FRANÇOIS DE LORRAINE

 

CHAPITRE HUITIÈME.

 

 

Considérations sur les guerres civiles du XVIe siècle et sur les Guises. — Guerre entre la France et l'Angleterre. — Mort de Marie de Lorraine (10 juin 1560). — Paix conclue entre l'Angleterre, la France et l'Écosse. — Nouvelle attitude politique du cardinal de Lorraine. — Le chancelier Michel de l'Hôpital. — Procès entre le duc de Guise et le connétable do Montmorency. — Projets de réunion d'un concile œcuméniques et d'un concile national. — Le prince de Condé forme de nouveaux projets de révolte. — Réunion du grand conseil. — Discours des divers orateurs. — Rivalités entre Guise et Coligny. — Le grand conseil décide que les états généraux se réuniront à Meaux le 10 décembre, et que le concile national s'assemblerait le 10 janvier 1561. — Le complot de Condé est découvert. — Le vidame de Chartres. — Sa condamnation, sa mort. — Situation du Languedoc, de la Provence et du Dauphiné. — Mesures prises par le duc de Guise pour combattre l'insurrection. — La cour se rend à Orléans, où doivent se tenir les états généraux qui étaient convoqués à Meaux. — Antoine de Bourbon et Condé se rendent à Orléans sur l'ordre du roi. — Comment ils sont reçus par le roi. — Condé est accusé de haute trahison et arrêté. — Projets prêtés au duc de Guise de faire assassiner Antoine de Bourbon par Henri II. — Procès de Condé. — Le prince est condamné à mort le 26 octobre. — Mort de François II (5 décembre 1560). — Antoine de Bourbon est nommé lieutenant général du royaume. — Disgrâce des Guises.

 

C'est de la conjuration d'Amboise que date l'ère des discordes civiles qui ont ensanglanté la France jusqu'au moment où Henri IV, par son abjuration et par sa politique aussi ferme que prudente, put ramener la paix et la concorde dans le royaume.

Trois siècles ont passé sur ces lugubres événements. Eh bien, malgré les révolutions de toutes sortes qui se sont succédé et ont si fortement bouleversé la France depuis cette époque, il semble que la vérité ne se soit pas faite tout entière sur les guerres de religion, et qu'il soit impossible, à cette grande distance, de juger impartialement les hommes qui y prirent une part si active. C'est que malheureusement les haines intestines soulevées par la réforme n'ont jamais été complètement éteintes. Elles ont changé de nom et de caractère ; mais, dans le fond, elles servaient et servent encore les mêmes passions qui les ont amenées.

On pourrait si l'on ne craignait de faire perdre à l'histoire son calme et sa gravité, établir un parallèle entre les fauteurs de révolutions de toutes les époques, surtout depuis Condé et Coligny jusqu'aux plus modernes ; et il ne serait que trop facile de voir que les uns et les autres, sous le masque trompeur de liberté de conscience ou de liberté politique, n'ont eu d'autre dessein que de renverser le pouvoir légal pour y substituer le leur. Pour arriver à ce but, ils n'ont pas craint de faire appel à la guerre civile et d'exposer le pays à succomber sous les maux qu'elle entraîne après elle.

Les Guises, on peut le dire hautement, et l'histoire est là pour le témoigner, malgré les entraînements dont ils se rendirent coupables, malgré leur ambition démesurée, remplirent, pendant la première période de leur puissance, une mission que l'un peut considérer comme vraiment providentielle. Il est malheureusement trop établi que les chefs du calvinisme avaient un autre but en prenant les armes que de chasser les Guises du pouvoir. lis voulaient morceler la France en faisant revivre les anciens droits féodaux. Ils auraient ainsi établi une sorte de république oligarchique, dont ils se seraient tour à tour disputé le gouvernement. La reine Élisabeth d'Angleterre et les princes luthériens allemands devaient au besoin les aider dans cette entreprise antinationale. Montmorency lui-même, tout catholique qu'il était, n'était peut-être pas éloigné de cette idée. Ce fut François de Lorraine qui, par son énergie et s mn sang-froid, déjoua ces projets, et maintint sur le front des Valois la couronne chancelante de Hugues Capet et de François Ier. C'est à lui que la France doit de n'avoir pas été morcelée par les princes et les seigneurs, qui voulaient se tailler de nouveaux domaines dans les provinces que les rois de France avaient si péniblement conquises.

Ce titre de conservateur de la patrie, que lui décerna le parlement, il l'avait donc bien mérité.

A la mort de Marie Tudor, les Guises avaient fait prendre à Marie Stuart le titre et les armes de reine d'Écosse, d'Angleterre et d'Irlande, comme ayant plus de droits à la couronne d'Angleterre que sa cousine Élisabeth, tille de Henri VIII et d'Anne Boleyn. Ils espéraient ainsi réunir un jour sur la tête des enfants de Henri II et de Marie Stuart la couronne

[de France et la couronne du Royaume-Uni. Le plan était hardi et bien digne d'être conçu par ces illustres ambitieux. Mais, en le formant, ils n'avaient pas compté avec les progrès que faisait la réforme en Angleterre et même en Écosse, ni avec la réprobation que soulèverait chez ce peuple, rempli de fierté et de patriotisme, la perspective d'être gouverné par un prince étranger.

La reine Élisabeth s'appuya, à son avènement au trône, sur la fraction toute-puissante des protestants ses coreligionnaires, et se montra si habile politique, si jalouse de relever l'orgueil national, que les factions furent apaisées et qu'elle put braver les menaces des Guises.

Ces derniers, malgré les avis contraires de Philippe II, avaient fait passer en Écosse la Brosse avec deux mille fantassins pour soumettre les révoltés, à la tète desquels 'était Hamilton, soutenu par l'Angleterre. Élisabeth répondit à cette démonstration armée par un libelle des plus outrageants pour les Guises, et qui fut répandu en France à grande profusion.

Six mille Anglais passèrent en Écosse, et vinrent mettre lé siège devant Leith. Les escadres françaises sortirent de la Méditerranée pour aller porter de nouveaux secours à la reine douairière Marie de Lorraine ; mais elles ne purent arriver à leur destination à cause des tempêtes dont elles furent assaillies sur l'Océan. Cependant la guerre allait prendre un caractère plus général, lorsque la mort de Marie de Lorraine, 10 juin 1560, contraignit les Guises à conclure une paix qui accordait aux protestants d'Écosse le libre exercice de leur religion, et ne permettait plus à Marie Stuart de porter le titre illusoire de reine d'Angleterre. Le 6 juillet, la Brosse ramena en France les troupes qu'il commandait, moins une garnison de cent vingt hommes qui fut laissée dans l'île de Keith.

La vindicative Élisabeth ne pardonna jamais à Marie Stuart ses prétentions à la couronne d'Angleterre, et cc fut de sa tête qu'elle devait lui faire payer l'ambition de ses oncles.

La dépouille mortelle de Marie de Lorraine fut transportée en France par les soins du cardinal son frère, et déposée dans le couvent de Saint-Pierre de Reims, dont sa sœur la princesse Renée était abbesse. Un magnifique tombeau fut élevé au milieu du chœur de l'église.

A l'intérieur du royaume, le cardinal avait apporté de sérieuses modifications à sa politique. Il ne se montrait plus si rigide ni si violent contre les réformés. Son caractère même s'était adouci dans ses rapports avec les personnages de la cour. On prétend qu'il alla jusqu'à recevoir chez lui les théologiens calvinistes avec lesquels il soutenait, de fréquentes controverses sur les points qui les divisaient. Toutefois cette apparente mansuétude ne trompait personne et ne lui attirait aucune sympathie. Il le savait bien du reste ; et s'il agissait ainsi, ce n'était que pour ménager la reine mère et pour attendre un moment plus favorable à ses desseins.

Catherine de Médicis, dont le caractère reste encore une énigme pour ceux qui veulent la juger sans passion, venait d'appeler à la tête de la magistrature le seul homme peut-être dont le nom soit resté sans tache au milieu de ces débordements de passions et de haine, le chancelier Michel de l'Hôpital.

Le père de Michel de l'Hôpital avait été médecin du connétable de Bourbon, et en cette qualité il avait suivi le célèbre proscrit. Son fils fut pour ce fait longtemps retenu en prison. Il fut enfin relâché par commandement exprès du roi François Ier, parce qu'aucune accusation sérieuse ne pesait sur lui. Son père avait commencé son éducation, aussi solide que brillante ; il la développa ensuite lui-même avec éclat dans les principales facultés d'Italie. Doué d'une intelligence remarquable, il excellait dans la poésie latine et dans la connaissance du droit. Il était en même temps orateur et homme d'État. Quand il revint en France, ramené par l'amour de la gloire et de la patrie, son début au barreau fut si éclatant, qu'on lui pardonna d'être le fils d'une des créatures du connétable, et que François Ier lui-même voulut l'attacher à cette pléiade de savants, de poètes et d'artistes, dont il aimait à s'entourer, et qui ont fait la gloire la plus éclatante de son règne.

Michel fut d'abord nommé magistrat. Ensuite Henri II le nomma président de la chambre des comptes. Dans ces fonctions, par son esprit, ferme, courageux et conciliant autant qu'élevé, il avait su mériter la confiance et l'affection de tout le monde. Il défendit presque toujours la cause des réformés, qui étaient les plus faibles ; mais il eut souvent à souffrir des tendances antinationales et des idées de révolte qui étaient le fond des doctrines de ses protégés.

Catherine de Médicis l'avait jugé le seul homme capable de contre-balancer la puissance des Guises. Mais le cardinal de Lorraine, qui savait avoir dans Michel de l'Hôpital un admirateur sincère, l'accepta, croyant trouver en lui un instrument docile de sa politique. Le fond de la doctrine du célèbre chancelier était la clémence et la modération. Il ne voulait point que le roi fût un justicier implacable, mais le suprême conciliateur entre ses sujets. C'est à cette politique si large et si élevée qu'il voulait consacrer les efforts de sa vaste intelligence. Il y aurait réussi, si une telle tâche, à une telle époque, n'eût pas été au-dessus de la puissance humaine.

Une misérable question d'intérêt vint encore jeter des ferments de discorde entre les princes lorrains et le connétable de Montmorency, et accroître les griefs des mécontents contre les ministres de François II.

Un procès à propos du comté de Dammartin, que François de Guise voulait acquérir, allait avoir lieu entre lui et le connétable. Les rapports entre ces deux puissants seigneurs devinrent si acrimonieux, que Montmorency demanda au roi de lui désigner d'autres ministres que les princes lorrains, lorsqu'il aurait à traiter de ses affaires. La cour pourtant eut la sagesse d'assoupir cette affaire, en obtenant des deux puissants rivaux qu'ils confiassent leurs intérêts à des tierces personnes.

La politique de Catherine de Médicis et du chancelier de l'Hôpital fut suivie de grands effets. Ce fut sur l'initiative du chancelier que fut lancé l'édit de Romorantin, par lequel la connaissance du crime d'hérésie fut attribuée aux évêques, à l'exclusion des juges séculiers. Le discours qu'il prononça devant le parlement de Paris, pour faire enregistrer cet édit, contenait un exposé de sa politique ferme et conciliante, et des projets de réformes qu'il croyait indispensable d'apporter dans l'administration du royaume et même dans la discipline ecclésiastique.

Le cardinal de Lorraine négociait avec la cour de Home et avec la cour d'Espagne pour la réunion d'un concile œcuménique, dans lequel serait tranché le différend qui divisait le Saint-Père et Philippe II, et où seraient discutées les questions de conscience soulevées par les réformés. En attendant la réunion de ce concile, la reine mère et le chancelier, sur les conseils de Coligny, firent accepter aux princes lorrains la convocation d'un concile national qui devait suivre de près la convocation des états généraux. Ces importantes assemblées devaient être précédées de la réunion du grand conseil, fixée au 21 août. Cette décision avait été prise le 21 juillet.

Mais tandis que la cour semblait ainsi postée à la conciliation, et voulait sincèrement l'apaisement des esprits, le prince de Culé se rendait à Nérac auprès du roi de Navarre son frère, pour susciter de nouveaux troubles et organiser partout la guerre civile. Il espérait que son frère sortirait de son apathie et se mettrait hardiment avec lui à la tête des mécontents. Le maréchal de Saint-André était parvenu à connaître les nouveaux projets du prince de Condé en s'emparant des lettres dont était porteur un gentilhomme basque, nommé Jacques de la Sagne. Ces lettres étaient fort compromettantes, non seulement pour ceux qui les avaient écrites, mais encore pour ceux à qui elles étaient adressées. Seule, celle qui était de Montmorency ne dévoilait aucun fait important ; mais les autres révélaient une vaste conjuration, qui devait mettre tout le Midi et même la Bretagne en armes contre l'autorité royale.

Guise, à cette nouvelle, fit descendre la Loire à toutes les vieilles bandes venues du Piémont, et se mit en mesure de surveiller de près les mouvements de Coligny, qu'il redoutait entre tous. Cependant l'époque de la réunion du grand conseil approchait, et le roi avait écrit, de sa propre main, à Antoine de Bourbon et au prince de Condé pour les inviter à s'y rendre. Les familiers du roi de Navarre insistèrent auprès de ce prince pour qu'il ne se rendît pas à Fontainebleau, lui assurant que les Guises voulaient le faire assassiner. Antoine et Condé saisirent différents prétextes pour décliner l'invitation qui leur était adressée. Mais le connétable et Coligny n'osèrent pas résister aux ordres du roi. Bien résolus l'un et l'autre à opposer la force à la force, si besoin était, ils arrivèrent à la cour suivis d'une telle foule de gentilshommes, pages et écuyers de leurs maisons, qu'on les eût crus vraiment à la tète d'une armée. De plus, les gentilshommes de l'arrière-ban avaient été aussi convoqués, et étaient prêts à venir à leur secours au premier signal d'alarme. Guise répondit à l'altitude belliqueuse de ses ennemis en renforçant la garnison de Fontainebleau et en accélérant l'ouverture du conseil.

Le 21 août, le conseil se réunit dans l'appartement de la reine mère. Il était composé du roi, ayant à ses côtés Catherine de Médicis et Marie Stuart. Venaient ensuite les frères du roi et les cardinaux de Bourbon, de Lorraine et de Guise. Le duc de Guise, le duc d'Aumale, le connétable de Montmorency, l'amiral de Coligny, le chancelier Michel de l'Hôpital, les maréchaux de Brissac et de Saint-André, archevêque de Vienne, Morvilliers, évêque d'Orléans, Montluc, évêque de Valence, Du mortier et d'Avauson, conseillers privés, les chevaliers de l'ordre, les conseillers d'État, les maîtres des requêtes, les secrétaires d'État et des finances, les trésoriers généraux et de l'épargne[1].

Le roi ouvrit la séance par l'exposé des motifs qui avaient nécessité la réunion du conseil, et en exhortant chacun à donner son avis, en toute franchise, sur les moyens les plus convenables pour remédier aux maux du royaume. Il chargeait son chancelier et ses deux ministres, le duc de Guise et le cardinal de Lorraine, de fournir au conseil toutes les explications nécessaires. La reine mère parla à peu près dans le même sens, disant qu'elle attendait du conseil que le sceptre fùt. conservé à son fils, que ses sujets fussent soulagés, et que les mécontents fussent satisfaits s'il était possible.

Le chancelier fit, en termes précis, le tableau de la situation intérieure du royaume. Évitant avec soin d'aigrir le débat par des faits personnels, il s'en tint à des maximes générales, auxquelles il donna des développements trop étendus. Quant à Guise, il voulut mettre papier sur table, en rendant compte de la charge qui lui était confiée dans la gendarmerie et les forces du royaume. Il n'eut pas de peine à démontrer que si les agitations continuaient, s'il lui fallait tenir tête à de nouvelles séditions, ses forces seraient insuffisantes, et qu'il faudrait les doubler et même les tripler. Le cardinal se borna, ce jour-là, à exposer la situation financière du royaume, qui était relativement florissante. Pourtant il ne dissimula point au conseil que, malgré les économies qu'il avait opérées, le budget se soldait encore par un déficit de près de trois millions.

Cette première séance du conseil ne fut donc troublée par aucun incident. Mais le lendemain, au moment où Montluc, évêque de Valence, allait prendre la parole sur l'ordre du roi, Coligny, qui, en l'absence des princes de Bourbon, était un des principaux personnages de la cour, s'avança vers François II, et lui remit deux requêtes : l'une destinée au roi, et l'autre à la reine mère. Ces requêtes, à son dire, émanaient de fidèles chrétiens de Normandie, adressant leurs prières à Dieu suivant les véritables règles de la pitié, et demandant au roi le libre exercice de leur religion. C'était l'incident attendu et inévitable. A la vue de ces requêtes qui ne portaient aucune signature, de graves murmures se firent entendre parmi les chevaliers de l'ordre, partisans des Guises. Coligny dit que ces requêtes seraient couvertes, s'il le voulait, de plus de cinquante mille signatures. Le roi voulut que ces requêtes fussent lues immédiatement par un de ses conseillers. Mais, après que le secrétaire d'État l'Aubépine eut donné connaissance au conseil de ces deux documents, l'évêque de Valence ayant été de nouveau appelé par le roi à donner son avis, l'orage soulevé par Coligny n'eut pas ce jour-là d'autres suites.

Le cardinal de Lorraine, pour que la discussion ne s'égarât pas, avait exposé aux membres du conseil les points sur lesquels ils devaient délibérer, qui étaient de la religion, des finances et de l'obéissance au roi.

L'évêque de Valence fit, avec une grande élévation de pensée, et souvent avec une éloquence aussi ferme que hardie, la tableau des progrès que l'hérésie avait faits dans le royaume, et exposa avec une extrême sévérité les causes de ce progrès :

La doctrine, Sire, qui amuse vos subjects, a esté semée en trente ans, non pas en un, ou deux, ou trois jours, a esté apportée par trois ou quatre cents ministres diligens et exercez aux lettres, avec une grande modestie, gravité et apparence de sainteté, faisans profession de déserter tous vices, et principalement l'avarice, sans aucune crainte de perdre la vie pour confirmer leur prédication, ayant toujours Jésus-Christ en la bouche, qui est une parole si douce, qu'elle fait ouverture des oreilles qui sont les plus serrées, et découle facilement dans le cœur des plus endurcis. Et ayans lesdicts prédicans trouvé le peuple sans conduicte de pasteur ni de berger, ni personne qui prist charge de les instruire ou enseigner, ils ont esté facilement reçus, volontiers ouys et es-coulez. Tellement qu'il ne se faut point esbahir s'il y a grand nombre de gens qui agent embrassé ceste nouvelle doctrine, qui a esté, par tant de prescheurs et par tant de livres, si diligemment publiée[2].

Il s'éleva ensuite contre la plupart des édits qui avaient été lancés contre les hérétiques et contre les licences du clergé et même de la cour de Home. Pour remède à ces maux, il demanda premièrement qu'on recourût à Dieu, qui nous a plusieurs fois montré, dit-il, combien il était courroucé et irrité contre nous. Il cita les punitions que Dieu avait envoyées au peuple juif, et rappela la conduite du saint roi David. Il vous faut donc humilier, Sire, devant Dieu, et recognoistre que les punitions viennent de lui et de son juste et certain jugement. Il faut mettre peine de l'apaiser avec continuelles prières et changement de vie. Il recommanda que le saint nom de Dieu ne fût plus blasphémé ; que son Écriture fût publiée et interprétée sincèrement et purement ; que les reines et les princesses chantassent les psaumes de David et les louanges de Dieu.

Ce qui fit croire, sans doute, que ce prélat était entaché d'hérésie, ce fut la façon dont il parla de l'habitude qu'avaient les protestants de chanter les psaumes en français et en tout lieu. Il rappela que saint Paul ordonnait aux Éphésiens et aux Colossiens de chanter les psaumes, et que saint Jacques avait exhorté ceux qui étaient tristes de prier, et %eux qui avaient l'esprit en repos de chanter. Pour le second point, il supplia le rai de vouloir permettre un concile général, moyen, disait-il, que nos anciens ont suivi pour mettre en paix la chrétienté, qui a été plusieurs fois divisée par des hérésies plus pernicieuses que celle d'aujourd'hui.

Il divisa les réformés en deux sortes : les séditieux, qui couvrent leurs meschants desseins d'aulcun zèle de la religion, car il n'y en a point de réprouvée qui leur puisse servir d'excuse, ni de bonne qui leur puisse favoriser : et ceux qui, ayant reçu la doctrine protestante, la retiennent avec telle crainte de Dieu, et vous portent telle révérence qu'ils ne voudroient point vous offenser.

Pour réprimer la témérité des séditieux, il avait grande confiance dans les fidèles sujets du roi, qui tous, pour son service, emploieraient leurs personnes, leurs biens et l'aide de leurs amis. Il demanda pour les seconds, non les persécutions et les tourments, qui n'ont de rien profité, mais d'user des moyens de Léon Ier, et de revenir au zèle et à la charité des bons et anciens Pères.

Marillac, archevêque de Vienne, parla dans le même sens, mais avec plus de force et d'énergie encore pour provoquer la réunion d'un concile national ainsi que la réunion des états généraux.

On soit, par le fond des discours que nous venons de citer, que le clergé catholique n'était pas animé contre les réformés de cette haine ardente et même fanatique dont on l'a accusé depuis. Mais les esprits les plus prévenus en leur faneur, les plus sages et les plus tolérants, ne pouvaient, ainsi que Montluc et Marillac, s'empêcher de reconnaître que la religion n'était qu'un prétexte, servant d'excuse à l'ambition des grands. Si donc plus tard de sanglants et tristes excès furent commis, n'est-il pas juste que la responsabilité retombe tout entière sur ceux qui les suscitèrent, en faisant appel les premiers à la guerre civile ?

Coligny, qui, dans la séance suivante, prit la parole après avoir donné son acquiescement aux paroles de l'archevêque de Vienne, conclut aussi à la prompte convocation des états généraux. Dans son discours, plein de fougue et de violence, il attaqua directement le duc de Guise, qu'il accusa, en quelque sorte, de tenir le roi prisonnier, en l'entourant d'une garde aussi nombreuse qu'inutile. C'était dans l'affection de ses sujets, dont ses ministres voulaient l'éloigner, que roi devait trouver sa sécurité.

Guise riposta à l'amiral en rappelant la conjuration d'Amboise, les périls que ]e roi avait courus, et la nécessité où il était d'être toujours armé contre les séditieux.

Il ne voulut point entrer en controverse sur les questions religieuses, s'en remettant, sur ce sujet, à plus docte que lui. Il ne s'opposait certes pas à la convocation d'un concile ; mais il tenait à déclarer au parlement que, quelle que fût la décision de cette assemblée, elle ne saurait le détourner de l'observation du culte de ses pères. Ces paroles, dans la bouche de ce grand homme de guerre, étaient, il faut bien le reconnaître, le cri de la conscience et de la foi.

Le cardinal, qui sut modérer, cette fois, les emportements de son caractère, répondit à Coligny avec cette male éloquence qui faisait de lui le plus grand orateur de son époque. A propos des suppliques présentées par Coligny, qu'il repoussa comme séditieuses, téméraires, hérétiques et imprudentes, il dit que si elles pouvaient être couvertes de cinquante mille signatures, il se faisait fort, lui, de leur en opposer un million. Il ajouta, non sans raison, que si les séditieux se présentaient en sujets très fidèles et très soumis, c'était à la condition que le roi serait de leur opinion, de leur secte, ou du moins qu'il les approuverait. Il voulait que les séditieux fussent sévèrement punis, mais que la plus grande indulgence fût accordée à ceux qui n'étaient qu'égarés. Par un mouvement oratoire plus habile que sincère il déclara qu'il était prêt à faire le sacrifice de sa vie, s'il croyait que sa mort pût être utile à ces paulvres dévoyés. Rappelant un édit précédant[3], par lequel les évêques et les magistrats étaient tenus à résider dans leurs diocèses, il dit que les évêques et les curés devaient employer tous leurs efforts à gagner et corriger selon l'Évangile : Corrige fratrem tuum inter te et ipsum. Ne pouvant guère s'élever contre la réunion d'un concile et des états généraux, il fut assez habile, encore une fois, pour faire contre mauvaise fortune bon cœur. Il fut d'avis, en terminant, de rendre résolu et paisible un chascun, de la bonne administration des affaires du royaume, et de leur faire voir au doigt et à l'œil la bonne espérance du mieulx.

Le conseil décida, à la presque unanimité, par un édit qui fut lancé le 9.6 août, que le 10 janvier, les évêques de France s'assembleraient en concile national, si, avant cette époque, le pape ne les avait pas convoqués en concile œcuménique, et qu'un mois avant, c'est-à-dire le 10 décembre prochain, les états généraux seraient réunis à Meaux.

Mais, pendant que se tenait cette assemblée, Guise et le cardinal se faisaient remettre la correspondance dont la Sagne était porteur, et obtenaient de ce gentilhomme les révélations les plus compromettantes pour le prince de Condé, pour le vidame de Chartres (François de Vendôme), et même pour le connétable de Montmorency. Dans le cours de l'interrogatoire qu'on lui fit subir, la Sagne finit par avouer qu'une vaste conjuration, dont le prince de Condé était le chef, allait éclater dans presque toute la France. Par crainte d'être soumis à la torture, il indiqua à ses juges le procédé dont ils devaient se servir pour lire la correspondance du vidame de Chartres.

En effet, quand l'enveloppe des lettres fut trempée dans l'eau des caractères jusqu'alors invisibles, révélèrent le Véritable sens de cette correspondance mystérieuse. Le vidame de Chartres, qui était un fougueux protestant, se faisait le bras droit de Condé dans l'entremise ourdie contre les Guises. Le connétable lui-même, était fort compromis dans cette affaire par une note de son secrétaire d'Artois, dans laquelle il était dit que son maître n'abandonnait pas le dessein qu'il avait formé de se défaire des princes lorrains, et d'aider de tout son pouvoir au changement de l'administration du royaume. Il espérait arriver à ce résultat par l'influence qu'il exercerait aux états généraux ; mais en attendant il voulait que les ministres fussent attaqués à visage découvert.

Le lendemain de la clôture du conseil, 27 août, par ordre du roi, le vidame de Chartres était arrêté et mis à la Bastille. Ce prince, jeune et galant, avait été, dit-on, très en faveur auprès de la reine mère, qui le délaissa pour François de Guise. Il croyait, toutefois, pouvoir encore compter sur le tout-puissant appui de Catherine de Médicis. Mais celle-ci resta sourde à toute supplication, et ne voulut rien faire auprès de son fils pour obtenir sa liberté.

Le vidame, étant chevalier de l'ordre de Saint-Michel, devait être jugé par ses pairs ; à cet effet, il adressa une demande au cardinal, qui était chancelier de l'ordre, pour qu'il l'assemblât le chapitre ; mais Charles de Lorraine s'y refusa énergiquement.

Cependant le (lue de Guise, qui, avant d'être dans les bonnes grâces de la reine mère, avait été lié de sincère amitié avec François de Vendôme, se montra à son égard, plein de commisération, et s'employa activement pour qu'il fût fait droit à sa demande.

De son côté, le connétable, se croyant à l'abri de tout soupçon, les révélations de la Sagne ayant été tenues fort secrètes, exigeait aussi impérieusement la réunion du chapitre. Mais lorsque le prince fut rendu à la liberté, et avant même d'avoir comparu devant ses juges, il mourut presque ; subitement, empoisonné, selon les uns, victime, selon les autres, des tourments que son emprisonnement lui causa. Avec lui s'éteignit la race des comtes de Vendôme.

Les lettres dont la Signe était porteur et les révélations orales que fit ce dernier, ne furent pas les seules preuves que les Guises acquirent de l'état de fermentation où se trouvaient la plupart des provinces. Le comte de Villars rendait compte au roi de la situation dans laquelle se trouvait le Languedoc, où il commandait. Les villes de Nîmes, Montpellier, Aigues-Mortes et quelques autres des environs, étaient celles par lesquelles la sédition avait commencé. Les séditieux gardaient les portes des villes et visitaient tous ceux qui se présentaient. Les magistrats et officiers fermaient les yeux ou étaient de connivence avec les rebelles, et les bons sujets gémissaient ou gardaient le silence sous les menaces qui leur étaient faites.

Les villes qui ont reçu les ministres et les séditieux sont : Nismes, Montagnac, Castres, Montpellier, Annonay, Marcellargues, Aigues-Mortes, Sainct-Jehan-de- Gardon, Neuches, Uzès, Pézenas, Anduze, Privas, Gignac, Covinon, Sornières, Vauvert.

Les autres sont prêtes à se déclarer. On voit que le gouvernement est venu sans force ; on a fortifié partout ; on amasse des armes, on crie à la liberté. La ville de Nismes, qui d'abord avait répondu avec soumission, est devenue plus insolente par cette raison. Les députés de Montpellier ont déclaré que le roi n'avait pas de sujets plus fidèles ; mais qu'à l'égard de leurs âmes, ils le voulaient supplier de les laisser vivre tranquilles, et qu'ils remettraient leur requeste aux estais. Pour prévenir le danger de cette démarche de leur part, le comte de Villars a deffendu, à peine de la vie, de délibérer dans l'assemblée à ce sujet, ne permettant d'y parler que des matières ordinaires.

Le comte de Villars, pour obvier aux maux dont il instruit, propose de lui donner une armée de dix mille hommes d'infanterie et cinq cents hommes d'armes, avec une artillerie convenable, et qu'après qu'il aura puni les rebelles, cette armée reste dans les villes du pays, parce qu'ils publient que, si on les contraint par la force, ils se retireront et reviendront quand les troupes seront sorties de la province[4].

Dans la ville de Nîmes, de Montbrun, neveu du cardinal de Tournon, à la tête des mécontents, n'avait pas craint de piller l'église et de s'emparer de tous les objets appartenant au culte. Presque en même temps (octobre), les rebelles s'emparaient de la recette générale de la ville de Montpellier ; la ville de Lyon était, par surprise, attaquée par un nommé Maligny, un des gentilshommes du prince de Condé et un des principaux fauteurs de la conjuration d'Amboise. Il avait fait entrer dans la ville une centaine d'hommes, et il espérait, avec le concours de la population, chasser la garnison tout entière. Ayant mal concerté son plan, il fut vigoureusement  repoussé ; mais il parvint encore une fois à s'échapper, laissant entre les mains des troupes une cinquantaine d'hommes qui furent pendus.

Ce n'était pas seulement le Languedoc et la Provence qui étaient ouvertement en guerre civile contre le pouvoir royal ; les protestants de Genève faisaient de fréquentes excursions dans le Dauphiné ; la reine Élisabeth envoyait ses agents en Normandie, pour venir en aide à Condé, dans le but bien apparent de reprendre Calais et peut-être aussi Boulogne.

Ainsi les chefs huguenots, pour satisfaire leur ambition, non seulement n'hésitaient pas à livrer la France aux horreurs de la guerre civile, mais encore ouvraient ses portes à l'étranger ; car derrière les protestants de Genève il y avait encore les princes luthériens d'Allemagne.

Pour vaincre cette formidable insurrection, Guise, mal soutenu par la reine mère, attaqué par Montmorency et par les Châtillon, eut besoin de déployer toutes les ressources de son vaste génie. Habile à dissimuler, toujours maître de lui, il paralysa le connétable en feignant à son égard des sentiments de sincère amitié. Il ordonna ensuite une nouvelle levée de troupes, et fit écrire par le roi (7 octobre 1560) une lettre au chapitre de Paris, pour obtenir une somme de quatre mille livres tournois. Ce fut le chancelier d'Avauson qui porta cette lettre en même temps que les instructions royales.

Les gouverneurs des provinces, des villes et des places fortes eurent ordre de rejoindre leurs commandements et de renseigner exactement les ministres sur la situation des pays soumis à leur autorité.

D'Aumale, qui était en Bourgogne, se plaignit de l'indiscipline de la gendarmerie, qui, mal payée, exerçait des vexations sur les habitants. Guise écrivait à d'Humières pour lui dresser son plan de défense du côté de la Normandie. De Thermes était dirigé sur l'Angoumois, le Périgord et le Limousin. Coucy de Bary, qui commandait à Bordeaux, recevait du roi une lettre par laquelle il lui était prescrit de tailler en pièces ceux qui étoient assez fols de prendre les armes contre lui. Bouillé, qui commandait en Bretagne, avertissait le duc de Guise qu'il venait de trouver près de Nantes, de Châteaubriant et de plusieurs autres villes, des gens armés et masqués, ne tenant point de pays, et ayant tant de lieux où ils sont supportés qu'il est difficile de les surprendre.

L'avis de presque tous les capitaines était qu'il ne fallait pas laisser le roi sans escorte, étant avéré que le projet des mécontents était de s'emparer de sa personne. Guise avait fait transporter la cour de Fontainebleau à Saint-Germain-en-Laye. Ensuite il décida que la réunion des états généraux n'aurait pas lieu à Meaux, mais à Orléans.

Le 12 octobre, la cour traversa Paris pour se rendre dans la capitale de l'Orléanais. Elle fut protégée dans sa marche par les compagnies les plus fidèles aux Guises ; celles des ducs d'Orléans, d'Angoulême, de Guise, d'Aumale, de Lorraine, de Nemours et de Nevers formaient le plus ferme noyau[5].

Il fallait maintenant que le roi de Navarre, et principalement le prince de Condé, vinssent à la réunion des états. Antoine de Bourbon y était assez disposé ; mais son frère craignait de tomber dans un piège.

François II écrivit au roi de Navarre pour l'engager à amener lui-même son frère à Orléans. Dans cette lettre, il lui rappelait que, lors de la conjuration d'Amboise, plusieurs prisonniers avaient fait planer sur lui les plus graves accusations : chose, disait le roi, qui ne me pouvoit entrer dans l'entendement, en l'honneur du sang dont il est et l'amour que je porte aux miens. Le roi ajoutait que, depuis cette époque, il avait eu plusieurs avertissements des pratiques et menées de ce prince au préjudice de son service et de la sûreté de son État. Il n'avait jamais voulu y croire ; mais les apparences étaient si grandes, qu'il voulait s'en éclaircir, n'estant pas délibéré, pour la folie d'aucuns de ses sujets, vivre toute sa vie en peine.

Et pour ce, mon oncle, continuait le roi, que je me suis toujours asseuré de l'amitié et fidélité que me portez, et que vous m'en avez tant fait d'offres et de preuves, que je n'en puis et ne veux doubter aucunement, je n'ai voulu faillir de vous avertir incontinent et escrire la présente, par laquelle je vous prie sur tout le service que désirez jamais me faire, et ordonne surtout que vous ayez chère ma bonne grâce, de me l'amener vous-mesme, dont je n'ay voulu charger autre que vous, non pour autre intention que pour se justifier en votre présence de ce dont il est chargé : vous pouvant asseurer que je seray aussi aise et aussi content qu'il se trouve innocent et net d'une si infâme conspiration, comme je seroye très déplaisant que au cœur d'une personne de si bonne race, et qui me touche de si près, si malheureuse volonté fust entrée, vous pouvant asseurer que là où il refusera m'obéir, je sauray fort bien faire cognoistre que je suis roy, ainsi que j'ai donné charge à M. de Cursol vous faire entendre de ma part, ensemble plusieurs autres choses dont je vous prie le croire comme vous voudriez faire moy-mesme. Priant Dieu, mon oncle, vous avoir en sa très sainte et digne garde[6].

Les ordres du roi étaient si pressants, que, sur le conseil du cardinal de Bourbon, son frère, le faible et hésitant Antoine de Bourbon quitta le Béarn pour se rendre à Orléans. Quant à Condé, son parti était bien pris. Il était bien résolu maintenant à se rendre aux états et à. braver les Guises en face. Sa femme, Éléonore de Roye, qui aimait ardemment cet époux inconstant, le fit prévenir des dangers qui le menaçaient, et, sur l'avis d'une confidence de la reine mère, la duchesse de Montpensier lui conseillait de rester à Nérac, tandis qu'Antoine de Bourbon viendrait seul à la cour. Le prince répondait : Ils n'oseront pas !

Les deux princes, entourés d'une faible escorte, prirent le chemin d'Orléans. A mesure qu'ils approchaient du but de leur voyage, ils pouvaient s'apercevoir que des troupes nombreuses étaient échelonnées sur leur parcours, et qu'elles semblaient se refermer derrière eux pour leur couper la retraite s'ils avaient essayé de retourner sur leurs pas. Des courriers informaient à chaque instant les Guises des incidents du voyage. Quand ils arrivèrent à Poitiers, ils trouvèrent les portes de cette ville fermées. Ces manifestations non équivoques d'hostilité leur faisaient présager l'accueil qui les attendait. Quand ils furent à Orléans (29 octobre), toute l'armée qui avait escorté le roi semblait être sur pied. Au lieu d'être reçus avec les honneurs dus à leur rang, ils ne virent venir au-devant d'eux que le cardinal de Bourbon leur frère et le prince de la Roche-sur-Yon, suivis de quelques gentilshommes. Le roi était logé dans la maison du bailli. Lorsqu'ils voulurent aller lui présenter leurs hommages, ils furent obligés de mettre pied à terre pour traverser la double haie de soldats échelonnés dans la rue. Arrivés au logis du roi, ils trouvèrent sur tous les visages des courtisans et des capitaines les marques d'un respect glacial.

François II était dans son appartement, ayant auprès de lui le duc de Guise, le cardinal de Lorraine, les capitaines de ses gardes et plusieurs seigneurs de la cour. Dès cette première entrevue, le roi, par ses paroles brèves et sévères, leur fit comprendre tout le mécontentement qu'il avait d'eux. Cependant, quittant la chambre où il se trouvait, le roi conduisit avec lui dans l'appartement de la reine mère Antoine de Bourbon et le prince de Condé. Les capitaines et seigneurs, à l'exception des Guises, suivirent les princes chez Catherine de Médicis. L'astucieuse Italienne reçut Bourbon et Condé avec des paroles pleines de tristesse et entrecoupées de pleurs et de sanglots, véritables larmes de crocodile, dit un historien.

Le roi mit fin à cette scène de haute comédie en adressant à Condé les plus sévères reproches sur sa conduite, et en lui déclarant qu'il connaissait les entreprises qu'il avait tentées contre son gouvernement. Le prince était trop orgueilleux pour se défendre par des paroles de soumission et de respect. Il traita de calomnies inventées par les Guises les imputations lancées contre lui, et, roulant faire de sa hardiesse une preuve de son innocence, il dit au roi que s'il ne s'était pas senti la conscience nette, il n'aurait pas mis tant d'empressement à se rendre à ses ordres. Le roi lui répondit que, puisqu'il en était ainsi, il fallait que son innocence éclatât aux yeux de la justice ordinaire, et il donna ordre à Chavigny, capitaine de ses gardes, d'arrêter le prince de Condé. Cet ordre portait la signature du roi et celles du duc de Montpensier, du prince de la Roche-sur-Yon et des maréchaux de Brissac et de Saint-André. On remarque que les Guises ne l'avaient point signé, sans doute pour que cet acte de haute justice n'eût pas l'air d'être une vengeance personnelle. Le prince fut conduit, sous bonne escorte, dans une maison voisine qui devait lui servir de prison, et qui était, à cet effet, garnie de grilles à ses fenêtres. Pour prévenir tout coup de main, elle fut garnie de canons comme une véritable forteresse. Ce fut en vain que le roi de Navarre s'offrit lui-même comme caution de son frère ; ce fut en vain aussi qu'Éléonore de Boy e se jeta aux pieds du roi pour lui demander la grâce de son époux. François II se montra inflexible, il rejeta l'offre d'Antoine de Bourbon et répondit à l'épouse éplorée : Je ne feray jamais grâce à un mauvais parent. Vostre mari m'a voulu osier la couronne et la vie.

Les commentateurs du temps assurent que le roi de Navarre alla jusqu'à s'humilier devant le cardinal de Lorraine.

A propos d'Antoine de Bourbon, qui, bien que laissé en liberté dans son hôtel, n'en était pas moins surveillé avec une rigueur qui rendait cette liberté illusoire, il est bon que justice soit faite d'une infâme calomnie que plusieurs historiens se sont plu à répéter d'après la tradition, et qui contraste singulièrement avec le caractère des acteurs de ce drame.

Ces historiens[7] rapportent que, tandis que s'instruisait le procès du prince de Condé, Antoine de Bourbon fut prévenu par Catherine de Médicis elle-même qu'un infâme complot était par les Guises ourdi contre lui. Le roi, disait-on, devait le mander en sa présence, et là feindre une grande colère pour forcer le prince à s'abandonner à quelques excès-de parole. Alors le roi se serait regardé comme insulté, et aurait frappé Bourbon d'un coup de poignard. On suppose que des estafiers devaient, à ce signal, achever d'assassiner le prince. Malgré les avis de la reine mère, Bourbon se serait rendu à l'invitation du roi et aurait dit à l'un de ses officiers : Je vais dans un lieu où l'on a juré ma mort ; mais jamais peau ne fut vendue si cher que je leur vendrai la mienne. Capitaine Remi, si je péris, prenez ma chemise percée de coups et toute sanglante, portez-la à ma femme et à mon fils ; qu'ils en envoient des lambeaux à tous les rois ; ils liront dans mon sang la vengeance qu'ils doivent tirer du lâche assassinat d'une tète couronnée.

L'entrevue entre le roi de Bourbon eut lieu ; mais, soit que le prince fit acte de soumission et de respect, soit que le souverain n'osât par verser le sang de l'un des siens, le complot- n'eut pas de suites. En voyant Bourbon sortir de la chambre du roi, Guise se serait écrié : Voilà le plus poltron cœur de roi qui fut jamais !

Comment a-t-on pu un instant ajouter foi à une si absurde calomnie ? Est-ce bien à Antoine de Bourbon, ce prince faible, pusillanime, toujours hésitant et inquiet, que l'on peut prêter ces paroles viriles et la démarche audacieuse que nous venons de rapporter ? Condé eût agi ainsi ; mais lui, il en était incapable.

Enfin, c'est Guise, cette âme si loyale et si hardie, ce cœur si noble et si généreux, qui, pour se venger lâchement, aurait mis le poignard dans la main de son neveu, pauvre enfant mata le et sans force, n'ayant plus que quelques jours à vivre ! Nous le répétons, de pareilles calomnies sont trop grossières pour qu'il soit nécessaire de les réfuter.

Les Guises poussaient activement le procès de Condé : il fallait frapper d'un seul coup, dans la personne de leur chef, l'hérésie et la rébellion. Les commissaires chargés de la procédure étalent le chancelier de l'Hôpital, Christophe de Thou, président au parlement de Paris (le père de l'historien), les conseillers Faye et Violles, le procureur général Bourdin, comme partie civile, et du Tilliez, greffier. Les commissaires arrivèrent à Orléans par ordre exprès du roi, et voulurent immédiatement faire subir un premier interrogatoire au prince (13 novembre). Condé soutint qu'il ne devait pas être jugé par des commissaires, mais par le roi, par les pairs du royaume et par toutes les chambres du parlement assemblé. Il appela des procédures qu'on faisait contre lui au roi d'abord, et ensuite au conseil privé ; mais ces appels furent déclarés nuls. Par un arrêt signé François II, daté d'Orléans le 30 novembre, il est ordonné que, nonobstant ladite appellation interjetée par le prince de Condé, ce prince sera tenu de donner, le jour même, ses moyens de récusation contre les commissaires, à faute de quoi ils procéderont au jugement de son procès. Les accusations qui pesaient contre Condé étaient extrêmement graves. Il était démontré qu'il s'était rendu coupable de crime de rébellion et de lèse-majesté, et même d'hérésie. tin prêtre était allé le trouver dans sa prison, et il s'était refusé à entendre la messe.

Guise, dont le cœur était toujours généreux, fit faire au prince des efforts d'accommodement par un officier que Condé avait pu entretenir en présence de ses gardes. Il répondit que le seul moyeu d'accommodement qu'il y avait entre eux était la pointe de la lance. Les commissaires reprirent leurs délibérations, et, puisqu'ils n'étaient point déclarés incompétents, ils étaient forcés de se déclarer convaincus.

Le 26 novembre, le prince de Condé fut condamné à porter sa tête sur l'échafaud. La grâce du prince avait été demandée non seulement par Éléonore et la duchesse de Montpensier, mais aussi par la duchesse de Ferrare, fille de Louis XII et belle-mère du duc de Guise. Le chancelier de l'Hôpital ne signa point l'arrêt. Il disait au roi : Pourquoi se priver d'un puissant moyen de contenir les mécontents ? Vous les verrez soumis tant qu'ils craindront de hâter, par leurs révoltes, le supplice de leur chef ; vous les verriez terribles et sans frein s'il s'agissait de le venger. Catherine de Médicis, qui craignait maintenant de perdre, dans la personne du prince de Condé, un auxiliaire contre la puissance des Guises, obtint de son fils que l'exécution serait retardée de plusieurs jours. Elle fut cependant fixée au 10 décembre. Quelques-uns prétendent, au contraire, que cette date avait été reculée pour donner au connétable le temps d'arriver et le faire tomber dans un piège.

Le roi allait partir pour une chasse à Chambord, lorsqu'on apprit tout à coup qu'il s'était évanoui, pendant les vêpres, dans l'église des Jacobins. En revenant à lui, il poussa des cris aigus, et se plaignit d'un violent mal de tête causé par une fistule dont il souffrait depuis longtemps. L'oreille gauche, par laquelle cette fistule prenait son cours, était menacée de la gangrène. Le mal fit, en quelques heures, des progrès si violents, que les médecins se déclarèrent impuissants à sauver le roi, à cause surtout de l'extrême faiblesse de sa constitution. Le 5 décembre, ce pauvre enfant, qui n'avait connu d'autres joies que les sourires de sa petite reine, rendit son âme à Dieu au milieu de souffrances horribles et après un règne d'un an et demi.

Catherine de Médicis, dont la douleur maternelle n'allait pas jusqu'à lui faire perdre de vue ses intérêts, et les Guises, qui savaient tout ce que cette mort, en les précipitant du pouvoir, pouvait porter de préjudice à leur fortune, se préparaient à jouer leur rôle. Prévoyant que les états généraux, usant de leurs droits, pourraient confier la régence du futur monarque à Antoine de Bourbon, ils furent les premiers à conseiller à Catherine de Médicis d'appeler auprès d'elle le roi de Navarre, et de lui confier la charge de lieutenant général du royaume, après qu'il se serait engagé à lui abandonner la régence.

Sur les conseils du chancelier de l'Hôpital, après, toutefois, qu'elle eut donné les ordres les plus sévères concernant le prince de Condé, comme si l'arrêt devait suivre son terrible cours, la reine manda auprès d'elle Antoine de Bourbon.

Pendant les derniers jours de la maladie du roi, le faible et craintif Antoine n'avait presque plus osé sortir de son hôtel, épiant sur la figure des courtisans les impressions de la cour, et redoutant que les événements ne fissent qu'apporter un dernier coup à son crédit déjà si fortement ébranlé. Avant de l'appeler auprès d'elle, Catherine avait fait entendre contre lui des paroles de menace qu'elle savait devoir lui être rapportées. Ce fut donc comme un coupable n'ayant plus qu'à implorer sa grâce que Bourbon se rendit à cette entrevue, d'où il devait sortir avec l'investiture du plus grand pouvoir du royaume. Fidèle à son rôle, Catherine accueillit Bourbon avec des airs presque courroucés, et, sans lui permettre de se disculper, lui reprocha les accusations vraies ou fausses qui pesaient sur lui. Après l'avoir ainsi tenu à sa merci devant les princes de Lorraine, elle lui proposa le titre de lieutenant général du royaume à la condition qu'il renoncerait à la régence. Antoine de Bourbon devait avoir le commandement des armées de terre et de mer, la haute administration de toutes les choses de la guerre ; mais c'était Catherine de Médicis qui devait avoir le sceau royal, et conserver la haute direction des affaires politiques avec l'aide du conseil privé. Par cet accommodement, Catherine de Médicis se flattait de conserver, en réalité, le gouvernement dans sa main, et d'être en mesure d'opposer toujours les uns aux autres les trop puissants seigneurs capables d'accaparer le pouvoir.

Les Guises avaient obtenu du roi mourant un aveu public qui les déchargeait, en apparence du moins, de la part qu'on les accusait d'avoir prise dans le procès et dans la condamnation du prince de Condé. François II mourant[8] avait assumé sur lui tout seul la responsabilité de cet acte.

Antoine de Bourbon feignit donc, en présence de la reine mère, de ne conserver dans le cœur nulle rancune contre les Guises, et il alla même jusqu'à les embrasser, pour témoigner de ses bons sentiments à leur égard. Le cardinal et François, qui pour se préparer un retour probable à la cour, avaient dû se résigner à descendre volontairement du pouvoir, recevaient de Catherine de Médicis l'assurance que leurs services ne seraient point oubliés, et que, plus que jamais, elle comptait sur leur dévouement. Elle semblait même ne plus pouvoir permettre que leur autorité fût diminuée, tandis qu'en réalité elle complotait déjà avec Bourbon leur éloignement de la cour.

Montmorency, qui, à la nouvelle de la maladie du roi, avait quitté ses domaines pour se rendre à Orléans, était revenu prendre sa place de connétable. Quant aux Châtillon, ils relevaient la tète et parlaient haut. Les Guises, bien que toujours membres du conseil, voyaient leurs partisans passer dans les camps ennemis, si bien que, quand ils arrivaient à la cour, c'étaient eux maintenant qui, de tous les seigneurs, avaient la plus mince escorte. Le cardinal dut se répéter souvent : Sic transit gloria mundi.

 

 

 



[1] Histoire des ducs de Guise, par René de Bouillé.

[2] Mémoires du prince de Condé.

[3] En juillet 1560 fut publié en la cour un édict du roy sur le règlement des maisons-Dieu, hôpitaux, maladreries, aumôneries, léproseries et autres lieux pitoiables.

En août 1560 furent publiés plusieurs édicts du roy ; et premièrement un édict sur la résidence personnelle des évêques et prélats en leur diocèse.

Autre édict sur la résidence personnelle des gouverneurs, séneschaux, baillifs, prévôts, et leurs lièutenants, sur les lieux de leurs offices.

Autre édict prohibitif à tous gouverneurs, leurs lieutenants, présidents, trésoriers généraux et autres officiers royaux de ne prendre ni exiger du peuple aucuns deniers sans la permission expresse dudit seigneur roy. (Mémoires du prince de Condé.)

[4] Archives curieuses de l'histoire de France.

[5] René de Bouillé.

[6] Mémoires du prince de Condé.

[7] De Thou, Anquetil.

[8] Malgré son caractère ambitieux et vindicatif, le cardinal Jean de Lorraine se montrait, dans l'exercice de son ministère, un véritable prélat selon le cœur de Dieu. Lorsque François II fut près de mourir, le cardinal lui-même lui dicta ces paroles qui méritent d'être signalées : Seigneur, pardonnez-moi mes fautes, et ne m'imputez point celles que mes ministres ont commises sous mon autorité.

Ambroise Paré dit que la mort de François II fut considérée par les réformés comme un coup du Ciel.

Toujours grave et solennel, Coligny, qui était auprès du lit lorsque François II rendit le dernier soupir, s'écria : Messieurs, le roi est mort ; cela nous apprend à vivre.