HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

CHAPITRE III.

 

 

Mazarin est placé à la tête du conseil. — Jalousies que ses succès font naître. — Beaufort, chef de la cabale des Importants. — Ses manières ; ses cinq cents gentilshommes. — Le personnel de la cour, en 1643. — Les étoiles galantes. — Madame de Montbazon et son second mari. — Intrigues de femmes. — Coligny et madame de Longueville. — Collation au Jardin-Renard. — Ruine des projets de Beaufort. — L'important est arrêté. — Plus de cabale. — Dénouement dramatique des amours de Coligny et de madame de Longueville.

— De mai 1643 au 1er janvier 1644 —

 

Quel coup pour le plus grand nombre des courtisans ! Au moment où ils croyaient le cardinal prêt à passer les monts, où ils espéraient triompher dans la personne du duc de Beaufort, devenu favori en titre, où ils touchaient à une belle et bonne réaction contre la politique de Richelieu, voici que, par enchantement, le protégé de Richelieu marche à la tête du conseil (8 mai 1643) !

Augustin Potier, frère du président de Blancménil, était le grand aumônier d'Anne d'Autriche, qui, autrefois, avait trouvé des consolations dans ses paroles, assurait-on. Saint homme, mais politique incapable, Potier se montrait tellement étranger aux affaires d'État, que, quand la reine lui présentait des dépêches, il ne pouvait donner de réponse sur aucune. Présomptueux comme la plupart des gens médiocres, cet évêque disait que le royaume n'était pas plus difficile à gouverner que ses curés. Ce pauvre esprit s'était avisé un jour de signifier à l'ambassadeur des Provinces-Unies que les Hollandais ne devaient plus compter sur les secours de la France, à moins qu'ils ne se fissent catholiques. Les Hollandais n'avaient point goûté les conditions du ministre-convertisseur, lequel, ne doutant de rien, et tranchant tout avec la légèreté de l'ignorance, ne pouvait jamais acquérir l'expérience politique que donne le maniement habituel des affaires. Potier, après s'être employé, dans sa fatuité comique, à empêcher le parlement de frapper les ministres de la tyrannie passée, afin, disait-il, de ne pas dérober à la régente la glorieuse mission de les expulser elle-même, Potier se vit remplacer par Mazarin. Anne d'Autriche essaya de calmer le désespoir d'Augustin Potier, en lui promettant le chapeau de cardinal : c'était la promesse banale du temps.

Claude Bouthillier perdit l'administration des finances confiée au président de Bailleul, à qui l'on adjoignit Claude de Mesmes, comte d'Avaux, avec Particelli d'Emery pour contrôleur général en nom et pour surintendant en fait. Chavigny, fils de Bouthillier, perdit sa charge de secrétaire d'Etat, donnée au comte de Brienne, mais il resta gouverneur du château de Vincennes, où il se retira. Charles de l'Aubespine, marquis de Châteauneuf, disgracié, emprisonné par Richelieu, ne recouvra la liberté que pour demeurer, par ordre, dans sa maison de Montrouge. Presque en même temps, Paul de Gondi, ambitieux libertin que le cardinal voulait s'attacher par prudence, eut la coadjutorerie de Paris et fut nommé archevêque de Corinthe, dignité sans valeur à ses yeux.

Agé de quarante et un ans à peine, Mazarin disposait tout avec une activité remarquable. Ses amis provisoires trouvèrent bien vite que sa fortune devenait trop personnelle, qu'il continuait trop évidemment Richelieu, leur persécuteur, dont ils n'avaient pu faire condamner la mémoire ; qu'il ne leur laissait qu'une part infime, pour ne pas dire nulle, dans l'administration du royaume. De là, murmures d'abord, puis envie, cabale enfin ; de là, les prétentions élevées et les actes insensés du parti des importants, le premier qui se soit montré sous la régence d'Anne d'Autriche.

Dans ce parti figuraient des mécontents de cent espèces, et avant tout le duc de Beaufort, que la reine avait rappelé d'Angleterre et reçu avec la plus grande faveur, qu'elle avait publiquement déclaré le plus honnête homme de France. En effet, la veille de la mort de Louis XIII, elle lui avait confié, devant toute la cour, le dauphin et le duc d'Anjou, qu'elle craignait de voir enlever par le duc d'Orléans ou par le prince de Condé, dans le cas où ces deux collatéraux de la régence eussent cherché à prendre les enfants royaux comme otages, pour se mettre à la tête du gouvernement.

Beaufort, possesseur d'un secret dont l'aveu eût, dit-on, compromis Anne d'Autriche, lors de la conspiration de Cinq-Mars, avait gardé un silence tout chevaleresque ; Beaufort, Louis XIII étant expiré, avait conduit à Paris la régente et le jeune roi, reçus au haut du Roule par le duc de Montbazon, gouverneur de l'Ile-de-France ; Beaufort, à Saint-Germain, s'était vu donner le commandement suprême des-troupes dans l'intérieur du château. C'était trop d'honneur pour qu'il ne s'exagérât pas son mérite. Déjà le vieux prince de Condé avait protesté contre les allures de ce petit-fils de Gabrielle d'Estrées ; il était arrivé un jour que Beaufort, ayant eu à avertir le prince de sortir d'un appartement, celui-ci avait répondu qu'il obéirait aux ordres qui lui seraient transmis par un capitaine des gardes, mais qu'il n'en avait pas à recevoir du duc de Beaufort. Des pointes de jalousie existaient entre les maisons de Condé et de Vendôme, et bientôt la mésintelligence éclata aussi entre Beaufort et le duc d'Enghien. Nous aurons occasion d'en parler, car l'époque frondeuse est celle des grandes ruptures pour les petites inimitiés.

A côté de Beaufort se rangèrent les ducs de Guise et d'Epernon, les maréchaux de Vitry et de Bassompierre, hommes aigris ou fatigués d'esprit ; Augustin Potier, le duc de Retz, le marquis de la. Châtre, les comtes de Fiesque et d'Aubijoux, Béthune, Fontrailles, Beaupuy, la marquise de Senecé, madame de Hautefort, mademoiselle de Saint-Louis, le président de Blancménil, Châteauneuf, etc. Aussitôt son importance l'exalta. Il voulut gouverner l'État ; mais, selon Retz, il en était moins capable que son valet de chambre. Loin d'avoir toute la prudence qui se pouvait souhaiter, comme dit la Châtre, il s'enivra, il s'oublia, il perdit le jugement ; aussi le coadjuteur Gondi refusa-t-il d'entrer dans une intrigue qu'il regardait comme extravagante. Beaufort, assez fou pote penser qu'Anne d'Autriche le ménagerait par reconnaissance du passé, s'affranchit des lois de la stricte politesse, s'avisa de tourner parfois le dos à la régente quand elle lui parlait, ou de lui répondre par des sarcasmes. Tantôt il brava ouvertement Mazarin ; tantôt il prit plaisir à s'aliéner Gaston d'Orléans, en affectant de ne pas saluer son favori La Rivière. Or, Louis Barbier, abbé de La Rivière, ancien régent du collège de Plessis, et qui devint évêque de Langres, était l'âme damnée de Gaston. Ne pas honorer le valet, méprisable mais chéri à cause de ses complaisances vicieuses, c'était pour ainsi dire insulter le maitre.

Les importants et leur chef avaient soif d'émotions politiques. Leur manie, selon madame Cornuel, était de dire toujours qu'ils s'en allaient pour affaire d'importance. L'escorte de Beaufort se composait de cinq cents gentilshommes ; le roi n'en possédait pas davantage.

Pour ces meneurs si gravement légers que suivaient partout, d'après l'usage, un grand nombre de gens armés, et qui, dans de fréquentes réunions, assemblaient parents, amis et domestiques, la cour d'alors offrait un vaste champ-clos et de puissantes ressources. Sous Louis XIII on y menait vie austère ; maintenant on y cherchait et trouvait le plaisir. Les jeunes gens y abondaient, y jetaient le plus brillant éclat. En 1643, le duc d'Enghien, âgé de vingt-deux ans, jouissait déjà d'une haute réputation militaire ; Beaufort avait vingt-sept ans, Guise vingt-neuf, Nemours dix-huit, Turenne trente-deux, Marsillac trente, Gondi vingt-neuf ; Mazarin lui-même, nous l'avons déjà dit, n'atteignait qu'à sa quarante-unième année.

Les princesses étaient belles, peu cruelles aussi. La duchesse de Longueville rayonnait de ses vingt-quatre ans, au milieu de femmes plus âgées qu'elle, et par conséquent envieuses. Madame de 3lontbazon passait un peu la quarantaine. Les duchesses de Bouillon, de Chevreuse, de Châtillon et de Nemours étaient éblouissantes de beauté. On déclarait presque officiellement que madame de Montbazon était une des galantes dames de la cour, aussi bien que la duchesse de Chevreuse, et qu'elle défaisait toutes les autres au bal. Malgré son grand nez et sa bouche un peu enfoncée, sa stature colossale, madame de Montbazon possédait un teint si blanc, des cheveux si noirs, et elle avait tant de majesté ! Point ne manquait-elle d'amants, — successivement les ducs de Chevreuse, de Saint-Simon et de Beaufort. On les lui pardonnait, à cause de la niaiserie de son mari, qui s'avisa un jour de dire à la reine : Madame, laissez-moi aller trouver ma femme, elle m'attend, et dès qu'elle entend un cheval, elle croit que c'est moi. Et une autre fois il répondit à la même reine qui lui demandait quand sa femme accoucherait : Ce sera quand il plaira à Votre Majesté.

Marie d'Avaucour, seconde femme d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon, gentilhomme très avancé en âge et vivant dans la retraite, recevait présentement les soins de Beaufort, qui se constitua éperdument son champion. Madame de Montbazon était parvenue au plus haut degré de la dépravation. Je n'ai jamais vu personne, dit Retz, qui ait montré dans le vice si peu de respect pour la vertu. Belle-mère de la duchesse de Chevreuse, et pourtant plus jeune qu'elle, madame de Montbazon fit cause commune avec sa belle-fille, qui, mariée successivement au connétable de Luynes, favori de Louis XIII, puis au duc de Chevreuse, prince de Lorraine, était issue du premier mariage du duc de Montbazon. Madame de Chevreuse avait été bien longtemps l'amie intime d'Anne d'Autriche ; mais, après avoir passé dix-huit années en exil par l'ordre du feu roi, elle ne trouva plus, au retour, dans la régente, qu'une souveraine sérieuse et dévote.

Cette alliance des deux étoiles galantes de la cour, — la Chevreuse et la Montbazon, — était grosse d'orages. Près de l'une et de l'autre se groupaient les élégants de l'armée, lorsqu'ils reparaissaient momentanément dans Paris. Les jolies bouches de madame de Chevreuse et de madame de Montbazon ne s'ouvraient guère que pour deviser d'amour ou pour débiter des moqueries contre Mazarin, l'Italien, le faux gentilhomme romain, le fils d'un banqueroutier sicilien, l'aventurier.

Une circonstance inattendue, un véritable épisode de roman donna aux choses une tournure plus grave, et jeta de l'huile sur le feu dont brûlait le duc de Beaufort.

La fille du vieux prince de Condé, la sœur du glorieux duc d'Enghien, la femme du duc de Longueville, l'emportait sur toutes ses rivales en grâce et en beauté sympathiques. De là une jalousie implacable née contre elle aux cœurs de mesdames de Montbazon et de Chevreuse, qui la recevaient avec des arrière-pensées.

Le coup éclate. Dans la chambre de la duchesse de Montbazon, d'où vient de sortir Maurice de Châtillon (août 1643), comte de Coligny, on trouve par terre deux lettres sans adresse, passionnées, bien écrites et d'un beau caractère de femme. Voici le contenu de l'une d'elles : J'aurais beaucoup plus de regret du changement de votre conduite, si je croyais moins mériter la continuation de votre affection. Tant que je l'ai crue véritable et violente, la mienne vous a donné tous les avantages que vous pouviez souhaiter. Maintenant n'espérez autre chose de moi que l'estime que je dois à votre discrétion. J'ai trop de gloire pour regretter la passion que vous m'avez si souvent jurée, et je ne veux vous donner d'autre punition de votre négligence à me voir que celle de vous en priver tout à fait. Je vous prie de ne plus venir chez moi, parce que je n'ai plus le pouvoir de vous le commander.

Aussitôt, grâce à madame de Montbazon, la malveillance va son train : ces deux lettres sont tombées de la poche du comte de Coligny ! Ces deux lettres sont évidemment écrites par la sage et vertueuse Longueville !

Chacun sut bien, plus tard, qu'il n'y avait rien de compromettant en tout cela pour la fille du prince de Condé. Mais, au moment de la mystérieuse découverte, deux camps se formèrent. Il y eut jusqu'à quatorze princes, Beaufort en tête, qui offrirent de prêter leur épée et leur crédit à madame de Montbazon. La duchesse de Longueville eut moins de défenseurs ; mais parmi eux figura le héros de Rocroi. En outre, la princesse de Condé se plaignit à la reine régente des attaques portées à l'honneur de sa maison. Il se fit une sorte de réconciliation ou d'amende honorable entre cette princesse et la duchesse de Montbazon, réconciliation plus qu'imparfaite, car peu après, dans le jardin Renard, situé à l'extrémité des Tuileries, sur les bords de la Seine, où Anne d'Autriche avait accepté de la duchesse de Chevreuse une collation, un débat très vif s'éleva à propos de la présence de madame de Montbazon dans un lieu où venait la princesse de Condé. La collation manqua, et la reine régente elle-même dut se retirer sans avoir rien mangé.

Le dénouement de cet incident, si futile en apparence, eut une portée politique, parce qu'il coïncidait avec une machination de Beaufort, qui recherchait le renom de profond conspirateur. Chez ce duc, écrit Retz, tout avait pris un certain air de complot. On tenait cabinet mal à propos ; on donnait des rendez-vous sans sujet ; les chasses même paraissaient mystérieuses. Il était excité en secret par madame de Chevreuse et par Châteauneuf, par des amis aventureux, Saint-Ibar, Montrésor, Beaupuy, Fontrailles, Fiesque et Béthune. Grand bruit pour peu d'effet, sans doute ; néanmoins il fut question, dans ces conciliabules, d'un coup de main contre le cardinal-ministre, que l'on devait tuer. Déjà plusieurs occasions d'exécuter le complot avaient manqué. Mazarin semblait ne redouter rien. Anne d'Autriche, plus préoccupée par les menées des importants, conseillait au cardinal de surveiller ses ennemis, et, au besoin, d'agir contre eux avec rigueur.

Les différentes scènes relatives aux lettres prétendues écrites par madame de Longueville, fournirent à la reine régente un excellent prétexte à ruiner la cabale. Après la collation si pleine de malencontres au jardin Renard, Anne d'Autriche prit parti pour la maison de Condé, sans s'inquiéter de paraitre de plus en plus ingrate aux yeux de madame de Chevreuse et du duc de Beaufort, qui, de son côté, ne garda aucun ménagement dans sa mauvaise humeur, et continua ses trames contre la vie de Mazarin. La puissance du cardinal, directement opposé à Beaufort, était la ruine de celui-ci.

L'étourdi ! l'imprudent ! ses projets d'assassinat étaient ébruités, et la moindre faute le pouvait perdre. Loin de s'observer devant la reine régente, Beaufort abusa une dernière fois de son importance. Le 1er septembre 1643, Chavigny, le gouverneur de Vincennes, l'ancien secrétaire d'État, offrit une brillante collation, dans le bois, à Anne d'Autriche qui espérait bien ne pas voir se renouveler là une scène pareille à celle du jardin Renard, mais se divertir à son aise, en petit comité. Au milieu des visages gais et d'une cour toute gracieusement animée, Beaufort paraît, peu disposé, fronçant les sourcils, l'air chagrin, comme un méchant trouble-fête. Il déplaît à la reine régente, qui le reçoit mal, assez mal pour le déterminer à reprendre la route de Paris.

Suivant son caractère, le duc irrité, exaspéré, s'en vient au Louvre questionner, menacer peut-être Mazarin, à un tel point que le cardinal se munit d'une nombreuse escorte pour rentrer dans sa demeure, et que chacun se demande si l'heure de l'assassinat du ministre a sonné. En vérité, les façons de Beaufort dépassent toute mesure. Cette fois, il faut sévir, pense Anne d'Autriche ; il faut punir cet ébouriffant gentilhomme, dont les extravagances mettent en émoi la cour et la ville. Le champion amoureux de madame de Montbazon devient par trop insupportable. Que la galante dame ait à se pourvoir d'un autre amant, car celui-ci va disparaître !

Mazarin se laisse persuader, et, dès le lendemain soir, le capitaine des gardes de la reine arrête Beaufort, puis le conduit au donjon de Vincennes, pour qu'il y trouve, sous la garde de Chavigny, le calme nécessaire à son esprit agité. De plus le duc de Vendôme, père de l'important, reçoit l'ordre de quitter Confins, près Paris, et de se retirer à Anet ; son fils aîné, l'insignifiant duc de Mercœur, est prié d'aller vivre dans une de ses maisons provinciales. Madame de Montbazon, restée sans défenseurs, quitte la cour ; le marquis de Châteauneuf semble dangereux dans son château de Montrouge : on lui ordonne de se rendre en Berri. L'exil ou la prison frappent Béthune, Montrésor et autres. Le comte de la Châtre perd sa charge de colonel général des Suisses, remise à Bassompierre. Quelques jours après, l'évêque Potier regagne son diocèse de 'Beauvais, sans le moindre espoir de devenir cardinal ; la duchesse de Chevreuse, enfin, apprenant à ne pas trop compter sur une ancienne amitié royale, est reléguée à Dampierre, puis à Tours, d'où elle se retire en pars étranger. Un libelle suppose tout gratuitement que, si le petit-fils de Henri IV a été arrêté, c'est parce qu'il a surpris Mazarin dans la ruelle de la régente.

Le menu monde des importants se disperse. Toute la cabale s'évanouit, depuis son chef, regardé cinq mois auparavant par Anne d'Autriche comme le brave de la cour, comme le gardien du trône, comme le protecteur de la régente, jusqu'aux plus minces gentilshommes, dont le mécontentement se compose, pour un quart, d'ambition et d'envie, et d'incapacité pour trois quarts. La queue des révoltés du dernier règne est coupée.

En expirant, la cabale des importants montra combien elle avait été faible pendant son existence, et l'inanité de ses rêves sur le retour d'un passé que Richelieu avait pour toujours anéanti ; la bourgeoisie, c'est-à-dire le parlement, ne participa point à ses intrigues et ne s'émut nullement de sa défaite honteuse ; le peuple en ignora presque le nom. Seulement, par leur amour irraisonné des choses passées, les importants donnèrent aux parlements l'amour exagéré d'un avenir impossible, des pensées de gouvernement qui ne tardèrent pas à se faire jour, le désir trop hâtif de continuer, au profit de la bourgeoisie, l'œuvre que Richelieu avait commencée au profit de la royauté. Si l'emprisonnement de Beaufort produisit, au dire des mémoires contemporains, un immense effet de terreur, ce fut principalement sur la noblesse. Elle se rappela le premier acte déclaratif de la puissance de Richelieu, — l'emprisonnement du duc de Vendôme (1626), en voyant le premier acte d'autorité de Mazarin, — l'emprisonnement du duc de Beaufort (1643). Elle craignit de voir renaître l'époque sanglante pendant laquelle ses rangs avaient été bien cruellement décimés ; les ombres de Marillac, de Cinq-Mars et de De Thou lui apparurent. Crainte puérile : Mazarin ne voulait pas frapper avec le glaive, comme son prédécesseur, et le règne de la force, nous l'avons déjà dit, faisait place au règne de la ruse.

Remarquez, en effet, qu'au moment où Beaufort est enfermé dans Vincennes, pour y rester cinq années prisonnier, Anne d'Autriche joue encore une petite comédie, et pleure, en se couchant, sur les belles qualités de celui qu'elle a ordonné d'arrêter, après avoir parlé chasse avec lui ; remarquez aussi que Mazarin, dans une lettre signée du roi, officiellement envoyée en France et à l'étranger, explique les causes de sa fermeté, pour qu'on la lui pardonne, et déclare que la reine a inutilement employé la douceur et les bienfaits pour divertir les mauvais desseins de quelques esprits... qu'elle s'est fait Violence de quitter les mouvements de la bonté qui lui est si naturelle pour entrer dans ceux de la justice et dans les moyens fâcheux d'une précaution nécessaire, etc.

Si l'on versa du sang pendant la durée de la cabale des importants, il faut s'en prendre à la rivalité de la maison de Vendôme et de celle de Condé ; ce fut le second dénouement de l'épisode des lettres trouvées chez madame de Montbazon. Où la politique avait été bénigne, l'amour-propre des femmes fit naître de tristes complications.

Après l'affront fait à sa sœur, le duc d'Enghien avait envoyé un cartel à Beaufort ; mais de hautes influences, outre l'emprisonnement du coupable, les avaient empêchés de se battre. Cinq mois plus tard, un duel fut décidé, pour la même cause, entre le comte de Coligny et le duc de Guise, petit-fils du Balafré, chef de la maison de Lorraine, et ami de Beaufort (12 décembre 1643). Il eut lieu en plein jour, dans la place Royale, rendez-vous ordinaire de la belle société. Lutte sérieuse, terrible. Guise et Coligny se battirent à l'épée et au poignard, en présence de la duchesse de Longueville qui, assure-t-on, vit le combat, cachée derrière une fenêtre. Blessé, désarmé, réduit à demander la vie, Coligny devint l'objet des railleries de la cour et de la ville. Une épigramme, faisant allusion aux deux lettres dont il a été parlé plus haut, engagea la duchesse à se consoler de ce que son amant avait demandé la vie, puisque c'était pour elle qu'il voulait vivre. Accusé presque de lâcheté, mais vengé dans l'histoire par Turenne, qui pria de faire compliment au maréchal de Châtillon sur l'affaire de son fils, Coligny expira quelques mois après des suites de sa blessure ; ou bien, prétendirent certaines mauvaises langues, il mourut du chagrin d'avoir obtenu grâce de la vie.