HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

CHAPITRE VIII.

 

 

Pièces sur Mazarin. — Son nom est une injure. — Idées de Condé. — Enlèvement du roi. — Misère au château de Saint-Germain. — Paris mécontent. — La Fronde s'organise. — Les copies et l'original. — L'Ouï-dire de la Cour. — Contrat de mariage du Parlement avec la ville de Paris. — Arrêt contre Mazarin. — Le cabaretier de la Cour. — Satires nouvelles. — Justes plaintes des bourgeois de Paris. — Les chefs militaires de la Fronde. — D'Elbeuf et ses trois fils. — Conti. — Bouillon. — Longueville. — Parallèle entre Beaufort et Gaston d'Orléans. — Le plaisir à l'Hôtel-de-Ville. — Armement des Parisiens.

— Du 1er janvier 1649 au 13 janvier 1649. —

 

Vers la fin de 1648, une prétendue Requête des Trois-Etats de l'Île de France et de la bonne ville de Paris au Parlement, contre le cardinal Mazarin, parut et fut répandue à grand nombre. Des imputations calomnieuses s'y trouvaient mêlées à des reproches mérités : mais la foule croyait tout, sans distinction. L'imprimeur de cet écrit fut arrêté, condamné à faire amende honorable, et banni par sentence du Châtelet. On se régala aussi d'une chanson sur l'air : Hâ que j'aime ma maîtresse, sur l'amitié que la reine porte à Mazarin ; la platitude de ces vers, insérés dans la collection de Maurepas, nous dispense de les citer ; une autre chanson faisait dire au petit roi :

Maman est Mazarine

Et je suis Mazarin....

Et les injures les plus crues étaient prodiguées à Anna d'Autriche. Bientôt, on publia cette pièce satirique sur l'homme qui avait succédé à Richelieu, — pièce que nous retrouvons dans la collection de Maurepas :

On dit que le feu cardinal (Richelieu)

Voulut montrer à cet empire

Que s'il avait fait bien du mal,

Un autre pourrait faire pire ;

Et qu'il choisit à cette fin

Pour successeur le Mazarin.

Qu'importaient, toutefois, des châtiments rigoureux, quand le mal avait produit son effet ? Le nom de Mazarin, que Gui-Patin appelait un pur faquin, un pantalon à rouge bonnet, un bateleur à longue robe, devenait odieux. On le considéra comme une injure ; les juges accordèrent des permissions d'informer contre ceux qui le donnaient à quelqu'un. Il tomba dans une telle horreur, que le menu peuple s'en servit comme d'une imprécation contre les choses déplaisantes ; et il était assez ordinaire, remarque Guy Joly, d'entendre les charretiers, dans les rues, frapper leurs chevaux, en les traitant de b... de Mazarin. Ce tollé général de l'opinion publique n'eût peut-être pas fait sortir le cardinal de son caractère à la fois ruse et conciliant : Mazarin, dit madame de Motteville, semblait n'estimer aucune vertu ni haïr aucun vice.

Mais aux injures du populaire s'étant mêlées les menaces du parlement, qui proposa de rendre un arrêt de bannissement contre Mazarin, celui-ci rassembla huit mille hommes autour de Paris, persuada bien à Condé qui, disait-on, avait d'abord penché en secret pour les frondeurs, de préférer la gloire de conservateur de la monarchie à celle de restaurateur du public, s'assura du duc d'Orléans et des autres princes par des promesses, et résolut de quitter de nouveau la capitale. L'antipathie de Condé contre les gens de chicane s'était en maintes occasions manifestée. Elle le décida plus encore que l'argent, quoi qu'on en ait dit, à accepter le parti de la reine, où ou lui offrait la position de chef suprême. Anne d'Autriche s'en réjouissait tant, que, violant en faveur de Monsieur le Prince les maximes d'Etat qui interdisaient l'aliénation du domaine à une simple régente, elle lui donna le domaine utile de Stenai, Jametz, Dun, Clermont-en-Argonne et Varenne (décembre 1648).

D'après les avis de Condé, sans doute, il s'agit d'effrayer la capitale. Mais on ne le suit pas dans sa proposition énergique de mander l'armée au faubourg Saint-Antoine, de mener le petit roi à l'Arsenal, d'envoyer au parlement l'ordre d'aller à Montargis ; en cas de résistance et de soulèvement, de s'avancer avec vingt canons par la rue Saint-Antoine, avec vingt autres par les quais, pour marcher droit au palais en renversant les barricades. La Cour veut plus de mise en scène et moins d'action. Elle se fait croquemitaine. Troupes aux portes de Paris, manque d'approvisionnements, menaces de réduire la ville par peur et par famine ; voilà son programme. Il faut empêcher pendant quelques jours le pain de Gonesse d'arriver, ce pain blanc si renommé du bourg de Gonesse, que les boulangers apportent à Paris deux fois par semaine.

On est en janvier (1649). Anne d'Autriche veut s'éloigner de la capitale, sans pouvoir cette fois, car les vents d'hiver soufflent de toutes parts, prétexter le désir d'aller respirer l'air de la campagne. C'est en secret qu'il convient d'agir. Le 4 janvier, on mène le jeune roi visiter le duc d'Orléans ; puis, la veille de l'Épiphanie, de la fête des rois (5 janvier), à l'heure où tous les Parisiens festoient, les princes et le cardinal quittent la régente au Palais-Royal, pour aller souper, voir la comédie chez le maréchal Antoine de Grammont, homme assez souple pour tous les ministres, guerrier fameux pour la bataille qu'il perdit devant Honnecourt le 26 mai 1642, et qui a le commandement supérieur de la rive gauche de la Seine. Ce souper fait dire par Sarrazin, dans le Coq-à-l'Asne, à propos de Grammont :

Mais quoi ! vous étiez en colère,

Et vous aviez fait bonne chère !

Pour donner le change à tout le monde, on met les enfants royaux au lit, l'un après l'autre. Anne d'Autriche s'entretient fort gaîment avec ses femmes : elle fait apporter un gâteau de la fève, dont Louis XIV a sa part ; puis, minuit sonnant, elle se couche. Les portes du Palais-Royal sont fermées. Vers quatre heures du matin, Louis XIV, le duc d'Anjou ; et leur mère, les princes et princesses, même mademoiselle de Montpensier, à laquelle Comminges est allé porter l'ordre de se lever, de la part du duc d'Orléans son père, Mazarin et ses nièces, tous avec leur suite, sortent du Palais-Cardinal par la porte de derrière, et se trouvent au rendez-vous donné au Cours-la-Reine, d'où ils se dirigent vers Saint-Germain.

Mais à Saint-Germain, selon l'habitude suivie dans les châteaux inhabités, tout est démeuble : solitude vaste et nue ! Puis, il y fait froid. Anne d'Autriche, si luxueuse, et ses deux fils, si adulés, s'endorment sur des lits de camp que le cardinal a ordonné d'apporter. La duchesse d'Orléans et mademoiselle de Montpensier couchent sur la paille : la paille elle-même devient bientôt si chère à Saint-Germain, selon madame de Motteville, qu'on ne peut pas en trouver pour son argent. Là, au milieu de cette royale misère, Louis XIV, par une déclaration (6 janvier), ordonne aux membres du parlement de sortir de Paris dans vingt-quatre heures et de se rendre dans quinzaine à Montargis, sinon il les regarde comme criminels de lèse-majesté, et leur interdit de s'assembler, ni de faire aucun acte de justice dans la capitale. La chambre des comptes reçoit l'ordre d'aller tenir son siège à Orléans ; le grand-conseil doit se rendre à Mantes.

Paris donc, en s'éveillant au bruit des gens à cheval envoyés dans tous les quartiers pour avertir par billets les gens avec lesquels la reine voulait fuir, Paris ne trouva plus ni roi, ni princes, ni ministres : la duchesse de Longueville seule était restée en son logis, sous prétexte de grossesse. Aussi adressa-t-on à cette princesse une brochure : — Le Palladium, ou le dépôt tutélaire de Paris. Ce Palladium était la duchesse elle-même, considérée comme une nouvelle Minerve dont l'image préservait Paris de la ruine. Le peuple apprit avec effroi la fuite de la Cour. Les bourgeois, d'eux-mêmes et sans ordre, coururent aux portes, pour les fermer. Chacun trembla de voir paraître un corps d'armée dans la plaine ou sur les hauteurs environnantes. C'était une simple panique, dont on revint bientôt pour attendre ce qu'ordonnerait le parlement, installé en assemblée générale, nonobstant la fête de l'Epiphanie, et prenant lecture d'une lettre adressée par le roi au prévôt des marchands, lettre où l'on remarquait ces phrases : ... Le roi s'est vu obligé de partir cette nuit même, pour ne pas demeurer exposé aux pernicieux desseins d'aucuns officiers du parlement, lesquels ayant intelligence avec les ennemis déclarés de l'Etat, après avoir attenté contre son autorité en diverses rencontres et abusé longuement de sa bonté, se sont portés jusqu'à conspirer de se saisir de sa personne. Louis XIV était censé parler ainsi à l'âge de dix ans ! Il établissait une distinction entre les gens de robe que l'on traiterait avec rigueur, et les bourgeois auxquels on témoignerait toujours beaucoup de bonne volonté. La lettre était signée, au bas, par le secrétaire d'Etat de Guénégaud. Gai ! nego — Gai ! je le nie —, s'écriaient les plaisants.

Emu par cette imputation exagérée, le parlement ordonna de garder les portes de Paris, de tendre des chaînes dans les rues, de laisser venir les approvisionnements sans obstacle, et d'éloigner les gens de guerre à vingt lieues à la, ronde. Mais, par contre, comme le dessein du cardinal était de forcer les Parisiens, par famine, à se détacher du parlement, dès le 7 janvier Mazarin fit publier à Poissy un arrêt du conseil qui défendait de vendre des bœufs, moutons ni autres vivres aux marchands de la capitale. Les bouchers revinrent sans rien emmener.

Mazarin agissait, et la résistance qu'on lui opposait avait un guide unique ; le mouvement insurrectionnel s'organisa, avec le concours de toutes les haines, de tous les enthousiasmes, de toutes les passions. Le 8 janvier, une assemblée générale de police, composée des membres des cours souveraines, du comte de Montbazon, gouverneur de Paris, du prévôt des marchands, des échevins et des députés des six corps des marchands, se tint à l'Hôtel-de-Ville : sorte d'états-généraux, ou plutôt d'assemblée nationale. On y arrêta que le prévôt des marchands et les échevins délivreraient des commissions pour lever des gens de guerre, au nom du parlement, pour faire venir des vivres à Paris et les escorter. Immédiatement l'Hôtel-de-Ville se saisit de l'arsenal et y mit six cents hommes. Le même jour, une députation alla trouver la reine à Saint-Germain, afin de la supplier de donner la paix à la capitale et de ramener Louis XIV au milieu de ses fidèles Parisiens.

Fournier, président en l'élection, et premier échevin de Paris, prononça un discours. Notre ville, dit-il entre autres choses à Anne d'Autriche, durant l'absence de Vos Majestés, se peut dire un corps sans âme, sans mouvement et sans forme. Il termina en adressant ces paroles à Louis XIV : Si Votre Majesté nous honore de son retour, si ardemment souhaité de nos citoyens, nous tâcherons par toutes sortes de devoir de lui donner de nouvelles preuves de nos affections, etc. A quoi la reine répondit qu'elle aimait le peuple de Paris, ne lui voulait point de mal ; que, le parlement obéissant, elle retournerait et ramènerait le roi à Paris ; que, le parlement sortant par une porte, elle rentrerait par l'autre. Discours inutiles, comme on voit, et démentis par les actes des partis en présence. Les Parisiens ne désiraient pas leurs Majestés autant que le prétendait l'échevin Fournier, et l'amour d'Anne d'Autriche pour le peuple semblait à tous fort hypothétique. Dès son retour à Paris, la députation reçut une lettre de cachet, enjoignant à Montbazon et aux échevins de se servir des forces militaires qu'ils avaient pour chasser le parlement, auquel cependant ceux-ci restèrent inviolablement attachés.

Aussitôt, nombre de pamphlets se publièrent sur l'enlèvement du roi par Mazarin. Un poète comparait le ministre au monstre Typhon enlevant Jupiter, Typhon Jovem rapiens ; un autre composait et publiait ce quatrain :

Ces voleurs de Louïs, ces infâmes harpies,

Le grand maistre (Condé) et le cardinal,

Après s'être saisis de toutes les copies

Ont enlevé l'original.

Il fut, en mille endroits, placardé Un avis aux bons et fidèles serviteurs du roi, les bourgeois de Paris, de demander qu'il lui plaise,au parlement et à l'échevinage, supplier le roi d'ordonner aux bourgeois de prendre les armes pour son entrée dans Paris ; de faire sa demeure au Louvre ; d'employer les revenus des biens et bénéfices de Mazarin à payer les ouvriers qui achèveront ledit Louvre ; d'agréer le duc d'Elbeuf pour gouverneur de Paris, etc. Il parut l'Ouÿ-dire de la Cour, où on lisait : Si la reine fait feu, vous êtes assurés que Monsieur le Prince sera la pierre à fusil, avec laquelle on le battra ; monsieur le duc d'Orléans servira d'allumettes ; aussi bien brûle-t-il toujours par les deux bouts ; les chemises des nièces de Mazarin serviront de mèches, et la calotte du cardinal de soufflet, avec lequel on allumera le feu par toute l'étendue de la France, et des os des pauvres François brûlés on en doit composer un musc que ceux de la cour, ou plutôt de la faction de Mazarin porteront continuellement, et dont l'odeur ira jusques en Espagne réjouir sa Majesté catholique.

Enfin, le Contrat de mariage du parlement avec la ville de Paris contenait les propositions suivantes : Le parlement présentera les personnes qui devront avoir part au gouvernement du royaume et à l'éducation du roi ; il pourra les destituer pour déportements ou incapacité ; il recevra le serinent des ministres et conseillers d'Etat ; il nommera les candidats à l'administration des finances, et exercera la charge de contrôleur général par deux de ses membres en commission ; il aura la nomination à perpétuité des gouverneurs des places à dix lieues à la ronde autour de Paris. Ce dernier écrit forme le programme politique des chefs de la Fronde, dans le parlement, qui veut désormais régner et gouverner.

A côté de la magistrature frondeuse, laissant agir le peuple sans le trop pousser, se placent les agitateurs, appartenant, pour la plupart, à l'ordre de la noblesse. Ils ne demeurent pas inactifs en pareille occurrence. Paul de Gondi, comme la duchesse de Longueville, n'a pas quitté Paris, et il brûle du désir de faire parler de lui, de commander au mouvement. Une lettre de la reine lui ordonne de se rendre à Saint-Germain ; mais il s'arrange de manière à ne pouvoir obéir : arrêté presque à sa porte, il rentre à l'archevêché. Le duc de Longueville revient de Normandie ; le prince de Marsillac est attendu à Paris, où le duc de Bouillon se trouve déjà. Il y a grand trouble, alors, chez les hauts personnages que domine l'ambition, mais confiance chez le peuple et les bourgeois qui ont foi dans la bonté de leur cause.

Me le 7 janvier, le lendemain de la déclaration royale qui transférait le parlement à Montargis, les magistrats commencèrent à régner et à gouverner. A l'unanimité moins une voix, et Matthieu Molé lui-même signant sans protestation, ils firent des remontrances : Attendu que le cardinal Mazarin était notoirement l'auteur de tous les désordres de l'Etat et du mal présent, la Cour le déclarait perturbateur du repos public, ennemi du roi et de son Etat, lui enjoignant de se retirer de la Cour en ce jour, et dans huitaine hors du royaume, et, ledit temps passé, enjoignait à tous les sujets du roi de lui courir sus, avec défense à toutes personnes de le recevoir. L'arrêt fut lu et publié, le même jour, à son de trompe et cri public, aux portes de Paris, dans les faubourgs, et sur les places publiques. La voix d'opposition à ce grave arrêt était celle de de Bernay, conseiller qui jouissait de trente mille livres de rentes en bénéfices, dus à la générosité du ministre italien ; la cause du vote de de Bernay devint patente pour tout le monde, car ce conseiller, que l'on surnommait le cabaretier de la Cour, avait une table fort somptueuse, à laquelle s'asseyaient les courtisans, les grands joueurs et les brelandiers de Paris.

Oh ! alors, les satires contre Mazarin se multiplièrent. Dans le Passeport et l'Adieu de Mazarin, en vers burlesques, on terminait en lui disant :

Par la cherté de la farine,

Par la crainte de la famine,

Par la perte de nos trafics,

Par la réforme des tarifs,

Par la discorde des deux frères,

Enfin, par toutes nos misères,

Dont nous gardons le souvenir,

Allez sans jamais revenir.

Il parut l'Ambitieux, ou le portrait d'Ælius Sejanus en la personne, du cardinal Mazarin ; l'Idole renversée, ou le Ministre d'État puni ; le Ministre d'Etat flambé ; le Cardinal Mazarin en deuil quittant la France, avec une ballade sur lui et sur la régente, ballade où on lisait :

Anne, pleurez sa dure départie,

Las dans un mois vostre ami Mascarin

Trousse bagage, et quitte la partie.

Un poète finissait ainsi la Tarentelle écrasée, pièce de vers :

Qu'engouffré dans le soufre, ensoufré dans le gouffre,

Seul, de tous les damnés les tortures il souffre.

On publia les Méditations du Cardinal Mazarin..... avec l'oraison qu'il a composée pour la réciter quand il sera sur l'échafaud, et les Soupirs et regrets des nièces de Mazarin sur la perte et mauvaise vie de leur oncle. Dans le Médecin politique, ou consultation sur la maladie de l'Etat, on ordonnait deux saignées, l'une de la bourse aux partisans, l'autre de la veine aux ennemis. Ce pamphlet ne manquait pas de sens dans les idées émises, et une certaine énergie éclatait dans les Justes plaintes des bourgeois de Paris, adressées à MM. du parlement, où flamboyaient ces phrases : Pourquoi pensez-vous que la ville de Paris porte dans ses armes un navire et deux fleurs de lys ? C'est pour tesmoigner qu'elle est bastante de résister à tous ses ennemis, et qu'elle renferme en soi les deux tiers de la France.

Oudart le Féron, prévôt des marchands, pensa être massacré par le peuple, ou tout au moins noyé, sur le simple soupçon qu'il n'était pas sincèrement dévoué au parlement, et plusieurs personnes de la Cour, restées à Paris, se virent maltraitées par les frondeurs. Une troupe d'hommes et de femmes poursuivirent madame de 3lotteville, coupable d'être attachée à Anne d'Autriche, jusque dans l'église de Saint-Roch, où des filous, profitant du vacarme, lui demandèrent la bourse en plein jour.

Certes, les frondeurs ne doutaient point de leur nombre et avaient confiance dans leurs forces. Par toutes ces exubérantes publications ils se préparaient à la lutte armée qui devait bientôt suivre. Une levée de soldats était ordonnée. La guerre civile éclatait, et avec elle, dès son début, se montraient à découvert les ambitions si longtemps contenues des princes qui aspiraient à jouer des rôles hors ligne dans ces troubles nouveaux.

Charles, duc d'Elbeuf, de la maison de Lorraine, gentilhomme assez mal famé, et que sa pauvreté avilit, selon Retz, se présenta comme chef militaire : il venait de Saint-Germain (9 janvier), où il n'avait pas trouvé à dîner, pour voir s'il trouverait a souper dans Paris, d'après le dire de Cossé, duc de Brissac, qui lui-même espérait commander les frondeurs. L'un et l'autre voulaient faire fortune ; le premier, ruiné sous Louis XIII ; et père de trois fils, Charles, prince d'Harcourt, François, comte de Rieux, et François-Marie, comte de Lillebonne, aspirait à pourvoir ses enfants. Un poète, soudoyé sans doute, composa une pièce de vers : La France à Mgr le duc d'Elbeuf, général des armées du roi, où il l'appelait protecteur de la monarchie, — héros issu des demy-dieux, — grand Théodose, — vrai Constantin, — Martel, etc. En réalité, le plus incontestable titre du duc d'Elbeuf, c'était sa priorité en date : il ne valait pas le comte d'Harcourt, son frère.

Deux autres compétiteurs plus sérieux, Armand de Bourbon, prince de Conti, frère cadet de Monsieur le Prince, et le duc Henri II de Longueville, beau-frère du même, ne se firent pas attendre. Ils se montrèrent à la porte Saint-Honoré (10 janvier), où leur présence donna d'abord l'alarme à. toute la capitale, malgré leur dessein de la servir ; on mit des chandelles partout aux fenêtres, on alluma des feux dans les places. La vérité ayant été reconnue sur leur compte, tous deux étant bien avec le coadjuteur, qui n'aimait pas d'Elbeuf, Conti parut devant les magistrats municipaux, et leur dit qu'ayant embrassé leur parti et celui du parlement, il venait habiter près d'eux, pour s'occuper des affaires communes. Les flatteurs ne manquaient point à Armand Bourbon de Conti. Grand Armand, écrivait l'un,

Grand ARMAND, que toute la France

Estime sans comparaison,

Tu nous vas mettre hors de souffrance

Par la force de ta raison.

Un autre retraçait Les généreux pressentiments d'une fille villageoise, touchant les victoires que la France doit espérer de la sage conduite du prince de Conty.

Tant de chefs s'offraient aux frondeurs, qu'un amiable arrangement sembla nécessaire. Ce n'était pas chose facile que de satisfaire les voraces appétits des princes mécontents, et la place de général suprême agréait tant au duc d'Elbeuf, qu'il déclara vouloir la conserver. Le coadjuteur Gondi déchaîna aussitôt sa cabale contre M. d'Elbeuf et ses enfants, faisant merveilles, se promenant chamarrés d'or par les rues, pompeux et triomphants, comme de petits dieux Mars ; en quelques heures il les discrédita, répandit le bruit que d'Elbeuf s'entendait avec la Cour, et persuada aux officiers de la garde bourgeoise qu'aucune rivalité sérieuse ne pouvait exister entre un prince de Lorraine ruiné et un prince du sang tel que Conti. Déjà ses efforts avaient ébranlé les masses ; la chai s'Ai de Jacques Carpentier de Marigny contre d'Elbeuf lit le reste :

Monsieur d'Elbeuf et ses enfans

Font rage à la Place Royale ;

Ils sont tous quatre piaffans,

Monsieur d'Elbeuf et ses enfans.

Mais sitôt qu'il faut battra aux champs,

Ils quittent l'humeur martiale :

Monsieur d'Elbeuf et ses enfans

Font rage à la Place Royale.

Le prince monseigneur d'Elbeuf,

Qui n'avait aucune ressource,

Et qui ne mangeait que du bœuf,

A maintenant un habit neuf,

Et quelques justes d ms sa bourse :

Ce pauvre monseigneur d'Elbeuf,

Qui n'avait aucune ressource.

La jactance, l'avidité et la misère de cette famille, ainsi chansonnées, donnèrent beau jeu au coadjuteur et à son protégé. On reconnut Conti pour généralissime des armées du roi dans Paris, bien qu'il fût parent de Condé, général du Mazarin, — avec les ducs d'Elbeuf et de Bouillon, et le maréchal de la Motte-Houdancourt, pour lieutenants-généraux sous ses ordres. Quatre années de captivité avaient exaspéré la Motte, remis en liberté en septembre 1648. Les lieutenants-généraux eurent égalité de commandement, chacun son jour. Toutefois, par compromis sans doute avec le duc d'Elbeuf, celui-ci obtint de commencer le premier, et ses fils occupèrent les premiers emplois, qui, dit le Journal du Parlement, continueraient les jours mêmes que commenceraient les deux autres. En outre, le famélique prince de Lorraine dut tenir la première séance au conseil de guerre, assemblé de droit chez Conti. Comme on s'aperçoit bien qu'il existait parmi les chefs frondeurs plus de jalousie et d'amour-propre que de véritable haine, et comme on pressent déjà la Fronde nobiliaire de 1651 !

Quant au duc de Longueville, il fut un simple conseiller de Conti, qui n'acceptait les fonctions de généralissime que pour les exercer sous les ordres et l'autorité du parlement. Mesdames de Longueville et de Bouillon, conduites par Gondi, s'installèrent à l'Hôtel-de-Ville, comme otages de leurs maris : ces astres de beauté rayonnaient au milieu des bourgeois, et émerveillaient le peuple, en émouvant surtout la fibre galante des jeunes seigneurs qui participaient à la Fronde. Elles parurent sur le perron de l'Hôtel-de-Ville, en tenant chacune un de leurs enfants entre leurs bras, enfants beaux comme leurs mères. La Grève était pleine de peuple jusqu'au-dessus des toits ; les hommes jetaient des cris de joie et les femmes pleuraient de tendresse. Cela formait tableau et produisait un grand effet sur les imaginations bourgeoises.

Ici ne pouvait se clore la liste des chefs de l'armée parisienne. Un nom, aimé déjà des classes pauvres, était dans toutes les bouches, celui du duc de Beaufort, l'ancien héros des importants. Il s'était échappé le 1er juin 1618, jour de la Pentecôte, du château de Vincennes, ou nous l'avons vu conduire en septembre 1643. Libre, après cinq années de captivité, François de Beaufort n'avait pas osé se montrer à la Cour, ni même dans Paris. Caché dans le Vendômois, il saisit l'excellente occasion qui maintenant se présentait à lui, pour continuer son rôle de mécontent par celui de frondeur. Il vint offrir aux Parisiens (14 janvier) son nom, sa belle mine, ses longs et blonds cheveux, ses formes agréables au peuple qu'il appela mes chers compagnons dans une harangue. Plus encore que Longueville et que Conti, ce petit-fils de Henri IV, si bien fait de sa personne, grand, adroit aux exercices, et infatigable, devint aussitôt l'épée mise au service particulier du coadjuteur à qui il fallait un fantôme ; plus qu'eux aussi, il jouit de cette enivrante fumée qu'on appelle la popularité. Son panégyrique en vers se terminait de la sorte :

François, souvenez-vous que François il se nomme,

Que ce qui le renomme

Ce sont les actions dignes du nom françois,

Qu'il sait bien pratiquer : car il est si courtois

Que tout le monde loue

Son affabilité, ses franches actions ;

Nul autre qu'un François n'a ses perfections,

Il est double François, il faut que je l'advoue.

Gui-Patin nous assure que toutes les femmes de Paris ne juraient que de par Beaufort. Celui-ci, d'ailleurs, méritait bien qu'on lui donnât plus tard le titre de Roi des halles, car son langage, principalement, était populaire. Soit par vicieuse habitude, soit par affectation, il parlait mal, et prononçait souvent un mot pour un autre. ...Il disait d'un homme qu'il avait une confusion, pour une contusion ; et d'une femme en deuil, qu'elle avait l'air lubrique, au lieu de l'air lugubre. Une grande dame ajoutait qu'un certain seigneur allemand ressemblait à Beaufort, si ce n'est qu'il parlait mieux le français. C'était l'antithèse de Gaston d'Orléans, beau discoureur. Aussi chanta-t-on dans les rues, à propos de l'un et de l'autre :

Dans un combat, il brise, il tonne,

On le redoute avec raison ;

Mais à la façon qu'il raisonne,

On le prendrait pour un oison.

Gaston, pour faire une harangue,

Eprouve bien moins d'embarras.

Pourquoi Beaufort n'a-t-il sa langue ?

Pourquoi Gaston n'a-t-il son bras ?

Que le lecteur se reporte à l'esquisse que nous avons tracée du caractère de Beaufort, comme chef des importants, et qu'il y ajoute ces quelques derniers traits, — il aura une idée complète du personnage. Beaufort n'avait abdiqué aucune de ses prétentions anciennes, lorsqu'il se présenta à l'Hôtel-de-Ville, en janvier 1649 ; il avait de plus des ardeurs populaires, sans but réel, comme sans conviction. On reconnaissait toujours en lui ce prince sans gêne qui, naguère, en usait si familièrement avec Anne d'Autriche, qu'un matin, rapporte Henri Campion, pendant qu'elle était clans le bain, et que les seigneurs attendaient l'heure de la voir, il s'était approché devant tout le monde de la porte entr'ouverte par l'huissier, et avait poussé celui-ci, pour entrer de force.

Outre les princières figures qu'on apprécie, nous l'espérons, à leur juste valeur, il y avait dans le parti frondeur — les ducs de Chevreuse et de Luynes, le premier fort endetté, le prince de Marsillac — duc de La Rochefoucauld —, les marquis de Vitry, de Noirmoutier, de Clanleu, de la Boulaye, de Laigues, de Fosseuse, d'Alluye, et Henri de Sévigny ou Sévigné, les comtes de Fiesque, de Maure, de Matha et de Montrésor, enfin Rohan, dit Tancrède. Réunion éclatante, mais peu sérieuse. Nobles champions qui s'étaient précipités dans le mouvement pour des intérêts personnels et divers. Le comte de Maure entra dans le parti par suite du désordre de ses affaires. Il n'avait jamais un quart d'écu, dit Tallemant ; il ne tarda pas à être ridiculisé par des triolets de Marigny. Sévigné n'avait pas grande valeur ; Matha était toujours en quête d'argent ; on contestait la légitimité de Tancrède Rohan, on doutait qu'il fût né de la duchesse de Rohan, et, comme il y avait, à propos de sa naissance, procès pendant au parlement, les mazarins prétendaient que ledit Tancrède se mettait dans la Fronde pour mieux se concilier ses juges. Noirmoutier, Laigues et Clanleu en voulaient à Condé, parce que celui-ci leur avait fait quelques plaisanteries très mal fondées à l'endroit de leur bravoure ; Laigues était capitaine des gardes du duc d'Orléans. Luynes, fort dévot et janséniste au fond, prenait le parti du coadjuteur, parce que Gondi semblait protéger ses amis en religion.

L'orgueil, l'esprit de vengeance, l'ambition, et surtout l'amour de la renommée, faisaient agir ces chefs. Bien peu leur importaient le parlement et le peuple. Il leur fallait briller. On dansa, on galantisa à l'Hôtel-de-Ville. Ce fut d'ordinaire, remarque Retz, un mélange d'écharpes bleues, de dames, de cuirasses, de violons dans la salle, de trompettes sur la place, qui donnaient un spectacle qu'on voit plus souvent dans les romans qu'ailleurs. Une polémique s'éleva, entre deux chansonniers, sur le lieu où s'assemblaient les chefs de la Fronde. L'un, N. de Chauvigny de Blot, le mazarin, dit :

Cette cabale est mal habile

D'avoir choisi l'Hôtel-de-Ville

Pour conférer de ses exploite.

Leur esprit, qui toujours s'élève,

Ne devait pas avoir fait choix

D'un lieu si proche de la Grève.

L'autre, anonyme et frondeur, répondit :

Si Conty, Beaufort, Longueville,

Ont fait choix de l'Hôtel-de-Ville,

N'ont-ils pas fait bien prudemment ?

Dedans la Grève, sans descendre,

Ils pourront voir commodément

Le Mazarin qu'on y doit pendre.

Les actes des mécontents perdirent en gravité ce qu'en habileté ils gagnèrent. Les courtisans, riches ou influents, l'emportaient en savoir-faire sur les officiers bourgeois, mais déjà, par leur concours, la Fronde se bifurquait dès sa naissance, pour se séparer dans la suite. L'entreprise plébéienne ressembla alors aux troubles éclos sous Marie de Médicis. Ce que la révolte avait de sincère dans son esprit, de primesautier dans ses allures, disparut peu à peu.

Néanmoins, l'enthousiasme général tint lieu de parfaite entente. Un poète présenta à Beaufort des vers burlesques intitulés Déroute des troupes de Mazarin, vue en songe. Parlement, noblesse et peuple rivalisèrent de zèle pour la commune défense. Une pièce, Serment de l'union des princes et seigneurs ligués ensemble pour le bien public, contre le mauvais gouvernement de Jules Mazarin, fut signée (18 janvier) chez le duc de Bouillon, parle prince de Conti, le duc de Longueville, le duc de Beaufort, le duc d'Elbeuf, le duc de Bouillon, le duc de Brissac, le maréchal de la Motte, le marquis de Noirmoutier, etc. Frédéric Maurice de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, dont le proverbe disait : S'il commande, rien ne bouge, inspira alors à Marigny un triolet commençant par ces deux vers :

Admirons monsieur de Bouillon

C'est un Mars, quoiqu'il ait la goutte.

Le 12, une descente avait été opérée chez les banquiers de Mazarin ; le même jour, un arrêt du parlement avait ordonné l'expropriation nécessaire pour fortifier par des retranchements les faubourgs de Paris, pendant que la ville requérait les carriers, plâtriers et autres de fournir incessamment les matériaux nécessaires pour les réparations et fortifications de la capitale, et exigeait, à peine de punition, le travail immédiat des maçons, manouvriers et autres.

Les levées de soldats s'effectuèrent promptement ; les nombreuses armes de l'arsenal servirent. Et l'on riait, et l'on plaisantait ! Vingt conseillers qui avaient donné chacun quinze mille livres à l'armée parisienne, furent appelés les Quinze-Vingts. Défense, sous peine de la vie, de se déguiser pour quitter la capitale. Toute maison à porte cochère dut fournir un cavalier monté et équipé, ou 150 livres ; ce fut ce qu'on nomma la cavalerie des portes cochères. Toute maison à petite porte équipa un fantassin, ou donna 30 livres. Chaque cavalier reçut 40 sous par jour de solde ; chaque fantassin, 10 sous. Bientôt un gros régiment de cavalerie se forma, avec le marquis de la Boulaye pour chef (13 janvier), et le coadjuteur posséda un régiment d'infanterie, connu sous le nom de Régiment de Corinthe, par allusion au titre du maitre, archevêque de cette ville. Tant de soldats improvisés demandaient a être exercés : il parut une Instruction prompte et facile aux Parisiens pour bien apprendre l'exercice du mousquet et de la pique, et les rendre parfaits en l'art militaire. Sorte de théorie à l'usage des milices bourgeoises, qui portaient écrit sur leurs drapeaux : QUÆRIMUS REGEM NOSTRUM — Nous cherchons notre roi.