LES BOURBONS DE FRANCE

HENRI IV, LOUIS XIII, LOUIS XIV, LOUIS XV, LOUIS XVI, LOUIS XVIII, CHARLES X, LOUIS-PHILIPPE Ier, LE COMTE DE PARIS

 

LOUIS XVI.

 

 

Lorsque Louis XVI, le plus honnête homme de son temps, devint roi de France, le vent des révolutions, longtemps déguisé sous le masque de l'esprit de réformes, soufflait sur tout le royaume, entraînant la cour, la ville, la noblesse et le peuple dans une danse macabre sociale, politique et religieuse, surtout sociale. Sans doute il n'avait pas l'énergie que réclamaient les circonstances. Mais quelle force humaine résiste à la violence des ouragans, lorsqu'ils sont déchaînés ?

Louis XVI avait le désir et la volonté des améliorations et des modifications que la marche de la civilisation et du temps avaient rendues opportunes. S'il fût monté sur le trône de saint Louis dans une époque de calme, on aurait vu se réaliser, sous son règne, les progrès réellement désirables, les réformes réellement utiles. On aurait vu l'alliance, encore irréalisée, de l'ordre et de la liberté, qui ne devait exister dans toute sa sincérité, sous le règne de Louis-Philippe Ier, que pour disparaître dans la tourmente du 24 février 1848.

Si Louis XVI n'eut pas la force de dominer les passions, dont le débordement allait amener le règne de la Terreur, les crimes de la Convention et la démoralisation du Directoire, il fit cependant deux actes dont ses bourreaux ont bénéficié : il constitua fortement l'armée et il reconstitua la marine. C'est à lui qu'on doit l'indépendance des États-Unis d'Amérique et la formation des régiments qui ont repoussé les invasions de 1792 et de 1793.

La cour de Versailles revint vite avec Louis XVI, aux convenances trop oubliées par Louis XV, mais il fallut aussi reconstituer le gouvernement ou le ministère. Cette mission échut à Jean-Frédéric Phélippeaux, comte de Maurepas, qui rappela et rétablit le parlement de Paris dans l'ancienne organisation que Maupeou avait modifiée. Il eut une idée plus heureuse, celle d'appeler à collaborer avec lui Malesherbes, qui devint plus tard ministre de la maison du roi, et Turgot, qui fut contrôleur général des finances.

L'effort réuni de ces trois hommes de bonne volonté ne put suppléer à la faiblesse de l'autorité royale, que le parlement de Paris, à peine-reconstitué, se mit à battre en brèche.

Le 11 juin 1775, on sacra dans la cathédrale de Reims Louis XVI, avec le cérémonial accoutumé. Qui prévoyait alors le 21 janvier 1793 ?

Triste récit à faire, à grands traits, que celui des dix-huit années qui ont séparé le sacre et le martyre.

La question financière était la question grave. Elle faisait oublier les résistances du parlement de Paris et les démêlés du clergé de France, qui ressuscitaient, comme, à chaque période nouvelle, sans utilité et sans résultat, à un moment où toutes les forces monarchiques et religieuses auraient dû se grouper avec un dévouement absolu autour de la royauté, vraie sauvegarde de la justice comme de la religion.

C'est alors qu'apparut un autre Law, plus désintéressé, plus pratique, mais également présomptueux, surtout amoureux de popularité, Jacques Necker, banquier et protestant, né à Genève. Son grand mérite est d'avoir été le père d'une femme célèbre, à juste titre, Mme de Staël, d'un très grand mérite littéraire.

Deux fois démissionnaire, deux fois disgracié, deux fois rappelé, Necker alla mourir, sur les bords du lac Léman, dans sa résidence de Coppet, en septembre 1790, n'ayant pu surmonter des difficultés qui, d'ailleurs, étaient peut-être insurmontables, mais du moins estimable et estimé, malgré son impuissance financière.

Le contrôle général des finances que Necker occupa trois fois, sous divers titres, fut souvent confié à des mains plus incapables et plus insuffisantes, qui devaient faire regretter son départ et son absence. Ainsi, Charles-Alexandre de Calonne ne traversa ce poste important que pour y laisser des souvenirs détestables de prodigalités folles, dissimulées par des expédients ruineux. Il eut l'aplomb de convoquer en 1787 les Notables pour leur demander de voter ces expédients. Ils refusèrent et il fut exilé.

C'est vers cette époque que la cour et la ville firent un succès extravagant au Mariage de Figaro de Beaumarchais, qui fut joué malgré Louis XVI, qui eut un grand nombre de représentations et qu'une société aveugle venait applaudir à outrance, sans s'apercevoir que c'était la sanglante satire de ses travers et de ses vices.

La diplomatie était plus habilement dirigée par Charles Gravier, comte de Vergennes, héritier de l'idée de Henri IV, de Richelieu, de Mazarin et de Louis XIII, poursuivie par Louis XIV ; il eut le talent de grouper sous la protection de la France une union des États secondaires. Les deux ministres de la guerre et de la marine étaient alors, le premier, Philippe Henri, marquis de Ségur, le second, Charles-Eugène de Lacroix, marquis de Castries. Ils préparèrent avec beaucoup de célérité la campagne de 1781, qu'avait précédée, dès 1774, une guerre maritime, bientôt suivie de la guerre continentale de 1779.

En 1763, la France ne possédait plus au delà de l'Atlantique que les pêcheries de Terre-Neuve et les îles à sucre des Antilles.

Plus tard l'Angleterre eut dans l'Amérique du Nord des différends, inévitable conséquence des victoires qui lui avaient donné dans ces contrées une extension de puissance excessive. Les États-Unis cherchaient des alliés contre elle. Leur délégué Franklin vint en France, en 1776.

L'année suivante, Marie-Jean-Paul-Roch-Yves-Gilbert du Motier, marquis de Lafayette, gendre du duc d'Ayen, fils aîné du duc de Noailles, et alors en garnison à Metz, eut, selon ses expressions, son cœur enrôlé pour la cause des États-Unis insurgés contre l'Angleterre. Il se rendit en Amérique sur un bâtiment équipé à ses frais.

Ce n'était là qu'un acte d'initiative privée. Il fut bientôt suivi de deux traités secrets que Franklin signa avec la France, au palais de Versailles, le 6 février 1778, l'un d'alliance commerciale, l'autre d'alliance offensive. L'Espagne était appelée à y adhérer.

Ces deux traités, quoique secrets, furent connus à Londres. On y vit une déclaration de guerre. La lutte fut immédiatement engagée, au moment même où Joseph II entama, à la mort inopinée de l'électeur de Bavière, une guerre de succession qui se termina à' sa confusion et dans laquelle il avait essayé d'entraîner Louis XV[, que Vergennes détourna de cette aventure.

Vergennes était tout entier à la guerre maritime, qui s'étendait en 1778 à toutes les mers et dans laquelle l'Espagne était enfin entrée.

On était ainsi arrivé, sans résultat décisif, à 1781. C'est alors que les marquis de Ségur et de Castries, entrés dans les conseils du gouvernement, après la première retraite de Necker, activèrent les opérations de la campagne. La Hollande venait de s'allier à l'Espagne et à la France contre l'Angleterre, qui avait eu des succès, mais qui était à bout de ressources.

La guerre de l'indépendance des États-Unis coûtait à cette puissance deux milliards cinq cent millions de francs. Sous l'impulsion de James Fox, troisième fils de lord Holland, chef de l'opposition wigh, dans le parlement de Londres, la paix fut décidée et réalisée, en 1782 et en 1783, par des traités séparés, selon l'usage.

La grande république de l'Amérique du Nord était fondée.

Joseph II essaya encore de troubler la paix du continent. Vergennes sut la maintenir. II conclut des traités de commerce avec la Hollande, avec l'Angleterre, avec la Russie, traités tous avantageux, qui étendaient au dehors les relations commerciales de la France.

C'est dans cette même période de paix que l'on commença le port de Cherbourg, et que la Pérouse entreprit son exploration dans les mers du Nord, où il disparut au milieu des glaces.

Le flot des embarras intérieurs montait toujours. Après avoir essayé de tous les sauveurs et de tous les expédients, on s'arrêta enfin à l'idée de convoquer à Versailles les États généraux, et en même temps il fut décidé que le nombre des députés du Tiers serait double du nombre des députés de la Noblesse et des députés du Clergé.

Le 5 mai 1789 était le jour fixé pour la Réunion des États généraux qui allaient devenir l'Assemblée nationale constituante. Les députés des trois ordres se rendirent en corps dans l'église Saint-Louis. Puis ils se réunirent dans la salle des Menus, où se tint la séance d'ouverture.

Le Roi, dit Marmontel, dans tout l'appareil de sa majesté, accompagné de la reine et des deux princes ses frères, des princes de son sang, des pairs de son royaume, des officiers de la couronne, de son garde des sceaux, et du ministre des finances, se rendit à la salle des États assemblés. Il parut avec une dignité simple, sans orgueil, sans timidité, et ayant sur le visage le caractère de bonté qu'il avait dans le cœur.

Le deuil devait bientôt entrer dans la famille royale. Louis XVI et Marie-Antoinette perdirent, le 4 juin 1789, leur fils aîné qu'ils allèrent pleurer à Marly, dans la retraite.

Le savant Jean-Sylvain Bailly avait demandé à présenter à Louis XVI une députation du Tiers dont il avait été nommé le doyen. La maladie soudaine du Dauphin ne permettait pas de satisfaire à cette requête : c'est à cette occasion que Louis XVI écrivit, le 3 juin 1789, au garde des sceaux.

Mais il nous faut rentrer dans l'exposé des faits politiques qui allaient se succéder avec une rapidité effrayante.

Il y eut de longues discussions sur l'importante question, restée indéterminée, qui consistait à savoir si les trois Ordres délibéreraient séparément, comme le désirait la Noblesse, ou ensemble, comme l'exigeait le Tiers, dont le Clergé partageait l'opinion.

Le 17 juin 1789, sur la proposition de Siégés, qui fut un fabricant de constitutions, le Tiers se déclara Assemblée nationale constituante. La salle des États fut alors fermée.

Les députés du Tiers se réunirent, trois jours après, à la salle du jeu de Paume, où ils firent le serment, resté célèbre, de ne pas se séparer, sans avoir doté la France d'une constitution.

Le 23 juin 1789, il y eut une séance royale. Les trois Ordres reçurent l'injonction de délibérer, séparément, le lendemain. Louis XVI se retira suivi d'une fraction des députés de la Noblesse et du Clergé. Le Tiers resta en séance.

C'est alors que se produisit cet incident connu du langage de Mirabeau disant au marquis de Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies, qui venait renouveler aux députés du Tiers, l'ordre de se retirer : Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple, et que nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes.

Il n'y avait qu'une réponse à faire à cette rébellion. Il fallait dissoudre et disperser par la force les États généraux. On ne l'osa pas. La Révolution était faite.

Le 14 juillet 1789, date qui est aujourd'hui celle d'une fête qualifiée de fête nationale, prouva qu'en effet la révolution était faite. On prit la Bastille, ce qui n'était pas un malheur. Le gouvernement aurait dû la démolir lui-même ; elle ne répondait plus ni aux mœurs, ni aux idées, ni aux nécessités de l'époque.

Ce qui fut un mal, c'est que cette prise de la Bastille fut accompagnée d'assassinats, c'est qu'elle fut un acte de violence, c'est qu'il y eut deux victimes innocentes : Jacques de Flesselles et Bernard de Launay, massacrés par une foule affolée, sans même que leur mort fût nécessaire, fût utile au facile triomphe de l'émeute.

Les événements devaient désormais marcher vite vers le lugubre dénouement du 21 janvier 1793. Il y eut cependant bien des entr'actes qui prouvèrent qu'il n'eût pas été impossible de réformer législativement la France, toujours attachée à l'ordre autant qu'à la liberté, à la royauté comme à la religion.

Ainsi, le lendemain de la prise de la Bastille, Louis XVI se rendit à la Constituante qui siégeait en permanence. On y avait résolu à l'avance de l'accueillir avec froideur et en silence ; et cependant, dès qu'il parut, le cri de : Vive le Roi, sortit spontanément de toutes les bouches. Il retourna après au palais. Tous les députés l'escortèrent. La population de Versailles se joignit à eux, et on se rendit en foule à la chapelle où un Te Deum fut chanté.

C'était un rayon de soleil perçant des nuages où s'amassaient la foudre, les éclairs, l'ouragan. On s'agitait toujours à Paris où on chantait le Ça ira, dans les rues, en même temps qu'on s'y occupait des élections municipales, élections d'où sortit la trop célèbre commune de Paris, de si triste mémoire. Le doyen du Tiers fut élu maire par acclamation ; on fit de La Fayette le commandant de la milice, qui devint la garde nationale, et qui prit la cocarde tricolore au lieu de la cocarde blanche.

Le 1er août 1789, la Constituante ouvrit la discussion sur la déclaration des droits, qui devait servir de préambule à la constitution, préambule qui consacrait onze principes fondamentaux indiqués dans tous les cahiers. Les voici :

Le gouvernement français est un gouvernement monarchique ;

La personne du Roi est inviolable et sacrée ;

La couronne est héréditaire de mâle en mâle ;

Le Roi est dépositaire du pouvoir exécutif ;

Les agents de l'autorité sont responsables ;

La sanction royale est nécessaire pour la promulgation des lois ;

La nation fait la loi avec la sanction royale ;

Le consentement est nécessaire à l'emprunt et à l'impôt ;

L'impôt ne peut être accordé que d'une séance d'États généraux à l'autre ;

La propriété sera sacrée ;

La liberté individuelle sera sacrée.

La Constituante allait se signaler par un grand acte, qui devait laisser un grand souvenir. Dans la séance du soir du 4 août 1789, les députés de la Noblesse, les députés du Clergé et les députés du Tiers, dans un général et merveilleux élan spontané d'abnégation proposèrent et votèrent successivement les résolutions suivantes : répartition des charges publiques entre tous les citoyens également déclarés admissibles à tous les emplois ; abandon de tous les privilèges, quelle qu'en fût l'origine, quel qu'en fût le caractère, sans en excepter les dîmes et les bénéfices ecclésiastiques, à la seule condition qu'il serait pourvu autrement au service du culte ; enfin, tous coupables, quel que fût leur rang, soumis aux mêmes peines.

C'était l'égalité civile dans toute son étendue, l'égalité devant la loi, devant l'impôt, devant la justice. Ah ! si la Révolution n'était pas sortie des sentiments qui ont inspiré les résolutions de la nuit du 4 août, on n'aurait qu'à se souvenir avec gratitude des hommes et des débats de la Constituante, on n'aurait pas à maudire les égarements de la Législative et les crimes de la Convention.

Tous les travaux et tous les débats de la Constituante n'ont pas été heureux. Mais elle a laissé une profonde empreinte dans les institutions de la France moderne. On ne peut nier, d'ailleurs, qu'elle ne brille encore dans l'histoire des Assemblées, par l'éclat qu'elle doit aux grands orateurs et aux esprits supérieurs qu'elle a comptés. De ce nombre furent le cardinal Jean Siffrein Maury, défenseur éloquent de la religion et de la royauté ; Antoine-Joseph-Marie Barnave, qui essaya vainement de fondre le parti monarchique et le parti révolutionnaire, en un seul parti constitutionnel libéral ; Jacques-Antoine-Marie de Cazalés, qui donna sa démission de député, avant l'achèvement de la Constitution, et qui fut, tant qu'il siégea, l'un des plus ardents défenseurs de l'autorité royale ; Jean-Joseph Mounier, qui proposa le serment du Jeu de Paume, mais que les journées d'octobre détournèrent de la politique, et qui, ayant échoué dans son projet d'établissement de deux Chambres, d'origine diverse, comme en Angleterre, se retira en Suisse ; Pierre Victorien Vergniaud, qui avait le don de la parole, mais qui versa dans la Révolution avec emportement, qui vota pour la mort dans le procès de Louis XVI, et qui montant à son tour sur l'échafaud, le 31 mai 1793, après la défaite parlementaire du parti des Girondins à la Convention, paya ce vote de sa tête.

La Constituante a établi la doctrine de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, doctrine salutaire qu'il serait sage de maintenir dans toute sa plénitude et toute sa vérité.

Un épisode très secondaire hâta le déchaînement des tempêtes populaires. Pendant qu'une disette sérieuse régnait dans Paris où l'on en rendait la cour et le ministère et même la Constituante responsables, Louis XVI fit venir à Versailles un régiment de Flandres dont les gardes du corps fêtèrent, selon l'usage, les officiers, le ter octobre 1789, dans la salle de spectacle du palais où on leur donna un banquet.

Louis XVI et Marie-Antoinette se montrèrent innocemment à cette fête toute militaire et toute fraternelle. Les Parisiens voulurent y voir une provocation, une menace.

Surexcitée par les écrits et les discours incendiaires d'orateurs et de' libellistes de bas étage qui ne méritent même pas d'être nommés, une bande d'énergumènes parmi lesquels se trouvaient des femmes, se portèrent de Paris au palais de Versailles, où ces bandits, lie de la populace, menacèrent les jours de Marie-Antoinette, et d'où ils arrachèrent, par leurs violences, pour la ramener de force au palais des Tuileries, toute la famille royale, otage au pouvoir des démagogues.

La Constituante, également partie de Versailles, vint s'installer à Paris, où elle dut continuer à siéger, aussi prisonnière que la famille royale, et comme elle, à la merci des événements, des clubs et des émeutes.

Le 4 février 1790, on put croire à l'union générale, à la conciliation universelle. Quelques démonstrations sympathiques pour la famille royale s'étaient produites à l'Hôtel de Ville et surtout à la Constituante.

Louis XVI voulut répondre personnellement à ces démonstrations par un acte public. Il se rendit à la Constituante sans v être annoncé. Il y tint, sur les questions du jour, un langage qui enthousiasma les députés. Tous se levèrent et prêtèrent un serment de fidélité à la nation, à la loi et au Roi.

Le duc d'Orléans était alors à Londres, en mission. Il adressa de cette ville, neuf jours après, au président de la Constituante, la lettre suivante, écrite de sa main :

Je vous prie de supplier l'Assemblée de vouloir bien recevoir mon adhésion formelle au serment que ses membres ont prêté le 4 de ce mois, et de trouver bon que comme eux, je jure d'être fidèle à la nation, à la loi, au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi.

Mirabeau dominait la Constituante par la fougue de son éloquence et la supériorité de son esprit. Il avait un rival au club des Jacobins, où François-Joseph-Maximilien-Isidore de Robespierre élevait tribune contre tribune et dont il avait fait un pouvoir public, irrégulier dans son origine, puissant par son influence dans Paris. Il devait bientôt rester seul.

Le 2 avril 1791, Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, mourut d'épuisement et de fatigue, avec le remords et la douleur d'avoir poussé, aux vibrations tonnantes de sa parole enflammée, la monarchie dans l'abîme des révolutions, sentant enfin qu'il y avait jeté avec elle la France elle-même.

La Constituante avait perdu son maître, le club des Jacobins conservait le sien.

La mort de Mirabeau consterna la Constituante où elle laissait un vide qui ne devait pas être rempli. Deux jours après, une foule immense accompagnait son cercueil que l'on conduisit, en grande pompe, à Sainte-Geneviève, devenue ce jour-là le Panthéon, en vertu d'un décret qui fit de cette église, œuvre de Soufflot, consacrée en 1761, sous Louis XV, au culte spécial de la patronne de Paris, une nécropole.

C'est donc le Démosthène de la France qui a inauguré cette nécropole.

La Constituante continuait à élever, pierre par pierre, l'édifice de sa constitution dont elle faisait sanctionner séparément par Louis XVI chaque partie, ce qui ne lui permettait pas d'en apprécier et d'en juger l'ensemble. Sa sécurité personnelle était d'ailleurs menacée en même temps que sa situation royale devenait intenable. Il résolut de sortir, sous un déguisement et par la fuite, du palais des Tuileries, avec la Reine, archiduchesse d'Autriche, qu'il avait épousée en 1770, et qui était fille de François Ier et de Marie-Thérèse ; avec son fils, le dauphin Louis-Charles, et sa fille, Marie-Thérèse-Charlotte, future duchesse d'Angoulême.

Partie le 20 juin 1791, la famille royale avait réussi à atteindre Varenne en Argonne, à quelques kilomètres de Verdun, en Lorraine. Là, elle fut arrêtée deux jours après son départ, sur la dénonciation d'un nommé Drouet, fils du maître de poste de Sainte-Menehould qui avait reconnu Louis XVI dans cette localité. Elle fut ramenée à Paris et réintégrée dans le Palais des Tuileries, ou pour mieux dire, dans sa prison préventive.

La Fayette a été le principal instrument de cette réinstallation, qu'il a déploré plus tard d'avoir provoquée. C'est lui qui, au lieu de laisser échapper la famille royale, comme il pouvait le faire, envoya sur toutes les routes des officiers porteurs de l'ordre de l'arrêter et de la ramener au siège du gouvernement.

Le voyage ou la fuite de Varennes suscita un orageux débat à la Constituante où un rapport fut fait par une commission élue en séance, sur cet incident. Le rapport concluait à un vote d'absolution.

Ces conclusions furent votées à une majorité très considérable. Robespierre seul les combattit dans un langage violent et passionné. La situation n'était donc pas encore tout à fait perdue.

Cette décision fut rendue le 15 juillet 1791, le lendemain de la fête de la fédération, qui fut célébrée au Champ de Mars et à laquelle assistait une foule immense. La province y était largement représentée par de nombreux délégués. Louis XVI siégeait sur un trône placé dans un pavillon de l'École militaire.

Au centre du Champ de Mars s'élevait un autel dit l'autel de la Patrie. Sur cet autel, on dit la messe. L'officiant était Charles-Maurice de Talleyrand Périgord, que Napoléon Ier devait faire prince de Bénévent, alors évêque d'Autun, et un des personnages les plus discutables et les plus discutés de la période qui a vu plusieurs régimes, à raison des rôles variés qu'il y a joués.

La messe terminée, La Fayette monta à l'autel où il prêta le premier le serment de la fédération. Ce serment fut répété par le président de la Constituante. Louis XVI suivit leur exemple. La foule l'acclama. Les délégués de la province étaient dans l'enthousiasme. Ils adoraient tous la famille royale et lui témoignaient, partout où ils se trouvaient en sa présence, beaucoup d'amour et de respect.

Le surlendemain, on déposait au Champ de Mars, sur l'autel de la Patrie, une pétition où l'on demandait la déchéance de Louis XVI.

Le dimanche qui suivit, le Champ de Mars était envahi par une bande de forcenés qui égorgèrent deux invalides. A la demande du président de la Constituante, la municipalité de Paris fit arborer le drapeau rouge à l'une des fenêtres de l'Hôtel de Ville, en même temps qu'on proclamait la loi martiale.

Le drapeau rouge, qui est maintenant l'étendard séditieux de la Commune, était alors le signe de l'autorité. Il signifiait résistance à l'émeute et non appel à l'insurrection.

La municipalité, ayant à sa tête le maire, qui était Bailly, se rendit au Champ de Mars avec des troupes régulières. La Fayette vint l'y rejoindre avec des gardes nationales, et comme la foule leur lançait des pierres, il commanda le feu. Le terrain fut bientôt déblayé, mais il y avait des morts et surtout des blessés.

Singulier peuple, étrange pays ! Vague mobile et changeante ! Aujourd'hui la popularité, demain l'impopularité ; aujourd'hui la haine, demain l'amour.

Le 14 août 1791, Louis XVI se rendit à la Constituante, lui déclara qu'il acceptait la Constitution qu'elle avait achevée et prêta serment à cette Constitution que lui seul devait observer, bien qu'elle ne fût pas toute conforme à ses sentiments et à ses principes.

Un mois après, jour pour jour, un dernier décret incorporait au domaine de la couronne, au domaine de la France, tout le Comtat Venaissin avec sa capitale, la ville d'Avignon. Ainsi jusqu'à la dernière heure, la France s'est agrandie et complétée sous la dynastie des Bourbons.

C'est à Louis XVI que revenait le droit et le devoir de promulguer la Constitution de 1791. Voici en quels termes il remplit cette mission, le 28 septembre :

J'ai accepté la Constitution ; j'emploierai tous mes efforts à la faire exécuter. Le terme de la Révolution est arrivé : il est temps que le rétablissement de l'ordre vienne donner à cette Constitution l'appui qui lui est maintenant le plus nécessaire ; il est temps de fixer l'opinion de l'Europe sur les destinées de.la France, et de démontrer que les Français sont dignes d'être libres.

Le 30 septembre 1791, Louis XVI retourna à la Constituante pour en clore les travaux et les débats. Le soir elle n'était plus. Le lendemain, la Législative lui succédait.

Avec la Constituante, c'était déjà moins la France des Bourbons ; avec la Législative, ce fut bientôt la France des révolutionnaires. Nous pourrions fermer là l'histoire du règne de Louis XVI, mais nous devons aller jusqu'à son martyre, ne fut-ce que pour montrer à quel degré de sauvagerie on peut descendre, quand on a brisé tous les freins de l'humanité, l'esprit de la légalité, le respect de l'autorité, l'amour de la religion, lorsqu'on n'a plus pour guide, que des haines politiques, des rêveries socialistes, des convoitises effrénées et des doctrines malsaines, car il y a eu de tout cela de 1792 à 1799, où il fallait qu'une main de fer s'appesantît sur la société pour faire rentrer dans son lit le torrent de la destruction qui l'avait, en débordant sur elle, entièrement submergée.

La Législative s'était réunie avec l'intention d'avance arrêtée, de prononcer l'abolition de la royauté, ce qui était la violation préméditée de la Constitution de 1791, dont elle était la gardienne. Du reste, elle ne tarda pas à être débordée par la pression extérieure des clubs, des émeutes populaires, et surtout par la Commune de Paris, qui se rendit bientôt maîtresse de la situation et sur laquelle s'appuyaient tous les ennemis déclarés de l'autorité royale, tous ceux qui voulaient détruire ensemble la monarchie et la religion, qu'on ne saurait séparer l'une de l'autre, sans affaiblir l'une et l'autre.

Avant les journées du 20 juin et du 10 août 1792, qui furent un grand attentat du parti révolutionnaire, le tableau était changé. La Fayette avait donné sa démission de commandant en chef de la garde nationale de la Seine. Le maire de Paris n'était plus Bailly. Il se nommait Jérôme Pétion. Georges-Jacques Danton était entré en scène en même temps que Joseph-Antoine Santerre.

Le 20 juin était l'anniversaire du serment du Jeu de Paume. Ce fut là le prétexte, l'occasion d'une insurrection à laquelle Santerre était mêlé, et que Pétion ne voulut pas prévenir. Le palais des Tuileries fut envahi ; ce fut une scène odieuse. Marie-Antoinette ayant prés d'elle son fils et sa fille, fut grossièrement insultée, pendant deux heures. Pétion arriva tard au palais des Tuileries qu'il fit évacuer, après que Louis XVI eut bu jusqu'à la lie la coupe des humiliations. Un certain Louis Legendre, ancien boucher, mêlé à toutes les émeutes de l'époque, le força d'écouter un langage insolent. On l'obligea à se coiffer du bonnet rouge et à un verre de vin qu'on lui présentait pour qu'il fraternisât avec le peuple.

Le crime de Louis XVI était un acte de fermeté qu'on ne peut qu'approuver. Il avait refusé de sanctionner un décret de la Législative qui menaçait la liberté et la vie des prêtres assez courageux pour se refuser à accepter ce qu'on appelait la constitution civile du clergé.

C'est la Constituante qui avait décrété, le 12 juillet 1790, cette constitution civile du clergé à laquelle tous les prêtres, évêques, curés et desservants devaient prêter serment.

Pie VI condamna cette innovation qui changeait toute l'organisation de l'Eglise en France, il interdit le serment à tous les ecclésiastiques ; les uns obéirent au souverain pontife, les autres se soumirent au pouvoir parlementaire. Il y eut alors, à côté des prêtres constituants ou assermentés, les prêtres insermentés ou réfractaires.

Ce sont ceux-ci que la Législative avait voulu contraindre par la force à l'obéissance.

Le 22 juillet 1792, on promulgua le décret qui déclarait la patrie en danger et ordonnait, sans le concours du pouvoir exécutif, des levées extraordinaires, décret que la Législative avait voté après un violent discours de Vergniaud.

On conseillait à Louis XVI de quitter Paris. Mais il aurait paru aller au devant des troupes autrichiennes en marche vers les frontières de France. Il préféra tout à ce soupçon. S'il n'avait pas l'énergie de la lutte, il avait la résignation du chrétien. Il v avait eu une seconde et dernière fête de la fédération où il s'était rendu avec Marie-Antoinette, et qui s'acheva sans accident.

On s'agitait partout, partout on pétitionnait pour demander à la Législative de prononcer la déchéance de Louis XVI. Le manifeste du duc de Brunswick, daté de Coblentz, 25 juillet 1792, vint jeter de l'huile sur le feu. L'invasion étrangère était annoncée.

Tout semblait se réunir pour amener, dans la journée du 10 août, qui suivit la publication de ce manifeste auquel Louis XVI était étranger, une nouvelle invasion du palais des Tuileries. Cette invasion se fit aux sons du tocsin et au chant de la Marseillaise, et força la famille royale de se réfugier à la Législative, qui siégeait dans ce qu'on appelait la salle du Manège des feuillants, située dans le jardin, salle où, dés le 9 novembre 1789, la Constituante s'était installée.

Les Suisses qui seuls la défendirent, furent massacrés. On dévasta, on pilla le palais des Tuileries.

Louis XVI fut suspendu de ses fonctions de Roi par la Législative, qui avait déjà supprimé les mots de sire et de majesté. On le conduisit au palais du Luxembourg, sa seconde prison. Il en sortit bientôt pour être envoyé par Pétion et Santerre au Temple, sa troisième prison. Celle-là, il ne devait la quitter que pour monter à l'échafaud.

La Législative n'avait ni eu l'idée, ni pris l'initiative de cette translation. C'est la Commune de Paris qui l'avait exigée, sous prétexte qu'ayant la responsabilité de la garde de la famille royale, il fallait qu'elle pût la surveiller et en prévenir l'évasion, et que le Temple étant une propriété de la ville, c'est là seulement qu'elle pouvait remplir cette mission. Elle la remplit en effet, en geôlière dont la brutale grossièreté venait s'ajouter à d'indignes et barbares traitements. Louis XVI y était enfermé avec la reine Marie-Antoinette, avec son fils, sa fille et sa sœur, la princesse Elisabeth.

C'est alors que Louis XVI se montra grand par sa résignation de chrétien. Sa conscience d'homme ne lui reprochait rien. Il pouvait attendre avec le calme du juste, la mort qui ne devait pas tarder à arriver.

Quelques faits généraux de l'histoire de l'époque qui n'appartiennent pas au règne de Louis XVI, dont la déchéance avait précédé l'abolition de la royauté, et qui, du reste, était prisonnier au Temple, mais qui se rattachent à la marche torrentielle et précipitée des événements, sont à indiquer.

La Constitution de 1791 avait été emportée avec la royauté de Louis XVI, dans la journée du 10 août 1792. La Législative avait également disparu. La Convention l'avait remplacée le 21 septembre de cette même année. Elle avait, dés le jour de l'ouverture, proclamé la République.

A l'instigation de Danton, alors ministre de la justice, on avait auparavant égorgé dans les prisons de Paris, des prêtres, des vieillards, des femmes qui attendaient là les arrêts ou les condamnations du tribunal révolutionnaire. C'est ici que se placent les deux incidents historiques de Mile de Sombreuil qui racheta la vie de son père en buvant un verre de sang, et de la princesse de Lamballe qui refusa de jurer haine à la reine, et dont on promena la tête au bout d'une pique, sous les fenêtres du Temple.

Il y eut d'autres massacres en province, et surtout à Orléans. C'est dans ce nuage de sang que la Législative s'était éclipsée, transmettant un pouvoir dont elle avait si mal usé à une légion de tigres à face humaine.

C'est dans les rangs de cette légion que le hideux Marat se fit une horrible renommée.

L'armée française était à ce moment là le seul débris de l'ancien régime. Elle montra sur le champ de bataille de Valmy que sa puissante organisation avait résisté aux assauts de la Révolution. Dumouriez battit sur ce champ de bataille les troupes prussiennes que le duc de Brunswick commandait avec la croyance qu'il ne rencontrerait devant lui que des bandes indisciplinées et sans expérience. Il se trompait.

Les généraux avaient émigré, mais les officiers supérieurs étaient restés.

Quelque temps après, Dumouriez acheva de s'illustrer, comme homme de guerre, sur le champ de bataille de Jemmapes où il remporta sur les Autrichiens une victoire qui lui livra l'entrée de la Belgique et à laquelle concourut le maréchal de camp duc de Chartres, depuis duc d'Orléans, puis Roi des Français.

Charles-François Duperrier Dumouriez était un maréchal de camp du règne de Louis XVI. Il est donc juste de mettre à l'actif de la dynastie des Bourbons les deux premières victoires de la première République.

On a dit qu'en ce temps là l'honneur s'était réfugié à l'armée. Elle avait laissé la folie et le crime en France.

On se demandait, en décembre 1792, à la Convention ce qu'on allait décider sur le sort de Louis XVI. Robespierre voulait qu'elle le condamnât sans procès, sans phrases, sans jugement. Pétion fit décider qu'elle s'érigerait en tribunal et qu'il comparaîtrait devant elle comme accusé.

Maintenant il nous faut aller vite, car on ne sort plus du sang que pour tomber dans la boue. C'est à qui aura le plus de scélératesse, le plus de lâcheté.

Le 11 décembre, la Convention ordonna que Louis XVI serait cité à sa barre le jour même. Il y fut conduit avec une escorte, précédée et suivie de canons. Il eut une attitude dont la dignité frappa même ses juges, prêts à devenir ses bourreaux.

Le futur rédacteur du Code civil, Jean-Baptiste Treilhard, qui devait voter pour la mort avec sursis, obtint de la Convention que Louis XVI désignerait lui-même ses défenseurs. Il choisit Jean-Baptiste Target qui refusa, et François-Denis Tronchet qui accepta. Malesherbes s'offrit et fut agréé.

André-Marie de Chénier, le futur auteur de la Jeune Captive, déclara qu'il s'asseoirait à côté de Malesherbes. Il devait être une des victimes du tribunal révolutionnaire.

Le 26 décembre 1792, Louis XVI reparut devant la Convention, assisté cette fois de Malesherbes et de Tronchet. Ils s'étaient adjoint le comte Raymond de Sèze, qui prononça un plaidoyer dont l'effet fut considérable. Mais que pouvaient l'éloquence, la vérité, là où il était résolu qu'il n'y aurait pas de justice ?

La discussion générale fut aussi courte qu'orageuse. Elle était fermée le 7 janvier 1793. Les passions du dehors s'alliaient aux passions du dedans pour hâter le vote de la Convention et précipiter le dénouement.

Il avait été arrêté que le 14 janvier 1793 les questions seraient posées. Le 14, Vergniaud occupait le fauteuil. On discuta sur l'ordre dans lequel elles seraient soumises à la Convention.

Louis est-il coupable ?

Le jugement sera-t-il soumis à la ratification du peuple ?

Quelle peine sera infligée à Louis ?

Le 15, on avait déclaré que Louis était coupable.

La seconde question avait été écartée par un vote négatif. Le 16 on vota sur la troisième question.

Cette séance fut longue et dramatique, elle fut émouvante et lugubre. Nous empruntons à l'Art de vérifier les dates, le récit qui en fut publié, d'après un témoin oculaire et auriculaire. Le voici :

Les Jacobins profitèrent de la nuit précédente pour concerter toutes les mesures de menaces et de terreurs qu'ils voulaient ajouter aux menaces et aux terreurs précédentes. A leur voix tous les hommes du 2 septembre accourent armés de sabres et de bâtons. Ils assiègent de bonne heure toutes les avenues de la salle ; ils attendent les députés au passage. Ils les applaudissent ou les insultent, suivant les intentions qu'ils croient lire dans leurs regards.

Le 16 janvier est arrivé. L'appel nominal se fait avec une extrême lenteur. Les voix se balancent entre la mort, le bannissement à la paix, et un sursis demandé avec différentes conditions. Les Girondins se divisent ; Brissot vote le bannissement à la paix, Vergniaud vote la mort. L'appel nominal se continue toute la nuit. Les ténèbres ajoutent encore au sinistre appareil de cette délibération.

On ne peut, sans gémir, rapporter plusieurs des votes émis du haut de la Montagne. Legendre profère ce vote affreux : que le cadavre de Louis soit déchiré et distribué entre tons les départements.

Barrère, pour expliquer son vote, se sert de ces expressions : L'arbre de la liberté ne peut croître qu'arrosé du sang des rois.

Le nombre des votants est de 721, la majorité absolue est de 361. La première déclaration du bureau annonce que 366 voix sont pour la mort sans condition, 226 pour la détention ou le bannissement à la paix et le reste des voix pour la mort avec sursis, suivant différentes conditions.

Ces deux derniers votes, quoi qu'on ait pu dire depuis, étaient des votes hostiles.

Le 17 janvier, Vergniaud, président de l'assemblée, déclare au nom de la Convention que la peine qu'elle prononce contre Louis Capet est la peine de mort.

A la demande des défenseurs, Tronchet, de Sèze et de Malesherbes, un sursis est sollicité. Les Girondins appuient cette requête. Robespierre les apostrophe avec violence, leur reprochant de vouloir arracher Louis à la Convention.

Le sursis est mis aux voix, il est rejeté par 380 voix contre 310.

Nous avons la douleur de constater que sur la liste des membres qui avaient voté la mort se trouvait le nom du duc d'Orléans. Il devait expier cet égarement en mourant à son tour sur l'échafaud, la même année que Louis XVI, le 6 novembre.

Le 21 janvier de cette année funèbre, qui vit tomber sous la main du bourreau tant de hautes têtes, avait été fixé pour l'exécution de l'arrêt de mort que la Convention avait prononcé dans une nuit de démence.

Louis XVI entendit de la bouche du ministre de la justice du moment, le nommé Garat, la lecture de cet arrêt. Il accueillit cette lecture avec la fermeté d'âme que les premiers chrétiens devaient avoir lorsque les proconsuls les envoyaient au supplice. Il appela son confesseur Edgeworth, entendit la messe, fit à toute sa famille ses derniers adieux et remit à l'un des membres de la municipalité son testament dont Mme de Staël a dit que chaque mot est une vertu.

Ce testament, qui fut d'abord porté à la Convention, est aujourd'hui très connu, et n'a plus qu'un intérêt historique.

On craignait un soulèvement du peuple. On l'intimida par un déploiement de forces extraordinaires. Les boutiques étaient fermées, on ne voyait partout que des canons placés sur la route que le funèbre cortège devait suivre. A travers les rues silencieuses, on vit s'avancer une voiture militairement escortée. Sur cette voiture il v avait un homme qui lisait les prières des mourants dans son livre, n'entendant même pas, dans le silence universel de la rue, le bruit de cette marche funèbre. C'était Louis XVI. Il était dix heures du matin lorsqu'il monta sur l'échafaud, d'où s'adressant à la foule, il dit : Je pardonne à mes ennemis... Mais on avait résolu de ne pas le laisser parler. Santerre, qui assistait l'exécuteur, ordonna un roulement de tambour, et c'est au bruit sinistre de ce roulement de tambour qu'un bourreau masqué fit rouler la tête dans le tombereau de la guillotine, dressée sur la place Louis XV, devenue la place de la Révolution.

Sur cette même place, Marie-Antoinette et la princesse Elisabeth subirent le même supplice, la première, le 16 octobre 1793, la seconde le 10 mai 1794. Il ne restait de la famille royale qu'un enfant qui devait être Louis XVII, et dont le sort a été plus navrant encore que celui de son père, de sa mère et de sa tante. La mort, qui pour lui fut une délivrance, vint l'arracher dans sa prison du Temple où la Commune de Paris le soumettait aux plus odieux, aux plus barbares traitements, qui seront une honte éternelle pour ses bourreaux, à une vie misérable. Sa sœur fut échangée contre des commissaires de la Convention, prisonniers de l'Autriche. Elle put aller rejoindre sa famille maternelle à Vienne.

Louis XVI n'a pas eu l'énergie de la résistance et le tempérament de la lutte, qu'exigeait l'époque. Mais il était éclairé, instruit, intelligent, et il avait des idées saines, des notions justes et des sentiments honnêtes sur beaucoup de matières d'ordre administratif et financier. Nous en trouvons la preuve dans un recueil de ses lettres que l'éditeur de ce livre, M. Henri Gautier, vient de publies dans sa Nouvelle Bibliothèque populaire.

Le règne de la terreur continua avec la Convention, puis la République tomba aux mains énervées du Directoire ; le Consulat et l'Empire donnèrent à la France la gloire sans la liberté. Après de grandes guerres, de brillantes victoires, Napoléon Ier, qui était le génie de à guerre fait homme, disparut, après deux invasions, comme un éclatait météore subitement éteint, laissant la France envahie, menacée de partage, comme la Pologne. Mais la monarchie qui l'avait faite devait la conserver.

Nous allons retrouver la dynastie des Bourbons sur le trône de saint Louis, d'abord avec l'ancien comte de Provence, ensuite avec l'ancien comte d'Artois, frères de Louis XVI, réfugiés à l'étranger depuis quelque temps déjà, et que la mort de Louis XVII avait faits légitimes héritiers de la couronne de France.

Les deux princesses, filles de Louis XV et de Marie Leczinska el tantes de Louis XVI, avaient librement émigré les premières, se rendant à Rome.

Le comte d'Artois avait ensuite émigré subrepticement, se rendant à Turin.

Enfin, le 20 juin 1791, la nuit même où la famille royale quittait secrètement le palais des Tuileries, le comte de Provence se rendais en poste à Bruxelles.