HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

CHAPITRE X.

 

 

Parti des Mitigés. — Enthousiasme en écrits. — Il faut désormais filer doux. — Guerre de plumes. — La Fronde se transforme. — Condé se plaint de l'ingrate Cour. — A propos du siège de Cambrai. — Les amours de la reine et du cardinal ; les pamphlétaires traitent la question. — Claude Morlot, libraire. — Répression. — Fin de l'ancienne Fronde et commencement de la nouvelle. — La statue de Henri IV et la statue de Louis XIII. — Caractères de la nouvelle Fronde ; les personnalités. — Anne d'Autriche boude Paris. — Le roi des Halles et ses sujets et sujettes. — Le branle-Mazarin, etc. — Anecdote du Jardin-Renard. — Louis XIV à Paris. — Hommages au jeune prince. — Chanson sur le retour de dame Anne. — Rivalités.

— Du 1er avril 1649 au 25 août 1649. —

 

La paix, telle qu'on l'avait signée, était factice ; elle ne contentait qu'à demi les frondeurs du parlement, de la noblesse et du peuple, imparfaitement même les mitigés, c'est-à-dire les hommes qui, n'osant se déclarer pour aucun parti, s'apprêtaient depuis longtemps à se rallier aux victorieux. Les mitigés, sorte de tiers-parti comparable aux politiques du temps de la Ligue, sans principe avéré, et par conséquent sans dévouement, demeuraient encore indécis, avec raison à leur point dé vue, si nous en croyons un poète qui, dans la France paisible ou la Paix miraculeuse, ode, écrivait :

Dieu

..... n'a point déclaré sa haine

A l'un plus qu'à l'autre parti.

Tous deux ont eu le démenti

Par une victoire incertaine.

Mais, comme le parlement avait ajouté à son enregistrement du traité, que le roi et la reine régente seraient suppliés d'honorer Paris de leur présence, les Parisiens se laissèrent aller aux mouvements les plus irréfléchis. Ils assistèrent en grand nombre, comme on l'a vu, au Te Deum qui fut célébré à Saint-Germain-des-Prés et dans Notre-Dame par l'archevêque (5 avril), cérémonie où reparurent les gardes françaises et suisses. La miraculeuse châsse de sainte Geneviève, exposée depuis sept semaines à la dévotion publique, fut recouverte (6 avril), et une députation du parlement alla saluer Anne d'Autriche à Saint-Germain, le lendemain d'une entrevue qui eut lieu entre Condé, Conti et madame de Longueville.

La persévérance est une conséquence de la conviction. Peu de frondeurs avaient foi dans l'excellence de leurs principes, peu se sentaient capables de supporter les longues fatigues et les privations de toute sorte. Des jours heureux allaient renaître, pensaient-ils ; plus de disette et plus de combats : c'était merveille. Paris, depuis quinze mois bloqué, avait soif de liberté de locomotion ; il aspirait à sortir des barrières. A certains gros marchands, il manquait de nobles pratiques. La Cour, en revenant, ne ramènerait-die pas un luxe nouveau ? Les ambitieux seuls, ou les hommes à idées, pouvaient rester indifférents à ces avantages matériels.

Il y eut presque de l'enthousiasme après la paix de Saint-Germain, enthousiasme qu'une foule d'écrits surent provoquer on entretenir. Il parut : La France prosternée aux pieds de la Vierge pour la remercier de la paix ; — Paris transformé en un paradis au retour de la paix, mauvais vers burlesques ; — les Acclamations de joie des bons Parisiens, etc. ; — les Douceurs de la paix et les Horreurs de la guerre ; — les Remercîments des Parisiens à Mademoiselle, au prince de Conti, au duc de Longueville, au duc d'Orléans, pour leur avoir procuré la paix. Beaufort reçut d'un écrivain le titre de prince de la paix. Sur le même sujet furent encore imprimés : le Délogement de la discorde sans trompettes, vers burlesques ; — les Doux entretiens d'un caporal de la ville, étant en garde, satire médiocre contre la milice bourgeoise ; — Lettre de mademoiselle la Paix à mademoiselle la Guerre ; — les Délices de la paix, dédiés à Matthieu Molé, etc., etc.

Gaston d'Orléans entra le premier dans Paris (15 avril), le jour même où, dans l'Hôtel-de-Ville, les colonels de cette capitale étaient invités à un diner auquel assista le duc de Montbazon, gouverneur de Paris ; le 16, ce fut le tour de Condé. Tous deux reçurent les compliments du Parlement et de la Ville ; mais le public, qui méprisait l'oncle du roi sans daigner le haïr, ne se laissa pas éblouir par les grandes aumônes que Gaston distribua, le 17, dans Notre-Dame, afin de se rendre populaire ; le public trouva aussi un pamphlétaire pour interprète de ses sentiments contre M. le Prince qui, sérieusement, passait, auprès de quelques gens, pour ne se nourrir que d'oreilles de bourgeois parisiens. Les magistrats furent blâmés, et de verte manière, à cause de la gracieuse réception par eux faite au chef des petits-maitres.

Personne n'ignorait qu'il fallait voir en Condé l'instigateur de toutes les violences commises par les soldats du roi pendant la guerre de Paris. Il resta trois jours dans la capitale, et retourna à Saint-Germain, présenter Noirmoutier et Laques à la reine, voirie duc de Longueville, saluer Leurs Majestés (20 avril), quelques jours après un acte semblable, accompli par le comte d'Harcourt et le prince de Conti, par les officiers de l'Election de Paris, par une députation d'environ trois cents membres des cent vingt métiers. Condé, dans le château royal, se moqua sans doute des frondeurs avec les courtisans, en applaudissant à ces vers de Scarron :

Il faut désormais filer doux.

Il faut crier miséricorde.

Frondeurs, vous n'êtes que des fous ;

Il faut désormais filer doux.

C'est mauvais présage pour vous,

Qu'une fronde n'est qu'une corde.

Il faut désormais filer doux,

Il faut crier miséricorde.

Par contre, un poète frondeur publia, sur le retour de la Cour à Paris, une pièce de vers dont nous extrayons ceux-ci :

Salut à tous ces grands guerriers,

A tous ces chercheurs de lauriers,

Grands conquérants de Catalogne,

Prenant Paris pour Lérida ;

Vous avez eu de la besogne

Qui est encor votre agenda.

Les pamphlets anti-mazarinistes ne cessèrent pas de circuler, pendant un voyage de Leurs Majestés du côté de la Flandre et pendant leur séjour à Compiègne. Adieu la concorde et les espérances de calme avenir ! Tous les mécontents ne sont pas disposés à filer doux ; Gondi et Beaufort n'ont pas paru à la Cour. Madame de Longueville, très froidement reçue par Anne d'Autriche, se tient sur la réserve ; madame de Chevreuse est rentrée en France, pour recevoir bientôt l'ordre de s'éloigner de la capitale, avec sa fille, pour cause d'intrigue, en compagnie du coadjuteur. Celui-ci, à force de démarches auprès de Matthieu Molé, obtient que mademoiselle de Chevreuse ne partira pas. Elle a de fort beaux yeux, lui dit malignement Molé, après avoir promis à Gondi de faire révoquer par la reine une mesure capable d'irriter le peuple.

Mazarin n'a pas perdu son pouvoir ; seulement, il n'ose venir au Palais-Royal. La guerre de plume recommence, plus vigoureuse que par le passé. Dans la France et les royaumes ruinés par les favoris et les reines amoureuses, un écrivain débute ainsi : Ce n'est pas d'aujourd'hui que les plus grands royaumes du monde se sont perdus d'eux-mêmes, et chue les plus puissantes monarchies de l'univers sont tombées dans une funeste décadence, par l'insolence des favorys qui gouvernaient les roys et leurs Estats ; par la faiblesse des princes qui se laissaient gouverner, ou plutôt gourmander de leurs ministres ; et par la passion des reynes qui se sont démesurément affectionnées de ceux desquels elles recevaient du soulagement en la conduite des affaires importantes de leur royaume... Il cite Israël, l'Egypte, la Perse, etc. Et il termine : Bref, lisons les annales de tous les empires du monde, nous n'y remarquerons que des tragédies sanglantes, des changements, des révolutions, des troubles, des guerres, que les favoris et les reines amoureuses y ont causés, et causeront, si les princes ne deviennent plus sages, et les reines et les princesses moins dissolues.

Non, non, la Fronde n'a pas dit son dernier mot. Ne va-t-elle pas se métamorphoser, grâce à l'incurie des parlementaires ? De bourgeoise qu'elle était, ne deviendra-t-elle pas purement nobiliaire ? Condé, dans son entrevue de Chaillot avec madame de Longueville, sa sœur, a traité une question toute personnelle, et un rapprochement s'est opéré entre la grande frondeuse et lui. L'ancien chef des petits-maitres ne manque pas de trouver que la Cour est ingrate à son égard. Il en veut à Mazarin, qui négocie le mariage de deux de ses nièces avec les fils ainés des ducs d'Epernon et de Vendôme. Par là, le ministre échapperait à la protection de Monsieur le Prince. Condé déclare publiquement, en cette occasion, qu'il continuerait à défendre l'autorité royale contre les entreprises des magistrats, mais qu'il saurait aussi défendre ses amis et lui-même contre le despotisme et l'insolence d'un favori.

Quel manifeste ! Et cette conduite orgueilleuse coïncide avec les pamphlets les plus hardis, lances contre le cardinal et contre la reine ! Le héros de Rocroi a refusé de commander l'armée que Mazarin a menée au devant de l'archiduc, et il se réjouit de l'échec éprouvé par celui-là au siège de Cambrai (26 juin). C'est pour plaire à Condé qu'un malin a écrit :

Cambrai, si tu te fusses rendu

Aux armes de son éminence,

Paris sans doute était perdu

Je crois reine qu'il (Mazarin) eût vendu

Le reste de toute la France.

C'est pour plaire à Condé qu'on a fait paraître Les regrets du cardinal Mazarin sur le lèvement du siège de Cambray, avec la description des ares de triomphe qu'il prétendait faire ériger lorsqu'il ferait sa première entrée dans la place ; c'est pour plaire à Condé, enfin, qu'un pamphlétaire affirme que Mazarin était déjà duc de Cambray avant le siège. Monsieur le Prince ne met plus de bornes à ses exigences ; il tyrannise la régente et le ministre, et dit à celui-ci qu'il faut absolument quitter le royaume.

A partir de ce moment les accusations les plus graves pèsent sur les rapports existant entre Anne d'Autriche et Mazarin. Leur attachement réciproque passe pour une amoureuse liaison. Le public devine ou imagine ce que, plus tard, l'historien a généralement admis, ce que des documents nombreux ont rendu vraisemblable, notamment les Lettres de Mazarin, publiées par M. Ravenel. Sont-ils amants, sont-ils époux ? voilà toute la question. Claude Morlot, l'imprimeur, compose La Custode du lit de la reyne, gui dit tout, — qui proclame en vers moins vigoureux que sales les amours de la reine et du ministre. Surpris pendant l'impression de cette diatribe, il est arrêté, mis au Châtelet (17 juillet), et, le même jour, condamné à la potence et à l'étranglement. Il en appelle au parlement, qui, décidé à sévir contre les libellistes, comme le prouve son arrêt du 28 mai dernier, confirme la sentence du Châtelet. Mais, à peine Morlot est sorti de la cour du palais, que le peuple commence à crier, puis à jeter des pierres, à tomber à coups de bâton et d'épée sur les quelques archers présents. Ceux-ci, après une courte et inutile défense, se sauvent, dit Guy-Patin, laissant un des leurs tué, et plusieurs blessés, dont Le Grant, lieutenant criminel, qui reçoit force coups de bâton. Le bourreau prend aussi la fuite. Le condamné est délivré, pendant qu'une autre bande se porte sur la place de Grève, pour y détruire l'instrument du supplice, abattre la potence, rompre l'échelle, lancer des pierres et des cailloux dans les vitres de l'Hôtel-de-Ville, et continuer le désordre dans la place jusqu'à neuf heures du soir. Émeute de garçons libraires, d'imprimeurs, disent les uns ; d'écoliers, disent les autres ; de gens de néant, de vagabonds, sans nom, sans lieu et sans exercice, remarquent les procès-verbaux de l'Hôtel-de-Ville.

De pareilles scènes n'auraient pourtant pas dû arriver, car, dès le juillet, le prévôt des marchands et M. de Montbazon, visité le 2 par le duc d'Orléans, avaient invité les colonels et quarteniers à apporter pour leur part tout le soin qu'ils pourraient pou empêcher qu'il ne s'imprimât, criât, vendît, ne débitât aucun libelle diffamatoire, sous quelque prétexte que ce fût, se saisissant de ceux qui imprimeraient, crieraient, vendraient et débiteraient lesdits libelles, pour être mis ès-mains des juges ordinaires. Mais les chefs de la Fronde bourgeoise n'avaient été que fort peu écoutés par les pamphlétaires et les hommes d'action, alors qu'ils dirigeaient, ou plutôt approuvaient le mouvement insurrectionnel ; maintenant qu'ils se rapprochaient de la Cour, ils ne possédaient plus l'ombre de l'influence sur les masses. La paix de Saint-Germain avait enlevé au parlement sa popularité : on se riait de ses démarches. Le jour où les gens de la Ville, après être allés en députation près des magistrats, et près du chancelier, rentré à Paris depuis la fin d'avril, se dirigèrent (30 juillet) vers Compiègne, pour y témoigner à Anne d'Autriche, au roi et au duc d'Orléans, leurs regrets de l'enlèvement de Morlot, la Fronde mourut d'impuissance. Sa période logique se termina, au moment où les Parisiens apprirent que des troubles recommençaient à Bordeaux.

Il n'y eut plus, chez les mécontents, aucun mouvement d'opinion, aucune action révolutionnaire, aucun principe inspiré par le besoin de lois fixes. On ne marcha plus, remarque Augustin Thierry, vers un but d'intérêt social, vers l'établissement de garanties contre l'arbitraire. Des brouillons, des ambitieux et des dupes, seuls, combattirent encore contre le pouvoir. Le peuple ne put se faire illusion sur le but de la nouvelle Fronde, comme cela lui était arrivé au début de l'ancienne ; il saisit parfaitement les causes des rancunes nobiliaires contre Mazarin, à qui les gentilshommes ne pardonnaient pas ses audiences impossibles. Tous ces courtisans, solliciteurs acharnés, avides d'argent, d'emplois, de bénéfices, étaient furieux de voir que le premier ministre leur refusait sa porte. Ah ! disait une mazarinade,

Fussiez-vous nobles de cent races,

Fils de comte et de mareschal,

Jamais au Palais-Cardinal

L'on ne vous fera faire place.

Voilà le secret de la haine des nobles contre le cardinal, secret à demi dévoilé par les imprimés du temps.

En effet (26 mars 1649), il avait paru une Lettre du roi Henri IV en bronze du Pont-Neuf à son fils Louis XIII de la Place-Royale, datée du Pont-Neuf, après minuit ; puis, une Réponse du roi Louis XIII en bronze de la Place-Royale à son père Henri IV de dessus le Pont-Neuf, datée de la Place-Royale, à cinq heures du matin. C'étaient deux insignifiantes facéties, dont il ne faudrait pas parler, si elles n'avaient inspiré le dizain suivant :

Quelle merveilleuse aventure

Donne à ces images la voix,

Et leur fait violer les lois

De la mort et de la nature ?

Fiance, c'est que pour tes douleurs,

L'excès de tes cruels malheurs

Dans des princes de fer rencontre un cœur sensible,

Quand ceux qui devraient t'arracher

D'une calamité si longue et si terrible,

En ont de bronze et de rocher.

Ici le poète se faisait l'écho de l'opinion et de la crainte publiques. La mésintelligence entre le parlement et la Cour n'existait plus ; mais, au compte de l'ambition, il restait encore une grande querelle à vider, et les champions nouveaux qui entraient dans la lice ne prenaient nul souci de la situation malheureuse du peuple. Encore moins se préoccupaient-ils des principes de réformes politiques émis par la fronde parlementaire. Ce qu'il fallait à Condé, c'était l'agrandissement de sa maison ; ce qu'il fallait à ses petits-maîtres, c'était le partage exclusif du pouvoir. Et les Parisiens respirèrent à peine quelques enivrantes bouffées d'une paix sans bases solides, qui succédait à une guerre privée de génie dirigeant.

La nouvelle Fronde renaissait des cendres de la première, sous forme de simple rivalité entre le vainqueur de Rocroi et l'auteur du traité de Westphalie.

Désormais, les personnalités seules seront en jeu ; les revirements les plus brusques et les plus bizarres s'opéreront ; on verra des petits-maîtres devenir frondeurs, et des frondeurs s'entendre avec Anne d'Autriche. Les hostilités ressembleront un peu, au fond et en la forme, à celles de l'époque féodale. On ira guerroyer dans les provinces, en batailles rangées, après avoir excité tous les amours-propres, développé toutes les haines, escompté toutes les chances, dominé, à Paris, le parlement et le peuple, en profitant des habitudes d'émeutes prises par celui-ci, de la pusillanimité de celui-là. Nous verrons se produire devant nos veux une intrigue unique, mais l'intrigue la plus embrouillée, éclose aux cerveaux de Condé et de sa sœur, de Beaufort et de Gondi, qui voudront se venger de Mazarin, cramponné à son ministère comme un naufragé à un mât brisé, tantôt disparaissant avec lui sous les flots pendant la tempête, tantôt reprenant le dessus, pour arriver sain et sauf au port. A la vieille Fronde, amoindrie et incapable, n'appartient plus que le rôle secondaire ; la nouvelle, active, vivace et sans scrupules, occupera le premier plan.

Après la paix de Saint-Germain, la Cour résida trois mois pleins à Compiègne, sous le prétexte de s'approcher de l'armée de Picardie. Anne d'Autriche, assurait-on, dit de sa propre bouche qu'elle aimerait mieux mourir que de rentrer dans Paris. Soit par ressentiment, soit par manque de confiance, la régente prononçait là des paroles qui lui semblaient devoir produire un grand effet sur les frondeurs. Erreur complète. Si elle ne vient, écrivait de Paris Guy-Patin, il y a bien du monde résolu à s'en passer. Beaucoup de Parisiens lui rendaient rancune pour rancune. D'ailleurs, les esprits n'étaient pas calmés. Beaufort, le roi des Balles, par exemple, se trouvait sans cesse entouré de ses sujets et surtout de ses sujettes, car, selon un satirique, il enflammait

. . . . . toutes nos femmes,

Les honnêtes et les infâmes,

Les jeunes, les vieilles, les laides, etc.

Une foule de harengères et autres s'attroupaient devant son hôtel de la rue Quincampoix, remplissaient l'église Saint-Nicolas-des-Champs, lorsque Beaufort y paraissait au banc d'œuvre des marguilliers, vêtu de sa hongreline de velours noir ; elles le regardaient avec amour jouer à la paume, et parfois elles offraient de payer ce qu'il perdait. Un jour, ameutées autour de son carrosse, elles supplièrent leur roi de ne pas consentir au mariage de son frère Mercœur avec la nièce de Mazarin, mariage contre lequel Condé s'était aussi, comme on l'a vu, très vigoureusement élevé. Cette idolâtrie passait les bornes. Un autre jour, par suite d'imprudence, Beaufort ayant éprouvé une violente colique, sa cour ordinaire avait crié à l'empoisonnement, et demandé avec furie vengeance de ce crime italien. A l'instant les églises s'étaient remplies de personnes priant pour la guérison du roi des Halles.

Tout était permis, en excès de mille sortes, au duc de Beaufort ; d'autres jeunes gens, quoique mazarins, s'avisèrent de vouloir l'imiter, de fréquenter les Tuileries, l'élégant jardin de Renard, qui avait été autrefois valet de chambre de Potier, évêque de Beauvais, et ensuite garde des meubles du roi. Ce jardin était célèbre dans les fastes du beau monde.

Des individus y soupaient bruyamment, au son des violons, quand Beaufort, blâmant cette conduite, se posa en trouble-fête, comme cela lui était arrivé, treize ans auparavant, chez Chavigny, dans le bois de Vincennes.

Douze mazarins, parmi lesquels René du Plessis de la Roche-Pichemer, marquis de Jarzé ou Jarzay, capitaine des gardes du duc d'Orléans, qui se vantait de faire manger de l'herbe à tous les bonnets carrés — le parlement —, le duc de Candale, fils du duc d'Epernon, dont Mazarin avait voulu faire son neveu par alliance, et le comte de Montmorency-Bouteville, étaient attablés (18 juin). Bientôt entra dans leur salle notre frondeur Beaufort, que suivaient le duc de Retz, le maréchal de la Motte, le duc de Brissac, et cinquante gentilshommes, pages et laquais. Beaufort dit, en criant, à Candale qu'il venait familièrement se réjouir avec lui, et profiter de la liberté qui régnait alors sur le pavé de Paris. La raillerie déplut ; on y répondit avec aigreur. Beaufort injuria les mazarins, secoua leur nappe, renversa plats et bouteilles, fit désarmer par ses gens ceux qui avaient mis la main à leur épée, et s'éloigna en affectant des airs de vainqueur, et couvert des applaudissements de son peuple. Les jeunes mazarins quittèrent Paris en toute hâte ; mais Caudale appela au combat son cousin Beaufort,

Ce Mars qui bat, qui rompt, qui frappe ;

Et perce tout, jusqu'à la nappe.

Un duel entre le roi des halles et un partisan de la Cour ne pouvait avoir lieu. On raccommoda l'offensé avec l'offenseur, par crainte d'un soulèvement général. La flatterie n'en célébra pas moins, mensonge effronté, Le Combat généreux de Mgr le duc de Beaufort pour l'honneur du roi et de Messieurs de Paris. Le branle Mazarin dansé au souper de quelques-uns de ce parti-là chez M. Renard, où M. de Beaufort donna le bal, parut aussi pour réjouir les frondeurs. Mais Blot ne manqua de plaisanter Beaufort à propos de l'aventure du Jardin-Renard :

Il deviendra grand potentat

Par ses actions mémorables,

Ce duc dont on fait tant d'état

Il deviendra grand potentat,

S'il sait renverser notre État

Comme il sait renverser la table.

Il deviendra grand potentat

Par ses actions mémorables.

La soupe frondée, le grand Jerzag battu, la Déroute des cabalistes au Jardin-Renard, et la Relation de ce qui s'est passé aux Thuilleries, où l'auteur débute par cette phrase : Il faut que l'antiquité cède aux merveilles de notre siècle, commentèrent l'anecdote, assez ridicule au fond, mais néanmoins capable d'entretenir les animosités de l'un et l'autre camp.

Vers le même temps, le duc de Brissac, Fontrailles, Matha, et quelques chauds frondeurs, aperçurent, en sortant d'un festin, des valets de pied du roi, qu'ils insultèrent et qu'ils battirent, sans respecter leur livrée : Les rois ne sont plus de mode, leur cirent-ils ; cela était bon pour le temps passé. Allez porter ce que nous vous donnons à votre maitre, à la reine et au cardinal. Phrase traduisant bien, d'ailleurs, les sentiments du public, car on ne parlait dans Paris que de république et de liberté, en alléguant l'exemple de l'Angleterre ; car on prétendait que la monarchie était trop vieille, et qu'il était temps qu'elle finit. Après un diner chez le baigneur Foulon, certains seigneurs, ayant rencontré un convoi, apprirent que l'homme qu'on portait en terre était mazarin, et ils se précipitèrent l'épée à la main sur la croix qui précédait le cortège, en criant : Voilà l'ennemi ! La cérémonie funèbre put néanmoins s'achever.

Qu'ils s'attaquassent à la majesté royale, ou qu'ils osassent profaner la sainteté de la religion, les frondeurs demeuraient impunis. Le peuple témoignait parfois son indignation : c'était le seul châtiment des coupables, que la Cour n'osait poursuivre.

A l'instigation de Mazarin, Anne d'Autriche se détermina pourtant à rentrer dans sa capitale. Le prochain retour du roi fut annoncé au parlement (12 août), et le corps de Ville reçut un avis qui le dispensait des cérémonies accoutumées pour les entrées royales (16 août). La Cour ne voulait point de luxe officiel, afin de mieux juger le véritable esprit des Parisiens, comme si la simple curiosité ne devait pas guider ceux-ci au devant du petit roi. Fallait-il s'émerveiller à la vue des gens qui étaient sortis de Paris ? du corps de Ville stationnant sur la route de Saint-Denis, avec cinq cents bourgeois à cheval, en housses et habits noirs ? La foule inondait le passage du carrosse où se tenaient la reine, la grande Mademoiselle, fille du duc d'Orléans, la princesse douairière de Condé, la comtesse de La Flotte, dame d'atours, le roi, les ducs d'Anjou et d'Orléans, Condé et Mazarin. Cela ne signifiait rien que pour ceux qui prenaient plaisir à se flatter, ainsi que l'observe Gondi. Jamais le peuple de Paris n'a résisté aux charmes d'une fête ; et c'était se leurrer que de considérer cette rentrée comme un véritable prodige, comme une grande victoire pour le ministre. Qu'importait que l'on regardât attentivement Mazarin et Condé, celui-ci ramenant l'autre, placés tous deux à une portière du carrosse, et que l'on s'écriât : Voilà le Mazarin ! Qu'importaient encore les ardentes acclamations de ceux qui, vantant la beauté du ministre, lui tendaient la main, lui déclaraient leur amour, et s'en allaient boire à sa santé ! Il y eut force réceptions et compliments officiels. La Ville alla saluer Mazarin le 21 août, et le 25, Louis XIV, dans sa douzième année, se montra à cheval avec toute sa cour, et fut admiré ; Mazarin, aussi, traversa seul Paris, en carrosse, pour aller entendre une messe solennelle dans l'église des jésuites de la rue Saint-Antoine. Rien ne manqua : un bal fut donné à l'Hôtel-de-Ville (5 septembre) ; bal offert par le prévôt des marchands et les échevins ; bal auquel Anne d'Autriche voulut faire assister toute la cour, en y comprenant, après des difficultés levées par Condé, madame de Longueville ; bal pour lequel la régente régla la parure des dames de sa suite, et qui, conformément à ses ordres, eut lieu en plein jour, n'en déplaise, dit-elle, à certaines dames fardées qui ont été grandes frondeuses et qui ne gagneront rien à la clarté du soleil.

Le fond des consciences était-il connu ? Ne pouvait-on pas craindre un enthousiasme superficiel ? Condé coudoyait Mazarin dans le carrosse du roi, à son entrée ; le lendemain dé la cérémonie, Gondi allait présenter ses compliments à Leurs Majestés, sans que ces apparentes alliances dussent faire oublier aux gens sensés l'inquiétante situation des finances, et l'extrême difficulté que le pouvoir rencontrerait dans son action.

Les écrivains gagés ne se firent pas faute de célébrer l'événement du jour. Il y eut des Triolets royaux, offerts à Leurs Majestés ; — des vers présentés au roi ; — les Plus heureux jours de l'année par le retour de Leurs Majestés ; le Retour désiré du roi Louis XIV ; — le Roi triomphant au milieu du peuple ; — la Sainte Allégorie sur l'Exaudiat chanté dans les églises de Paris pour la prospérité du roi et son heureux retour, paraphrase en vus du vieux cantique ; — le Triomphe royal et la Réjouissance des bons Français sur le retour du roi, etc., où Rozard dit au roi de France :

Sans vous, la France était sans nous ;

Nous étions sans France sans vous ;

Sans vous, nous étions sans nous-mêmes.

Et ce fatras d'imprimés, ce galimatias de toutes formes, étaient corroborés par des estampes dont nous possédons quelques épreuves, à la Bibliothèque impériale. Que dire d'une grande gravure, entre autres, intitulée : Les justes devoirs rendus (par les frondeurs) au Roy et à la Reine régente sa mère ? On y voit Beaufort, Gondi et le maréchal de la Motte, trois frondeurs assurément peu convertis.

Ces efforts de certaines gens pour échauffer les tièdes unes, à l'endroit de la reine et de son fils, furent bientôt annihilés par des publications encore plus répandues que celles dont nous venons de reproduire les titres, et qui attaquèrent à l'envi Anne d'Autriche et Mazarin. Ecoutez, en effet, chanter dans toutes les rues ces gais refrains :

La reine a dit en sortant de la ville :

Je m'en ressouviendrai ;

Sachez, Français, que je suis de Castille,

 Que je me vengerai ;

Ou bien j'aurai la mémoire perdue.

Elle est revenue,

Dame Anne,

Elle est revenue.

La reine a dit : J'ai souffert en chrétienne

Un si sensible affront :

Je gagerais qu'avant que je revienne

Ils s'en repentiront.

Elle a, ma foi, sa gageure perdue :

Elle est revenue,

Dame Anne,

Elle est revenue.

A l'anniversaire de la naissance du roi (5 septembre), on tira un feu d'artifice sur la place de Grève, en présence de Leurs Majestés et du cardinal, d'après les ordres des prévôts et échevins. A propos de l'effigie ou image de la Justice, placée au haut de ce feu, un frondeur composa cette épigramme, adressée à Mazarin :

L'on s'en va brûler la Justice.

Vous ne savez pas pourquoi c'est ?

C'est qu'elle a révoqué l'arrêt

Qui vous condamnait au supplice.

Et devant la jeunesse de Louis XIV, même, les plumes ne s'arrêtèrent pas. Rapportons une sorte de paraphrase des paroles que Brissac prononça en août dernier. En traitant de la puissance qu'ont les rois sur les peuples, et du pouvoir des peuples sur les rois, François Davenne osa dire :

Les gens prennent un roi pour les régir en paix ;

Mais alors qu'il les vexe à tort dessus la terre,

Ils en font un sujet, parce qu'il est mauvais ;

Eux-mêmes, à la fin, lui lancent le tonnerre.

Ces hardiesses ne divulguaient déjà plus le système politique du parlement, rendu muet, ou à peu près ; elles n'avaient déjà plus d'action sur la bourgeoisie et le peuple, dont les tendances libérales avaient échoué. Qu'étaient-elles donc ? simplement les émanations dans le public des luttes d'amour-propre et d'ambition entre une noblesse remuante, représentée désormais par Condé, et le cardinal qui ne parvenait pas encore à se faire accepter.

Suivons les divers actes d'une rivalité que l'intérêt et l'égoïsme guidaient seuls. Ils mirent le comble aux misères des populations, misères augmentées par la mauvaise récolte de l'été 1649. On verra le côté sérieux de cette seconde période de la Fronde, lorsque, vers sa fin, nous tracerons le tableau de Paris et des provinces.