui occupa tant de place en son cœur, la duchesse de Longueville, finit par se retirer du monde, alla vivre dans une solitude entière, et mourut dans la pénitence. De l'extrême agitation elle passa au repos suprême. Pour madame de Chevreuse, elle finit dans l'ombre, vieille, sans influence, à l'âge de soixante-dix-neuf ans.

En général, les grandes frondeuses perdirent tout ressort aussitôt que les cabales cessèrent. Ces héroïnes, n'ayant plus de théâtre, n'eurent plus de prestige. Les unes se jetèrent dans la dévotion, méritèrent que Ninon les appelât les jansénistes de l'amour ; les autres tinrent bureau d'esprit ; plus d'une se consola en accueillant les galantes déclarations de tel ou tel partisan de Mazarin. Elles redevinrent femmes, étrangères aux choses de la politique, essentiellement occupées à plaire. Mademoiselle de Montpensier, que son surnom de Jeanne Darc frondeuse avait tant réjouie, et dont le caractère offrit quelques beaux et brillants côtés, entretint longtemps correspondance avec Condé, quand celui-ci se fut joint aux Espagnols. Elle ne reparut complètement à la Cour que bien plus tard ; ses amours avec Lauzun firent beaucoup de bruit et lui valurent mille chagrins cuisants. Dans ses dernières années, Mademoiselle se livra tout entière à la religion, aux pratiques pieuses ; par son testament elle laissa d'immenses biens aux églises. Ses Mémoires montrent jusqu'à quel point elle s'occupa d'elle, exclusivement, pendant les troubles. Vanité, intrigue, tel fut le mobile de sa conduite et de celle de ses pareilles.

Que dire des autres personnages de la Fronde ? Leur changement de front n'eut rien qui doive étonner. Nés courtisans, ils continuèrent à fréquenter la Cour, pour y remplir des emplois divers, aux côtés de leur maitre, oubliant la bourgeoisie et le peuple dont ils s'étaient momentanément servis, désespérant à jamais de la cause féodale dont ils avaient rêvé le triomphe impossible. Louis XIV les réduisit  à l'impuissance en démantelant leurs châteaux-forts, qui formèrent un monceau de ruines.

Mazarin, enfin, vainqueur sur toute la ligne, se montra quelque peu ingrat envers Anne d'Autriche, si courageuse à le défendre, et qui mourut d'un cancer, à l'âge de soixante-quatre ans. Mazarin conclut la paix des Pyrénées (1659) et termina ainsi les guerres de la France et de l'Espagne. Deux ans après le traité qui préparait la grandeur de Louis XIV, ce cardinal expira, laissant une fortune colossale, près de cent millions de notre monnaie actuelle, dont le quart devait appartenir à ses nièces, aux Mazarinettes.

On ne le ménagea pas plus après sa mort que pendant sa vie. Aux éloges furent opposées une foule d'épitaphes en vers, en prose, latines ou françaises, celle-ci par exemple :

Ci-gît l'ennemi de la Fronde,

Celui qui fourba tout le monde ;

Il fourba jusques au tombeau ;

Il fourba même le bourreau,

Evitant une mort infâme.

Il fourba le diable en ce point

Qu'il pensait emporter son âme ;

Mais l'affronteur n'en avait point.

Ainsi, la mazarinade survécut à l'homme qui en avait été le sujet multiple et perpétuel ; les satiriques l'insultèrent par delà le tombeau : à entendre ceux-ci, le successeur de Richelieu aurait cumulé tous les vices, — fourberie, mauvaise foi, avarice, rapacité, impudicité même, sans posséder l'ombre de la plus mince vertu. Et pourtant, il fut impossible à ses ennemis de le déclarer vindicatif ou cruel. On l'accusa fort d'avoir pris sur le peuple, et ce fut avec raison. Ses économies sur la maison du roi et sur l'administration lui composèrent un trésor particulier.

Le talent de Mazarin a trouvé beaucoup de contradicteurs. Nous n'oserions pas dire que cet homme d'Etat fut véritablement grand, mais nous n'hésitons pas à reconnaitre qu'il fut prodigieusement habile. Habile d'une façon mesquine, quant à ce qui regardait les choses de l'intérieur, mais plus noblement sous le rapport des négociations étrangères. Parmi les historiens, les uns ont exagéré son mérite ; les autres l'ont nié ou méconnu.

Il a réussi ! voilà le mot de l'énigme ; il a réussi à vaincre la prépondérance naissante de la bourgeoisie, les menées ambitieuses de la noblesse. Par son fait, Louis XIV, qui n'avait encore que vingt-trois ans à la mort du cardinal, ne put ni ne voulut supporter rien de contraire au régime despotique. On rapporte que le lendemain du trépas de Mazarin l'archevêque de Rouen vint trouver le roi et lui dit : — Sire, j'ai l'honneur de présider à l'assemblée du clergé de votre royaume : Votre Majesté m'avait ordonné de m'adresser à monsieur le cardinal pour toutes les affaires ; le voilà mort ; à qui Votre Majesté veut-elle que je m'adresse à l'avenir ? — A moi, monsieur l'archevêque !... Dans son conseil, Louis XIV déclara : Je serai à l'avenir mon premier ministre. Mazarin n'avait rien épargné, dans les derniers temps de sa vie, pour rendre le jeune prince apte à le remplacer.

Désormais, le parlement ne devait plus remontrer, et moins encore fronder ; il n'avait qu'à obéir. Adieu les velléités de pouvoir, les malencontreux désirs d'administrer la France, sans s'y être préparé de longue date. Le parlement restait, après comme avant la Fronde, un simple corps judiciaire, à nombreuse clientèle ; et même, aux yeux des justiciables, il perdit un peu de sa dignité, à cause de ses fautes, de ses indécisions, et de ses incessantes palinodies.

 

FIN DE L'HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

 

 



[1] Voir notre Histoire-musée de la République française, 3e édition, t. 2, p. 333.