FRANÇOIS DE LORRAINE

 

CHAPITRE DIXIÈME.

 

 

Les Guises quittent la cour. — Leur correspondance avec la reine mère et avec les princes allemands. — Leur entrevue à Saverne avec le duc de Wurtemberg. — La reine mère et Antoine de Bourbon écrivent à Guise pour l'engager à se rendre auprès d'eux. — Le chancelier de l'Hôpital fait abroger l'édit de juillet par les députés de tous les parlements de France réunis à Saint-Germain (janvier 1562). — Édit de janvier favorable aux protestants. — Considérations politiques. — Troubles de Saint-Médard et de la porte Saint-Antoine provoqués par les calvinistes. — Les catholiques et les protestants dans les provinces du Midi. — Montluc à Cahors. — Guise à Vassy. — Ce qu'on a improprement appelé le massacre de Vassy. — Retour de Guise à Paris. — Enthousiasme des Parisiens. — Rencontre de Guise et de Condé dans les rues de Paris. — Condé est obligé de sortir de la capitale. — Union des triumvirs. — Condé lève une armée. — Lettres de Catherine de Médicis à Condé. — Les triumvirs enlèvent le roi et la reine mère. — Catherine de Médicis au Louvre. — Condé, ne pouvant s'emparer de Paris, dirige son armée du côté de la Loire. — Les protestants s'emparent d'Orléans. — Manifeste de Condé ; sa lettre aux princes allemands. — Traité passé entre les confédérés. — Édit des triumvirs (7 avril 1562). — Condé s'empare d'un grand nombre de villes situées dans le bassin de la Loire. — Guise se disculpe devant le parlement de Paris an massacre de Vassy. — Montmorency parle en faveur de Guise. — Les calvinistes s'allient aux Allemands et aux Anglais, et les catholiques aux Espagnols. — Les triumvirs marchent à la rencontre de l'armée de Condé. — Catherine de Médicis rejoint l'armée royale. — Entrevue de la reine mère et de Condé à Toury, dans la Beauce. — Exigences de Condé. — Les négociations sont reprises. — Les triumvirs quittent le camp. — Les fédérés s'opposent à ce que Condé tienne sa parole. — Les protestants essayent pendant la nuit de surprendre l'armée. — Ils sont repoussés de toutes parts. — Les triumvirs reviennent au camp. — Condé s'empare de Beaugency, et Guise de Blois. — Tours, Poitiers et Angers ouvrent leurs portes à l'armée royale. — Bourges capitule.

 

Après le colloque de Poissy et leur réconciliation avec le roi de Navarre, les princes lorrains quittèrent la cour en laissant clairement à entendre que les événements qui se préparaient forceraient la reine à les rappeler bientôt, et qu'ils reviendraient alors plus puissants que jamais.

Une réunion de l'ordre avait eu lieu le 29 septembre ; le cardinal de Lorraine dédaigna de s'y rendre. Il partit pour Meudon ce jour-là, et ensuite se rendit à Reims, où il partagea les loisirs que lui laissait la politique entre l'administration de son diocèse et une correspondance très suivie avec la cour d'Espagne.

Quant au duc de Guise, il alla d'abord à Nanteuil et ensuite à Joinville. Il était accompagné de sa femme, de ses enfants, de quelques-uns de ses frères et d'une nombreuse escorte de gentilshommes, de pages et de serviteurs. Tout en s'adonnant à la chasse et à l'éducation de ses enfants, il se faisait instruire des moindres événements qui se produisaient à la cour, et écrivait fréquemment au connétable de Montmorency qui était aussi en villégiature.

La reine mère, qui avait désiré le départ des triumvirs, et profité de leur absence pour se lier plus étroitement avec les Châtillon et le prince de Condé, n'était pourtant point rassurée et faisait observer de près tous les mouvements du duc de Guise. Quand elle apprit que ce dernier était en correspondance avec les princes allemands, elle lui écrivit elle-même pour lui demander ce qu'il fallait en croire, et lui recommander de bien regarder à la manière dont il useroit. Le duc fit à la reine une réponse plus franche que rassurante[1], en reconnaissant la vérité des faits et en déclarant qu'il ne se ménageait de tels rapports que pour le service du roi et pour le bien du royaume, et qu'il ne les emploierait que dans ce double but.

L'entrevue des princes lorrains avec le duc de Wurtemberg, à Saverne, a été souvent exploitée contre les Guises, qu'on a accusés d'avoir ainsi cherché à faire alliance avec l'étranger pour soutenir la guerre civile en France. On a voulu, de plus, laisser entendre que le fougueux cardinal de Lorraine n'avait pas été éloigné d'accepter la confession d'Augsbourg. Ce sont là des accusations qui tombent devant les faits mêmes.

Les princes lorrains avaient juré de préserver le pays de l'hérésie. Ce qu'ils devaient chercher avant tout, c'était d'empêcher que les calvinistes de France ne reçussent des secours des luthériens allemands et des protestants anglais. Si la conjuration d'Amboise n'avait été si promptement étouffée et si énergiquement réprimée, Élisabeth d'Angleterre aurait eu le temps de leur fournir les hommes et l'argent qu'elle leur avait promis, et Dieu sait alors ce qu'il serait advenu du royaume de France.

Le cardinal de Lorraine était, il est vrai, un politique peu scrupuleux sur le choix des moyens. Lorsqu'il quitta Amiens pour venir prendre son frère à Joinville et se rendre ensuite à Saverne, où devait venir les rejoindre Christophe, duc de Wurtemberg, accompagné de deux ministres luthériens, Jean Breutzen et Jacques Andrea (15 janvier 1562), le cardinal ne devait pas se faire grande illusion sur le résultat de l'entrevue. Il flatta le prince allemand et les deux ministres luthériens, en leur laissant croire que les catholiques de France étaient plus rapprochés de la confession d'Augsbourg que les luthériens ne paraissaient le supposer, Il le prouva en avançant, ce qui était vrai, qu'il n'avait pas tenu à lui que l'acte de foi de cette confession sur la Cène ne fût accepté comme moyen d'accommodement au colloque de Poissy. Il leur présenta ensuite les calvinistes de France comme les ennemis des luthériens allemands, et prêts à semer la discorde et la guerre civile dans l'Allemagne, comme ils n'étaient que trop parvenus à le faire dans leur propre patrie.

L'Église luthérienne se rapprochant plus, à son dire, de l'Église catholique que de l'Église calviniste, les princes du saint-empire et le roi de Danemark ne devaient donc pas craindre de s'allier contre l'ennemi commun.

Le duc de Wurtemberg, après avoir conféré avec les deux ministres qui l'accompagnaient, remercia les princes lorrains de l'affection qu'ils témoignaient à l'Allemagne, et promit de suivre leurs conseils, à la seule condition qu'on ne perdrait pas de vue la grande affaire de la réforme de la religion, qu'on y travaillerait sérieusement, et qu'on cesserait les poursuites, les amendes, les confiscations et les supplices contre ceux qui se seraient séparés du pape[2].

Les conférences durèrent trois jours (du 15 au 18 février), et le cardinal eut l'occasion de prêcher deux fois devant le duc et sa suite. Cette entrevue solennelle, et les sentiments d'amitié et d'estime qui la scellèrent, augmentèrent encore l'irritation des huguenots contre les Guises. Il est vrai aussi qu'elle suggéra aux triumvirs, et surtout aux princes lorrains, plus de confiance dans le triomphe de leur cause. François de Lorraine et son frère pouvaient se flatter, par l'alliance qu'ils venaient de conclure, d'avoir privé le prince de Condé des secours que celui-ci avait lieu d'attendre d'Allemagne, ou tout au moins d'avoir retardé pour longtemps l'envoi de ces secours. En la situation où se trouvait l'État, un tel résultat n'était certes pas à dédaigner, et Guise avait raison de dire à la reine mère qu'il n'employait ses rapports avec les princes allemands que pour le service du roi et pour le bien du royaume.

Quand il revint de cette entrevue, il reçut, à Blamont, des lettres du roi, de la reine mère et d'Antoine de Bourbon, qui le pressaient vivement de se rendre auprès d'eux. Les événements prévus ne s'étaient que trop réalisés. La guerre civile venait d'éclater aux quatre coins du royaume ; le roi de Navarre, malgré son titre de lieutenant général, était impuissant à lutter contre Condé, et la reine ne savait plus sur quel bras s'appuyer. Le roi de Navarre lui disait d'aller directement à Paris, et d'y pénétrer avec l'escorte la plus nombreuse de gentilshommes et de troupes qu'il pourrait rallier. Mais la reine, toujours ombrageuse, lui enjoignait de venir la rejoindre d'abord à Monceaux, afin de s'entendre avec elle, et d'y venir seul pour éviter toute occasion de nouveaux troubles.

Il faut, ici, remonter quelque peu le cours de notre histoire.

L'éloignement du duc de Guise, le peu d'intelligence pratique du roi de Navarre laissaient Catherine de Médicis et le chancelier Michel de l'Hôpital entièrement maîtres de la situation. Condé, Coligny et Dandelot en profitèrent habilement pour faire dominer leur influence dans le conseil du roi, favorisés, du reste, par le chancelier, qui croyait plus sage et plus prudent de n'opposer aux factions calvinistes qu'une politique de modération et de clémence, qui semblait aller jusqu'à la complicité.

C'était contre son gré qu'avait été lancé l'édit de juillet. Il crut le moment propice de l'abroger par un autre édit qui devait donner de plus grandes satisfactions aux protestants. A cet effet, il convoqua à Saint-Germain, pour le commencement de l'année 1562, les députés de tous les parlements de France ; il a porta même un soin tout particulier à ce que les représentants des provinces fussent choisis parmi les hommes les plus connus par leur modération et leur docilité à seconder ses vues.

Cette nouvelle réunion des états généraux s'ouvrit le 17 janvier. Le roi prononça quelques paroles, et ce fut ensuite le chancelier qui, dans un discours plus familier qu'éloquent, mais clair et précis, exposa les motifs de la réunion, et dit aux députés ce qu'on attendait d'eux. Après avoir fait l'historique des événements qui venaient de s'accomplir, et le tableau des calamités qui affligeaient le royaume, il ajouta, en terminant :

Ce sont ces raisons qui ont engagé le roi à vous consulter. Voyez donc et examinez s'il est du devoir de Sa Majesté de permettre ou de défendre les assemblées (protestantes). Il n'est pas besoin, pour dire sur cela vos avis, de délibérer sur le fond de la religion, ni d'examiner laquelle des deux, est la meilleure. Il ne s'agit pas d'établir la foi, mais de régler l'État. En effet, plusieurs peuvent être citoyens qui ne sont nullement chrétiens, et en se séparant de l'Église on ne cesse pas d'être bon sujet du roi. Nous pouvons vivre en paix avec ceux qui n'observent pas les mêmes cérémonies et les mêmes usages, et nous pouvons nous appliquer ce que l'on dit ordinairement, qu'il faut ou guérir les défauts de nos femmes ou les supporter.

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Appliquez-vous à écarter tout ce qui est étranger au sujet dont il s'agit, et cherchez moins à briller par un discours long, éloquent et fleuri, qu'à renfermer dans un discours précis, juste et court tout ce que vous croirez utile et nécessaire pour terminer l'affaire dont il est question.

Malgré les précautions que le chancelier avait prises d'écarter de cette réunion tous les catholiques fougueux, ce ne fut qu'à une très faible majorité qu'il put obtenir de l'assemblée des adoucissements à l'édit de juillet qui fut ainsi amendé. Par le nouvel édit, qui emprunta son nom au mois où il fut publié, les protestants devaient rendre aux prêtres et aux évêques les églises, les maisons, les terres, les offrandes, les croix, les vases sacrés et les ornements sacerdotaux, dont ils s'étaient emparés. Ils ne devaient plus, à l'avenir, renverser les croix, les statues ni les images qui servaient au culte catholique. Ils ne devaient rien faire enfin qui pût scandaliser ou troubler la tranquillité publique. Ils ne pouvaient non plus exiger aucune rétribution, taille ni subside, mais seulement recevoir des aumônes faites librement et sans exactions, et devaient observer les lois civiles, particulièrement celles concernant les jours de fêtes et les mariages entre les proches parents. Moyennant ces conditions, ils pouvaient s'assembler librement, mais sans armes, dans les faubourgs des villes, chanter leurs psaumes et se livrer à toutes les pratiques de leur religion.

Le chancelier se flattait, par cet édit, de mettre fin aux troubles du royaume. C'était là une illusion qui ne s'explique guère de la part d'une intelligence aussi élevée. On a cru faire un grand éloge de Michel de l'Hôpital en disant qu'il devançait son siècle. Nous avons assez témoigné de notre admiration envers le chancelier pour que nous ne puissions être soupçonnés de partialité à son égard. Malgré son talent, son intégrité et l'élévation de son caractère, l'Hôpital ne comprit pas qu'en bonne politique il ne suffit pas de devancer son siècle, et qu'il faut savoir marcher avec lui pour le diriger. Les lois, pour être efficaces, doivent répondre aux besoins du moment. La liberté de conscience, la faculté laissée aux protestants de se réunir et de propager leurs doctrines, ne font plus aujourd'hui l'objet de la moindre contestation. Mais, si l'on se reporte à cette époque où la féodalité avait encore des racines si profondes dans le pays, où les princes et les grands seigneurs étaient encore assez puissants pour lever des armées dans leurs domaines, on comprendra que, sous prétexte de religion, les mécontents et les ambitieux pouvaient, à la tête des fanatiques, dicter leurs volontés à l'autorité royale, et démembrer le royaume, dont l'unification avait été si lente et si pénible. Michel de l'Hôpital ne devait pas ignorer les menées ambitieuses et antinationales des fauteurs de la conjuration d'Amboise. Il devait savoir que, pour parvenir à leurs fins, ils n'avaient pas craint de faire appel à l'étranger, et que l'Angleterre n'attendait qu'une occasion pour reprendre Calais et Boulogne. C'était le prix qu'elle mettait aux secours qu'elle avait promis à Condé.

En un semblable état de choses, toute politique de faiblesse et de compromis devait avoir pour la France de funestes résultats. Les clauses mêmes du traité de janvier restent, pour les protestants du XVIe siècle, les charges les plus accablantes que nous fournisse l'histoire. Il leur était enjoint, dit cet édit, de rendre aux églises catholiques les biens et surtout les vases sacrés et les ornements sacerdotaux dont ils s'étaient emparés. Est-ce que jamais les empereurs romains eurent besoin, dans leurs édits, d'enjoindre aux premiers chrétiens de rendre les biens de qui que ce fût ? Quels étaient clone ces nouveaux iconoclastes, qui violaient les temples du Seigneur pour briser les croix et voler les vases sacrés ? Les chrétiens de la légion Thébéenne confessaient leur foi en marchant au martyr ; les disciples de Calvin affirmaient la leur en massacrant les prêtres au pied des autels, et en portant leurs mains cupides jusque dans les saints tabernacles.

Le 27 décembre 1561, les huguenots, qui étaient dans une maison dite du Patriarche, troublés par le son des cloches de l'église Saint-Médard, y pénétrèrent pendant les vêpres et commirent toutes sortes d'excès : Pilla tout ! Pilla tout ![3] s'écriait un Gascon huguenot qui était entré à cheval jusque devant le maître-autel. Un pauvre homme qui voulait sauver le saint ciboire, fut tué sur les marches de l'autel d'un coup de hallebarde. Près de la porte Saint-Antoine, à Popincourt, les protestants s'étaient signalés par d'autres hauts faits du même genre. A Bargeols, en Provence, les cruautés commises contre les catholiques ne peuvent être égalées que par celles dont s'illustra, en Dauphiné, le baron des Adrets, dont le nom est resté légendaire. C'est le baron des Adrets qui faisait prendre à ses enfants des bains dans le sang des catholiques, et qui faisait sauter ses prisonniers du haut des tours sur les piques de ses soldats.

Par ses lettres, datées de Pézenas 16 septembre, de Narbonne 24, 28 octobre, 2 novembre et 19 novembre 1561, Joyeuse faisait au duc de Guise un récit effrayant de la situation des catholiques dans le Languedoc. Ce n'étaient qu'églises saccagées, vols à main armée, meurtres et assassinats. Monseigneur, lui disait-il le 28 octobre, vous avez esté adverty des malheureux désordres et grandes cruautez qui se sont commises en la ville de Montpellier et ailleurs, à l'endroit des personnes de plusieurs bons subjecis du roy, soubs prétexte de religion. Les affaires prennent tel cours et vont si en empirant, que, à ce que je voye et oye, il n'y a personne d'assuré que ceulx qui ont moyen de se retirer en quelque lieu fort. Je voys plusieurs gens de bien abandonner leurs propres maisons, et se retirant avec leurs familles, pour n'avoir seureté de leurs dites propres vies que en estant bien loin retirez des séditieux.

Nous pourrions continuer ces citations à l'infini ; mais à quoi bon s'étendre sur ces lamentables récits ? Dans d'autres villes, ce furent les catholiques qui s'abandonnèrent à de sanglants excès. A Cahors, le peuple s'arma au sou du tocsin, et mit le feu dans une maison où les protestants s'étaient réfugiés. Quelque temps après, pour se venger, les huguenots firent périr le baron de Fumel au milieu des supplices les plus horribles. A Amiens, à Sens, à Toulouse, presque partout, hélas ! catholiques et huguenots se ruaient quotidiennement les uns contre les autres comme des bêtes fauves.

Montluc fut appelé par la reine pour aller à Cahors rétablir l'ordre et poursuivre les coupables. Le vaillant défenseur de Sienne, l'intrépide et fidèle lieutenant du duc de Guise souilla son nom par la conduite barbare qu'il tint à l'égard des huguenots : Je fus cruel, dit-il lui-même dans ses mémoires ; et il semble qu'il a écrit ces mots en se délectant au souvenir du sang qu'il fit répandre. Du reste, Montluc aimait la guerre en vrai soudard. En Italie, il se plaisait à faire battre ses soldats entre eux. Il aurait voulu en faire faire autant au duc de Guise et au roi de Navarre[4].

L'édit de janvier ne pouvait donc être d'une grande efficacité en un moment où tous les partis étaient en armes et semblaient ne plus obéir qu'aux instincts les plus féroces. Du reste, cet édit, quelques parlements voulurent bien consentir à l'enregistrer ; mais la plupart le rejetèrent absolument. Le parlement de Paris ne l'enregistra que sur l'ordre formel du roi.

Ce fut alors que le duc de Guise reçut les lettres du roi de Navarre et de Catherine de Médicis, qui le rappelaient (22 février 1562). Il répondit à la reine pour lui annoncer qu'il allait la retrouver. En effet, après s'être reposé un jour ou deux à Joinville, où il laissa sa mère qui était souffrante, il vint à Vassy, en compagnie de sa femme qui était enceinte, et escorté de ses enfants, de son frère le cardinal de Guise et d'une escorte d'environ deux cents cavaliers, gentilshommes, pages, hommes d'armes et valets. Il arriva le dimanche ter mars.

Sa mère, la vertueuse Antoinette de Bourbon, désignée par les protestants sous le nom de mère des tyrans et des ennemis de l'Évangile, s'était plainte de la façon dont Jérôme de Barge, évêque de Chatons, avait été traité par les religionnaires de Vassy, au mois de décembre dernier. Cette petite ville, située seulement à cinq lieues de Joinville, qui était la demeure des ducs de Guise et faisait partie du douaire dé Marie Stuart, avait été choisie par les protestants pour le lieu de leurs réunions. C'était vouloir braver les Guises en face et s'exposer à de sanglantes collisions. Lorsque l'évêque de Châlons voulut, au nom de la duchesse douairière, présenter aux huguenots quelques observations à cause de leur voisinage, ceux-ci reçurent le prélat par les cris : Au loup ! Au renard ! A l'asne ! A l'escale ! et ce ne fut pas sans avoir couru de sérieux dangers qu'il put quitter l'assemblée et retourner à Joinville.

Quand le duc de Guise arriva à Vassy, dans le dessein de rallier à sa troupe une soixantaine d'hommes d'armes qui devaient le rejoindre, Guise, comme c'était un dimanche, alla à l'église pour entendre la grand'messe. Là il reçut de nombreuses plaintes sur les réunions que tenaient les huguenots, qui, en ce moment, étaient justement assemblés dans une grange pouvant contenir douze cents personnes environ.

Soit que le duc de Guise fût incommodé par le bruit des cloches appelant.les protestants aux prêches, soit qu'il voulût lui-même, comme il le dit dans ses mémoires, présenter quelques observations aux ministres protestants, il dépêcha deux de ses pages à l'assemblée huguenote. Dans quels termes ces jeunes gentilshommes s'acquittèrent-ils de leur mission ? c'est ce qu'il est difficile de savoir. Toujours est-il que des injures furent échangées de part et d'autre, et que des injures on passa bientôt aux coups. Se voyant repoussés hors du temple, les pages firent usage de leurs armes, et furent, au premier coup de feu, soutenus par les valets et par les soldats de l'escorte de leur maître. Les six à sept cents religionnaires étaient trop mal armés pour soutenir la lutte malgré leur supériorité numérique. Ils avaient fermé la porte du temple, et se défendaient contre les assaillants en faisant pleuvoir sur eux une grêle de pierres. Ce fut alors que le duc de Guise accompagné de la Brosse, un des gentilshommes de sa suite, arriva sur le lieu du combat. Il était accouru pour faire cesser l'émeute[5] ; mais un des projectiles lancés par les assaillants le frappa à la joue, et la Brosse fut renversé à ses côtés par un coup de pierre. La blessure du duc était légère, mais son sang coula, et à cette vue les soldats de sa suite, transportés de colère et de haine, se ruèrent dans la grange et commirent un horrible massacre. Plus de soixante victimes, hommes, femmes, enfants, furent tuées et étouffées ou moururent de leurs blessures, et deux cents autres environ furent aussi contusionnées plus ou moins grièvement.

Tel est le récit de cet événement, connu dans l'histoire sous le titre vraiment exagéré de massacre de Vassy. Les huguenots se plaisent à prêter au duc de Guise des paroles qui contrastent avec la vie tout entière de ce prince.

Le duc restoit luy-mesme en la grange, avecques son espée en la main, commandant à ses gens de tuer, et nommément les jeunes gens, et, sur la fin, dit qu'on laissast les femmes grosses ; criant après ceulx qui estoient sur les eschaffaux, qui efforçoient de se sauver par ledict toict : En bas, canailles, en bas ; et usant de grandes menaces[6].

Le duc, dans ses mémoires, se défend d'avoir mis l'épée à la main, et dit, au contraire, qu'il fit tous ses efforts pour faire cesser le massacre. Les historiens les moins suspects de partialité envers le duc de Guise[7] repoussent les imputations barbares que les protestants ont fait peser sur lui en cette circonstance. Seulement, Lacretelle se demande ce qu'était devenu le duc de Guise après sa blessure, et il ajoute : Eût-il été grièvement blessé, mourant, ne devait-il pas employer, à sauver des enfants et des femmes, ce qui lui restait de voix et de forces ?[8]

Si le duc de Guise se fût trouvé à la tête d'une armée soumise à sa discipline, il eût exercé sans doute la même autorité qui lui permit tant de fois de sauver les villes du pillage. Mais c'était ici une escorte de valets et une compagnie de reîtres qui, avides de carnage, s'étaient jetés sur ces malheureux. En restant sourds à la voix de leur maître, ils croyaient, au contraire, bien mériter de sa confiance.

Les écrivains protestants eux-mêmes se plaisent à reconnaître qu'Anne d'Este, qui traversait la ville en litière, s'étant enquise du bruit et du tumulte qu'on entendait, fit, à maintes reprises, supplier son mari de faire cesser le combat. Si le duc de Guise avait, comme on l'accuse, prémédité ce massacre, n'aurait- il pas eu le soin d'ordonner à sa femme de changer son itinéraire pour ne pas l'exposer, dans la situation où elle se trouvait, aux. chances toujours hasardeuses d'une émeute ?

Guise, en quittant Vassy, emmena avec lui Claude Tourneur, capitaine du château et de la ville pour Marie Stuart, et un ministre calviniste, Léonard Morel, les accusant tous deux d'être responsables de la tuerie qui venait d'avoir lieu. En leur présence, il ordonna qu'une enquête fût faite immédiatement sur ce sanglant événement. Ce fut à la suite de cette enquête que le prince lorrain écrivit à Marie Stuart et au duc de Wurtemberg, afin d'être le premier à les informer de ce qui venait d'avoir lieu, les engageant tous les deux à s'en rapporter à ce qu'il leur annonçait, et à ne pas ajouter foi aux récits erronés qui pourraient leur parvenir du côté des huguenots. En écrivant au duc de Wurtemberg Guise avait surtout en vue de ne pas perdre les bénéfices qu'il comptait retirer de l'entrevue de Saverne.

Pour se disculper d'avoir autorisé, à Wassy, les prêches huguenots, Claude Tourneur se retrancha derrière les dispositions de l'édit de janvier. On assure que Guise mit alors la main sur son épée : Détestable édit, s'écria-t-il, c'est avec cette arme que je saurai te rompre.

Le gouverneur de la ville, qui avait été d'abord arrêté, fut relâché sous caution ; mais le ministre protestant fut relégué à Saint-Dizier.

Quand la nouvelle du massacre de Vassy fut connue à Paris, les protestants dépêchèrent une députation auprès de Catherine de Médicis, pour demander contre le duc de Guise prompte et sévère justice. Ce ne fut plus que sous le nom de Boucher de Vassy qu'il fut désigné à l'indignation publique. Il est vrai que les catholiques eurent le tort, de leur côté, de célébrer ce triste événement comme un exploit digne des plus grands éloges. Le duc fut présenté, même en chaire, comme un Moïse et comme un Jéhu qui avait vengé la querelle du Seigneur en répandant le sang des impies. Ce sont bien là les exagérations trop fréquentes dans les heures de trouble, où les partis ne prennent pour mobile que leurs passions, jetant de côté tout scrupule et toute pudeur.

Théodore de Bèze, qui faisait partie de la députation des églises réformées envoyée auprès de Catherine de Médicis, fut reçu par la reine mère avec les marques d'une vive sympathie. Aux accusations violentes et passionnées que le célèbre théologien protestant lança contre le chef du parti catholique, la reine répondit par des paroles favorables à sa requête. Mais le roi de Navarre, qui était présent à cet entretien, s'emporta contre les protestants, sur lesquels il fit retomber tous les torts, et il ajouta : Quiconque touche le bout du doigt de mon frère le duc de Guise ; me touche dans mon corps tout entier. Théodore de Bèze, se tournant alors vers le roi de Navarre, lui répliqua : Sire, je parle ici pour une religion qui sait mieux endurer les injures que les repousser ; et, faisant allusion aux anciennes croyances du prince, il ajouta : Mais souvenez-vous que c'est une enclume qui a usé bien des marteaux.

La triste et sanglante échauffourée de Vassy fut loin d'être aussi meurtrière que celles qui avaient lieu presque journellement dans une foule de villes. Mais la présence du duc de Guise lui donna une importance telle que la guerre civile fut alors inévitable.

Après avoir couché à Éclaron, située à quelques lieues de Vassy, Guise prit la route de Reims, pour revoir son frère le cardinal Charles. Les protestants, en armes, l'attendaient à Vitry. On ne peut croire que ce furent leurs menaces qui lui firent changer son itinéraire. Il était trop brave et trop hardi pour éviter le combat ou avoir peur d'un vulgaire assassin. De Reims il vint à Nanteuil, où sa présence était attendue par tous les membres de sa famille, le connétable de Montmorency et ses fils, et une foule innombrable d'autres seigneurs.

Catherine de Médicis, effrayée, toujours hésitante et artificieuse, lui écrivit pour le prier de ne pas aller à Paris, ainsi qu'il en avait le projet, mais de venir la rejoindre à Monceaux avec une faible escorte. Guise s'excusa, avec quelque hauteur, de ne pouvoir se rendre immédiatement au désir de la reine, alléguant qu'il avait de nombreux amis à recevoir, et qu'il ne pouvait les quitter de sitôt. Guise voulait aller à Paris. C'était là que l'attendait le roi de Navarre ; c'était là. qu'il devait faire reculer Condé ; c'était là enfin qu'il devait affirmer sa toute-puissance.

Le 16 mars, Guise faisait son entrée triomphale à Paris, ayant pour escorte trois de ses frères, Claude de Lorraine ; le duc d'Aumale, et le marquis d'Elbeuf, le connétable de Montmorency, et le maréchal de Saint-André, les principaux seigneurs catholiques du royaume et environ deux mille gentilshommes, capitaines et soldats.

En avant d'Auteuil ; il aurait dû passer par la porte Saint-Martin ; mais il fit un détour, afin de faire son entrée, comme le roi de France, par la porte Saint-Denis. Là, en effet, il vit venir à sa rencontre, comme on avait coutume de le faire pour le roi, les échevins de la ville, ayant à leur tête Guillaume de Maries de Versigny, prévôt des marchands, qui le harangua ainsi qu'un souverain, et le salua du titre de défenseur de la foi. Au nom des bourgeois de la ville, il lui offrit les sommes qui lui seraient nécessaires pour les entreprises qu'il voulait accomplir.

Guise, qui se savait l'âme et la tête du triumvirat, trouvait plus politique de s'effacer derrière le roi de Navarre et le connétable de Montmorency. Eu conséquence, il répondit modestement au prévôt des marchands que ce n'était pas à lui que de telles offres devaient être faites, mais au roi de Navarre, dont il n'était que l'auxiliaire dévoué.

Le peuple de Paris s'était porté en foule sur le passage du duc, et ratifiait par ses acclamations enthousiastes le titre qui venait de lui être décerné.

Le cortège avait repris sa route, lorsque tout à coup, dans le faubourg Saint-Jacques, Condé, avec une suite de cinq cents chevaux, vint le croiser. Un conflit était imminent. Du côté des catholiques, aussi bien que du côté des protestants, les épées et les dagues semblaient vouloir sortir toutes seules de leurs fourreaux. Condé revenait du prêche et savait bien qu'il allait croiser son rival ; mais, dans sa bravoure imprudente, il n'avait pas voulu paraître lui céder. Guise vit le péril ; ayant cette fois toute son escorte sous ses yeux, il put la contenir, et, s'avançant le premier vers Condé, il le salua avec courtoisie. Le prince rendit son salut au héros catholique, et les deux troupes se séparèrent sans accident.

Guise n'eut rien de plus pressé que d'ôter à son arrivée à Paris tout caractère séditieux. Il était trop sûr de sa puissance et de son autorité pour laisser planer sur ses intentions le plus léger soupçon. Son premier acte fut d'aller en personne faire visite au cardinal de Bourbon, qui venait d'être nominé gouverneur de l'Île-de-France, à la place du maréchal de Montmorency. Ensuite il envoya un de ses gentilshommes, nommé Givry, présenter ses salutations au prince de Condé et lui faire l'offre de ses services. Mais cette apparente soumission ne trompa personne. Catherine de Médicis surtout fut prise de si vives alarmes, qu'elle se retira à Melun, emmenant avec elle le roi et toute sa maison.

L'hôtel du chef du triumvirat devint bientôt une véritable cour, où arrivaient, à chaque instant du jour, des membres du parlement et le prévôt des marchands. Ce fut de là que partit une députation, composée du prévôt des marchands et de Claude Marcel, échevin des plus populaires et des plus aimés, pour aller demander au roi et à la reine qu'ils ordonnassent à Condé de quitter la ville de Paris, où sa présence pouvait être un sujet de troubles, et les supplier de rentrer tous deux le plus tôt possible dans la capitale.

Catherine n'osa pas refuser positivement de retourner à Paris, mais elle remit son voyage à un peu plus tard. Sur le conseil du chancelier, elle autorisa les milices bourgeoises à prendre les armes, qui étaient déposées à l'hôtel de ville. Si elle avait refusé cette autorisation, il est assez probable que les bourgeois de Paris n'auraient tenu aucun compte de la défense royale. Par les prières et les menaces dont elle fut l'objet, elle se vit même contrainte d'ordonner à Condé de quitter Paris. Le bouillant chef des huguenots ne voulait pas obtempérer à cet ordre, ou mettait pour condition que Guise se retirerait en même temps que lui. Mais la lutte était trop inégale, et Condé fut obligé de céder.

En sortant de Paris, Condé sonna l'alarme dans le camp protestant, en écrivant ces mots à l'amiral de Coligny : César a passé le Rubicon : il a pris Rome, et ses étendards commencent à branler par les campagnes.

La forme dans laquelle cet avis est conçu, le parallèle qui en fait le fond, prouve combien Guise était redouté de ses adversaires.

Condé voulait exiger que Guise désarmât ; mais le chef des triumvirs répondit qu'il avait pris les armes sur l'ordre du roi de Navarre, lieutenant général du royaume, qui, du reste, était venu le rejoindre lui-même à Paris, tandis que la reine, qui ne se croyait en sûreté nulle part, avait quitté Melun pour revenir à Fontainebleau.

A Paris, les triumvirs, pour montrer leur union avec le roi de Navarre, et pour remercier ce prince de l'appui qu'il leur avait apporté en faisant cause commune avec eux, s'empressaient de l'entourer des marques du plus profond respect, et de lui abandonner en apparence la direction absolue de toutes les entreprises. Ils écrivirent même au roi d'Espagne une lettre dans laquelle ils s'empressèrent de décerner les plus grands éloges à Antoine de Bourbon, de le reconnaître pour leur chef, et de signaler bien haut les services immenses qu'il rendait à la religion.

Chantonnay, ministre de Philippe II, répondit à cette lettre par d'autres congratulations, et termina sa missive aux seigneurs catholiques en assurant que, de son côté, il ne manquerait pas de donner avertissement à son maitre, et de faire l'office qu'il doit pour le bien des affaires dudit seigneur roi de Navarre.

Dans les deux camps le même projet avait été conçu : catholiques et huguenots voulaient avoir dans leurs rangs un prince qui, par sa présence, légitimât en quelque sorte leurs entreprises. L'autorité royale était si respectée à cette époque, que les chefs des factions, si grand que fût leur prestige, se sentaient impuissants à lutter contre elle. Déjà Guise avait cherché à entraîner avec lui un des frères du roi, et c'était Nemours qui avait été chargé de l'enlèvement du prince.

Lorsque Condé eut quitté Fontainebleau et se fut retiré dans ses domaines de la Ferté-sous-Jouarre, il vit accourir le ban et l'arrière-ban de la noblesse protestante. Tous ces gentilshommes parcouraient les routes bien armés, bien équipés, conduisant avec eux leurs plus fidèles vassaux[9]. Les principaux étaient les seigneurs Rohan de Bretagne, de la Rochefoucauld, de Genlis, de Montgomery, de Pienne, le prince de Porcien, etc. etc.

Dandelot et Coligny exerçaient, peut-être plus encore que le prince de Condé, un prestige extraordinaire sur ces jeunes et fougueux gentilshommes et sur les troupes qu'ils avaient levées. Cependant, il faut le reconnaître, si Théodore de Bèze tacha d'introduire dans l'armée huguenote des mœurs austères par les prières qu'il composa lui-même, et qui devaient être récitées à certains moments du jour et surtout pendant que les soldats étaient sous les armes[10], tous les actes des troupes de Condé ne semblaient respirer que la haine et la vengeance.

L'armée du jeune prince grossissait à vue d'œil et allait être bientôt prête pour entrer en campagne. Catherine de Médicis, redoutant l'ascendant des Guises, avait écrit à Condé plusieurs lettres qui semblaient justifier sa prise d'armes. Elle lui disait de conserver les enfants, la mère et le royaume, et lui recommandait de brûler sa lettre incontinent[11] ; et dans une autre elle s'exprimait ainsi : Mon cousin, je vois tant de choses qui me déplaisent que, si ce n'estoit la confiance que j'ay en Dieu et asseurance en vous que m'aiderez à conserver ce royaume et le service du roy mon fils, en dépit de ceux qui veulent tout perdre, je seroye encore plus faschée. Mais j'espère que nous remédierons bien à tout avecque vostre bon conseil et aide ; et pour en avoir dit à ce porteur mon avis bien au long, je ne vous en feray redite par la présente, et vous prieray le croire de ce qu'il vous en dira à tous deux de la part de vostre bonne cousine Caterine.

Le prince, dans ses mémoires, ajoute, dans une sorte d'appendice adressée au lecteur, qu'il n'a cité que quatre de ces lettres, bien que la reine lui en eût écrit sept, parce qu'elles suffisent à faire connaître l'occasion par laquelle ledict seigneur prince eut à prendre les armes pour la défense de la couronne de France.

Mais, de leur côté, les triumvirs, qui depuis l'arrivée du roi de Navarre avaient transporté à Paris le siège du gouvernement, ne restaient pas inactifs. Guise avait deviné le projet de Condé, qui était de s'emparer de la personne du roi. Il résolut de le devancer par un coup d'audace. Si à l'appel de Condé les calvinistes avaient répondu avec empressement, à l'appel de Guise les catholiques furent aussi immédiatement debout et en armes. Les seigneurs confédérés qui vinrent le rejoindre arrivèrent à Paris avec une escorte d'environ quatre mille chevaux. La capitale fournit à elle seule un corps d'armée d'infanterie de près de trente mille hommes.

Condé avait quitté la Ferté-sous-Jouarre et avait essayé d'attaquer Paris. Mais, après une reconnaissance qu'il fit dans le faubourg Saint-Antoine, il tourna bride, ne voulant pas s'exposer à un échec qui eût du premier coup compromis toutes ses opérations. Ce fut alors que Guise tint au roi de Navarre, au connétable et à Saint-André le discours suivant : Ne ménageons plus une reine qui nous trompe et nous trompera toujours ; enlevons le roi et faisons croire qu'il nous appelle. Montrons-nous pendant un jour des sujets hardis, pour nous montrer par la suite des sujets dévoués. Ne séparons jamais ces deux mots : la foi et le roi. Protégeons la vie du monarque, affermissons son trône ; profitons du moment où la reine nous craint, et prévenons celui où elle pourrait se venger. Elle va nous traiter de rebelles ; mais demain le prince de Condé et tous ses partisans seront des rebelles aux yeux de la France et de toute l'Europe. Quand il s'agit de bien public, qu'importe qu'on l'obtienne de gré ou de force ? Nos gentilshommes et nos gendarmes sont prêts ; marchons sur Fontainebleau, et n'en revenons pas sans avoir le roi dans nos rangs.

Le conseil de Guise fut mis immédiatement à exécution. Les triumvirs arrivèrent à Fontainebleau, mais le roi de Navarre et le connétable de Montmorency furent seuls chargés de négocier avec la reine cette entreprise si délicate. Ce fut avec les termes de la plus grande soumission et du plus profond respect que Bourbon engagea la reine à retourner à Paris avec le roi et les autres princes ses fils. Mais la reine se montra indignée d'une telle proposition, et déclara que, quand même elle devrait rester seule et abandonnée, elle saurait encore défendre sa liberté, et celle de son fils, de son roi. Elle menace Bourbon de montrer le roi aux soldats, de désigner les véritables coupables, pour leur faire tomber les armes des mains. Le faible Antoine de Bourbon retourne auprès du duc de Guise et lui fait part de ses insuccès. Mais le prince lorrain, qui connaissait Catherine de Médicis, sachant qu'on n'obtenait rien d'elle par les prières et les supplications, conseilla à Antoine de Bourbon de retourner auprès de la reine, et cette fois il vint lui-même affronter son courroux.

Soutenu par son énergique auxiliaire qui venait de lui dire : Malheur à qui recule en pareil moment ![12] Bourbon revient à la charge et parle en maitre à Catherine de Médicis. Tandis que la discussion avait lieu dans les appartements de la reine mère, Guise commençait déjà à donner l'ordre du départ et à faire défiler les équipages. La reine, voyant que, si elle ne cédait pas, le roi serait enlevé de force, e qu'une fois isolée elle était exposée à perdre la régence et même la vie, se décida enfin à suivre le roi.

Pendant le voyage, qui dura trois jours, de Fontainebleau à Paris, le roi et la reine firent entendre de longs gémissements, auxquels toute l'escorte resta insensible. Charles IX et Catherine descendirent au Louvre ; mais, pour n'avoir point l'air de faire une prison de la maison royale et de se constituer les geôliers de leur souverain, les triumvirs et Antoine de Bourbon allèrent se loger dans leurs hôtels respectifs. Dès ce moment, tout ce que commettaient les chefs du parti catholique était légal.

Le séjour de la reine dans la capitale, pendant les quelques semaines (avril et mai) qu'elle resta sous la domination des triumvirs, est une page de notre histoire qu'il est bien difficile de tirer au clair. Il est probable qu'avec sa souplesse d'esprit ordinaire Catherine de Médicis eut bientôt pris son parti de la nouvelle situation qui lui était faite. C'est ce qui ressort du moins de la lettre qu'elle écrivait à la duchesse de Guise, pour la rappeler auprès d'elle et lui exprimer sa confiance en l'amour que celle-ci lui portait. Elle lui avoue confidentiellement que, si elle pouvoit être assurée que M. de Guise et les autres seigneurs confédérés avec le roi de Navarre ne prétendissent pas lui ravir le gouvernement, l'autorité et la personne du roi, elle les croiroit et suivroit leurs conseils.

Dans une entrevue que François et Charles de Lorraine eurent avec elle, elle chargea le cardinal de donner des instructions à ses fils, recommandant en même temps à ceux-ci d'accueillir attentivement la doctrine du prélat. Elle alla même jusqu'à les assurer tous les deux de l'affection qu'elle portait à leur famille. En la quittant, le cardinal de Lorraine lui baisa la main en témoignage de la grâce qu'il recevait d'elle[13].

Mais Brantôme raconte ici un fait que nous ne pouvons rapporter que sous les réserves les plus expresses. Malgré les relations, en apparence très amicales, que Catherine avait avec Antoine de Bourbon, Guise, Montmorency et Saint-André, sa méfiance, toujours en éveil lui faisait redouter quelque trame mystérieuse. Elle avait bien par ses filles d'honneur, qui ne la quittaient pas, organisé une sorte de police amoureuse pour surprendre les secrets des triumvirs ; mais si adroitement qu'elle eût enlacé le duc de Guise, celui-ci ne se livrait guère, même dans ses heures d'épanchements. Catherine aurait eu. alors l'ingénieuse idée de faire un trou dans la muraille de la chambre du conseil et d'y établir une sarbacane, qui venait communiquer dans la pièce voisine. A l'aide de cet appareil acoustique, elle entendit toutes les délibérations des quatre chefs du parti catholique[14].

Le roi de Navarre et Montmorency prirent d'abord la parole ; ils n'émirent que des avis sans importance, pour le maintien de la religion catholique et contre l'autorité de la reine mère. François de Lorraine, qui parla ensuite, fut plus explicite et plus énergique dans ses desseins pour frapper les rebelles et rendre la paix au royaume, en le faisant rentrer dans la foi catholique. Il se borna à faire des vœux pour que la reine le secondât avec plus de sincérité. Catherine se croyait découverte, et craignait que ce colloque ne fût que pure comédie, lorsque Saint-André fulmina contre elle les plus violentes et les plus terribles accusations. Le maréchal ne proposait rien moins que de se débarrasser de la reine, en la liant dans un sac et en la jetant ensuite dans la rivière. En entendant ce terrible langage, fa reine frémit d'effroi, et ne reprit son calme que lorsqu'elle entendit le duc de Guise s'élever énergiquement contre un projet qui lui faisait horreur.

Ceci, nous le répétons, malgré Dauvigny et malgré Brantôme, ressemble beaucoup à un conte inventé par Catherine de Médicis pour excuser sa politique hésitante, qui la condamnait à passer sans vergogne d'un camp dans un autre, et à défaire le lendemain ce qu'elle avait fait la veille. Saint-André n'était pas un homme très scrupuleux ; mais il était trop intelligent et avait trop souci de son intérêt pour emprunter aux Orientaux de semblables expédients.

Toujours est-il que, vraie ou feinte, la reine manifesta un telle terreur qu'elle ne voulut plus désormais rester à Paris, et retourna à Monceaux, où elle fut accompagnée par les triumvirs.

Ce n'est pas en proscrit que le prince de Condé était sorti de la capitale. Cependant, si bien soutenu qu'il Mt par Coligny et Dandelot, par la noblesse protestante et par tous les ministres du nouveau culte, il eut un moment d'hésitation lorsqu'il apprit l'enlèvement du roi et de la reine, et qu'il calcula toutes les mauvaises chances qu'il avait contre lui. Mais il était trop tard pour reculer, et, lie pouvant plus abandonner son parti, il se jeta tête baissée dans la rébellion à main armée. Son plan fut bientôt arrêté. Ne pouvant plus s'emparer de Paris, il résolut de se rendre maître de toutes les villes qui bordaient le bassin de la Loire.

La ville d'Orléans avait alors pour gouverneur Innocent Tripier de Monterud ou Montereau, favorable aux protestants, qui y étaient, du reste, en majorité. Dandelot s'y introduisit, sous un déguisement, avec trois à quatre cents hommes, et écrivit au prince de venir le rejoindre. Lorsque Monterud apprit que le roi et la reine étaient retournés à Paris, il voulut changer d'attitude ; mais il était trop tard. Les protestants en armes, ayant Dandelot à leur tête, s'étaient emparés de toutes les portes, et Condé arrivait à la tête de deux mille cavaliers. Lorsque Condé y eut pénétré, le gouverneur demanda à en sortir, ce qui lui fut octroyé.

Ce fut d'Orléans que le prince écrivit (7 avril) à toutes les églises protestantes du royaume, pour leur demander les secours en hommes et en argent dont il avait besoin pour subvenir aux frais d'une guerre entreprise, disait-il, uniquement contre ceux qui tenaient le roi prisonnier et violaient les édits.

Le lendemain, il lança un manifeste dans lequel il exposait les raisons qui l'avaient contraint à prendre les armes, et faisait retomber la responsabilité de cette action sur les triumvirs et principalement sur les princes lorrains. Le 10, il écrivit aux princes protestants d'Allemagne afin d'en faire les auxiliaires de sa cause. Il leur fit écrire aussi par les ministres protestants, et dépêcha vers eux quelques gentilshommes en qualité d'ambassadeurs. A tous il adressait le même appel, les conjurant de le soutenir dans une guerre qu'il n'avait entreprise que pour la gloire de Dieu, le salut du roi et celui du royaume.

Enfin, le 14, fut publié le traité qui avait été passé entre les princes et les confédérés. Ce document, qui jusqu'à ce jour, avait été tenu secret, porte en substance que les confédérés devaient employer leurs biens et leurs vies à empêcher le culte vain et superstitieux, et toutes les paroles contraires au respect qui est dû à Dieu, la débauche des femmes, les vols, les brigandages, etc. etc., et en général tout ce qui est défendu par les lois divines et parle dernier édit de janvier.

Le prince de Condé était déclaré légitime protecteur et défenseur du royaume de France, jusqu'à ce que le roi fût en âge de gouverner par lui-même. Tous s'engageaient à lui fournir les armes, les chevaux et l'argent dont il avait besoin pour faire la guerre. Les contractants se reconnaissaient passibles de fortes peines et supplices s'ils contrevenaient à leur devoir[15].

Alors aussi fut publié par les protestants le traité qui unissait Guise, Montmorency et Saint-André pour la défense de la religion catholique, traité par lequel le roi d'Espagne devenait, en quelque sorte, l'arbitre des destinées de la France. On a assuré que le plan conçu par les triumvirs avait eu l'approbation du concile de Trente. Nous avons dit ce que nous pensions de ce document dont nous avons cité les principaux passages, et les conditions mêmes dans lesquelles il vit le jour sont une preuve de plus du peu de crédit que l'on doit accorder à son authenticité.

On pense bien que Condé ne négligea pas l'occasion de répandre en même temps les lettres que Catherine de Médicis lui avait écrites lorsqu'elle l'appelait à son secours et à celui du roi. La divulgation de ces lettres, et surtout du traité plus ou moins authentique passé entre les triumvirs et le roi d'Espagne, causa en France, en Allemagne et dans les royaumes du Nord, la Suède et le Danemark, une impression profonde.

Les princes et les chefs du parti catholique ne se dissimulèrent pas combien était terrible le coup qui venait de leur être porté. Ils tâchèrent d'en atténuer les effets, en faisant publier dans Paris un édit (7 avril) par lequel le roi et la reine déclaraient que c'était de leur plein gré qu'ils s'étaient rendus dans la capitale ; que le bruit de leur captivité était faux et calomnieux, et que le prince de Condé l'exploitait dans le but de colorer ses desseins pernicieux.

Trois jours après, on envoyait, non au parlement, mais aux juges et magistrats subalternes, un autre édit, qui confirmait celui de janvier, autorisant les protestants à tenir leurs réunions, excepté dans Paris. Ce nouvel édit, qui avait pour but de désarmer la colère des protestants, avait été lancé sous l'inspiration des cardinaux de Bourbon, de Guise et de Lorraine, et avec le consentement des triumvirs, du roi de Navarre, de Brissac et du chancelier de l'Hôpital.

Le trésor du prince de Condé, lorsqu'il avait commencé la campagne, s'élevait à 600 écus[16]. En quelques semaines sa petite armée avait si bien pillé les églises, les villes et les maisons des catholiques, que Condé était plus riche et plus puissant que le roi de France. Ses succès avaient été aussi rapides que brillants. Après Orléans, ce fut Rouen qui tomba en son pouvoir (15 avril). Il avait été favorisé dans ce coup de main par les bourgeois même de la ville, qui voyaient en lui le légitime défenseur de l'autorité royale.

Lorsque, le 20 avril, le duc de Bouillon, gouverneur de la province, voulut rentrer dans la ville et en reprendre possession au nom du roi, les bourgeois y mirent pour condition qu'ils garderaient les places et les portes au nom du duc, et ne les rendraient que lorsque les Guises et leurs partisans seraient éloignés de la cour et auraient rendu compte de l'administration des finances qu'ils avaient gérées sous Henri If et sous François II. Le duc de Bouillon regarda ces conditions comme un affront, et ne voulut pas entrer dans la ville. Son lieutenant, Martel de Bacqueville, qui y était encore, en sortit sous un prétexte quelconque. Les membres du parlement avaient fait de même (14 avril).

La ville n'ayant plus ni gouverneur, ni parlement, ni lieutenant du roi, et cette révolte, bien que faite sans effusion de sang, ayant complètement arrêté le commerce, les habitants nommèrent douze notables pour les administrer.

Après Orléans et Rouen, Condé vit, en moins de trois semaines, son autorité reconnue, plus ou moins librement, par les villes de Tours, Blois, Beaugency, Pithiviers, Angers, Bourges, Poitiers, la Rochelle, Agen, Montauban, Castres, Montpellier, Nîmes, Pézenas, Béziers, Aigues-Mortes, Tournon, Viviers, Orange, Mornas, Grenoble, Montélimar, Valence, Lyon, Mâcon, Châlons-sur-Saône, Dieppe, le Havre-de-Grâce, Caen, Bayeux, etc., etc. Ce n'était donc pas seulement le bassin de la Loire qui se soulevait, c'était d'un bout à l'autre de la France que la guerre civile éclatait.

Toujours habiles et prudents, les princes lorrains opposaient aux violences de Condé et aux entraînements plus que passionnés de leurs propres amis une modération à toute épreuve. Guise voulut se présenter lui-même devant le parlement, pour se disculper du massacre de Vassy. à raconta les faits simplement, et, devant ce corps qui lui était si sympathique, il s'abstint de porter toute accusation et tout blâme contre Condé. Il protesta de son respect pour le prince, et ne voulut rien dire contre ceux qui soutenaient sa cause, sinon qu'il souhaitait que Dieu les inspirât. Il eut l'adresse de laisser à Montmorency le soin de célébrer ses louanges, et de faire ressortir combien son indulgence avait été grande envers les conjurés, qui depuis son retour à Paris avaient résolu de l'assassiner[17].

Mais les événements avaient fait de tels progrès, qu'il n'appartenait plus à aucune puissance humaine d'empêcher que les deux armées n'en vinssent aux prises. Condé avait obtenu les secours qu'il avait sollicités des princes luthériens allemands, et des cantons suisses qui avaient embrassé la religion protestante. La reine Élisabeth venait, en quelque sorte, de déclarer la guerre à la France, en faisant signifier à Catherine de Médicis, par son ambassadeur Throckmorton, son alliance avec Condé touchant les requêtes que ce prince lui avait adressées relativement à la religion. La reine d'Angleterre profitait de cette occasion pour demander la restitution de Calais, 200,000 écus pour les dommages et dégâts de la ville du Havre, et pour les dépenses faites aux fortifications du Havre-de-Grâce. A ces conditions, la reine consentait à ne pas envoyer de secours à Condé.

Catherine de Médicis fut alors obligée d'adopter les plans du duc de Guise, en demandant, de son côté, aide et secours à son beau-fils le roi d'Espagne. Ce monarque lui annonça alors qu'il allait faire marcher trois mille Espagnols sur Bayonne, et trois mille Italiens qui devaient rejoindre les troupes royales en Dauphiné. La reine Marguerite, sa sœur, gouvernante des Pays-Bas, devait faire entrer en France un corps d'environ sept mille hommes, composé d'Allemands et de pistoliers. Toutes ces troupes devaient faire serment au roi de Navarre contre les vassaux rebelles, et sous la conduite du chef qui leur serait donné.

Le duc d'Aumale était envoyé en Normandie, Montpensier en Touraine, et Montluc en Gascogne. Brissac avait remplacé le cardinal de Bourbon dans le gouvernement de Paris[18].

Ces mesures prises, les triumvirs et le roi de Navarre résolurent de marcher à la rencontre des confédérés.

Catherine de Médicis, qui prévoyait qu'après le premier choc son autorité serait annihilée, et que, quel que fût le résultat de la lutte, le pouvoir devait passer tout entier entre les mains de Guise ou entre les mains de Condé, voulut essayer encore une fois de prolonger cette situation équivoque par des négociations qui la faisaient médiatrice entre les deux partis.

Après qu'eurent été lancés les deux édits des 26 et 27 mai, par lesquels les protestants pouvaient quitter Paris sans crainte d'être molestés, le roi de Navarre et les triumvirs, à la tête d'une armée de quatre mille hommes de pied et de trois mille cavaliers, s'avancèrent vers Châteaudun. Condé, de son côté, en apprenant cette nouvelle, sortit d'Orléans et vint camper à quatre lieues de la ville avec six mille hommes d'infanterie et deux mille de cavalerie.

Catherine de Médicis laissa le roi dans le château de Vincennes, et, après avoir rejoint en toute hâte l'armée du roi de Navarre, fit demander une entrevue au prince de Condé, lui assignant un rendez-vous à Toury, dans la Beauce. La reine devait être accompagnée de trente-six cavaliers, et le prince devait avoir pour escorte un même nombre de gentilshommes. Mais dans la crainte que des propos blessants ne fussent échangés de part et d'autre, et qu'une collision ne s'ensuivit, catholiques et huguenots devaient rester en arrière à une distance d'environ huit cents pas. Le 10 juin, l'entrevue eut lieu au point indiqué et dans les conditions qui avaient été arrêtées. Mais, lorsque les seigneurs et les gentilshommes qui faisaient partie des deux escortes se reconnurent de loin, ils oublièrent les conditions qui leur étaient imposées, et, franchissant les distances, ils se précipitèrent les uns vers les autres pour se tendre les mains et s'embrasser. Celui-ci reconnaissait un frère, cet autre un parent, tous des amis qu'ils n'avaient pas vus depuis longtemps, qu'ils n'avaient pas oubliés, et qu'ils chérissaient toujours. Que de soupirs de regret furent poussés dans les deux camps ! que de larmes même furent versées par ces enfants d'une même patrie que les discordes civiles avaient séparés !

Pour cacher leur émotion, en voyant les banderoles blanches des protestants et les banderoles rouges des catholiques si étroitement unies dans ces embrassades fraternelles, quelques-uns se tenaient à l'écart. Mais en songeant, dit Lanoue, que dès que les visières seroient abattues, et que la prompte fureur auroit bandé les yeux, tous ces frères, tous ces amis ne se reconnoîtroient plus, les larmes leur sortoient des yeux.

Cependant l'entrevue de la reine et de Condé n'avait amené aucun résultat après deux heures de discussion. Le prince exigeait que les triumvirs quittassent la cour, et que l'édit de janvier fût observé. La reine avait répondu qu'elle ne voulait pas céder sur le premier point, et que l'exécution du second ne dépendait pas d'elle, mais du clergé, d'une grande partie de la noblesse et de presque tout le peuple qui s'y opposaient. Toujours fidèle à. sa tactique, elle avait formulé ces objections, en laissant à entendre à Condé combien elle serait heureuse d'acquiescer à ces conditions. Le roi de Navarre, qui avait suivi la reine comme Coligny avait suivi Condé, se montra hautain et intraitable, et les deux frères se séparèrent plus irrités que jamais l'un contre l'autre.

Condé revint à Orléans, et rendit compte à ses confédérés dé ce qui s'était passé à l'entrevue qu'il venait d'avoir avec Catherine de Médicis. Les amis du prince jugèrent qu'il était impossible de faire une paix solide et durable tant que ceux qu'ils appelaient la faction ennemie, c'est-à-dire les triumvirs, resteraient armés et tiendraient la reine ainsi que le roi en leur puissance. En conséquence, le prince, par une lettre écrite à la reine et au roi de Navarre, le lendemain de l'entrevue (11 juin), les suppliait tous les deux de ne pas trouver mauvais que lui et ses amis employassent les armes, qu'ils n'avaient prises que pour repousser la violence des conjurés et remettre tout le monde en liberté. Le même jour, Condé envoyait en même temps à la reine un ambassadeur, le sieur Dufour du Vigan, avec une lettre par laquelle il la suppliait de prévenir le carnage dont on était menacé[19].

Aux prétentions du prince, la reine, sur l'avis des triumvirs, dépêcha le secrétaire d'État, Florimond Robertet, pour faire commandement à Condé et à Dandelot, ainsi qu'à tous les confédérés, de mettre bas les armes, et de rendre au roi les places et villes dont ils s'étaient emparés. Après ces actes de soumission, les triumvirs devaient se retirer de la cour, ainsi qu'ils s'y étaient engagés eux-mêmes, par un écrit publié le 4 mai. Cet écrit, connu sous le nom de requête[20], est une des preuves les plus convaincantes des intentions pacifiques dont le duc de Guise était animé, s'il était persuadé que la religion catholique fût suffisamment préservée en France contre les empiétements de l'Église réformée. En même temps que Robertet, étaient envoyés à Orléans le maréchal de Vieilleville et le comte de Villars pour négocier avec le prince. À toutes ces avances, Condé se borna à rendre grâce au roi et à la reine du soin qu'ils semblaient prendre du salut et de la sûreté de leurs vrais serviteurs, mais il n'en persistait qu'avec plus d'énergie dans les prétentions qu'il avait déjà formulées. En même temps qu'il se prêtait à ces négociations, il écrivait, à la date du 16 juin, à l'électeur palatin, pour lui demander de l'assister de son crédit et de ses secours.

Toutes ces allées et venues, toutes ces négociations, tour à tour interrompues, n'avaient fait qu'aigrir les esprits et les exalter. Les soldats et les gentilshommes des deux camps, ne voulant rien comprendre à toutes ces ruses politiques, faisaient entendre de sourds murmures et poussaient leurs chefs à les conduire au combat. Les confédérés huguenots étaient d'avis qu'il fallait immédiatement attaquer la capitale. Le 20 juin, l'armée protestante sortait d'Orléans, et était commandée par le comte de Grammont, à la tête des Gascons ; par Jean de Rohan, à la tête des troupes du Dauphiné et du Languedoc ; et Dandelot, qui avait particulièrement sous ses ordres l'infanterie du pays de France. Les deux armées étaient presque en présence, campées à peine à quelques lieues l'une de l'autre, lorsqu'on convint d'une nouvelle trêve de six jours. La reine en profita pour accourir de nouveau dans le camp et demander encore une entrevue à Condé. Le prince y consentit, voulant, disait-il, prouver par cette démarche qu'il était prêt à tout risquer, jusqu'à sa vie, pour qu'on ne l'accusât point de mettre obstacle à la paix. Ce fut cette fois Jean de Montluc, évêque de Valence, bien connu pour son attachement à la reine et par ses sympathies pour les protestants, qui s'entremit comme médiateur. Les conditions qu'il posa étaient que les triumvirs quitteraient la cour immédiatement, et que le prince de Condé en ferait de même. C'était la présence des chefs qui empêchait tout accord de s'établir. Le prince y consentit.

Lorsque la reine retourna au camp auprès des triumvirs, elle leur donna communication de ce qui venait d'être conclu. Montmorency et Saint-André se refusèrent d'abord à y souscrire. Mais Guise, dont l'intelligence politique était éminemment supérieure à celle de ses amis, n'eut pas une minute d'hésitation. Son coup d'œil sûr et pénétrant a deviné tous les artifices de la reine. Par cet accommodement, elle espère être débarrassée à la fois de lui et de Condé. Le plus sûr moyen de déjouer ses projets, c'est encore d'y souscrire loyalement. Sans Condé l'armée protestante n'a plus de chef et perd tout son prestige. En quittant le camp, les triumvirs laissent l'armée royale intacte, ayant à sa tête le roi de Navarre. En outre, François de Lorraine y comptait trop de partisans pour n'être pas persuadé que ses idées y prédomineraient toujours.

Eh quoi ! disait Montmorency au duc de Guise, est-ce bien vous que je vois abusé par les mensonges et piperies de la reine ? Vous attendez-vous qu'après nous avoir si habilement congédiés, elle nous rappelle jamais et qu'elle nous pardonne son départ de Fontainebleau ? Bien fou qui s'y fierait. — Non pour l'amour de la reine, mais pour l'amour de la paix, répondit Guise.

La résolution de Guise fut inébranlable, et, sans attendre que Condé eût tenu sa promesse, les triumvirs quittèrent leur camp. Cette décision, qui eut un immense retentissement, excita au suprême degré l'admiration des catholiques, tandis qu'elle jetait les protestants dans la consternation. Ce fut de toutes parts un immense concert de louanges à l'adresse de Guise, qui venait de donner une preuve si éclatante de son désintéressement.

Le 8 juin, Catherine de Médicis et Antoine de Bourbon adressaient au connétable de Montmorency la lettre suivante :

Acte par lequel la reine mère et le roy de Navarre déclarent que la retraite volontaire que font de la cour le duc de Guyse, le connestable et le mareschal de Saint-André, ne pourra porter préjudice à leur honneur.

Afin que le deppartement et retraicte de messieurs le duc de Guyse, pair, grant maistre et grant chambellan, du duc de Montmorency, aussi pair et connestable, et du sieur de Saint-André, mareschal de France, ne puisse, pour le présent ny à l'advenir, donner occasion de penser ou dire chose au préjudice de leur honneur, estime et réputation, et que nul en ladicte retraicte ne puisse ymaginer cause ny motif proceddant de leur coulpe.

Nous déclairons et certifions, à tous qu'il appartiendra, que eux meuz du seul respect et affection qu'ilz portent au service du roy, conservation de sa couronne et repoz de ses subjectz, et sans aucune autre cause dont on leur puisse donner blasme ne faire reproche, se sont retirés et deppartiz de l'armée du roy de leur bon gré et franche volunté, afin de lever bout umbre d'excuse à ceulx qui en eussent voullu fonder sur leur présence ; en quoy, comme en toutes leurs œuvres et desportements du passé, nous recognoissons leur singulière affection au service du roy. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Fait à Beaugency, le 28e jour de juing 1562.

CATHERINE, ANTOINE,

DE L'AUBESPINE.

Lorsque Condé eut reçu avis du départ des triumvirs, ce qui le mettait en demeure de tenir sa promesse avec la même ponctualité, il manifesta d'abord quelque hésitation et en appela à son conseil. Ses confédérés et les ministres protestants s'opposent à ce qu'il tienne sa parole. Coligny, l'intègre Coligny l'engage même à profiter du départ du duc de Guise pour attaquer soudainement l'armée royale endormie dans sa sécurité[21]. Condé ne voulut pas se parjurer aussi ouvertement ; mais il se prêta à un subterfuge qui n'était guère plus loyal. Lorsque l'ambassadeur de la reine vint de nouveau, le lendemain, lui rappeler son engagement, à la réponse évasive qu'il fit, Dufresne, voyant qu'il y avait du changement[22], lui donna un rendez-vous. Il revit donc la reine, et dans un langage plein de réticences il expliqua son manque de parole en disant que ses ennemis n'étaient qu'à Châteaudun, qu'il avait la preuve écrite que le duc de Guise lui tendait un piège[23], et que, toutes ces conférences n'aboutissant à rien, il demandait la permission de se retirer.

Lorsque le prince retourna à son camp, il fut reçu par ses officiers, par ses soldats, et même par la noblesse, avec des murmures de mécontentement. On l'accusa d'exposer inutilement ses jours et de perdre les occasions que l'on avait de vaincre. Condé alors ne sut plus résister, et l'on décida immédiatement de surprendre l'armée royale par une attaque nocturne.

Coligny conduisait l'avant-garde avec huit cents chevaux ; Dandelot suivait son frère avec douze cents arquebusiers, qui devaient attaquer l'infanterie royale, tandis que huit cents autres et deux compagnies de piquiers devaient aller contre l'artillerie. Le prince était à l'arrière-garde avec cinq cents gendarmes et le reste de l'infanterie. Mais, à la suite des marches et contre marches qui l'avaient égarée pendant la nuit, l'arma huguenote n'atteignit le camp royal, situé à la Ferté-Aleps, qu'au point du jour. Montmorency, duc d'Anville, voyant approcher l'ennemi ; fit tirer un coup de canon, et soudain tous les chefs furent à leur poste et toutes les troupes sur pied. Le roi de Navarre se borna à ranger son armée sur pied d'une vigoureuse défensive, tandis qu'il envoyait courrier sur courrier pour prévenir les triumvirs et presser leur retour.

Condé et Coligny, voyant que leur projet avait échoué, n'osèrent plus tenter l'attaque et se retirèrent.

Pour se venger, Condé vint mettre le siège devant Beaugency, qu'il avait, quelques semaines auparavant, cédée à son frère. Après avoir fait brèche aux murailles, il s'empara de la ville, qui fut pillée, et presque toute la garnison fut passée au fil de l'épée. Les protestants mêmes ne furent pas épargnés dans le carnage[24].

C'est par le massacre que ces austères réformés, grands diseurs de patenôtres et grands chanteurs de psaumes, commençaient à s'illustrer. Cet acte de cruauté fut, comme on devait malheureusement s'y attendre, suivi de promptes représailles.

L'armée royale leva le camp, et vint à son tour faire le siège de Blois (11 juillet). Guise, qui commandait l'avant-garde, et dont le retour au camp fut un triomphe, s'en empara presque sans coup férir ; mais le prince lorrain fut impuissant à empêcher que la ville ne fût pillée et que de sanglants excès n'y fussent commis. Sur ces entrefaites, plusieurs villes, telles que Tours, Poitiers, Angers, se rendaient aussi sans résistance, et leurs garnisons s'enrôlaient dans l'armée royale, au milieu de laquelle Charles IX se trouvait maintenant en personne. De huit mille hommes qu'elle était à son début, elle s'élevait maintenant à plus de dix-huit mille, grâce aux recrues qu'elle avait faites et aux renforts étrangers, amenés par le rhingrave Philippe et par le colonel Frülich[25].

La ville de Bourges, défendue par d'Ivoy, officier d'un grand mérite, et par quatre mille fantassins et quatre compagnies de cavalerie, devait offrir plus de résistance. Guise en entreprit le siège, qui semblait devoir être long et périlleux. Cependant d'Ivoy, privé de nouvelles de son parti et n'ayant pas d'espoir d'être secouru, tandis que les assiégeants recevaient chaque jour de nouveaux renforts, se laissa séduire par les promesses du duc de Guise, et demanda à capituler dans des conditions avantageuses. Il lui fut accordé que ses troupes et leurs officiers sortiraient de la place pour se rendre librement où bon leur semblerait, et que les habitants auraient sûreté de leurs vies et biens et liberté de leurs consciences, sans danger d'être recherchés en quelque sorte que ce fût, tant du fait des armes que de la religion. Quant à d'Ivoy et à ses subordonnés, ils pouvaient en toute sûreté aller rendre leur serment au prince, et choisir ensuite entre une retraite paisible ou servir dans l'armée du roi. Cette capitulation fut signée le 31 août par le roi, la reine mère, le frère du roi, qui devait être plus tard Henri III, le roi de Navarre, Guise, etc. Plusieurs officiers passèrent du côté de Guise.

Nous ne nous écarterons pas de notre sujet pour entrer dans le récit, même succinct, des événements militaires qui eurent lieu à cette époque dans toutes les provinces de la France. Il y aurait de part et d'autre tant de crimes à signaler, tarit d'iniquités à flétrir, que le cœur en est soulevé d'horreur et de dégoût. L'imagination épouvantée recule devant ces atrocités, dont on ne retrouve un exemple que dans les siècles de la barbarie et sous le règne de la Terreur. Nous n'avons à excuser personne ; mais la responsabilité de tous ces crimes ne doit-elle pas retomber sur ceux qui, sans foi et sans conviction, embrassèrent les nouvelles croyances et réveillèrent le fanatisme des peuples dans le seul but d'agrandir leur puissance ? Sous prétexte de liberté de conscience, ils voulaient ramener la France aux temps de la féodalité. Les princes de la maison de Guise, si ambitieux qu'ils fussent aussi, eurent du moins l'immense mérite, en se mettant à la tête du parti catholique, de se dévouer à la cause qu'ils avaient embrassée avec un dévouement et une abnégation qui leur assignent une place honorable dans notre histoire. Qu'on ne s'y trompe pas : si, au XVIe siècle, la réforme ne fit pas en France de progrès plus grands, si le royaume de Clovis, de Charlemagne et de saint Louis resta fidèle à l'Église romaine, c'est à François de Lorraine surtout qu'il le dut. Il lui dut aussi de conserver son unité, car il était impossible de prévoir ce qui serait advenu si la noblesse réformée, victorieuse sur les champs de bataille, était parvenue à s'emparer du pouvoir.

. . . . . . . . . . .

Requête présentée au roy et à la royne par le triumvirat.

Nous, duc de Guise, pair, grand maitre et grand chambellan de France ; duc de Montmorency, pair et connétable de France ; de Saint-André, maréchal de France : à ce qu'il soit notoire à Vos Majestez et à tout le monde que nos cœurs et intentions assez cognens et déclarez par toutes nos actions passées et tout le cours de nos nages et vies employées et despendues non ailleurs qu'au loyal et fidèle service des Majestez de nos bons deffuncts roys (que Dieu absolve) à la conservation et augmentation de leur honneur, grandeur, estas et couronne, ne furent jamais, ne sont aujourd'hui et ne seront ( Dieu aydant ) de nos vies, autres que tendant à la même bonne et loyale fin que dessus, et par moyens justes, raisonnables, légitimes et louables : à quoi nous avons voué ( après le service de Dieu) le demeurant de nosdictes vies, biens et fortunes.

Supplions très humblement les Majestez de vous, Sire, et de vous, Madame, entendre le fond de nos intentions et pensées, que nous vous découvrons et manifestons en toute syncérité per cet écrit ; ensemble les causes de nostre venue et séjour prés de Vos Majestez, et pour lesquelles nous estimons en nos loyautez et consciences (yen les cstats et charges que nous avons), ne nous en pouvoir ne devoir aucunement départir, sans encourir note et reproche perpétuels, pour nous et nostre postérité, d'entre infidèles serviteurs et officiers déserteurs de l'honneur de Dieu et du bien de son Église, de l'honneur, bien, salut et incolumité du roy et de nostre patrie, et de la paix et repos de l'estas d'icelle, que nous voyons sur le point d'évidente et inévitable ruine, s'il n'y est promptement et sans aucun délay pourvea, par le seul remède des ordonnances que nous estimons devoir par Vos Majestez entre faites, scellées, émolognéas et approuvées tant en vostre grand conseil qu'en la cour du parlement de Paris et autres cours de vostre royaume, telles qu'elles sont contenues aux articles suyvans qu'en toute révérence et humilité nous proposons :

Premièrement. Nous estimons nécessaire non seulement pour l'acquit de nos consciences, mais pour l'acquit de la conscience du roy, et du serment par lui faict à son sacre, pour le. repos, union de ses subjects, et pour ne confondre tout ordre divin, humain et politique, de laquelle confusion dépend et s'ensuit nécessairement réversion de tous les empires, monarchies et républiques, que le roy, par édict perpétuel, déclare qu'il ne veut, et entend autoriser, approuver ne souffrir en sen royaume aucune diversité de religion ny d'Église, prédications, administration de sacrements, assemblées, ministères ne ministres ecclésiastiques ; ains veut et entend la seule Église catholique, apostolique et romaine, reçue, tenue et approuvée de Sa Majesté et de tous ses prédécesseurs, les prélats et ministres d'icelle, prédications, administrations de sacrements d'eux et de leurs commis, avoir lieu en tout son royaume et pays de son obéissance, toutes autres assemblées pour tel effect rejetées et réprouvées.

Que tous officiers de France, domestiques de Sa Majesté et de messeigneurs ses frères et sœurs, tous officiers, tant de judicature que de la milice, comptes et finances de- ce royaume, et autres ayons charges, administration ou commission de Sa Majesté, tiendront et observeront la mesure religion et en feront expresse déclaration ; et les refusans, deléyans ou contrevenons seront privez de leurs estais et offices, gages, charges et administrations ou commissions : sans pour ce touscher à leurs biens ny leurs personnes, sinon qu'ils fissent tumulte, sédition, monopole ou assemblées illicite.

Que tous les prélats, bénéficiers et personnes ecclésiastiques de ce royaume, feront semblable confession ; et les refusans et contrevenons seront privez du temporel de leurs bénéfices, qui sera régy sous la main du roy ; et gens de bien et de bonne religion, commis à l'administration d'iceux par les supérieurs et ceux à qui il appartient y pourvoir ; lesquels, selon qu'ils verront estre à faire, les priveront du titre, et pourvoiront d'autres en leur lieu ;par les voyer dettes et légitimes.

Que toutes les églises violées, desmolies et spoliées en ce royaume, au grand mépris de Dieu et de son Église, du roy, ses ordonnances et edicts, tant anciens que modernes (qui tous ont prohibé tels sacrilèges sous peine de la vie), soyeut réintégrez, réparez et restituez entièrement on leur premier estat et den, et les intérêts satisfaits de tous les dommages soufferts ; et les délinquans infracteurs des édiets violez, et spoliateurs, punis comme il appartient.

Que les armes prinses en ce royaume par quelque personne que ce soit, pour quelque couleur, raison ou occasion que ce puisse être, soyent laissées et ostées par ceux qui les ont prises sans exprès commandement du roy de Navarre, lieutenant général de Sa Majesté, et représentant de sa personne en tous ses royaumes et pays de son obéissance, et ceux qui se sont ainsi armez et persévèrent encore à présent, déclarez rebelles et ennemis du roy et du royaume.

Qu'audict roy de Navarre seul (comme lieutenant général de Sa Majesté et représentant de sa personne), et à qui de par luy sera ordonné et comtitis, soit loisible avoir et assembler forces en ce dit royaume pour l'exécution et l'observation des choses dessus dictes, et autres qui pourront estre advisées pour le bien du roy et de son royaume.

Que les forces commencées à assembler par ce dict seigneur roy de Navarre pour le service de Sa dicte Majesté, pour les effets que dessus, soient maintenues et entretenues soub son antimite pour quelques mois ; dedans lequel temps on espère, si c'est le bon plaisir de Vos Majestés, voir le fruict des remèdes que dessus, et le repos de ce royaume.

Les autres provisions nécessaires et requises tendant au bien et repos de ce royaume qui pourroient estre ici par nous obtenues soyent prinses et suppléées du conseil est advis qui fut donné par la cour du parlement de Paris, lorsque dernièrement vous envoyâtes vers elle le sieur d'Aramon, pour avoir son advis sur les remèdes qui luy semblaient convenables, pour pourvoir aux troubles de ce royaume, et sur ce que ladicte cour y pourra présentement ajouter.

Ces choses faites et accomplies entièrement comme dessus (sans lesquelles nous tenons ce royaume ruiné), nous sommes prests de nous en aller, chacun non seulement en nos maisons s'il nous est commandé et ordonné, mais au bout du monde (si besoin est) en exil perpétuel ; après avoir eu contententement, eu notre âme, d'avoir rendu à Dieu, à notre roy, à notre patrie et à nos consciences l'honneur et service, l'amour et charité, et tout autre fidèle office que nous leur devons en si grand et évident, si important et notable péril et nécessité ; pour auxquels obvier nous sommes prêts de sacrifier et vouer nos vies et tout ce que nous avons de cher et de précieux en ce monde : ce que nous signifions à Vos dictes Majestez et au roy de Navarre, tant pour nous eu être témoins et juges, que pour mettre aux inconvénients que vous voyez les remèdes dessus dicts, que nous estimons estre très nécessaires et seuls convenables, afin qu'il vous plaise en déclarer votre volonté et résolution.

Protestant, devant Dieu et Vos Majestés, que la note telle que dessus ne tend qu'au bien et salut du roi et de son royaume ; et que nous estimons que ceux qui l'auront en recommandation, ne se pourront esbigner des choses cy-dessus recordées et remontrées en test escrit, que nous avons signé de nos mains pour l'acquit de nos consciences et notre descharge envers Dieu, Vos Majestez et tout le monde à l'advenir.

Fait à Paris, ce 4e jour de mas, l'an 1562.

Signé : FRANÇOIS DE LORRAINE, DE MONTMORENCY, SAINT-ANDRÉ.

 

 

 



[1] René de Rouillé.

[2] De Thou.

[3] Pillez tout !

[4] Pendant la tenue des états généraux et avant la formation du triumvirat, Montluc, dévoué au duc de Guise, vint le trouver et lui rapporta des paroles injurieuses que, suivant lui, Antoine de Bourbon avait proférées sur son compte : Le roi de Navarre serait allé encore plus loin, ajouta Montluc, si je ne lui avais fait une réponse dont je suis bien sûr que vous ne me dédierez pas. Puisque vous avez de tels griefs contre le duc de Guise, lui ai-je dit, que tardez-vous à vous en expliquer une bonne épée à la main ? Et le roi de Navarre m'a répondu qu'un tel expédient était fort de son goût. Montluc, — repartit le duc de Guise, avez-vous un écrit signé du roi de Navarre pour me tenir un tel langage ? Le confident tracassier fut obligé de répondre qu'il n'en avait pas. Il vous semble, lui dit alors le duc avec un froid dédain, il vous semble être encore en Piémont, vous divertissant à faire battre vos soldats les uns contre les autres. Apprenez que le roi de Navarre ni moi ne sommes pas nés pour exercer votre imagination.

[5] De Thou.

[6] Discours entier sur la persécution et la cruauté exercées en la ville de Vassy par le duc de Guise le 1er mars 1562.

[7] Anquetil, de Thou, Lacretelle.

[8] Rien ne pouvait les arrêter, ni les menaces ni les prières du duc, qui leur criait de toute sa force et leur ordonnait de Cesser. (De Thou.)

[9] Lacretelle. — Mémoires de Castelnau.

[10] Ces prières se terminaient toutes par ces mots : Nostre aide soit au nom de Dieu qui a fait le ciel et la terre. Elles étaient récitées dans les chambrées des soldats le matin, au corps de garde, le soir à l'assiette de la garde.

[11] Mémoires de Condé.

[12] Tavannes.

[13] René de Bouillé, d'après les papiers de Simancas.

[14] Le chancelier de l'Hôpital avait été exclu du comité après une altercation avec le connétable. Les triumvirs venaient de déclarer la guerre à Condé et aux siens ; l'Hôpital ayant voulu s'y opposer, Montmorency lui répliqua que les gens de robe n'avaient pas à se mêler des choses de la guerre.

[15] De Thou.

[16] Lacretelle.

[17] Lorsque le duc de Guise retourna dans la capitale, quelques huguenots fanatiques, avant formé le projet d'attenter à ses jours, demandèrent à ce sujet conseil à Théodore de Bèze et aux autres ministres protestants. Les ministres de l'Église réformée s'opposèrent à cet attentat.

[18] René de Bouillé.

[19] S'il devait y avoir un carnage, il en avait d'avance accepté la responsabilité lorsqu'il s'était écrié en présence de Coligny et avant de rejoindre Dandelot à Orléans : C'en est fait ! nous sommes plongés si avant, qu'il faut boire ou se noyer.

[20] Voir le texte de cette requête à la fin de ce chapitre.

[21] D'Auvigny, Vie des hommes illustres.

[22] De Thou.

[23] Condé prétendit avoir en main une lettre écrite par le duc de Guise au cardinal de Lorraine, son frère. Nous faisons observer que cette lettre, bien qu'elle se trouve dans les Mémoires-Journaux du duc de Guise, est fort contestée. En tous cas, en admettant même sou authenticité, elle ne contient que des prévisions et ne justifie en aucune façon le manque de parole du prince de Condé :

Je vous envoie ce porteur en diligence, pour vous advertir que tout fut hier accordé, et puis vous dire que le commencement est à l'honneur de Dieu, service du roy et repos du royaume. Ledit porteur est suffisant, et n'auront la nouvelle nos chers cardinaux que par ceste lettre ; comme aussi nostre mareschal de Brissac, qui cognoistra qu'il y en a qui sont bien loing de leurs desseins : notre mère et son frère ne jurent que par la foy qu'ils nous doivent, et qu'ils ne veulent plus de conseil que de ceux que sçavez qui vont le bon chemin. Conclusion, la religion réformée, en nous conduisant et tenant boit, comme nous ferons jusques au bout ; s'en va aval l'eau, et les admiraux, mal ce qui est possible : toutes nos forces entièrement demeurent, les leurs rompues, les villes rendues sans parler d'édicts ni de presche et administration de sacrements à leur mode. Ces bons seigneurs croiront, si leur plaist, cedict porteur de ce qu'il leur dira de la part des trois de leurs amis, et baise la main.

De Beaugency, ce jeudy vingt et cinquième de juin 1562.

[24] De Thon, Lacretelle, etc.

[25] René de Bouillé.